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L’horoscope Edélien

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Editorial

Editorial

L’horoscop Edelien Ines Amrani

LIFE Pour l’instant tout va bien. Vous stressez à l’idée que cela change. Apprenez à apprécier le présent, vous ne serez peut-être plus là demain. Rassuré ? WORK Vous êtes célèbre et gagnez moult petite monnaie. Vous ne vous abaissez pas à acheter un journal si vous n’êtes pas à la Une. Moins de graine. LOVE Vous êtes célibataire et fier de l’être. Les couples ont trop de problèmes, certains célib’ aigris diraient qu’ils en sont un, de problème. Mais pas vous. Vous ne voulez simplement pas de surnom ridicule à vous filer le diabète, merci. Libre comme l’air, indépendant, vous vous suffisez à vous-même. Pourtant mamie persiste avec sa question à la con : « Et les amours ? ». N’expliquez pas, dites juste que Charles n’est qu’un plan cul et regardez-la se décomposer (oups). La Paix.

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LIFE On ne vous prend pas au sérieux. Des études d’art ? Où penses-tu aller avec ça ? Histoire de l’art ? C’est pareil. Un job ? Comme si quelqu’un allait embaucher un bon à rien comme toi ! Levez la tête et écrasez les mécréants de votre mépris. Sinon devenez clown, les gens vous tournent déjà en dérision. Fierté.

WORK Vous venez de dégoter un petit job, qui se défend niveau paie en plus. Commencez à économiser, le plus dur est à venir. J’ai dit économise, repose ce calendrier… des pompiers… Bon, un petit écart de temps en temps, après tout ! LOVE Vous voyez le duo hollywoodien cheerleader-capitaine de l’équipe de foot ? Ce n’est pas vous. Vous êtes un couple lambda. Contentez-vous en.

LIFE Ça va, ça vient. Un coup il fait beau, un coup il pleut. L’automne c’est beau, mais l’automne c’est humide. Les couleurs sont chaudes, le ciel est gris. Contrasté dirait-on, comme vos humeurs. On a du mal à vous suivre, semez des galets. Yoga. Ninja. WORK La bière est votre amie. La bière de province peut-être, celle de Paris un peu moins. Pauvre mais imbibé, telle est votre devise. LOVE Les meufs, les mecs, les gens, le choix semble illimité. Vous êtes ouverts et curieux. N’oubliez pas de sortir couvert. Hot.

LIFE Vous avez décidé de vous mettre au bio. Adopter un mode de vie de plus sain, protéger la planète, tout ça tout ça. Vous avez raison, peut-être que ça compensera le paquet que vous fumez chaque jour. Désillusion. WORK Vous êtes pompier, policier, infirmier, riche, bref, le métier que vous rêviez de faire étant enfant. Fade. LOVE Vous filez le grand amour, votre ménage est heureux, et vous extatique. Ce que vous ne savez pas c’est que tout le monde est dégoûté de vos débordements d’affection ultra gênants (un 11

peu plus et tu touches ses amygdales). Décollez vous l’un de l’autre et contemplez tous vos amis partir. Solitude.

LIFE Après moult péripéties vous avez enfin un appart. Et dans Paris s’il vous plaît. Fier de vous, vous n’avez pas encore réalisé que vous ne serez vraiment installé qu’après avoir appelé EDF, GDF, internet, le type des blattes, le concierge, la poste… Force à vous. WORK Travailler ? Pourquoi ? Votre signe attire la richesse comme un aimant un trombone. Tous les billets de 20€ sur le trottoir sont pour vous. Joie et félicité, tout le monde vous jalouse. Picsou, c’est vous. LOVE On ne peut pas tout avoir. Touche le fond mais creuse encore.

LIFE Ça ne va pas fort : il pleut, vous êtes fatigué et tristounet. En même temps on est à Paris et puis vous n’êtes pas le seul. Ça finira bien par s’arranger d’une manière ou d’une autre, ou pas. De toute façon on s’en fout, on est devenus parisiens. Tu es en plein milieu du quai là et les gens font la queue. Sauter ? WORK 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,… Vos centimes semblent infinis, et pourtant vous êtes pauvre. Voilà, maintenant vous devez recommencer à zéro ! Focus. LOVE Vous êtes heureux que Lila fasse enfin partie de votre vie. Mais Lila est un chat et elle ne vous le rend pas. Allez la nourrir, sinon elle mangera vos pantoufles. On se remue, humain de compagnie !

LIFE Vous souhaitez rencontrer plus de personnes, renouer avec votre famille, le tout avant les fêtes. Histoire de ne pas les passer seul. Prenez votre téléphone et appelez. Ou sinon un mail, c’est bien un mail… Phobie du phone. WORK Travailler est une option. Votre patron est surpris quand vous vous pointez. Pourtant impossible de vous joindre, vous êtes overbooké. Vos amis ont oublié votre visage. Ah si, vous êtes dispo le 30 février 2020, entre deux « projets ». Allez bosser, vous n’êtes pas bénévole et surtout vous êtes pauvre. Cut the bullshit. LOVE Vous rêvez de ce bel inconnu rencontré au supermarché samedi dernier. Grand, musclé-mais-pas-trop, sourire charmeur, vous êtes déjà mariés. Enfin dans votre tête. Demandez aux mamies sur le banc en face de chez vous, elles savent tout. Commérages.

LIFE Vous avez décidé de changer de vie. Élever des lamas au Pérou. Perspective d’avenir, projet, lucidité, félicité. Vos parents vous supplient de continuer vos études (« L’art c’est pas si mal finalement »). Montrez-leur que vous vous êtes renseigné sur les bestioles : crachez. Partout. Sur tout le monde. Pensez à un partenariat avec les Capricorne, ils n’ont rien à perdre de toute façon. Avenir. WORK Vous venez d’être licencié. Coupes budgétaire disent-ils. Si Ginette avait libéré la place en partant à la retraite (ou en crevant, ça vous est égal) vous auriez encore votre poste. Travailler à 63 ans franchement ! Seum. LOVE Tout est au beau fixe. À un détail près. Vous rêvez. Wake up !

LIFE Vivre d’amour et d’eau fraîche. Vous espérez que le dicton est vrai, parce que c’est tout ce que vous avez right now. Espoir. WORK C’est la crise. Depuis deux mois c’est pâtes à l’eau. Vous avez oublié jusqu’à la couleur du jambon et bavez devant les salades diet’ de vos amis au régime. Si vous aviez du talent vous iriez jouer dans le métro, mais vous n’en avez pas. Exploitez les zones d’ombre de la loi pour vous enrichir en toute semi-légalité. Malin. LOVE Romance. Vous et votre ami d’enfance vous êtes enfin avoué vos sentiments. Rayon de lumière dans le ciel gris, vous reprenez confiance. Chéri, qui est cette Julie ?

LIFE Complot mondial. ILS sont partout. Tentatives de lavage de cerveau et disparitions mystérieuses (ah non, ça c’est Poutine). Journal de propagande Illuminati, vous ne nous lisez plus. Méfiance. WORK Vous venez d’être embauché au MacDo en même temps que votre meilleur ami. Bataille de frites et glaces à volonté à l’horizon. Restez éloigné des fours, une catastrophe se profile. LOVE Telle la ligne Maginot défendant la France, les maigres barrières protégeant votre cœur ne tiendront pas longtemps devant Alec, hipster-stylé-ténébreux-mais-sensible rencontré à l’Anticafé jeudi dernier. Prenez-garde. Vous n’écoutez pas, vous êtes déjà en train de choisir un nom pour votre chien. 14

LIFE Vous dérangez parfois, mais vous n’en avez cure. Les rageux peuvent aller se jeter dans la Seine. Pour compenser cette pollution aquatique, faites quelques actions environnementales. WORK Vous avez décidé de vous lancer en freelance. À fond dans les nouvelles technologies, la VR est votre réalité. Vous exploitez donc vos journées passées dans des mondes parallèles pour vous lancer dans la drogue. Récréatif et lucratif. LOVE Vous êtes en couple libre. Tendances exploratrices et découverte de nouvelles terres (l’herbe est toujours plus verte ailleurs), vous vous dites ouvert et sans préjugé. Tout le monde sait que vous êtes un chaud lapin. Vous ne connaissez pas les problèmes d’interdépendance amoureuse. Vous incarnez le chill.

LIFE Vous vivez votre vie sans vous soucier des autres. Comme tout le monde. Selfocracy. WORK Tyrannisé par des mini-dictateurs du XVIe, vous songez à tout plaquer (enfin surtout ces gamins, façon Chabal). En plein questionnement existentiel, posez-vous une seule question : que ferait Staline ? Sinon, j’ai entendu dire que les Verseaux ont besoin d’un guetteur. Goulag. LOVE Vos parents souhaitent vous présenter quelqu’un. Un bon parti selon eux, plutôt beau garçon (toujours selon eux). Fuyez.

Jingwei, l’oiseau du ressentiment Déborah Philippe

La Chine et son formidable goût pour l’astronomie et son astrologie tout droit venu de l’imaginaire… Qui n’a jamais fantasmé sur les fenghuang, de merveil leux oiseaux symbolisant le bonheur conjugal, ou les fabuleux tian long, ces dragons célestes qui protègent la demeure des divinités ? Le pays possède un véritable folklore d’animaux légendaires, des histoires de cosmogonie qui n’ont rien à envier à l’Occident. L’une d’elle est particulièrement touchante… La naissance de l’oiseau Jingwei.

Il existe plusieurs versions de cette légende, la plus connue, certes la moins émouvante, provient du Livre des monts et des mers, un recueil de mythes datant des Royaumes combattants (481-221 av. J.-C.) jusqu’aux Han (206 av. J.-C. à 220 ap. J.C.). Initialement, nous pouvons lire «Au nord sur l’arbre Shisang dans la montagne Fajiu, vit un oiseau. C’est Nü Wa, la plus jeune fille de l’empereur Yandi. Il a la tête tachetée, le bec blanc et les pattes rouges, jingwei est son cri, aussi l’appelle-ton oiseau jingwei ; on le nomme aussi l’oiseau du ressentiment. Il fait l’aller- retour entre la montagne de l’ouest et la mer où il jette les cailloux et les brindilles pris dans la montagne comme pour combler l’océan. ». Les auteurs postérieurs, comme les poètes Tao Yuanming ou Li Bai sous les Tang, ou encore Françoise d’Eaubonne dans L’Éventail de fer, ont pris du plaisir à développer cette histoire, comme les mythes grecs enrichis de siècle en siècle, et voici un aperçu bien plus narré :

Nü Wa, à ne pas confondre avec la créatrice de l’humanité qui porte le même nom, était la fille cadette de l’empereur Yandi. Lorsque son père était absent, la petite fille ne vou16

lait qu’une chose : aller à la mer orientale afin de le retrouver. Elle se procura un charmant bateau d’ivoire et traversa l’étendue d’eau… Mais ô misère, ce qui devait arriver arriva, la mer jalouse créa une tempête, la jeune fille se fit engloutir dans les flots orientaux. Prise de remords et d’une haine farouche envers la mer, l’âme de Nü Wa ne pouvait s’élever aux cieux. Étant la fille d’un puissant empereur, les divinités décidèrent de la faire renaître, non pas en phénix car Nü Wa avait trépassé par les eaux, mais par un oiseau sans nom qui criait « jingwei ». Afin que la mer ne prenne plus de si jeunes vies, elle décida de faire l’impossible : combler la mer par des pierres et des brindilles. Des années durant, Jingwei ne cessa jamais son travail grâce à sa volonté inébranlable. Comprenant son intention, la mer de l’est se moqua d’elle (ou dans les versions plus récentes Guan Yin alias notre Avalokiteshvara international) : « Jingwei, petit oiseau, minuscule petit oiseau, arrête donc tes efforts. Même si tu travail -

lais pendant cent ans, tu ne pourrais jamais remplir la mer d’Orient ! ». Face à cela, l’oiseau répliqua de plus belle « Un million d’années, des millions de milliards d’années, jusqu’à l’extinction de l’univers, je continuerai ! ». Peu après, Jingwei s’accoupla avec un oiseau des tempêtes, un pétrel. Les mâles, nés d’une mère intrépide, bravaient la tempête chaque fois qu’elle se déchaînait, faisant face aux vagues et traversant les nuages noirs, tournoyant et planant sans relâche au-des sus de la mer démontée en lançant des appels au combat et à la vengeance. Les femelles continuèrent quant à elles, la tâche inachevée de leur mère avec la même volonté, transportant, année après année, génération après génération, des branches et des pierres qu’elles jetaient dans la mer en vue de la combler un jour. Que retenir de Jingwei, hormis qu’elle est aussi têtue qu’une mouette voulant manger notre repas près de l’eau ? Non, en réalité, c’est caractéristique à tous les oiseaux qui côtoient les hommes… La colère d’une mort dont la nature est responsable ? De regarder la météo avant de sortir en mer ? La réponse serait de remettre en contexte cette histoire dans la période des Royaumes combattants aux Han, lorsque les royaumes qui cherchent à asseoir leur pouvoir sur les autres en se montrant supérieurs en tout point, commencent à s’unifier sous l’empire Qin. Quoi de mieux que de rédiger une charmante petite légende afin d’apprendre aux enfants la persévérance face à la fatalité ? À méditer avec de l’encens un jour d’automne pluvieux peut-être…

PLUTON, MY LOVE. Ô BELLE PLUTON, PLANÈTE ADORÉE DE TOUS, FINI LA NASA, JE T’AIME COMME UNE MOUSSE AU CHOCOLAT. TU ES RONDE ET TOUTE PETITE, MAIS POUR MOI, CETTE SPLENDEUR TE FAIT MÉGALITHE.

Tyfenn Le Roux

Pour celles et ceux qui l’ignorent, Pluton c’est un astre. Mais pas n’importe lequel, Pluton c’est un astre qui porte à débat. En 2006, l’Union astronomique internationale (UAI) réunie à Prague pour son 26e sommet décide de faire passer Pluton du statut de planète à celui de planète naine. L’argument utilisé étant celui qu’une planète n’a pas d’objets semblables qui gravitent autour de son orbite, ce qui n’est effectivement pas le cas de notre belle Pluton.

Exclue du club des neuf planètes composant le système solaire, Pluton et ses 16 650 000 km² de surface se retrouvent relégués au titre de planète naine et d’objet mineur. Cette exclusion a soulevé un mouvement de soutien pour cette planète plus petite que les 17 098 246 km² de surface de 19

la Russie. Un élan se met donc en place depuis les Internets, comme dirait ma grand-mère, et continue de monter avec l’appui de certains scientifiques qui demandent la réhabilitation de Pluton en tant que véritable planète. Certains ont même fait le choix de désigner Pluton comme une planète, ne faisant plus cas des décisions internationales sur le sujet.

Le débat continue encore aujourd’hui avec au centre de la table la question de la définition d’une planète. Arrêtons tout de suite les considérations scientifiques, et pensons à toi Pluton, petite planète le cul entre deux chaises (il n’y a pas d’autres mots), attendant patiemment que ton statut soit enfin clairement défini.

Ton nom te donne un air inquiétant, maîtresse des Enfers. Mais rien à voir avec ton copain Hadès, tu es une planète plus ou moins accueillante (il faut quand même le dire) composée de roche, de glace, de méthane, de glace d’eau et d’azote gelé. Bon d’accord, il fait à peu près froid tout le temps (-220°C l’hiver, pour un hiver qui dure 120 ans) mais quand il fait déjà en dessous de 10°C en octobre ici sur Terre, on peut se laisser tenter.

Alors on prépare sa valise et on part passer l’hiver au chaud sur Pluton, enfin surtout dans le vaisseau pour y aller parce que 5,7 milliards de kilomètres depuis la Terre, ça ne se fait pas en une après-midi.

Certains vont se demander : « Mais pourquoi aimer Pluton ? ». Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise planète. Moi, si je devais expliquer mon amour pour Pluton aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord de la surprise. Une orbite excentrée qui la sépare de celles classiques des planètes de la Voie lactée, et qui la rend encore plus spéciale dans cette immensité qu’est l’espace. Il n’y en a pas deux comme Pluton et c’est ce qui fait qu’elle mérite tout notre amour, elle est unique, elle est belle, elle brille au loin quand on a un très très bon télescope, bref elle est parfaite.

Pluton jtm < 3.

P.S. : Amis musiciens et paroliers, s’il vous plaît écrivez des chansons sur Pluton ! Parce que « J’ai demandé à la lune », « Here comes the sun » et « Life on Mars », c’est bien mais ça manque de plutonitude.

LA_TÊTE_DANS_LES_ÉTOILES_ ROSALIE_GILLET_

Le ciel est un écrin aux milliers de trésors. On y loge des mystères qui nous occupent depuis la nuit des temps, et des choses qui sont forcément plus belles, plus pures, plus magiques que ce qui peuple la terre. Nous sommes bien plus près du royaume des anges déchus... qui nous est d’ailleurs bien plus accessible. Tout simplement : il nous semble plus facile de descendre que de monter.

C’est cette impossibilité à l’atteindre qui nous amène sans cesse à rêver du ciel. C’est là que nous y rangeons les divinités, les saints, nos proches disparus - et parfois même le Paradis. L’Olympe, si haut qu’il en touche le ciel, est à la fois la demeure divine et la plus haute montagne grecque. Ce pays des dieux ne peut donc pas être atteint des hommes - la première montée (connue) au sommet du plus haut pic (le pic Mytikas) de l’emblématique mont ne s’est faite qu’en 1913. On peut voir ailleurs qu’en Occident cette symbolique qui entoure le ciel : en Chine par exemple, une légende, la Tisserande et le Bouvier, symbolise cette séparation du monde humain terrestre et du monde céleste divin. La Tisserande est une déesse, le Bouvier un simple jeune homme. Ils tombent amoureux, vivent heureux, ont deux enfants. Mais quand il en prend connaissance, l’empereur céleste les sépare, et la voie lactée, rivière d’étoile, est créée par sa femme pour les empêcher de se retrouver. Leur amour, qui ne faiblit pas, permet de convaincre les empereurs, et ils sont autorisés à se retrouver une fois par an, à l’aide d’un pont formé d’hirondelles. Encore une fois, il s’agit bien d’une impossibilité : le royaume du ciel nous est interdit, nous n’en faisons pas partie.

Mais le ciel, c’est un univers qui peut nous faire rêver, parce que là-haut, tout est possible - et tout est possible parce 22

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que malgré des milliers d’années d’observation, il nous reste globalement très mystérieux. Mais c’est aussi quelque chose de tellement proche que nous sommes autorisés à y rêver avec des termes concrets, du quotidien. Il nous semble presque à portée de main. Ainsi, à la manière du Petit Prince, nous aimerions pouvoir aller d’étoile en étoile, car nous avons «des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître». L’imaginaire collectif est peuplé de représentations d’un monde céleste : pour Aristote déjà, il est parfait, contrairement au monde sublunaire. Dans de nombreuses mythologies, c’est là que les saints, les divinités se trouvent. C’est vers les étoiles que nous regardons quand nous cherchons à nous repérer sur la Terre, ou même que nous cherchons des réponses. Et nous accordons une grande importance à ce que les astres nous disent, encore aujourd’hui.

Ainsi, le ciel est un endroit qui fait rêver l’humanité depuis toujours. Il fascine - parce que le ciel, finalement, est la véritable terre de toutes les promesses. Alors que la Terre est limitée, ce qu’il se passe au-dessus de nos têtes touche à l’illimité : et nous rêvons toujours d’aller plus loin, plus haut - au-delà de nos limites. Alors, après avoir atteint les limites du monde, après avoir gravi les plus hautes montagnes, nous avons eu ce projet fou: atteindre les limites de l’Univers, si seulement elles existent. Projet qui n’est pas si récent que ça, finalement... et qui ne s’embarrasse pas de contraintes techniques. Il se retrouve dans beaucoup d’histoires, d’hier et d’aujourd’hui. Le ciel fascine. Nous pouvons penser, dans l’histoire récente et aux débuts du cinéma, au film de Méliès Voyage sur la lune de 1902, lui-même inspiré d’un livre de Jules Verne De la terre à la lune publié en 1865.

Mais, bien sûr, il y a bien plus ancien : voyons le mythe de la tour de Babel raconté par la Genèse, tellement connu, mais qui montre une réflexion autour de l’orgueil des hommes qui ne date pas d’hier. Les hommes, dans l’illustre Babel et sous les ordres du roi Nabuchodonosor II, construisent une tour* qui doit toucher le ciel et rivaliser avec les dieux. Et cela se retourne contre eux : les hommes perdent la langue commune et sont dispersés aux quatre coins de la terre. Le mythe d’Icare nous montre aussi le danger qu’il y a à vouloir toujours dépasser les limites qui nous sont fixées. La peinture de Brueghel l’Ancien retranscrit avec une certaine joie une critique de l’hybris humain : La chute d’Icare, c’est bien le titre du tableau, mais on ne le retrouve que dans un petit coin, perdu au milieu de la vie qui conti

nue - à peine voit-on deux jambes qui sortent de l’eau et quelques plumes.

Si cette fascination lointaine est encouragée, il nous est vite rappelé que le ciel ne nous appartient pas. Ce n’est pas tant cela qu’une mise en garde face à notre orgueil : atteindre les étoiles, oui, mais sans oublier d’où l’on vient ? Alors que l’exploration des astres, que nous avons enfin commencée, n’était que l’achèvement d’un ancien et puissant rêve de l’humanité, la conquête spatiale se pense maintenant en terme de colonisation de l’espace. C’était un doux rêve, il semble que cela soit de plus en plus une nécessité !

*Hors de l’histoire faite par la Genèse, c’est une tour (un ziggourat) à la gloire de Marduk, dieu mésopotamien majeur, qui a créé l’Univers - en séparant terre et ciel.

L’apARTé scientifique

Impression, soleil levant, petit questionnement d’ordre physique

Impression, soleil levant de Monet, tout le monde connaît cette oeuvre, au moins de nom ! Il faut dire que c’est «THE» tableau du mouvement impressionniste, au point même qu’exposé lors de la première exposition impressionniste d’avril 1874, son titre, repris ironiquement par les critiques, donnera le nom dudit mouvement ! Il faut avouer qu’il ne passe pas inaperçu avec son port du Havre embrumé, où voguent quelques barques dont on ne distingue que les silhouettes, surmonté, dans un ciel aux teintes orangées, d’un soleil rouge vif se reflétant dans les eaux. Et là, une question sortant totalement du cadre artistique me taraude l’esprit : mais pourquoi donc le soleil et le ciel arboraient-ils ces nuances de rouge en ce matin du 13 novembre 1872 -à 7h30, oui c’est précis à ce point-, comme tous les matins d’ailleurs ?

Pour répondre à cette question, il nous faut nous intéresser à la lumière d’un point de vue physique. En effet c’est elle, et elle seule, qui fait la couleur de la ma25 tière. En bref -et pour ceux qui se seraient endormis en cours d’optique, ce qui est … tout à fait normal, ne vous en faites pas-, les molécules composant un objet vont refléter certaines longueurs d’onde composant la lumière visible, et absorber les autres. Ainsi, l’objet en question nous apparaîtra de la couleur correspondant auxdites longueurs d’onde. Bien, mais qu’est-ce que c’est donc que ces sapristi de longueurs d’onde alors ? Disons que la lumière est une onde -et aussi une particule, le photon, mais pas l’temps d’expliquer, j’ai piscine dans vingt minutesqui se déplace comme une vague et dont la longueur d’onde est celle qui sépare deux pics de « vagues ».

Parlons maintenant de la diffusion de Rayleigh -mais non, mais non, ne fais pas cette tête Billy, ça va bien se passer ! Donc, la diffusion de Rayleigh c’est ce qui se produit quand une onde rencontre un corps présentant des aspérités beaucoup plus petites que sa longueur d’onde, comme une molécule composée de petits atomes. En gros -et parce que les deux jours durant lesquels j’ai

essayé de comprendre dans le détail cette théorie se sont soldés par un mal de crâne sans nom et un séjour dans un hôpital psychiatrique ... mais je vais très bien ! Et Billy aussi ! Hein Billy ?-, quand une onde atteint une molécule (par exemple), elle dérègle totalement l’organisation électromagnétique du bouzin -tu sais, les histoires d’électrons négatifs et de protons positifs là-, ce qui provoque un rayonnement tous azimut de la même longueur d’onde que la petite onde lumineuse du début. Pourquoi ? Et bien comme le dirait tout bon maître du jeu qui se respecte, ta g***** c’est magique ! Ou en tout cas physique, mais je n’ai pas compris.

Et c’est là que je me rends compte que j’en suis à la moitié de mon article, et que je n’ai pas parlé une seule fois du ciel ! Donc en voiture Simone ! Le ciel, soyons d’accord, c’est ce qu’il y a au-dessus de nous -non, pas le plafond Billy, tu me fatigues à la fin !-, soit beaucoup de vide, des étoiles, des planètes, des Martiens et … une atmosphère ! Et c’est justement de ça dont on va se préoccuper maintenant. L’atmosphère terrestre est très approximativement composée de 78 % de diazote (deux atomes d’azote), de 21 % de dioxygène (deux atomes d’oxygène) et de 1% de … plein de trucs. Or ces molécules sont composées d’atomes beaucoup plus petits que les longueurs d’onde de la lumière, et là … Oh mon Dieu ! Tout est lié !

En effet, tout cela nous permet d’expliquer la multitude de teintes dont se pare le ciel au fil du temps. Ainsi, et avant d’aborder la question qui nous intéresse ici, demandons-nous ceci : pourquoi le ciel, en journée, est-il bleu ? Et bien pour y répondre, il faut revenir à la diffusion de Rayleigh. En effet, cette théorie indique que

l’intensité de lumière diffusée est « inversement proportionnelle à la puissance 4 de la longueur d’onde concernée » Pourquoi ? Heu … demandez au maître du jeu ! Bon, pour faire simple, plus la longueur d’onde est basse (proche du bleu), plus elle sera diffusée intensément. De ce fait, et par une réaction en chaîne, les longueurs d’onde du bleu s’éloignent de l’épicentre lumineux (qui est pour nous le soleil) et parcourent de proche en proche la totalité de l’atmosphère, parvenant à nos yeux de toutes parts, d’où la couleur bleue du ciel. Les autres longueurs d’onde (dont encore un petit peu de bleu bien entendu) diffusées moins intensément, se propagent beaucoup moins et restent ainsi bien dans l’axe du soleil, donnant ensemble de la lumière blanche, ce qui procure à notre astre diurne son éclat.

Et du coup ! Qu’en est-il des levers de soleil -et des couchers de soleil aussi, y’a pas d’raison- ? Et bien Jamy, c’est très simple ! Le soleil se trouvant très bas à l’horizon, la distance à traverser par la lumière pour parvenir à nos yeux est beaucoup plus grande, ce qui veut aussi dire que le trajet de ladite lumière dans l’atmosphère est beaucoup plus long et qu’elle rencontre donc beaucoup plus d’atomes qui, potentiellement, peuvent en diffuser une partie. C’est ainsi que la presque totalité des longueurs d’onde du bleu se retrouvent en périphérie du ciel quand elles parviennent à nos yeux, car presque en totalité diffusées de très nombreuses fois. De la même manière, les longueurs d’onde du rouge ont beaucoup plus de chances d’être diffusées, et s’éloignent donc, comme les précédentes, de l’épicentre qu’est le soleil qui en l’absence de bleu, se teinte de sang. Alors, le ciel s’embrase, et l’artiste, touché par l’extraordinaire spectacle de la nature, peint. Le physicien, lui, pense à tout ça et essaye de résoudre les équations de Rayleigh, juste pour le fun.

Raphaël VAUBOURDOLLE

Ek°Phra°Sis Paroles à ciel ouvert Laureen Gressé-Denois

Alors que les étoiles ornent la chevelure de la nuit, alors que la calme campagne blanchit en cette fin d’automne, il faut savoir reconnaître la pureté du ciel d’hiver si réputé pour sa clarté par rapport à celui de l’été. Dans notre firmament réapparaissent des constellations que nous ne voyons qu’en cette période de l’année : Orion, le Taureau, les Gémeaux, le Cocher, Persée... Combien d’entre nous, les yeux levés vers ces belles dames d’argent, ont cru en leur bonne étoile ? Combien d’entre nous leur ont secrètement donné le nom d’un être cher ? Combien d’entre nous se sont posés la question d’un destin dicté par de célestes entités aux multiples noms ? Beaucoup sans doute... Or, si ces questions nous engagent personnellement, elles intègrent souvent dans leurs fondations une deuxième personne que nous aimons ou qui du moins nous offre l’espoir d’y croire... Dès lors, commençons notre vertigineuse plongée entre les dialogues célestes...

S’il y a bien deux destins réunis et à la fois traversés d’amitié et d’amertume, ce sont ceux inséparables de Max Ernst et de Paul Éluard. Premier surréaliste à croire en ce jeune Allemand qui lui envoie ses œuvres dadaïstes de Cologne par la poste, Paul Éluard, de son vrai nom Eugène Grindel, va monter 28

pour lui sa première exposition à Paris. La rancune entre Français et Allemands après la guerre de 1870 est dépassée par les deux jeunes hommes qui se vouent une admiration mutuelle et une amitié qui impressionne beaucoup d’artistes. Celle-ci est si forte qu’Éluard accepte qu’Ernst vive avec lui et sa femme Gala à Paris. Or, Max est amoureux de la jeune épouse et Éluard, face à leur amour, teinte son destin avec Ernst d’une touchante détresse et d’une fatale acceptation. Il retranscrit ses sentiments vis-à-vis de l’artiste allemand dans son poème « Max Ernst » publié dans le recueil Capitale de la douleur. « Dans un coin l’inceste agile

Tourne autour de la virginité d’une petite robe. Dans un coin le ciel délivré Aux épines de l’orage laisse des boules blanches.

Dans un coin plus clair de tous les yeux On attend les poissons d’angoisse. Dans un coin la voiture de verdure de l’été Immobile glorieuse et pour toujours.

À la lueur de la jeunesse Des lampes allumées très tard La première montre ses seins que tuent des insectes rouges. »

« Max Ernst », Répititions, Capitale de la Douleur, 1926 Eugène Grindel, dit Paul Éluard 29 Le poème, très imagé, semble décrire plusieurs scènes cinématographiques successives, des plans à la fois lumineux et angoissants. Les différentes sources de lumière décrivent toujours Max, image d’un ami qui garde sa splendeur, que l’on a longtemps apprécié et qui pourtant, se drape d’un voile inquisiteur et qui assombrit les heureux jours d’amour d’Éluard et de Gala. L’étoile de Max semble ternir le ciel de Paul qui finira toutefois par progressivement pardonner à son ami. Ce dernier utilise aussi la lumière et les étoiles dans son art. Le surréalisme cherchant l’interprétation multiple dans l’heureux hasard d’assemblage incongru d’images, Max Ernst voit dans les étoiles un cosmos étrange et primitif à explorer. En effet, plus tard dans sa carrière, l’artiste allemand émigre aux États-Unis où il s’installe à Sedona, en Arizona, avec sa nouvelle épouse Dorothea Tanning. Entre le désert aride et les rougeoyants canyons escarpés, Max rencontre le peuple indigène des Hopis des Mesas qui utilise des poupées kachina pour réaliser des rituels magiques. Le sculpteur commence alors une monumentale œuvre juste devant sa maison qui est située sur une colline nommée Capricorn Hill. Jeu de mots pour provoquer l’imaginaire ou pur hasard, Max va nommer la sculpture Le Capricorne, aujourd’hui conservée à Paris au centre Georges Pompidou. Avec la tête du roi caprin et la queue de la reine

sirène, Max Ernst a décomposé le symbole de cet animal légendaire mi-chèvre mi-poisson. De plus, si l’on revient à la seule culture des Hopis de Mesas, leurs poupées kachinas sont utilisées durant les cérémonies mystiques entre le solstice d’hiver et le solstice d’été.

Or, si l’on regarde l’écliptique (trajectoire du Soleil dans le ciel du point de vue de la Terre), le Soleil commence à traverser la constellation du Capricorne à partir du 21 décembre… jour du solstice d’hiver ! Ernst renforcerait-il ainsi la dimension magique de son œuvre en faisant d’elle une poupée kachina monumentale qui protège sa demeure, en la nommant Capricorne ? Ce ne serait pas étonnant, d’autant qu’Ernst nourrit une fascination pour l’astronomie. Il considère cette discipline, les signes astraux, les étoiles et les constellations comme la métaphore de la pensée s’élevant vers l’inconscient.

Autre métaphore des errances artistiques cherchant l’infini, les roses médiévales de nos cathédrales occidentales. Ouvertures multicolores obtenues grâce à la coloration du vitrail, leur fine dentelle due à un remplage aminci et la qualité du verre pigmenté permettent des rondes de grâce et de lumière. La forme du cercle ayant été, depuis l’Antiquité, associé à l’Éternité, la rose rappelle aux fidèles le mystère imperceptible de la vie triomphante, de la mort transcendée et de l’Amour divin infini. Elle est l’illustration du dialogue constant et à la fois insondable qui se crée entre Dieu et les croyants. Instant d’émotion dans les églises, les cathédrales, elle est l’ouverture de paroles non dites, d’une secrète discussion à la fois profonde et muette, intense et silencieuse. Une des rosaces les plus belles de notre pays se trouve sans doute à Strasbourg dans la cathédrale Notre-Dame. Parsemée de germes de blés, elle est l’immuable rappel de la vie féconde et céleste…

« D’infinis ciselés millefiori S’ancrent à de ma voix le chantre, Sacrant l’émoi de notre antre À l’immersive idylle de nos iris.

Doux rondo d’une éclose rose S’entrouvre la baptismale eau Qui sous la croisée tendrement croit Et dont l’épine est l’inévitable voie.

Court le champ de couleurs sous ton souffle...

Es-tu roi ou fou aux sourds atours ? À nos enlacées mains s’élève la houle D’une grâce dont aveugle aujourd’hui, Je cueille les émus et fins contours.

Vois, Ami dont j’étais la loi, Le baiser d’enluminées voluptés. T’en souviens-tu, au dilué serment, Qui à jamais a lié de célestes amants… »

Épitaphe Orion RA 6h17m 20s 2¤ 55’, 29 octobre 2018 Laureen Gressé-Denois

Illus 7e ciel

Septième ciel

Dorian Haudoin

Loin des cieux, Loin du cœur

Doucement, les flots reviendraient s’échouer sur la rive. Puis, se retirant, recommençant leurs va-et-vient, laisseraient s’échapper la mélodie de l’écume. Sur la plage de galets, un corps inerte faisait face au ciel. Entièrement couvert d’une épaisse combinaison, seul un visage de jeune femme, le regard fermé mais paisible, pointait le bout de son nez. Bercée par le bal des vagues, elle ouvrit lentement les yeux, s’extirpant de son songe. Les membres engourdis, son réflexe fut de tourner la tête. La formation qu’elle reçut induisait qu’ici-bas, elle était toujours en situation de danger ; et pourtant, tout ce qui lui importa en ce moment fut d’admirer le panorama duquel elle était captive. C’était la première fois qu’elle assistait à cela. Làhaut, dans les cieux, le vent faisait déplacer les nuages. Ils étaient à la fois étranges et familiers : celui en haut à gauche lui rappelait un « la33

pin », cet animal mythique, qui arpentait les pages des livres de la Bibliothèque. Derrière celui-ci, une bête fantastique ; et dans cet amas de nuages, le visage de ce supérieur grincheux. Cependant, elle ne reconnut aucun « oiseau ». Dans ce tableau, il n’y avait rien de plus que ces bandes bleues et grises ; et le silence.

Elle se releva enfin. Sa combinaison semblait avoir été abimée, sa réserve d’oxygène présentant un trou béant. De toute façon, elle n’avait plus son scaphandre. De surcroît, elle était seule, ce qui était une violation grave du protocole. Mais le plus étrange fut le fait qu’elle ne se souvenait de rien. Bien sûr, elle se rappela avec détail ses émouvants au revoir avec sa camarade de chambre et l’atterrissage sur les terres désolées. Après ça, le vide. Elle passa sa main dans ses cheveux, et une désagréable odeur parvint à ses narines.

C’était du soufre. Ou peutêtre bien des cendres ; elle avait du mal à se souvenir de ses cours de chimie. Ce qui était sûr, c’est qu’une pellicule noirâtre la recouvrait partiellement.

Recouvrant progressivement ses esprits, la jeune femme se promena sur la plage. Un célèbre adage arpentait les murs de l’Université : « Nous qui n’avons jamais été faits pour ce monde, nous avons toutefois éprouvé du mal à le quitter. Mais, rassurons-nous : on dit que chaque atome de notre corps faisait autrefois partie d’une étoile. Alors, peut-être ne sommes-nous pas partis : peut-être sommes-nous rentrés à la maison ». Contemplant la beauté de cette nature interdite, cela ne lui avait jamais paru aussi faux qu’en ce moment. Mais alors en pleine méditation, elle s’arrêta brusquement. Au loin, elle surprit ce qui semblait être un jeune garçon. Un doute traversa son esprit : ne lui avait-on pas appris qu’il n’y avait aucun survivant sur Terre ? Elle jeta un bref regard sur son piteux état. Serait-ce à cause de lui ? Se projetant alors vers l’ennemi, sur le point de le neutraliser, ce dernier l’interpella.

« Hey miss, are you ? » are you lost Who Freinée dans sa course, elle ne comprit pas. Non pas le comportement de son opposant, censé être hostile, mais les mots qui lui parvinrent. De visu, il n’avait pas plus d’une dizaine d’années, et portait des vêtements déchirés, noircis par la crasse. Le protocole ne disait rien quant aux rencontres avec les aborigènes. Quoi qu’il en soit, elle crut bon de lever son doigt au ciel. « C’est de là que je viens », lui dit-elle, espérant un semblant de compréhension. « Je m’appelle Meryl. Quel est ton nom ? - I can’t find my village, nor my people… I am lost too. But there you are ! » Elle ne comprenait toujours pas. « Maybe can you speak French ? Madame, que faites-vous ici ? »

Toujours rien. Elle crut reconnaître quelques mots, des débuts de phrases qui pouvaient mener à quelque chose, mais ce n’était que du charabia à ses oreilles. Étaitce à ça que ressemblaient ces langues mortes ? Après cet échec retentissant, ils essayèrent de communiquer tant bien que mal en langue des signes. Empreints de naïveté, ces échanges laissaient échapper des grimaces, mais aussi des rires. Ils saisirent qu’il fallait explorer les environs, pour lever le voile sur l’étrangeté de leur situation. 34

La jeune femme arracha alors l’émetteur GPS de sa manche et le colla sur la bague plastique du petit garçon, qu’elle venait de remarquer. « Quel bel objet tu as », soupira-t-elle. « C’est un geai, déployant ses ailes, si j’en crois mes lectures à la Bibliothèque. Un oiseau que je n’ai pas eu la chance de voir... » S’ils devaient se séparer, elle pourrait le retrouver à tout moment grâce au radar que tous les membres de chaque escouade avaient reçu avant de partir en mission. Et puis, elle n’avait pas cessé d’être méfiante à son égard. Ils se regardèrent dans les yeux, et d’un signe de la tête, ils se séparèrent.

La nuit commençait à tomber. La jeune exploratrice avait scruté les environs des heures durant, à la recherche d’indices quant à la présence de ses camarades ou d’autres indigènes, en vain. Elle décida alors de retrouver le petit garçon, suivant ses traces sur le radar. Sur place, elle ne trouva que l’isolement. A ses pieds, la terre avait été fraîchement retournée. « Quelles étranges plantations, je me demande ce qu’ils cultivent ici », se demanda la jeune femme, en face de ce qui lui semblait être des jeunes pousses de buissons quelconques. L’une d’entre elles, à cinq courtes branches, arborait une excroissance en forme d’anneau à l’extrémité. Le radar, à mesure qu’elle s’approchait, ne cessait de biper. Son sang se glaça alors. Si l’on se rapprochait assez de la branche, on pouvait y contempler l’envol d’un oiseau moqueur.

Histoi’Art L’encens, ivresse d’un parfum d’antan

Il traverse la nef, embrume les sanctuaires cachés, fait chatoyer de mille exaltantes senteurs les prières au céleste livrées. Léger, vaporeux, orné d’enluminées courbes et contre-courbes, l’encens danse dans les airs et tourbillonne aux cieux de multiples fois. Montent alors dans le labyrinthe de l’Histoire de pieux cérémoniels dont la transe livre de mystérieux secrets. Approchez, ne craignez pas les bosquets et haies parfumés. Là, entre ces séculaires feuillages, se diffuse à vos connaissances la montée de l’encens oublié mais aujourd’hui raconté.

Première croisée végétale. Arrêt. L’encens se délite dans l’air quand le parfum s’abîme en volutes. Xiang apparaît. Caractère chinois signifiant «parfum» ou encore «encens», il représente pour les anciens dans sa calligraphie une bouche s’exprimant et surmontée d’un petit arbre sur lequel glissent les gouttelettes d’une pluie de lait. Littéralement, en chinois Laureen Gressé-Denois

ancien, Xiang désigne «la sève permettant la communication». Mais regardez attentivement encore le caractère... Le dessin ne vous fait-il pas penser à un brûle-parfum duquel s’élèvent des nuages étagés de brume ?

Clarté et croissance s’esquissent dans Xiang qui délivre aux cieux les prières de fidèles psalmodiant. Avec le confucianisme, l’encens va prendre toutes ses lettres de noblesse. En effet, pour parler d’un gouvernement

idéal, le grand maître philosophe n’évoque-t-il pas un groupe politique qui doit «exhaler une senteur d’encens» ? Aux nouveautés de cette pensée se mêlent également les mythes taoïstes que les objets chinois théâtralisent à travers l’art décoratif. Observons par exemple les brûle-parfums à couvercle en forme de montagne Boshanlu. En bronze, ils sont généralement tripartites avec un pied en forme de chimère montée par un Immortel. Celui-ci est souvent longiligne, avec un visage émacié et pourvu d’ailes. Ensuite, la coupe et le couvercle sont en forme de montagne peuplée, appelée “Boshanlu”, avec au sommet un phœnix. Cette colline est censée abriter les Immortels taoïstes et tout mortel aspire à la trouver à travers les principes de cette confession. D’après les textes, la montagne serait dissimulée par d’ancestrales brumes qui la cachent au reste du monde terrestre. En faisant brûler de l’encens dans la coupe, les volutes de fumée viennent embrasser les courbes de la montagne ouvragée et le parallèle visuel entre légende et réalité de l’objet s’opère. Suivez la nouvelle travée de lauriers et longez la haie. Nouveau carrefour. Multiples ouvertures. Vous vous engouffrez dans une nouvelle allée parfumée. Si certains considèrent les senteurs douces, florales et fruitées comme une ivresse créée par le Diable pour nous tenter, les confessions judéo-chrétiennes n’en demeurent pas moins fascinées par l’encens 37 dont elles reconnaissent le vecteur de piété. Ainsi, les chrétiens coptes d’Égypte affirment que «le parfum enivre et captive mais [que] l’encens purifie et sanctifie». Le mage Gaspard n’offre-t-il pas de l’encens à l’enfant Jésus qu’il vient adorer?

Adoration des mages Stomer

Produit précieux dans l’Antiquité, Pline l’Ancien indique même que les Grecs nommaient l’encens «sariba», qui signifie «secret», soulignant par conséquent la rareté du bien. La préciosité de l’encens ne réside toutefois pas dans son essence même mais dans l’éprouvant chemin qu’il fallait effectuer pour le livrer à Rome. Parti de Chine, il fallait parcourir à dos de chameau 3600 kilomètres en soixante-cinq étapes pour rejoindre le port de Gaza d’où était expédié l’encens vers le cœur de l’Église.

Nouveaux pas ; enivrement de fragrances adorées. Nouvelle entrée ; engagement de directions parfumées. Alors que l’encens est utilisé pour atteindre le céleste, pour découvrir sous les volutes la divinité dans son temple aérien, il a aussi été prescrit par de nombreux médecins pour les soins du corps par fumigations. Au sein d’un rituel de guérison, l’art curatif de l’encens était loin de se sentir menacé par de potentiels détracteurs. Le patchouli indien était ainsi l’une des recettes les plus répandues pour composer un onguent. Brûler la résine aromatique dont la combustion est lente mais intense en senteurs relevait même pour certains d’un acte magique. Selon un

La vertueuse Athénienne Joseph-Marie Vien mythe chypriote, Myrrha, princesse de l’Île aux parfums, aurait eu des rapports incestueux avec son père le roi. Pour la punir, les dieux la transformèrent en arbuste dont la sève parfumée aurait donné naissance à Adonis.

En Chine, l’encens était décliné en six parfums aux pouvoirs différents : le tranquille, le reclus, le luxueux, l’esthétique, le raffiné et le noble. Chacun d’eux était utilisé pour des situations particulières : la méditation avec l’oliban, la guérison et le sommeil avec la résine de Commyphoro, la réflexion intellectuelle avec le benjoin, l’éveil des désirs avec la sensuelle myrrhe... Le nombre de baguettes utilisées a aussi souvent son importance. Ainsi, pour adresser une prière à leurs divinités, les Asiatiques utilisent toujours un nombre impair. Par contre, pour honorer un mort ou invoquer ses ancêtres, il est de bon ton d’user d’un nombre pair. En Occident, on rencontre une autre pratique : en faisant brûler de l’encens, on ajoutait souvent des plantes jetées dans le feu comme le thym, la sauge, la camomille, le laurier ou encore la citronnelle. L’ajout de plantes était surtout utile pour parfumer les pièces, tout comme l’usage répandu du papier d’Arménie...

Comme un souvenir… Les volutes s’étirent, s’effilent et se diluent dans l’air. Vous voilà à la sortie du labyrinthe de l’Histoire. Quelque part, dans votre souffle, de fines fragrances d’encens nagent peut-être encore... Est-ce une réalité ou un ex-voto de l’esprit encore fasciné ? Explorateurs parfumés, vous en resterez les seuls célestes juges…

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