Un terrain à partager

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UN TERRAIN À PARTAGER textes Dominique Duthuit photographies Christophe Raynaud de Lage

Lo u b a tiè re s


Le cirque, un outil pédagogique pour les enfants ANNE TESSON PROFESSEUR DES ÉCOLES EN CLIS ÉCOLE LÉONARD DE VINCI À CHATENAY-MALABRY Je ne connaissais pas le cirque contemporain. Je l’ai découvert à l’Espace Cirque avec notamment Le Fil sous la neige et Après la pluie. J’ai eu envie de montrer tout ça à mes élèves qui ont entre 9 et 12 ans pour les aider à surmonter toutes leurs difficultés d’apprentissage, de dyslexie, de dysphasie, de manque de confiance… Chaque spectacle a été un choc pour eux. 10

« Jérôme Thomas leur a expliqué qu’on a le droit de se tromper, que l’accident emmène toujours ailleurs, vers des voies qu’on n’aurait peut-être jamais imaginées. » La question qui revient toujours, c’est : comment ils font ? Et pourquoi je ne ferais pas pareil ? Nous avons rencontré des artistes comme Jérôme Thomas et travaillé avec la compagnie de Nikolaus Pré-O-C-oupé sur le clown, les émotions, l’art de la chute. Jérôme Thomas leur a expliqué qu’on a le droit de se tromper, que l’accident emmène toujours ailleurs, vers des voies qu’on n’aurait peutêtre jamais imaginées. L’erreur, c’est la chose la plus dure à travailler en classe !

Superficie totale de l’espace : 4 429 m2 Campement : 600 m2 Espace chapiteau et accueil public : 3 900 m2.

CIRQUE TROTTOLA ET PETIT THÉÂTRE BARAQUE / BONAVENTURE GACON / MATAMORE. JANVIER 2014.


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CIRQUE BANG BANG / POST. FÉVRIER 2013.

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Plongée dans un monde méconnu DELPHINE LAGRANDEUR DIRECTRICE ADJOINTE

PAGE DE GAUCHE. COLLECTIF AOC / AUTOCHTONES. AVRIL 2010.

Aussitôt débarquée, j’ai été plongée immédiatement dans le cirque, un monde que je ne connaissais pas… Avec les artistes de cirque, le contact n’est pas le même qu’avec les artistes de théâtre ou d’opéra. Pour l’anecdote, ils ont presque tous des chiens, sauf Titoune du Cirque Trottola qui, elle, avait un cochon. Et dans les contrats, je me suis retrouvée à ajouter des tas de clauses que je n’avais jamais eues à penser, comme de ramasser les déjections canines (rires). On est comme une location mais sans bâti dans laquelle des personnes s’installent pour des durées longues de un à quatre mois.

La fragilité du cirque

NOMBRE DE COMMISSIONS DE SÉCURITÉ RÉUNIES À L’ESPACE CIRQUE ENTRE 2004 ET 2014 : 44.

Le petit monde du cirque est dur, il faut au minimum deux années pour monter une production qui, si elle ne marche pas, peut faire cesser toute activité à une compagnie, j’ai l’impression que la fragilité n’est pas la même dans le théâtre ! Chez nous, à l’Espace Cirque, les créations s’exposent, après deux années de répétition, il faut qu’elles trouvent trois années d’exploitation pour être rentables, comme pour Le Fil sous la neige des Colporteurs, répété et créé à Antony et qui a tourné pendant des années. Et s’il n’y a pas un accueil favorable, c’est dur ! Ainsi, pour Les Désaccordés, l’histoire sous chapiteau s’est terminée !


Notre cirque ! JEAN-LUC ET CHRISTINE RESTAURANT LES PÂQUERETTES Christine : Notre resto-crêperie, c’est une petite guinguette cachée en plein dans la zone pavillonnaire, on peut passer devant sans la voir. Il y a des gens du cirque qui mangent chez nous, surtout les techniciens qui montent et démontent les chapiteaux, ils se sentent à l’aise, je crois, ils arrivent en tenue de travail, un peu sales, ce n’est pas un problème, on passe un petit coup sur le carrelage, on échange des petits mots, on sympathise… Jean-Luc : Avec eux, il faut juste prévoir un peu plus de pain, parce qu’ils mangent bien, ils ont besoin de féculents parce qu’ils ont une activité physique ! Il y a aussi l’équipe du cirque Aïtal qui aime bien venir chez nous, ils sont sympas, il y a le grand Victor et sa compagne, la toute petite, on discute…

« Avec eux, il faut juste prévoir un peu plus de pain, parce qu’ils mangent bien, ils ont besoin de féculents parce qu’ils ont une activité physique ! » 28 28

Christine : On sent que ce sont des artistes qui sont ouverts sur le monde, pas enfermés dans quelque chose de tout tracé. Je me rappelle qu’ils disaient qu’ils avaient leur roulotte, mais qu’ils ont besoin d’aller vers l’extérieur pour sortir de leur quotidien. Jean-Luc : C’est intéressant de les rencontrer, parce que nous, on ne connaît pas ce monde-là. Quand on a une disponibilité, on va au spectacle et c’est rare qu’on soit déçus. On dirait qu’ils ont besoin de dépasser leurs limites, ils me montrent comment on peut s’engager de manière visible et concrète dans la vie, ça me transmet de l’énergie quand je me retrouve derrière ma crêpière. Moi, mais je ne le ferai jamais, je suis trop lunatique, mais j’aimerais mettre en scène mes crêpes avec un système vidéo en mettant au point une petite gestuelle, avec des moulinets à la con, en cassant des œufs… les gens diraient ouahh, impressionnés par ma performance et tous mes petits gestes techniques. !

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS À L’ESPACE CIRQUE (MOYENNE DE REPRÉSENTATIONS PAR SAISON) : 19 de septembre 2004 à 2007 33 de 2008 à 2010 45 de 2011 à avril 2014

LA FAMILLE MORALLÈS / RÉPÉTITION DE ANDIAMO. OCTOBRE 2012.




PAGE DE GAUCHE. CIRQUE TROTTOLA ET PETIT THÉÂTRE BARAQUE / AVANT L'ENTRÉE EN PISTE / MATAMORE. JANVIER 2014.

VICTOR CATHALA ET KATI PIKKARAINEN / CIRQUE AÏTAL / POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE. JANVIER 2012.

Les traces du cirque VICTOR CATHALA COMPAGNIE AÏTAL La Piste là (accueil en résidence-coproduction et diffusion du 3 au 14 décembre 2008), Pour le meilleur et le pour le pire (coproduction et diffusion du 31 janvier au 18 février 2012) L’Espace Cirque, c’est spécial, au milieu des grandes tours, de beaucoup de choses et de rien, c’est à l’écart, c’est ça qui fait son charme, je me souviens que pour sortir de la routine, je me promenais aux alentours, il y a un espace sauvage à côté avec une rivière, des hérons, des oiseaux migrateurs, c’est étonnant !

« On nous voit de loin avec notre logo Cirque Aïtal apposé sur les véhicules, c’est assez étrange de sentir le regard des gens, curieux, parfois désagréable. » Le campement. On arrive avec nos caravanes dans ce monde-là, c’est assez énorme, on nous voit de loin avec notre logo Cirque Aïtal apposé sur les véhicules, c’est assez étrange de sentir le regard des gens, curieux, parfois désagréable, il y a encore du travail à faire pour être acceptés. Ce n’est pas si facile de faire découvrir les à-côtés de notre métier, on est dans notre bulle, à chercher, à travailler, à transpirer avec tout le reste au dehors. Finalement, on est tous pareils, qu’on soit du cirque ou d’ailleurs, on a des hauts et des bas, on s’engueule et on s’aime, on cherche à raconter tout ça sur la piste pour partager un peu de chaleur humaine… Les hauts et les bas. En 2008, Marc Jeancourt nous a accueillis en résidence de création pour La Piste là. C’est la première fois qu’on débarquait à Antony. On avait un chapiteau tout neuf dont il fallait transformer les gradins. On a essayé de monter tout ça tant bien que mal, et il s’est mis à neiger, il y avait bien 20 cm d’épaisseur, il nous a fallu deux jours de montage, on a vécu des moments très rock ‘n’ roll, avec des problèmes de chauffage, d’un Algeco qui prenait le froid. Je me souviens d’un jour où on était très fatigués, on avait décidé de mettre le réveil avec une heure de décalage chacun, les uns après les autres, on toquait aux caravanes en pleine nuit pour déneiger le chapiteau. Le métier est souvent galère et l’hiver, c’est une tuerie, en même temps, on en rigole après ! C’est le genre de souvenirs qui revient dans les conversations, c’est comme un dépucelage ! Toutes les traces de ce que l’on vit, elles sont sur notre corps, dans nos cicatrices, c’est là où on peut lire toute notre mémoire.

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LISTE DES ANIMAUX ACCUEILLIS : Chat, chien, cheval, poule, cochon, dindon, oiseaux.

Le cahier de cirque CHRISTINE FOUQUES ENSEIGNANTE D’EPS AU COLLÈGE FRANÇOIS-FURET À ANTONY

FESTIVAL SOLSTICE / BARO D’EVEL CIRK CIE / LE SORT DU DEDANS. JUIN 2009.

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En classe, avant les spectacles, on se prépare, chaque élève a un cahier cirque où il met des photos, des petites critiques, des interviews. Et ce qui est très drôle, c’est que cette année, ils viennent aux spectacles avec leur cahier et leur petit stylo. Je trouve ça trop marrant de voir à quel point ils se prêtent au jeu !

PAGE DE DROITE. FESTIVAL SOLSTICE / BARO D’EVEL CIRK CIE / LE SORT DU DEDANS. JUIN 2009.



Un cirque sans esbroufe BONAVENTURE GACON COMPAGNIE TROTTOLA Volchok (du 5 au 16 décembre 2007) et Matamore (du 18 au 26 janvier 2014)

On est venus deux fois pendant une vingtaine de jours environ à Antony. Si je dois décrire le lieu, je dirais qu’il y a des grandes tours, un stade de foot où on entend les gens geuler, et des perruches, juste à côté, au bord de l’étang. Je me souviens du jour où on a dû aller chercher un poids lourd dans une énorme zone située dans le haut d’Antony, on n’avait rien pour se repérer, on s’est paumé dans ce no man’s land ! A priori, on peut penser qu’on ne va pas se sentir si bien dans cette banlieue et en réalité, on n’y est pas si mal, il n’y a pas de vol, pas de regard désagréable, les gens savent qu’on ne fait que passer…

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EXTÉRIEUR DU CHAPITEAU / NIGLOO / CIRQUE TROTTOLA ET PETIT THÉÂTRE BARAQUE. JANVIER 2014.

LISTE NON EXHAUSTIVE D’AGRÈS NOVATEURS : Cheval en bois, chapiteau miniature, chapiteau en destruction, trapèze avec une échelle.

TITOUNE EN COULISSE / CIRQUE TROTTOLA ET PETIT THÉÂTRE BARAQUE / MATAMORE. JANVIER 2014.


Monsieur Marc Jeancourt, le directeur, c’est un personnage qu’on aime bien, on a bouffé des pâtes avec lui, on s’est baigné dans la rivière, chez nous, à Die… Tout ça, ce sont des petits trucs qui font qu’aujourd’hui, on se cause en toute franchise. Quand on n’est pas d’accord avec lui, sur nos spectacles, ou sur sa programmation, on peut avoir des petites conversations animées. Le cirque, c’est des métiers, des caractères bien trempés, des émotivités, il est important de pouvoir confronter nos idées, surtout aujourd’hui où on vit dans une société où tout le monde fait semblant de faire des choses.

« Le cirque, c’est des métiers, des caractères bien trempés, des émotivités… » Ce qu’on défend, c’est la cohérence dans le travail entre l’artistique, le montage, le coût, la façon de faire… On cherche à créer une communion avec les spectateurs, sans esbroufe, c’est une question d’éthique, nous, on est dans une espèce de rien, dans une vérité incarnée, dans une émotion brute, on est un peu comme des cancres autour d’un jeu de billes. Le cirque, c’est une chose

précieuse qu’on a envie de préserver. Dans notre travail, on tente de réveiller une conscience que tout le monde connaît mais qui a tendance à rester enfouie. Ce qui peut nous faire réagir, c’est quand l’art, quelle que soit la discipline, est abîmé par un apport d’argent démesuré ou par des commandes de créations qui sont plus des « coups » que des œuvres sincères. Avec Marc Jeancourt, on discute de tout ça avec élégance, c’est important que la pensée fuse ! Malheureusement, trop souvent, c’est la crise entre les compagnies et les structures culturelles, je ne veux surtout pas dire qu’il y a des gentils et des méchants, mais il y a comme deux clans qui s’opposent, d’un côté, les artistes à qui on demande de faire les « zozos » sur la piste et de l’autre, des gens dans des bureaux. Je lutte pour qu’on réussisse à travailler ensemble et à briser la frontière qui nous sépare, ça ne nous dérangerait pas de diriger un pôle cirque ! Pourquoi pas ! À part les mondanités qui ne nous plaisent pas trop, on programmerait de belles choses ! Mais pour le moment, notre place, c’est d’être sur la piste et de jouer avec la pesanteur, le danger, le temps, les pannes de camion… Et qu’on soit à Antony ou ailleurs, chaque représentation est unique, entre la 1re et la 5e, les gens ne sont jamais les mêmes, je me dis juste qu’on vit à chaque fois une histoire intime, un peu comme au zoo, où on se regarde et où on se reconnaît !

BONAVENTURE GACON / CIRQUE TROTTOLA ET PETIT THÉÂTRE BARAQUE / MATAMORE. JANVIER 2014.

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Les artistes entrent dans notre vie MOHAMED BADACHI SPECTATEUR La découverte des campements. J’habitais à l’époque parvis de la Bièvre au 8e étage d’un immeuble de 17 étages qui surplombe l’Espace Cirque. Pour nous, cet espace c’était comme un compagnon. Tous les soirs je rentrais du travail et quand j’arrivais, mes enfants me disaient, Papa il y a une surprise ! Ah bon, qu’est-ce qu’il se passe ? ils me répondaient, ils ont monté le chapiteau ! À ce moment-là, les artistes entraient dans notre vie, ils nous tenaient compagnie, on les croisait à la boulangerie, on les observait, on cherchait à savoir s’ils avaient un chien, certains avaient des chevaux, je me souviens, ils en avaient deux, deux beaux chevaux, des paturons je crois, toutes ces petites observations nous ont permis de découvrir beaucoup de choses sur ces troupes. Ensuite on allait les voir en représentation et quand ils partaient, ils nous manquaient, je ne sais pas si pour les autres locataires, 44 c’était la même chose, mais pour nous, on était contents quand ils arrivaient et tristes quand ils partaient. Majoritairement, on a vu tous les spectacles et d’un campement à l’autre, on a appris à repérer les particularités de chacun. Par exemple, il y en a qui sont très structurés, rangés, les voitures sont disposées de manière bien parallèle d’un côté, les caravanes de l’autre, on se demandait si ça allait foisonner lors du spectacle avec un tel ordre dans leur campement. Parce que nous, on aime bien les spectacles un peu tout fous, et pour mes enfants, j’en ai un de 6 ans et l’autre de 9 ans, il faut que ça bouge sur la piste, sinon ils vont me dire pendant le spectacle qu’ils ont envie de partir. Donc, quand on voyait de notre fenêtre un campement désordonné, on se disait, ça va déménager et on allait le vérifier. De toute façon, on n’a jamais été déçus.

« Quand on voyait de notre fenêtre un campement désordonné, on se disait, ça va déménager et on allait le vérifier. » Regard sur les artistes. Nous, par le boulot, on peut aller voir des cirques comme Pinder, on déteste, c’est vraiment l’usine, c’est des numéros aseptisés, ici à l’Espace Cirque, c’est vraiment aux antipodes, c’est plus intimiste, il n’y a pas d’animaux sauf des petits chiens ou des chats, ils axent plus sur le travail d’artistes, qui est plus ingrat, l’artiste est seul sur la piste et avec son corps, il fait des choses, il raconte des trucs, et nous, on préfère. On ne descendait pas pour les aborder, si par hasard, on les croisait dans la rue après le spectacle, on les félicitait, mais c’est tout. On voyait tout de suite que c’était des gens du cirque, à l’aspect

sportif notamment, et puis ça se voit que ce sont des artistes, l’habillement, l’attitude, ils dénotent un peu dans le quartier. Et puis quelquefois, ils ont des gamins, et ça nous fait plaisir de les voir avec leurs gamins. Avec les voisins, on ne parlait pas vraiment des artistes, et un jour, on avait une place qu’on ne pouvait pas honorer, personne n’en a voulu. On a eu beau leur expliquer, ils ont dit qu’ils ne connaissaient pas, que ça ne les intéressait pas. Les habitants des immeubles, ce sont plutôt des vieilles personnes qui sont là depuis longtemps avec un faible loyer, et puis il y a la classe prolétarienne, et puis récemment il y a eu l’arrivée de réfugiés politiques syriens, des intellectuels. Donc toutes ces personnes ne sont pas forcément candidates à une consommation culturelle, je pense. Les spectateurs de l’Espace Cirque, ils viennent de l’autre côté, plutôt du parc Heller ou du centre…

« Ce qui reste un vrai mystère pour moi, c’est comment les gens de cirque réussissent à vivre de ça. » L’œil du photographe. Et puis il y avait Christophe Raynaud de Lage qui venait faire des photos de notre appartement, il venait l’après-midi, il circulait du salon aux deux chambres, trois pièces qui donnent sur l’espace, il nous apportait un autre regard, c’est un passionné du cirque, on voyait comme il changeait de focale, de point de vue, comment il travaillait sur la lumière, il fait un vrai travail d’artiste, on ne pouvait pas imaginer un regard comme ça sur le cirque.

L’angle économique. Moi, ce qui reste un vrai mystère pour moi, c’est comment les gens de cirque réussissent à vivre de ça. Quand je vois l’état de leurs bagnoles, de leurs caravanes et de leur chapiteau, en état plus ou moins neuf, quand je vois les gamins, je me demande comment ils font pour acquérir tout ça. C’est plutôt sous l’angle économique que je les observe. Après je fais des simulations, je vois le nombre de personnes, je vois à peu près le prix des trucs, comment ils survivent, c’est un mystère !


NOMBRE DE DOUCHES ET DE TOILETTES SUR LE CAMPEMENT AVANT 2014 : 3 douches, 3 toilettes à l’anglaise, + 3 urinoirs. CIRQUE SANS RAISONS DEVANT LEUR CARAVANE. MARS 2009.

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Aurélien Bory Genèse d’une première création sous chapiteau Géométrie de caoutchouc du 1er au 11 décembre 2011 coproduction/diffusion-soirée inaugurale Pôle national des arts du cirque

Le chapiteau, objet déclencheur Marc Jeancourt m’a incité à créer un spectacle pour le chapiteau. Dans mon parcours, je n’avais pas encore eu envie de travailler sous chapiteau, parce que mon travail s’appuie fortement sur le dispositif théâtre. Mais ce qui anime chacune de mes pièces, c’est la question de l’espace. Et avec le chapiteau, j’avais là une occasion de faire quelque chose de différent qui soit impossible sur un plateau de théâtre. C’est ce qui m’a intéressé. J’ai alors imaginé un spectacle où le chapiteau lui-même allait être le seul support de l’action. J’ai fait réaliser un modèle réduit d’un grand chapiteau, et il est devenu la scénographie de Géométrie de caoutchouc. Il y a donc deux chapiteaux homothétiques l’un dans l’autre. On entre à l’intérieur du premier et l’on se trouve à l’extérieur du deuxième. Ce dispositif m’a amené du côté des mathématiques, de la topologie où l’on considère l’espace par sa limite. Or le chapiteau est justement défini par sa toile, sa limite. Je l’ai alors envisagé en tant qu’espace fini, comme la terre, ou l’univers. Géométrie de caoutchouc est devenu alors une pièce sur la finitude, où les acteurs finissent engloutis sous la bâche, qui elle-même s’aplatit dans un dernier souffle après avoir pris toutes les formes, un ventre, une montagne, une mer, un ciel. J’aurais pu mettre en sous-titre de Géométrie de caoutchouc « un monde fini », mais cela aurait été bien trop explicite. Géométrie de caoutchouc – surnom de la topologie en mathématique, ou sommaire description d’un chapiteau – est en fait une évocation de la condition humaine, où les êtres n’ont d’autre choix que de s’accrocher à un espace, qui est à la fois leur existence et leur perte.

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Faire du théâtre avec du cirque J’ai tenté de tirer cet espace de cirque du côté du théâtre. Tout d’abord par un dispositif en quadri-frontal, et ensuite par ces fils et poulies qui soutiennent le chapiteau et qui rappellent une machinerie de plateau. Quand je dis que je fais du théâtre, j’ai en tête son sens étymologique : l’endroit d’où l’on voit. Si on me dit que je fais du cirque, je n’ai aucun problème avec ça, j’aime le cirque. Mais je trouve extraordinaire qu’un mot désigne non pas une ou des disciplines mais la question du point de vue, ce qui me semble essentiel ! Et donc, on peut faire du théâtre avec du cirque, avec de la danse, avec tout ce qui peut tenir sur la scène ! Et le débat cirque-théâtre est pour moi vide de sens. Émile Zola disait, chaque fois qu’on veut vous enfermer dans un code en déclarant ceci est du théâtre, ceci n’est pas du théâtre, répondez carrément, le théâtre, ça n’existe pas, il existe des théâtres et je cherche le mien !

Le cirque autrement Je travaille avec des acrobates dans presque tous mes spectacles. L’espace est mon sujet et l’acrobate me semble être le plus apte à explorer l’espace. Je ne vais pas lui demander de faire de l’acrobatie en tant que telle, cela se rapproche plus de la danse. Géométrie de caoutchouc est une pièce chorégraphique que je n’aurais pas pu faire avec des danseurs. Les huit acrobates sont à la limite des possibilités de leur corps, par exemple quand ils courent sur cette bâche suspendue - ce qui est extrêmement épuisant - quand ils montent au sommet et qu’ils se jettent dans le vide, ou dans leurs sauts proches de la cascade. À chaque fois ce sont des gestes de cirque mais traités de manière différente. En plus de l’engagement physique, il y a le vertige, le risque, la douleur. Et cette

CIE 111 AURÉLIEN BORY / GÉOMÉTRIE DE CAOUTCHOUC. DÉCEMBRE 2011.


En 2004, sur un terrain vague, est né à Antony l’Espace Cirque. À travers les photographies de Christophe Raynaud de Lage et le collectage des paroles multiples de ceux qui ont fait vivre ce lieu de création, ce livre témoigne d’une aventure humaine, artistique et culturelle qui tente de tisser des liens toujours plus forts entre l’art et la vie.

12 €


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