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LE CHÂTEAU DANS LA FRANCE CAPÉTIENNE

Xavier Hélary1

Le travail de l’ivoire est une des spécialités des artistes actifs dans la France du Nord aux alentours de 1300 2. À de nombreuses reprises, ceux-ci ont choisi de représenter la prise du château d’Amour, comme ce bel exemple conservé au musée du Louvre, qui date du début du xive siècle (fig. 1). En contrebas, sur leur monture ou escaladant les murailles sur une échelle, des chevaliers s’élancent à l’assaut d’un château que défendent de gentes dames. Même si l’origine littéraire précise en reste inconnue, le thème de la prise du château d’Amour offre un condensé assez saisissant de la culture chevaleresque telle qu’elle s’exprime tout au long du xiiie siècle, quand le service de la dame et la prouesse guerrière se trouvent valorisés.

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Dans un autre registre, le château peut également se révéler un motif précieux. Frère Laurent d’Orléans est un dominicain, et donc un spécialiste de la prédication ; c’est aussi le confesseur du fils de Saint Louis, Philippe III (1270-1285) 3. Vers 1279, à la demande de son pénitent, frère Laurent écrit un long traité qui exalte les vertus et conspue les vices. Cette Somme le Roi – c’est son titre – connaît rapidement un vif succès. On la retrouve dans les bibliothèques des rois et des princes, traduite dans toutes les langues de l’Occident. Voici un exemple de ce que dit frère Laurent :

« Quand les ennemis qui guerroient contre le château trouvent la porte ouverte, ils y entrent facilement. Aussi le diable qui guerroie contre le château du cœur, quand il trouve la porte principale ouverte, c’est-à-dire la bouche, prend facilement le château. Et c’est pourquoi disait David au fortification et pouvoirs souverains (1180-1340) au sud des Carpates – qui s’étendait jusqu’au Danube et aux terres de Brodnik, y compris une partie de la Coumanie – fut reconnue par André II comme un état souverain, étant donné que l’ordre avait déjà entamé son expansion au-delà du Burzenland depuis quelques années.

1. Professeur à Sorbonne-Université et directeur d’études à l’École pratique des hautes études.

2. L’Art au temps des rois maudits 1998, p. 158-159.

3. La Selle 1995, p. 261-262 et à l’index.

L’identification du « château fort au-delà des montagnes » (castrum munitissimum ultra montes nivium) est un problème récurrent dans les recherches scientifiques en la matière, et la structure fortifiée la plus fréquemment examinée dans ce contexte est le château de Királykő.

Ce château est situé sur les contreforts des monts éponymes Királykő (Királykő = Rocher du Roi), au-delà de la crête des Carpates, là où la route qui traverse le col de Törcsvár/Bran atteint la vallée de la rivière Dâmbovița, sur le promontoire rocheux qui domine l’actuel village de Podu Dâmboviței (948 m).

Le château de Királykő est mentionné dans les sources écrites du début du xve siècle sous différents noms (en hongrois : Keralkew ; en allemand : Königstein ; en latin : Lapis Regis). Un château frontière, sous la juridiction de l’envoyé du souverain en Transylvanie, le voïvode, et du comte de Szekler, est souvent mentionné en lien avec le château de Törcs/Bran sur le côté transylvanien du col. Pendant des siècles, la route nord-sud traversant la Transylvanie vers la Valachie était appelée Route du Roi, un nom qui apparaît à maintes reprises dans des sources des xvie et xviie siècles. Le toponyme roumain Oratea ou Oratia date de la fin du Moyen Âge et est issu du nom commun hongrois « vár » (= château) accompagné du suffixe -d (« várad ») 19

Le château fut construit à un point stratégique situé sur la route qui traverse la rivière Dâmbovița et grimpe abruptement vers le col de Törcsvár, offrant un contrôle idéal du passage. Construit avec une excellente vue sur le sud, il était en mesure d’assurer une défense militaire efficace contre des troupes attaquant la Transylvanie depuis la vallée, mais à l’inverse les attaques provenant de la colline du nord (Dealul Sasului) ne pouvaient être repoussées depuis le château (sa construction ne peut donc pas être liée aux voïvodes de Valachie).

On connaît deux tracés de chemins médiévaux le long de la forteresse, dont le tracé oriental pourrait être le plus ancien ; après des virages escarpés, il atteignait le plateau sur le côté est du château, où devait se trouver le poste de péage médiéval. Le chemin occidental est plus proche du rocher-socle du château ; des traces de roues (d’un écartement de 1,80 m) creusées profondément dans la roche témoignent de la circulation de chariots lourds ferrés. Cette piste a probablement vu le jour après l’arrivée des Ottomans dans la région au xve siècle (fig. 5)

Le petit château en pierre a un plan rhomboïdal irrégulier, de 35 m de longueur dans l’axe nord-nord-ouest/ sud-sud-est et de 26 m de largeur dans l’axe est-ouest. La hauteur de la courtine en calcaire en ruines atteint 4-5 m au sud et à l’est, tandis que son épaisseur varie entre 2,50 m et 3,60 m. Aucune faille n’est visible dans le dispositif, et il n’y a pas de traces concrètes de créneaux ou de parapet. Du côté est, la courtine était flanquée d’une tour semi-circulaire faisant partie intégrante du mur, et le château était protégé contre les attaques venant du plateau par un fossé sec creusé dans le roc (7 à 8 m de large, 1,5 à 2 m de profondeur aujourd’hui) (fig. 6a, 7). Un pont de bois permettait de franchir le fossé à l’aplomb de l’angle sud-est du château, qui était prolongé sur le côté sud par un chemin rocailleux menant à l’entrée de la forteresse. On accédait au château par une porte cou- verte d’un arc de 2 m de large, située en hauteur dans la courtine et accessible des deux côtés par des escaliers en bois. Cet arc qui fut ensuite muré, est clairement visible sur la face interne du mur. À l’intérieur du château, qui descend vers l’est, on peut identifier deux constructions taillées dans le roc ; l’une d’entre elles, constituée par une fosse carrée au nord-est, servait de citerne pour le château.

Mise à part un sondage archéologique effectuée par des amateurs en 1905, les premières campagnes de fouilles archéologiques au château de Királykő datent de 1968-1969 et 1971. Un compte rendu succinct des résultats est paru dans une monographie ultérieure sur les à ce que l’on peut observer sur place. Au pays de Galles, les châteaux d’Édouard sont des créations formidables, qui dominent encore les alentours comme ils le faisaient avec bien plus de force il y a 700 ans. Les quatre grands châteaux de Conwy (fig. 1), Caernarfon (fig. 2), Harlech

(fig. 3) et Beaumaris (fig. 4) sont à ce point remarquables qu’ils ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, comme seuls quatre autres sites dans le pays. Cette distinction est due au fait que ces sites et leurs villes fortifiées sont considérés comme « les plus beaux exemples d’architecture militaire de la fin du xiiie siècle et du début du xive siècle en Europe, comme en témoignent leur achèvement et leur excellent état de conservation… » 4. Un éloge similaire émane de la plume du professeur Michael Prestwich de Durham dans sa remarquable biographie d’Édouard. Prestwich les décrit comme « la plus remarquable collection de châteaux jamais construite » 5. Il n’y a pas mieux comme éloge !

À l’inverse, presque rien n’a été préservé des réalisations d’Édouard en Écosse. Les ouvrages d’architecture sur les constructions réalisées sous le règne d’Édouard peinent à trouver des châteaux à décrire. Malcolm Hislop a récemment produit un passionnant chapitre dans son livre sur les châteaux édouardiens au pays de Galles 6 . Comme les ouvrages précédents, il accorde une attention considérable aux travaux effectués à Kildrummy, Bothwell et Lochmaben. En ce qui concerne les deux premiers, il est vrai qu’ils présentent des affinités étroites avec les structures du pays de Galles, mais comme le note Hislop, cela ne signifie pas en soi qu’Édouard ait réalisé des constructions dans ces châteaux écossais. Le châtelet d’entrée de type Harlech à Kildrummy peut très bien avoir été conçu par un maître d’œuvre qui participa à la construction du château gallois, ou en tout cas qui connaissait bien ce dernier, mais son principal commanditaire était plus probablement le comte de Mar 7 Bothwell aussi possède au moins les fondations d’un châtelet d’entrée flanqué de deux tours et d’un donjon spectaculaire (fig. 5). On considère aujourd’hui que ce donjon l’extention de la souveraineté anglaise sous édouard ier à l’origine des réalisations d’Édouard au pays de Galles et de ceux qui l’ont empêché de réussir pleinement en Écosse. En poursuivant ces lignes de pensée, je suggérerai fut inspiré des idées d’Aymer de Valence, futur comte de Pembroke, et peut-être modelé sur la grande tour de Pembroke 8. Quant à Lochmaben, les rares vestiges de maçonnerie encore visibles datent plus probablement de la fin du xive siècle 9. Les aménagements qui étaient plus certainement de l’époque édouardienne ne sont plus que de petites digues et des fossés peu profonds, guère plus que des plis dans le paysage, réduits à néant par des siècles d’effondrement ou remplacés par des réalisations postérieures aux années d’occupation anglaise.

4. https://cadw.gov.wales/learn/histories/castles-town-walls-edward-i 5. Prestwich 1997, p. 170.

Cette contribution vise à examiner l’importance des châteaux d’Édouard dans ses campagnes et son expansion au pays de Galles et en Écosse. Le premier fil conducteur consiste à réfléchir à l’utilisation des châteaux et à leurs performances en temps de guerre. Le second fil propose d’examiner une image plus globale des autres éléments que l’impact des grands châteaux construits au pays de Galles, en ce qui concerne l’établissement et le maintien de la souveraineté anglaise, a tendance à être exagéré. À l’inverse, on peut affirmer qu’en Écosse, ses œuvres de moindre importance ont eu plus de signification que ce qui est généralement admis. En effet, pour citer Michael Brown de l’université de St Andrews, « on pourrait dire que la stratégie de fortifications d’Édouard en Écosse était plus pragmatique et efficace que les châteaux gigantesques du Nord du pays de Galles » 10

6. Hislop 2020, p. 189-221.

7. Hislop 2020, p. 198-200 ; Ashbee 2021, p. 216-217.

8. Ludlow 2018, p. 237-280.

9. Hislop 2020, p. 192-194.

Les châteaux d’Édouard en guerre

Examinons dans un premier temps le bilan des châteaux d’Édouard durant les guerres. Si l’on commence par le pays de Galles, on remarque que les constructions à Flint furent initiées en même temps que la campagne

Les Tours Albarranes

DANS LA CASTILLE MÉDIÉVALE : INNOVATION DANS

L’ARCHITECTURE DÉFENSIVE AUX XIIIE ET XIVE SIÈCLES

José Miguel REMOLINA SEIVANE 1

José Miguel Remolina Seivane 1

Les remparts médiévaux de Talavera de la Reina et d’Escalona, deux villes situées non loin de Tolède en Castille-La Manche, possèdent une batterie unique de tours albarranes et représentent un épisode remarquable de l’histoire de la fortification ibérique médiévale, inspiré tant de l’architecture islamique qu’occidentale.

Le chapitre examine ces fortifications urbaines exceptionnelles afin d’en établir les circonstances et les concepts sous-jacents. En premier lieu, je traiterai de l’origine et de la diffusion des tours albarranes. Il s’agit de tours qui se dressent séparément devant la façade du mur, auquel elles sont reliées par une arche. À une exception près, la construction de ces tours a commencé au cours de la période almohade du xiie siècle dans le sud de l’Espagne musulmane et elles ont été largement utilisées après la conquête chrétienne, du xiiie au xve siècle. Elles sont confinées à la péninsule Ibérique 2. Dans un second temps, je m’intéresserai à leur origine éventuelle dans la pratique traditionnelle de renforcement des enceintes par l’agrandissement de tours préexistantes, une pratique très courante au Moyen Âge qui permettait de renforcer assez rapidement les défenses urbaines et qui explique la forme exceptionnelle des tours albarranes de Talavera.

Les remparts urbains médiévaux aux royaumes de Castille et Léon : Ávila fortification et pouvoirs souverains (1180-1340) baroque. Dans le cas du château de Mürlenbach près de Trèves, probablement construit avant 1331 par l’important monastère de Prüm 18, le plan est devenu si irrégulier qu’on ne peut guère parler d’un Kastell déformé ; il s’agit plutôt d’un complexe irrégulier adapté à la montagne, comme c’est souvent le cas en Allemagne. Seuls le châtelet d’entrée à deux tours (« Doppelturmtor », fig. 9) et une tour murale témoignent encore d’influences françaises.

Du xie au xive siècle, pendant la « Reconquista », la frontière entre les royaumes chrétiens du Nord de la péninsule ibérique et les musulmans du Sud s’est déplacée continuellement vers le sud, au fur et à mesure que les principales villes étaient conquises par les rois de Castille, de Léon et de Portugal. Au cours de cette période, de nombreux châteaux et enceintes fortifiées ont été construits à la hâte, contraints par le besoin immédiat de sécuriser les zones nouvellement conquises et conduisant à l’émergence de nouvelles solutions architecturales.

L’une des théories les plus répandues sur l’origine des châteaux à douves d’Allemagne du Nord est que leur forme ronde ou polygonale serait dérivée d’une motte sous-jacente. Cependant, cette hypothèse m’apparaît insoutenable compte tenu de mon échantillon. Les châteaux véritablement ronds sont assez rares, même dans les plaines ; je n’en ai trouvé que deux dont les caractéristiques, avec des tours flanquantes circulaires, indiqueraient une influence française. Parmi ceux-ci, Münchhausen 19 près de Bonn (fig. 10), apparemment construit par les comtes d’Are-Hochstaden, est incontestablement le plus ancien, toujours de forme romane et datant probablement du premier quart du xiiie siècle ; malheureusement, seules des parties du château principal ont été conservées. Et Hülchrath 20 (fig. 10) près de Düssel- dorf est le seul exemple parmi mes sites, à part le château de Linn mentionné précédemment, qui peut probablement être décrit comme une motte castrale remaniée. Il est probable qu’il fut établi en tant que château comtal et qu’il changea ensuite de propriétaire. L’opinion dominante est qu’il était entouré d’un mur circulaire avec des tours semi-circulaires avant 1300. Après avoir appartenu à l’Électorat de Cologne, en 1314, la construction du château se poursuivit mais en briques, ce qui lui donna sa forme actuelle.

L’influence française en Allemagne orientale

Voici qui conclut les exemples de Kastelle aux plans plus ou moins réguliers à la limite occidentale de l’espace germanophone. Si j’ai commencé mon article par ces exemples, c’est parce que l’influence du mouvement français, qui commença à la fin du xiie siècle et atteignit son premier apogée spectaculaire au Louvre à Paris vers 1200 21, est particulièrement évidente ici. Car, il faut le souligner, ce sont les premiers châteaux de cette forme dans la région allemande ; jusqu’alors, les seules formes comparables étaient les forts romains tardifs du ive siècle. Bien sûr, la construction de châteaux médiévaux en Allemagne avait commencé bien plus tôt, mais ces châteaux avaient un aspect très différent jusqu’au début du xiiie siècle 22. Vers la fin du xiie siècle, on observe les premières tentatives d’adoption de formes géométriques claires, généralement rectangulaires 23, mais les tours de flanquement et les embrasures sont presque totalement absentes en Allemagne – jusqu’à la construction du château de Lahr en 1218 (fig. 2), environ quinze ans après que le Louvre à Paris transforma le concept du Kastell avec ses tours rondes en une forme classique, symbole de la royauté. Bien sûr, dans la région allemande – et bien au-delà vers l’est – l’influence française peut également se limiter à certaines parties du château, par exemple des tours rondes individuelles en saillie ou des archères 24, ainsi que des grandes tours circulaires avec des voûtes sur plusieurs ou tous ses étages. Certaines de ces formes ont été remarquées et publiées par des chercheurs allemands il y a déjà fort longtemps, mais leurs observations restent l’exception. Il y a presque 50 ans, l’historien de fortification et pouvoirs souverains (1180-1340) ment peu complexes à exécuter. Elles sont très solides : lorsqu’en 1382 on reconstruit celle incendiée de l’aula du château d’Yverdon, le charpentier met en œuvre une quantité de bois trois fois plus considérable que la charpente actuelle à deux versants, de la fin du xve siècle. On imagine un véritable blindage de chevrons, susceptible de résister aux bombes incendiaires. Par leur faible pente, ces toitures formaient une sorte de plateforme sur laquelle les défenseurs pouvaient évoluer 13 (fig. 7) réalisée

22. Voir en particulier : Burgen der Salierzeit 1991 ; Schloß Tirol 1998 ; Biller-Metz 2018.

23. Biller 2002, 23-43.

24. Biller-Metz 1995.

JeanFred Boekholt reconstituant le château médiéval et ses toitures basses. État au début du XVe siècle. Après l’incendie de l’édifice en 1476, lors des guerres de Bourgogne, les Savoie surélèvent entre 1484 et 1507 les corps de logis d’un étage et installent les charpentes actuelles à deux versants. (FibbiAeppli)

Les toitures protègent également les chemins de ronde ; leur pente est définie par la largeur du corps de logis et par la hauteur du parapet protégeant la coursière. À Yverdon, ces parapets sont très épais, soit de 4 pieds savoyards (1,12 m). Ils sont percés non de simples créneaux, mais de baies-créneaux ou créneaux couverts. Sous un couvrement maçonné, l’embrasure de la baie est équipée de coussièges (fig. 8). Ces créneaux couverts caractérisent la quasi-totalité des chemins de ronde des autres châteaux construits à l’époque de Pierre de Savoie sous le même type de toitures. Maintenant disparues, elles existaient au château de Rolle pour Ebal de Mont, un proche et vassal de Pierre de Savoie. La conception de cet édifice peut être attribuée à un autre magister operum de Pierre de Savoie, Jean Mésot, qui était aussi magister ingeniorum du roi d’Angleterre dans le sud de la France. C’est lui qui en 1261 donne les instructions au maçon François pour la tour circulaire de Saillon en Valais. Entre 1270 et 1310, on construit avec frénésie : de nombreuses forteresses nouvelles surgissent dans un contexte de guerre permanente opposant l’évêque de Lausanne et ses alliés, les Grandson, au clan savoyard, soit les successeurs de Pierre de Savoie, les comtes Philippe puis Amédée V. Du temps de ce dernier, le pays de Vaud était devenu un apanage indépendant, entre les mains de Louis de Savoie, un frère d’Amédée.

Les toitures basses caractérisent ainsi le château de Chenaux à Estavayer, dressé entre 1285 et 1292 par la main-d’œuvre qui vient de terminer celui de Grandson, pour Pierre d’Estavayer, neveu par alliance et proche d’Othon de Grandson 14. On reconstitue également ce dispositif au château de Bulle en 1289-1295 (fig. 9), pour Guillaume de Champvent, évêque de Lausanne et cousin d’Othon. Les Champvent y recourent également dans leur propre forteresse, commencée après 1295, pour Pierre de Champvent, frère de l’évêque de Lausanne, Guillaume de Champvent. En réaction, afin de contrôler la frontière occidentale des territoires épiscopaux autour de Lausanne, Louis de Savoie fonde en 1286 la ville de Morges, dotée d’un château quadrangulaire, lui aussi régi par les mêmes principes constructifs sous des toitures de faible pente.

13. La charpente de 1382 est connue par la comptabilité des Savoie conservée aux AST/SR. Références précises et analyse détaillée de ces toitures, voir Raemy 2004, p. 373-377.

14. Sur le château de Chenaux à Estavayer, voir en dernier lieu Raemy 2020, p. 278-313.

Les circulations verticales des tours maîtresses, si elles sont prises dans les maçonneries, sont un facteur de complexité et réclament de la compétence. Plusieurs options sont retenues : l’escalier rampant intramural, l’escalier rampant posé sur la retraite du parement intérieur des tours et l’escalier en vis. Le rampant intramural s’observe plutôt dans les tours circulaires les plus anciennes dont les murs sont en général plus épais, comme l’avait justement observé Louis Blondel. On les voit à la tour ronde d’Orbe de 1230-1235, à la tour du grand donjon de Romont en 1240-41 et à la tour de Saillon, de 1261-1262, l’œuvre du maçon François dirigé par Jean Mésot. Les vis ne desservent jamais tous les niveaux mais sont en général mises en œuvre pour relier les deux étages les plus hauts ; elles épargnent ainsi de pratiquer une ouverture dans le plancher installé sous la toiture, facteur d’incendie. Ces escaliers se prolongent en guette, comme à la tour à Boyer de Romont ou à Lucens (voir fig. 2). Dans les réalisations les plus récentes, soit les châteaux de la période conflictuelle 1270-1310, on tend réellement à la simplification. À Saxon, en 1279-1281, Gilles et Tassin de Saint-Georges relient les niveaux par des échelles de moulin. Cette tour, judicieusement située pour la surveillance de la vallée du Rhône, devait être encore moins dévolue à la résidence que ses consœurs, même si elle est équipée de la traditionnelle cheminée à l’étage

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