Pascale CASANOVA
préface de
Carole Montillet
On m’avait dit que c’était impossible…
Pascale Casanova et sa guide, Bénédicte Sainas // Jeux Paralympiques de Turin // Slalom Géant // 17 mars 2006 (catégorie : déficients visuels)
LOUBATIÈRES
Pascale CASANOVA
On m’avait dit que c’était impossible… préface de
Carole MONTILLET
Loubatières Libre Parcours
Remerciements à mes parents qui ont toujours été à mes côtés, dans les moments difficiles comme dans les bons moments, à Sophie qui, sans le savoir, a été ma première guide en ski, à Michel B. sans qui je ne serais pas devenue qui je suis, à Francine Leca qui m’a offert une seconde vie, à Laurent sans qui cette vie serait beaucoup moins douce, à tous ceux qui ont eu confiance en moi, et à la vie, qui malgré tout vaut la peine d’être vécue.
Préface Peu de gens se rendent compte de la difficulté de skier une descente de coupe du monde ou des Jeux Olympiques, alors qui peut se rendre compte de la difficulté que cela représente pour une personne qui ne voit quasiment rien ? On pourrait avoir l’impression que le ski que pratique Pascale et celui que je pratique sont deux sports différents, mais pas du tout. Les problématiques sont les mêmes : gérer l’échec comme les bonnes performances, le changement d’entraîneur, la préparation physique, savoir se remotiver pour continuer… Chacune de nous a dû s’accrocher pour être meilleure que les autres. En 2002, j’étais particulièrement fière de courir la descente des Jeux Olympiques de Salt Lake City, parce que cette course nous a donné l’occasion de montrer toute la difficulté de notre sport. Cette annéelà, les conditions ont été favorables pour cette prise de conscience : une belle piste, sur laquelle il fallait vraiment s’engager, de bonnes pentes, de gros sauts qui vous emmenaient loin, le tout très bien filmé. J’étais fière de participer à ce spectacle. Bien sûr, je savais que quinze jours plus tard, les Jeux Paralympiques se courraient sur cette même piste. Moi, avec mes deux yeux, j’avais déjà du mal à imaginer pouvoir gagner cette course, alors imaginer que des skieurs voyant à peine, ou pas du tout, allaient devoir se jeter dans cette pente quinze jours plus tard ! D’ailleurs je me demande encore comment ils peuvent arriver à faire de la compétition en ski alpin en ne voyant pas grand-chose. C’est tout bête, mais lorsque j’ai le ventre noué au départ d’une descente, je me rassure en regardant les 5
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montagnes, les gens autour de moi. Or, pour Pascale ce n’est pas possible. Pourtant, à quinze jours d’intervalle, en haut de la piste, ce jour-là aucune de nous deux n’avait la boule au ventre ; sans le savoir, nous avons ressenti la même chose au départ de cette course : celle-là, elle était pour nous. Si je ne devais dire que deux mots, ce serait : respect et admiration.
Carole Montillet Médaille d’or aux Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City 2002
Je dédie ce livre à tous ceux qui, en croisant ma route, ont osé croire en l’impossible, à ceux qui ont su aller au-delà des apparences et regarder avec leur cœur, à ceux qui sont déjà passés entre les mains expertes de Francine Leca et à tous ceux qui auront cette chance un jour… Mais je le dédie également à tous ceux que le handicap effraie et met mal à l’aise, à tous ceux qui font de la norme leur credo, à tous ceux qui pensent tout connaître du handicap et se permettent de décider, à la place de l’autre, ce dont il sera capable ou non… … Un autre regard est possible
Chapitre I
De l’éther et des larmes Bon, ce n’est pas tout ça, mais il va falloir que je pense à y aller maintenant. Au fait, c’est par où la sortie ? Tiens, un tunnel… on dirait que ça s’agite par là-bas, je vais aller voir. Ne poussez pas, c’est bon, j’y vais ! D’abord la tête… Mais on se gèle ici ! Quelqu’un m’attrape par les épaules et me tire… et l’autre qui pousse derrière… L’air brûle mes poumons, je crie. La sage-femme me prend dans ses bras et dit à ma mère : « C’est une petite fille, elle pèse 3,2 kg. Vous avez déjà choisi son prénom ? – Oui, Pascale. » C’est quoi ce cirque ? On m’essuie et on me pose sur le ventre de la dame chez qui j’ai habité pendant neuf mois… Je reconnais sa voix. C’est ma maman. On nous emmène toutes les deux dans une chambre. Dans le couloir, au passage, un homme nous rejoint, il attendait notre sortie avec impatience. Lui aussi je reconnais sa voix, c’est mon papa. Ils sont tous les deux heureux que je sois là, et me voir en pleine forme semble ajouter encore à leur bonheur. Il faut dire que Christel, ma sœur née trois ans plus tôt, n’a pas eu cette chance : née prématurée et avec une importante malformation cardiaque, ses premiers mois de vie ont été une course contre la montre ; près de six mois ont été nécessaires pour qu’elle prenne les quelques centaines de grammes indispensables pour permettre une chirurgie cardiaque. L’opération a réussi et permis d’envisager l’avenir. Cependant, elle n’en avait pas terminé avec les 9
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hôpitaux, puisque, l’essentiel étant assuré, il a fallu s’occuper des autres pathologies dont elle souffrait : une cataracte aux deux yeux, et des malformations au niveau des orteils de ses deux pieds. Elle a très vite été opérée d’un premier œil, mais malheureusement, la chirurgie a échoué, son œil droit était perdu. Dans ces conditions et après deux années d’angoisse permanente, passant beaucoup de leur temps à l’hôpital avec ma sœur, mes parents hésitent à avoir un second enfant. La médecine permet depuis peu de réaliser des tests génétiques. Une simple prise de sang permet d’analyser certains gènes et ainsi de se faire une idée du risque qu’a un éventuel futur bébé de souffrir de telle ou telle malformation. Pour limiter les risques de mauvaises surprises, ils réalisent ces tests. Le résultat est formel : aucun risque. Ils décident donc d’avoir un second enfant. Quelque temps avant ma naissance, mon père propose un prénom : Pascale. C’est le prénom d’une jeune escrimeuse qu’il côtoie au club de l’OGC Nice dans lequel il s’entraîne. Particulièrement impressionné par le talent et le punch de cette jeune fille, il a pensé que ce serait une bonne idée de prénom pour moi, sans même me connaître… un prénom pour conjurer ou provoquer le sort ? Il ne se doutait pas alors que Pascale Trinquet, quelques années plus tard, remporterait une médaille olympique. 26 mai 1973, me voilà. A priori, tout va bien. Je suis en pleine forme, je suis vive, curieuse de tout… mais, les apparences sont trompeuses. Quelques jours plus tard, les médecins annoncent à mes parents que j’ai un début de cataracte aux deux yeux. Dans les mois qui suivent, on apprend également que je souffre d’une malformation cardiaque et d’une malformation au niveau des orteils du pied droit. Bingo ! Bon, eh bien, le moins qu’on puisse dire c’est que la génétique, à l’époque, n’a pas encore livré tous ses secrets. Ceci dit, moi, ça m’arrange, car autrement je ne serais pas née et j’aurais raté plein de choses. Il paraît que malgré ce carton plein, je suis un bébé tonique et curieux de ce qui l’entoure. Normal, personne ne m’a demandé mon avis, alors, quitte à être là, je suis bien décidée à en profiter au maximum.
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Je grandis tout à fait normalement. Les mois passent. Bien vite, j’apprends à marcher, puis à courir comme n’importe quel enfant de mon âge. Toujours aussi curieuse, je mène des expériences pour découvrir le monde qui m’entoure. Je devine vite que je vais pouvoir faire beaucoup de choses avec ma bouche. Au début, je me sers surtout de ma langue pour l’enrouler autour des mailles du filet qui entoure mon parc, c’est marrant et ça fait bien rire mes parents. Ensuite, je découvre qu’elle peut me servir aussi à parler. Quelle belle invention ! On ne m’arrêtera plus ! Je grandis en voyant somme toute très peu car, dès mes premières semaines, une sorte de tache est apparue sur le cristallin de chacun de mes yeux. Cette tache empêche la lumière et les images de pénétrer dans l’œil et donc d’aller jusqu’au cerveau pour y être interprétées. On appelle cette tache une cataracte. J’arrive à percevoir quelques formes, les ombres, la lumière… assez peu de choses en fait. Malgré tout, je n’ai peur de rien. Je cours, je joue, comme n’importe quel enfant de mon âge, je suis même moins timide que certains. Je me cogne rarement. En me voyant jouer, impossible de se douter que je vois si peu ce qui m’entoure. Mes parents eux-mêmes ne savent pas comment je fais. Il devient vite évident que j’invente des moyens pour compenser mon handicap, mais lesquels ? Ils n’arrivent pas à les détecter. Ce qui au début semble être une force se révélera aussi plus tard une source d’incompréhension pour mon entourage, et de frustration pour moi. Bien que je semble évoluer comme une enfant normale, mes parents savent cependant que, tôt ou tard, voir si peu va me poser des problèmes, pour aller à l’école par exemple. Ils décident de prendre l’avis d’un premier ophtalmo. Ce spécialiste des cataractes leur explique que si l’on veut m’opérer et me donner une chance de voir un peu plus que les seules ombres et lumières, il faut se décider assez rapidement car, chez l’être humain, les facultés de l’œil se développent durant les cinq premières années de la vie. Au-delà, les cellules qui n’ont pas été en mesure de fonctionner meurent et ne se régénèrent pas. Même s’il est une magnifique machine, le corps humain ne peut pas tout. Après l’échec de l’opération pratiquée quelques années plus tôt sur ma sœur aînée, mes parents sont très méfiants et savent que, malgré tout ce qu’un médecin peut dire, une opération n’est jamais sans risque. Pour se 11
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décider, ils veulent connaître l’avis de plusieurs spécialistes. Nous allons donc consulter plusieurs ophtalmologistes, dont un en Espagne, à Barcelone. Finalement, la décision est prise : je passerai entre les mains d’un ophtalmo spécialisé dans ce type de pathologie, à Lyon. Selon lui, enlever la cataracte est trop risqué, c’est pourquoi il propose à mes parents de m’opérer pour réaliser une sorte de petite ouverture un peu à côté de la cataracte, comme une seconde fenêtre par laquelle la lumière et les images pourront rentrer. On appelle cela une iridectomie. Le seul hic, c’est que la fenêtre artificielle est désaxée par rapport au centre de l’œil et que cela envoie les images dans une zone de l’œil moins bien équipée pour les décrypter. Pour faire simple : on m’offre la possibilité d’y voir un peu, mais ce ne sera jamais aussi bien que le modèle monté d’office sur les êtres humains normalement constitués. Le contrat semble convenir à mes parents. Moi, on ne me demande pas mon avis… j’ai à peine trois ans, ceci explique peut-être cela. L’opération du premier œil se passe comme prévu. Au début, je ne vois rien : c’est à cause du pansement posé sur l’œil opéré, pour le protéger contre les coups et les infections. Dans les jours qui suivent les infirmières font des petits trous dans le pansement. La lumière peut ainsi rentrer progressivement dans mon œil tout en lui laissant le temps de s’habituer à cette nouveauté. Un matin, enfin, on m’enlève le pansement. Dans l’après-midi, ma mère m’emmène dans le jardin de l’hôpital. Je découvre alors le vert de l’herbe et le violet de quelques fleurs… Que c’est beau ! C‘est la première fois que je vois les couleurs et je trouve celles-là absolument magnifiques. Quelques semaines plus tard, je retourne à l’hôpital pour y être opérée du second œil. Là encore, tout se passe bien. Le chirurgien nous explique alors qu’il ne pourra pas faire plus, donc, inutile d’espérer. Ceci dit, même si je ne vois pas grand-chose, c’est déjà énorme par rapport à ce que je voyais avant l’opération. À présent je vois les couleurs, j’arrive à reconnaître des lieux, des gens… Bon, les yeux, c’est fait. Affaire suivante. Quelques mois plus tard, je fais mes débuts au cinéma. Je vous arrête tout de suite, inutile de vous creuser les méninges, vous n’avez vu mon nom dans aucun générique, même pas en tant que figurante. En fait, la production est restée très confidentielle : elle n’a jamais quitté le cabinet de mon 12
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cardiologue ! Bon, d’accord, j’exagère un peu ; cette superproduction n’est en fait qu’un cathétérisme. Pour les chanceux qui ne savent pas de quoi il s’agit, cela permet, en introduisant une petite caméra dans le corps humain, d’aller filmer un organe de l’intérieur. Pour l’occasion, le premier rôle est tenu par mon petit cœur. Je me prépare donc à nouveau pour une intervention. En attendant mon tour, dans ma chambre d’hôpital, ma maman me lit l’histoire de Cendrillon. J’aime bien ce livre parce qu’il y a des dessins assez grands pour que j’arrive à les voir et que, pour le bal, Cendrillon porte une jolie robe colorée. Ah, on vient me chercher. La tenue des infirmières est moins jolie que celle de Cendrillon, le blanc n’est vraiment pas ma couleur préférée. À peine arrivée en salle d’opération, on me pose un masque sur le visage pour me faire respirer de l’éther. J’ai horreur de cette odeur, ça pue ! Je m’endors. Le tournage se passe bien. Lorsque je me réveille je suis toute seule dans ma chambre d’hôpital et il fait tout noir. Malheur, je suis toute nue ! Ils ont oublié mon pyjama au bloc opératoire… la honte ! Je suis absolument furieuse : c’est comme ça qu’on traite les acteurs dans cet hôpital ? Je ne suis pourtant pas difficile, je ne demande pas à avoir la robe de Cendrillon, juste mon pyjama. Je ne comprends pas bien pourquoi on a tourné ce film, mais bon, les adultes doivent avoir de bonnes raisons. Je suis très souvent malade. Les médecins expliquent à mes parents qu’il faut m’enlever les amygdales et les végétations. Ils expliquent que cela n’aura aucune conséquence négative parce que, ces trucs-là, ça ne sert à rien d’autre qu’à attirer des microbes. Je veux bien le croire, mais si vraiment ça sert à rien, alors pourquoi est-ce qu’on les a ? Juste pour que j’aie droit à une opération de plus ? Pour compléter l’arsenal antimicrobes et limiter les effets des otites que j’ai plusieurs fois par hiver, on me pose des drains dans les oreilles. Et hop, un petit tour supplémentaire en salle d’opération. Les années passent et, pour ne pas perdre les bonnes habitudes, on me fait un ou deux autres cathétérismes. C’est bien connu, même avec les bons acteurs il faut plusieurs prises pour réaliser un bon film.
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Mes parents m’expliquent pourquoi on me fait tout ça, mais il n’empêche que j’en ai marre et deviens vite allergique aux hôpitaux. Une peur panique s’empare de moi dès que je sens l’odeur de l’éther qui est monnaie courante à l’époque pour les anesthésies ; j’ai les larmes qui montent aux yeux dès que je mets un pied dans un hôpital. Bref, tout baigne. Vers mes six ans, vient le moment de s’occuper de mes orteils tordus. Là encore, j’ai droit à un tour gratuit par la case « hôpital ». Un chirurgien orthopédiste va essayer d’aligner mes orteils qui se chevauchent et les remettre sur le même plan. Là, vraiment, je déguste : une douleur absolument exquise (dans le sens médical du terme bien sûr !). Dans les jours qui suivent l’opération j’ai un mal de chien, de jour comme de nuit, comme si cela devait durer toute ma vie. Mes parents essayent de me changer les idées comme ils peuvent : ils me lisent des histoires, allument la télévision lorsqu’il y a des dessins animés… Rien à faire. Ma grand-mère, qui est venue me voir à l’hôpital, a bien essayé de demander à Maya, la petite abeille, de venir me consoler et de faire en sorte que j’aie moins mal… amis cartésiens je vous rassure : ça n’a pas marché ! Mais bon, c’est gentil quand même d’avoir essayé. Malgré les apparences, je ne passe pas ma vie à l’hôpital : je goûte aussi très tôt aux joies de l’éducation nationale.
Chapitre 2
La chocolatine du matin J’ai tout juste deux ans, lorsque ma mère reprend son travail ; je n’ai donc pas attendu les trois ans réglementaires pour commencer à user les bancs de l’école. Une question se pose alors : dois-je aller dans une école pour enfants déficients visuels comme ma sœur ou bien tout simplement à l’école maternelle de mon quartier ? Ma sœur est scolarisée au Centre de Lestrade, près de Toulouse. Ce centre est un établissement scolaire pour enfants déficients visuels. Il y a très peu d’élèves dans chaque classe, la maîtresse a donc le temps de s’occuper de chacun, ce qui permet un suivi personnalisé. En marge de ces classes, une petite équipe a récemment été créée avec un objectif ambitieux : permettre l’intégration d’enfants handicapés dans des écoles ordinaires, au sein de classes ordinaires. Ce projet est différent d’un système qui existe déjà de manière ponctuelle : les Classes pour l’Inclusion Scolaire (CLIS) qui permettent à des enfants de suivre leur scolarité dans une école primaire ordinaire, mais au sein de classes spéciales où les cours sont adaptés afin que chaque enfant puisse suivre. Ne sachant quelle décision prendre, mes parents demandent son avis au responsable de cette nouvelle équipe, un certain Michel B. Je suis vive et je me débrouille bien ; Michel B. et son équipe sont d’avis de tenter une inscription dans une classe ordinaire, dans l’école de mon quartier. Nous verrons bien comment les choses se passent. Avec le soutien de cette équipe, mes parents arrivent à persuader la directrice de l’école maternelle du quartier de tenter l’expérience. Je fais donc mon entrée à l’école maternelle Maurice-Bécane, en petite section de maternelle, en septembre 1975. Je n’aime pas quitter ma maman le matin et je le lui fais savoir en pleurant à chaudes larmes. Comme les mamans ont toujours de bonnes idées, elle trouve une solution. Le matin, en m’emmenant à l’école, on fait une halte à la boulangerie du quartier. Dès qu’on pousse la porte, 15
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une bonne odeur de pain chaud et de viennoiseries vient chatouiller mes narines et me réconcilier avec cette nouvelle journée qui commence. La boulangère choisit pour moi une belle chocolatine bien dorée, le dessus est croustillant juste comme il faut, avec juste assez de sucre pour avoir les doigts qui « pèguent » et qu’on doive se les lécher pour ne pas en mettre partout. Au milieu, il y a deux barres de chocolat chaud légèrement fondantes. Je sors de la boulangerie avec ma chocolatine dans une main et la main de ma maman dans l’autre. Quelques mètres plus loin on arrive à l’école. Ma maman m’emmène jusqu’à un banc dans la cour de récréation et me laisse commencer ma journée, avec ce qu’il reste de ma chocolatine, légèrement salée par les quelques larmes qui continuent quand même à couler sur mes joues. Les chocolatines du matin et le Centre de Lestrade aidant, l’année se passe bien. Je remets donc ça l’année suivante, car je n’ai pas encore l’âge minimum requis pour passer en moyenne section de maternelle. Je refais une année de petite section, avec la même maîtresse, ce qui, au demeurant, me convient tout à fait car elle est très gentille et me soutient autant qu’elle le peut. C’est une situation complètement nouvelle pour elle. Un enseignant du service d’intégration du Centre de Lestrade vient me voir à l’école très régulièrement pour observer et aider ma maîtresse en lui donnant de précieux conseils. L’année suivante je passe en moyenne section. Dans l’ensemble, tout se passe bien. Malgré tout, il y a des moments difficiles. Je n’aime pas quand les autres enfants se moquent de moi, ce qui est malheureusement très fréquent. Bien vite je commence à avoir honte de ma différence. Je n’aime pas non plus quand on nous réunit tous dans la grande salle de l’école pour regarder le film des aventures du canard Saturnin. Je crois vaguement deviner du jaune sur l’écran, ça doit être le canard… Je m’ennuie, pendant que tous les autres rient des bêtises du canard. Qu’elles sont longues ces séances de cinéma… L’année suivante, en grande section de maternelle, les choses se gâtent. J’ai une nouvelle maîtresse, ma troisième depuis le début. Contrairement aux deux autres, elle estime que je n’ai rien à faire là et me met au fond de la classe avec du papier, des feutres et me laisse faire des dessins pendant toute l’année. Si elle veut faire de moi le Michel16
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Ange des temps modernes, c’est raté. J’ai peut-être de l’avenir dans l’art abstrait, mais sûrement pas dans le dessin ! Au lieu de développer ma créativité artistique, son attitude fait naître en moi une haine viscérale de l’injustice. Ce sentiment farouche ne diminuera pas au fil des années, au contraire ! À la fin de mon année de pénitence, se pose le problème du passage en école primaire : j’ai à nouveau deux possibilités. Soit je continue dans le circuit normal et passe en Cours préparatoire dans la même école que celle où j’ai fait mes classes de maternelle, soit je pars au Centre de Lestrade. Mes parents aimeraient bien que je continue en circuit ordinaire, mais la décision n’est pas facile à prendre parce qu’ils se rendent bien compte que le parcours s’annonce semé d’embûches. Pour qu’ils puissent décider en connaissance de cause, à la fin de ma dernière année de maternelle le Centre de Lestrade m’invite à passer une journée dans leur classe de CP. Le bilan est vite fait : je n’ai rien à faire là ; je suis, semble-t-il, tout à fait capable de poursuivre ma scolarité en milieu ordinaire et m’ennuierais peut-être si je restais au Centre de Lestrade. Me voilà donc partie pour une vingtaine d’années d’études ! À la rentrée suivante, j’entre donc en CP à l’école Maurice-Bécane. Ma maîtresse est vraiment géniale. Elle fait tout pour que j’arrive à suivre en classe comme les autres. En plus, elle est très gentille et nous fait bien rire. J’aime bien aller en classe, d’abord parce que j’aime ma maîtresse, mais aussi parce que j’y retrouve Charles, un garçon qui habite près de chez moi. Comme moi il est sérieux en classe et comme moi il a beaucoup d’imagination. Un jour, on a même mis au point une invention qui, à n’en pas douter, va révolutionner la face du monde : le lit qui vous emmène à l’école tout seul. On a tout prévu, même une poignée pour accrocher le cartable ! Il suffit de régler le réveil pour l’heure d’arrivée en classe et le tour est joué. Le lit part tout seul à l’école et on se réveille juste à temps pour le début de la classe. Ne croyez pas que je n’aime pas aller à l’école, au contraire. Je suis curieuse de tout et en classe, j’ai de quoi occuper mon esprit : apprendre à lire, bien sûr, mais aussi à compter et beaucoup d’autres choses passionnantes. Cette année encore, le Centre de Lestrade est là pour donner quelques conseils à ma maîtresse et soutenir mes parents qui ne ménagent pas 17
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leurs efforts. Comme je n’arrive pas à lire les documents que donne la maîtresse, mes parents les recopient à la main en gros caractères : livres d’histoires, exercices… À l’époque, les photocopieurs agrandisseurs sont encore loin d’être sur le marché. Pour me permettre d’écrire, le Centre de Lestrade me fournit des cahiers avec des lignes spéciales que je peux voir : une zone jaune d’un centimètre de haut qui me sert de guide pour écrire. Je n’aime pas ces cahiers parce qu’ils sont différents de ceux de mes camarades. Je déteste tout ce qui affiche mon handicap : ces cahiers à grosses lignes et les livres agrandis qui prennent tellement de place qu’il faut deux bureaux d’écolier pour moi toute seule. Je suis bien décidée à tout faire pour être comme tout le monde et minimiser au maximum ma différence, différence que je trouve tellement injuste et que je ne mérite pas. Heureusement que j’aime ce que j’apprends, parce qu’apprendre à lire, écrire, compter, sans voir ce que la maîtresse écrit au tableau, c’est vraiment fatigant : il faut être concentré en permanence pour entendre tout ce qu’elle dit et tout faire comme il faut. Impossible de bâiller aux corneilles. Malgré ça, je m’accroche. Pourquoi ? Parce que j’aime apprendre, mais aussi parce que je veux par-dessus tout faire comme tout le monde. Comme je veux vraiment montrer aux autres que je vaux aussi bien qu’eux, je mets un point d’honneur à avoir les meilleures notes possibles. Le « Bien » ne me suffit pas, je ne veux avoir que des « Très Bien ». Autant vous dire que pendant mes années à l’école primaire puis dans le secondaire, je ne me fais pas que des amis. Imaginez : une fille qui est handicapée et qui réussit mieux que vous qui êtes valides, qui en plus ramène sa fraise en voulant répondre à toutes les questions du prof pour prouver que, malgré son handicap, elle a le droit d’exister, d’être reconnue ! Je passe en CE1, puis en CE2. Durant l’année de CE2, un petit miracle se produit. Un mercredi après-midi, j’ai invité mon copain Charles à la maison. On commence l’après-midi en regardant « Goldorak » à la télé. Dire que je suis « scotchée » à la télé n’est pas loin de la vérité, au sens figuré, bien sûr, car je raffole de ce dessin animé, mais également au sens propre du terme car, pour arriver à voir quelque chose, j’approche mes yeux à quelques 18
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centimètres de l’écran. Je m’assieds sur le côté pour que Charles puisse encore voir quelque chose et, ensemble, on profite du dessin animé. Mon quota de télé écoulé (mes parents m’autorisent à regarder un dessin animé par jour), nous partons tous les deux dans ma chambre faire nos devoirs ensemble, moi sur mon gros cahier, lui sur un cahier normal. La couverture du mien est d’un marron clair super-moche, sur la sienne il y a trois montgolfières qui parcourent un ciel sans nuage. C’est vraiment injuste. Une idée me vient : « Charles, je peux t’emprunter ton cahier pour regarder ? – Oui, tiens… dit-il en me tendant son beau cahier. » Je prends le cahier, je le pose sur le bureau et me penche dessus. Je colle mon œil contre le papier. À ma grande stupeur, là, sous mes yeux ébahis, apparaissent des petites lignes bleues, toutes fines et tellement belles ! Je me lève comme un diable sort de sa boîte et cours jusqu’à la cuisine pour prévenir ma mère. « Maman, maman !!! – Quoi, qu’est-ce qu’il t’arrive ? – Je vois les lignes ! Je les vois, je te jure ! Je hurle en lui tendant triomphalement le cahier. » Elle prend le cahier et regarde : « Tu es sûre ? Tu arrives à voir ça ? – Oui, des grosses et des petites au milieu ! Elles servent à quoi les petites ? – Mais c’est super ! s’émerveille-t-elle. » À partir de ce jour miraculeux, enterrés les cahiers à lignes jaunes et bonjour les jolis cahiers aux couvertures colorées ! Pour être honnête, il n’y a pas que les couvertures des cahiers qui soient colorées : mon nez l’est aussi. Pour voir ce que j’écris je dois utiliser des feutres à pointe suffisamment large. Je suis gauchère, mais je vois mieux avec mon œil droit. Donc, lorsque j’écris, je colle mon œil droit contre la feuille, laissant juste la place pour que la pointe du feutre que je tiens avec ma main gauche puisse passer. J’ai alors la tête tournée vers la gauche et mon nez, qui suit le mouvement au raz de la feuille, récolte une partie de l’encre que je viens d’y déposer avant qu’elle n’ait le temps de sécher. 19
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Tous les soirs je sors de l’école avec le nez noir, bleu ouvert, selon les feutres utilisés ! À partir de ce jour-là, j’enchaîne petites et grandes victoires. Quelques mois plus tard, j’arrive à lire ma première bande dessinée : Tintin au Congo. Là encore, c’est en l’empruntant à un copain à l’école durant la récréation, que je me rends compte que j’arrive, en forçant un peu, à déchiffrer le contenu des bulles. Je lis surtout les textes car j’ai du mal à deviner les dessins. Je ne fais qu’une bouchée de l’ensemble des aventures du petit journaliste belge. Durant les récréations, je joue aussi aux billes avec les garçons. Ils acceptent que je m’avance un peu pour viser car je ne vois pas bien et en fin de compte, je m’en tire plutôt pas mal. Le soir, en rentrant à la maison, j’exhibe fièrement mon butin du jour : boulards, billes en terre, œil-de-chat, araignées… Avec les filles, je joue à l’élastique. Le but du jeu est d’arriver à sauter en passant de l’autre côté de l’élastique que tendent deux camarades. Au début l’élastique passe à hauteur de leurs chevilles, puis des genoux, puis de la taille, puis sous les bras, puis à hauteur de tête ; je suis sportive et plutôt douée à ce petit jeu. Dès qu’un nouveau jeu arrive dans la cour de récréation, j’y participe : la marelle, les osselets, les collections d’images en tous genres… À me regarder jouer personne ne peut se rendre compte que je vois à peine. Cet anonymat me convient parfaitement, comme ça au moins je ne suis pas un objet de curiosité ni un défouloir pour des gamins en recherche d’un plus faible sur qui passer leur stock de moqueries. Je suis plutôt fière d’arriver à me fondre dans la masse durant les temps de récréation. Ça compense un peu ce qui se passe en classe, car là, impossible de faire illusion, si je veux m’en sortir, il faut bien que la maîtresse fasse attention à moi, ne serait-ce qu’en me disant ce qu’elle écrit ou dessine au tableau. Comme pour tempérer mon euphorie après ces petites et grandes victoires, Michel B., du Centre de Lestrade, décide de prendre des précautions et veut que j’apprenne le Braille. Personne ne peut dire comment la situation va évoluer, rien ne dit que ma vue ne va pas baisser un jour ou l’autre. Ma sœur aînée se sert déjà du Braille pour lire et 20
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écrire, je sais donc qu’il s’agit d’une écriture que l’on lit avec les doigts et non avec les yeux. Chaque lettre est représentée par des points en relief. Il est possible de presque tout faire en Braille : lire, écrire, compter, écrire ou lire une partition de musique, etc. Un certain Louis Braille a inventé ce système en 1829. Il a codifié l’alphabet : chaque lettre est représentée par une combinaison de points en relief (entre un et six). Pour lire le Braille il faut commencer par apprendre le code, puis s’exercer à reconnaître chaque lettre avec les doigts. Pourquoi veulent-ils que j’apprenne le Braille ? J’arrive à lire et écrire comme tout le monde et j’arrive même à me servir de cahiers normaux… N’ont-ils donc vraiment rien compris ? Je n’ai pas le choix. À partir du CE2, je prends donc des cours de Braille. Un professeur du Centre de Lestrade vient dans mon école tous les jours et me donne une heure de cours après mon repas à la cantine, pendant que les autres s’amusent dans la cour de récréation. Je me passionne peu pour ces cours, mais il faut me comprendre : le Braille, ce n’est pas facile à apprendre et en plus, c’est pour les aveugles, or moi je ne suis pas aveugle et je veux faire comme les autres ; pourquoi, alors, m’embêter à apprendre le Braille alors que je laisse déjà beaucoup d’énergie juste pour suivre les cours en classe ? Les deux premières années, j’ai deux profs différents. J’use chacun des deux en quelques mois. Voyant cela, Michel B. dégaine son arme fatale : Laurence. Elle doit avoir tout juste vingt ans, blonde, de taille moyenne, elle est mince et a plutôt le look sportif, pour autant que je puisse en juger. Aveugle de naissance, elle ne semble pourtant avoir peur de rien : elle fait du tandem, de l’escalade… Cerise sur le gâteau, elle est dotée d’un bon sens de l’humour et sait faire preuve d’autodérision. Je m’entends tout de suite très bien avec elle. Elle s’attelle à sa mission avec patience et application, quatre fois par semaine. C’est lettre à lettre, puis mot à mot, que je déchiffre les textes qu’elle me propose. Heureusement que Le Petit Nicolas est là pour rendre la chose moins pénible. De temps en temps j’essaye de tricher, en lisant les points braille avec les yeux (c’est tellement plus facile !) mais je suis démasquée à chaque fois : « Pascale, pose ton livre sur la table, le Braille ça se lit avec les doigts, me demande-t-elle en essayant d’avoir l’air sévère. » 21
On m’avait dit que c’était impossible…
Caramba, encore raté ! « Grrr, mais comment tu sais que j’ai lu avec les yeux ? je demande écœurée. – Je l’entends. » Bien sûr, comment n’y avais-je pas pensé ? Quand je lis avec les yeux, je tiens le livre contre mon visage, donc proche de ma bouche ; ma voix est alors étouffée et Laurence, ça, elle l’entend. Pour me faire passer l’envie de tricher, elle arrive un jour avec un livre dont chaque page est imprimée en recto verso. Jusque-là, les livres que je lisais n’étaient imprimés que sur le recto de chaque page, ce qui, en regardant de très près, me permettait de deviner les bosses du texte en Braille. Cette fois, ça ne rigole plus, les deux côtés sont imprimés. Je vois donc des points et des trous (qui correspondent aux points du verso) et il est bien difficile de faire la part des choses visuellement. Ben voilà, elle m’a eue. Non contente de cette victoire, quelques cours plus tard, elle en remet une louche en m’annonçant que je vais apprendre le Braille abrégé. Parce qu’elle s’imagine sans doute que je trouve le Braille intégral trop facile ? Et c’est reparti pour les devinettes. C’est quoi qui est écrit là ? Hein, hein ? Le Braille abrégé a un mérite certain : il est inutile de prévoir un semi-remorque pour transporter la collection du Petit Nicolas : une fourgonnette suffit ! Revers de la médaille, il a aussi un inconvénient certain : il faut apprendre le code. Il y a des signes particuliers pour des sons, des groupes de lettres, ou des mots courts. Par exemple, il y a un signe spécial pour le « br », un autre pour le « ai », encore un autre pour les « tt » ou « ll »… « Elle », ça s’écrit comme la lettre « z », etc. Heureusement, elle m’a donné un livre qui regroupe tous les différents codes. Il ne reste plus qu’à l’apprendre par cœur. C’est peu de dire que je n’ai aucun mal à cacher ma joie. Allergique comme je le suis au Braille, je trouve qu’ils poussent le bouchon un peu loin, mais comme je suis bonne élève, je fais ce qu’on me demande même si je n’adhère pas à l’idée. Heureusement, avec Laurence, je passe en fin de compte d’assez bons moments, parfois peu académiques, comme le jour où nous avons dû faire le mur. Ce jourlà nous sommes dans le bureau de la directrice adjointe parce qu’aucune autre salle n’est libre. Il est un peu plus de 13 h 30. On frappe à la porte : 22
la chocolatine du matin
« Entrez, dit Laurence. » La porte s’ouvre et la directrice de l’école entre. « Tout va bien ? demande-t-elle. Excusez le bazar, avec la kermesse qui approche on a dû trouver où stocker tout cela. » Effectivement une bonne partie du bureau est encombrée de cartons pleins de boissons, de jouets, de ballons… Laurence la rassure. « Aucun souci, soyez tranquille. Tout va bien pour nous. – Bien, alors je vous laisse travailler. » Elle fait demi-tour, se dirige vers la porte et sort en refermant soigneusement derrière elle. Clic, clic. Stupeur ! Elle vient de donner deux tours de clé dans la serrure. Aucune de nous deux ne réagit, trop surprises et n’osant pas croire à ce que nous venons d’entendre. Il nous faut quelques secondes pour réaliser. « Elle nous a enfermées ? Je demande à Laurence, un brin d’inquiétude dans la voix. – On dirait bien, mais rassure-toi, elle va s’en rendre compte et revenir nous rouvrir la porte. Bon, où en étions-nous ? Tu continues ta lecture ? » Je me remets au travail, guettant le moindre bruit dans le couloir. Le cours se termine, nous sommes toujours enfermées. Il est deux heures, moi je dois retourner en cours et Laurence a son taxi qui doit l’attendre. Nous aurions là de quoi boire et manger pendant quelques semaines, mais nous ne comptons pas moisir ici. Je range mes affaires et me dirige vers la fenêtre. Je l’ouvre, me penche, me relève et me retourne vers Laurence : « Bon, c’est bien ce que je pensais, je ne vois pas à quelle hauteur on est par rapport au sol mais comme la salle de cours est au rez-dechaussée on doit pouvoir sortir par là sans se faire trop mal. – Je crois que c’est la seule solution qu’il nous reste effectivement. C’est bon pour moi, me répond Laurence très calmement. » Elle met son sac à dos sur ses épaules et s’avance vers la fenêtre. Elle se hisse sur le rebord, l’enjambe, se laisse glisser de l’autre côté et me confirme que ce n’est pas haut. J’enjambe à mon tour le rebord de la fenêtre et me laisse glisser le long du mur. Elle me rattrape et accompagne la fin de ma descente. Une fois sur la terre ferme, je la raccompagne 23
On m’avait dit que c’était impossible…
jusqu’à son taxi qui attend à l’autre entrée, puis je repars en classe. J’aurais bien aimé voir la tête du chauffeur de taxi lorsqu’il a vu Laurence, aveugle, arriver par la rue et lui expliquer qu’elle venait de faire le mur ! De mon côté, l’aventure ne m’a pas plus effrayée que cela, car, d’après ce qu’on dit de moi, je suis plutôt du genre dégourdi, voire même cassecou.
Chapitre 3
Trois étoiles et quatre sabots Mes parents sont tous les deux sportifs : natation, escrime, randonnée en montagne, balades à vélo, ski, planche à voile, course à pied, bref, à la maison, ça bouge. Ça tombe bien car, moi non plus, je ne tiens pas en place. Pour me donner du grain à moudre, ils m’apprennent à faire du vélo puis du patin à roulettes. À quatre ans je suis aussi à l’aise sur mes deux pieds que sur deux ou quatre roues. Pour aller à la montagne l’hiver, ils achètent une caravane et nous voilà tous partis dans les Pyrénées. Je découvre la neige, il y en a beaucoup, c’est blanc, ça glisse et c’est froid. Au début, on s’amuse à faire des glissades dans une luge en plastique rouge. Ma sœur s’assied à l’arrière et moi devant, calée entre ses jambes. Je me régale. Mes parents jouent le rôle de remonte-pente, que demander de plus ? Bien vite, je chausse mes premiers skis : ils sont bleus et s’appellent Rossignol, c’est marqué dessus. Dormir dans une caravane c’est bien, mais les routes pour monter en station ne sont pas toujours dégagées et avec une caravane tractée derrière la voiture c’est parfois rock’n’roll. Je ne suis pas rassurée, pas plus d’ailleurs que lorsqu’il y a des tempêtes de neige avec de violentes rafales de vent et que je sens la caravane bouger très fort. J’ai cinq ans lorsque mes parents achètent un appartement à Bonascre, une station de ski des Pyrénées ariégeoises. L’année suivante, j’y retrouve ma meilleure amie, Sophie. Nos parents sont très amis et nous étions déjà partis en vacances en caravane ensemble. Lorsque mes parents ont acheté un appartement, les siens sont venus nous voir et l’idée leur a bien plu ; ils ont fait de même l’année suivante. Sophie et moi passons toutes nos vacances d’hiver et une partie des vacances d’été ensemble à Bonascre. Nos parents se connaissent depuis que nous sommes toutes petites et on peut dire que nous sommes quasiment élevées ensemble. J’aime bien aller chez eux parce qu’on 25
Pascale Casanova ne voit presque rien et souffre d’une malformation cardiaque mais, qu’importe, elle compte bien vivre pleinement. Sans jamais rien voir au tableau, malgré les nombreuses opérations auxquelles elle doit faire face, dont une lourde opération de chirurgie cardiaque à 10 ans, elle devient l’une des premières malvoyantes en France à suivre la totalité de sa scolarité au sein de classes ordinaires. Après des études universitaires de droit et l’obtention d’un Master en gestion d’entreprise, elle intègre une grande entreprise où elle est aujourd’hui chargée de communication. Passionnée de ski, elle mène, parallèlement à ses études puis à son travail, une carrière de sportive de haut niveau en ski alpin handisport. Son palmarès est impressionnant : près de quatre-vingt médailles remportées sur la scène internationale, parmi lesquelles trois médailles d’or aux Jeux Paralympiques de Salt Lake City en 2002 et Turin en 2006, ce qui lui vaudra d’être décorée de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite. Désireuse d’apporter son aide aux autres, elle devient secouriste à la Croix-Rouge. Au fil des années pourtant, elle doit se résoudre à mener son combat le plus difficile : accepter son handicap. Entre humour et émotion, dans un style alerte et direct, ce livre est le récit de ses combats, de ses doutes et de ses réussites.
http://pascale-casanova.fr
Photographie de couverture reproduite avec l’aimable autorisation de Gilles Place. © Gilles Place. www.gilles-place.com
ISBN 978-2-86266-720-1
23 € 9 782862 667201
www.loubatieres.fr
« J’ai souhaité écrire ce livre pour partager mon expérience, montrer à chacun qu’il est possible de porter un autre regard sur le handicap, possible de croire en l’impossible... il suffit juste pour cela de laisser à chacun la liberté de décider ce qu’il veut faire de sa vie. » Pascale Casanova