L'art vivant de la marionnette théâtre du monde

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Christian Armengaud L’ART VIVANT DE LA MARIONNETTE théâtre du monde

préface de Jacques Téphany

Loubatières


Ouvrage publié avec le concours de la Région Midi-Pyrénées ISBN 978-2-86266-672-3 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2012 10 bis boulevard de l’Europe – BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne contact@loubatières.fr

www.loubatieres.fr

Couverture : Marionnette du théâtre d’ombres. Cuir de buffle. Début xxe. Une dame de la cour (?).


Christian Armengaud

L’ art vivant de la marionnette théâtre du monde

préface de

Jacques Téphany

LOUBATIÈRES


Sommaire

La vie silencieuse des figures Mother India Des techniques venues de l’Inde Ombres d’Indonésie : le wayang kulit Indonésie : le wayang golek Indonésie : le wayang kilitik Chine Taïwan Japon Afrique Bestiaire De l’Empire ottoman aux ombres européennes Europe : les marionnettes à tringle Europe : les marionnettes à gaine

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Préface de Jacques Téphany En guise d’avertissement au lecteur Premiers pas Pour aller plus loin Éros, Thanatos et un compère Souvenirs, souvenirs Malgré tout, un peu d’histoire En parcourant le globe Marionnettes et marionnettistes dans la cité

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Bibliographie

Au carrefour des illusions En avant la musique En un corps à corps incertain La fin de notre voyage Bouquet final

Contributions de Hélène Beauchamp, Marc Bleuse, Colette Duflot, Jean Kaplan, Jacques Places, Madeleine Lions


À Émile,

le marionnettiste,

Lola,

Louis-Alban, Sara, Chloé,

mes petits-enfants,

ce regard sur des jeux d’adultes.


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Miniature de Johan de Grise, Li roman di boin roi Alixandre, Bodleian Library, Oxford.

Hortus deliciarum, manuscrit de l’abbesse Herrade de Lansberg, 1170.


« D’abord chez le beau monde on vous fera venir […] Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer Le bal, & la grand’bande, à savoir, deux musettes, Et, parfois, Fagotin & les marionnettes.* » Molière, Le Tartuffe

Premiers pas Des termes latins pour désigner nos personnages : pupæ, sigillæ, sigilliolæ, imangunculæ, homonculi, seul le premier a eu une descendance ; c’est sous le terme de poupées (puppen en pays germaniques, puppets dans le monde anglo-saxon, pupi en Sicile) que les figures du théâtre d’animation sont désignées dans bien des pays. Si titeres a été adopté en Espagne, burattini (Burattino est un valet de la commedia dell’arte) pour la manipulation à gaine et fantoccini pour celle à fils en Italie, le terme marionnette a longtemps été propre à la France. Molière, dans Tartuffe, lui donne sa légitimité : employé par une servante, il était donc déjà populaire. En effet, un siècle auparavant, l’écrivain Guillaume Bouchet, sieur de Brocourt (1513-1594), écrivait en 1584 dans ses Sérées (soirées) : « On trouvait aux badineries, batelleries et marionnettes : […] Franc à Tripes […] et le badin ès farces de France, bossu, faisant les contrefaits [Polichinelle ?] quelques tours de champiceries sur le théâtre. » L’origine du mot est pourtant incertaine et brumeuse. Pour le dialectologue Albert Dauzat, par l’intermédiaire de mariolle, il dériverait de l’italien mariolo ou mariulo (filou) d’où mariollette, marionnette. La quasitotalité des dictionnaires et la littérature établissent la lignée à partir de la Vierge Marie et son diminutif affectueux Marion. Cela supposerait une prééminence

absolue des représentations religieuses. Les mystères et miracles, fréquents au Moyen Âge, utilisaient certes des pantins pour les scènes fantastiques – l’enfer par exemple – inaccessibles aux acteurs (transfert que ne renierait pas un metteur en scène contemporain), mais l’intervention de marionnettes à proprement parler devait se limiter – comme en Asie – à des scènes introductives ou à des intermèdes. La mère du Christ pouvait-elle devenir la figure prépondérante, au détriment des farces et autres attractions populaires pourtant plus à même de fournir des sobriquets ? La piété mariale populaire était particulièrement vive aux xiie et xiiie siècles, menant parfois à des excès mal vus de la hiérarchie ; mais on notera que les gravures de cette époque faisant référence aux poupées, ne montrent pas de scènes religieuses. Les miniatures de Johan de Grise (1344), ou celle du Hortus deliciarum, manuscrit de l’abbesse Herrade de Landsberg (1170) – encyclopédie des connaissances théologiques et profanes de l’époque, dont n’existent plus, hélas, que des copies – évoquent une inspiration plutôt guerrière. Et que dire de ce tableau de Giovani Antonio Guardi, Le Parloir du couvent, certes bien postérieur, où un castelet au spectacle profane semble être posé comme un défi dans un lieu voué à une spiritualité si absente qu’on imaginerait voir Giacomo Casanova rendant visite à ses nonnes-amantes…

(*) Dorine fait la leçon à Mariane : le peu d’estime qu’elle semble porter aux marionnettes est-il partagé par Molière ?

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Giovanni Antonio Guardi (1699-1760), Le parloir au couvent, Museo Correr, Venise.


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À moins que Marion ne soit plus significative que Marie et que s’immisce, par ce biais, un personnage devenu populaire au point de s’imposer ; Guignol n’at-il pas réussi le prodige de devenir synonyme de toute une forme d’expression ? Le très populaire Jeu de Robin et Marion au xiiie siècle serait un vecteur idéal. Et qui empêche que, par jeu de mots, mariolle et Marion aient trouvé un point de fusion ? Les explications uniques sont parfois bien rigides et tiennent peu compte des cheminements géographiques et stylistiques des langues, les évolutions des patois et de leur prononciation selon les localités en témoignent. On est d’ailleurs surpris des autres sens du terme marionnette dans différentes techniques artisanales, désignant globalement des pièces de bois susceptibles d’être mises en mouvement, quand il ne s’agit pas purement de bobines. 14

Quoi qu’il en soit, le terme, longtemps réservé aux poupées à fils, a si bien été adopté que, progressivement, il est devenu international (l’existence d’UNIMA, l’Union internationale de la marionnette, créée en 1929, y est sans doute pour beaucoup), son adoption sur la Toile en témoigne. Il perdra un « n » en cours de route pour devenir marionette dans la plupart des langues.

De quoi parlons-nous ? L’observateur profane est en droit de se poser la question piège : qu’est-ce qu’une marionnette ?

Le garde, dans Antigone, troupe Tamarion, 1982.

Nous nommerons « marionnette » tout objet (ou ensemble d’éléments) qui, actionné par volonté humaine, donne l’illusion d’une vie autonome. Cela suppose l’existence d’un œil extérieur, mais dispense,

à ce stade, d’inclure une intention dramatique ou la notion de spectacle, elle-même assez imprécise. De main humaine aurions-nous dû écrire, ce qui conviendrait aux formes traditionnelles, mais à une époque où la chirurgie greffe une main bionique, la prudence est de mise. L’amateur restera ouvert et attentif aux nouvelles propositions. La création contemporaine est fertile et multiple, elle n’apparaîtra que furtivement dans cet ouvrage, en illustration des possibles. La définition écarte la simple poupée, normalement située dans l’immobilité (mais on voit ce qu’elle peut devenir dans les mains imaginatives d’un enfant…), aussi bien que l’automate, condamné à la répétitivité du geste, si complexe soit la séquence. Nombre d’objets se situent dans les marges, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, d’une improbable frontière. L’Afrique offre maints exemples de ce statut instable : tel artefact est-il statuette, masque ou mérite-t-il le vocable de marionnette ? Le matériau lui-même n’est pas nécessairement façonné. Yves Joly, un des grands rénovateurs du théâtre d’animation au milieu du xxe siècle, a utilisé dans ses spectacles la simple main gantée (Les Mains seules). Il fut l’un des pionniers de l’utilisation d’ustensiles imprévus, tels des parapluies (Ombrelles et Parapluies) pour représenter ses personnages, prouvant que la vie de ceux-ci ne s’appuie pas sur l’apparence anthropomorphique, mais sur les effets de la manipulation. On pourrait alors parler de marionnette par destination, comme on qualifie l’arme du crime. Un vocable est apparu pour nommer cette catégorie : le Théâtre d’Objets, s’opposant au Théâtre de Figures, dénomination en usage dans les langues germaniques (une des plus fameuses troupes hollandaises le Figuren triangle teater,


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dont la découverte fut un choc dans les années 1980, a certainement sa part d’influence dans l’adoption de ce terme). Le statut de la chose est complexe. Roland Shön, l’un des créateurs contemporains majeurs, le pousse dans ses ultimes retranchements. Pour lui, les objets sont utilisés « non comme des accessoires, mais comme des partenaires. Ce peut être une boîte que l’on ne manipule pas, que l’on pose tout simplement. On charge l’objet… ». Cette mise en valeur, en tension, comparable au gros plan cinématographique, est malgré tout liée au fait de poser l’objet, ce qui nous ramène bien à la manipulation. L’attrait des choses comme inspiratrices d’un jeu (au double sens du terme) n’est pas nouveau : une gravure de l’artiste japonais Toshikata (1866-1908) Spectacle sous les cerisiers en fleurs, de la série « 36 images de la beauté », publiée en 1891, le prouve. Le cinéma, par l’entremise de Charlie Chaplin et sa fameuse « danse des petits pains » dans La Ruée vers l’or, a conforté cette démarche. Dans les spectacles actuels, parties du corps du montreur, matériaux divers, végétaux, ustensiles d’origine artisanale ou industrielle, résidus de récupération, jusqu’aux personnages de glace d’Émilie Valantin, tout a été utilisé ou le sera ! L’illusion de vie autonome est l’élément essentiel de la définition. Plus le déroulement du mouvement est imprévisible, plus il est capable de surprendre le spectateur, plus nous sommes dans le domaine de la marionnette. En revanche, si le geste est répétitif ou ne comporte que d’infimes variations, on s’en éloigne, sans que l’on puisse définir de façon certaine le moment où l’on passe une bien poreuse frontière. Il ne viendrait à l’idée de personne d’exclure le théâtre d’ombres cambodgien, constitué de panneaux de cuir

Masque-marotte en bois sculpté, Burkina-Faso, ethnie Bobo, milieu xxe siècle.

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découpés représentants souvent une scène entière à plusieurs personnages (cf. page 79), ou son homologue thaïlandais, au prétexte qu’ils ne possèdent pas d’élément articulé : l’animation vient des porteurs-danseurs qui présentent ces éléments contre l’écran. L’humain fournit donc bien l’énergie du sujet, c’est son action au sens le plus littéral du terme dont nous percevons la trace. Notons au passage l’interférence avec les autres arts, ici la danse et bien évidemment la musique. Mais rien n’empêche d’introduire d’autres formes d’expression corporelle, mime, acrobatie… L’incertitude sur les limites du domaine propre au théâtre d’animation permet de garder la part de mystère propre à cet art et son ouverture sur le monde.

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Spectacle sous les cerisiers en fleur, gravure sur bois de la série « 36 images de la beauté », Toshikata (1866-1908).

La mystification évoquée passe nécessairement par certaines conventions implicitement acceptées par le spectateur, chaque civilisation ayant ses codes propres. Ces caractéristiques ne sont immuables ni dans le temps ni dans l’espace, elles varient suivant le mode de manipulation, la scénographie, l’état de réceptivité du public, sa capacité à appréhender un certain niveau d’abstraction. Seul Don Quichotte poussera l’identification aux personnages jusqu’à entrer lui-même dans l’action, allant jusqu’à détruire les tréteaux de Maître Pierre ! Pour éviter ces fâcheux débordements, heureusement absents dans la vie réelle, le spectateur doit garder une certaine distance ; à aucun moment, quel que soit l’enchantement auquel il s’abandonne, il ne sera totalement dupe de l’illusion qu’on lui propose. Antoine Vitez, dans la préface au livre Les Marionnettes (Bordas, 1982, sous la direction de Paul Fournel), souligne : « l’art de la marionnette ne doit pas s’écarter longtemps de sa vocation première : l’illusion avouée de son petit théâtre ».


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Certains aspects des codes évoqués sont évidents. La manifestation la plus visible, sans être nécessairement la plus importante, est la stylisation des personnages. Songeons au théâtre d’ombres indonésien, le wayang kulit [kulit = cuir] (cf. page 86) : non seulement les personnages à Bali diffèrent de ceux de Java (influencés par les interdits musulmans sur la représentation humaine ?), mais à l’intérieur de cette île même, les spécialistes déterminent un style Surakarta et un style Yogyakarta du nom des villes où ils sont prédominants. Sous l’apparence de codes de stylisation très stricts, des différences de traitement non négligeables pourront être décelées suivant l’origine géographique de la troupe, son lieu de rattachement (village ou cour locale exigeant plus de raffinement, d’élégance, dans la décoration), sans oublier les particularités des wayangs chrétiens, ceux des légendes locales, les transpositions d’œuvres littéraires, voire les personnages créés par des troupes d’origine chinoise ! (cf. page 102). D’autres éléments sont plus ou moins perceptibles : caractères de la structure scénique, fruste ou élaborée, cachant ou non le manipulateur, séparation de l’espace du montreur et du spectateur ou au contraire son partage comme en Afrique, façon d’agencer le récit, ses rapports avec le religieux ou le fantastique, ses visées et buts : séance initiatique, édification des spectateurs ou leur éducation, sans oublier le pur plaisir du spectacle. La façon plus ou moins respectueuse dont sont traitées les poupées est aussi un critère.

Donner de la voix Convention suprême, la parole est l’élément le plus troublant du jeu, le public doit définitivement accepter que le son ne provienne pas de la poupée elle-même ! Que la voix émerge du tréfonds du castelet – déjà modifiée par ce trajet et les obstacles à surmonter – ou qu’un diseur ou conteur dialogue à la place des personnages, dans tous les cas le spectateur doit intégrer la fiction. « Ce sont des acteurs aussi bons que les autres […] je leur sers de bouche à eux tous » fait dire Ben Johnson à son personnage Leatherhead dans La Foire de la Saint-Barthélemy. La marionnette n’est pas pour autant un corps mutilé, son mutisme est une réalité constitutive dont chacun doit s’accommoder, comme à l’opéra le chant se substitue à la parole et l’acte est en décalage avec le sens (permettant aux humoristes de brocarder le « je meurs ! »). Les montreurs ont su jouer avec cette convention. L’exemple japonais du tayû, sorte de chanteur-récitant, bien visible sur le côté de la scène, se substituant vocalement aux personnages du Bunraku a été une source d’inspiration. Dominique Houdart, mettant en valeur la présence expressive, tant physique que vocale, de Jeanne Heuclin, adopte un dispositif comparable pour Arlequin poli par l’amour.

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Suivons Stendhal dans les caves du palais Fiano à Rome, il va lever pour nous un coin du voile. Cassandrino chante une cavatine « de la manière la plus ravissante. On l’applaudit avec enthousiasme, mais l’illusion fut un moment détruite par les cris des spectateurs : “Bravo la Ciabattina !”, c’était le nom de la chanteuse placée derrière le théâtre… ». Il existe donc deux sortes de spectateurs, le profane qui s’accroche à la mystification (et l’auteur insiste dans la même lettre au sujet

Masque-décor «Antigone», de la troupe Tamarion.


Des techniques venues de l’Inde L’influence indienne s’est exercée aussi par les techniques, le pays ayant vu naître et se développer, outre les ombres, toutes les formes classiques (fil, gaine, tringle…). Ses voisins les ont adaptées aux thèmes locaux.

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Inde, Rajasthan. Marionnette à fil unique dite kathputli. Deux guerriers. Milieu xxe.


Inde, Rajasthan. Marionnette à fil unique dite kathputli, à double-face : l’une féminine et l’autre masculine. Une extrémité du fil est attachée à la tête, l’autre à l’arrière de la taille. Tête et tronc sont en bois, les bras en tissu rembourré, les jupes de coton, superposées à l’usure, virevoltent librement. À l’origine, ces poupées kathputli étaient fabriquées par des tribus nomades Bath et Nat. Il est possible que lors des migrations tziganes issues de ces régions, des figures de ce type aient fait le voyage, quitte à se transformer en cours de route.

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Indonésie : le wayang golek Dans le wayang golek, les poupées sont en bois, sculpté en volume. La manipulation se fait à vue (sans écran), les bras articulés sont actionnés par des tiges, la rotation de la tête s’effectue par l’axe qui la supporte et traverse le buste. Il serait apparu dans la région de Cirebon dès la fin du XVe, il est dit alors wayang golek cepak. Le wayang golek Sunda (centre nord de Java), le plus connu, ne daterait que du XVIIIe siècle.

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Outre les épopées indiennes, les thèmes proviennent du cycle du prince Panji (wayang golek Gedog) ou des légendes musulmanes. Plus récemment des adaptations littéraires (wayang golek Menak) ou d’influence étrangère (chrétiennes par exemple) ont rejoint les formes anciennes.

Princes. À droite, wayang golek cepak de Cirebon, début xxe. Les collectionneurs apprécient la finesse des visages de cette production. À gauche, wayang golek sunda.


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Wayang golek Sunda. La servante Sindu. Bois sculptĂŠ, fin xixe.


Japon La marionnette traditionnelle au Japon ne saurait se résumer au seul Bunraku, même si celui-ci semble une forme indépassable. Il est l’aboutissement d’une longue évolution : sur le plan scénographique, sur la manipulation (les trois manipulateurs par personnage ne sont que la forme ultime), sur le dispositif global (chanteur de Joruri pour le récit, joueur de shamisen en accompagnement musical). Parallèlement continuèrent d’exister des formes anciennes, marottes diverses, marionnettes à gaine. Ces formes plus légères ont existé sur les îles, souvent pratiquées par des troupes de pêcheurs.

Petite marotte. Tête en bois sculpté recouverte de gofun. Région de Nakatsu. Début xxe siècle.

Gravure de Kyomasu II (actif de 1716 à 1736). La poupée ou ningyo est à l’origine manipulée par un seul manipulateur. Ici, le marionnettiste introduit sa main par une fente de l’habit dans le dos de la poupée, selon une technique dite sashikomi.


Tête de marionnette du Bunraku. Un samouraï. xixe siècle. Bois sculpté, recouverte d’une préparation à base de coquille d’œuf dite gofun, qui donne au visage un aspect lisse et luisant de blanc d’ivoire. Ce type, dit Bunshichi, est utilisé pour des rôles importants du Bunraku et caractérise la force et l’émotion tragique. Il joua en 1718 dans Nihon Furisode no Hajime, une pièce de Chikamatsu, mais provient du personnage éponyme dans Karigame Bunschichi. Des cordelettes passant à l’intérieur de la tête, puis dans la poignée la soutenant, permettent de hausser ou abaisser les sourcils, d’autres orientent les yeux, et peuvent les faire loucher ! La tête est elle-même articulée. Le tout est actionné par le manipulateur principal.


De l’Empire ottoman aux ombres européennes Les historiens font remonter les ombres turques au XVIe siècle. Peut-être ont-elles accompagné les migrations tziganes et proviendraient-elles du nord de l’Inde, ce que tendraient à prouver les nombreux personnages gypsys du répertoire. Karagheuz est le héros principal ; doté d’un bras aux allures phalliques, il est présenté comme un personnage lubrique et haut en couleur. Peut-être a-t-il influencé le caractère de Polichinelle et surtout celui de Punch. Son compère est Haçivat, poltron et raisonneur. C’est le type même de théâtre populaire, reflet de toute une société, avec ses marchands, servantes, courtisanes, étrangers (souvent des Français !) de toutes races et de toutes religions, rabbin compris (des comédiens juifs auraient joué un rôle dans sa diffusion au XVIe siècle). Avec des variantes, sa présence s’est imposée dans tout l’ancien Empire ottoman.

La manipulation se fait par des baguettes tenues à l’horizontale – différence avec ses cousins orientaux – fichées de façon amovible dans des trous pratiqués aux emplacements adéquats (haut du dos pour la tenue générale du personnage, main pour actionner le bras), renforcés par une rondelle de cuir.

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Les figurines, découpées dans du cuir d’âne, très souvent translucides et colorées, ont eu une influence perceptible sur le renouveau de cette technique d’expression en France dans la deuxième moitié du xxe siècle. En témoignent les recherches et spectacles de Jean-Pierre Lescot, Alain Lecuq, ou de la compagnie Amoros et Augustin, sans oublier la compagnie Jean-Paul Schoffit (en général, le cuir est remplacé par du carton. La silhouette est évidée pour laisser place à des surfaces colorées, papier couleur ou autre matière translucide).

Auparavant on parlait d’ombres chinoises, sans réelle ressemblance avec leurs prétendus modèles. De carton avec le théâtre Séraphin au terme du XVIIIe siècle, ou de zinc quand Caran D’ache retraçait l’épopée napoléonienne au cabaret du Chat noir de Rodolphe Salis, elles se préoccupent moins d’articulations et de manipulation que de découpe et de représentation de véritables scènes d’ensemble.

France. Ombres de Zinc. Diable au miroir (dans lequel apparaît un second personnage), et chevalier en armure.


La société turque. Ombres de cuir. Fin xixe.


L’ART VIVANT DE LA MARIONNETTE théâtre du monde

« Pour moi, j’ose poser en fait Qu’en de certains moments l’esprit le plus parfait Peut aimer sans rougir jusqu’aux Marionnettes Et qu’il est des temps et des lieux Où le grave et le sérieux Ne valent pas d’agréables sornettes. » Charles Perrault Peau d’Âne À Madame la Marquise de L.

Avec pour fil d’Ariane les pièces exceptionnelles de collectionneurs passionnés, ce livre nous convie à la découverte des grandes traditions qui ont fondé et accompagné l’art de la marionnette dans le monde − de l’Inde au Japon, de la Chine à l’Europe, en passant par l’Afrique − et à toutes les époques − depuis les ombres projetées des temps préhistoriques jusqu’aux spectacles contemporains. Ces figures produites par les humains témoignent tout à la fois de la force des mythes, de l’état d’une civilisation et d’une image de l’homme. C’est l’histoire et la sociologie de la marionnette, ce mode d’expression populaire plusieurs fois millénaire et toujours vivant, qui nous sont racontées ici par Christian Armengaud.

Christian Armengaud vit dans l’univers de la marionnette depuis cinquante ans : il a été créateur de marionnettes, manipulateur, metteur en scène, collectionneur. Avec ce livre, il nous fait partager son savoir et sa passion.

Dépôt légal : septembre 2012

ISBN 978-2-86266-672-3

www.loubatieres.fr

35 € 9 782862 666723


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