Le bocage Bourbonnais - Regards sur un patrimoine

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LE BOCAGE BOURBONNAIS Regards sur un patrimoine

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Antoine Paillet


À la mémoire de Roland Desseauve, directeur puis directeur honoraire du Comité d’expansion économique de l’Allier, habitant du Bocage, amoureux de ses paysages et infatigable promoteur de son territoire.

ISBN 978-2-86266-646-4 ISSN 2104-6506 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr


LE BOCAGE BOURBONNAIS Regards sur un patrimoine

textes d’Antoine Paillet

Loubatières



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e bourbonnais a été décrit comme un « golfe des pays de Loire dans le Massif Central ». Correspondant aujourd’hui approximativement au département de l’Allier, il forme l’extrémité septentrionale de la région administrative d’Auvergne, avec Moulins pour chef-lieu, Vichy et Montluçon pour sous-préfectures. La région que l’on nomme « Bocage bourbonnais » occupe le centre du département, sur la rive gauche de la rivière Allier. Le fait que cette province soit de formation médiévale, sans antécédent dans une entité antique, a accrédité un discours récurrent sur son absence d’unité, naturelle et culturelle. Le premier à l’avoir tenu est le juriste nivernais Guy Coquille, qui écrivait en 1622 : « Bourbonnois est Province & pays nouvellement composé comme en marqueterie ou Mosaïque de plusieurs pieces rapportées, acquises des seigneurs voisins ». Le succès de cette formule peut se suivre

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Page de gauche. Un aperçu réaliste du Bocage bourbonnais dans son état au début du XXIe siècle : au second plan, le tracé d’une ancienne haie arrachée, dont ne subsistent que les arbres en ligne, anciennement exploités ; au premier plan, une clôture de barbelés. Le barbelé, vendu comme « ronce artificielle » et répandu après la première guerre mondiale, se substitue à la haie dans son rôle de clôture.

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dans la plupart des descriptions du Bourbonnais publiées depuis le xixe siècle, dont les auteurs n’hésitent pas à

Vue du Bocage à Beaune d’Allier ; à l’arrière-plan, le château du Villard (2010).

1. L. Batissier, « Guide pittoresque du voyageur en Bourbonnais », Annuaire du département de l’Allier, Moulins, Desrosiers, 1836, p. 2. 2. B. Lewis [pseudonyme de L. Batissier], Physiologie du Bourbonnais, Moulins, A. Desrosiers, 1842, p. 6. 3. Les deux noms figurent pour la première fois dans Coiffier-Demoret, Histoire du Bourbonnais et des Bourbons qui l’ont possédé, Paris, Michaud, 1816. 4. Achille Allier, Esquisses bourbonnaises, 1831.

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filer la comparaison de Coquille en l’adaptant tantôt à l’histoire naturelle, tantôt à la population et à l’histoire culturelle de la province : « le sol du Bourbonnais est un des plus variés de France », et on pourrait lui appliquer « bien justement ce que Coquille a dit de sa formation politique : c’est une vraie marqueterie. Le même canton, le même champ quelquefois, offre dix espèces de terres différentes » écrit Coiffier-Demoret dans son Histoire du Bourbonnais et des Bourbons qui l’ont possédé en 1816 ; « on est étonné de la prodigieuse variété de ses aspects et de ses productions », renchérit Batissier en 1836 1, lequel ajoute un peu plus tard que les habitants ont « une organisation, un tempéramment [sic] différent suivant les lieux. Ceux du Sud tiennent de l’Auvergnat ; ceux de l’Ouest tiennent du Berrichon ; ceux du Nord et de l’Est ont plus de rapport avec le Bourguignon » 2. On ne compte plus les travaux consacrés au Bourbonnais faisant état de sa situation de « frontière » entre le Nord et le Sud, la langue d’oc et la langue d’oïl, les toitures de tuile creuse et de tuile plate, etc. C’est dans le même ordre d’idées qu’il faut considérer la nomenclature des « régions naturelles » du Bourbonnais, lesquelles suivant les auteurs et les cartes, varient d’une demi-douzaine à une douzaine. Dès l’époque romantique, il est question d’une « Sologne » et d’une « Limagne » « bourbonnaises », à l’est et au sud 3, d’un « Pays de la châtaigne » à l’extrémité ouest 4 ; parfois certaines appellations

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littéraires s’y surajoutent, comme celle de « Petite Suisse » un temps décernée à ce qu’on nomme aujourd’hui la « Montagne bourbonnaise », prolongement des Monts de la Madeleine et du Forez. La « marqueterie » bourbonnaise est ainsi progressivement légendée, mais parmi les pièces qui la composent, il faut noter qu’il n’est question que très tardivement d’un « Bocage bourbonnais ». Rayeur, dans sa description du département de l’Allier en 1891, n’en parle pas autrement qu’en caractérisant certaines régions granitiques du Bourbonnais : « … les chemins creux, les champs entourés de fortes haies

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Entre Commentry et Chamblet.

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Pages précédentes : carte Cassini de l’aire de Moulins (XVIIIe siècle).

jalonnées d’arbres en têtards, donnent ici au pays un air de bocage » 5. En fait, la qualification de toute la zone centrale du Bourbonnais sous le nom de « Bocage bourbonnais » ne date que de l’entre-deux-guerres, ce qui s’explique aisément par l’histoire du mot et du concept de « bocage ». D’origine normande, le mot désigne un paysage boisé et a fait florès dans la poésie classique où il donne la rime facile à « ombrage » : Dans la Crete un jour du Printemps Deux bergers de chaut halletans, Alloient dans un bocage sombre, Et fuyans la chaleur du iour Qui brusloit les prez d’alentour Ils menoient leurs troupeaux à l’ombre. Ils suivaient un petit ruisseau Qui courtois baignoit de son eau Les racines de ce bocage, Bocage qui pour empescher Que le chaut ne le fit sécher Le tenoit frais sous son ombrage.

Le décor des pots à pharmacie de l’hôpital de Bourbonl’Archambault, avec leurs bergers et bergères situés dans un paysage arcadien, évoque les « bocages » de l’Astrée et de la poésie classique.

5. I.-A. Rayeur, Les Départements français – région du Centre. L’Allier, Moulins, A., Paris, 1891, p. 123.

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Si ce paysage évoqué dans le premier chant des Changemens de la bergère Iris (1605) par le moulinois Jean de Lingendes semble mieux approprié au Bourbonnais qu’à la Crète, il ne faut pas y voir une projection idéalisée de sa campagne natale : le « bocage » dont il est trois fois question en huit vers n’est ici qu’une expression poétique, un élément convenu du paysage arcadien et ne signifie rien d’autre qu’un petit bois. À l’époque, ce terme

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aurait d’ailleurs difficilement pu signifier, comme aujourd’hui, un paysage enclos par des haies vives : car nous verrons que ce paysage, en Bourbonnais, est d’origine récente. « Bocage », mot normand puis littéraire, n’a donc pas d’usage vernaculaire en Bourbonnais. Il est inconnu du parler local, qui ignore le concept d’un paysage d’enclos, et qui se contente de nommer la haie : bouchure, trace ou tchière suivant les aires lexicales variées du Bourbonnais, où un parler francisé recouvre des substrats auvergnats. Jamais, semble-t-il, avant une date récente, les habitants de la province, ou les voyageurs qui la décrivent, ne l’emploient. « Bocage », qui rappelait les bergeries de l’Astrée, devait sembler trop poétique ou désuet pour figurer dans les descriptions des paysages bourbonnais que l’on doit aux romantiques, comme celles du Voyage pittoresque de L’Ancien Bourbonnais paru en livraisons jusqu’en 1838, ou celles des annuaires de l’Allier publiés depuis le début du xixe siècle. Il y est question de prairies, d’arbres et de forêts, mais ni de haies, ni de « bocage ». Ce n’est que tardivement que ce mot est entré dans la terminologie des historiens et les géographes français de l’entredeux-guerres, comme Marc Bloch et Roger Dion, pour lesquels il signifie

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Porcher dans une cour de ferme. Peinture anonyme faite par un(e) propriétaire du Bocage, vers 1840. Les jeunes personnes de bonne famille qui s’adonnent aux arts d’agrément voient dans les paysages arborés et pastoraux du Bocage, au début du XIXe siècle, un cadre rousseauiste mais il s'y superpose le regard patrimonial, non dénué d'autosatisfaction, du propriétaire sur ses biens et ses gens.

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un paysage d’enclos, où les parcelles sont délimitées en totalité ou en partie par des haies vives. À leur suite, la littérature érudite et scolaire locale, autour de la Seconde Guerre mondiale, a adopté ce concept et défini, sur la rive gauche de l’Allier, à l’ouest de Moulins, une aire baptisée « Bocage bourbonnais », dont les contours paraissent assez flous mais qui forment, approximativement, « la riche contrée située entre Montmarault, Hérisson, Cérilly, Bourbon, Souvigny et le Montet », suivant les termes de la Petite histoire de la province du Bourbonnais de Moreau (1944). Elle vient s’ajouter à la liste déjà fournie des « régions naturelles » bourbonnaises. Soulignons au passage que ces petites régions, qui ont certes des caractères paysagers distincts, mais hérités de l’histoire et nullement spontanés, ne sont absolument pas « naturelles », le Bocage encore moins que les autres : le relief, la composition pédologique, les substrats géologiques du « Bocage bourbonnais » sont variés, passant des terrains alluviaux du Val d’Allier aux terrasses calcaires qui les bordent, puis aux plateaux sur argilites et schistes à bancs gréseux, ou sur granite. On chercherait donc vainement dans la « nature » une entité territoriale aussi disparate. Au reste, rien n’est plus construit et artificiel qu’un paysage d’enclos, et l’on se tromperait lourdement en qualifiant de « naturel » un aménagement de l’espace défini par la présence de haies, quel que soit l’écosystème qu’elles peuvent induire, lequel n’est jamais que la conséquence imprévue et non le but de leur établissement. En effet, ces haies ont beau être végétales, n’en sont pas moins artificielles. Elles ont été plantées ou confectionnées par l’homme, avec des végétaux sélectionnés et suivant des procédés qui ne sont pas propres à telle ou telle

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La rivière Allier, l’un des derniers cours d’eau sauvages d’Europe, limite le Bocage bourbonnais à l’est. Page de gauche. Association de la haie complantée d’arbres, et des murets de pierre sèche renforçant son rôle de clôture. Beaune d’Allier, 1985.

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Pêcheur devant la mare d’une cour de domaine, peinture anonyme faite par un(e) propriétaire du Bocage, vers 1900.

Page de droite. Carte des régions naturelles de l’Allier (2011).

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partie du Bourbonnais, mais sont en fait largement répandus dans la plupart des bocages français. L’un des procédés les plus anciens semble avoir été celui des haies sèches, assemblées à partir de végétaux préalablement coupés, tressés autour d’une ligne de piquets ou de troncs, ou plus souvent tassés en fagots à l’intérieur d’une double rangée de piquets ou de troncs. Le préfet de l’Allier Huguet écrivait en l’An IX que « dans la majorité des terres du département, la plus grande partie des haies sont en bois mort ». On en trouvait encore quelquesunes, et les savoir-faire nécessaires à leur confection subsistaient encore, de façon résiduelle, vers 1985. On choisissait alors plutôt pour ces haies des branches de prunellier ou épine noire, parce qu’elles conservent leurs épines deux ans après leur coupe, mais anciennement c’étaient des branches d’arbres que l’on utilisait : Huguet parle des « bois environnants qui fournissent à ce genre de clôture », et en 1850 le juriste Méplain, dans son Traité du bail à portion de fruits, prescrit que l’on consacre aux haies sèches « l’ébranchage périodique de certains arbres que l’on nomme en quelques pays étranches ou écornés » – arbres où l’on n’a pas de mal à reconnaître les arbres têtards du Bocage. C’est l’une des raisons

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Carte administrative de la généralité de Moulins sous l’Ancien Régime.


Carte géologique de l’Allier, 1936.


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Bocage.

Plan au sol du domaine de la Tardivonerie à Saint-Menoux.

BOCAGE(S) Définitions et délimitations. Quelles sont les spécificités de cette petite région traditionnellement appelée, depuis le xxe siècle seulement, « Bocage bourbonnais » ? Où se situent ses limites ? LES TRACES DU MOYEN ÂGE AUX ORIGINES DU BOURBONNAIS Présentations des principaux édifices monumentaux : château de Bourbon l’Archambault, prieuré clunisien de Souvigny…, ainsi que les types d’édifices civils et religieux caractéristiques de cette période : églises romanes et maisons-fortes du xve siècle.

ISBN 978-2-86266-646-4

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9 782862 666464

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LE BOCAGE BOURBONNAIS HISTOIRE ET SOCIÉTÉ RURALES (XVIe-XIXe S.) Le remembrement post-médiéval de la propriété par la bourgeoisie et l’aristocratie urbaines à partir du xvie s. ; création du système des métairies ; la création du bocage proprement dit (parcellaires, systèmes techniques). La contestation du métayage au xixe s.


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