Fortification et pouvoirs souverains (1180-1340)

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FORTIFICATION ET POUVOIRS SOUVERAINS (1180-1340) Architecture fortifiée et contrôle des territoires au XIIIe siècle Colloque international Association Mission Patrimoine Mondial I éditions LOUBATIÈRES

Discours introductif de la Présidente du Conseil départemental de l’Aude, Hélène Sandragné

conférences inaugurales

Jean Mesqui – Souverainetés et architectures fortifiées. Le cas des grandes enceintes de Saint-Louis en France et au Proche-Orient

Xavier Helary – Le château dans la France capétienne

CARCASSONNE ET LES TERRITOIRES VOISINS

Lucien Bayrou, Nicolas Faucherre, Marie-Élise Gardel, Heike Hansen, David Maso et Andreas Hartmann-Virnich – La mise en place d’un réseau fortifié au xiiie siècle. Architecture comparée de la Cité de Carcassonne et de ses « châteaux sentinelles »

Carole Puig et Lucien Bayrou – Mise en défense du royaume de Majorque à travers l’exemple des tours de guet entre le xiiie et le xive siècles (Roussillon, Vallespir, Conflent, Cerdagne et Capcir)

sommaire

22 30 46 58 session

STRATÉGIES DE MAÎTRISE DU TERRITOIRE

Thomas Barrows – Les mottes castrales orientales de County Down et la seigneurie maritime d’Ulster

András Sófalvi – Les châteaux au-delà des frontières orientales du royaume médiéval de Hongrie, marques de son expansionnisme (début du xiiie siècle – milieu du xive siècle)

James Scott Petre – L’extension de la souveraineté anglaise sous Édouard Ier (1272-1307) le rôle des châteaux dans l’expansion d’Édouard au Pays de Galles et en Écosse

Vytas Jankauskas – Réorganisation des systèmes de fortification en Lituanie à la fin du xiiie siècle

ARCHITECTURE ET POUVOIRS SOUVERAINS

José Miguel Remolina Seivane – Les tours albarranes dans la Castille médiévale : innovation dans l’architecture défensive aux xiiie et xive siècles

Philippe Bragard – La politique castrale ou son absence en Lotharingie aux xiiie et xive siècles. L’exemple du comté de Namur

Thomas Biller – L’influence de la fortification « philippienne » en Allemagne occidentale

Roy Porter – Fortification, résidence et siège de l’autorité : le château de Douvres au xiiie siècle

de chantiers 72 84 98 110 122 134 146 160 172

session ii

4 séance inaugurale
introduction
session introductive
Florence Guillot – Castrum, spulga et villa la construction d’une principauté territoriale pyrénéenne : le comté de Foix (fin xiie siècledébut xive siècle) 9 12
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Daniel de Raemy – Le réseau castral des comtes de Savoie au xiiie siècle, ou comment construire rapidement, solidement et bon marché : main-d’œuvre et organisation

session iii

GESTION ADMINISTRATIVE ET ORGANISATION DES TERRITOIRES

Hélène Débax – Les châteaux du Midi : des fiefs jurables et rendables (du xie au xiiie siècle)

Daniel Tietzsch-Tyler – Architecture de contrôle aux confins de l’empire angevin : les châteaux irlandais du roi Jean

Jean-Paul Valois et Pierre Simon – Les bastides ont-elles eu un rôle militaire ?

Gérard Guiliato – Le prince et la fortification dans l’espace lorrain (xiie-xive siècles)

session iv

DES ARCHITECTURES IDENTITAIRES ?

Dr Rachel E. Swallow – Les veilleurs oubliés : tours de guet prémédiévales et châteaux du xiiie siècle d’Édouard Ier sur les terres et les côtes galloises du Moyen Âge

Neil Ludlow – William Marshal, Hubert de Burgh et le modèle angevin

Clément de Vasselot de Régné – De la fortification à l’architecture identitaire. les constructions castrales des Lusignan au xiiie siècle

Marie-Pierre Baudry – Les fortifications de Jean sans Terre (France, Grande Bretagne, Irlande, 1199-1216)

v

FORTERESSES EN TEMPS DE PAIX ET DE GUERRE

Jeremy Ashbee – Les châteaux royaux d’Édouard Ier et le contrôle anglais des Galles du Nord

Lindy Grant – Pouvoir et résidence : les châteaux et le pouvoir capétien au xiiie siècle

Amicie Pélissié Du Rausas – « Flageller les murs » : la guerre de sièges de Louis IX en Poitou (1242)

session conclusive

POUVOIRS SOUVERAINS ET GRANDS ENSEMBLES SÉRIELS

Denis Hayot – L’architecture en « mémoires ». L’organisation de la maîtrise d’œuvre sur les chantiers de Philippe Auguste et son impact sur la standardisation de l’architecture fortifiée

Carlo Tosco, Maria Mercedes Bares, Tancredi Bella, Fabio Linguanti et Alessandra Panicco –L’architecture des châteaux frédériciens en Sicile : perspectives de recherche

Malcolm Hislop – Jacques de Saint-Georges et le « château édouardien »

conclusion

Hervé Baro, Premier Vice-Président du Conseil départemental de l’Aude, président délégué de l’AMPM

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session
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LE CHÂTEAU DANS LA FRANCE CAPÉTIENNE

Xavier HÉLARY 1

Le travail de l’ivoire est une des spécialités des artistes actifs dans la France du Nord aux alentours de 1300 2. À de nombreuses reprises, ceux-ci ont choisi de représenter la prise du château d’Amour, comme ce bel exemple conservé au musée du Louvre, qui date du début du xive siècle (fig. 1). En contrebas, sur leur monture ou escaladant les murailles sur une échelle, des chevaliers s’élancent à l’assaut d’un château que défendent de gentes dames. Même si l’origine littéraire précise en reste inconnue, le thème de la prise du château d’Amour offre un condensé assez saisissant de la culture chevaleresque telle qu’elle s’exprime tout au long du xiiie siècle, quand le service de la dame et la prouesse guerrière se trouvent valorisés.

Dans un autre registre, le château peut également se révéler un motif précieux. Frère Laurent d’Orléans est un dominicain, et donc un spécialiste de la prédication ; c’est aussi le confesseur du fils de Saint Louis, Philippe III (1270-1285) 3. Vers 1279, à la demande de son pénitent, frère Laurent écrit un long traité qui exalte les vertus et conspue les vices. Cette Somme le Roi – c’est son titre – connaît rapidement un vif succès. On la retrouve dans les bibliothèques des rois et des princes, traduite dans toutes les langues de l’Occident. Voici un exemple de ce que dit frère Laurent :

« Quand les ennemis qui guerroient contre le château trouvent la porte ouverte, ils y entrent facilement. Aussi le diable qui guerroie contre le château du cœur, quand il trouve la porte principale ouverte, c’est-à-dire la bouche, prend facilement le château. Et c’est pourquoi disait David au

1. Professeur à Sorbonne-Université et directeur d’études à l’École pratique des hautes études.

2. L’Art au temps des rois maudits 1998, p. 158-159.

3. La Selle 1995, p. 261-262 et à l’index.

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fortification et pouvoirs souverains (1180-1340)

au sud des Carpates – qui s’étendait jusqu’au Danube et aux terres de Brodnik, y compris une partie de la Coumanie – fut reconnue par André II comme un état souverain, étant donné que l’ordre avait déjà entamé son expansion au-delà du Burzenland depuis quelques années.

L’identification du « château fort au-delà des montagnes » (castrum munitissimum ultra montes nivium) est un problème récurrent dans les recherches scientifiques en la matière, et la structure fortifiée la plus fréquemment examinée dans ce contexte est le château de Királykő.

Ce château est situé sur les contreforts des monts éponymes Királykő (Királykő = Rocher du Roi), au-delà de la crête des Carpates, là où la route qui traverse le col de Törcsvár/Bran atteint la vallée de la rivière Dâmbovița, sur le promontoire rocheux qui domine l’actuel village de Podu Dâmboviței (948 m).

Le château de Királykő est mentionné dans les sources écrites du début du xve siècle sous différents noms (en hongrois : Keralkew ; en allemand : Königstein ; en latin : Lapis Regis). Un château frontière, sous la juridiction de l’envoyé du souverain en Transylvanie, le voïvode, et du

comte de Szekler, est souvent mentionné en lien avec le château de Törcs/Bran sur le côté transylvanien du col. Pendant des siècles, la route nord-sud traversant la Transylvanie vers la Valachie était appelée Route du Roi, un nom qui apparaît à maintes reprises dans des sources des xvie et xviie siècles. Le toponyme roumain Oratea ou Oratia date de la fin du Moyen Âge et est issu du nom commun hongrois « vár » (= château) accompagné du suffixe -d (« várad ») 19

Le château fut construit à un point stratégique situé sur la route qui traverse la rivière Dâmbovița et grimpe abruptement vers le col de Törcsvár, offrant un contrôle idéal du passage. Construit avec une excellente vue sur le sud, il était en mesure d’assurer une défense militaire efficace contre des troupes attaquant la Transylvanie depuis la vallée, mais à l’inverse les attaques provenant de la colline du nord (Dealul Sasului) ne pouvaient être repoussées depuis le château (sa construction ne peut donc pas être liée aux voïvodes de Valachie).

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19. Voir les sources historiques détaillées dans Sófalvi 2018-2019, p. 288-290. Fig. 5. Les sentiers médiévaux près du château de Királykő (CloudScale Digital Ltd.).

On connaît deux tracés de chemins médiévaux le long de la forteresse, dont le tracé oriental pourrait être le plus ancien ; après des virages escarpés, il atteignait le plateau sur le côté est du château, où devait se trouver le poste de péage médiéval. Le chemin occidental est plus proche du rocher-socle du château ; des traces de roues (d’un écartement de 1,80 m) creusées profondément dans la roche témoignent de la circulation de chariots lourds ferrés. Cette piste a probablement vu le jour après l’arrivée des Ottomans dans la région au xve siècle (fig. 5)

Le petit château en pierre a un plan rhomboïdal irrégulier, de 35 m de longueur dans l’axe nord-nord-ouest/ sud-sud-est et de 26 m de largeur dans l’axe est-ouest. La hauteur de la courtine en calcaire en ruines atteint 4-5 m au sud et à l’est, tandis que son épaisseur varie entre 2,50 m et 3,60 m. Aucune faille n’est visible dans le dispositif, et il n’y a pas de traces concrètes de créneaux ou de parapet. Du côté est, la courtine était flanquée d’une tour semi-circulaire faisant partie intégrante du mur, et le château était protégé contre les attaques venant du plateau par un fossé sec creusé dans le roc (7 à 8 m de large, 1,5 à 2 m de profondeur aujourd’hui) (fig. 6a, 7). Un pont de bois permettait de franchir le fossé à l’aplomb de l’angle sud-est du château, qui était prolongé sur le côté sud par un chemin rocailleux menant à l’entrée de la forteresse. On accédait au château par une porte cou-

verte d’un arc de 2 m de large, située en hauteur dans la courtine et accessible des deux côtés par des escaliers en bois. Cet arc qui fut ensuite muré, est clairement visible sur la face interne du mur. À l’intérieur du château, qui descend vers l’est, on peut identifier deux constructions taillées dans le roc ; l’une d’entre elles, constituée par une fosse carrée au nord-est, servait de citerne pour le château.

Mise à part un sondage archéologique effectuée par des amateurs en 1905, les premières campagnes de fouilles archéologiques au château de Királykő datent de 1968-1969 et 1971. Un compte rendu succinct des résultats est paru dans une monographie ultérieure sur les

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les châteaux au-delà des frontières orientales du royaume médiéval de hongrie Fig. 7. Vue aérienne du château de Királykő, vue de l’est (CloudScale Digital Ltd.). Fig. 6.a. Királykő, la configuration du château avec les douves et les sentiers menant à l’entrée (CloudScale Digital Ltd.). Fig. 6.b. Le château de Királykő, sections archéologiques ouvertes en 2021 (CloudScale Digital Ltd.).

à ce que l’on peut observer sur place. Au pays de Galles, les châteaux d’Édouard sont des créations formidables, qui dominent encore les alentours comme ils le faisaient avec bien plus de force il y a 700 ans. Les quatre grands châteaux de Conwy (fig. 1), Caernarfon (fig. 2), Harlech

(fig. 3) et Beaumaris (fig. 4) sont à ce point remarquables qu’ils ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, comme seuls quatre autres sites dans le pays. Cette distinction est due au fait que ces sites et leurs villes fortifiées sont considérés comme « les plus beaux exemples d’architecture militaire de la fin du xiiie siècle et du début du xive siècle en Europe, comme en témoignent leur achèvement et leur excellent état de conservation… »  4. Un éloge similaire émane de la plume du professeur Michael Prestwich de Durham dans sa remarquable biographie d’Édouard. Prestwich les décrit comme « la plus remarquable collection de châteaux jamais construite » 5. Il n’y a pas mieux comme éloge !

À l’inverse, presque rien n’a été préservé des réalisations d’Édouard en Écosse. Les ouvrages d’architecture sur les constructions réalisées sous le règne d’Édouard peinent à trouver des châteaux à décrire. Malcolm Hislop a récemment produit un passionnant chapitre dans son

4. https://cadw.gov.wales/learn/histories/castles-town-walls-edward-i 5. Prestwich 1997, p. 170.

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fortification et pouvoirs souverains (1180-1340) Fig. 2. Le château de Caernarfon vu de l’autre côté de l’embouchure de la rivière Seiont. (© James Petre) Fig. 3. Le château de Harlech. (© James Petre)

livre sur les châteaux édouardiens au pays de Galles 6 . Comme les ouvrages précédents, il accorde une attention considérable aux travaux effectués à Kildrummy, Bothwell et Lochmaben. En ce qui concerne les deux premiers, il est vrai qu’ils présentent des affinités étroites avec les structures du pays de Galles, mais comme le note Hislop, cela ne signifie pas en soi qu’Édouard ait réalisé des constructions dans ces châteaux écossais. Le châtelet d’entrée de type Harlech à Kildrummy peut très bien avoir été conçu par un maître d’œuvre qui participa à la construction du château gallois, ou en tout cas qui connaissait bien ce dernier, mais son principal commanditaire était plus probablement le comte de Mar  7 Bothwell aussi possède au moins les fondations d’un châtelet d’entrée flanqué de deux tours et d’un donjon spectaculaire (fig. 5). On considère aujourd’hui que ce donjon

l’extention de la souveraineté anglaise sous édouard ier

à l’origine des réalisations d’Édouard au pays de Galles et de ceux qui l’ont empêché de réussir pleinement en Écosse. En poursuivant ces lignes de pensée, je suggérerai

fut inspiré des idées d’Aymer de Valence, futur comte de Pembroke, et peut-être modelé sur la grande tour de Pembroke 8. Quant à Lochmaben, les rares vestiges de maçonnerie encore visibles datent plus probablement de la fin du xive siècle 9. Les aménagements qui étaient plus certainement de l’époque édouardienne ne sont plus que de petites digues et des fossés peu profonds, guère plus que des plis dans le paysage, réduits à néant par des siècles d’effondrement ou remplacés par des réalisations postérieures aux années d’occupation anglaise.

Cette contribution vise à examiner l’importance des châteaux d’Édouard dans ses campagnes et son expansion au pays de Galles et en Écosse. Le premier fil conducteur consiste à réfléchir à l’utilisation des châteaux et à leurs performances en temps de guerre. Le second fil propose d’examiner une image plus globale des autres éléments

6. Hislop 2020, p. 189-221.

7. Hislop 2020, p. 198-200 ; Ashbee 2021, p. 216-217.

8. Ludlow 2018, p. 237-280.

9. Hislop 2020, p. 192-194.

que l’impact des grands châteaux construits au pays de Galles, en ce qui concerne l’établissement et le maintien de la souveraineté anglaise, a tendance à être exagéré. À l’inverse, on peut affirmer qu’en Écosse, ses œuvres de moindre importance ont eu plus de signification que ce qui est généralement admis. En effet, pour citer Michael Brown de l’université de St Andrews, « on pourrait dire que la stratégie de fortifications d’Édouard en Écosse était plus pragmatique et efficace que les châteaux gigantesques du Nord du pays de Galles » 10

Les châteaux d’Édouard en guerre

Examinons dans un premier temps le bilan des châteaux d’Édouard durant les guerres. Si l’on commence par le pays de Galles, on remarque que les constructions à Flint furent initiées en même temps que la campagne

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10. Brown M. H., communication personnelle. Fig. 4. Le château de Beaumaris. La triple rangée de douves, de courtines extérieures et intérieures – côté ouest. (© James Petre) Fig. 5. Bothwell. Le grand donjon. (© Malcolm Hislop)

LES TOURS ALBARRANES

DANS LA CASTILLE MÉDIÉVALE : INNOVATION DANS

L’ARCHITECTURE DÉFENSIVE AUX XIIIE ET XIVE SIÈCLES

José Miguel REMOLINA SEIVANE 1

Les remparts médiévaux de Talavera de la Reina et d’Escalona, deux villes situées non loin de Tolède en Castille-La Manche, possèdent une batterie unique de tours albarranes et représentent un épisode remarquable de l’histoire de la fortification ibérique médiévale, inspiré tant de l’architecture islamique qu’occidentale.

Le chapitre examine ces fortifications urbaines exceptionnelles afin d’en établir les circonstances et les concepts sous-jacents. En premier lieu, je traiterai de l’origine et de la diffusion des tours albarranes. Il s’agit de tours qui se dressent séparément devant la façade du mur, auquel elles sont reliées par une arche. À une exception près, la construction de ces tours a commencé au cours de la période almohade du xiie siècle dans le sud de l’Espagne musulmane et elles ont été largement utilisées après la conquête chrétienne, du xiiie au xve siècle. Elles sont confinées à la péninsule Ibérique 2. Dans un second temps, je m’intéresserai à leur origine éventuelle dans la pratique traditionnelle de renforcement des enceintes par l’agrandissement de tours préexistantes, une pratique très courante au Moyen Âge qui permettait de renforcer assez rapidement les défenses urbaines et qui explique la forme exceptionnelle des tours albarranes de Talavera.

Les remparts urbains médiévaux aux royaumes de Castille et Léon : Ávila

Du xie au xive siècle, pendant la « Reconquista », la frontière entre les royaumes chrétiens du Nord de la péninsule ibérique et les musulmans du Sud s’est déplacée continuellement vers le sud, au fur et à mesure que les principales villes étaient conquises par les rois de Castille, de Léon et de Portugal. Au cours de cette période, de nombreux châteaux et enceintes fortifiées ont été construits à la hâte, contraints par le besoin immédiat de sécuriser les zones nouvellement conquises et conduisant à l’émergence de nouvelles solutions architecturales.

123 les
albarranes
la
tours
dans
castille médiévale
1. Architecte. Collège officiel des architectes de Cantabria (Espagne). Association Storia della Città 2. Torres Balbás 1970, p. 586.

fortification et pouvoirs souverains (1180-1340) baroque. Dans le cas du château de Mürlenbach près de Trèves, probablement construit avant 1331 par l’important monastère de Prüm 18, le plan est devenu si irrégulier qu’on ne peut guère parler d’un Kastell déformé ; il s’agit plutôt d’un complexe irrégulier adapté à la montagne, comme c’est souvent le cas en Allemagne. Seuls le châtelet d’entrée à deux tours (« Doppelturmtor », fig. 9) et une tour murale témoignent encore d’influences françaises.

L’une des théories les plus répandues sur l’origine des châteaux à douves d’Allemagne du Nord est que leur forme ronde ou polygonale serait dérivée d’une

motte sous-jacente. Cependant, cette hypothèse m’apparaît insoutenable compte tenu de mon échantillon. Les châteaux véritablement ronds sont assez rares, même dans les plaines ; je n’en ai trouvé que deux dont les caractéristiques, avec des tours flanquantes circulaires, indiqueraient une influence française. Parmi ceux-ci, Münchhausen 19 près de Bonn (fig. 10), apparemment construit par les comtes d’Are-Hochstaden, est incontestablement le plus ancien, toujours de forme romane et datant probablement du premier quart du xiiie siècle ; malheureusement, seules des parties du château principal ont été conservées. Et Hülchrath 20 (fig. 10) près de Düssel-

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18. Die Kunstdenkmäler der Rheinprovinz, 12-2, 314-317 ; Losse 1997 ; Losse 2002. 19. Jansen 2018. 20. Die Kunstdenkmäler der Rheinprovinz, vol. 3-5, 43-51. JanssenJanssen 1980, 120-139 ; Kisky 1964. Fig. 9. Château de Mürlenbach (Rheinland-Pfalz), « Doppelturmtore » et tour murale (Th. Biller).

dorf est le seul exemple parmi mes sites, à part le château de Linn mentionné précédemment, qui peut probablement être décrit comme une motte castrale remaniée. Il est probable qu’il fut établi en tant que château comtal et qu’il changea ensuite de propriétaire. L’opinion dominante est qu’il était entouré d’un mur circulaire avec des tours semi-circulaires avant 1300. Après avoir appartenu à l’Électorat de Cologne, en 1314, la construction du château se poursuivit mais en briques, ce qui lui donna sa forme actuelle.

L’influence française en Allemagne orientale

Voici qui conclut les exemples de Kastelle aux plans plus ou moins réguliers à la limite occidentale de l’espace germanophone. Si j’ai commencé mon article par ces exemples, c’est parce que l’influence du mouvement français, qui commença à la fin du xiie siècle et atteignit son premier apogée spectaculaire au Louvre à Paris vers 1200 21, est particulièrement évidente ici. Car, il faut le souligner, ce sont les premiers châteaux de cette forme

dans la région allemande ; jusqu’alors, les seules formes comparables étaient les forts romains tardifs du ive siècle. Bien sûr, la construction de châteaux médiévaux en Allemagne avait commencé bien plus tôt, mais ces châteaux avaient un aspect très différent jusqu’au début du xiiie siècle 22. Vers la fin du xiie siècle, on observe les premières tentatives d’adoption de formes géométriques claires, généralement rectangulaires 23, mais les tours de flanquement et les embrasures sont presque totalement absentes en Allemagne – jusqu’à la construction du château de Lahr en 1218 (fig. 2), environ quinze ans après que le Louvre à Paris transforma le concept du Kastell avec ses tours rondes en une forme classique, symbole de la royauté. Bien sûr, dans la région allemande – et bien au-delà vers l’est – l’influence française peut également se limiter à certaines parties du château, par exemple des tours rondes individuelles en saillie ou des archères 24, ainsi que des grandes tours circulaires avec des voûtes sur plusieurs ou tous ses étages. Certaines de ces formes ont été remarquées et publiées par des chercheurs allemands il y a déjà fort longtemps, mais leurs observations restent l’exception. Il y a presque 50 ans, l’historien de

22. Voir en particulier : Burgen der Salierzeit 1991 ; Schloß Tirol 1998 ; Biller-Metz 2018.

23. Biller 2002, 23-43.

24. Biller-Metz 1995.

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l’influence de la fortification « philippienne » en allemagne occidentale
21. Hayot 2019.
Fig. 10. Les châteaux de Münchhausen (à gauche) et Hülchrath (NordrheinWestfalen), plans (Münchhausen : Jansen, Münchhausen ; Hülchrath : Kunstdenkmäler Grevenbroich, voir note 433).

fortification et pouvoirs souverains (1180-1340)

ment peu complexes à exécuter. Elles sont très solides : lorsqu’en 1382 on reconstruit celle incendiée de l’aula du château d’Yverdon, le charpentier met en œuvre une quantité de bois trois fois plus considérable que la charpente actuelle à deux versants, de la fin du xve siècle. On imagine un véritable blindage de chevrons, susceptible de

résister aux bombes incendiaires. Par leur faible pente, ces toitures formaient une sorte de plateforme sur laquelle les défenseurs pouvaient évoluer 13 (fig. 7)

réalisée

JeanFred Boekholt reconstituant le château médiéval et ses toitures basses. État au début du XVe siècle. Après l’incendie de l’édifice en 1476, lors des guerres de Bourgogne, les Savoie surélèvent entre 1484 et 1507 les corps de logis d’un étage et installent les charpentes actuelles à deux versants. (FibbiAeppli)

Les toitures protègent également les chemins de ronde ; leur pente est définie par la largeur du corps de logis et par la hauteur du parapet protégeant la coursière. À Yverdon, ces parapets sont très épais, soit de 4 pieds savoyards (1,12 m). Ils sont percés non de simples créneaux, mais de baies-créneaux ou créneaux couverts. Sous un couvrement maçonné, l’embrasure de la baie est équipée de coussièges (fig. 8). Ces créneaux couverts caractérisent la quasi-totalité des chemins de ronde des autres châteaux construits à l’époque de Pierre de Savoie sous le même type de toitures. Maintenant disparues, elles existaient au château de Rolle pour Ebal de Mont, un proche et vassal de Pierre de Savoie. La conception de cet édifice peut être attribuée à un autre magister operum de Pierre de Savoie, Jean Mésot, qui était aussi magister ingeniorum du roi d’Angleterre dans le sud de la France. C’est lui qui en 1261 donne les instructions au maçon François pour la tour circulaire de Saillon en Valais. Entre 1270 et 1310, on construit avec frénésie : de nombreuses forteresses nouvelles surgissent dans un contexte de guerre permanente opposant l’évêque de Lausanne et ses alliés, les Grandson, au clan savoyard, soit les successeurs de Pierre de Savoie, les comtes Philippe puis Amédée V. Du temps de ce dernier, le pays de Vaud était devenu un apanage indépendant, entre les mains de Louis de Savoie, un frère d’Amédée.

Les toitures basses caractérisent ainsi le château de Chenaux à Estavayer, dressé entre 1285 et 1292 par la main-d’œuvre qui vient de terminer celui de Grandson, pour Pierre d’Estavayer, neveu par alliance et proche d’Othon de Grandson 14. On reconstitue également ce dispositif au château de Bulle en 1289-1295 (fig. 9), pour Guillaume de Champvent, évêque de Lausanne et cousin d’Othon. Les Champvent y recourent également dans leur propre forteresse, commencée après 1295, pour Pierre de Champvent, frère de l’évêque de Lausanne, Guillaume de Champvent. En réaction, afin de contrôler la frontière occidentale des territoires épiscopaux autour de Lausanne, Louis de Savoie fonde en 1286 la ville de Morges, dotée d’un château quadrangulaire, lui aussi régi par les mêmes principes constructifs sous des toitures de faible pente.

13. La charpente de 1382 est connue par la comptabilité des Savoie conservée aux AST/SR. Références précises et analyse détaillée de ces toitures, voir Raemy 2004, p. 373-377.

14. Sur le château de Chenaux à Estavayer, voir en dernier lieu Raemy 2020, p. 278-313.

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Fig 7. Le château d’Yverdon, vue du sud-est. Maquette par Fig 8. Château d’Yverdon, courtine méridionale, baiecréneau ajourant le parapet du chemin de ronde. État en 2011. (D. de Raemy)

Les circulations verticales des tours maîtresses, si elles sont prises dans les maçonneries, sont un facteur de complexité et réclament de la compétence. Plusieurs options sont retenues : l’escalier rampant intramural, l’escalier rampant posé sur la retraite du parement intérieur des tours et l’escalier en vis. Le rampant intramural s’observe plutôt dans les tours circulaires les plus anciennes dont les murs sont en général plus épais, comme l’avait justement observé Louis Blondel. On les voit à la tour ronde d’Orbe de 1230-1235, à la tour du grand donjon de Romont en 1240-41 et à la tour de Saillon, de 1261-1262, l’œuvre du maçon François dirigé par Jean Mésot. Les vis ne desservent jamais tous les niveaux mais sont en général mises

en œuvre pour relier les deux étages les plus hauts ; elles épargnent ainsi de pratiquer une ouverture dans le plancher installé sous la toiture, facteur d’incendie. Ces escaliers se prolongent en guette, comme à la tour à Boyer de Romont ou à Lucens (voir fig. 2). Dans les réalisations les plus récentes, soit les châteaux de la période conflictuelle 1270-1310, on tend réellement à la simplification. À Saxon, en 1279-1281, Gilles et Tassin de Saint-Georges relient les niveaux par des échelles de moulin. Cette tour, judicieusement située pour la surveillance de la vallée du Rhône, devait être encore moins dévolue à la résidence que ses consœurs, même si elle est équipée de la traditionnelle cheminée à l’étage

181 le réseau castral des comtes de savoie au xiiie siècle
Fig 10. Château de Bulle, coupe à travers la grande tour. (Relevé : Augustin Genoud, 1936 ; mise au net : Frantz Wadsack, 2004) Fig. 9. Château de Bulle. Coupe à travers le corps de logis oriental. En jaune reconstitution des niveaux et toitures de 1289-1294. Les tourelles d’angle étaient dotées de hourds. En vert, reconstruction du XVIe siècle. Toitures et subdivisions actuelles de 1763-1768. (Relevé : Service des bâtiments de l’État de Fribourg, 2020 ; ajouts : D. de Raemy, 2022)

ARCHITECTURE DE CONTRÔLE AUX CONFINS DE L’EMPIRE ANGEVIN : LES CHÂTEAUX IRLANDAIS DU ROI JEAN

Daniel TIETZSCH-TYLER 558

L’entrée des Anglo-Normands en Irlande : une aventure de chevaliers

En 1200, l’Irlande n’était la limite occidentale de l’empire angevin que depuis seulement trente ans. La colonisation anglo-normande de l’île remonte à la fuite de Diarmait Mac Murchada de son royaume de Leinster en 1166. Mac Murchada sollicita l’aide du roi anglais Henri II. Henri ordonna à la ville de Bristol de lui venir en aide. Peu après, Richard fitz Gilbert, connu sous le nom de « Strongbow », accepta d’aller en Irlande pour lui prêter main forte. La première intervention anglo-normande eut lieu en mai 1169, lorsque Robert fitz Stephen débarqua avec une petite armée sur l’île de Bannow, au large de la côte sud de Leinster (fig. 1a), suivi en mai 1170 par Raymond le Gros avec une armée plus conséquente. Strongbow lui-même débarqua en août avec une force encore plus imposante et s’empara de Waterford, où il épousa la fille de Mac Murchada et devint son héritier avant de marcher sur Dublin et de prendre la ville (fig. 1b). Mac Murchada mourut en mai 1171, ce qui signifiait que Strongbow était à présent théoriquement le souverain du Leinster. Henri II réagit à la menace d’un État anglo-normand indépendant sur son flanc ouest en imposant un embargo immédiat sur les voyages en Irlande. Strongbow, en réponse, céda le Leinster au roi.

L’invasion : L’expédition d’Henri II en 1171-1172

Alors que les premiers Anglo-Normands n’avaient répondu qu’à l’appel d’un roi provincial, l’Irlande fut effectivement envahie en octobre 1171 lorsqu’Henri II débarqua avec une véritable armée. De Waterford, il se rendit à Dublin (fig. 1b), où la plupart des rois provinciaux irlandais se soumirent, sauf le haut roi, Ruaidri O’Connor de Connacht. Hivernant à Dublin, Henri concéda à nouveau le Leinster à Strongbow en tant que vassal, mais conserva Waterford et Wexford. Il accorda Dublin aux citoyens de Bristol. Dans un premier temps, Henri créa la seigneurie de Meath à partir du royaume

197 architecture
de
de contrôle aux confins
l’empire angevin
1. Chercheur indépendant, Limerick, Irlande.

fortification et pouvoirs souverains (1180-1340)

ouest de la tour, séparée par un fossé dont la courtine extérieure fut rehaussée plus tard au cours du siècle lorsqu’une tour flanquante et un châtelet d’entrée garni de deux tours furent ajoutés (fig. 5c). Ce château défendait l’extrémité occidentale du territoire royal dans le sud du Munster.

Les châteaux du roi Jean en Irlande (II) : en 1210

Après l’expédition de Jean en 1210 et sa prise de la frontière occidentale, il reprit la construction de châteaux en ordonnant de bâtir trois autres châteaux sur le Shannon à Athlone, Limerick et Clonmacnoise. Deux d’entre eux furent construits pour contrôler des points de passage stratégiquement importants de la colonie anglaise vers Thomond et Connacht. Le troisième, également situé à une tête de pont du Shannon, était plutôt une base pour la contre-insurrection dans les Midlands d’Irlande sous contrôle anglais. Dans ce contexte, un château de terre et de bois fut également bâti à Roscrea.

Fig. 5. Le château de Dungarvan :

a. le shell-keep avec son entrée moderne. L’entrée d’origine obstruée du premier étage contient deux paires de mousquets modernes ;

b. dessin de reconstitution du château après les ajouts ultérieurs du xiiie siècle (avec l’aimable autorisation de Dave Pollock) ;

c. plan du château.

Fig. 6. Château d’Athlone :

a. partie de la courtine restante. La flèche indique l’archère à plongée obstruée ;

b. la tour polygonale du xixe siècle construite sur les fondations de la grande tour polygonale démolie vers 1 210 ;

c. plans comparés d’Athlone et d’Orford du roi Henri II ;

d. dessin de reconstitution du château après l’effondrement d’une tour en 1211, tuant Richard de Tuite et huit autres personnes.

202

Athlone

Le château d’Athlone se dresse sur la rive de Connacht du Shannon, remplaçant une forteresse de terre et de bois datant de 1129 11. Cette dernière coiffait l’extrémité d’une crête d’esker traversée par le Shannon, un fossé l’isolant du reste de l’esker pour créer une enceinte circulaire. Après le départ de Jean d’Irlande en 1210, le Justicier John de Gray remplaça le château de bois par un château de pierre 12. Une grande enceinte polygonale sub-circulaire à dix ou onze côtés a été construite, dont seule la moitié a survécu aux changements post-médiévaux (fig. 6a). Le côté faisant face à la rivière était plus long que les autres pour accueillir une grande salle en bois, remplacée plus tard par de la pierre. Les murs s’élevaient à huit mètres au-dessus de l’enceinte à l’intérieur et à quinze mètres au-dessus du sol à l’extérieur. Une longue archère à plongée subsiste à l’angle sud-sud-ouest. Un plan de 1685 indique que la courtine polygonale possédait au moins trois tours flanquantes rectangulaires, l’une étant une tour-porte dans la face nord et les autres probablement ouvertes à la gorge (fig. 6c). Ces deux dernières se trouvaient sur l’arc sud-est de la courtine, surplombant la route de Connacht depuis le pont de Shannon. L’effondrement d’une tour en 1211 qui, selon les annales, tua neuf personnes, fait probablement référence à l’une des tours des remparts perchées sur le bord instable de l’esker 13 (fig. 6d)

Une tour-maîtresse polygonale fut érigée au centre de cette enceinte. La tour avait environ dix côtés à l’extérieur mais était circulaire à l’intérieur. Elle fut démolie vers 1800 et une nouvelle tour polygonale légèrement plus étroite fut construite sur la base de l’ancienne mais aucun élément médiéval ne subsiste (fig. 6b).

Limerick

Le château de Limerick fut également construit vers 1210, à la suite de l’expédition de Jean en Irlande. D’un point de vue architectural, c’est certainement le plus beau des châteaux de Jean, bien qu’il fût loin d’être achevé avant son décès. Le pipe roll de 1211-1212 fait état de dépenses de 733 £ 16 s 11 d pour le château, une

somme exceptionnellement élevée 14. La somme est trop importante pour la partie du château qu’il a construite. Il s’agissait d’un châtelet d’entrée à deux niveaux flanqué de tours rondes, d’une plus grande tour ronde isolée, et de courts arcs polygonaux de courtine entre et de chaque côté de ces tours (fig. 7a, c). Par rapport aux travaux de Jean en Angleterre, la réalisation de cette façade ne peut avoir

:

a. plan en plusieurs phases ; b. carte de l’enceinte médiévale de Limerick sur King’s Island ;

coûté plus de 500 £. Le reste de l’argent a probablement été consacré à la réparation de l’enceinte circulaire, que la maçonnerie ne remplaçait que partiellement, et à la construction de treize piliers de pierre qui devaient soutenir un pont en bois construit sur le Shannon à côté du château 15 (fig. 7e). Les travaux ont ensuite été interrompus pendant plus de vingt ans, après quoi le château adopta un plan quadrangulaire (fig. 7a)

a-b. 1. première enceinte viking, 2. murs scandinaves en 1200, 3. enceintes religieuses, 4. enceinte anglonormande, 5. murs du château en 1211-1212, 6. murs du château et de la ville en 1235-1250, 7. murs du château en 1272-1300, 8. murs du port au xve siècle, 9. bastion d’artillerie du château postmédiéval ; c. extérieur du château du roi Jean ; d. intérieur du château du roi Jean. La flèche indique l’entrée au premier étage de la troisième tour carrée ; e. dessin de reconstitution du château après l’achèvement des travaux du roi Jean en 1211-1212.

11. O’Donovan 1851, p. 1033.

12. Hennessey 1871, p. 245.

13. O’Donovan 1848, p. 169 ; Hennessey 1871, p. 245-6. Les Annales des Quatre Maîtres datent de manière incorrecte cet événement en 1210.

Le châtelet d’entrée est probablement l’un des premiers de ce type construit en Grande-Bretagne et en Irlande. En Grande-Bretagne, le châtelet d’entrée nord de Douvres, détruit lors du siège de 1216, pourrait dater de 12071208, date à laquelle 170 £ ont été dépensées pour le château, bien que des sommes plus vraisemblables de 200 £

203
architecture de contrôle aux confins de l’empire angevin
14. Davies, Quinn 1941, p. 69 ; Tietzsch-Tyler 2013, p. 144. 15. Tietzsch-Tyler 2013, p. 160. Fig. 7. Château de Limerick

L’ARCHITECTURE DES CHÂTEAUX

FRÉDÉRICIENS EN SICILE : PERSPECTIVES DE RECHERCHE

TOSCO 1 Maria
BARES 2 Tancredi BELLA 3
LINGUANTI 4 Alessandra PANICCO 5
Carlo
Mercedes
Fabio

1kar2

Les châteaux de Frédéric en Sicile : cadre général (Carlo Tosco)

Plusieurs châteaux construits à l’initiative de l’empereur Frédéric II sont conservés en Sicile. Leur état de conservation varie considérablement, et si les châteaux de Catane et de Syracuse sont en mesure d’accueillir des visiteurs, dans d’autres cas, comme à Augusta, la structure apparaît aujourd’hui dans un état d’abandon. Diverses recherches ont été développées sur les châteaux de Sicile, qui possèdent désormais une riche bibliographie 6, mais manquent encore d’analyses stratigraphiques, effectuées selon les principes de l’archéologie de l’architecture. Dans cet essai, nous présenterons les châteaux de Syracuse, Augusta, Catane et Enna, en limitant notre attention aux structures fortifiées les plus importantes et les mieux préservées construites par l’empereur en Sicile (fig. 1)

Frédéric préférait résider dans la région de Capitanata, dans les Pouilles, où l’on trouve Castel del Monte, et ne passait que de courtes périodes de son règne en Sicile. Son séjour sur l’île se divise en trois phases : enfance et adolescence à la cour de Palerme, répression

1. Architecte et professeur d’histoire de l’architecture, Politecnico di Torino.

2. Architecte, docteur en histoire de l’architecture, università degli studi di Palermo.

3. Professeur d’histoire de l’art médiéval, università di Catania.

4. Architecte, docteur en archéologie du bâti, Aix-Marseille Université.

5. Architecte paysagiste, Politecnico di Torino.

6. La bibliographie attachée à Frédéric II est très vaste et on se réfère généralement à l’Enciclopedia fridericiana, présidée par O. Zecchino et publiée par l’Istituto della Enciclopedia Italiana, vol. I-II, Rome, 2005, disponible en ligne. Un événement important pour les publications a eu lieu en 1994, avec les célébrations du huitième centenaire de la naissance de l’empereur. Pour un aperçu historiographique : D’Onofrio 2003, p. 127-147 ; Knaak 2001. Pour l’histoire et l’architecture des châteaux de la Sicile, citons particulièrement parmi les travaux les plus récents : Calò Mariani, Cassano 1995 ; Di Stefano, Cadei 1995 ; Cadei 2006 ; Martin 2009, p. 251-269 ; Maurici 2014 ; Safonte 2016 ; Pistilli, Gianandrea 2020, p. 115-134 ; Tosco 2021, p. 73-116.

339 l’architecture
:
de recherche
des châteaux frédériciens en sicile
perspectives
cs3 vsq4 vq5 Fig 1 : Châteaux de FrédériC ii en SiCile orientale

fortification et pouvoirs souverains (1180-1340)

en faisceau, qui témoignent d’un rapport complexe avec l’héritage antique, et dont les analyses pétrographiques montrent toute la richesse et la variété – avec l’utilisation de plus de treize lithotypes différents 17

Quant à l’appareil iconographique du portail, complété par les deux niches latérales qui, selon la tradition historiographique, abritaient les deux célèbres béliers en bronze de l’époque hellénistique, il est donc lisible comme un programme rhétorique de propagande.

D’autre part, des études en cours portent sur les marques lapidaires (marques des tailleurs de pierre) : les premiers résultats des recherches au château de Maniace

17. Bares 2009b, p. 36-46.

font état de plus d’une centaine de marques, sans compter les signes dits « dérivés » 18. L’analyse comparative de celles-ci dans plusieurs bâtiments siciliens et continentaux souabes permettra d’approfondir la dynamique inhérente au fonctionnement des chantiers et à la mobilité des travailleurs qui ont été les protagonistes matériels du projet impérial de Frédéric II 19 .

18. Les données proviennent de l’étude archéométrique sur les marques des tailleurs de pierre réalisées lors du chantier de restauration du château de Maniace à Syracuse (a. 1999, L’isola, laboratori di restauro). Voir également (Zoric 1995, II, p. 409-413).

19. Pour une première approche du sujet, cf. Linguanti 2018, p. 104-115.

342
Fig. 4 : SyraCuSe, Salle hypoStyle de Château ManiaCe (M. M. BareS).

Le château d’Augusta

(Alessandra

Le château souabe a été construit sur la partie la plus élevée de l’île de Maremorto à partir de 1232 et la construction s’est poursuivie pendant environ une décennie 20. Sa position lui permettait de dominer le port à l’entrée d’Augusta, une ville située sur le territoire entre Catane et Syracuse (fig. 5). Une série de révoltes avait en effet investi la Sicile au début du xiiie siècle,

d’où la nécessité d’ériger des structures fortifiées utiles pour le contrôle des centres urbains, la réorganisation des ports et la protection des activités économiques et commerciales 21 .

Frédéric II encourage la construction de la forteresse sur l’isthme reliant l’île au continent, modifiant ainsi la géographie antérieure de la côte. Le château, avec le château Ursino à Catane et le castel Maniace

Syracuse, a constitué une innovation importante en Sicile dans le domaine de l’architecture 22. Grâce à une étude géomorphologique minutieuse de l’île de Maremorto, on sup-

343 l’architecture
des châteaux frédériciens en sicile : perspectives de recherche
Panicco) 20. Agnello, Trigilia 1994, p. 36-43. à 21. Tosco 2021, p. 84. 22. Alberti 1997, p. 40. Fig 5 : auguSta, vue aérienne aCtuelle du Château SouaBe depuiS le Sud-eSt (extraite de alBerti S. a., Il castello dI augusta, 1995).

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