Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes
les produits sauvages
Loubatières Parc naturel régional des Pyrénées catalanes
À
vec les dernières feuilles et les premières neiges, le grand boum de la chasse.
Pendant que les forêts vibrent au son du brame et que les truffes se peaufinent
sous la surface du sol, les chasseurs vivent leur période la plus enthousiasmante de l’année. Sur le territoire du Parc naturel régional, dans la lumière d’un soleil pâle, on fête la pomme à Sahorre et Fuilla et la patate à Matemale. Dans les foyers on a rangé dans les
l’automne
placards les produits des beaux jours conditionnés pour l’hiver : liqueur de coscoll, morilles séchées, truites et barquettes de fruits des bois congelées, etc. Une fois la montagne mise en réserve dans les caves et sous les escaliers, on part profiter des dernières odeurs végétales, des ultimes balades en veste légère à la recherche de champignon déjà trop vieux, et on lève le nez vers les pentes boueuses des pistes de skis alpins, qu’un vent froid chargé de neige transformera bientôt en terrain de jeu.
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Des murs de pierre jusqu’au purgatoire Par José Palacios.
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Je ne cueille les escargots petit-gris qu’au mois de juin. Au-delà ils entrent en période de ponte et le goût s’en ressent. Je me rends autour des villages et des jardins entourés de murs en pierre sèche. C’est là que se cachent les escargots. Les blancs et noirs sont plus souvent sur les talus en terre tandis que les petits-gris préfèrent creuser les joints des murs pour s’y réfugier. Il s’agit souvent de murs exposés au sud et fréquentés par les vipères… Je les ramasse quand la coquille est dure. S’ils sont jeunes et que la coquille est molle, je les laisse sur place. J’en ramasse moins qu’avant à cause des constructions nouvelles qui ont abîmé certains coins. « J’y vais de nuit et de préférence sous la pluie, pour les surprendre quand ils sortent. J’enfile un imperméable et une paire de bottes, je prends une bourriche, comme les pêcheurs, pour que les escargots respirent, une lampe et un petit bâton pour écarter les orties. Souvent, je coupe des brins d’herbe pour les attirer. J’ai remarqué que l’herbe taillée les rend fous ! L’odeur peut-être. « Je commence vers 20 h et il m’arrive de rentrer à la maison à minuit. Une fois chez moi, je les dépose au garage, dans une caisse en bois de ma fabrication recouverte d’un grillage pour chasser les mouches. Dedans, j’ai préparé un lit de thym frais coupé, cueilli ici ou bien dans la montagne. Puis je leur distribue cinq ou six morceaux de pain dur, du riz ou des pâtes, et je les laisse vivre là-dedans pendant deux mois et demi en changeant le thym et le pain tous les cinq jours. C’est ce qui les purge et leur donne ce bon goût. Ça enlève l’amertume de la chair due au fait qu’ils mangent essentiellement des herbes et des orties. Et puis de temps en temps je les arrose avec de l’eau de source – il y a trop de saletés dans celle du robinet – parce que sans ça ils stagnent et ne sortent pas. Avant la cargolade, on peut les laver, les rincer plusieurs fois dans des seaux d’eau, avec un peu de vinaigre et du sel, faire ça plusieurs fois. Et si on respecte bien cette façon de faire, ils sont excellents à manger ! »
Pour une bonne cargolade Escargots petits-gris désoperculés et trempés dans un mélange sel-poivre (2/3 – 1/3 selon votre goût). Vider le surplus, seul le sel et le poivre collés suffisent. Les disposer un à un sur le gril puis le poser sur la braise légère. Parsemer régulièrement de thym trempé dans du gras fondu. Attention, ne jamais les saisir mais juste les laisser chanter sur la braise. Accompagner la cargolade de tartines de pain à l’aïoli.
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Le fruit de l’églantier : la source de vitamine C de l’automne Par Bruno Cagny, maraîcher à Estavar.
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Autour de chez moi, entre Bajande et Estavar, tous les prés de fauche sont entourés de haies plantées principalement d’églantiers. La récolte se fait à la Toussaint, dès les premières gelées, et s’achève un peu avant Noël. Le froid ramollit le fruit et rend les poils moins astringents, mais une exposition trop prolongée aux basses températures provoque le dessèchement de la pulpe. C’est donc en novembre et décembre que les cueillettes sont les plus intéressantes… Le fruit de l’églantier est très bon cru. C’est plein de vitamine C et très pulpeux. Quand je pars en cueillir, je me régale toujours d’en manger sur place. C’est une cueillette agréable et reposante. Ça ne me prend jamais plus d’une heure et demie pour remplir mon seau. Je cueille et je transforme tout de suite. J’ai longtemps travaillé avec le moulin à légumes. J’enlevais le petit chapeau, c’est le petit bout de fleur noir, et je moulinais le reste. Aujourd’hui, pour éviter d’enlever ces petites barbes qui restent de la fleur, je les mets dans de l’eau froide, je les malaxe tout doucement et je les rince à plusieurs reprises. Par la suite je remplis une bassine avec les fruits, je couvre d’eau et je porte à ébullition avant de presser. »
Page de gauche. Cynorhodon ou églantier, ou encore gratte-cul.
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Une culture du sauvage
Depuis qu’il dirige la pisciculture de Sahorre, Nicolas Procacci réalise un rêve d’enfant. Cet Angoustrinois qui ne se voyait pas enfiler un autre costume que celui de garde-pêche ou de pisciculteur assure aujourd’hui la pérennité de la truite autochtone du Parc naturel régional, entretenant et avec elle un symbole pyrénéen de la vie sauvage.
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À 8 ans je savais déjà ce que je voulais faire de ma vie. Je désirais être garde-pêche ou pisciculteur et rien d’autre. Sept ans plus tard j’ai donc rejoint le lycée agricole de La Canourgue, en Lozère, pour me spécialiser dans l’aquaculture. J’en suis rentré titulaire d’un BEP agricole option aquaculture et d’un BTA option aquaculture. Sans attendre j’ai postulé à la fédération de pêche et au centre piscicole de Sahorre où une place venait de se libérer. J’étais le plus jeune des candidats, le plus motivé et le plus diplômé. J’ai décroché ce travail et je ne l’ai pas quitté depuis. C’était il y a dix ans. »
LE STRESS DANS LES GÈNES « La pisciculture de Sahorre est une association loi 1901 dirigée par la Fédération de pêche. Nous ne faisons aucun bénéfice et nos opérations de repeuplement sont menées gratuitement. J’ai avec moi un garde-pêche animateur, Nicolas Périaut, et un aide pisciculteur, Bastien Périno. On dit aussi qu’ils sont agents de développement. Notre métier consiste à produire des œufs, des alevins et des truitelles destinés à repeupler les milieux dégradés. En la matière, Sahorre a une vocation unique en France : la production de la souche indigène du département, la fario Carança méditerranéenne pyrénéenne, dernière truite à n’avoir subi aucune pollution génétique. Notre travail commence par la recherche de géniteurs à Carança. On fait pondre cette génération, on en fait une population de géniteurs qu’on fait reproduire et ainsi de suite. On crée donc des générations en pisciculture, mais avec des gènes Carança. La chose n’est pas aisée car les poissons sauvages ont tendance à stresser. Il suffit d’un oiseau qui le survole pour que tout le bassin s’emballe. Et quand un poisson stresse, les 10 000 autres qui l’entourent stressent à leur tour ! »
« Nous ne sommes pas des producteurs de chair à poisson. »
1 000 ŒUFS POUR 10 TRUITES « Nous ne sommes pas des producteurs de chair à poisson. À la différence de la nursery de Fontrabiouse qui reçoit les œufs directement, nous élevons les géniteurs et nous les faisons grandir. Nous les anesthésions un par un, nous faisons pondre les femelles une par une, et nous fécondons l’ensemble. C’est un véritable rituel dont la première étape se situe de la mi-novembre à la mi-décembre. C’est le temps du contrôle de maturité, de la vérification femelle après femelle de la présence d’ovocyte. Cela représente 10 000 poissons triés en une journée ! « Une fois les femelles prêtes, on anesthésie un lot pour éviter tout stress, on le sort, on le sèche entièrement et on l’enveloppe dans des serviettes avant de provoquer la ponte des ovocytes dans une passoire. Une dizaine de mâles sont ensuite réunis de la même façon pour en extraire la laitance. Ensuite les spermatozoïdes font leur boulot pendant une vingtaine de minutes. L’incubation dure environ deux mois. « À l’automne, les œufs sont enfermés dans des boîtes carrées percées de trous alvéolés, et immergés dans la rivière sous du gravier, un peu comme le ferait une truite. Sur 1 000 œufs de cette boîte, 10 seulement donneront un poisson susceptible de grandir et de retourner plus tard dans ce même ruisseau pour entamer un nouveau cycle
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de reproduction. C’est un procédé intéressant car les truites restent sauvages, naissent dans le ruisseau et y reviennent à l’instinct pour s’y reproduire. Nous l’avons pourtant abandonné depuis parce qu’il est trop aléatoire. On sort à peu près 300 000 alevins chaque année. Les œufs, on les met en janvier, les alevins, entre février et juin. Les truitelles mesurent entre 5 et 10 centimètres, elles sont de l’année, on les lâche à l’automne. Les poissons qui restent deviennent alors géniteurs à leur tour et la boucle est bouclée. »
FARIO DE SOUCHE
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« Par le passé, chaque rivière du territoire avait sa souche (le Sègre, l’Angoustrine, la Têt), souches qui ont toutes été dégradées par l’homme qui, toujours plus avide de poisson, a introduit des souches issues de piscicultures extérieures et notamment de Lozère. Si l’on y regarde de plus près, on découvre qu’il existe deux souches de truite fario : celle qui provient du versant méditerranéen et celle qui provient du versant atlantique. La première est plus difficile à élever et sa croissance est moins régulière. Il y a 50 ans, certains ont donc décidé par commodité de produire ces poissons de souche atlantique qui n’ont rien à voir avec nos rivières. Ces truites se sont hybridées avec les nôtres, les souches locales ont donc été polluées. Or il se trouve qu’au cours de l’été 2003 une crue éclair gigantesque a tout emporté sur la Rotja. Il n’y avait plus aucun poisson, plus rien. Pendant un an personne n’est intervenu sur la rivière et l’on a fermé la pêche. Et puis peu à peu, les preuves de renouvellement ont été de plus en plus nombreuses et que la population de truites se refaisait, uniquement avec des souches locales. »
Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes
les produits sauvages Dans le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes, quiconque chasse, pêche, cueille ou extrait les substances bénéfiques des végétaux, le fait autant pour s’en approprier le paysage que pour lui appartenir.À ceux qui les pratiquent, la quête vertigineuse du coscoll, la poursuite haletante de l’isard, la traque interminable de la truite fario ou la transformation de plantes offrent mille occasions de faire corps avec le sauvage, ses fruits, sa faune et sa flore, dont aucune production domestique ne peut égaler les saveurs et les parfums. Avec le panorama de cette part de territoire maîtrisée sinon domptée, le Parc naturel achève le triptyque de la collection Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes, qui rassemble désormais dans ses volumes un pan important de la mémoire orale, des aspirations, des visages, des souvenirs, du savoir et du caractère des gens d’ici. C’est sans doute la raison pour laquelle ces chasseurs, pêcheurs et cueilleurs d’ordinaire laconiques et jaloux de leur science parlent ici avec autant de générosité, qu’ils parviennent à force d’ellipses et de phrases laissées en suspens, à dévoiler l’intimité de leur pays sans jamais en
ISBN 978-2-86266-656-3
29 € 9 782862 666563
www.loubatieres.fr
déflorer les mystères.
Le Parc, ce sont 64 communes associées au Conseil Général et à la Région.