JEAN-CHRISTOPHE SANCHEZ
Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France Préfaces de Gérard Coupinot et René Souriac
OBSERVATOIRES ET ASTRONOMES DU GRAND SIÈCLE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE
LOUBATIÈRES SCIENCES
CET OUVRAGE A ÉTÉ PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU CENTRE RÉGIONAL DES LETTRES DE LA RÉGION MIDI-PYRÉNÉES
© Nouvelles Éditions Loubatières, 2008 10 bis, boulevard de l’Europe, BP 27 31122 Portet-sur-Garonne Cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr ISBN 978-2-86266-553-5
JEAN-CHRISTOPHE SANCHEZ
Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France OBSERVATOIRES ET ASTRONOMES DU GRAND SIÈCLE AU DÉBUT DU xxe SIÈCLE Approche historique, culturelle et régionale des sciences astronomiques
Préfaces de Gérard Coupinot et René Souriac
LOUBATIÈRES
À Magali, Élisa et Estelle, mes trois étoiles.
« Tandis que les grands hommes font marcher les sciences, augmentent le nombre des vérités, par des découvertes nouvelles, l’histoire répand ces vérités, elle fait descendre les connaissances, comme les eaux amassées sur la cime des montagnes, que la pente distribue dans les plaines par des canaux. Ce bienfait des hauteurs appartient aux campagnes ; les connaissances les plus élevées appartiennent également à tous les hommes. Nous y sommes parvenus par degrés ; les moyens de recherche ont été pris dans la nature, nous l’avons soumise en employant sa puissance contre elle-même ; les découvertes sont les œuvres des hommes : il n’y a donc rien dans ces connaissances, dans ces moyens, dans ces découvertes, qui ne puisse être saisi par des lecteurs attentifs. La lecture de l’histoire des sciences ne demande pas que l’on soit savant, elle est un moyen de le devenir (…). L’historien a devant lui un grand tableau, les traits, les couleurs y sont, il n’a besoin que de le copier fidèlement pour le placer sous les yeux de ses lecteurs. L’esprit humain a été jeune, il a été pauvre avant d’être riche, il a été ignorant de ce qu’il ne savait pas, comme ceux des hommes qui lisent aujourd’hui pour s’instruire. Les idées se sont successivement amassées, mutuellement engendrées, l’une a conduit à l’autre. Il ne s’agit donc que de retrouver cette succession, de commencer par les idées premières; la route est tracée, c’est un voyage qu’on peut refaire, puisqu’il a été fait : l’individu doit marcher dans sa lecture de quelques heures, comme l’espèce a marché dans une longue suite de siècles. » BAILLY (J.-S.), Discours préliminaire, Histoire de l’Astronomie moderne…, tome Ier, 1785.
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PRÉFACES Après son magnifique livre sur Le Pic du Midi de Bigorre et son observatoire, Jean-Christophe Sanchez nous offre un nouvel ouvrage sur un chapitre de l’histoire des sciences. Il s’agit plus précisément de celle de l’astronomie et des astronomes dans le Midi de la France. Fruit d’une longue et patiente recherche dans un cadre plus général, il replace le précédent opus dans le contexte du siècle des Lumières et du xixe et nous narre de plus la lente évolution des idées au cours du temps. Héritage de sa thèse de doctorat d’Histoire, mention très honorable, soutenue en décembre 2005 à l’université de Toulouse le Mirail, c’est la garantie d’une exhaustivité et d’une rigueur historique et scientifique qui en font un ouvrage de référence pour la période et le cadre géographique considéré. Le « Midi » de la France est bien connu de l’auteur qui y a réalisé ses études et ses premiers travaux. Le milieu astronomique lui est également familier puisqu’il a passé plusieurs étés à l’observatoire du Pic du Midi de Bigorre pour organiser les visites pour les touristes à l’époque où c’était l’Observatoire lui-même qui gérait le tourisme au sommet. Il a d’ailleurs continué à faire œuvre de diffusion des connaissances en publiant un opuscule à usage des visiteurs depuis que le site est ouvert au public toute l’année depuis juin 2000. Les talents de pédagogue de l’auteur sont d’ailleurs certains, ainsi que le prouvent les nombreux articles, conférences grand public et interventions dans des circonstances variées. De plus, il a acquis depuis longtemps une maîtrise de l’informatique et des sites internet ayant construit des sites pour les enseignants et en particulier sur l’histoire du Pic du Midi et ses activités scientifiques au cours des xixe et xxe siècles. Pour ne citer que quelques exemples particulièrement significatifs, il faut parler des conférences à la société Ramond de Bagnères-de-Bigorre et à la Société astronomique des Pyrénées Occidentales à Pau. Le sous-titre de l’ouvrage: Observatoires et astronomes du Grand Siècle au début du XXe siècle – Approche historique, culturelle et régionale des 7
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sciences astronomiques nous indique dès le départ le fil conducteur que nous allons suivre au cours des pages. Tout d’abord, il était nécessaire de définir le terme « Midi » désignant à la fois le point culminant du soleil dans le ciel et une vaste région au sud-ouest de la France identifiée ainsi dès l’Ancien Régime. Avant de passer à l’astronomie des Temps modernes, l’auteur nous rappelle l’héritage de l’Antiquité et du Moyen Âge, depuis la physique de Aristote et l’astronomie de Ptolémée encore bien implantée dans la scolastique du Moyen Âge avec l’accord de l’Église, jusqu’à la séparation entre astronomie et astrologie marquant le début des Temps modernes. Il était aussi nécessaire d’évoquer le cosmos héliocentrique de Copernic, Tycho Brahé, Kepler, Galilée, Descartes qui ont intégré l’astronomie dans le corpus scientifique et mathématique en le différenciant de la religion, séparant ainsi les cieux des étoiles de ceux des dieux. Est-ce une récupération de l’Église lorsqu’elle envoie des astronomes sur des terres lointaines comme les missionnaires de la cartographie, ainsi un Jean Richaud envoyé au Siam par le roi Louis XIV, un Gaston Pardies et un Emmanuel Maignan au xviie siècle, tous issus de la mouvance jésuite ? Les élites urbaines discutent de la pluralité des mondes tandis que les politiques, en la personne de Colbert, voient le profit à tirer de l’astronomie dans une expansion économique, créant des écoles d’hydrographie pour accéder à la mesure des coordonnées géographiques précises des lieux. La détermination de la latitude est chose aisée, il suffit de mesurer la hauteur de l’étoile polaire au-dessus de l’horizon nord, mais la longitude pose un gros problème car elle nécessite l’utilisation d’une horloge très précise et ne dérivant pas dans le temps. Vient alors le temps des académies et des premiers observatoires fondés, à la fin du xviie siècle, par ou avec le soutien de Colbert ministre de Louis XIV. C’est d’ailleurs l’Académie royale des sciences, fondée en 1666, qui crée dès 1667 l’Observatoire royal, en dehors du Paris de l’époque. Avec le xviiie siècle, celui des Lumières, les observatoires astronomiques de province, privés et publics, voient le jour avec des astronomes comme Plantade et Clapiés, en particulier à Montpellier en 1706 et surtout à Toulouse en 1733. Déjà des premières observations astronomiques ont lieu au Pic du Midi de Bigorre avec des objectifs de géodésie et d’altimétrie, avec Monge, Darcet, Darquier, Vidal, Reboul… La Révolution apporte des changements mais aussi des pérennisations, si certains observatoires sont « dénationalisés », d’autres sont au contraire créés ou développés. C’est sous une tutelle centralisatrice et 8
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avec de nouvelles structures qu’une nouvelle génération d’astronomes entre en jeu. Là encore les astronomes du « Midi » jouent un grand rôle. La première moitié du xixe siècle, du Consulat à la Seconde République voit la mise en place des Facultés des sciences, les astronomes devenant en même temps professeurs. C’est l’époque où l’observatoire de Toulouse, à l’étroit dans ses locaux du centre-ville et ne répondant plus aux attentes de l’astronomie s’installe dans un ensemble construit sur la butte de Jolimont. Les observatoires de Bordeaux et de Montpellier suivent des trajectoires opposées le premier se développant tandis que le second se privatise. Heureusement sous la Seconde République et le Second Empire, des savants rouvrent l’observatoire dit de la tour de la Babote à Montpellier grâce à des initiatives privées. C’est aussi le cas pour l’observatoire d’Abbadia à Hendaye fondé par Antoine d’Abbadie et légué à l’Académie des sciences. En 1870, le général de Nansouty, célèbre pour avoir refusé de capituler à Sedan, mais rétrogradé pour avoir manqué de vigueur face aux mouvements insurrectionnels de Toulouse, rejoint les idées des élites locales qui rêvent de construire un observatoire au sommet du Pic du Midi de Bigorre. En compagnie de l’ingénieur Vaussenat, l’observatoire se construit, d’abord à la station Plantade à Sencours au pied du Pic et au sommet lui-même en 1878. D’abord consacré à la météorologie, des observations astronomiques sont réalisées très rapidement et surtout à partir de 1907 date à laquelle son directeur d’alors Benjamin Baillaud fait construire la première coupole. Elle sera suivie d’une douzaine d’autres jusqu’à celle du télescope Bernard Lyot qui lui permet d’entrer la tête haute dans le IIIe millénaire après avoir frôlé la fermeture en 1998. Désormais ouvert au public, il accueille une centaine de milliers de visiteurs par an, avec pour quelques dizaines d’entre eux le privilège de passer une nuit dans « le vaisseau des étoiles » sous un ciel extraordinaire aux côtés des scientifiques en mission dans les différentes coupoles et des amateurs qui ont accès à un télescope de 60 cm mis à leur disposition dans les années 1980 par le directeur d’alors : Jean Paul Zahn. Bien d’autres activités liées à l’astronomie et aux astronomes du « Midi » sont évoquées et analysées dans cet ouvrage dont le sérieux de la documentation est l’œuvre d’un historien moderne qui j’en suis sûr nous prépare déjà d’autres ouvrages en relation avec les savants et les ingénieurs du « Midi ».
Gérard COUPINOT Astronome Émérite, Observatoire Midi-Pyrénées
Le mérite de Jean-Christophe Sanchez est grand. Comme il le souligne lui-même à plusieurs reprises, l’intérêt des historiens pour les sciences est modeste. L’histoire des sciences n’est certes pas absente du champ de la connaissance mais elle a été traditionnellement l’apanage, d’abord des scientifiques eux-mêmes, naturellement soucieux d’établir des jalons chronologiques dans les progrès des savoirs ; ensuite des philosophes, préoccupés de théorie de la connaissance et normalement enclins à en vérifier les avancées par une analyse des méthodes de la recherche propre à en valider les résultats. Ces attitudes sont tout à fait légitimes et il en résulte des travaux de grande qualité : je ne citerai en exemple que ceux de Gaston Bachelard, qui aborde la question par le biais de l’épistémologie, c’est-à-dire la science qui s’efforce d’analyser les méthodes et les moyens de la connaissance scientifique 1. Les historiens ne se sont donc guère intéressés aux travaux des scientifiques, malgré plusieurs appels récents que mentionne Jean-Christophe Sanchez 2. Ce constat ne manque pas d’être paradoxal à une époque, la nôtre, tellement marquée par la science et la technique. Lors d’un colloque organisé à Montpellier en 1984 sur l’enseignement de l’histoire 3, son principal animateur René Giraud, avait souhaité que se développe justement, dans les écoles, collèges et lycées, un enseignement de l’histoire des sciences. Ce vœu n’a guère été exaucé ! Et pourtant l’historien a son mot à dire sur ce chapitre car celui-ci est un des plus importants de l’histoire culturelle : où donc repérer les grandes étapes de la pensée sinon d’abord dans les sciences ? Quand on parle de « miracle grec » par exemple, pourrait-on l’imaginer sans faire référence à cette immense invention qu’a été l’autonomisation des mathématiques dans la pensée des vie, ve et ive siècles avant notre ère ? Il en est de même pour la révolution copernicienne ou la relativité généralisée d’Einstein. Jean-Christophe Sanchez rend ainsi à la connaissance un grand service. Passionné très tôt par l’histoire du Pic du Midi et de son obser11
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vatoire, il a souhaité réaliser une thèse d’histoire des sciences centrée sur la France moderne, particulièrement sur le xviie siècle, époque d’un grand bouleversement culturel et scientifique avec les personnalités de Galilée, Descartes et Newton, pour ne citer que les plus grands. Un seul de ces personnages est français, mais la science est universelle et il est important pour un historien de savoir comment un peuple, une société, une époque s’approprient des idées d’où qu’elles viennent. C’est ce qu’a fait Jean-Christophe Sanchez en cherchant à inscrire dans le contexte intellectuel du temps la révolution qui se produit alors dans la science physique. Et il a choisi pour ce faire l’astronomie de préférence à d’autres branches du savoir scientifique, je vais y revenir. Parcourant les archives des observatoires existant à l’époque, les écrits des scientifiques de ce temps, leur correspondance et leurs publications, notre auteur a constitué une véritable base de données sur la science au xviie siècle. Il faut remarquer à ce titre, dans un monde où les hommes circulent cependant plus qu’on ne pourrait l’imaginer compte tenu des difficultés de circulation, l’importance de la correspondance: Jean-Christophe Sanchez a ainsi révélé le rôle éminent d’un personnage pratiquement inconnu de la « grande histoire », le père Marin Mersenne, (1588-1648), de l’ordre des Minimes, d’obédience franciscaine. Sans être lui-même un véritable homme de science – intéressé cependant par la théorie de la musique – il fut reconnu comme « le secrétaire de l’Europe savante » par sa correspondance suivie avec les savants de son temps, Descartes, Galilée, les Huygens, Toricelli, Fermat… Partisan des thèses galiléennes mais jamais inquiété malgré la condamnation qui frappait le grand savant toscan, il permit aux idées de circuler et de s’affronter par le biais des innombrables lettres qu’il recevait et qu’il écrivait. Les publications scientifiques du temps n’ont plus de secret pour Jean-Christophe Sanchez, non plus que les archives des académies qui se créent à Londres en 1660 et à Paris en 1666 4. Ainsi le corpus à partir duquel le livre qui suit est écrit est des plus complets. L’objet de l’ouvrage que livre son auteur au public c’est de situer le Midi de la France dans le concert européen de la science depuis le xvie siècle, de Copernic à Einstein. Jean-Christophe Sanchez explore ainsi un champ d’histoire culturelle où le Midi se révèle un espace de culture important, sensible à toutes les nouveautés, aux inventions, et capable d’apporter sa contribution à un mouvement général d’essor des savoirs, Peiresc et Fermat en sont de bons exemples. 12
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Au-delà de cet aspect régionaliste, en soi tout à fait légitime et remarquable, Jean-Christophe Sanchez introduit le lecteur dans l’une des étapes culturelles des plus importantes pour l’histoire de l’humanité tout entière. C’est au xviie siècle, en effet, que naît la physique contemporaine, celle qui explique pour la première fois scientifiquement le mouvement, dans le cadre de ce qui reste une branche fondamentale de la science physique, la mécanique, avec les conséquences technologiques qui vont s’ensuivre. Et cette mécanique, qui naît avec la loi de la chute des corps définie par Galilée vers 1610, est étroitement liée avec la mécanique astronomique, celle que Newton invente en 1688 avec ses Principes de la philosophie naturelle lorsqu’il propose les lois de la gravitation et de l’attraction universelle. On peut même dire que si les savants de ce temps sont à la fois mécanistes et astronomes c’est par nécessité, car il s’agissait avant tout d’expliquer l’Univers et son fonctionnement. La curiosité humaine ne peut pas se passer de représentations, plausibles quand elles ne peuvent être encore scientifiques. Celles qui prévalaient toujours au début du xviie siècle avaient été synthétisées vingt siècles plutôt par ce grand éducateur de l’Occident qu’a été Aristote. Ne pouvant accéder à une connaissance scientifique dont l’Antiquité ne possédait pas les outils, ce philosophe disciple de Socrate s’était du moins efforcé de donner de l’Univers un schéma compréhensible de tous par sa logique même. L’homme étant au centre de la nature et la mesure de toute chose dans la pensée philosophique du temps, la Terre ne pouvait qu’être au centre d’un Univers fini, le Soleil et les planètes tournant autour d’elle, le firmament en forme de voûte clôturant ce monde : c’est la conception géocentrique du monde qui a prévalu jusqu’à ce que Copernic émette l’hypothèse que c’était plutôt le Soleil qui était au centre. Lui non plus ne disposait pas de l’outil mathématique lui permettant de justifier la théorie héliocentrique de l’Univers que les astronomes alexandrins du iiie siècle avant Jésus-Christ avaient cependant déjà élaborée. Mais voici que Galilée, en introduisant le calcul et une représentation sous forme d’équation mathématique de la force qui entraîne les corps vers le bas, bouleversait totalement les représentations admises sans discussion jusque-là. C’est ce « saut épistémologique », selon l’expression de Gaston Bachelard, qui signifie le passage à la science, car désormais la représentation pourra devenir irréfutable en toute rigueur scientifique. Il faudra cependant encore longtemps et surtout l’élargissement de la mécanique que représentent les travaux de Newton pour 13
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renverser complètement le schéma aristotélicien, Einstein élargissant encore la perspective. Voilà ce dont parle le livre de Jean-Christophe Sanchez. Il aborde l’une des plus prestigieuses manifestations du génie de l’humanité, l’invention de la science, quelle qu’en soit par la suite l’utilisation qu’en fera l’homme, bonne ou exécrable, ceci étant de la responsabilité des sociétés.
René SOURIAC Professeur émérite des Universités Université de Toulouse Le Mirail
INTRODUCTION Les sciences ne sont pas un champ de recherche actif en histoire, on peut le regretter. Lors des commémorations et autres célébrations relatives à l’histoire des sciences, les historiens auraient pu apporter leur contribution mais ils ne l’ont pas fait. Ainsi, l’année 2005 avait été déclarée, par l’Unesco et l’Assemblée générale des Nations unies, « Année internationale de la physique ». Cette décision voulait célébrer le centenaire des découvertes d’Albert Einstein (relativité restreinte et théorie de la lumière), fondements de la physique contemporaine. Si, à partir de 1905, l’homme d’aujourd’hui porte un regard sur les siècles passés, en 1805, Pierre Simon de Laplace publie le quatrième tome de sa Mécanique céleste où les lois de la gravitation de Newton sont appliquées aux mouvements de tous les corps célestes. Mathématicien, physicien et astronome, il se prépare à fonder avec Claude Louis Berthollet la société d’Arcueil qui allait réunir une partie du monde savant de la période révolutionnaire (ce sont Louis Joseph Gay-Lussac, François Arago, Jean-Baptiste Biot, Étienne-Louis Malus, Siméon-Denis Poisson, ou encore Louis-Jacques Thenard). Cette association de savants, à la fois école et laboratoire de recherche, milite pour une approche mathématique de la physique. Cette même année, l’armée impériale française remporte la bataille d’Austerlitz. Un siècle auparavant, en 1705, Louis XIV règne depuis 1643 et Edmund Halley établit la périodicité des comètes et annonce le retour, pour 1758, de la comète observée en 1531, 1607 et 1682. Enfin, en 1655, il y a 350 ans Christian Huygens, découvrait le premier satellite de Saturne qu’il nomme Titan. Ce savant néerlandais a été appelé en France, en 1666, par Colbert, trois ans avant l’arrivée de Jean-Dominique Cassini, astronome italien. Les sciences et l’histoire peuvent donc se retrouver. Pour revenir à notre époque, c’est aussi en 2005 que la sonde spatiale Huygens, nommé ainsi en l’honneur du grand savant néerlandais, a plongé dans l’atmosphère et s’est posée à la surface de Titan. La communauté des historiens avait matière pour apporter une contribution historienne à l’An15
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née internationale de la physique. Mais les historiens français n’y ont pas participé. La loi de séparation des Églises et de l’État, la fondation du parti socialiste sous l’action de Jean Jaurès en 1905 ou encore le bicentenaire de la bataille d’Austerlitz ont été l’objet de colloques, de communications et publications. En France, traditionnellement, l’histoire de sciences est le fait des scientifiques eux-mêmes et des philosophes des sciences. S’intéresser à l’histoire de l’astronomie était déjà une préoccupation des savants du Grand Siècle et des Lumières. Jacques Cassini II (16771756) publie, en 1740, les Éléments d’astronomie, ouvrage semble-t-il destiné à l’éducation du duc de Bourgogne et qui débute par une histoire de l’astronomie 5. Il y présente le système astronomique développé par son père, Jean-Dominique Cassini I, qui repose sur un héliocentrisme diplomatique dans un contexte de condamnation officielle de cette théorie. J. Cassini II conçoit l’histoire de l’astronomie comme « Des connaissances préliminaires nécessaires pour l’intelligence de l’astronomie ». Sont exposés chronologiquement les trois grands systèmes du monde géocentrique selon Ptolémée, héliocentrique selon Copernic et géo-héliocentrique selon Brahé. Jacques-Dominique Cassini IV (1748-1845), dernier astronome de la dynastie, collecte et compile les observations réalisées et porte un regard rétrospectif sur l’Observatoire royal et sur la contribution des Cassini 6. De ses travaux historiques, il rédige en 1810 un Mémoire pour servir à l’histoire des sciences et à celle de l’observatoire de Paris, suivi de la vie de J. D. Cassini, premier du nom. En s’appuyant sur les archives de l’Observatoire et familiales, il y retrace l’histoire de l’institution depuis sa fondation. Il témoigne en particulier des transformations de la période révolutionnaire. Il a aussi rédigé quatre volumes manuscrits des Fastes de l’Astronomie, dans lesquels il brosse les « Tableaux chronologiques de l’Histoire et des progrès de cette science depuis la création du monde jusqu’au xixe siècle après Jésus Christ 7 ». Alexandre-Guy Pingré (1711-1796), astronome autodidacte, entreprend de compiler l’ensemble des observations et travaux astronomiques réalisés au cours du Grand Siècle, ce sont les Annales célestes du XVIIe siècle 8. Il s’intéresse aux anciens observatoires et aux fondations du xviie siècle (Tour de Copenhague, Greenwich, Leyde, Nuremberg et Paris). Il relate les inventions comme celle du micromètre, les découvertes entre autres des lois de Kepler ou de la lumière zodiacale, les travaux sur la lumière, de carte de France, ou encore les créations de l’Académie royale des sciences et de la Royal Society. A. Pingré 16
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a aussi rédigé, en 1783-1784, une Cométographie ou Traité historique des Comètes. Il y expose chronologiquement les différentes conceptions et théories sur les comètes et comme pour les Annales, il compile historiquement les différentes comètes observées. L’histoire de l’astronomie est un des centres d’intérêt de Jean-Sylvain Bailly (1736-1793), une figure de la Révolution française, premier maire de Paris, immortalisée par David au centre du tableau représentant le Serment du Jeu de Paume. Bailly n’est pas un astronome de formation, son activité principale et rémunératrice est celle de garde honoraire des Tableaux du Roi, comme son père. Néanmoins son intérêt, ses connaissances et ses relations avec les principaux astronomes de son temps l’amènent à se consacrer à la science d’Uranie. Ses compétences sont suffisamment solides et il est admis à l’Académie royale des sciences, ainsi qu’à celles de Bologne, Stockholm, Harlem et Padoue. Sa contribution à l’histoire de l’astronomie repose sur les ouvrages qu’il a publiés entre 1775 et 1785 9. Bailly, dans un « discours préliminaire sur la manière d’écrire l’Histoire de l’astronomie, et d’exposer les progrès de cette science 10 », explique et justifie son travail. Pour lui, progrès et vérités sont les deux termes qui caractérisent son histoire de l’astronomie. Les sciences s’inscrivent dans un processus de développement que ponctuent des découvertes qu’il présente comme un « enchaînement de faits ». Il considère la science comme une accumulation d’« idées (qui) se sont successivement amassées, mutuellement engendrées », ou encore comme « le produit ; la succession des opérations du génie ; et son histoire est l’histoire des hommes et de leurs pensées ». La science est une « somme de vérités » et il veut « les présenter dans leur ordre, depuis la plus simple jusqu’à la plus compliquée ». Pour Bailly, les progrès scientifiques ont permis d’expliquer et de simplifier les conceptions astronomiques. À la lumière des connaissances héliocentriques et newtoniennes de la fin du xviiie siècle, il porte un regard rétrospectif et critique sur les anciennes théories. « Les planètes ont paru d’abord tourner autour de la terre, rien n’était plus bizarre et plus irrégulier que leurs mouvements ; il a fallu des siècles pour découvrir le vrai centre de ces mouvements, et pour les voir dans leur réalité. » Bailly prend en compte le nombre de sauts épistémologiques et de révolutions intellectuelles qui ont conduit aux sciences modernes. Il conçoit le développement scientifique et l’histoire de l’astronomie dans sa complexité, comme « le récit d’un voyage dans une route tortueuse et fermée d’obstacles, qui n’ont cédé qu’au courage et à l’industrie (…) ». Au début du xixe siècle, Jean 17
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Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) apporte sa contribution à l’histoire de l’astronomie. Ses ouvrages constituent une base de ressource biographique qui complète utilement pour la fin du xviiie siècle celle de J.-S. Bailly. Dans l’ensemble de son œuvre, cet aspect constitue une part non négligeable de sa notoriété et paradoxalement de la critique du personnage que d’autres considèrent comme un astronome en chambre. En effet, si François Arago le qualifie de « plus grand astronome de l’Europe », il ne fait pas l’unanimité chez ses contemporains. Successeur de Jérôme Lalande au Collège de France, depuis 1807, il se consacre à l’histoire de l’astronomie. De son vivant, il publie l’Histoire de l’astronomie ancienne (1817), l’Histoire de l’astronomie au Moyen Âge (1819) et l’Histoire de l’astronomie moderne (1821). Ce n’est que cinq ans après sa disparition que son travail s’achève par la publication en 1827 de l’Histoire de l’astronomie au XVIIIe siècle, ouvrage dont la publication est assurée par son élève C. L. Matthieu 11. Pour un historien, s’intéresser aux sciences reste un domaine encore très largement vierge et parfois semé d’embûches 12. C’est par un parcours personnel singulier et par un intérêt personnel pour l’astronomie, que les sciences sont devenues pour moi un champ de recherche. Cet ouvrage est le résultat de recherches universitaires qui se sont conclues en 2005 par une thèse d’histoire sur l’astronomie et la physique dans le royaume de France aux Temps modernes. Le but n’est en aucun cas de couvrir dans le détail l’histoire de l’astronomie, de nombreux ouvrages, que l’on retrouvera en bibliographie, l’ont déjà entrepris. Il n’est pas non plus question de mener une étude des progrès scientifiques et techniques en astronomie, dont le contenu ne serait pas accessible à un public non initié. Il s’agit d’une histoire culturelle qui, à travers la trame et le contexte historique et culturel (de la Renaissance au début du xxe siècle), a l’ambition de brosser une histoire de l’astronomie et des astronomes à travers une étude comparée des foyers scientifiques et des observatoires dans le quart Sud-Ouest du Midi de la France. Il y a plus d’un siècle, le 20 juillet 1878, la première pierre de l’observatoire du Pic du Midi de Bigorre est posée. Cet événement est l’aboutissement d’un projet ancien, initié à la fin du siècle des Lumières, et de travaux qui remontent au xviie siècle. Ce passé scientifique avait enthousiasmé les fondateurs de l’observatoire à l’instar de CélestinXavier Vaussenat. « Oui, Messieurs le Pic du Midi a son histoire, disait-il, elle est digne d’intérêt, car elle se repère sur les travaux et les recherches que, pendant 18
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ces quatre derniers siècles, nos plus illustres savants dans les sciences physiques et naturelles ont faits tant sur ses flancs que sur son sommet. » S’intéresser au Pic du Midi a permis de renouer avec l’activité scientifique et de montrer son développement à l’échelle régionale du Midi, ainsi que sa place au niveau national. S’y succèdent des savants parisiens et des savants du Midi venus des foyers scientifiques montpelliérain, bordelais et toulousain. À la fin du xviie et tout au long du xviiie siècle, ces savants y effectuent des recherches dans les sciences physiques et naturelles ; ils envisagent même d’y établir un premier observatoire. Malgré les travaux et une certaine notoriété du site, le projet n’aboutit pas alors que des observatoires sont créés dans le Midi à Montpellier, Toulouse, Béziers, Bordeaux et Montauban. Déjà au Grand Siècle, des jésuites ont établi des stations astronomiques à Pau, Bordeaux, Nîmes et La Rochelle. Mais pour le Pic du Midi ce n’est qu’au dernier tiers du xixe siècle qu’un observatoire est créé, grâce à l’action des élites culturelles, réunies, à Bagnères-de-Bigorre, dans une société savante qui se place sous l’autorité éponyme de Louis Ramond de Carbonnières, savant des Lumières et de la Révolution. Après Joseph Pitton de Tournefort, Ramond a fait des Pyrénées un champ de découverte scientifique. À la fin du xixe siècle, des observatoires fondés au siècle des Lumières, seul subsiste celui de Toulouse, désormais installé sur la colline de Jolimont. Les autres ont disparu tandis que ceux d’Abbadia à Hendaye et de Floirac dans la banlieue de Bordeaux sont fondés. En histoire des sciences, mener une étude régionale, ici le Midi, peut poser problème. Comme le note l’historien Lucien Febvre, « la science est par essence une œuvre universelle, indépendante des frontières et des nationalités. Cependant, ce ne saurait être une chose vaine que de suivre son développement dans un pays particulier. D’abord parce qu’on peut légitimement se proposer de savoir ce qu’un pays donné a fourni au progrès scientifique. Ensuite, parce qu’en chaque pays, en fonction des particularités de sa civilisation, de sa culture, le progrès scientifique a une allure spéciale 13 ». Dans cette filiation, il semble pertinent de s’intéresser à des études territorialement délimitées. Si l’astronomie méridionale n’est pas déconnectée des évolutions et des progrès scientifiques qui s’initient en Europe et en France à partir de Copernic, elle présente des caractères et un développement originaux qui oscillent entre autonomie et prise en charge par la politique et les institutions scientifiques que Colbert met en place à partir de la décennie 1660.
chapitre premier
LE MIDI, L’ASTRONOMIE ET LES ASTRONOMES « Il est convenable de conserver en détail exact des démarches faites pour former dans Toulouse une Société qui a pour objet de cultiver la géométrie et les diverses parties de la physique. La postérité le verra avec plaisir et sera satisfaite d’apprendre le nom de ceux qui ont concouru avec plus d’ardeur à un établissement si utile (l’Académie des sciences et belles-lettres de Toulouse)… », peut-on lire à la première page du tome premier des registres de l’Académie des sciences et belles-lettres de Toulouse. Force est de constater que l’histoire ne se fait pas sans sources comme l’ont dit, à la fin du xixe siècle, Gabriel Monod, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos. Or les sources en histoire des sciences sont un domaine encore vierge pour les historiens et elles sont souvent méconnues et parfois inconnues. Cette difficulté est d’autant plus grande pour un historien qui n’a jamais fréquenté de prés ou de loin le milieu scientifique. De plus les sources restent encore difficiles d’accès. En effet, elles sont disséminées dans de nombreuses institutions, aussi variées que les observatoires, les Académies des sciences, les différentes bibliothèques ou les archives, ces derniers sites étant plus connus des historiens. Les observatoires actuels dans le Midi sont, en dehors de celui de Toulouse, des créations de la seconde moitié du xixe siècle. Les fonds concernant les stations, observatoires et travaux astronomiques des xviie et xviiie siècles sont versés dans les fonds municipaux ou départementaux des archives. Les Académies des sciences, que l’on retrouve au siècle des Lumières dans les villes qui ont un observatoire, ont aussi conservé un fonds documentaire relatif à l’activité astronomique, aux travaux réalisés et aux individus qui pratiquaient cette science. Pour Toulouse, la continuité depuis la fondation de l’observatoire au xviiie siècle, explique en partie la richesse de son fonds biblio21
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graphique. En outre, les sources sont d’une très grande diversité. Ce sont des ouvrages scientifiques, des articles parus dans les revues savantes, des tables de calculs, des notes ou des registres d’observation, des rapports financiers (achat de matériel scientifique), des lettres consécutives à des travaux scientifiques ou à des missions, des communications diverses sur des phénomènes observés ou des expériences réalisées, des listes d’académiciens ou de personnel, des registres d’observation. Depuis le milieu des années 1980 s’est mis en place le projet de la Greenwich List of Astronomy, lancé par Derek Howse 14. La liste est l’aboutissement d’une proposition de la réunion de la Commission 41 (Histoire de l’astronomie) de l’Assemblée générale de l’Union astronomique internationale, à Grenoble en 1976 15. Il s’agit d’établir une liste mondiale des observatoires, des instruments et horloges astronomiques, de 16701850. Préparée par Derek Howse (autrefois au musée maritime national à Greenwich), elle est éditée dans la partie IV du volume 17 du Journal for the History of Astronomy 16. La liste Greenwich a été complétée pour le Languedoc par les travaux de Jean-Michel Faidit 17. Pour le Midi, les informations concernent Alès, Aramon, Béziers, Bordeaux, Carcassonne, Marvejols, Mirepoix, Montauban, Montpellier, Nîmes, Toulouse, et Viviers. C’est cet ensemble documentaire qui constitue la matière de la recherche historique.
Les sources pour une histoire de l’astronomie Les sciences participent au mouvement qui prend naissance en Europe avec l’invention et la diffusion de l’imprimerie 18. Les écrits scientifiques à la Renaissance quittent définitivement le monde des manuscrits pour celui des imprimés. Si les premiers incunables relèvent, à 45 %, de la religion, 55 % concernent les œuvres littéraires, les livres de droit et les ouvrages scientifiques 19. L’activité intellectuelle qui caractérise la Renaissance en Europe se traduit donc par l’essor de l’écrit scientifique. Les astronomes et les physiciens participent, comme les théologiens, juristes et hommes de lettres, au développement des publications. Au xviie siècle, outre les ouvrages, apparaissent et se développent les journaux savants, éphémérides et mémoires des académies et Sociétés scientifiques, ainsi que les almanachs, pronostications et prédictions qui sont les vecteurs de diffusion d’une culture scientifique populaire. 22
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LES OUVRAGES Aux Temps modernes, l’astronomie connaît un développement intellectuel qui apparaît très nettement à travers la production bibliographique. Parmi les différents travaux publiés par Jérôme Lalande se trouve la Bibliographie astronomique parue en 1801 20. Le travail qu’il a réalisé montre la volonté de tendre vers l’exhaustivité et le personnage lui-même apparaît comme un homme intègre et rigoureux dans ses recherches, ce qui fait de sa bibliographie un ouvrage de référence 21. Une première approche par grandes périodes permet de constater une augmentation régulière des publications de la seconde moitié du xve à la fin du xviiie siècle. De 1471 à 1499, Lalande recense 162 ouvrages, 1 085 de 1500 à 1599, 1 709 de 1600 à 1699 et 2 009 pour le xviiie siècle. De 1471 à 1499, période qui est celle des premiers temps de l’imprimerie, les publications astronomiques représentent 162 unités 22. Ce sont notamment les ouvrages des astronomes qui font le lien avec les connaissances du Moyen Âge : Regiomontanus, Manili, Sacro Bosco. Aucun érudit français n’apparaît alors. Au cours du xviie siècle, 1 085 ouvrages sont recensés par Lalande contre 162 pour les trois dernières décennies du xve siècle 23. La moyenne annuelle passe de 5,4 à 10. Il apparaît nettement que, tout au long de l’époque moderne, les publications astronomiques, tout comme les écrits scientifiques, sont en augmentation. C’est en 1543, au milieu du xve siècle, qu’est publié le De revolutionibus orbium cœlestium. C’est l’ouvrage majeur pour les conceptions astronomiques occidentales, à l’origine de la révolution scientifique et des remises en cause du paradigme aristotélo-ptoléméen, c’est-à-dire l’ensemble des savoirs de la physique de Aristote et de l’astronomie de Ptolémée, connaissances majoritairement acceptées et enseignées. Cette période de révolution scientifique paraît par l’augmentation des ouvrages. À la suite de Copernic l’activité intellectuelle connaît un essor sans précédent qui se traduit à travers les publications des astronomes du xve siècle, dont celle de Tycho Brahé 24. Pour le xviie siècle, Lalande recense 1 709 ouvrages et articles 25. Par rapport au siècle précédent, l’augmentation est de 57 %. La moyenne annuelle des ouvrages passe de 10,8 à 17,09. Au cours de ce siècle, la production bibliographique est l’œuvre, dans un premier temps, des membres de la première génération des mécanistes, suivis par les cartésiens et les premiers académiciens. Enfin au siècle des Lumières, Lalande comptabilise 2 009 publications, soit 40,46 % par 23
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rapport au total des Temps modernes (4 965) 26. La moyenne annuelle est la plus importante de la période avec 20,09 % des imprimés. Dans le Midi, tous les astronomes ne sont pas prolixes en la matière. Pour le Grand Siècle, les ouvrages les plus significatifs sont ceux de clercs qui s’intéressent à l’astronomie comme le Minime toulousain Emmanuel Maignan ou les jésuites Ignace-Gaston Richaud et Jean Pardies 27. Au siècle des Lumières, Antoine Darquier fait imprimer à ses propres frais deux volumes où il a rassemblé toutes ses observations astronomiques de 1748 à 1780 28. Les fonds anciens conservés dans les bibliothèques et archives du Midi montrent que les savants avaient des bibliothèques riches où l’astronomie occupait une place significative. Ainsi à Toulouse, l’on peut se référer aux fonds de l’observatoire ou encore à celui de Garipuy 29. LES JOURNAUX ET PUBLICATIONS DES ACADÉMIES SCIENTIFIQUES Au XVIIe siècle, les sciences s’institutionnalisent dans des académies. Dans le royaume de France, c’est en 1666 que Colbert, pour la gloire de Louis XIV, propose de fonder l’Académie royale des sciences. Puis, un an plus tard, en 1667, il initie les travaux de construction de l’Observatoire royal de Paris. Dès lors, la monarchie s’intéresse aux sciences et influe par des commandes concrètes, en finançant des missions scientifiques et en rétribuant des savants par des pensions et gratifications. Ce processus s’accompagne aussi d’une normalisation, mise en évidence par Robert King Merton 30, qui aboutit à constituer à la fois l’éthos scientifique, « l’ensemble des valeurs et des normes teintées d’affectivité auxquelles l’homme de science est sensé devoir se confirmer 31 », et à structurer socialement la science. La décennie 1660, dans le royaume de France, est caractérisée par ce double processus. C’est en 1665, le 5 janvier, qu’est fondé le Journal des Sçavans, son but est d’informer le public « de ce qui se passait de nouveau dans la république des lettres », selon l’avertissement de son fondateur Denis de Sallo 32. Au xviiie siècle, les encyclopédistes écrivent que c’est « le premier et le plus ancien de tous les journaux, le seul qui ait duré plus d’un siècle sans dégénérer de sa perfection ; le seul qui compte parmi ses auteurs une suite de personnes illustres dans tous les genres, le seul qui soit encore composé par une compagnie de savants choisis dans les différentes parties des sciences et de la littérature. Tous ces avantages donnent au journal des savants le premier rang parmi les journaux ; comme la nature de son régime et de sa constitution en assure la durée 33 ». Ce journal est la publication de référence de la communauté 24
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Observations astronomiques d’Antoine Darquier, 1777 Académie des sciences de Toulouse
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scientifique française, surtout dans les dernières décennies du xviie siècle, où le journal apparaît comme le canal de publication de l’Académie royale des sciences. Il est un moyen pour diffuser les observations astronomiques qui sont réalisées au Grand Siècle. C’est dans ce journal que les astronomes jésuites Richaud et Pardies communiquent leurs travaux 34. À la fin du siècle, l’Académie royale des sciences se dote d’un média propre qui devient le canal officiel de l’activité scientifique. Les Histoires et Mémoires de l’Académie royale des sciences apparaissent comme le grand rival du Journal des Sçavans 35. Cela est surtout vrai après les réformes de la fin du xviie siècle et tout particulièrement avec la réforme de l’abbé Bignon de 1699, qui obligent les vingt académiciens pensionnaires et les vingt associés, par l’article 6, à « déclarer au commencement de l’année l’ouvrage auquel (chacun) compte travailler. Indépendamment de ce travail, les académiciens pensionnaires et associés sont obligés d’apporter à tour de rôle quelques observations ou mémoires ». À partir de cette date, l’activité scientifique de l’académie se traduit par des publications propres, et dès lors le Journal des Sçavans perd sa fonction de média officieux de cette institution 36. Qui plus est, l’académie est à l’origine de missions scientifiques dont les résultats sont insérés dans ses Mémoires. L’académie est l’institution de référence dans le royaume et une des principales du continent. En publiant leurs travaux dans ses Mémoires, des savants touchent une large communauté scientifique qui dépasse les frontières du royaume. Les Mémoires sont le canal qui permet d’obtenir la reconnaissance de l’ensemble ou tout du moins de nombreux des savants. C’est pourquoi, nous trouvons les communications d’astronomes provinciaux qui y présentent leurs observations 37. Le Midi connaît lui aussi ce processus d’institutionnalisation des sciences qui se traduit par la fondation d’académies. Dès le xviie siècle, le mouvement se dessine à Toulouse avec la société des Lanternistes, fondée en 1640 et regroupant des lettrés et savants. À Nîmes, en 1632 puis en 1682, une académie est créée, mais elle ne semble pas avoir eu une inclination significative pour la science d’Uranie. C’est au siècle des Lumières que sont créées les Sociétés et Académies des sciences qui ont un rôle dans le développement de l’astronomie. La plus ancienne fondation est montpelliéraine. C’est en 1706 qu’est fondée la Société royale des sciences 38. Elle est suivie par les académies de Bordeaux en 1712, de Pau en 1718 et de Béziers en 1723. Malgré les prémices de la société des Lanternistes, ce n’est qu’en 1729 qu’est fondée à Toulouse 26
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la Société des sciences, devenue Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres en 1746 39. Les élites de Montauban, en 17301744, constituent à leur tour une académie. Des villes où les sources n’ont pas permis d’identifier une activité astronomique disposent aussi d’Académie des sciences. C’est le cas à Limoges, en 1759, avec la Société d’agriculture, sciences et arts, et d’Agen en 1776. Toutes ces fondations académiques se font sous la protection du roi, ou d’un homme influent. « Le roi pour exciter davantage l’émulation des membres qu’il y nomma, voulut que la société royale des sciences [de Montpellier] demeurât toujours sous sa protection, de la même manière que l’Académie royale des sciences. » Ces académies ont animé la vie scientifique de ces villes par la sociabilité qui les caractérisent, les travaux réalisés, les prix distribués, les relations qui existent entre elles et les Mémoires qu’elles ont rédigés. Elles sont toutes en relations avec l’Académie royale des sciences de Paris et avec l’Observatoire royal. Par un réseau de correspondants dans les provinces, les deux institutions parisiennes influencent et orientent l’activité astronomique. Les provinces sont appelées à contribuer à des observations conjointes avec Paris ou à fournir des comptes rendus sur des phénomènes visibles depuis le Midi, ou bien encore à collaborer aux commandes comme la cartographie du royaume et le prolongement du méridien de Paris. Les réunions académiques ont le mérite de contribuer à la diffusion des connaissances et des idées nouvelles à travers des expériences et observations qui sont reproduites 40. Le développement des séances publiques, les distributions de prix, les soutenances ou les présentations d’expériences en font des foyers de culture scientifique. Des académies provinciales sont animées par des maîtres de mathématiques ou de physique qui font connaître leurs observations astronomiques, leurs travaux ou leurs lectures. C’est le cas des pères Du Fesc et Sarrabat à Bordeaux, et du père Cavallerry à Toulouse 41. Dans ces deux villes, comme à Montpellier et Béziers, les académies ont un rôle important dans la création d’observatoires astronomiques. La Compagnie de Jésus, qui joue un rôle essentiel dans l’essor scientifique, peut compter, au xviiie siècle, sur un média, les Mémoires de Trévoux 42. À partir de 1701 et jusqu’à la suppression de la Compagnie, c’est dans les Mémoires de Trévoux, que les astronomes jésuites publient majoritairement leurs travaux astronomiques (48 % des productions écrites). Tous les jésuites n’accordent pas aux Mémoires la primeur de 27
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Histoire et Mémoires de l’Académie des sciences de Toulouse Académie des sciences de Toulouse.
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leurs travaux. Les publications académiques permettent ainsi de cerner dans l’espace l’activité astronomique des observatoires de province. Ainsi à Toulouse, l’activité de l’observatoire nous est surtout connue par les Mémoires de l’Académie. Ce cas de figure se présente dans les villes où des liens existent entre l’observatoire et l’académie, comme à Béziers, Bordeaux ou Montpellier. Si les principaux astronomes méridionaux, dont nombreux sont ceux qui ont le titre de correspondants de l’académie, privilégient les Mémoires, ils ne négligent pas pour autant les Mémoires des académies de province auxquelles ils appartiennent. Montpellier, Toulouse, Bordeaux et Béziers sont les plus actives et les plus prolixes. À cela s’ajoutent les journaux étrangers dont les Philosophical Transactions de la Royal Society (le premier numéro date de 1665) et les Acta Eruditorum (publiés à Leipzig à partir de 1685). Si les Philosophical Transactions ne sont pas le canal le plus utilisé par les savants français, elles sont néanmoins à l’échelle du continent un média important où les savants anglais acquis au newtonianisme publient leurs recherches. Les Acta eruditorum sont la publication scientifique issue des États germaniques et qui garde le latin comme support de diffusion des connaissances 43. Mais les astronomes méridionaux ne publient guère dans ces journaux étrangers, d’ailleurs leurs homologues provençaux ne les utilisent guère plus. Secondat de Montesquieu, savant bordelais, publie néanmoins un article dans les Philosophical Transactions, à propos d’étranges pierres trouvées à Bagnères-de-Bigorre et de mesures des températures des sources thermales 44. LE XIXe SIÈCLE Au xixe siècle, la tendance s’accentue, le nombre de publications augmente significativement. En 1880, il y avait une centaine de revues, un millier vers 1850 et dix milliers en 1900 45. Les revues nationales sont de loin les sources principales. Sous le Consulat, l’Académie des sciences reprend ses travaux auxquels des savants du Midi comme Ramond de Carbonnières puis Arago apportent leurs contributions. De nouvelles revues apparaissent à l’instar de la Revue des Deux Mondes, de la Revue de la Société française de physique à partir de 1881, ou du Bulletin astronomique fondé en 1884. Les académies des sciences de province, elles aussi rétablies avec l’apaisement des conflits de la période révolutionnaire reprennent leurs activités et publications. Elles sont rejointes par des sociétés 29
Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France JEAN-CHRISTOPHE SANCHEZ
« L’Astronomie est une science certaine et sublime, et va jusqu'à la plus haute portée de l'esprit humain. » Antoine Furetière (16191688), Dictionnaire universel. Par une analyse comparée des foyers scientifiques méridionaux, toujours replacés dans leur contexte, le Midi apparaît comme un espace où des astronomes s’illustrent, observent le ciel, cartographient le territoire, les littoraux et mesurent les sommets pyrénéens. C’est à partir de leurs travaux que l’on mesure l’épopée du palois Richaud parti, en 1685, faire des observations au Siam. Au Siècle des Lumières, des érudits équipent les premiers observatoires, mais ce n’est qu’au xixe siècle que sont créés les observatoires contemporains, non sans difficultés. L’astronomie demeure encore une aventure. En 1905, des astronomes partent observer l’éclipse de Soleil en Castille, d’autres en Algérie. En 1910, c’est le retour de la comète de Halley et les astronomes observent inquiets cet astre qui, pensait-on, menaçait d’empoisonner l’atmosphère. À l’heure des télescopes géants et des sondes spatiales, ce livre est une invitation à découvrir l’histoire du Midi de la France à travers l’étude de l’astronomie de Copernic à Einstein. Docteur en histoire, Jean-Christophe Sanchez est aussi astronome. Ses deux centres d’intérêt devaient un jour se rencontrer ; c’est chose faite dans cet ouvrage, prolongation de sa thèse de doctorat, où il nous conte les riches heures de l’astronomie dans le Sud de la France du xviie siècle à nos jours, sans omettre de proposer au lecteur quelques éléments de connaissances qui concernent la période antérieure à celle choisie. ISBN 978-2-86266-553-5
www.loubatieres.fr diffusion Dilisud www.dilisud.fr couverture : Syst me Copernic, Atlas Celarius , Observatoire Midi-Pyr n es
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