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Art ou bigorneau ?

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Edito

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Ou comment un taximan séfarade en vacances devint un immense artiste du coquillage

Parlons peu, parlons coquillages. Les 3A, si vous vous souvenez avec nostalgie de M. Laugier et de ses « coquillages et crustacés » égéens, cet article est fait pour vous. Mais cette fois, nous n’allons pas plonger dans les affres des poulpes sur fond de céramique grecque. Nous allons plutôt explorer l’univers créé par un taximan séfarade parisien qui s’est tourné, à la retraite, vers les joies de l’art brut.

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Qui est Paul Amar (1919-2017)?

Né à Alger dans une famille de quatorze enfants, Paul Amar monte à Paris à dix-sept ans, afin d’y apprendre la coiffure. La Seconde Guerre mondiale interrompt ce projet : Amar se retrouve sept ans sous les drapeaux, prisonnier puis évadé, de l’Italie à l’Allemagne. A la fin du conflit, le jeune homme se fait chauffeur de taxis, à Alger puis Marseille. Après quelques années paisibles dans une agence de voyages, notre homme prend finalement sa retraite en 1979… Mais tout ne fait alors que débuter! Il n’y a en effet pas d’âge pour commencer à créer…

Des coquillages ?

A 55 ans, Paul Amar visite une petite boutique de souvenirs vendéenne. C’est alors sa première confrontation avec des objets en coquillage. Si les parents de notre héros étaient respectivement brodeuse et maroquinier d’art, lui n’a jamais songé à créer. Et c’est de la rencontre avec ces petits cendriers ou boîtes pour touristes que tout part ! Dès le lendemain, Amar va sur la plage récolter des coques et berniques. Peu à peu, il métamorphose ses récoltes en de gigantesques tableaux-mondes rayonnants. Il meule et ajoure des moules, ormeaux, huîtres, praires, bigorneaux… mais aussi des coraux, crabes ou étoiles de mer. L’artiste chine même des exemplaires exotiques dans des magasins spécialisés.

Les coquillages sont peints à l’acrylique, ou même avec les vernis à ongles de sa femme Rose. Puis tout est assemblé avec de la colle et des tiges de fil électrique. Et pour prolonger la magie, les tableaux s’illuminent grâce à des ampoules dissimulées dans des coquilles d’oursin. Les créations d’Amar sont parfois si immenses qu’elles peuvent nécessiter un an de travail !

Que représente Paul Amar ?

L’artiste aime dépeindre des fonds marins, des prêtresses, des jardins… Il explore des thèmes éclectiques interprétés dans une veine colorée : du dieu Janus au Moulin Rouge, en passant par la Vierge de Fatima ou le château de Versailles. Le tout baigne dans une esthétique kitsch et merveilleuse, inspirée aussi bien par le baroque que par l’art africain. Amar se lève la nuit pour noter des idées qu’il a vues en rêve, s’intéresse à la religion, passe des mois sur une œuvre dans une discipline monacale. D’aucuns le compareraient à Séraphine de Senlis ou Gertrude O’Brady, autres grandes figures de l’art brut, qui plaçaient une ferveur appliquée et rigoureuse dans chacune de leurs œuvres.

Lorsque Amar commence à être de plus en plus exposé et interviewé, il se plaint d’ailleurs d’être trop sollicité, et de ne plus avoir le temps pour imaginer ses œuvres. Pour le vieil homme, le temps de la création est celui du rêve et de la fantasmagorie.

Où voir ses œuvres aujourd’hui ?

En 1985, une première exposition à la Salle Pleyel permet à Paul Amar de se faire remarquer. Puis c’est Aux frontières de l’art brut, présentée en 1998 à la Halle Saint-Pierre, qui permet à un large public parisien de découvrir ses gigantesques tableaux de coquillages. Aujourd’hui, c’est le musée des Arts Buissonniers, à Saint-Sever-du-Moustier (12), qui conserve la plus importante collection des œuvres de Paul Amar. Mais l’artiste est représenté dans les plus grandes collections d’art brut, telle celle de Lausanne, qui lui a consacré une rétrospective en 2005. Le musée de Zurich ou la Fabuloserie de Dicy ne sont pas en reste : cette dernière expose un immense aquarium avec 150 poissons de coquillages. Amateurs d’art brut, ne passez pas à côté de ces étonnants reliquaires de l’imaginaire !

Les coquillages n’ont pas attendu Paul Amar pour inspirer : au XVIIIe siècle, la chaumière aux coquillages du château de Rambouillet est entièrement ornée de ces petits mollusques.

Crédit : chatsam via Wikimedia Commons, licence Creative Commons

En Asie aussi, les coquillages ont su fasciner, comme le prouve ce coquillage japonais du musée d’Art Oriental de Venise.

Crédit: Jean-Pierre Dalbéra via Flickr, licence Creative Commons 2.0

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