Le Nord au temps des Trente Glorieuses

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VERA DUPUIS

LE

NORD

au temps des Trente Glorieuses

LOUBATIÈRES

Cambrai Douai Dunkerque Le Cateau-Cambrésis Maubeuge Lille Roubaix Valenciennes…


introduction ............................................................................. 3 de la reconstruction à l’embellissement des villes et des villages .......................... 4 du petit commerce aux grandes surfaces ......................... 32 l’industrie dans le nord ........................................................ 52 la vie quotidienne dans le nord.......................................... 76 le sport dans le nord........................................................... 100 La culture, entre Tradition et Création............................. 104


Fin 1945, dans le Nord, un couple quitte son logis inconfortable, mal chauffé, sans salle de bains, descend dans la rue, où circulent de rares voitures et beaucoup de vélos. L’homme s’assure qu’il n’a pas oublié ses cartes de rationnement. On l’aurait sans doute surpris si on lui avait dit qu’il entrait dans un cycle de prospérité qu’on appellerait les Trente Glorieuses. Pour s’immerger dans l’atmosphère de ces trois décennies de croissance, rien de tel qu’un coup d’œil sur les gros titres des journaux du Nord : Fausto Coppi vainqueur du Paris-Roubaix, Le premier train électrifié roule entre Lille et Paris, Les mineurs unis dans la grève, La reine d’Angleterre Elisabeth II en visite à Roubaix, Guy Mollet et Augustin Laurent se partagent la SFIO, La première voiture quitte les ateliers de Renault à Douai. Les nombreuses photographies exhumées et reproduites dans ce livre, prises sur le vif à Valenciennes, Lille, Cambrai, Dunkerque, Douai, Maubeuge et dans les campagnes, ravivent émotions et nostalgies. Se souvient-on de la première sortie entre copains en 4 CV, du premier flirt sur la digue-promenade de Malo-les-Bains, de la visite en famille à la Foire du confort ménager, des enfants partis pour les « jolies colonies de vacances », du LOSC champion de France et des dimanches à guetter l’arrivée des coureurs du Grand Prix de Fourmies ? Mais les Trente Glorieuses ce sont aussi les milliers de logements bâtis dans le grand élan de la reconstruction des villes du Nord totalement ou partiellement détruites pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette architecture des années 1950, lancée par des urbanistes et des architectes appelés à embellir dans l’urgence les quartiers meurtris, a fait oublier pendant un certain temps la richesse historique des quartiers anciens, que quelques amoureux de vieilles pierres soutenus par la loi Malraux ont réussi à sauver dans les années 1960. L’industrialisation du Nord est alors à son zénith avec le textile, la sidérurgie, le charbon. Le monde ouvrier et le patronat ne connaissent pas la crise, c’est le plein emploi. Malgré le dur travail devant les machines, au fond de la mine ou dans les champs, la vie devient jour après jour meilleure. Les gens du Nord sont sociables, aiment la fête, celles de saint Éloi et de sainte Barbe rythment l’année ; à la kermesse du quartier, on mange une tart’ au chuc avant d’aller danser au bal, où se forment les couples au son de l’accordéon. Le premier choc pétrolier de 1974 annonce, sans qu’on s’en aperçoive tout de suite, la fin de cette époque, celle des Trente Glorieuses.

introduction


Après les destructions, la Reconstruction. En 1944, le Gouvernement provisoire de la République française du général de Gaulle crée le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), dont on peut aisément imaginer les mots d’ordre : planifier, reconstruire, moderniser, rénover, embellir. Il y a fort à faire dans le Nord, les villes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont en grande partie détruites, désertées par la population. Dunkerque l’est à plus de 70 % et son port totalement. À Lille et Cambrai, on déplore dans chaque ville 1 700 maisons disparues sous les bombes, sans compter celles endommagées qui sont inhabitables

en priorité. En cas de contestation, l’État menace de couper les subventions. La ville de Cambrai est la seule à se voir dotée de maisons individuelles. Les architectes dépêchés sur place sont des hommes d’expérience, de renom. Ils ont une parfaite connaissance des techniques nouvelles et surtout ont en tête les impératifs fixés par le ministère : reloger au plus vite une population qui vit dans des baraquements provisoires. Sont nommés pour Dunkerque Théodore Leveau et Jean Niermans, à Douai Alexandre Miniac et Henri Chaumette, à Valenciennes Albert Laprade et Jean Vergnaud, à Lille encore

de la Bourse à une causerie, proposée par André Lurçat, sur le thème « Bataille de la Reconstruction, le problème de Maubeuge ». La ville sera désignée « Ville pilote de l’urbanisme » en 1949. Lorsqu’en 1958 Maubeuge inaugure sa nouvelle église, Saint-Pierre-Saint-Paul, André Lurçat dira qu’il a « conçu son église comme un lieu de culte à titre provisoire », car dans son esprit, le christianisme devait disparaître à la fin du siècle et, selon lui, l’église deviendrait alors une salle de conférences. Lille est un cas à part. La ville est focalisée sur le projet d’assainissement du vieux quartier Saint-Sauveur, un projet né

De la reconstruction à l’embellissement

le nord au temps des trente glorieuses

en l’état. Maubeuge est en ruines, Valenciennes et Douai pleurent leur centre-ville historique, fortement endommagé.

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La tâche est gigantesque, il faut reconstruire les ponts, les gares, les routes, les habitations et même les églises : celle de Bourbourg, par exemple, devra attendre soixante ans avant de voir renaître dans une restauration exemplaire son chœur gothique du xiiie siècle ! Les élus, soutenus par la population, imaginaient que des ruines renaîtrait une ville à l’identique, « comme avant », avec la maison individuelle et son jardin sur son même parcellaire. Or, bien souvent ce sont plutôt des immeubles collectifs qui sont sortis de terre. C’est le MRU qui impose les architectes et jusqu’aux immeubles à rebâtir

Leveau et Laprade et, à Maubeuge, le plus célèbre d’entre eux, André Lurçat. Il faut bien l’avouer, les architectes ont pris un véritable plaisir à faire renaître ces villes, à redonner vie au petit commerce, aux cafés de La Paix, au café du Centre, à la Taverne de Maître Kanter sur les places d’Armes de Douai et de Valenciennes, au cinéma Ritz à Lille, au groupe scolaire Henri-Matisse dans la ville du Cateau, doté en 1954 du vitrail « Les abeilles », composition de Henri Matisse provenant d’un projet conçu pour la chapelle du Rosaire de Vence. La concertation avec la population a bien fonctionné ; à Maubeuge par exemple, la population est invitée par voie d’affichage à venir nombreuse le 13 avril 1945, à 20 heures, dans la salle du cinéma

avant-guerre et resté inachevé, seul l’hôtel de ville, flanqué de son célèbre Beffroi, avait été inauguré en 1932. À la fin des années 1950, ce quartier, le plus populaire, le plus insalubre de la ville, qui datait du xiie siècle, est rasé. 


 Il faut de temps en temps un petit stimulus de l’extérieur pour comprendre que le temps est certes au changement, mais qu’il faut aussi s’occuper du patrimoine délaissé par l’urgence. Le 14 juin 1960, La Voix du Nord titre sur une demi-page, avec un clin d’œil à Françoise Sagan : « La Toilette de la France est commencée, Lille vient de dire après Paris et Mulhouse : adieu tristesse ! » Suit un long article, signé du maire de Lille, Augustin Laurent, annonçant que « … la place du Général-de-Gaulle a


été choisie comme cœur de la ville et comme centre de rencontre de tout le Nord pour participer à l’appel national de l’embellissement des quarante maisons qui entourent la place… » Suivra, en 1962, la loi Malraux, qui crée les secteurs sauvegardés et donne naissance deux ans plus tard à l’Association de la Renaissance du Lille Ancien, sous l’égide de Mme Six Thiriez. Leur effort de sauvegarde sera couronné en 1974 lorsque Lille sera proclamée « Ville d’Art » par le ministère de la Culture. Les années des Trente Glorieuses apportent aussi de grands changements d’infrastructures : aéroports, autoroutes, tramways modernisés, nouvelles lignes d’autobus reliant villes et villages de manière plus efficace. Autre grand évé-

nement, la création à huit kilomètres de Lille, à Annappes, au milieu des champs de betteraves, d’un campus universitaire. Étudiants et enseignants se souviennent encore, non sans sourire aujourd’hui, qu’à l’époque, en 1964, ils mettaient une heure en bus pour rejoindre la « fac » et qu’il valait mieux se chausser de bottes pour aller de la bibliothèque aux bâtiments de Sciences… Seule la faculté de Médecine demeure à Lille, une étoile à plusieurs branches, impressionnante par son volume et ses formes, intégrée dans la construction du nouvel hôpital, le CHR.
Une première ligne de métro (13,5 km) est planifiée en 1972 pour relier le nouveau campus au CHR en passant par la gare de Lille. C’est François Mitterrand qui viendra l’inaugurer en 1983.

Derrière l’image un peu jaunie perce l’émotion du moment : il est 15 h 15 ce 8 mai 1945. La guerre est finie, l’Armistice vient d’être signé. L’heure est au recueillement, au rassemblement sur la Grand’ Place, l’agora où la population, depuis les origines de la ville, se retrouve pour manifester ses joies et ses peines lors des grandes heures de Lille. Le drapeau français est hissé sur la façade du Grand Garde, Lille vient de retrouver sa liberté.

de la reconstruction à l’embellissement des villes et villages

des villes et des villages

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LILLE

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1949

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Le beffroi de l’hôtel de ville (1932) de Lille est l’amer qui guide le pas de tout promeneur. Du haut de ses 104 mètres, la vue sur le quartier Saint-Sauveur montre que la démolition de plus de 700 maisons et arrière-cours a commencé. Le quartier le plus populaire de la ville va être entièrement rasé pour laisser place à des rues plus larges, à un Forum de bureaux et à des immeubles de quatre à cinq étages, offrant des logements de tout confort à la population.

Le beffroi de l’hôtel de ville est l’amer qui guide le pas de tout promeneur.


En quelques années, le quartier Saint-Sauveur massé autour de l’hôtel de ville a bien changé. Sur ces photographies prises en 1967, la Résidence du Beffroi (inaugurée en 1965, architecte Jean Willerval), avec sa paroi élégante de céramique noire, longe la rue de Paris. Au-delà de la quadruple ligne des toits de la mairie s’élèvent les quatre tours de l’Habitation à loyer modéré (HLM) du boulevard Hoover et le bâtiment de la Foire internationale de Lille, et, sur la droite, le long du boulevard Louis XIV, on aperçoit la masse imposante de l’école des Arts et Métiers et de l’Institut Pasteur. Étonnantes, devant la mairie, deux maisons, derniers vestiges du vieux quartier, attendent leur démolition.

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DOUAI

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Le centre-ville de Douai est bâti autour de la place d’Armes qui a beaucoup souffert au cours de deux dernières guerres mondiales. Le côté nord, incendié pendant le premier conflit, a été reconstruit dans les années 1920 et le côté sud a retrouvé de nouveaux immeubles modernes dans les années 1950. L’architecte chargé de la reconstruction, Henri Chomette (1921-1995), imposé par le ministère de la Reconstruction, utilise le béton et construit les immeubles « en plateau », loin du charme du vieux Douai et des matériaux traditionnels des maisons (grès au rez-de-chaussée, belle brique rose, et, pour l’encadrement des portes, pierre bleue du Hainaut). Le beffroi, cher au cœur des Douaisiens, émerge par-dessus les toits. Le peintre Corot et Victor Hugo l’ont immortalisé, le premier lors d’un séjour en 1871 chez son ami Alfred Robaut, le second, en faisant étape à Douai, en 1837, lors d’un voyage à travers le Nord de la France.


Fourmies et le Cateau-Cambrésis Au Cateau-Cambrésis, la cité Mortier – du nom du maréchal d’Empire (1768-1835) natif de la cité – sur la route de Bazuel est construite en deux temps, une première partie en 1950 et la seconde en 1960. Il s’agit de logements sociaux financés par la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) de Cambrai.

de la reconstruction à l’embellissement des villes et villages

À deux kilomètres du centre de Fourmies a poussé dans les années 1960, perché au sommet d’une côte raide, un tout nouveau quartier, Les Trieux de Villiers. Les nouvelles constructions, maisons individuelles, immeubles HLM, se sont ajoutées aux habitations déjà bâties dans les années 1930 pour la population ouvrière. Ce quartier a vite été surnommé par les Fourmésiens « Le Nouveau Monde ».

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Jusque dans les années 1960, le petit commerce était roi. Les étalages de l’épicier, du boucher, du marchand de fruits et légumes empiétaient sur le trottoir, la rue était un spectacle. On allait au centre-ville plus volontiers pour profiter de l’animation et pour admirer les vitrines décorées que pour dépenser son « bon argent ». Le long de la rue Bellain à Douai ou sur la place d’Armes à Valenciennes en peu de temps on se remplissait les yeux devant des vitrines d’un autre temps : une armure exposée à la quincaillerie L’Homme de fer, la librairie Lauverjat – où la grosse voix du libraire prévient les enfants « si vous voulez un livre, il faut me le demander » –, chez

années 1960, ouvre le 6 juillet 1961 son premier supermarché dans une friche industrielle, l’ancienne usine Phildar, fondée par son père, avec « l’objectif d’améliorer le pouvoir d’achat des ouvriers du textile ». Alain Mahieu, alors jeune employé chez Auchan témoigne : « grâce à mon talent de graphiste, j’ai vite dessiné en grosses lettres les annonces promotionnelles : whisky, petits pois, légumes. J’avais vraiment l’impression qu’il se passait quelque chose. On entrait dans l’ère de la grande distribution. » En effet, le libre-service vient de naître ; les grandes surfaces s’installent à la lisière

catalogue de vente par correspondance La Redoute. Créée en 1928 à Roubaix, l’entreprise emploie en 1966 seulement deux personnes à la direction artistique ; sept ans plus tard, ce sont 100 salariés qui s’activent à la mise en valeur des produits proposés à la vente dans les 756 pages du catalogue, pour satisfaire cinq millions de clients. L’ère de la communication prend son essor. Pour survivre, ne pas se laisser écraser par le gigantisme des centres commerciaux en périphérie, les centres-ville jouent la carte de l’authenticité. On restaure les quartiers historiques, on ouvre des rues

le nord au temps des trente glorieuses

du petit commerce aux grandes surfaces

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l’horloger Hoel où une longue vue faisait rêver tous les explorateurs en herbe, au Jour de Fête riche de jouets et de disques, chez le chausseur Cendrillon, ou encore Aux Dames de France et au Studio Express qui vendait des appareils photo et des caméras et dont le propriétaire paradait dans sa Delahaye 235 ! À cette époque, il n’y a que dans les films américains que l’on voit les familles sortir des supermarchés – encore inconnus en France – les bras chargés de gros sacs en papier kraft et remplir le coffre de leur voiture stationnée sur un immense parking. Les années passent, les habitudes changent. À Roubaix, dans le quartier des Hauts-Champs, Gérard Mulliez, de retour des États-Unis au début des

des villes où les vastes parkings sont d’un accès facile, proche des échangeurs et sorties d’autoroutes qui commencent à relier dans les années 1970 les grandes villes du Nord. Le commerçant indépendant s’inquiète ; en 1970 les Chambres de commerce de Lille-Roubaix-Tourcoing lui viennent en aide en demandant la suspension de nouvelles implantations de grandes surfaces pour une durée de deux ans. À la campagne, l’épicier, le boucher, le quincaillier du village ne mesurent pas encore le danger qui les menace ; l’évolution des mœurs est plus lente, les villageois restent encore fidèles au commerce de proximité. Cette clientèle campagnarde, à l’écart des nouveautés, devient l’une des cibles du célèbre

piétonnières où s’installeront bientôt les boutiques de luxe, en bon voisinage avec les cafés, dont les terrasses commencent timidement à envahir les trottoirs. Le Printemps ouvre à Lille dans l’une des rues les plus commerçantes, la rue Nationale. Les concessionnaires d’automobiles, les garagistes et les stations-services ont pignon sur rue au cœur des villes ; sur la Grand’Place de Lille, Le Furet du Nord va bientôt acquérir le titre de plus grande librairie d’Europe. Aujourd’hui comme au Moyen Âge, les gens du Nord ont la bosse du commerce.


Comment faire quand tout est détruit, quand il n’y a plus de magasins d’alimentation, de vêtements, de produits de première nécessité ? Cette question cruciale s’est probablement posée aux élus de Dunkerque qui, constatant les désastres en 1945, créent au centre-ville, sur la plus belle place, l’ancienne place Royale rebaptisée place Jean-Bart, une zone de commerce. Installés dans de simples baraques en bois, les anciens commerçants ont vite repris leur métier. La vue sur cet ensemble serre encore aujourd’hui le cœur, mais on peut déjà voir les habitants qui déambulent entre les baraques et quelques voitures qui investissent la place. Reste l’essentiel, la statue de Jean Bart telle qu’en 1845 le sculpteur David d’Angers l’a installée sur son socle, dont elle n’a jamais bougé depuis.

Le centre-ville de Dunkerque a retrouvé ses couleurs au début des années 1950. Le boulevard Alexandre-III et la place Jean-Bart attirent les flâneurs par cette belle journée d’été, comme l’indiquent les stores baissés au-dessus des vitrines.

Du petit commerce aux grandes surfaces

1945

Cette camionnette Butagaz est une véritable attraction dans les rues de Douai au début des années 1950. Grâce au petit bonhomme bleu, la sécurité, le confort et l’hygiène vont intégrer le foyer, une économie pour toute la cuisine annonce la réclame. « Sa flamme facile à régler donne toutes les températures et assure la réussite de tous les plats du réchaud-four dernier modèle ; les nouveaux réchauds-fours au Butagaz consomment le minimum de gaz pour le maximum de chaleur, c’est un appareil vraiment complet qui permet de mieux apprécier la délicieuse cuisine au four. » De surcroît, le consommateur est assuré du « ravitaillement régulier garanti par contrat ».

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Le beau magasin Xavier Chaussures est une adresse qui compte au Cateau-Cambrésis en 1961. Installé face à la Poste, au 16 rue Jean-Jaurès, il est dépositaire de la marque suisse Bailly. Les deux voitures couvertes de publicité à son nom servent visiblement aussi à vendre ses chaussures sur les marchés. La publicité écrite en belles lettres indique qu’il a une succursale à Landrecies, patrie de Dupleix (1697-1763) gouverneur aux Indes, et une autre au Nouvion-en-Thiérache, patrie de l’historien Ernest Lavisse (1842-1922).

le nord au temps des trente glorieuses

Le « high-tech » de l’année 1950 s’achète sans hésitation chez Hanfa-Radio à Fourmies, rue Jean-Jaurès. Les machines à laver sont alignées sur le trottoir devant le magasin tandis que dans les vitrines est exposé un grand choix de lustres. Très peu de radios sont visibles, mais le fabricant de Transistor S Radio (TSR), de la marque Sonneclair, ouvrira sous peu ses ateliers modernes d’ébénisterie à Fourmies. Cette région très boisée fournit du bon bois pour les caissons, qui seront équipés à Paris de la partie technique.

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L’atelier de carrosserie de Monsieur Dubail occupe la maison natale du général Mortier (1768-1835), maréchal d’Empire, rue du Général-Mortier au CateauCambrésis bien sûr. On ignore si la caravane exposée sur le trottoir est en panne ou à vendre et si le « Tube » Citroën est une friterie ambulante, en révision au garage.


petit commerce et artisanat

M. André Dypres fait le tri des journaux arrivés tôt le matin à la Maison de la Presse au Cateau-Cambrésis : La Voix du Nord, édition Le Cateau, L’Observateur, Le Courrier Picard, La Croix, Nord-Matin… Même si l’on n’était pas client de la teinturerie Les Gobelins à Lille, elle ne laissait pas les passants indifférents. Certainement à cause de la taille immense de ses vitrines donnant sur deux rues, d’un côté le boulevard de la Liberté et de l’autre la rue Puebla. La décoration des deux vitrines était toujours soignée, pour montrer le savoir-faire de la maison en nettoyage haut de gamme : tapis persan d’un côté et smoking dans l’autre. Comment douter du service impeccable ?

Du petit commerce aux grandes surfaces

Réparation de poupées au Bazar Notre-Dame, rue Léon-Gambetta à Lille.

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Dans les années 1950 à Fourmies, les milliers de travailleurs ne pouvaient imaginer que les vingt-cinq usines textiles, équipées de machines rutilantes, pourraient disparaître en vingt ans. Le deuxième choc pétrolier leur fut fatal. La raison ? De nombreuses usines s’étaient reconverties au début des années 1960 dans la fibre synthétique, polyester, acrylique, polynosique, un secteur innovant et plutôt porteur, en quelque sorte les filatures « pilote » de Rhône-Poulenc Textile. En 1965, l’équipement des usines avec les premières machines modernes est achevé. Mais la matière première des fibres synthétiques, c’est le pétrole. Et son prix passe de 10 francs le baril en 1970 à 60 francs en 1974, et à 100 francs en 1979. S’ajoutent à cela l’importation de produits textiles de pays en développement et l’augmentation des salaires. Pourtant l’histoire avait bien commencé : en 1918, les filateurs de la région de Fourmies ont mis sur un compte commun les dommages de guerre et se sont regroupés en une société anonyme de vingt-cinq usines, représentant un ensemble de 350 000 broches, un chiffre gigantesque. Ils ont pris le nom de Société des filatures de laines peignées de la région de Fourmies (SFRF). Depuis 1890, Fourmies et sa région sont reconnues comme capitale mondiale de la laine : 250 000 broches et 16 000 métiers à tisser, soit 30 % de la production nationale. Jusqu’en 1955, les usines transforment essentiellement la matière première, la laine : salles de retordage, de filature, de préparation, salles avec des doubleuses, moulineuses et rattacheuses. Ce que ces clichés ne peuvent exprimer, c’est le bruit étourdissant des machines en action toute la journée, ainsi que les conditions hygrométriques. Le taux d’humidité naturel

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très élevé dans les salles est un atout pour produire les fils toujours plus fins, toujours plus long. En 1910, c’est à Fourmies qu’a été fabriqué le fil de laine le plus fin au monde, soit 120 km de fil au kilo ! De nombreux métiers étaient rattachés au commerce de la laine : négociant, courtier, transporteur. Le courtier Auguste Goutierre, célèbre à Fourmies en tant que fondateur du Grand Prix de Fourmies, allait voir les filateurs avec des échantillons de laine brute d’Afrique du Sud, d’Amérique du Sud, d’Australie, et prenait les commandes qu’il transmettait à Roubaix, l’autre grand centre du textile. Il y avait entre les deux villes une ancienne concurrence. Depuis le début du xxe siècle, Fourmies avait un savoir-faire supérieur à celui Roubaix : ses fils étaient d’une excellente qualité ; le rôle joué par l’eau pure de l’Avesnois pour laver les laines et les peigner ensuite n’était pas étranger à ce succès. Tout cela a changé vers 1955. C’est de Roubaix que proviennent désormais les commandes ; aux professionnels de Fourmies d’organiser le travail à façon. Le matin et le soir, on voyait arriver et repartir en car les ouvrières venues des villages alentour. Même image à Roubaix, Tourcoing, Lille, où les jeunes filles viennent des villes du bassin minier travailler dans les usines. Dans le Nord, de nos jours, les filatures traditionnelles ont laissé la place aux usines de textiles innovants et intelligents qui produisent pour la santé, le ferroviaire, l’aéronautique, la lutte contre le feu, l’automobile et les objets du quotidien. Le Centre européen des textiles innovants (CETI) vient ouvrir ses portes à Roubaix-Tourcoing.


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l’industrue dans le nord


le nord au temps des trente glorieuses

L’arrivée à Dunkerque de la « sidérurgie sur l’eau » vers 1959 va bouleverser le paysage à l’ouest de la ville en direction de Grande-Synthe. Quel contraste entre le premier plan où tout semble couvert du rouge du minerai de fer et la vue à l’horizon sur les réservoirs blancs de la BP (British Petroleum) ! Au quai minéralier accostent les gros bateaux venus de Mauritanie pour livrer ce précieux minerai de fer. Les jours de grand vent, une poussière rouge recouvre toute la région jusqu’à Gravelines ou Malo-les-Bains, selon qu’il souffle d’est ou d’ouest. En 1966, lors de sa venue à Usinor, le Président de la République Charles de Gaulle visite ce complexe industriel de plus de 500 hectares. Il y avait ce jourlà, en dehors des cadres, très peu d’ouvriers dans les ateliers, ils avaient obéi au mot d’ordre de grève lancé par les syndicats FO, CGT et CFDT. Le directeur, M. Damien, guidait son hôte illustre à travers l’usine, lui racontant qu’en plus des deux hauts fourneaux en activité un troisième était prévu et que Usinor, la plus importante usine sidérurgique de France, avait produit en 1965 1 450 000 tonnes de lingots. L’immense train à bandes en fonction permit au chef de l’État d’admirer pour quelques minutes le déroulement formidable des bandes en fusion. En 1972 sera inaugurée l’écluse Charles-de-Gaulle autorisant l’accès aux navires de 120 000 tonnes au Port est. Le Général est venu trois fois à Dunkerque, en 1945, en 1959 et en 1966. Ses mots de compassion prononcés le 12 août 1945 donnent une image de la détresse dans laquelle se trouve alors la ville « … Vous comprenez Messieurs que j’aie peine à soutenir mon émotion. Elle est ici rendue plus vive par le souvenir de mes attaches familiales et aussi par ce que je ressens de mon premier contact avec votre ville dont les abords présentent un aspect si dramatique… »

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Les jours de grand vent, une poussière rouge recouvre toute la région jusqu’à Gravelines ou Malo-les-Bains, selon qu’il souffle d’est ou d’ouest. La côte plate de la mer du Nord permet aux navires un accès facile dans le port de Dunkerque. Les bassins Freycinet, installés au-delà du quartier de la Citadelle, sont équipés de 6 darses (longues de 500 mètres sur 90), bordés de quais et de rails. Le travail des grutiers et des dockers commence aussitôt qu’un bateau est amarré. Dans un temps record, ils doivent décharger et charger les sacs de sucre, les blés, troncs d’arbres et minéraux sur des aires de stockage, car chaque capitaine souhaite regagner la haute mer au plus vite, confirmant la devise des armateurs : Time is money.


la marraine du navire, qui doit briser la traditionnelle bouteille de champagne contre la coque sous les applaudissements des dockers et de la foule amassée en bas de l’immense passerelle qui mène jusqu’au bastingage du pont. On ne distingue pas sur la photographie les remorqueurs qui après le lancement vont placer La Seine à son quai d’armement.

l’industrue dans le nord

Juste en face du phare de Dunkerque (66 m) sont installés les immenses chantiers de Dunkerque (constructions navales), d’où sort dans les années 1947 à 1949 une flotte pétrolière française avec, pour commencer, le Ronsard et le Rémy Belleau suivis par La Seine (ci-dessus) et La Saône, deux pétroliers rapides (153 m de long, 16 830 tonnes, vitesse moyenne de 13 nœuds) lancés successivement en février et septembre 1948. On attend sur la tribune

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Dans la région entre Dunkerque et Gravelines, l’anguille est pêchée à la « houppe » (une sorte de petit plumeau). D’un geste vif, le pêcheur sort l’anguille de l’eau et la fait tomber dans le parapluie, troué dans son centre et prolongé d’une chaussette.

le nord au temps des trente glorieuses

À Lille, les berges de la Deûle vers 1967.

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La flèche au milieu de la photographie désigne une péniche en train de franchir l’écluse de Comines-Warneton entre la Belgique et la France. La pollution des eaux de la Lys engendre cette mousse débordante. Elle pouvait certains jours être si abondante qu’elle atteignait alors la base du pont métallique situé à l’arrière-plan.


la vie quotidienne dans le nord

La vague de froid de janvier 1954 est restée dans toutes les mémoires. À Dunkerque, deux bateaux se sont laissé surprendre par la glace non loin de la jetée, impossible d’avancer, il fait -18 °C et la banquise interdit tout trafic dans le port. Un journaliste écrit : « Le jour où j’ai marché sur les eaux, il y avait des milliers de curieux sur la banquise, le spectacle était hallucinant et féerique. » Vu de Paris, ce froid extrême n’a rien de féerique, bien au contraire, il présente un danger de mort pour les milliers de mal-logés, à tel point que l’abbé Pierre lance son fameux appel à la solidarité pour venir en aide aux sans-abri.

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le nord au temps des trente glorieuses

Ils sont 6 000 à 10 000 personnes par jour à faire la fête, sous un chapiteau surchauffé installé place de la Mairie.

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la kermesse de la bière


la vie quotidienne dans le nord

En ce temps-là, il y avait deux grandes manifestations populaires en France en dehors du sport capables d’attirer autant de monde : la fête de L’Humanité et la Kermesse de la bière à Maubeuge (KBM). Sauf qu’à Maubeuge, depuis 1962, la fête du mois de juillet dure dix jours. Sa renommée dépasse les frontières, tous les fans de chanson, les amateurs de bière, les amoureux de musique bavaroise s’y retrouvent. Ils sont 6 000 à 10 000 personnes chaque jour à faire la fête, sous un chapiteau surchauffé installé place de la Mairie ; 650 000 chopes de bière vidées, paraît-il, en une saison et un spectacle non-stop de 11 h à 2 h du matin. Il faudrait plusieurs pages pour citer les noms de toutes les vedettes de la chanson pour qui Maubeuge était incontournable : Claude François, Sacha Distel, Tino Rossi, Dalida, Gilbert Becaud, l’inoubliable Annie Cordy chantant La Bonne du curé, Frida Oum Papa…, Joe Dassin, Enrico Macias, Charles Trenet, qui commence par Douce France, Petula Clark, Jean Ferrat et bien sûr, Pierre Perrin, chauffeur de taxi-auteur-compositeur du Clair de Lune à Maubeuge qu’il interprète pour la première fois en 1962 à la KBM. Il sera même fait citoyen d’honneur par Pierre Forest, député-maire de la ville. Le restaurant sur place prend aussitôt le nom de « Restaurant Clair de Lune » et un jury désigne une Miss Clair de Lune. 30 cuisiniers et leurs aides servent 7 000 plats cuisinés par jour, tout le monde s’y retrouve pour « casser la croûte » entre deux spectacles : les journalistes de La Voix du Nord – Robert Lefèvre, André Lepart, Jean-Marie Sourgens –, l’animateur vedette Joël Alain, Léon Zitrone, un fidèle (il vient pour Intervilles avec son complice Guy Lux et aussi pour Les Jeux de 20 h). Fidèle de la première heure, Clo-Clo reviendra tous les deux ans entre 1964 à 1977, virevoltant, sautant, dansant, chantant comme un fou, encouragé par ses fans qui lui jettent des fleurs, l’applaudissent, ne veulent jamais le laisser quitter la scène. Sur les podiums de Nord Matin et de La Voix du Nord, les majorettes « Les Clairettes » se produisent aux interludes, les Reines de la Bière défilent, les vedettes se croisent, les jeux font d’heureux gagnants, le lancement d‘un timbre poste spécial Kermesse de la Bière par les PTT, fait le bonheur des collectionneurs… Ce sont les années d’insouciance pour le Bassin de la Sambre, celles du plein emploi. Au début des années 1980, la région est durement frappée par la crise de la sidérurgie et la Kermesse de la Bière vit ses dernières heures.

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le nord au temps des trente glorieuses

À 9 h 45 précises, le dimanche 26 juin 1960, boulevard Jean-Baptiste-Lebas à Lille, le maire Augustin Laurent et Miss Lille Tour de France, Mlle Danièle Demuynck, coupent le ruban tricolore et donnent le départ de la première étape du 47e Tour de France. Deux heures avant, la caravane du Tour avait quitté Lille, suivie par les camions du Tour chargés des milliers de pièces de rechange pour les 128 coureurs et d’objets à distribuer pour le public : 2 000 boyaux, 2 500 maillots, 3 000 casquettes, autant de lunettes de soleil et 12 000 musettes. Il faut tenir trois semaines ! Les deux Géants fondateurs de la ville, Lydéric et Phinaert, regardent du haut de leurs cinq mètres les spectateurs venus acclamer les vedettes du Tour, Everaert, Édouard Delberghe ou Roger Rivière.

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Ce 8 juillet 1955, les Douaisiens entourés de leurs géants, Gayant, Marie Cagenon et leurs enfants, sont venus encourager les coureurs du Tour de France à l’angle de la Grand’ Place et de la rue de Bellain. Partis le matin du Havre pour rejoindre Roubaix, ils passent par Douai. La course a commencé la vieille, le 7 juillet, avec 130 partants pour un parcours de 4 495 kilomètres, 22 étapes et une arrivée à Paris le 30 juillet. Parmi les six coureurs encouragés par la foule, y a-t-il Louison Bobet, le vainqueur de cette deuxième étape ? Les journalistes suivent en voiture au plus près la course – en tête le journal italien, Il Popolo et en jeep l’agence France Presse.


Combien de petits Roubaisiens ont-ils appris à nager dans cette belle piscine, entre son inauguration en 1932 et sa fermeture en 1985 ? Pendant plus de cinquante ans ont résonné ici sous les voûtes de la nef les cris des baigneurs se donnant « rendez-vous au lion », même si cette tête à la crinière crachant de l’eau dans le grand bassin représente Neptune, le dieu des océans… Spectaculaire, cette grande nef éclairée par d’immenses verrières qui s’embrasent au soleil levant et au soleil couchant. Le décor intérieur est caractéristique du style Art déco, bâti selon les plans de l’architecte lillois Albert Baert (1863-1951). En gardant le décor de cabines de douches, celui du bassin avec ses splendides mosaïques, son jardin intérieur, le café ambiance années 1930 et les salles des machines, la piscine est encore plus belle qu’avant depuis sa transformation en Musée d’art et d’industrie en 2001.

Visite du chantier du Stadium Nord à Villeneuved’Ascq dans le quartier Flers-Le Château, aux abords d’un grand plan d’eau, le 9 juillet 1975 en présence d’Arthur Notebart, président de la Communauté urbaine de Lille. Le projet prévoit un stade de trente mille places, omnisport sur 15,5 hectares. Sont également déjà en travaux un terrain d’honneur en gazon naturel, deux terrains d’entraînement dont une pelouse en gazon artificiel, des pistes d’athlétisme et des aires de saut. Ce complexe sportif est conçu d’après les plans de l’architecte Roger Taillibert (1926), grand spécialiste des installations sportives. Il vient de terminer à Paris le nouveau stade du Parc des Princes (1972), et réalisera à Montréal le Stade olympique (1976).

Les onze héros de 1947 du Lille Olympique Sporting Club sont tous sur la photo : l’équipe vient de gagner la Finale de Coupe de France, en battant par deux buts à zéro le Racing Club de Strasbourg.

le sport dans le nord

S’agit-il de l’arrivée du peloton du Paris-Roubaix ou du Championnat de France de cyclisme sur piste en 1966 ou 1971 ? La photographie n’étant pas datée, il est impossible de mettre un nom sur la course et encore moins sur les coureurs roulant sur la piste du vélodrome de Roubaix. Depuis l’inauguration du vélodrome en 1936, les cœurs des passionnés de la « petite reine » ne se sont jamais arrêtés de battre très fort chaque troisième dimanche d’avril. Les plus grands noms du cyclisme international se sont affrontés sur les pavés de cette course mythique pendant les Trente Glorieuses : Fausto Coppi (1950), Louison Bobet (1956), Léon Van Daele (1958), Eddy Merckx (1968), Roger de Vlaeminck (1972). On mesure l’émotion du coureur après 260 km de course, dont 54 sur les pavés, à son entrée au vélodrome, applaudi par la foule jusqu’au sprint final. L’Enfer du Nord ? Plutôt le paradis sur terre depuis que les deux filateurs roubaisiens, Maurice Pérez et Théodore Vienne ont lancé cette course de légende le dimanche 19 avril 1896. Le premier vainqueur du Paris-Roubaix franchit la ligne d’arrivée à 14 h 47 après un départ au Bois de Boulogne à 5 h 30.

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Les deux écoliers debout devant le Furet du Nord, ce 29 avril 1969, ont l’air bien sages. Ils regardent la vitrine consacrée à l’enseignement de la Chimie. Quelques objets bien choisis soulignent la diversité de la matière, bouteilles en verre et en plastique, minéraux et un circuit complexe de refroidissement. Tout juste dix ans auparavant, en 1959, la librairie Le Furet ouvrait ses portes sur la Grand’ Place de Lille, à l’emplacement des Galeries Barbes, parties à l’autre bout de la ville. Le nouveau propriétaire, Paul Callens est en avance sur son temps : son rêve est qu’on entre dans sa librairie comme dans un grand magasin, toutes portes ouvertes, même les poussettes doivent passer. Autre nouveauté : il est permis de toucher les livres sans les acheter. En 1964, le Furet ajoute dans sa cave une pochothèque, la première en France, soit 225 m2 consacrés au livre de poche. Quatre ans plus tard, nouvel agrandissement, Paul Callens achète la quincaillerie voisine, La Cave. La surface totale frise désormais les 3 000 m2, mais ce n’est toujours pas assez pour son propriétaire. En 1976, la librairie achète le cinéma voisin, Le Bellevue, les livres occupent désormais une surface de 4 500 m2 sur plusieurs niveaux. En à peine vingt ans, Le Furet du Nord est devenu la plus grande librairie d’Europe.

le nord au temps des trente glorieuses

Hervé Bazin (1911-1996) à la librairie du Furet du Nord de Lille en 1967, dédicace son dernier livre Le Matrimoine.

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Ils étaient très peu nombreux, les spectateurs qui ont assisté à la première séance de cinéma à Lille, le 14 avril 1896, au 17 de la rue Esquermoise. Un siècle plus tard, les distributeurs de film sont unanimes : les années des Trente Glorieuses ont constitué l’âge d’or du cinéma. On a compté jusqu’à 400 millions d’entrées par an en France. Lille n’est pas en reste : Le Capitole, rue de Béthune, se modernise en 1946 avec sa salle de 1 500 fauteuils (1 000 places à l’orchestre et 500 au balcon). Premier film projeté, le 21 novembre 1946 : Le Voleur de Bagdad. En 1970 y est projeté en première mondiale, L’Aveu de Costa-Gavras, film qui fut en grande partie tourné à Lille dans le monumental Hospice général (xviiie s.) avenue du Peuple-Belge ; en 1951, la vénérable salle de l’Eden, toujours rue de Béthune, se modernise à son tour et prend pour nom Le Régent (552 fauteuils). Autre cinéma célèbre dans la même rue, le Familia, racheté en 1966 par la Gaumont qui transforme l’immense salle de 1 200 fauteuils en huit petites unités, une tactique pour attirer à nouveau le public devant le grand écran, délaissé depuis que la télévision commence à lui faire une rude concurrence. Il faut donc innover, en créant des écrans de plus en plus grands, puis des « complexes ». D’autres cinémas peuvent compter sur de fidèles clients, comme le Ritz, rue de la Bourse, où Charles Aznavour et Georges Brassens se produisent parfois.


1968

Mireille Mathieu participe à Lille au lancement national de l’opération « Pour la Vie ». Son appel à aider la Fondation pour la recherche médicale française est largement entendu par les Lillois, qui ouvrent leur cœur et leur portefeuille en ce début du mois de mars 1970. La chanteuse, qui vient de recevoir la médaille de la Ville, annonce à ses fans en fin de cérémonie qu’elle reviendra dans deux mois donner un récital à l’opéra. Elle est vêtue d’un pull noir et d’une robe chasuble rouge à la mode.

Valenciennes aime qu’on la surnomme « l’Athènes du Nord ». Patrie du chroniqueur du Moyen Âge Froissart, du peintre Antoine Watteau, du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux et de 22 Grands Prix de Rome entre 1811 et 1968, ce surnom lui va bien. Les arts musicaux ne sont pas en reste : en dépit de l’absence d’une belle salle de concert, on donne des soirées symphoniques au cinéma Novéac place d’Armes (400 places, remplacé plus tard par le centre commercial Cœur de Ville). Le soir du 1er mars 1955, on joue d’Hector Berlioz La Damnation de Faust et Le Chant d’Apothéose de Gustave Charpentier (1860-1956), composé et joué au printemps 1902 pour la première fois place des Vosges, à Paris, pour le centième anniversaire de la naissance de Victor Hugo.

La culture, entre Tradition et Création

Raoul de Godewarsvelde (1928-1977), photographe officiel de la Foire Internationale de Lille, en 1968 devant un Scopitone qui joue son plus grand succès, Quand la mer monte. Écrit par Jean-Claude Darnal, chanteur douaisien, le disque se vendit à 150 000 exemplaires.

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LE NORD

AU TEMPS DES TRENTE GLORI EUSES

Pendant les Trente Glorieuses, le Nord, durement touché par la guerre, se reconstruit et reconquiert sa puissance économique et industrielle. Les villes sont rebâties par des architectes de renom. L’industrie minière, la sidérurgie, le textile, tournent à plein régime, et le renouveau économique attire les grands de ce monde: le général de Gaulle, Khrouchtchev, Elisabeth II rendent visite aux gueules noires du bassin minier et aux ouvrières de la Lainière de Roubaix. Le commerce n’est pas en reste et les nouvelles enseignes de supermarché et de vente par correspondance sont des fleurons de la modernité.

De Dunkerque à Fourmies, en passant par Lille et les principales villes du Nord, bien d’autres faits marquants d’une culture singulière sont racontés dans ce livre. Plus de 220 photographies, souvent inédites, accompagnées d’un texte documenté, dessinent le portrait d’un territoire, d’une époque et d’une identité.

VERA DUPUIS est guide conférencière des Monuments historiques, elle a créé et dirigé un service des Visites guidées à l’Office du Tourisme de Lille. Elle est l’auteur de nombreux livres sur le patrimoine du Nord.

ISBN 978-2-86266-742-3

25 € 9 782862 667423

www.loubatieres.fr

Table des matières Introduction De la reconstruction à l’embellissement des villes et des villages Du petit commerce aux grandes surfaces L’industrie dans le Nord La vie quotidienne dans le Nord Le sport dans le Nord La culture, entre Tradition et Création

Les enfants du pays se distinguent : Jean Stablinski remporte le grand prix de Fourmies; Henri Matisse fait don de quatre-vingt-deux œuvres au CateauCambrésis, sa ville natale, permettant la création d’un musée ; Raoul de Godewarsvelde devient une coqueluche des ondes. Les vedettes de la chanson française se succèdent à la kermesse de la bière de Maubeuge…

Photographie de couverture : Place du Général-de-Gaulle, Lille, années 1960. © Collection Archives départementales du Nord, Lille (5 Fi Lille 2122)


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