PIERRE LE COZ
Veilleur, où en est la nuit ?
LOUBATIÈRES
© Nouvelles Éditions Loubatières, 2017 20, avenue Pierre-Marty F-31390 Carbonne
contact@editions-loubatieres.fr www.loubatieres.fr ISBN 978-2-86266-752-2
Pierre Le Coz
VEILLEUR, OÙ EN EST LA NUIT ?
Loubatières
À Franck Magloire
La citation se trouve dans Isaïe, XXI, 11-12 : On me crie de Séir : « Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? » Le veilleur dit : « Le matin vient, et la nuit aussi. » Et ce qui, dans la parole du prophète, fascine, c’est d’abord la réponse du « veilleur » : « Le matin vient, et la nuit aussi. » Car s’il est normal que le matin succède à la nuit, comment la nuit pourrait-elle se succéder à elle-même ? À moins que cette nuit dans laquelle veille notre « veilleur » ne soit pas une nuit comme les autres : nuit du monde et non du temps ? Nuit qui n’est rien d’autre que l’élément dont sont tissées les autres nuits : nuit des nuits et ténèbres des ténèbres ? Et de quoi alors, en une telle « nuit », est elle-même faite la veille de notre « veilleur » ? Veiller, c’est rester aux aguets lorsque tout dort autour de soi ; mais que devient cette veille si elle se fait, non au cœur de la nuit, mais au cœur même des ténèbres, c’est-à-dire en ce lieu ineffable d’où procèdent les nuits et les jours, et aussi bien : les matins et les soirs, la lumière et les ténèbres ? Nul doute en tout cas que c’est en ce lieu que réside celui qui peut dire : « Le matin vient, et la nuit aussi » ; car sinon il n’aurait pas cette latitude d’annoncer les deux venues conjointes d’un « matin » et d’une « nuit ». Ce « veilleur » est le prophète lui-même, non parce qu’il aurait capacité à pré-dire ou pré-voir ce qui vient, l’à-venir – car alors sa pré-diction, prévoyant une chose (« le matin ») et son contraire (« la nuit »), ne vaudrait pas grand-chose – ; plutôt parce qu’il se tient en ce lieu du temps, proche de sa source, où se décide cet à-venir même ; et « situation » qui, comme je l’ai montré dans la Profondeur, fait toute la différence entre le prophète biblique et le devin païen : entre le voyant « juif » et celui « grec ». Si, à la 5
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question du « Veilleur, où en est la nuit ? », le veilleur d’Isaïe peut répondre par un tel oxymore – « Le matin vient, et la nuit aussi » –, c’est parce que son « pouvoir » ne réside nullement à voir dans le temps, mais bien à voir ce temps, tel qu’il se déploie à partir d’un « lieu » situé lui-même en dehors du temps, et lieu qui pour cela rassemble en une unique vision tous les possibles que recèle ce temps : les jours et les nuits, les matins et les soirs, les étés et les hivers, la paix et la guerre, l’abondance et la disette, etc. ; et c’est le tenir-en un tel lieu qui fait toute la singularité du prophète biblique : celui qui « dit » non tant l’à-venir que, à partir de la saisie d’un « présentinstant » ineffable, le venir de cet à-venir – celui qui « dit » en le mode d’une parole vraie et non, seulement, pré-« dit ». Le Veilleur d’Isaïe se tient au plus près de cette source du temps qui jaillit, elle, « en-éternité » (Rilke), et « éternité » qui n’est nullement du temps qui se prolongerait indéfiniment mais la dimension plus originaire où ce temps peut se déployer : L’éternel n’est pas ce qui ne cesse de durer ; c’est au contraire ce qui peut se retirer dans l’instant, pour, un jour, faire retour. Ce qui peut faire retour, non pas comme pareil, mais bien en tant que ce qui, à neuf, en tant qu’un et unique, métamorphose l’estre – si bien que dans cette manifesteté il n’est d’abord pas reconnu comme le même ! Heidegger Apports à la philosophie Le veilleur d’Isaïe se tient en ce « lieu » d’où le temps « prend essor » : « le lieu de l’instant, à l’instant où il a lieu » ; si bien que pour lui venue du jour comme venue de la nuit sont in-différentes : puisqu’elles ne sont rien d’autre qu’un « même » qui, après s’être « retir(é) dans l’instant », « fait retour ». Nuit et jour ne sont pas « pareilles », mais en tant que, pour « venir », ils empruntent l’un et l’autre le mouvement d’un tel « faireretour », ils sont le « même » : où l’on comprend par là que, dans la réponse du veilleur à la question « où en est la nuit ? », le mot véritablement décisif n’est ni celui de « matin » ni celui de « nuit », mais bien celui de ce « venir » qu’accompagne en mode quasi-pléonastique cet « aussi » qui conclut la citation : « Le matin vient, et la nuit aussi. » Mais où l’on comprend également que la « nuit » de la question du « où en est la nuit ? » n’est pas celle de la réponse du veilleur : « nuit » plus vaste et plus « obscure » en ce qu’elle com-prend en sa réserve d’opaque et de ténèbres aussi bien le « matin » 6
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que la « nuit » entendue cette fois-ci au sens vulgaire de l’absence du jour et de sa lumière « naturelle » ; car derrière cette « nuit »-là, il y en a une autre – qui est peut-être la « nuit mystique » des voyants ou la « nuit extraordinaire » de l’incipit du Que ma joie demeure de Giono –, et c’est, n’en doutons plus, en cette « nuit »-là – qui fait la trame des matins comme des soirs : qui est l’étoffe même du temps – que se tient notre veilleur : non à une quelconque « heure » de la « nuit », mais en ce où même « où en est (toujours) la nuit »… sitôt qu’on cesse d’entendre ce mot au sens du contraire du jour. Car si tel n’était pas le cas – si le veilleur veillait en une nuit « normale », « ordinaire » –, à la question qui lui est posée du où « où en est la nuit », il ne répondrait pas comme il le fait : il dirait par exemple que la mi-nuit de cette nuit approche, ou est passée ; à l’extrême rigueur, il indiquerait que l’aube n’est plus très loin : que « le matin vient », mais en aucun cas sans ajouter « et la nuit aussi », précision qui nous fait immédiatement comprendre la nature de ce où où se tient le veilleur et, par suite, celle très particulière de cette « nuit des nuits » en laquelle il veille. Mais alors on comprend que cette « veille » n’a rien, elle non plus, d’ordinaire : car qui peut « voir » en même temps (« aussi ») la venue du jour et celle de la nuit se situe d’évidence en dehors du flux scandé par la succession des jours et des nuits : en dehors de cette succession même qui n’est rien d’autre que ce que nous avons coutume, peut-être faute de mieux, d’appeler le « temps ». En ce sens, on peut dire que le veilleur d’Isaïe, prophète mais non devin, a cette latitude d’assister, non à l’écoulement du temps, mais à sa naissance et jaillissement ; et cela parce qu’il se tient en ce « lieu » – le où du « où en est la nuit ? » – à partir duquel « prend essor » cet écoulement même. Il existe dans le vaste corpus littéraire de l’humanité toute une série de scènes qui, en le mode d’une veille toujours nocturne, font signe vers ce où « où » se tient notre veilleur biblique ; c’est, dans l’Orestie d’Eschyle, le fameux « Cantique du veilleur » où celui-ci, chargé de « guetter » la « nouvelle » de la chute de Troie, se lamente en ces termes sur son sort : Je prie les dieux pour qu’ils mettent fin à mes soucis, Depuis de si longues années que je veille sur ce lit, Au plus haut du toit des Atrides, pareil à un chien couché, Et j’ai appris des astres nocturnes à connaître l’assemblée, Et ceux-là qui apportent l’hiver et l’été aux hommes qui 7
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passent, Les seigneurs de lumière qui dominent sur les espaces, Les astres quand ils déclinent et qu’ils se lèvent. Et maintenant je guette le signal que la torche élève Le rayon de feu apportant de Troie la nouvelle Et le mot de la victoire (…) (…) Ah ! puisse luire donc l’heureuse fin de mes soucis, La bonne nouvelle du feu qui brille au milieu de la nuit ! (traduction : R. Brasillach) Ou, dans Que ma joie demeure de Jean Giono, l’évocation de la nuit où le personnage du roman est sorti pour charruer sous les étoiles : C’était une nuit extraordinaire. Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l’herbe. Elles étaient en touffes avec des racines d’or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit. Jourdan ne pouvait pas dormir (…) Ou encore, dans la scène IV de l’acte III de Macbeth, ce bref échange entre le personnage-titre de la tragédie et sa reine criminelle : – Il y aura du sang versé ; on dit que le sang veut du sang. On a vu les pierres remuer et les arbres parler. Des augures, des révélations intelligibles ont, par la voie des pies, des corbeaux et des corneilles, dénoncé l’homme de sang le mieux caché… Où en est la nuit ? – À l’heure encore indécise de sa lutte avec le matin. (traduction : F. V. Hugo) Où l’on voit d’abord qu’en ces trois exemples, les trois « veilleurs » – l’esclave d’Eschyle qui n’a pas le droit de dormir, le paysan de Giono qui s’est relevé pour charruer, le tyran de Shakespeare qui « a tué le sommeil » (au moins le sien) – ont tous les trois un problème avec l’insomnie (cf. notamment, dans le Traité du Même, la longue analyse que j’ai faite de 8
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cette « tragédie de l’insomnie » qu’est, entre autres caractéristiques, Macbeth) ; mais insomnie qui, en le mode d’une sorte de compensation prophétiqueprovidentielle, leur permet d’assister, comme le veilleur d’Isaïe, à la naissance du temps. C’est particulièrement évident chez le personnage d’Eschyle qui, contraint de « veill(er) » « au plus haut du toit des Atrides » (pour guetter le retour d’Agamemnon), est devenu en dix années d’une telle « veille » le familier « des astres nocturnes » et de leur « assemblée » audessus de la terre ; et astres, « seigneurs de la lumière », dont notre esclave, devenu malgré qu’il en ait cet astronome (ou cet astro-logue), dit qu’ils sont « ceux-là qui… (…) apportent l’hiver et l’été aux hommes qui passent. Si bien qu’à la question biblique du « Où en est la nuit ? », le veilleur d’Eschyle, paraphrasant celui d’Isaïe, pourrait répondre à son tour : « L’été vient, et l’hiver aussi. » Quant à l’autre insomniaque notoire Macbeth – quoique lui pour une raison, comme on dit, « indépendante de sa volonté » : la culpabilité d’avoir assassiné le « bon » roi Duncan puis son « ami » Banquo (l’échange cité plus haut survient immédiatement après l’apparition de son spectre au cours d’un banquet) –, c’est cette insomnie qui lui permet d’être le contemporain de cette « heure encore indécise de (l)a lutte (de la nuit) avec le matin » ; Shakespeare ici – hasard objectif ou explicite référence – mettant dans la bouche de son personnage exactement les mêmes mots que ceux de la question d’Isaïe : – (…) Où en est la nuit ? – À l’heure encore indécise de sa lutte avec le matin. La réponse de Lady Macbeth à son époux dit certes une « heure » très particulière de la nuit – celle qui précède immédiatement l’aube (et qui est, on le sait, la plus sombre de toutes) – ; mais elle dit surtout, par ce qualificatif d’« in-décise », ce moment où le temps, littéralement, hésite – n’ayant pas « encore » décidé entre nuit et jour, ténèbres et lumière – et temps qui, en cette hésitation/in-décision, « se suspend » : « se retir(e) », en le mode de cet « éternel » dont parle Heidegger, « dans l’instant » – dans le où du « où » en est la nuit – pour « décider » si ce qui va suivre sera la venue du « matin »… ou la poursuite de la « nuit ». Et Macbeth aussi, à 9
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cet instant – interprétant en ce mode peu ou prou « métaphysique-prophétique » la réponse de sa femme – pourrait dire, tel le veilleur d’Isaïe : « Le matin vient, et la nuit aussi » – et cela d’autant plus que les paroles qu’il vient de prononcer juste avant sont de tonalité explicitement prophétique : Il y aura du sang versé ; on dit que le sang veut du sang. On a vu les pierres remuer et les arbres parler. Des augures, des révélations intelligibles ont, par la voie des pies, des corbeaux et des corneilles, dénoncé l’homme de sang le mieux caché (…) Sombres, horrifiques considérations qui sont brutalement interrompues par la question en apparence plus anodine, plus « pratique » de ce « Où en est la nuit ? » ; mais question qui, en vérité, en est le très logique prolongement. Car Macbeth ici vient tout simplement d’avoir une « vision » (qu’atteste la conjugaison au futur de ce « Il y aura »), et la première question qui, suite à cette « vision », lui vient à l’esprit est celle relative à la provenance de cette « prophétie » : d’où peut-elle lui venir, lui qui n’est ni un devin, ni un sorcier habile à « lire dans les graines du temps » ? Ce pourquoi il fait l’étrange question – étrange parce qu’apparemment sans rapport (les trois points de suspension qu’a mis là Shakespeare) avec ce qu’il vient de « voir » – à sa femme de ce « Où en est la nuit ? » ; mais « où » dont on comprend soudain qu’il ne porte nullement sur l’« heure » à laquelle se déroule cette scène ; mais bien sur l’origine (extra-temporelle) de la « vision » qu’il vient d’avoir, et origine qui réside précisément en ce où même : en ce « lieu de l’instant, à l’instant « où il a lieu » – et aussi bien : en ce « lieu de l’instant » où cet instant « a lieu », et qui est aussi le où du « où en est la nuit ». Le plus étonnant d’ailleurs est que Lady Macbeth – en mode sans doute « subliminal » – comprend très bien le véritable sens de la question de son époux – comprend qu’il fait bien plus que lui « demander l’heure » – ; et sa réponse, d’une certaine façon, le prouve : car si celle-ci mentionne le mot d’« heure », on comprend rapidement que cette « heure » n’a rien à voir avec une quelconque précision quantitative-temporelle : puisque d’abord cette « heure » (en mode quasi-oxymorique) est dite « (encore) indécise » (et par conséquent : im-précise) ; mais surtout parce que cette « heure » est décrite comme le lieu – le où – « où » a « lieu » la « lutte » entre nuit et jour, ténèbres et « matin » ; et cette « heure » bien sûr est celle 10
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« macbéthienne » par excellence : celle où, notamment, a été prise la décision de tuer Duncan ; mais celle surtout où, en ce « retrait dans l’instant », il est décidé du cours que va prendre le temps – à commencer par celui en mode cosmique de la succession des « nuits » et des « jours », ou, dirait le veilleur d’Eschyle, des « hiver(s) » et des « été(s) ». Et bien évidemment, la « vision » qu’a eue Macbeth ne peut venir que de ce « lieu » – que de ce « où (en est la nuit) » – « où » a « lieu » cette « lutte encore indécise » entre les contraires : nuit et jour, ténèbres et lumière (liste à laquelle, on s’en souvient, Héraclite ajoutait les couples de guerre et paix, abondance et disette, etc.) ; et « lieu », « où », « heure » où, en mode plus politique-criminel, les époux Macbeth décident aussi de qui va mourir et de qui va vivre – ce pourquoi, tout de suite après l’échange cité plus haut, Macbeth amène la conversation sur un sujet qui lui aussi semble sans rapport avec celui qui l’a précédé : – Que dis-tu de Macduff, qui refuse de se rendre en personne à notre solennelle invitation ? Et en effet, l’absence de cet influent « thane » au banquet donné par le nouveau roi d’Écosse en célébration de son sacre ne peut-être vécu par celui-ci que comme, non seulement un outrage, mais aussi une menace : le signe que Macduff, parce qu’il n’accepte pas la légitimité de ce sacre, est désormais son principal opposant politique : on peut donc raisonnablement penser que c’est à cet instant que Macbeth prend la décision du massacre de Macduff et de sa famille – ce qui sera chose faite à l’acte suivant (seul Macduff en réchappant) – ; ce qu’atteste quelques lignes plus loin la sombre réflexion que se fait le roi sanguinaire : J’ai marché si loin dans le sang que, si je ne traverse pas le gué, j’aurais autant de peine à retourner qu’à avancer. J’ai dans la tête d’étranges choses qui réclament ma main et veulent être exécutées avant d’être méditées. Ce « gué sanglant » où se tient en mode criminel-politique Macbeth, c’est bien sûr encore le où du « où en est la nuit », c’est-à-dire le lieu où « a lieu » la « lutte (encore) indécise » entre les contraires, entre les diverses orientations que le temps, à la suite de cette « lutte », va prendre : Macbeth, et bien qu’il ait clairement identifié (grâce à la réponse de sa femme) le lieu « où » se décide l’issue de ce combat, n’a certes pas le pouvoir de décider 11
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si c’est le matin ou la nuit qui va l’emporter ; du moins, en ce « lieu où l’instant a lieu », a-t-il loisir de décider ou non de la mort de Macduff (comme il l’a fait, en cette même « heure macbéthienne », de celles de Duncan et de Banquo) – n’est-il pas le roi ? Ce pourquoi aussi les « étranges choses » qu’il dit avoir « dans (s)a tête » – en l’occurrence ici : l’assassinat de Macduff –, et parce qu’il se tient au lieu même où les « choses » se décident, « réclament », non pas d’être « méditées », mais bien d’être « exécutées » ; et parce que le où extra-temporel « où » le tyran se tient est celui, non de la réflexion, mais de l’action (la sentence d’un « Nous sommes encore jeunes dans l’action » conclut d’ailleurs, quelques lignes plus loin, toute la scène). En ce sens, la « veille » macbéthienne, toute teintée (parce que criminelle) d’horreur et d’épouvante qu’elle soit, n’est pas si éloignée de celle du paysan de Giono – elle teintée de splendeur et d’émerveillement – : parce que dans les deux cas ce à quoi accèdent les deux personnages, c’est à un certain regard – « vision » sanglante ou « contemplation » émerveillée – sur le lieu où se décident le temps et son « à-venir » (que cette « décision » prenne chez le roi la forme de la pré-« méditation » d’un meurtre ou, chez le paysan, celle… du labour d’un champ sous la voûte constellée d’astres). Macbeth, durant toute « sa tragédie », cherche le sommeil – ce « cordial de toute créature » dit sa reine dans la même scène – pour interrompre l’horreur de veiller en une telle nuit : ce sommeil qu’au contraire le « veilleur » d’Eschyle comme celui de Giono repoussent – l’un par devoir, l’autre par émerveillement – pour, en cette même «nuit (du monde) », demeurer éveillé : l’explorer en sa grande profondeur… avec (Eschyle, Giono) ou sans (Isaïe, Shakespeare) « étoiles ». Car le signifiant astronomique ici – que ses astres ait « éclaté en touffes comme de l’herbe » ou qu’au contraire ils aient « fermé leurs yeux » (comme le souhaite Lady Macbeth à l’arrivée de Duncan chez elle) – ne dit rien d’autre que le fait qu’un certain écoulement temporel est toujours-déjà en place – écoulement manifesté/ordonné par le « décl(in) » ou la « lev(ée) » de ces astres mêmes (ordre « astrologico-cosmique » que, dans Macbeth, va bouleverser l’assassinat de Duncan) – ; mais ce à quoi, dans le fond, nos veilleurs veulent assister, ce n’est pas tant à cet écoulement peu ou prou « ordonné » qu’illustre le mouvement éternel-harmonieux de ces étoiles qu’à la mise en place même de cet écoulement – encore une fois : à la naissance du temps. Ce pourquoi, chez les plus « profonds » de nos veilleurs (Isaïe, Shakespeare), la veille se passe aisément de ces « seigneurs de la lumière qui dominent sur les espaces »; mais domination elle-même soumise à un élément plus originaire qu’eux : celui d’une « nuit » cette fois-ci sans 12
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astres, d’une « profondeur sans étoiles » (cf. la quatrième de couv. de mon Europe), et « nuit obscure » (saint Jean de la Croix), « nuit mystique » qui est comme le fond même du temps : la toile d’azur « qui est du noir » (Rimbaud) où ce temps a ensuite – mais seulement ensuite – loisir de peindre ses figures et autres « constellations ». Mais ce « fond du temps », dans la mesure où ce « fond » est celui de toute pro-fondeur, est bien sûr un sans-fond ; ce pourquoi la « nuit » où veillent nos « veilleurs », et selon les vers fameux du « Bateau ivre » (cf. mon analyse de ceux-ci dans Le Pays silencieux), est elle-même une « nuit sans fond », a-byssale : Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles Million d’oiseaux d’or, ô future vigueur ? Ce « sans-fond » n’étant rien d’autre ici – la langue, pour parler de l’origine du temps, étant contrainte d’emprunter ses mots au vocabulaire de l’espace – que le où que dit la question du « où en est la nuit ? » – et aussi bien (pour parler cette fois-ci la langue de Heidegger) : que « le lieu de l’instant, à l’instant où il a lieu » ; or c’est bien ce « sans-fond » – « où » ou « lieu » – que nos veilleurs – de visionnaires passés « voyants » – veulent voir : non tant (à la manière de vulgaires devins) l’à-venir que (à la manière cette fois-ci d’authentiques prophètes) le « lieu » même où se décide cet àvenir ; et « lieu » qui constitue le « sans-fond » de la nuit pro-fonde, « obscure », qu’ils scrutent inlassablement… jusqu’à en crever la fine toile stellaire-temporelle pour déboucher dans un ailleurs – « pur insurveillé » ou « grand dehors » – où il leur est en effet loisible – parvenus sur « l’autre versant des étoiles » – d’assister aux venues conjointes de « matin » et de « nuit » ; et aussi bien à celles de tous les antagonismes dont le jour est le commun théâtre : « Le matin vient, et la nuit aussi. » Et seul peut dire cela celui qui est passé sur l’autre versant du temps : celui qui a rejoint le « lieu » où celui-ci prend naissance en le mode d’un enracinement en le sans-fond d’une « nuit sans fond » où « dor(ment) et s’exil(ent) » les « millions oiseaux d’or » de la « future vigueur » – de la future lumière qui configurera tout « matin » et, plus généralement, toute 13
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apparence – ; et « autre versant » que le « visionnaire », s’il veut devenir ce « voyant », se doit d’explorer – par le crime (Shakespeare) ou par l’extase (Giono) – : étant bien évident que c’est sur ce versant-là et sur aucun autre que naissent toutes les « visions », qui sont donc toujours, pour reprendre le mot du prophète Daniel, des « visions de la nuit ». « Voir » vraiment, c’est toujours « voir la nuit », mais non au sens nyctalope de cette expression (comme on dit par exemple que les chats « voient la nuit ») : plutôt en celui d’un « voir » de l’élément même dont est tissée cette « nuit » ; et élément sur lequel se détachent – tels les astres sur le fond obscur du ciel nocturne – toutes les possibilités que le temps recèle en son ineffable réserve – en sa gésine des possibles – ; si bien aussi que cette expression du « voir la nuit » ne dit finalement rien d’autre que l’enfoncement (en mode peu ou prou « prophétique ») du regard humain en direction du sans-fond de cette « nuit » même : « extraordinaire » parce qu’elle-même, entre toutes les autres nuits elles « ordinaires », « sans fond ». La « nuit » rimbaldienne rejoint ici celle du « veilleur » d’Isaïe ; et aussi bien celle, « mystique », d’un autre « veilleur » – quoique elle é-veillée pour d’« amoureux » motifs – : celui auquel, dans sa Noche oscura, saint Jean de la Croix prête sa voix (et sa plume de très grand poète) : En une nuit obscure d’anxieuses amours embrasée oh l’heureuse fortune je sortis sans être remarquée ma maison déjà étant en repos (traduction : Benoît Lavaud) Où l’on comprend que la relation d’une telle « sorti(e) » nocturne, et bien qu’empruntant son langage à celui de la tradition poétique-amoureuse (et notamment au Cantique des cantiques), n’a que peu de rapports avec celle de quelque aventure galante : d’abord bien sûr parce que cette femme qui va nuitamment rejoindre son amant à quelque rendez-vous secret est explicitement désignée par l’auteur comme la figure de l’âme cherchant à s’unir spirituellement avec son Dieu ; mais aussi, mais surtout peut-être, parce que la « nuit obscure » où, pour ce faire, cette âme-amante se risque, est ellemême très particulière – « extraordinaire » dirait peut-être Giono –, dite d’abord « heureuse » : 14
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En la nuit heureuse en secret nul ne me voyant ni moi ne regardant rien sans autre lumière ni guide que celle qui dans mon cœur brûlait Avant que d’être qualifiée d’« aimable plus que l’aube » : Ô nuit qui me guidas ô nuit aimable plus que l’aube ô nuit qui joignis l’aimé avec l’aimée l’aimée en l’aimé transformée Les autres nuits, les nuits « ordinaires », en général égarent, mais celleci, et bien que dite « obscure » – nulle mention, remarquons-le, de la présence de quelque « lune » et autres « étoiles » dont les poètes aiment pourtant à agrémenter ce genre de pièces –, au contraire « guid(e) » ; et si elle a ce pouvoir, c’est sans doute parce qu’elle est « aimable plus que l’aube », façon de signifier que ce mot de « nuit » ne doit pas être pris ici au sens (« ordinaire » : vulgaire) du contraire du jour, mais bien plutôt en celui de cela qui porte la succession des nuits et des jours, parce qu’il est en réalité toujours en avant – antérieur – à un plus originaire-que – de cette succession même. Cette « nuit » est « aimable plus que l’aube » parce qu’en vérité elle est celle, non d’une absence de lumière, mais de l’élément d’« obscur » où se fomente la décision de cette absence ou non – pour le dire plus abruptement (et en mode peu ou prou paradoxal) : parce qu’elle est, justement, « obscure » (oscura), et probablement la plus obscure de toutes les nuits obscures, cette « obscurité » constituant précisément le « guid(e) » de l’âme qui, en cette noche oscura, s’est aventurée : Celle-ci me guidait plus sûrement que la lumière de midi au terme où m’espérait celui que moi je savais bien en lieu où nul me paraissait 15
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C’est donc l’obscurité même de cette « nuit obscure » – et parce que cette obscurité est « aimable plus que l’aube » : parce que cette obscurité à la préséance sur la lumière (qu’elle soit « de midi » ou de l’« aube ») – qui « guide » le personnage allégorique de saint Jean ; mais qui le « guide » vers quoi au juste ? Réponse du poète : en lieu où nul ne paraissait Or c’est à ce « lieu » qu’il nous faut nous-mêmes à présent venir – nous qui, en cette venue, avons été guidés, non par l’obscurité de la nuit, mais peut-être par celle du poème. Ce « lieu » est bien sûr celui, probablement convenu à l’avance, où « l’aimée et l’aimé » doivent se retrouver pour s’unir en mode tout à la fois (poétiquement) charnel et (allégoriquement) spirituel : En mon sein fleuri qu’entier pour lui seul je gardais là il resta endormi et moi je le caressais et l’éventail des cèdres l’aérait Mais il est aussi celui où, comme on l’a vu au vers cité plus haut, « nul ne paraissait » – en parte donde nadie parecia – ; et aussi bien, en « forçant » un peu la traduction : « au lieu où rien ne paraît » – voire : « en lieu où le rien paraît » ; voire encore : « en lieu où rien n’(ap-)paraît » (ce qui serait somme toute assez logique, dans la mesure où c’est l’obscurité même de cette « nuit obscure » qui, en un tel « lieu », nous a guidés : cherchant par là à nous faire rallier son « cœur le plus obscur » – son effectif noyau de ténèbres). Ce « lieu » est donc – de par sa « situation » même : de par son essence de « cœur des ténèbres » – comme le centre de la « nuit obscure » qu’explore le poème ; et nuit qui, en retour et du fait de son « obscurité » même, ne peut avoir en effet comme centre (ou « cœur ») qu’un « lieu » lui-même « plus obscur que l’obscur » (comme il y avait jadis des lessives qui « lavaient plus blanc que le blanc ») ; c’est-à-dire un lieu qui n’est pas tant « plongé dans l’obscurité » qu’origine de l’obscur dont est tissée cette obscurité même : ce pourquoi, en un tel « lieu », « rien ne peut paraître » – mais non pour la raison qu’y régnerait une grande obscurité (qui empêcherait 16
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de « voir » l’apparence des choses : d’assister à « l’apparaître » de celles-ci), plutôt pour celle que ce lieu se situerait « en avant » de la formation/configuration de toute « apparence » : en quelque sorte antérieur-à tout « apparaître » (et probablement aussi peut-être, du fait de cette antériorité – ou de cette « préséance » –, décidant de cet « apparaître » ou non : de la venue ou non de l’« aube », ou du « matin », ou du « midi », etc.). Or c’est en ce « lieu » (en parte) très particulier – que le traducteur, comme poussé par la nécessité de trouver un équivalent de tonalité temporelle à ce « spatial, trop spatial » mot de « lieu », appelle aussi « terme » –, que l’aimé attend, « espère » (esperaba), l’aimée engagée dans la traversée de cette « nuit obscure », « heureuse » et « aimable », jusqu’à parvenir… au terme où m’espérait celui que moi je savais bien en lieu où nul ne paraissait Dans le texte original : adonde me esperaba quien yo bien me sabia en parte donde nadie parecia Où le jeu d’écho – qu’a refusé le traducteur – entre cet adonde et ce donde dit bien que ce qui est ici médité n’est pas tant le « lieu » (parte) que le « où » (donde) où va avoir « lieu » l’instant de la rencontre et de l’union entre l’aimé et l’aimée – « lieu de l’instant, à l’instant où il a lieu » – ; et « où » qui est sans doute le même que celui qui traverse de son sens mystérieux, « obscur », la question adressée au veilleur d’Isaïe : « Veilleur, où en est la nuit ? » L’aimée, guidée par l’obscurité de la nuit, traverse « sûrement » (cierto) cette nuit, car elle « sai(t) bien » (bien me sabia) où se trouve son aimé : au plus obscur de l’obscur de cette nuit ; si bien que pour le (re)trouver il suffit de suivre le chemin de cet obscur même s’enfonçant en/vers toujours plus d’obscurité : quand cette obscurité sera devenue totale – que son « cœur de ténèbres » aura été rallié –, alors elle « saura » du même coup qu’elle a rejoint le « lieu » où son aimé l’attend en l’« espér(ant) » ; et « lieu » qui sera dès lors le donde où pourra « avoir lieu » l’instant de leur union. Si donc ce « lieu » est dit par le poète celui « où nul ne paraî(t) », c’est parce qu’il est aussi « le lieu de l’instant, à l’instant où il a lieu », 17
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c’est-à-dire le « lieu » où, espace et temps (« lieu » et « terme ») connectés, quelque chose comme un donde peut prendre sens, et cela parce qu’un tel donde – en français : le petit pronom relatif « où » – est toujours en avant de tout « apparaître » qu’il pré-cède (quoiqu’en le mode, non d’une prédiction, mais d’une pro-phétie). Et en effet, si l’on y songe, quel sens peut bien avoir, dans la question du « où en est la nuit ? » d’Isaïe, ce petit vocable de « où », censé relever du registre de la spatialité, et qui pourtant, ici, fait porter sa question sur celui de la temporalité, comme s’il était par exemple demandé au veilleur : « en quel lieu se trouve la nuit ? », question que bien sûr, formulée en ces termes, personne ne comprendrait, et même probablement jugerait absurde (alors que tout le monde comprend sans effort la même question sitôt qu’on remplace le mot de « lieu » par celui de « où »). C’est donc que le « où », tout en ayant capacité à indiquer le « lieu », dit toujours plus que le seul « lieu » de sens strictement spatial : disant en quelque sorte le « lieu du temps », c’est-à-dire encore « l’instant », mais l’instant « à l’instant où il a lieu » – le lieu de l’instant que dit précisément ce où, en tant que son sens est plus originaire que ceux de « lieu » ou d’« instant » entre lesquels, sans nullement les désavouer, il établit une sorte de connexion par quoi espace et temps – aimée et aimé – ont loisir de s’unir « en lieu où nul (ni cet espace ni ce temps) ne paraît », et « lieu » qui n’est rien d’autre que le où… où a « lieu » l’instant – et aussi bien : que l’instant où prend sens, nocture racine, le où de la question du « où en est la nuit ? » : On me crie de Séir : « Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? » Le veilleur dit : « Le matin vient, et la nuit aussi. » Le veilleur est ici le prophète (« on me crie ») qui scrute la nuit, non pour lire en ses « rassemblements » d’astres quelque signe susceptible de pré-dire l’à-venir, mais pour voir l’obscur même de cette « nuit obscure » : le sans-fond où s’enracine le temps et qui est la source de toute « vision », à commencer par celle du prophète (Isaïe), mais « vision » dont ne sont nullement exclus le mystique (Jean de la Croix) ou le poète (Rimbaud) – à condition qu’ils sachent eux aussi s’enfoncer en cette nuit « obscure » et « sans fond » par l’exploration de laquelle vient à l’esprit humain l’intuition de la résolution silencieuse de tous les antagonismes du jour. 18
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*** J’ai moi-même relaté, dans un récit de voyage intitulé Les Silences de Marrakech, l’expérience d’une telle « nuit » et de l’« extase » (peu ou prou « artificielle ») qui en procéda ; et « nuit » qui, prenant pour cadre général une dérive au sein de l’immense médina de la capitale berbère, finit par ressembler à ceci : Il me semblait qu’en me réveillant dans la nuit chaude j’étais brusquement sorti d’un puits pour regarder la face obscure du monde. C’était comme dans le mythe de la caverne platonicienne, sauf que la mienne ne débouchait pas sur la lumière, le soleil du Vrai, mais sur encore plus de ténèbres. Ombre sur l’ombre, les palmiers bougeaient à peine contre le fond bleu et noir du ciel : comme si elles méditaient elles aussi, comme si elles cherchaient elles aussi à faire venir la parole que je poursuivais. Les astres semblaient si proches que j’aurais pu les toucher rien qu’en étendant le bras. Mais je me contentais de les effleurer du regard, les laissant à leur faction muette audessus de la ville endormie. Passer pour qu’ils continuent de luire, parler pour qu’ils continuent de se taire. Demain sans doute, bientôt en tout cas, je serais parti, j’aurais quitté cette cité où je n’écrivais rien ; pour l’heure je voulais seulement approfondir en moi ce sentiment de stupeur émerveillée, aller au bout de cette parfaite solitude sous les nébuleuses. Puis quelque chose, en moi et en dehors de moi, se déclencha : je me mis à marcher en direction d’un point du ciel qui semblait se déplacer. Ou plutôt : c’était tout le ciel qui s’était mis en mouvement à la poursuite de ce centre ineffable. Les soleils tombaient vers lui sans jamais s’y abîmer ; les galaxies allongeaient infiniment leurs volutes sans parvenir à l’atteindre. Tout l’espace vibrait de leur mouvement amoureux, mais le point, lui, continuait de s’enfuir et le temps de s’écouler par ce trou qu’à chaque fois il perçait dans l’enveloppe du monde. Je compris alors que ce que je poursuivais dans mes écrits comme dans mes dérives n’était pas autre chose : une faille, un rien qui, en se dérobant, avait mis l’univers en marche, un silence qui au commencement avait invité les choses à venir. Là-bas sans doute le dieu dansait en se fuyant lui-même, en se retirant de l’espace. Là-bas, la création continuait d’avoir lieu : ordre et chaos toujours s’affrontaient et s’épousaient en une silencieuse mêlée. Mais ici, dans la ville accablée de chaleur, j’étais le seul à observer ce combat, le seul à voir l’origine et la fin : 19
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comment, tout au bout de l’espace et du temps, le dieu fait signe puis s’éclipse, nous laissant pour mémoire ce sillage d’étoiles. À relire ces lignes à près de quinze années de distance, je vois bien combien les pensées qui m’occupent aujourd’hui étaient déjà les miennes : même si, à cette époque où je me figurais faire « œuvre littéraire » – c’est fini –, elles n’étaient pas encore devenues le centre de ma (présente) méditation – le véritable « objet de mon amour », comme dit Bossuet – ; c’est lorsqu’on laisse derrière soi la prétention toujours peu ou prou narcissique d’être cet écrivain (ou ce poète, ou ce philosophe) qu’on s’ouvre la possibilité, si l’on a beaucoup de chance, d’en devenir vraiment un… Mais à l’évidence, dès ces années lointaines, des expressions telles que ce « centre ineffable » vers lequel « tombent » « soleils » et autres « galaxies », ou que ce « trou (percé) dans l’enveloppe du monde » par où le « temps s’écoul(e) », ou encore ce « rien qui, en se dérobant, (a) mis l’univers en marche » faisaient déjà signe vers le où de la question du « où en est la nuit ? » que j’examine présentement ; et en ce sens, sans le savoir encore clairement, j’étais déjà ce « veilleur » qui assiste aux venues conjointes du « matin » et de la « nuit » parce que lui aussi, tout comme mon narrateur égaré dans son immense dédale urbain, « vo(it) l’origine et la fin », « le dieu qui, tout au bout de l’espace et du temps, fait signe puis s’éclipse, nous laissant pour mémoire ce sillage d’étoiles » : Je marchai longtemps cette nuit-là, traversant des quartiers que je n’avais jamais explorés jusqu’ici : médinas désertes et silencieuses au-dessus desquelles les astres semblaient les seules choses vivantes. Ils tournoyaient très loin audessus de ma tête, s’organisant en cités stellaires composées chacune de milliers de soleils et je n’avais qu’eux pour me guider. Un sentiment de vertige me gagnait lentement. Perdu dans l’immense dédale marrakchi, emprisonné au fond de ses boyaux étroits, je ne pouvais m’ouvrir que vers le ciel, ne me fier qu’à lui. Mais les signes qui le constellaient n’étaient-ils pas ceux d’un autre labyrinthe infiniment plus vaste et plus complexe ? Ainsi le réseau de la ville humaine répondait-il à sa manière à la complexité cosmique dont il n’était que le miroir « obscur et plaintif ». L’intuition que cette cité morte établissait chaque nuit avec son ciel une sorte de dialogue muet, instaurait avec les astres une contemplation réciproque, dont à cet instant j’étais le médiateur, s’imposa dans mon esprit : l’univers se reflétait dans Marrakech et Marrakech, à son tour, trouvait dans son firmament tous les éléments 20
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nécessaires à la compréhension de sa nature singulière… Oui, là-bas, derrière toutes les épaisseurs, par-delà toutes les distances, il y avait le fond radieux du monde, le feu insoutenable du dehors dont les étoiles, dans leur splendeur, ne sont que les pâles témoins. Mais comment le rejoindre ? Comment jeter le regard de l’autre côté ? Au-dessus de moi, les astres s’étaient encore rapprochés, la cité bourdonnait très faiblement et cette rumeur imperceptible semblait une louange à leur inaccessibilité. Or c’est bien aux deux questions que posent les deux « comment » de ce « rejoindre » et de ce « jeter » qu’il me faut aujourd’hui, après tant d’années, essayer de répondre : plus moyen, à présent, de me dérober ; et bien souvent les interrogations que soulève – en ce mode littéraire et étourdi – la jeunesse sont celles-là mêmes qui, l’âge venu, vous reviennent tels des boomerangs qu’il s’agit cette fois-ci d’attraper au vol, c’est-à-dire en l’occurrence de prendre au mot. Veilleur, où en est la nuit ? Réponse (shakespearienne) : « À cette heure encore indécise de sa lutte avec le matin. » Comment jeter le regard de l’autre côté ? Réponse (lecozienne) : en écrivant un ouvrage qui, par exemple, s’intitulerait Veilleur, où en est la nuit ? La question du prophète s’entête, demeure en sa grande pro-fondeur et a-byssalité ; et elle le fera tant que, cet ouvrage, je ne l’aurais pas rédigé : poursuivons donc. Ce qui dès l’abord frappe en l’extrait de ces Silences que je viens de citer – et une telle pratique de l’auto-citation ne doit pas être interprétée ici comme un effet de mon immodestie : je ne suis que ce « métaphysicien » (pour dire vite) qui se penche sur l’œuvre du « poète » qu’il a été (ou qu’il s’est, en des temps lointains, figuré être) –, c’est qu’il s’inaugure par une référence à la « scène primitive » de toute philosophie qu’est l’allégorie de la caverne platonicienne : Il me semblait qu’en me réveillant dans la nuit chaude j’étais brusquement sorti d’un puits pour regarder la face obscure du monde. C’était comme dans le mythe de la caverne platonicienne, sauf que la mienne ne débouchait pas sur la lumière, le soleil du Vrai, mais sur encore plus de ténèbres (…) Intuition dont, à l’époque, j’ignorais qu’elle recoupait celle de certains mystiques affirmant que, à l’issue de leur traversée de la « nuit (mystique) », ils avaient découvert, non pas la lumière du divin – celle que porte en elle, par exemple, l’« aimée » du poème de Jean de la Croix : 21
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sans autre lumière ni guide que celle qui dans mon cœur brûlait – , mais une autre nuit, plus profonde et plus « obscure » encore que la première – plus opaque et terrifiante – ; et « nuit » dont on pourrait dire qu’elle est comme une « nuit derrière la nuit » : constituant son « sansfond » et son « a-byssal » mêmes – encore une fois : sa « profondeur », mais « profondeur » cette fois-ci « sans étoiles ». Le « reproche » que, dans cette perspective, on peut adresser à Platon – et, par extension, à toute la pensée « philosophique » qui a suivi et dont il est l’initiateur/inaugurateur incontesté (même les anti-platoniciens le reconnaissent : cf. Heidegger professant que la métaphysique en son entier ne sort jamais de la sphère platonicienne) –, c’est qu’il n’est pas demeuré suffisamment longtemps en sa caverne, c’està-dire ici en la « nuit » que je dis : plutôt que de chercher à s’extraire au plus vite de son obscurité (à tout le moins : de sa pénombre), il aurait dû au contraire, en cette obscurité, chercher à s’enfoncer toujours plus, et cela jusqu’à atteindre ce qu’au développement précédent j’ai appelé, m’inspirant d’un titre de Conrad, le « cœur des ténèbres ». Ce « cœur des ténèbres » est, on l’a vu, le « lieu de l’instant à l’instant où il a lieu », et « lieu » d’où, littéralement, sourd le temps à la manière d’une source qui suinterait tout au fond de la caverne du monde dont le ciel est la paroi constellée – la même où se projettent les « apparences » platoniciennes – : ce pourquoi, plus loin en ces Silences, ce lieu est décrit comme « le centre ineffable » vers lesquels « tomb(eraient) » – quoique sans pouvoir « jamais s’y abîmer » – les astres et autres nébuleuses de ce ciel mis en mouvement par l’inaccessibilité – en le mode d’un dérobement – de ce « centre » même toujours en-allé, toujours « enf(ui) » : Les soleils tombaient vers lui sans jamais s’y abîmer ; les galaxies allongeaient infiniment leurs volutes sans parvenir à l’atteindre. Tout l’espace vibrait de leur mouvement amoureux, mais le point, lui, continuait de s’enfuir et le temps de s’écouler par ce trou qu’à chaque fois il perçait dans l’enveloppe du monde (…) On jugera que, pour rendre compte d’un tel processus de jaillissement du flux temporel, ces considérations sont bien peu « claires » – bien peu (aurait peut-être dit Platon) « philosophiques » – ; mais justement la pensée 22
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de type « philosophique » – cette « manière très particulière de penser » disait Hegel –, et par ce tropisme qu’elle illustre de vouloir s’extraire prématurément de la caverne du monde, du ciel – de vouloir en toutes choses le faire-lumière-sur (ces choses) : la venue du « matin » – ne peut que manquer la vision droite en direction de ce processus même : car ici, et comme dans le cas de l’« aimée » de Jean de la Croix, c’est l’obscur et non le clair qui doit nous guider. La sortie est au fond de l’espace ; c’est-à-dire au fond du « plus obscur de l’obscur » : « là-bas » où « le dieu dans(e) en se fuyant lui-même, en se retirant de l’espace », et, par ce retrait, en donnant naissance au temps. Il ne s’agit donc pas tant ici de laisser derrière soi les « apparences » et leur « illusion » – comme le préconise Platon en son « allégorie » – que de, ces « apparences », les traverser pour aller rejoindre, « de l’autre côté » de la paroi-céleste-stellaire, « le fond radieux du monde, le feu insoutenable (d’un grand) dehors » : Oui, là-bas, derrière toutes les épaisseurs, par-delà toutes les distances, il y avait le fond radieux du monde, le feu insoutenable du dehors dont les étoiles, dans leur splendeur, ne sont que les pâles témoins. Mais comment le rejoindre ? Comment jeter le regard de l’autre côté ? (…) Et à l’époque où j’écrivais ces lignes, la réponse à ces questions était pour moi évidente : consistant en ces dérives nocturnes « dans la ville accablée de chaleur », en la poursuite inlassable de ce « rien qui, en se dérobant, avait mis l’univers – en réalité : le temps – en marche », « de ce « silence qui, au commencement, avait invité les choses à venir »… comme je vois bien aujourd’hui – maintenant que ces années et cette ville sont si loin derrière moi : « perdues derrière (un) horizon » tout à la fois spatial et temporel – que cette réponse ne peut plus consister qu’en la rédaction que je fais ici de ce Veilleur, où en est la nuit ? : à la quête en mode spatial-urbain ayant succédé celle en mode temporel-scripturaire, et quête qui, à présent, ne pourra faire autrement que d’aller jusqu’à son (non-)terme (ce pourquoi aussi, tant que je vécus à Marrakech ou en toute autre « ville accablée de chaleur », « je n’écrivis (jamais) rien »). Dérive et écriture, marche et parole – les premières regardant l’espace, les secondes le temps – sont bien, comme je le notais dès le premier tome de la Profondeur : « Marcher c’est parler pour l’espace, parler c’est marcher pour le temps » les deux versants d’une « pratique » plus originaire, et pratique qui ne cherche rien d’autre qu’à rallier le où – lui aussi plus originaire car ayant trait à « l’éternel » – « où » 23
TABLE DES MATIÈRES
« Nuit des nuits » et naissance du temps : quel est ce où « où en est la nuit » ? ................................................................ 5 « La nuit derrière la nuit » : du clair et de l’obscur (I) (une relecture des Silences de Marrakech) ..................................................... 19 Du clair et de l’obscur (II) : « nuit obscure » de Jean de la Croix et « nuit épaisse » de Shakespeare ................................................................ 32 Libération de l’espace et libération du temps : poème espagnol et tragédie anglaise (Retour à Gethsémani (I)) ................... 45 Retour à Gethsémani (II) : notes sur le « Le Christ aux oliviers » de Gérard de Nerval ................................................................................... 57 « Extase au noir » et « Nuit de Grignan » : temporalisation du poète et personnalisation du temps ............................... 71 L’autre « nuit de Grignan » (I) : « abîme réel » et « silence de Dieu »… .............................................................................. 86 L’autre « nuit de Grignan » (II) : sous le signe d’Orion ......................... 100 « Cela qui nous regarde » et « cela qui ne nous regarde pas » : « connaissance (par les gouffres) » et prière ................................................ 112 Notes sur le recueil « À Henry Purcell » de Philippe Jaccottet (I) : sous le signe de la Lyre (« clef bleue » et clef blanche ») ............................. 124 Notes sur le recueil « À Henry Purcell » de Philippe Jaccottet (II) : le dialogue avec les morts .......................................................................... 136 « Tisserand » Purcell et « sculpteur » Vinteuil : la musique comme l’écho en ce monde « terrestre », non du divin, mais de son « défaut » ........................................................ 150 « Preuve par le néant de l’existence de Dieu » : « Berger de l’être » et « Témoin du néant » (fond et sans-fond) .................. 162 Notes sur le « Dieu à l’extrême » de Heidegger : « comble de lointain » et « comble de proximité » du divin (« jusqu’ici » de l’Incarnation) ........... 174 Notes sur les Apports à la philosophie de Heidegger (I) : le nazisme comme un « paganisme judéo-christiquement équipé » ............ 186 Notes sur les Apports à la philosophie de Heidegger (II) : de la « vérité et (de) la grandeur interne du national-socialisme » ............... 197 Notes sur les Apports à la philosophie de Heidegger (III) : « hérésiarque » Luther, « orateur » Fichte et « apostat » Heidegger (de la supposée « originarité » supérieure de la langue allemande) ............. 207 763
VEILLEUR, OÙ EN EST LA NUIT ?
« Essence des peuples et mission des nations » : du « kitsch historial » illustré par le national-socialisme ............................. 219 Notes sur la traduction-Fédier des Apports de Heidegger : du « brouillage » de la réception par la France de la « pensée-Heidegger » ........................................................................ 230 De la thèse fichtéenne de l’« originarité » supérieure de la langue allemande : du local et de l’universel (notes sur le Nazisme et révolution de Fabrice Bouthillon) ......................... 242 De l’économique et du politique : que veut le peuple ? (Justice et vérité) ........................................................ 254 Du théologique, du politique et de l’économique : oublier les catégories de l’« économisme » ? ............................................... 266 Ange des nations et Dieu des peuples : l’Europe et la Vierge Marie… ................................................................... 276 Perdition et redressement : la « Rolex » et le « scooter » (notes sur la « critique de l’assistanat » et l’usage du « bracelet électronique ») ....................................................... 287 « Amis de la vérité » et « organisation du mensonge » : « la vérité est ailleurs » et « Faut pas chercher à comprendre » .................... 297 Du statut de la « vérité » aux temps spectaculaires : notes sur l’affaire de la disparition du Boeing de la Malaysia Airlines (« complotistes » et « comploteurs ») ...................... 308 « Écrivain secret » et « auteur difficile » : la « culture du soupçon » comme forme atypique de la censure aux temps spectaculaires .................. 319 « Fidélité à la vérité » et « liberté d’expression » : notes sur les « réseaux sociaux » (« expression de l’opinion » et « illustration » de la vérité) .................................................................... 330 « Dissolution de la vérité » et « faillite du voir » : nuit qui « hésite » et nuit qui « bascule » (notes sur Au bout du labyrinthe de P.K. Dick) .......................................... 340 Qu’est-ce que « veiller dans la nuit du monde » ? Anciennes évidences et mensonges nouveaux (l’insurrection de la vérité) .. 350 Désert géographique et désert « médiatique » : notes sur la « théorie du grand remplacement » de Renaud Camus (« peuple spectaculaire » et « peuple réel ») ................... 361 Du concept sociologique de « classes moyennes » : « pauvres réels » et « pauvres spectaculaires » (notes sur les « sans-dents » et autres « illettrés ») ....................................... 372 764
VEILLEUR, OÙ EN EST LA NUIT ?
Dissolution de la vérité et destruction du « lien social » : du choix du séjour au désert par les « témoins de la vérité » (notes sur la question du « Comment faire baisser le FN ? ») ..................... 383 Les véritables raisons de « la montée du FN » : notes sur le « livre de révélations » d’une ex-« première dame » (I) ............. 394 Notes sur le « livre de révélations » d’une ex-première dame (II) : « amazones de la République » et « Ginette élyséenne » ............................. 405 « Faire-honte-à » la vérité et « hommage de la vertu au vice » en temps spectaculaires (notes sur les « chouchous du Spectacle » en particulier et la situation de l’édition contemporaine en général) .......... 416 Configuration nouvelle de la vieille « lutte des classes » : vers une redistribution des cartes idéologiques de la vie politique (notes de 2014 sur les élections de 2017) ...................... 427 Notes sur le mouvement des « Bonnets rouges » : local (concret) contre universel (abstrait) (du combat pour la vérité) ........... 438 Du réformisme « sociétal » comme alibi idéologique de la domination : « modèle républicain » français et « modèle communautariste » anglo-saxon (« laïcité » et « diversité ») ..... 449 De l’effacement du « politique » (quand les bobos font de la philo) : de l’essence théologique de la domination (notes sur la question du travail dominical) ............................................... 458 Oubli de la théologie et venue à prééminence de l’économie politique : mystère et vérité ................................................. 469 Mystère et domination (I) : encore Heidegger (retour à Plogoff) .......... 479 Mystère et domination (II) : une critique « spirituelle » du combat « écologiste » (notes sur les éoliennes) ...................................... 490 Écologie, néo-paganisme et domination : une critique « chrétienne » de la théorie de l’oubli de l’être heideggerienne (« nihilisme » et « christianisme ») ....................... 501 De la « gestion du nihilisme » par la domination : « pensée unique » et « nihilisme réalisé » (Nietzsche et la domination) ...... 512 Retenir du divin et trafic d’essences : Dieu est-il nihiliste ? ................... 525 « Les enfants gâtés de l’histoire » : « Fidélité à la terre » nietzschéenne et « Quadriparti » heideggerien ........... 535 « Il n’y aura pas de réconciliation » : sauvetage des essences et salut des âmes (nihilisme et antisémitisme) ........................................... 546 Retour sur la planète Pandora : écologie et néo-paganisme chtonien (du concept de la « Terre-Mère ») (notes sur la série Game of Thrones) ....... 558 765
VEILLEUR, OÙ EN EST LA NUIT ?
L’écologie comme (néo-)« archaïsme techniquement équipé » : fusion avec la Mère et « retour au Père » (notes sur Les Tombeaux d’Atuan d’U. Le Guin I) ...................................... 569 Notes sur Les Tombeaux d’Atuan (II) : temps, lumière et mortalité (dévoration et résurrection) ............................ 580 Notes sur Les Tombeaux d’Atuan (III) : secret des ténèbres et lumière de la Résurrection ....................................... 592 Le Samedi saint de l’histoire : Dieu au tombeau et « Dieu qui est en nous » (la présence est morte) .................................... 603 Combat entre présence et profondeur : du « local » et du « global » (la « guerre de l’espace ») ................................................... 613 La « guerre du temps » : occupations et blocages (notes sur le À nos amis du « Comité invisible » I) ..................................... 624 Bonheur et mystère : question et réponse (de l’Occident et de l’« occidentalisme ») (notes sur le À nos amis du « Comité invisible » II) .................................... 635 Option révolutionnaire et option fasciste : de la « guerre » et de la « paix » (notes sur le À nos amis du « Comité invisible » III) .......... 647 Révolution et porcinité : la question de la « dette » .............................. 660 Sens et valeur : notes sur l’attentat contre Charlie Hebdo (I) (la « liberté d’expression »… mais pour « exprimer » quoi ?) ...................... 671 Notes sur l’attentat contre Charlie Hebdo (II) : de l’« islamophobie » et de « l’amalgame » ................................................. 682 Notes sur le Soumission de M. Houellebecq : soumission et lassitude… .......................................................................... 694 Un séjour à Rocamadour : soumission et suspension (de la poésie de Péguy et de la « beauté » du texte coranique) .................... 706 Islam, Incarnation et nihilisme : une religion essentiellement politique ........................................................ 719 Islam et domination : notes sur le mouvement « Pegida » et le « droit à l’islamophobie » ................................................................... 730 Domination et arianisme : « islam des Lumières » et « haine de l’Incarnation » ...................................................................... 741 Islam et nihilisme : insuffisance de l’analyse « marxiste » de la question du fondamentalisme (transcendance de la transcendance) .. 751
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DU MÊME AUTEUR « L’Europe et la Profondeur » aux Nouvelles Éditions Loubatières L’Europe et la Profondeur, 2007 Traité du Même, 2009 L’Empire et le Royaume, 2010 Le Voyage des morts, 2011 Le Secret de la vie, 2012 L’Ancien des jours, 2013 Le Pays silencieux, 2014
Additions à L’Europe et la Profondeur : L’Atelier du silence, 2016 Veilleur, où en est la nuit ?, 2017 Une porte sur l’été (en préparation) Le Secret de la domination (en préparation)
Autres ouvrages : POÉSIES Le Pays du soir, Multiples-Fondamente, 1991 Chambre haute, N.R.F., n° 481 et 482, puis Sables, 1995 Le Silence des villes, L’Arrière-Pays, 1995 La Servante claire de l’origine, À chemise ouverte, 1996 La Fleur d’ivoire du temps, Cadratins, 1999 La Ville est comme un puits, Voix d’encre, 2000, peintures de Marieke
FICTIONS Une Ville rose et noire, Fleuve Noir, 1995 Plein Sud, Arléa, 2001 Toulouse, la chambre et le fleuve, Le Laquet, 2002 L’Extase au noir, Apogée, 2003
La Nuit de Jaïsalmer, Le Laquet, 2004 La Tanière du soleil, Apogée, 2004 Le Fleuve des morts, Apogée, 2006 La Saison spirituelle, La Part Commune, 2007 Le Rêveur de Margeride, La Lauze, 2007 L’Autre versant du jour, Le Rocher, Prix Prométhée 2007 de la nouvelle Les Bords du Monde, Apogée, 2008 La Ville rouge, La Part Commune, 2008 Le Nom de la lumière, La Part Commune, 2011 Les Clandestins du jour, Éditions Le Soupirail, 2017
VOYAGES Le Piéton de Toulouse, Rando-éditions, 2000, rééd. 2005 Voyage au cœur du Rouergue, Loubatières, 2003 Maroc, cirque de Taghia et hauts plateaux, Les Imaginayres, 2003 Auvergne, la source de l’espace, Loubatières, 2005 Finistère, le royaume d’Occident, La Part Commune, 2006 Le Piéton de Marrakech, Rando-éditions, 2007 Triptyque Sud marocain, Pimientos, 2007 Visite en Aveyron, Loubatières, 2007 La Ruche, Nicolas Chaudun éditeur, 2007 Bordeaux, les miroitements du temps, Pimientos, 2008
ESSAIS Vermeer ou l’action de voir (en collaboration avec P.E. Laroche), La Lettre Volée, 2007
On me crie de Séir :/« Veilleur, où en est la nuit ?/Veilleur, où en est la nuit ? »/ Le Veilleur dit :/« Le matin vient, et la nuit aussi. » À partir de cette citation du prophète Isaïe, Pierre Le Coz a bâti une de ses vastes méditations dont il a le secret ; et méditation en laquelle, sur la base notamment d’interprétations approfondies du « Christ aux oliviers » de Nerval, de la Noche oscura de saint Jean-de-la-Croix, du Macbeth de Shakespeare, de poèmes « nocturnes » de Philippe Jaccottet et des Apports à la philosophie d’Heidegger, est examinée la nature très particulière de ce où « où en est la nuit ». Mais, comme d’habitude chez Pierre Le Coz, ces analyses, qui pourraient sembler relever des seules catégories de la métaphysique ou de la « mystique », ne cherchent rien d’autre qu’à jeter le regard le plus lucide et le plus « pratique » sur notre présente situation, époquale et spirituelle : tant, pour cet auteur, la pensée, fût-elle « la plus profonde », n’a d’intérêt que si elle cherche à opérer dans son « siècle sien ». Ce pourquoi, faisant suite à ces analyses de textes littéraires ou philosophiques, on en trouvera d’autres qui elles – pour examiner notamment le processus à l’œuvre en nos temps « spectaculaires » de la « dissolution de la vérité » – ne dédaignent pas de s’attaquer à des sujets de l’actualité la plus triviale : la disparition mystérieuse d’un avion dans le ciel d’une planète supposée « sous contrôle », le livre de « révélations » d’une ex-première dame, une jacquerie en Bretagne, le succès planétaire d’une série télévisuelle d’« héroïc-fantasy », la montée en puissance d’un parti « populiste » en France ou d’un autre « islamophobe » en Allemagne, un attentat islamiste à Paris, etc. En ce sens, ce Veilleur, neuvième tome de L’Europe et la Profondeur, ne propose rien d’autre à son lecteur qu’une « plongée sans frémir » en les ténèbres extérieures de sa propre époque et une confrontation avec le vertige, « époqual et spirituel », qui surgit de cette plongée-même ; et confrontation qui oblige ce lecteur, pour reprendre les termes de l’énigmatique parole du Prophète, à se déterminer sans faux-fuyant entre la possibilité d’un « redressement » (la « venue du matin ») et l’abandon toujours plus séduisant à un « déclin » présenté comme irrépressible (le prolongement – en le mode de son épaississement indéfini – de « la nuit »). Pierre Le Coz est né en 1954. Ses premiers textes ont paru en 1993 dans la revue N.R.F. Il a publié depuis de nombreux livres : poésies, romans, récits de voyage et essais. Il a fait paraître entre 2007 et 2014 aux Éditions Loubatières une vaste Somme, L’Europe et la Profondeur, dont le présent ouvrage est la « continuation par d’autres moyens ». Originaire du Finistère, il vit aujourd’hui en Dordogne.
ISBN 978-2-86266-752-2 Georges de la Tour (1593-1652), La Madeleine à la veilleuse, huile sur toile. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
29 € 9 782862 667522