LA MAISON LONGUE MODÈLE DʼHABITAT ET DE SOCIÉTÉ
Lucas C. Andre
LA MAISON LONGUE MODÈLE DʼHABITAT ET DE SOCIÉTÉ
Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Strasbourg
Atelier de mémoire
"L'architecture comme système de relations" Sous la direction de Pascale Marion et Danielle Martin
Lucas Andre Janvier 2021
SOMMAIRE Remerciements..................................................................................................... p.5 Avant-propos..........................................................................................................p.7 Introduction............................................................................................................p.9 Chapitre I — L’Île et le Dayak...........................................................................p.19 L’île de Bornéo.........................................................................................................p.21 Les forêts tropicales..................................................................................................p.33 Identités, subsistance et habitats...............................................................................p.45 Indigénéité et anthropocène.....................................................................................p.57 Conclusion Chapitre I..............................................................................................p.75 Notre corpus d’étude..........................................................................................p.83 Chapitre II — La Maison longue et sa communauté...................................p.87 Schéma directeur de la maison longue.....................................................................p.89 La maison longue sur son cours d’eau......................................................................p.99 Origine et croissance de la maison longue..............................................................p.113 Appropriation par la communauté.........................................................................p.133 La galerie, espace public.........................................................................................p.161 Conclusion Chapitre II...........................................................................................p.173 Chapitre III — L’Appartement et la famille................................................p.179 Composition et aménagement...............................................................................p.181 Organisation de la cellule familiale.........................................................................p.197 Proximité et inter-dépendance...............................................................................p.209 Auto-contrôle social entre les individus...................................................................p.221 Conclusion Chapitre III.........................................................................................p.233 Conclusion du mémoire...................................................................................p.237 Annexes................................................................................................................p.245 Iconographie......................................................................................................p.259 Glossaire.............................................................................................................p.265 Bibliographie, Filmographie..........................................................................p.273 Webibliographie................................................................................................p.277 Table des matières............................................................................................p.281
REMERCIEMENTS J
e tiens à remercier l'ensemble de mes amis étudiants, avec lesquels nous nous sommes mutuellement soutenus durant plus d'une année de travail. Je remercie ensuite: Enzo et Hugo, très particulièrement. Ensemble, nous avons partagé les hauts et les bas de cet exercice de mémoire, et j'ai toujours pu compter sur leurs avis et encouragements.
Maryse pour son soutien, lui aussi essentiel.
Josh Wallace pour son témoignage riche qui a permis à ce mémoire de prendre une orientation très concrète. Bernard Sellato, pour ses bons conseils et le partage de toute sa bibliographie personnelle. Ma famille, qui m'a toujours apporté son soutien tout au long de mes études et au-delà. Sans eux, je n'en serais pas là. Pascale Marion, enfin, pour ses conseils constructifs, son accompagnement, et sa bienveillance.
Ce mémoire ne serait pas ce qu'il est sans votre coopération, votre aide précieuse et votre accompagenement. Sincèrement, Merci. 5
AVANT-PROPOS A
u tout début, il y a eu un voyage. Un voyage en solitaire de douze-mille kilomètres, à travers une dizaine de pays d’Asie du SudEst. Effectuée en 2019, cette aventure m’a amené à découvrir, pendant plus de 7 mois, des cultures et modes de vie que je ne connaissais pas. La destination finale de mon voyage est une île recouverte de jungle: Bornéo. J’atterris le 1er septembre 2019 à Kota Kinabalu, au Nord-Est de l’île. Les dix jours qui ont suivis m’ont permis de rejoindre Kuching, à l’opposé, en longeant la côte Nord. Le temps et l’énergie m’ont manqué pour réellement m’enfoncer dans les forêts intérieures de Bornéo, et je n’ai pas pu rencontrer les peuples de la forêt. Malgré tout, j’ai pu entendre parler d’un habitat bien particulier en forêt tropicale, qui suscite le mythe et les légendes. Un habitat exceptionnellement long, situé autour des cours d'eau, et qui est imprégné d’une vie sociale dense et très active. Un habitat dont les origines réelles restent mystérieuses: la Maison Longue. Ainsi, je me suis proposé, dans l'étude qui suit, de présenter, comprendre et analyser le fonctionnement de la maison longue de Bornéo, sur le plan architectural, comme sur le plan social.
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INTRODUCTION « Depuis une forêt qui est visiblement vierge, le visiteur est brusquement immergé dans la densité sociale d’une ville1 » — Peter Metcalf
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ans ce mémoire, nous allons aborder la maison longue de Bornéo dans son milieu, ainsi que sa structure architecturale et sociale. Pour mener à bien ce travail de recherche, une importante étude du contexte territorial de l’île de Bornéo a été mené. C’est ce travail contextuel qui nous permet alors de dégager des constats, de définir des mots clés, ainsi que des questionnements et de développer une méthode de recherche. Nous allons observer que notre étude relève de différents champs disciplinaires qui seront mis en relation et en tension tout au long de ce mémoire.
UN TERRITOIRE ET DES HOMMES Nous démarrons notre travail à l’échelle du territoire: l’île de Bornéo. Nous avons orienté notre recherche d’un point de vue politique, géographique et humain. En ce sens, Bernard Sellato a beaucoup écrit. Sellato est un anthropologue et ethnologue français, docteur en ethnologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Né en 1951, il a effectué, depuis 1973, plusieurs séjours à Bornéo, où il a rencontré les peuples indigènes et étudié leurs traditions. Ainsi, il a été 1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, Cambridge University Press, 2010, 345p.
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capable de restituer à l’écrit plusieurs siècles d’histoire de ces peuples, grâce à une traduction orale sur le terrain2. Il est aussi l’auteur de plusieurs livres sur Bornéo et ses habitants, faisant de lui le plus grand spécialiste français de l’ethnologie bornéenne et l’un des plus grands chercheurs internationaux sur le sujet. Deux articles de Sellato ont particulièrement retenu notre attention. Dans un premier temps, un article de 19943 développe les modes de subsistance en forêt, ainsi que les différents types de forêts tropicales qui coexistent à Bornéo. Dans un second temps, un article de 20164 souligne les enjeux contemporains auxquels se confrontent les peuples bornéens et l’impact de la société de consommation et le productivisme sur la déforestation, et donc, sur la destruction de ces modes de vie. Nous découvrons alors un nouveau terme, propre à l’anthropologie bornéenne: Dayak5. Les Dayaks désignent la population de Bornéo. Cette population est divisée en environ 450 groupes ethniques. La population de l’île se range en deux grandes catégories : les peuples de la côte, où prédomine l’ethnie « Malaise », et les populations indigènes des montagnes de l’intérieur de l’île. Parmi les groupements Dayak les plus importants, on peut citer les Kajan et les Kenyah, du centre et de l’est de l’île, les Iban au nord-ouest, ou encore les Penan, peuple nomade qui parcourt les forêts tropicales. Au début du XXI° siècle, on estime le nombre de Dayak de Bornéo à environ 4 millions.
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Edmond Dounias, ethnobiologiste, développe une approche
2 Sellato (Bernard), L’autre tigre. Croyances et rituels à Bornéo, Association d’Ethnologie de Strasbourg, conférence du 23 novembre 2018 [consulté le 12 novembre 2020], disponible ici ethnologie.unistra.fr/institut/conferences-et-films-en-ligne/seminaire-ethnologie-et-archeologies/2018-2019/bernard-sellato/ 3 Sellato (Bernard), Forêts tropicales et sociétés traditionnelles à Bornéo: Vers une histoire régionale « en continu » de l’environnement et des systèmes de subsistance, Ecologie Humaine XII (2), juin 1994, p.3-22 4 Sellato (Bernard), Société et forêt tropicale: Bornéo, de la tribus à la mondialisation, janvier 2016 5 Universalis, définition de « Dayak », disponible ici www.universalis.fr/encyclopedie/ dayak
originale dans une conférence donnée à la cité des sciences et de l’industrie à Paris, en 2011. Il étudie et nous explique le fonctionnement des tribus Dayak nomades (les Penan) de la forêt. Il nous montre lui aussi l’impact de la déforestation sur ces peuples, en comparant deux communautés aliénées6: l’une vivant au sain de la forêt, et l’autre en ville. Cet impact de la perte des forêts est aussi longuement développé par Jean-Baptiste Vidalou7 dans son ouvrage Être Forêts, Habiter des territoires en lutte8. Il y développe les enjeux et problématiques que représentent la gestion administrative des forêts aujourd’hui, autant d’un point de vue écologique que politique et sociologique. Il s’appuie pour se faire sur plusieurs exemples de forêts à travers le monde. Ainsi, la forêt est un habitat, c’est à dire « un espace qui offre des conditions qui conviennent à la vie et au développement d’une espèce animale ou végétale9 ». En géographie humaine, l’habitat représente également un « ensemble de conditions, d’organisation et de peuplement par l’homme du milieu où il vit10 ». La forêt est donc un milieu favorable à la vie. Le milieu, désigne un « ensemble d’éléments matériels et de circonstances physiques qui entourent, influencent et conditionnent les organismes vivants11 ». Pour désigner la forêt, on parle d’un milieu géographique, c’est à dire un « espace naturel ou aménagé qui entoure un groupe humain et dont les contraintes climatiques, biologiques, et politiques influencent le comportement et l’état de ce groupe12 ». On parle alors de la forêt comme un écosystème: un « complexe d’organismes et de facteurs physiques13 ». Il s’analyse comme l’ensemble des êtres vivants qui interagissent entre eux au sein d’un milieu spécifique et avec 6 La notion d’aliénation signifie, en philosophie, la dépossession d’un individu, groupe ou société, c’est-à-dire la perte de sa maîtrise, de ses forces propres au profit d’un autre individu, groupe ou société. 7 Jean-Baptiste Vidalou est bâtisseur en pierre sèche et agrégé de philosophie. 8 Vidalou (Jean-Baptiste), Être Forêts - Habiter des Territoires en Lutte, Ed. Zones, 2017, 144p. 9 CNRTL, définition de « habitat », disponible ici www.cnrtl.fr/definition/habitat 10 Ibid 11 CNRTL, définition de « milieu », disponible ici www.cnrtl.fr/definition/milieu 12 Ibid 13 Définition donné par Arthur George Tansley, botaniste britanique, en 1935, article en ligne ici www.geo.fr/environnement/quest-ce-quun-ecosysteme-193594
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cet environnement. Dans nos sociétés modernes, un écosystème est simplement défini comme un milieu dit « organisé ».
UNE MAISON EXCEPTIONNELLEMENT LONGUE Pour se positionner dans notre recherche, nous devons nous appuyer sur des études et travaux existants autour des maisons longues à Bornéo. Ainsi, lors de la réalisation de notre corpus d’étude, nous nous confrontons à divers contraintes. Dans un premier temps, il existe peu de documentation en français concernant les maisons longues de Bornéo. En effet, la plupart des écrits que nous pouvons trouver sont rédigés en anglais et non-traduits. Dans un second temps, les études menées et les spécialistes qui ont travaillé sur le sujet sont majoritairement anthropologues ou ethnologues et non architectes. Enfin, la plupart des études qui analysent les principes de la maison longue ne localisent la maison concernée que par des noms de rivières ou de régions, et non des cartes précises. Il y a donc une véritable enquête à mener. Ces contraintes prises en compte, nous pouvons commencer la recherche à l’échelle de la maison longue. Divers ouvrages et études nous permettent de comparer les maisons longues de plusieurs communautés dans les forêts tropicales de Bornéo. Peter Metcalf, anthropologue spécialiste de Bornéo, docteur et professeur émérite de l’Université de Harvard, a écrit un livre14 pour analyser et décrire les maisons longues bornéennes. Il s’appuie sur celles de l’ethnie Kayan situées au centre nord de l’île. Cet ouvrage nous fournit beaucoup d’informations sur la construction, le fonctionnement, et l’évolution des maisons longues. Metcalf compare notamment sa propre expérience lorsqu’il a visité la région concernée, à celles de rapports et récits plus anciens. D’après Metcalf, la maison longue est, comme
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Op.cit. 1
l’indique son nom, une maison qui se développe en longueur, et qui abrite de nombreuses familles différentes qui cohabitent et partagent leurs ressources. D’après l’auteur, « si vous demandez à un résident d’une maison longue [pourquoi vivre dans une maison longue], il vous répondra simplement qu’il n’y a pas d’autres moyens civilisés de vivre15 ». Quand les anglais ont colonisé l’île de Bornéo au XIX° siècle, ils découvrirent les maisons-longues, des maisons pouvant s’étendre en longueur sur plusieurs dizaines de mètres, et accueillant une population de parfois plus d’une centaine d’individus. Mais comme l’indique Peter Metcalf dans son livre16, le terme « maison longue », de l’anglais « longhouse », désignait d’abord des structures amérindiennes d’Amérique du Nord: « une maison d’une longueur inhabituelle, logement commun des Iroquois et d’autres Indiens d’Amérique17 ». Metcalf cite également Lewis Henry Morgan18 qui fait une description de la maison longue des Iroquois: « généralement de 15 à 40 mètres de longueur, et 5 mètres de largeur, avec une partition à l’intervalle d’environ 3 ou 4 mètres. Chaque appartement était, en fait, une maison séparée, avec un feu au centre, et accueillant 2 familles ». On trouve également des maison longues dans les pays nordiques (chez les Vikings) et même en France, avec la longère bretonne19. Cependant, Metcalf décrit les maisons longues bornéennes comme les plus importantes: « aussi impressionnante qu’elles sont, les maisons longues des Iroquois (…) font pâle figure en comparaison de celle du centre de Bornéo, en terme à la fois de la population et de la construction ».
15 Ibid 16 Ibid 17 Ibid 18 Lewis Henry Morgan est un anthropologue américain, le premier à mettre en place une étude des systèmes de la parenté, domaine élémentaire de l’anthropologie sociale et culturelle contemporaine. 19 Gaillard-Bans (Patricia), Maison longue et famille étendue en Bretagne, Etudes rurales n°62, 1976, pp.73-87
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Pour Josh Wallace, jeune architecte canadien, la maison longue se définit simplement comme « un village sous un seul toit20 ». Ce dernier a aidé à coordonner la construction d’une maison longue à Bornéo, lors d’un chantier participatif qui a eu lieu en 2015. Ainsi, il est l’un des seuls témoins contemporains au monde ayant pu observer de si près le processus de construction de la maison longue à Bornéo. Son regard architectural apporte beaucoup de valeur à ce mémoire, notamment grâce à l’entretien que Josh a bien voulu nous accorder. Enfin, nous nous appuyons sur un ouvrage de James J. Fox21 intitulé Inside Austronesian Houses22, et dans lequel sont intervenus plusieurs spécialistes et anthropologues pour analyser les maisons longues de Bornéo. Ces différentes études, avec les analyses de Metcalf et de Wallace, forment notre principal corpus d’études de cas, que nous développerons au tout début du Chapitre II.
LE TERRITOIRE, LE MACRO-ESPACE ET LE MICRO-ESPACE: 3 ÉCHELLES DE MILIEUX Ce mémoire propose une approche originale de l’étude de la maison longue. Nous souhaitons mettre en tension les disciplines de la géographie, de l’architecture et de la sociologie, afin d’observer en quoi la maison longue représente un habitat inscrit dans un écosystème plus vaste qu’est la forêt. Nous souhaitons également nous intéresser aux différentes strates sociales qui existent dans les communautés des maisons longues. En effet, on constate que la maison longue représente à la fois un modèle architectural et un modèle sociale. On peut donc se
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20 Vaibhav (Saxena), Wallace (Josh), The Soul of a Community: How a Young Architect Helped Resurrect a Village Longhouse in Borneo, 06 juin 2016 [consulté de 20 septembre 2020], disponible ici www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architect-helpedresurrect-a-village-longhouse-in-borneo 21 James J. Fox est un anthropologue australien, spécialiste de l’Indonésie, notamment de l’Indonésie de l’Est. Plus d’informations ici researchers.anu.edu.au/researchers/fox-jj 22 Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993
demander comment elle s’ancre dans son milieu plus vaste, et comment elle se scinde elle-même, en un milieu social structuré. Quelle est l’influence du milieu sur la construction, la symbolique et la vie sociale des maisons longues à Bornéo ? Pour répondre à notre problématique, nous avons défini 3 échelles qui serviront de base à notre méthode de recherche et d’analyse. Il s’agit des 3 échelles de milieux, 3 échelles d’écosystèmes qui définissent, ensemble, la maison longue de Bornéo. Dans un premier temps, nous étudierons l’échelle « territoriale »: l’île de Bornéo et les modes de vie Dayak. Nous observerons les enjeux et problématiques qui s’y déroulent et les impacts de ces derniers sur la vie des maisons longues. En second temps, nous analyserons l’échelle « macrospatiale »: les maisons longues et les communautés qui les habitent. Nous allons tenter de comprendre la structure architecturale et sociale de plusieurs maisons longues, et voir quels sont les points communs et les différences entre plusieurs communautés Dayak. Enfin, nous nous intéresserons à l’échelle « microspatiale »: l’appartement ou la cellule familiale. Il s’agit du milieu domestique. Nous allons voir en quoi la structure de la maison longue est définie par la structure familiale de ses cellules. Les objectifs de ce mémoire sont de démontrer l’influence de ces 3 échelles du milieu sur la maison longue, et d’expliquer la relation entre sa structure architecturale et sa structure sociale. Nous souhaitons également, par ce travail, proposer une synthèse et une traduction des recherches sur la maison longue de Bornéo, en comparant les études de différentes maisons de plusieurs communautés du Nord-ouest de Bornéo. Ainsi, cette étude a pour but de permettre une compréhension du système architectural et social de la maison longue à Bornéo, et de proposer de nouvelles ouvertures, pistes de recherche et de conception architecturale et sociétale. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des études universitaires, des ouvrages, mais également des échanges avec des spécialistes, comme Josh Wallace ou Bernard Sellato. 15
DAYAK
VILLAGE
ONG
LUTTES
Ech. Macrospatiale
GALERIE
VIVRE
ACCÈS
PRIVÉ
Ech. Microspatiale
LʼAPPARTEMENT
REGARD
MOBILIER
Josh Wallace ©
CONTRÔLE
SON
PROXIMITÉ
INDIVIDU
LUMIÈRE
INTER-GÉNÉRATIONEL
VOIX
ÉVOLUTIVITÉ
PROPRIÉTÉ
RELATIONS
MARIAGE
COHABITATION
DEVOIRS
PERMÉABILITÉ
FAMILLE
COMPORTEMENTS
INTERDÉPENDANCE
FLUX
ESPACES
SOCIABILITÉ
ORIGINE
CELLULES
ARCHITECTURE
FORTERESSE
LA MAISON LONGUE
FONDATION
MATÉRIALITÉ
OMBRE
TYPOLOGIE STRUCTURE
PILIERS
PUBLIC
PILOTIS
PARTICIPATIF
LONGUEUR
ÉPHÉMÈRE
PARTITION
RITUEL
PLACEMENT
ACTIVITÉS
DÉVELOPPEMENT ORGANISME
CROISSANCE
RIVIÈRE
COMMUNAUTÉ
HABITATS
CAMPEMENTS
HIÉRARCHIE BOTANIQUE
ECO-TOURISME
RECONSTRUCTION
ORIENTATION
LE MILIEU À 3 ÉCHELLES
Ech. Territoriale
ETHNIES
MODES DE SUBSISTANCE ARBRE
LʼÎLE DE BORNEO
GÉOGRAPHIE
ANTHROPOCÈNE
COLONISATION
DÉFORESTATION
NATURE
IDENTITÉS
EXTRACTIVISME
BIODIVERSITÉ
FORÊTS TROPICALES
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
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CHAPITRE I
L'ÎLE ET LE DAYAK
Fig 1.1. L'île de Bornéo en Asie du Sud-Est
L'ÎLE DE BORNÉO P
our comprendre le fonctionnement de la maison longue à Bornéo, il faut comprendre le territoire dans lequel elle prend racine. Cette question du milieu est centrale à notre étude. Dans ce premier chapitre, nous allons appréhender le territoire que constitue l'île de Bornéo ainsi que les peuples qui l'occupent. En ce sens, cette première partie va nous aider à nous situer d’un point de vue géopolitique d'abord, sur une île coupée entre différents états. Puis, nous analyserons l'île d’un point de vue géographique et évoquerons sa biodiversité exceptionnelle.
Quelle identité pour le territoire de Bornéo ?
GÉOPOLITIQUE DE L'ÎLE Bornéo (« Kalimantan » en indonésien) est une île d’Asie du sudest, située entre la mer de Java et la mer de Chine méridionale, dans la péninsule indonésienne (fig 1.1). Il s’agit de la troisième plus grande île du monde (750 000 km²), après le Groenland et la Nouvelle Guinée. On y décompte environ 20 millions d’habitants1, répartis sur 3 états distincts.
1 Dounias (Edmond), Les derniers chasseurs-cueilleurs SI, octobre 2011,[consulté le 25 septembre 2020], disponible watch?v=fndWwyhPDbs&t=4612s
de Bornéo, EPPDCici www.youtube.com/
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La Malaisie La Malaisie est un pays découpé en deux partie. La Malaisie orientale qui se situe sur l'île de Bornéo et la Malaisie occidentale, qui se trouve sur le continent, à l'Ouest de l'île. Deux états forment la Malaisie orientale: le Sabah et le Sarawak. Historiquement, la Malaisie, ainsi que l'île voisine de Singapour, sont colonisées au XVIII° siècle par les britanniques. C’est la naissance de la Fédération de Malaisie. En 1957, après plus d'un siècle sous le joug de la couronne, la Malaisie occidentale obtient son indépendance. En 1963, la Malaisie orientale devient à son tour indépendante et est alors rattachée à l’état de Malaisie. Aujourd’hui, la Malaisie est une monarchie constitutionnelle. Le Sarawak et le Sabah sont toujours séparés par une frontière nécessitant un contrôle de passeport et un tampon d’entrée et de sortie dans l’un ou l’autre état. Kuching (Sarawak) et Kota Kinabalu (Sabah) sont les deux principales villes de la Malaisie orientale.
Le Brunei L’état de Brunei (Negara Brunei Darussalam) est un petit sultanat (état musulman) du nord de Bornéo. Il est enclavé entre l’état malais du Sarawak et la mer de Chine méridionale. Cette dernière coupe le territoire du Brunei en deux partie par une baie. Le Brunei est un royaume qui, en 1906, devient un protectorat britannique jusqu’en 1984 où il accède de nouveau à l’indépendance, en tant que sultanat. Le pays est riche et possède des puits de pétrole. Les valeurs identitaires de cet état s’appuient sur la doctrine « Melayu Islam Baraja », traduit par « malais, musulmane et monarchique » et érigée en idéologie d’État. Le tourisme y est possible, mais il est nécessaire de se plier à certaines règles, notamment l’interdiction de la consommation d’alcool. La capitale du Brunei est Bandar Seri Begawan. 22
Fig 1.2. Découpage géo-politique de Bornéo
L'Indonésie L’Indonésie est le plus vaste état sur Bornéo. Il occupe toute la partie sud de l’île, appelé Kalimantan (il s'agit également du nom indonésien désignant l’île de Bornéo). La république indonésienne est composée d'environ 13 000 îles différentes, et représente le plus grand pays musulman du monde2, ainsi que le quatrième pays le plus peuplé sur terre (environ 260 millions d’habitants au total). Au XIX° siècle, l'Indonésie est colonisée par les hollandais, suite à un accord de partage des terres avec les britanniques3. L’indépendance de l’Indonésie est déclarée à nouveau au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, en 1950. La capitale de l’Indonésie est Jakarta (située sur l’île de Java), mais l’avenir de celle-ci est incertaine, notamment à cause de la montée des eaux et de la pollution. Le gouvernement indonésien a d’ores et déjà le projet de déplacer la capitale indonésienne sur l'île de Bornéo d’ici 2024. Dans notre étude sur les maisons longues, nous allons nous concentrer sur les terres intérieures de Bornéo, entre la Malaisie, le Brunei et l’Indonésie. Ces terres abritent « l'une des plus grandes forêts tropicales transfrontalières qui subsistent dans le monde4 », et sont désignées comme le « Coeur de Bornéo ». Celui-ci représente la plus grande partie du territoire, soit une superficie égale à la taille de l'Utah aux États-Unis. « Le Cœur de Bornéo désigne la partie principale de l'île où les forêts restent intactes5 ».
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2 Ibid 3 Traité de Londres, 1824 4 Extrait du programme Heart of Borneo du WWF, disponible ici wwf.panda.org/discover/ knowledge_hub/where_we_work/borneo_forests/ 5 Ibid
GÉOGRAPHIE DE L'ÎLE Bornéo est une île riche de son évolution géographique et géologique. Pendant 130 millions d’année, l’île est restée intacte6. Il y a 10000 ans, Bornéo n'était pas une île et était liée au continent par des terres aujourd’hui immergées et des glaces aujourd’hui fondues. Ainsi, « ses terres formaient avec l’Asie du Sud-Est un vaste ensemble appelé Sunda7 ». L'intérieur de l'île joue aussi le rôle de « château d'eau: 14 des 20 principales rivières de l'île de Bornéo proviennent de son coeur8». Cette idée est appuyée par Edmond Dounias, ethnobiologiste, lors d’une conférence à la Cité des sciences et de l’industrie (Paris) en 20119, qui surnomme Bornéo « l’île des grandes rivières » du fait de sa grande densité fluviale. En effet, on trouve à Bornéo de nombreuses et larges rivières et fleuves. Le plus grand fleuve de Malaisie se trouve dans le Sarawak: il s'agit du Rajang. « Dans une province où les voies d'eaux demeurent 3 fois plus longues que les routes10 » le Rajang s’étend sur plus de 500km. Elles irriguent fortement les zones côtières, dans de vastes mangroves qui protègent la pureté de l’eau douce face à l’eau salée de la mer. Celles-ci représentent également une très forte diversité d'espèces, aussi bien dans l’eau (poissons, amphibiens...) que dans les airs (oiseaux, mammifères...) et protègent des agitations marines (notamment les vagues, brisées par la mangrove, qui protègent ainsi le paysage). Ces dernières décennies, la surface de mangroves ne cesse de diminuer drastiquement au profit des agglomérations ou de plantations11. Les fleuves eux aussi sont menacés par la constructions de barrages, causant inondations, destructions de terres, et déplacement de milliers d’humains.
6 La fabuleuse histoire de l’évolution, épisode 5/6, Arte, diffusé le 7 octobre 2016 [consulté le 10 septembre 2020], disponible ici www.youtube.com/watch?v=VkxYnGAFjZM 7 Géographie et paysages Bornéo, Le routard, [consulté le 9 novembre 2020], disponible ici www.routard.com/guide/borneo/4628/geographie_et_paysages.htm 8 Op.cit. 4 9 Op.cit. 1 10 Op.cit. 7 11 Ibid
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Bornéo est traversé par l’Equateur et bénéficie d’un climat tropical humide. Il y pleut beaucoup: « L'île entière se trouve dans ce qu'on appelle la « zone sempervirente », recevant chaque année entre 2 000 mm et 4 000 mm de pluie. Constamment alimentées par les précipitations, les rivières affluent des hauts plateaux montagneux (le Cœur de Bornéo” vers les côtes de l'île, transportant une diversité étonnante d'espèces sauvages12 ». La géographie de l’île s’apparente à de gigantesques étendues de forêts tropicales de plaine et de montagne13. Cependant, tout comme les mangroves des zones côtières, les forêts tropicales sont gravement menacées par la déforestations dû à l’agroindustrie (voir la partie Les Forêts Tropicales). L’île possède également un relief montagneux: la chaîne de montagne de Crocker, traversant Bornéo du nord-ouest au sud-est et qui rend certains territoires très difficiles d’accès. Le sommet de l’île est le mont Kinabalu (fig 1.5) qui se trouve au Sabah, et qui s’élève à 4095m au dessus du niveau de la mer. Cette montagne est parmi les plus hautes d’Asie du Sud-est et est uniquement surpassée par les marches himalayennes du Myanmar. Cantonné autour de 1000m et 2000m d’altitude, le reste de la chaîne montagneuse dessine la frontière entre la Malaisie et le Kalimantan Indonésien14. Le territoire bornéen est aussi l’un des refuges les plus abondants pour la vie sur Terre: « Au détour des marécages, des mangroves, des forêts de plaine et de montagne, plus de 15000 plantes, dont 6000 endémiques, peuvent être rencontrées. Parmi les espèces que l'île abrite figurent les orangs-outans et les éléphants de Bornéo ainsi que les plantes carnivores géantes (fig 1.6) à pièges passifs et les rafflésies. La chaîne alimentaire se compose également de milliers de plantes, lichens et champignons, qui nourrissent un large éventail d’espèces15 ». A la fin du XIX° siècle, un proche de Darwin et théoricien de la sélection naturelle, nommé Alfred R. Wallace, récolte dans les environs de Kuching, au Sarawak, environ 25 000 insectes et découvre ainsi
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12 WWF www.wwf.fr/espaces-prioritaires/borneo 13 Ibid 14 Op.cit. 7 15 Op.cit. 12
Fig 1.3. "Coeur de Bornéo"
Fig 1.4. "L'île des grandes rivières"
un millier de nouvelles espèces16. Comme le cite la WWF dans son programme d'actions pour Bornéo: « Bornéo, la troisième plus grande île du monde, ne représente que 1 % des terres émergées de la planète, mais abrite environ 6 % de la biodiversité mondiale dans ses riches forêts tropicales17 ». On parle alors de Bornéo comme étant l’un des territoires accueillant le plus de biodiversité sur Terre. Le terme biodiversité désigne la diversité des espèces vivantes et de leurs caractères génétiques18. A Bornéo, on trouve des milliers d’espèces animales et végétales différentes, dont beaucoup sont endémiques, c’est à dire des espèces vivantes propres au territoire de Bornéo. Parmi elles, les orang outans de Bornéo (fig 1.7 et 1.8), qu'on ne trouve à l’état sauvage que sur les îles de Bornéo et de Sumatra (autre île d'Indonésie). Comme nous l’avons évoqué, lors de la dernière ère glacière, Bornéo était liée physiquement au continent. Ainsi, de nombreuses espèces que l’on trouve sur l’île sont également présentes sur le continent et ont évolué différemment au fil des siècles. C’est le cas par exemple pour l’éléphant et le rhinocéros qui, s’adaptant aux conditions de vie bornéennes entre rivières, montagnes et jungles, sont devenus « nains19 », c’est-à-dire bien plus petits que leurs congénères continentaux.
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16 Ibid 17 Op. cit. 4 18 Larousse, Dictionnaire de la langue française, www.larousse.fr/dictionnaires/francais 19 Op.cit. 6
Fig 1.5. Le mont Kinabalu
Fig 1.6. Une plante carnivore
Comme nous le verrons dans la partie Identités, subsistance et habitats, « Bornéo n'est pas seulement un trésor de biodiversité, c'est aussi une source de vie et de moyens de subsistance pour les populations, fournissant des services écologiques à au moins 11 millions de Bornéens, dont un million de Dayaks indigènes vivant dans la forêt20 ».
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Op.cit. 4
Fig 1.7. Les orang-outans de Bornéo (Sarawak)
Fig 1.8. Richie, le mâle dominant
LES FORÊTS TROPICALES L
a géographie de l'île de Bornéo est donc variée, entre plaines, rivières et montagnes, et possède l'une des plus importantes biodiversités sur Terre. Ce territoire est défini par ses denses massifs forestiers, à la très forte diversité biologique. Pour comprendre l’île, dans le cadre de notre recherche, il faut donc comprendre plus profondémment le fonctionnement de ses forêts. Quels sont les différents types de forêts présents à Bornéo et en quoi sont-ils menacés ?
LA FORÊT: DÉFINITION D’après le dictionnaire de la langue française, une forêt est une grande étendue de terrain couverte d’arbres, l’ensemble des grands arbres qui occupent, qui couvrent cette étendue1. A l’origine, le mot « forêt » vient du bas-latin « forestis », qui signifie un « saltus », une « silva », un lieu ou vivent les bêtes sauvages2. Le mot « forestis » est apparu à la période mérovingienne (aux alentours de 550) et désignait un « institution royale », c’est à dire qu’il désignait les étendues boisées 1 Larousse, Dictionnaire de la langue française, www.larousse.fr/dictionnaires/francais 2 Petit-Dutaillis (Charles), De la signification du mot « Forêt » à l'époque franque. Examen critique d'une position allemande sur la transition de la propriété collective à la propriété privée, Bibliothèque de l'école des chartes, 1915, tome 76. pp. 97-152
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où le roi avait le droit de chasser et pêcher, de disposer des ressources à son bon vouloir. Il s’oppose des fois au terme « silva » qui désignait pour sa part la forêt accessible pour tout à chacun3. Ainsi, déjà nous pouvons apercevoir la vision très matérialiste qui est portée par la langue française sur la forêt, la considérant comme une simple réserve de ressources, ou de « biodiversité ». Pourtant, comme nous pouvons le lire dans le livre4 de JeanBaptiste Vidalou, une forêt n’est pas simplement une grande étendue d’arbres. Il s’agit de zones habitées, où se développent des cultures souvent très peu connues, voir inconnues. « Des forêts qui ne seraient pas tant ce bout de « nature sauvage » qu’un certain alliage, une certaine composition tout à fait singulière de liens, d’êtres vivants, de magie ». Cette magie dont nous parle cette citation désigne autant la forêt en elle-même, que toutes les espèces qui la composent et toutes les communautés humaines qui l’habite. Car que cela soit à l’échelle de la forêt, du campement humain ou de l’arbre, la richesse de la forêt tropicale se trouve dans les relations uniques et intrinsèques entre chaque maillon vivant, de l’insecte à l’être humain, en passant par le primate et la plante carnivore. Ces larges forêts bornéennes s’étendent originellement sur presque toute l’île. Elles sont présentent sur les plaines mais aussi sur les reliefs montagneux.
NATURE DE LA FORÊT TROPICALE Bernard Sellato a, pendant de nombreuses années, étudié les peuples Dayaks dans les forêts tropicales de Bornéo. Dans un article universitaire5 publié en 1994, il tente de démontrer le lien étroit qu’il
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3 Ibid 4 Vidalou (Jean-Baptiste), Être Forêts - Habiter des Territoires en Lutte, Ed. Zones, 2017, empl. 128 5 Sellato (Bernard), Forêts tropicales et sociétés traditionnelles à Bornéo: Vers une histoire régionale « en continu » de l'environnement et des systèmes de subsistance, Ecologie Humaine XII (2), juin 1994, p.3-22
existe entre les éléments environnementaux et les éléments humains dans les sociétés traditionnelles de Bornéo, en prenant appuis sur une zone d’étude située en Kalimantan Est (Bornéo indonésien). Il parle ainsi d’un champs continu entre environnement naturel et intervention humaine, offrant une vision différente sur le problème de l’interaction environnement-société. Nous nous appuierons notamment sur ses écrits pour définir la forêt tropicale, puis dans les parties suivantes, évoquer la question des modes de vie en forêt et de son exploitation. Le terme « forêt tropicale » désigne l’ensemble des forêts qui se développent dans les régions au climat topical ou sub-tropical. Ces zones ont pour caractéristique principale la variation de précipitations, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Ainsi, on trouve sur Terre différents types de forêts tropicales : forêts tropicales épineuses ou sèches, forêts tropicales décidues (alternance d’une saison sèche puis d’une saison humide), forêts tropicales humide (jungle), forêts tropicales pluviales (présence de brume), forêts tropicales inondées (mangroves, ripisylves...)6. Bornéo accueille une forêt tropicale humide. Malgré tout, et comme l’appuie Sellato, il est important de savoir de quoi nous parlons lorsque nous évoquons le milieu de la forêt tropicale. Que cela soit à Bornéo où ailleurs dans le monde, « il n’existe pas de forêt tropicale générique7 ». Se trouvent ainsi à Bornéo de multiples types différents de forêts. Dans un autre article de Sellato, plus récent (2016), il réaffirme encore une fois que la « forêt tropicale générique » est « un modèle à réfuter », et que « les modes d’interactions humaines avec la forêt varient avec les types de forêts8 ».
6 Forêt Tropicale, Futura Science, [consulté le 10 novembre 2020], disponible ici www. futura-sciences.com/planete/definitions/botanique-foret-tropicale-7261/ 7 Op.cit. 5 8 Sellato (Bernard), Société et forêt tropicale: Bornéo, de la tribus à la mondialisation, janvier 2016
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Forêts primaires Dans un premier temps, nous observons des forêts primaires, ou forêts vierges, c’est à dire des forêts dans lesquelles on ne trouve aucune trace de l’homme: « Une forêt primaire est un écosystème rare qui n’a jamais connu l’intervention de l’homme au cours de son histoire. Ses arbres, souvent millénaires, abritent une grande diversité écologique. Ces « forêts vierges » sont aujourd’hui en voie d’extinction9 ». Nous en trouvons de nombreuses et différentes à Bornéo même (fig 1.11), aux compositions botaniques distinctes et aux structures verticales variées, dépendants de facteurs d’altitudes, de géologies, de morphologies, ou du climat10. C’est grâce au cadre des forêts primaires que Bornéo est si riche en terme de biodiversité. Nous distinguons dans celles-ci un regroupement exceptionnel d’espèces indigènes (organismes qui ont pu évoluer hors du contact humain). On parle de « niches écologiques ». Généralement, on trouve des arbres assez hauts, et une canopée feuillue rendant les sous bois sombres. La chute de ces arbres permet le renouvellement de la forêt primaire, car elle permet la pénétration du soleil dans le sous bois, le tronc mort se transforme en biomasse qui nourrira à son tour le sol11. Ainsi, le cycle de renouvellement de la forêt est totalement autonome, naturel, primaire. Cependant, la notion de « forêts vierges », ou même la réalité de leur subsistance de nos jours est très controversée dans le milieu scientifique. Dans un entretien accordé à Audrey Dufour pour le journal La Croix, Jean-Luc Dupouey, directeur de recherches à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), aborde cette question: « Il n’existe pas de définition unique de la forêt primaire, tout comme des notions de « forêt vierge » ou « forêt naturelle », même chez les scientifiques. Très utilisés dans la sphère publique, ces termes véhiculent plus des perceptions qu’un sens
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9 Les forêts primaires, des écosystèmes en voies d’extinction, Geo, 1 mars 2017, [consulté le 10 novembre 2020], disponible ici www.geo.fr/environnement/les-forets-primaires-des-ecosystemes-en-voie-d-extinction-171192 10 Op.cit. 5 11 Op.cit 9
Fig 1.9. La canopée de la forêt tropicale
Fig 1.10. Le sous-bois en milieu tropical
précis. Si l’on prend l’absence d’impact de l’homme comme critère par exemple, on se rend vite compte qu’il n’existe plus de « forêt vierge ». Le changement climatique, l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère ou les dépôts d’azotes liés aux activités humaines touchent toutes les forêts de la planète12 ». De son point de vue donc, la forêt primaire telle que nous l’avons définit, comme un territoire sobre de toute trace humaine, n’existerait plus, car notre impact est trop important pour avoir pu les épargner. Nous développerons d’avantage l’impact de l’homme sur l’écosystème de Bornéo dans la partie Indigénéité et Anthropocène.
Forêts Secondaires Nous constatons également à Bornéo des forêts dites secondaires, dont il existe une fois encore de multiples formes. Comme l’explique Bernard Sellato, ces forêts sont des forêts ayant connus des interventions humaines, comme un essartage (défrichage d’une zone arborée pour y planter un champs, appelé un essart, de tubercule, riz ou autre). Les habitants eux même classent ces forêts en différentes catégories basées sur le diamètre des arbres. Des fois, une forêt secondaire aura en apparence l’aspect d’une forêt primaire et seule une analyse botanique approfondie permettra de faire la différence. C’est pour cela que d’après Sellato, il est nécessaire d’être prudent. Le concept de « forêt vierge » ou primaire est ambigu. En effet, il suppose l’absence totale d’interactions humaines, or l’absence de traces d’interactions ne signifie pas l’absence d’interactions. Une forêt secondaire comporterait 5 fois moins d’espèces végétales qu’une forêt primaire13. Jean-Luc Dupouey de son côté, reprend la définition scientifique de la forêt secondaire: « Les scientifiques définissent souvent une forêt primaire comme la « première » forêt qui se développe sur un sol nu. La
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12 Dupouey (Jean-Luc), Qu’est ce qu’une forêt primaire ?, entretien par Audrey Dufour, La Croix, 20 février 2018, [consulté le 10 novembre 2020], disponible ici www.la-croix.com/Scienceset-ethique/Environnement/Quest-quune-foret-primaire-2018-02-20-1200915140 13 Op.cit. 9
Forêt de zone de marée à palmier Nypa (estuaires)
Forêt de littoral sableux et rocheux (non-saumâtre)
Forêt à Dipterocarpaceae de basse et moyenne altitude (<1000m)
Forêt sub-montagnarde mixte (1000m)
Forêt de marais saumâtre (delta, régions côtière)
Forêt « primaire » de Bornéo Compositions botaniques et structures verticales distinctes
Forêt de marécage (eau douce)
Forêt à Agathis
Forêt sur calcaire
Forêt moussue d’altitude (<1500m)
Forêt xérophile Forêt à rhododendron de très haute altitude Forêt de mangrove à peltuvier
Fig 1.11. La forêt primaire de Bornéo
forêt secondaire est celle qui repousse après destruction de la forêt primaire par une perturbation importante14 ». Dans ce sens, la forêt secondaire ne se définit pas tant par rapport à l’intervention humaine qu’elle présente, mais par son statut de « forêt faisant suite à une forêt de type primaire » sur un territoire. Le chercheur ajoute qu’il y a tout de même d’importantes incertitudes concernant la limite entre la forêt primaire et la forêt secondaire: « l’une des divergences principales est de savoir si l’on inclut les perturbations naturelles (incendies, tempêtes) comme provoquant le passage à une forêt secondaire, ou si l’on restreint les forêts secondaires à celles issues des actions de l’homme. De plus, il est difficile de fixer un seuil à l’ampleur de la destruction qui marque la frontière entre forêt primaire et secondaire (...) ». Ainsi, dans le cadre de notre recherche, nous définirons une forêt primaire comme étant une forêt d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible, présentant un sousbois clairsemé, avec de grands arbres centenaires. La forêt secondaire est quand à elle plus dense et les arbres sont de plus petites tailles; elle a repoussée (plantée ou de manière spontanée) par régénération naturelle après avoir été détruite. « Dans les tropiques, il faut 700 ans à une forêt secondaire pour redevenir primaire. En Europe, 1000 ans sont nécessaires15 ».
DÉFORESTATION « Bornéo a déjà perdu plus de la moitié de ses forêts, dont un tiers a disparu au cours des trois dernières décennies seulement16 ». Qu’est ce que la déforestation ? Le média Géo défini ce terme comme étant utilisé pour qualifier la régression ou la disparition
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14 Op.cit. 12 15 FAO (Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture), disponible ici www.fao.org/corp/statistics/fr 16 Extrait du programme Heart of Borneo du WWF, disponible ici wwf.panda.org/discover/ knowledge_hub/where_we_work/borneo_forests/
des forêts17. Ses principales causes sont le développement urbain, l’extension de terres agricoles, ou l’exploitation d’essences forestières (souvent de manière illégale). L’impact de la déforestation, c’est tout d’abord une moins bonne qualité de l’air (les arbres absorbent le CO2 de l’air, moins d’arbres signifie donc plus de CO2 dans notre air), des sols qui s’érodent (le sol des forêts permet la filtration des polluants, l’infiltration de l’eau dans le sol, et régularise le débit des rivières), moins de précipitations (en maintenant le taux d’humidité dans l’atmosphère, les arbres régulent la fréquence des pluies), et la disparition de la biodiversité (la forêt constitue l’habitat naturel dont dépend un grand nombre d’espèces animales et végétales)18. Chaque année, 80 000 km2 de forêts sont coupés19. Pourtant, la déforestation en soit n’est pas la seule activité en cause dans la dégradation des forêts; certaines activités agricoles rendent les sols pauvres et acides, empêchant toute repousse20. Les forêts de Bornéo sont aujourd’hui menacées par la manipulation de l’homme, qui ne cesse de lui faire d’avantage violence. Il y a 25 ans déjà, Sellato annonçait que « les effets de ces manipulations humaines de l’environnement sont certainement plus intenses qu’on pourrait le penser au vu de la situation actuelle21 ». Or aujourd’hui, les plaies sont visibles et la déforestation n’est plus un secret (fig. 1.12). Les principales menaces pour la forêt, déjà évoqué par Sellato en 1994, sont le dépeuplement au profit des régions de plaines et la déforestation pour cultiver (du type palmiers à huile, dominant aujourd’hui). Ce phénomène de destruction des forêts est mondial et comme Edmound Dounias l’avance: « À l'échelle du monde, la forêt ne recouvre plus que 10 % de ce qu'elle recouvrait il y
17 Mao (Blaise), La déforestation qu’est ce que c’est ?, Geo, 29 avril 2009 (MàJ le 5 mai 2014), [consulté le 10 novembre 2020], disponible ici www.geo.fr/environnement/deforestation-36937 18 Ibid 19 Op.cit. 15 20 Op.cit. 9 21 Op.cit. 5
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a 100 ans22 ». Bornéo en est l’illustration la plus tragique. Les agents principaux de la déforestation sont l’exploitation forestière (découpe du bois), extraction du gaz ou du pétrole, l’orpaillage au mercure, l’agroindustrie et l’agriculture pionnière23. Dounias ajoute qu’à Bornéo, les massifs forestiers qui résistent encore à la déforestation sont ceux situés dans les montagnes, et qui sont donc difficiles d’accès pour les engins destructeurs. D’après le WWF, « Bornéo a déjà perdu plus de la moitié de ses forêts, et un tiers ont disparus au cours des trois dernières décennies. Des études par satellite montrent qu'environ 56% des forêts tropicales protégées de Kalimantan ont été déboisées entre 1985 et 2001 pour satisfaire la demande mondiale de bois, soit plus de 29 000 km² (presque la taille de la Belgique). Les lois en matière de protection sont en vigueur dans tout Bornéo, mais sont souvent insuffisantes ou sciemment ignorées, généralement sans conséquences pour le contrevenant24 ». Nous développerons la question de l’exploitation et l’extractivisme qui a lieu à Bornéo dans la partie Indigénéité et Anthropocène.
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22 Dounias (Edmond), Les derniers chasseurs-cueilleurs de Bornéo, EPPDCSI, octobre 2011, [consulté le 25 septembre 2020], disponible ici www.youtube.com/watch?v=fndWwyhPDbs&t=4612s 23 Ibid 24 WWF www.wwf.fr/espaces-prioritaires/borneo
Fig 1.12. La déforestation de Bornéo entre 1950 et 2020
IDENTITÉS, SUBSISTANCE ET HABITATS M
aintenant que nous avons identifié les aspects géographiques et topographique du territoire, nous allons étudier plus en détails les modes de vie, les habitats des êtres humains qui vivent dans la forêt tropicale de Bornéo. En effet, les habitants de la forêts, les Dayaks, sont divisés en dizaines d’ethnies différentes et ont des modes de vies parfois différents, allant du nomadisme jusqu’à la vie communautaire en maison longue, vision érigée de la civilisation par ses occupants. Toujours dans la volonté de comprendre le territoire sur lequel s’inscrit la maison longue de Bornéo, il nous faut interroger le cas de l’humain dans la forêt tropicale et la biodiversité de l’île.
Comment les peuples Dayaks habitent-ils les forêts tropicales de Bornéo ?
MODES DE SUBSISTANCE Il existe différents modes de vie Dayaks en forêt et différents modes de subsistances associés. Un système de subsistance est un ensemble de techniques d’acquisition ou production mise en oeuvre par une communauté pour subvenir à ses besoins1. Dans un premier temps s'y trouvent des peuples nomades, les Penan (ou Punan), qui vivent de la chasse-cueillette. Cela concerne environ 20 000 personnes, 1 Sellato (Bernard), Forêts tropicales et sociétés traditionnelles à Bornéo: Vers une histoire régionale « en continu » de l'environnement et des systèmes de subsistance, Ecologie Humaine XII (2), juin 1994, p.3-22
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répartis équitablement entre la Malaisie et l’Indonésie2. Ils vivent essentiellement en récoltant plus de 200 espèces végétales forestières, dont notamment le sagou qui est leur principale source de nourriture: « Les hommes abattent et débitent le tronc et le fendent en long, la moelle fibreuse en est ensuite extraite et les femmes la piétine et la lave. Une fécule, recueillie par filtrage, forme la base de nombreuses préparations alimentaires. Le coeur de ces palmiers est également consommé3 ». La cueillette est généralement faite par les femmes et les enfants. Les Penan disséminerait des graines d’arbres fruitiers sur les sites de leurs campements. Aujourd’hui, Edmound Dounias avance que moins de 3% de la population Penan est toujours totalement nomade (très peu d’études existent sur ces derniers car ils refusent tout contact extérieur). Nous observons donc également d’autres groupes, semi-sédentaires. Ils pratiquent l’horticulture, cependant la limite entre celle-ci et la collecte est difficile à tracer. Par exemple, certains groupes Penan plantent le sagou en même temps qu’ils récoltent le sagou sauvage. C’est en cela que Bernard Sellato précise que des nomades en cours de sédentarisation peuvent combiner horticulture et cueillette. Ces observations nous amènent à parler des « essarteurs de Bornéo ». Un essart est une zone défrichée, qui permet la culture d’espèces végétales. Les groupes pratiquants l’horticulture cultivent différentes espèces pour subvenir à leurs besoins nutritifs: tubercules (Manioc, patate, taros...), mais aussi bananiers ou jacquiers. Planter des arbres fruitiers suppose une certaine forme de sédentarité ou une présence relativement continue à proximité. Avec le développement de l’usage du métal par les populations forestières, le riz commence également à être cultivé. Il l’est d’abord sur essart, puis plus tard, en riziculture irriguée. L’essartage de riz se fait, toujours d’après les relevés de Sellato, principalement en forêt secondaire (relativement facile à abattre) plutôt qu’en forêt primaire (jugée plus fertile mais aussi plus hostile à l’homme). On y trouve d’anciens essarts, généralement laissés
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2 Dounias (Edmond), Les derniers chasseurs-cueilleurs de Bornéo, EPPDCSI, octobre 2011, [consulté le 25 septembre 2020], disponible ici www.youtube.com/watch?v=fndWwyhPDbs&t=4612s 3 Op.cit. 1
Chasse-cueillette
Forêt dite « primaire »
NOMADES « PENAN »
Monocultures
DAYAKS Population native des forêts de Bornéo
Horticulture
SEDENTAIRES AGRICULTEURS SEMI-NOMADES ESSARTEURS
Maison longue
Plantations
Chasse-cueillette Cultures humides Cultures sur essarts (Forêt dite « secondaire »)
Fig 1.13. Les modes de vie Dayaks
en jachère entre 10 et 25 ans. La culture du riz d’essart, complétée par l’horticulture et la chasse-cueillette représente la combinaison la plus commune chez les groupes humains du cœur de Bornéo4. Le mode de vie des peuples est utilisé comme indicateur du niveau social de ceux-ci. Ces modes de vies définissent leurs identités. Ainsi, la culture du riz d’essart, au même titre que la riziculture humide, constitue un élément d’identité ethnique. Chez les agriculteurs de Bornéo, on trouve des concepts identitaires genrés fortement liés à l’environnement: Par exemple, la forêt primaire, dite « grande forêt », est dangereuse et sauvage, et ne peut uniquement être fréquentée par les hommes. Les femmes restent en forêt secondaire, qui est une zone sous le contrôle humain, un espace dit « culturel ». Cette opposition n’existe pas chez les nomades Penan, qui sont considérés par les fermiers, et notamment les habitants des maisons longues, comme une « catégorie intermédiaire entre la bête et l’homme, entre nature et société5 ».
CONTINUUM IDENTITAIRE Pour Sellato, il existe un champs continu de systèmes de subsistance. Il avance dans un premier temps que ces techniques de subsistance varient d’un groupe à son plus proche voisin géographique. Nous retrouvons des changements de techniques chez certains groupes (raisons technologiques, économiques ou idéologiques), par exemple, la sédentarisation de groupes nomades. Dans la culture indonésienne de l’époque, les nomades sont vus comme des primitifs et sont considérés comme la honte de la nation. L’idéologie officielle du gouvernement oppose alors la chasse-cueillette à l’agriculture, prônant que cette dernière représente une certaine forme de progrès. Et c’est ainsi que les stratégies visant au « développement socio-économique » du pays ont poussé les nomades à se fixer et à cultiver. Au même titre, on a cherché à
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4 Ibid 5 Ibid
CONTIUUM TEMPOREL
Monoculture
Agriculture
Champs
Sédentaires
Elevage
Artisanat
Maison longue ou village
Essartage
Semi-Sédentaires Horticulture
Forêt «secondaire»
Camps éphémère
Nomades Chasse-cueillette
CONTIUUM SPATIAL Fig 1.14. Un continuum spatio-temporel identitaire
Forêt « primaire »
sédentariser les essarteurs (cultivateurs semi-nomades) en agriculteurs, en avançant qu’ils détruisaient la forêt, « considérée comme un patrimoine (ou un capital exploitable) appartenant à la nation6 ». La culture non itinérante serait supposée « moins destructrice ». Bernard Sellato déduit qu’il existe un continuum identitaire entre les modèles de subsistance, de nature idéologique entre la chasse-cueillette, l’essartage, l’agriculture (nomades, semi-sédentaires, sédentaires). Dans une maison-longue, les habitants peuvent être considérés comme semi-sédentaire ou sédentaires: ils pratiquent l’agriculture, mais aussi la cueillette ou la chasse. Nous développerons d’avantage le mode de vie en maison longue au cours du Chapitre II. Ce continuum identitaire est d’une part spatial, et d’autre part temporel (fig. 1.14), et contribue alors « à l’existence d’un champ relativement continu d’ethnicité7 ». L’identité ethno-culturel est souvent lié au mode de vie, à l’origine ethnique et à l’affiliation linguistique. Sellato conclu donc qu’une transition techno-culturelle, d’un mode de subsistance vers un autre, induit un changement de catégorie ethno-culturelle et qu’ainsi, le mode de subsistance a un impact sur les phénomènes identitaires à Bornéo. Nous avons donc affaire à une situation de continuum des systèmes de subsistance, mais aussi de l’intensité des interventions humaines et leur impact sur l’environnement, et ainsi, un continuum écologique, dont l’étude se fait à l’échelle de la région et de l’île.
DIVERSITÉ ETHNIQUE Parler de ce continuum nous invite à évoquer le sujet des ethnies. Comme nous l’avons vu, l’identité du Dayak et son mode de vie dépendent de son ethnie et de la culture qu’elle représente. On trouve une diversité ethnique incroyable à Bornéo. À partir d’une
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6 Ibid 7 Ibid
carte linguistique de Bornéo8 (Annexe 1), on se rend compte que cette carte coïncide avec la réalité géographique du territoire, et que la diversité ethnique se trouve être plus importante autour de la chaîne de montagne qui traverse l’île. On observe des ethnies très présentes comme les Malais (sur les côtes, les Iban (nord-ouest), les Kayan (centre-nord) ou encore les Banjar (sud). D’autres, comme les Melanau (uniquement présents à l’embouchure du Rajang, au nord), sont moins nombreux. Dans les chapitres suivants, nous prendrons plusieurs ethnies en références pour les comparer à travers une analyse sociologique et architecturale de la maison longue.
nature OU NATURE ? Dans son article publié en 2016, Bernard Sellato analyse le rapport traditionnel qu’ont les peuples Dayaks, sociétés dites « tribales », avec la « Nature9 ». Par là, il entend designer la nature comme une source d’inspiration aux mythes, et au mysticisme, notamment par des rituels d’ordres religieux. Ainsi, la forêt tropicale trouve sa place dans les croyances des Dayaks. Sellato aborde la question des croyances de ces peuples qui tendent généralement vers l’animisme. Les animistes considèrent que « les êtres vivants, les objets, les éléments sont animés et peuvent agir sur le monde tangible et interférer avec la vie des humains10 ». On trouve dans ces types de religions diverses « entités spirituelles », bienveillantes ou menaçantes. Les « divinités du monde supérieur ou du monde inférieur » sont considérées comme bienveillantes ou neutres. Les populations Dayaks organisent des cérémonies religieuses en lien avec les activités agricoles ou destinées à protéger le village ou la maison-longue, et comme le souligne Sellato: « la prospérité d’une communauté dépend de ses bonnes relations
8 Carte linguistique d’Asie du sud-est par Muturzikin www.muturzikin.com/cartesasiesudest/10.htm 9 Sellato (Bernard), Société et forêt tropicale: Bornéo, de la tribus à la mondialisation, janvier 2016 10 Ibid
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avec ses dieux11 ». Les « esprits de la nature » ne sont ni bons, ni mauvais. Ce sont des génies des lieux. Ils sont ainsi dits résidents de différents lieux spécifiques comme le sommet des montagnes, les biefs d’une rivière, de gros rochers ou encore dans des arbres. Enfin, l’auteur nous parle des « esprits des morts ». Ce sont les esprits des personnes décédés de la tribus, et font l’objet d’un rituel de séparation qui empêche ainsi ces esprits d’emporter quelqu’un d’autre avec eux, ou encore, de revenir. L'importance des rituels est, comme nous le verrons dans les Chapitres II et III, centrale dans la constrcution et l'occupation de la maison longue. Le concept de « Nature » est donc cruciale pour les peuples Dayaks, pour la survie d’un groupe humain (terres agricoles, chasse, pêche, collecte, matériaux...) mais reste également une source potentielle de danger spirituel. Sellato nous explique par exemple que lors de l’inauguration d’un nouveau village, on délimite un espace humain, une « sphère culturelle12 », c’est à dire un espace protégé de l’environnement « sauvage ». Cette façon de faire montre que l’homme veut donc contrôler ses relations avec la surnature et doit « négocier voir ruser avec les dieux et les esprits13 ». C’est dans cette idée que Sellato aborde la question de ce qu’il nomme « le mythe occidental de la vie « en harmonie avec la Nature » de ces peuples, qui n’est [à priori] « que relative14 ». La question du rapport très écologique de ces peuples avec leur environnement reste alors à prouver, et d’après l’auteur, cela ne serai qu’une légende, « une vision erronée qui a servi d’axiome de départ à bien des entreprises contemporaines » pour reprendre ses mots. Il n’existerait, chez les populations Dayaks, ni une relation organique explicite avec une déesse « Nature », une « forêtmère » nourricière, ni une idéologie de la conservation. Au contraire, l’ethnologue nous parle d’avantage d’une approche plus économique de ces peuples avec la nature qui les entoure, qu’ils exploitent finalement pour en vivre. Cette vision erronée pose la question du réalisme de notre
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11 Ibid 12 Ibid 13 Ibid 14 Ibid
considération pour ces populations de Bornéo et d’une « colonisation » possiblement nouvelle, celle de l’image, qui sera abordé dans la partie suivante Indigénéité et Anthropocène.
LES HABITATS: DU CAMPEMENT À LA MAISON LONGUE De ces modes de vies et des différentes interactions qu’il existe entre les populations indigènes et la forêt tropicale, des croyances qui y sont entretenues, on découvre différents types d’habitats, allant du simple camps pour les nomades Penan, et jusqu’à la maison-longue, « refuge » de la civilisation15. Les nomades Penan, que nous avons déjà évoqué, ont pour habitat des camps éphémères qu’ils construisent puis abandonnent au cours de migrations saisonnières16, c’est à dire que les communautés se déplacent en fonction des saisons dans différents types de forêts, et en fonction de la répartition des ressources recherchées pour la collecte. Les Penan pratiquent la chasse (notamment celle du sanglier barbu) et la pêche, et ont un régime alimentaire riche en fibres et protéines (équivalent de ce que l’on trouve aujourd’hui sous le nom de régime « paléo »). Migrer d’un camps à l’autre offre certains avantages, notamment l’activité physique et la protection contre le paludisme. Enfin, les raisons principales qui justifient l’abandon d’un camp et le déplacement d’une communauté nomade, outre les ressources, c’est l’invasion de parasite ou la mort d’un individu17. Nous constatons également des villages dans les forêts de Bornéo, notamment les villages de maisons longues. La maison longue est un peu comme une bulle de civilisation au milieu de la forêt, sauvage 15 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 16 Op.cit. 2 17 Ibid
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et hostile. Elle est comme « un village sous un seul toit18 ». Cette maisonvillage peut s’apparenter à la « sphère culturelle19 » dont parlait Sellato et représenter un refuge dans la jungle, la sphère naturelle. Les habitants des communautés des maisons longues ne conçoivent pas d’autres modes de vies civilisés que ceux de la vie en maison longue20. D’ailleurs, ils n’ont pas forcément une bonne image des peuples nomades Penan de la forêt, considérés comme des êtres proches des animaux21. Il existe de nombreuses communautés de maisons longues le long des rivières de Bornéo, et nous prendrons appui sur certaines d’entre elles pour notre analyse détaillée aux Chapitres II et III. Ainsi, les nombreux modes de vies, les nombreux groupes ethniques et les différents habitats qui composent la forêt de Bornéo sont à l’image de sa biodiversité: riches, variés et aux multiples essences.
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18 Vaibhav (Saxena), Wallace (Josh), The Soul of a Community: How a Young Architect Helped Resurrect a Village Longhouse in Borneo, 06 juin 2016 [consulté de 20 septembre 2020], Disponible en ligne www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo 19 Op.cit. 9 20 Op.cit. 15 21 Op.cit. 1
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INDIGÉNÉITÉ ET ANTHROPOCÈNE À
l’ère de l’homme, la forêt et ce qui l’habite sont exploités. Au même titre que la nature, c’est aussi les cultures humaines qui sont menacées aujourd’hui sur l’île. Le territoire de Bornéo est métamorphosé et les forêts tropicales sont en lutte pour leur survie.
Comment en sommes nous arrivés là ?
UNE NOUVELLE FORME DE COLONISATION ? « Gouverner les hommes, c’est gouverner leur milieu1 » J.B. Vidalou Aujourd’hui, le constat que nous pouvons faire, c’est que les cultures Dayaks sont en train de disparaitre, au même titre que les forêts tropicales de Bornéo, qui ont perdu 35% de leur surface au cours des 30 dernières années2. Bernard Sellato revient sur certains points en 2016, qu’il a déjà mis en exergue en 1994. Il nous décrit « une notice » ayant pour but de nous aider à « élaborer des stratégies d’actions, dans la protection de la nature, le développement et les droits des minorités3 ». En effet, Sellato relate dans son rapport que les populations locales de Bornéo font souvent l’objet de mythes ou de fausses vérités, notamment et 1 Vidalou (Jean-Baptiste), Être Forêts - Habiter des Territoires en Lutte, Ed. Zones, 2017, 144p. 2 Extrait du programme Heart of Borneo du WWF 3 Sellato (Bernard), Société et forêt tropicale: Bornéo, de la tribus à la mondialisation, janvier 2016
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comme nous l’avons déjà souligné dans la partie précédente, dans leur relation avec la nature et l'environnement. Ainsi, l’auteur avance que l’écologisme de ces populations est une histoire de concepts et amorce l’hypothèse suivante: « L’évolution des idées dans les milieux occidentaux a eu un fort impact sur l’évolution des idées et des pratiques des acteurs du Sud, y compris les populations indigènes concernés par ces actions4 ».
« Peuples indigènes » Pour expliqué ce schéma, il est important de définir les termes qui vont être utilisés. Dans cette optique, Sellato nous explique les termes clés qui sont à l’origine des concepts développés par les pays d’occident à propos des populations de la forêt. Le « peuple traditionnel » ou le concept du peuple indigène date de 1970 et désigne alors les « peuples dont les territoires ont été colonisés par des états européens5 ». En 1975, on observe la création du WCIP (World Council of Indigene Population, le Conseil mondial des peuples indigènes). Ce dernier développera le concept du « noble sauvage écologique » sur la doctrine suivante: « Les peuples indigènes, moralement supérieurs luttent donc pour préserver leur mode de vie de l’influence néfaste du monde moderne6 ». Les ONG reprirent rapidement ce concept, et développèrent une tendance à voir les « peuples traditionnels » ou « peuples premiers7 » comme une catégorie homogène et générique, ce qu’il ne sont pas. En 1982, l’Organisation des Nations Unis crée un groupe de travail qui aura pour mission d’examiner la situation des Droits de l’Homme pour ces peuples, pays par pays. Ainsi, ce groupe de travail proposera des propositions qui amèneront à des normes internationales relatives aux droits de ces populations.
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Ce concept de « peuple indigène » nous guide vers le concept de
4 Ibid 5 Ibid 6 Ibid 7 Dounias (Edmond), Les derniers chasseurs-cueilleurs de Bornéo, EPPDCSI, octobre 2011, [consulté le 25 septembre 2020], disponible ici www.youtube.com/watch?v=fndWwyhPDbs&t=4612s
« savoir indigène8 ». Sellato nous explique que des savoirs écologiques indigènes existent bien. Ce concept se serait d’abord inscrit en faux dans les courants d’idées occidentaux, où les savoirs locaux ou « folklores » n’avaient pas de valeur comparé à un « savoir » issu de la science. Aujourd’hui, celui-ci est devenu un outil de revendication pour les groupes traditionnels vis à vis des Etats-nations. Pour défendre leur cause, les populations n’hésitent plus à affirmer leur « indigénéité ». Mais qu’est ce que « l’indigénéité » ou « l’indigénisme9 » ? L’anthropologue nous fait comprendre que ce concept, poussé trop loin, devient scientifiquement incorrect. Que cela signifie-t-il ? Si l’on oppose lexicalement le savoir indigène et le savoir tout court, on perpétue le clivage entre l’esprit primitif et l’esprit scientifique. Et de cette manière, cela est philosophiquement et politiquement indéfendable et maintient ces peuples en position d’infériorité. « Le concept d’indigénéité risque de perpétuer leur aliénation au lieu de conduire à leur reprise de pouvoir sur leur propre vie (empowerment)10 ». Ainsi, il est important de faire attention à la relation sémantique entre altérité (identité revendiquée) et aliénation (identité subie). Pourtant, l’indigénéité reste fortement défendu par les peuples eux-même qui, comme l’affirme l’auteur, refusent de s’en défaire, tant celui-ci leur est nécéssaire pour défendre leurs revendications. Et c’est là tout le paradoxe relevé par Sellato. Les revendications indigénistes des peuples traditionnelles des forêts de Bornéo sont de deux types: économiques (c’est à dire les ressources) et culturelles (c’est à dire le patrimoine). Ils luttent alors pour leur droit à un territoire et ses ressources et leur droit de préserver leurs systèmes juridiques, leurs religions, leurs langues.
8 Op.cit. 3 9 Ibid 10 Ibid
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Les ONG au service des peuples traditionnels ? Depuis quelques décennies, la défense des droits des populations indigènes a connu un virage stratégique: « De l’idée que les peuples traditionnels sont une menace pour leur environnement à l’idée qu’ils en sont les gardiens11 ». Cela nous amène à parler des actions des ONG ces dernières décennies. Une ONG (Organisation Non Gouvernementale) est une structure internationale qui n'est pas créée par voie d'accords intergouvernementaux, et financée par des fonds privés12. A Bornéo, jusqu’au début des années 1980, il s’agit purement et simplement de conserver la nature (ONG environnementalistes). Les peuples étaient exclus, voir expulsés. Puis, avec la généralisation du discours sur les droits des minorités, il devient essentiel de permettre à ces populations de demeurer là où ils vivent, mais en les empêchants de nuire à la nature. Apparaissent alors des alternatives économiques, des projets combinant développement économique et conservation de la nature. Vers 1985 émerge l’idée que les peuples traditionnels possèdent des pratiques traditionnelles de gestion conservatrices de leur milieu naturel: « D’obstacles à la conservation, ces gens en deviennent soudain des alliés13 ». Des droits leur sont fixés à l’ONU en 1992 et à la Commission Européenne en 1995. On commence alors, comme l’avance Sellato, à les impliquer dans les efforts de conservation, en s’appuyant sur les pratiques traditionnelles réputées positives. En ce sens, on comprend que l’intérêt des ONG environnementalistes pour le développement économique des villages autochtones est superficiel et instrumental, la vocation ultime restant la protection de la nature. Pourtant, ce statut de « gestionnaire avisé » de la forêt, avancé par les ONG environnementalistes sera bientôt utilisé à leur avantage par les communautés locales.
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11 Ibid 12 Larousse, Dictionnaire de la langue française, www.larousse.fr/dictionnaires/francais 13 Op.cit. 3
Négocie des droits
Combat
Gouvernements ONG
environnementalistes Négocie des droits
ONG
Humanitaires
Combat
Populations
Défend les droits des minorités Militantisme
Dépendance économique
Fig 1.15. Interactions entre les différents acteurs
Place un discours « écologique »
Exploitent les terres
Compagnies forestières
Alors qui manipule qui ? D’après Sellato, il existerait une boucle rétroactive entre les différents acteurs, qui tireraient tous avantage de la situation. L‘idée de la conservation de la faune et flore, voir l’idéologie de la conservation, par les peuples indigènes est une hypothèse sans fondements solides. Il s’agit d’une « théorie politiquement correcte, packaging et marketing assuré par de grandes ONG14 ». Sellato ajoute qu’il est temps « que l’on abandonne ce modèle et l’idée qui lui sert de base ». Pourtant, c’est ce modèle qui permet aux ONG de lever des fonds et d’être actives dans ces zones reculées, de développer des projets. Quoi qu’il en soit, et Sellato en démontre les preuves, tout le monde tient beaucoup à ce modèle, car chacun y trouve son compte: les bailleurs de fonds, les ONG, les communautés et mouvements indigénistes, et même le grand public occidental, nostalgique du « bon sauvage écolo15 ». C’est ce « bon sauvage écolo » qui fait aujourd’hui l’objet d’une véritable marchandisation outrancière dont lui même ne se rend même pas toujours compte. Sellato développe le concept d’activisme indigéniste pour appuyer ses propos. En réalité, les ONG placent un discours écologique (et donc artificiel) dans les bouches des leaders des communautés locales. Ainsi, ces derniers servent d’une part les objectifs à long terme de conservation (voulus par les ONG), et d’autre part les objectifs de ces communautés; Ainsi, ces deux types d’objectifs sont distincts. En échange de la transmission de ce discours pour la sauvegarde de la nature, les ONG jouent un rôle de médiateur avec l’Etat et aident les communautés locales à obtenir des droits sur certains territoires et certaines ressources: « Ces groupes montrent une aptitude et un empressement remarquable à s’approprier ce discours pour en faire un usage rhétorique à leurs exclusives fins propres16 ». Ses propos sont rejoints par ceux de Edmond Dounias qui nous invite à faire attention « à la face cachée des « aires
14 Ibid 15 Ibid 16 Ibid
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protégées » des grandes ONG17 ». En effet, créer des espaces protégés permet peut-être de préserver la nature, mais en ce qui concerne les cultures, cela induit l’effet inverse: une zone controlée, aliénant les communautés vers un mode de vie écologiste, mais qui n’est pas forcément celui qui était le leur. Jean-Baptiste Vidalou rejoint cette idée en avançant que « Le « sauvage sublime » que les touristes viendront admirer n’est en fin de compte que le miroir sans tain de la forêt bien administrée18 ». Il existe également d’autre types d’ONG (humanitaires), luttant d’avantage pour les droits des minorités, comme le Bruno Manser Fonds19. Elles ont recours à l’activisme militant, qui parfois donne lieu à des affrontements violents. Encore une fois, Sellato fait le lien entre les actions des ONG environnementalistes qui sont parfois emmenés à manipuler le discours des minorités. Les ONG humanitaires portent des revendications politiques et économiques. Il est vrai que les communautés disposent de grands territoires riches en ressources naturelles: ils veulent en tirer profit eux même plutôt que de le laisser à d’autres (concessionnaires, gouvernement...). L’auteur revient alors à l’idée de « sagesse écologique20 » des peuples traditionnels. Un virage a en effet eu lieu au début du siècle. Ce concept, d’abord conçu dans un but de protection de la nature, est désormais utilisé par les peuples pour faire reconnaitre leurs droits. Et cela a donné lieu à un effet pervers: une fois les droits obtenus, certaines communautés se laissent tenter par des « royalties » et font concession de leur forêt à des compagnies industrielles. Ainsi, il y a invalidation a posteriori de l’idée de sagesse écologique des peuples traditionnels « qui ne sont plus traditionnels, et peutêtre n’ont jamais été sages21 ».
17 Op.cit. 7 18 Op.cit. 1 19 Bruno Manser Fonds, Basel bmf.ch/fr 20 Op.cit. 3 21 Ibid
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ANTHROPOCÈNE
« On peut à juste titre désigner par le terme « anthropocène » l’époque géologique actuelle, dominée de diverses manières par l’Homme, qui succède à l’Holocène – la période chaude des dix-douze derniers millénaires. On peut dire que l’Anthropocène a commencé dans la dernière partie du XVIII° siècle, époque dont les analyses de l’air emprisonné dans les glaces polaires montrent qu’elle a connu une augmentation des concentrations de dioxyde de carbone et de méthane à l’échelle du globe. Cette période coïncide aussi avec la conception de la machine à vapeur de James Watt en 178422 ».
Comme le défini ci-dessus Paul J. Crutzen, météorologue et chimiste de l’atmosphère néerlandais, l’anthropocène est l’ère de l’homme. C’est une époque géologique ayant commencé au moment de la Révolution Industrielle, il y a 3 siècles, lorsque l’homme a commencé à avoir un réel impact sur l’environnement, et qu’il a débuté l’exploitation massive des ressources naturelles terrestres. Les conséquences de l’extraction massives des ressources, c’est l’augmentation du confort et l’innovation technologique. Ceux-là induisent alors une augmentation drastique de la population mondiale: « L’expansion accélérée de la démographie mondiale et de l’utilisation par habitant des ressources de la Terre a été continue. Au cours des trois derniers siècles, la population humaine a été multipliée par dix23 ». Au niveau du milieu, l’anthropocène se traduit en chiffres, et le résultat est inéluctablement visible sur l’île de Bornéo par la réduction de ses forêts tropicales et l’exploitation des cours d’eau: « Les humains exploitent environ 30 à 50 % de la surface des terres de la planète. Les forêts tropicales humides disparaissent à un rythme élevé, ce qui augmente le taux de dioxyde de carbone et augmente fortement l’extinction des espèces. La construction des barrages et le détournement des rivières et des fleuves sont devenus monnaie courante24 ».
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22 J.Crutzen (Paul), La géologie de l'humanité : l’Anthropocène, Écologie & politique, 2007 (N°34), p. 141-148 23 Ibid 24 Ibid
Pragmatisme économique Pour comprendre comment la forêt de Bornéo en est arrivée à se faire dévorer, nous pouvons encore une fois nous appuyer sur les rapports de Bernard Sellato. Car pour comprendre comment les grands groupes industriels et l’économie mondialisée s’y sont prit pour réussir à mettre à mal l’une des réserves de biodiversité les plus riches du monde, il faut d’abord comprendre comment les populations locales gèrent leur propre économie dans la forêt. Ici, l’auteur parle de « pragmatisme économique », c’est à dire que même si, comme expliqué plus haut, les populations locales n’ont à l’origine pas réellement une idéologie de « sauvegarde de la nature », leurs modes d’exploitation des ressources n’en reste pas moins durables. Elles exploitent leur environnement pour en vivre. Sellato avance que « la vision économique qu’ont de la nature tangible les groupes traditionnels de Bornéo contraste avec leur vision cosmologique de la Nature25 », c’est à dire que leur rapport concret à la nature n’est pas toujours en phase avec leurs croyances animistes. Ces populations ne sont ainsi pas religieusement portés vers la conservation, sans pour autant être délibérément destructifs. On peut trouver deux types de ressources chez les populations locales: les ressources de subsistance à valeur locale (exploitée de manière durable au bénéfice des générations suivantes) et les ressources à haute valeur commerciale (dont ils n’ont pas eux mêmes besoin). Ce contraste est un trait culturel résilient chez les groupes de Bornéo qui ont, d’après Sellato, perduré jusqu’à aujourd’hui, et il permet de comprendre comment l’addition de facteurs comportementaux internes et des facteurs (ou pressions) économiques externes sont parvenus à modeler des changements environnementaux que nous observons aujourd’hui26.
25 Op.cit. 3 26 Ibid
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Les resources à valeur locale font l’objets d’une gestion raisonnée en vue de leur exploitation durable, par les nomades et les agriculteurs. Il est utilisé un mode de gestion qui fait appel à un sens de la propriété. Ainsi, la zone d’exploitation peut être communale (comme les domaines forestiers, les zones de pêches...), familiale (terres agricoles) ou individuelle (arbres fruitiers). Ces conceptions locales de patrimoines fonciers ont un rôle crucial dans le maintien des pratiques durables de gestions des ressources, et on les retrouvent dans la plupart des communautés de maisons longues. L’espace agricole est géré pour une exploitation à long terme: jachères (alternance des cultures) et règles d’accès au domaine communal pour l’usage individuel ou collectif du bois d’oeuvre. « Ces règles, ainsi, assurent la gestion durable de ces ressources utiles27 ». Ensuite, il y a les ressources commerciales sans valeur locale, c’est à dire sans usage local. Dans le contexte de la mondialisation, c’est le marché qui détermine les types de produits, les volumes et les prix. La demande en produits forestiers sur les marchés internationaux peut être très ancienne (2000 ans), comme le souligne Sellato, ou très récente. Ces demandes du marché se répercutent très rapidement sur les collecteurs de l’intérieur via une chaîne d’intermédiaires. C’est ici, dans ce contexte, qu’interviennent les groupes forestiers. Ces derniers, comme l’évoque l’auteur, font preuve d’un comportement économique opportuniste et ignorent toute idée de durabilité. La priorité est au meilleur rapport de retour sur investissement, n’hésitant pas à changer de type d’exploitation en même temps que les prix fluctuent. Pendant longtemps, l’exploitation reste relativement modérée, dû à une basse densité de population à Bornéo et un bas niveau technologique. Mais comme le dit Sellato, « ceci va changer dramatiquement à la fin du XX° siècle » et on bascule alors sur un modèle d’exploitation où la notion de durabilité n’a pas sa place.
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27 Ibid
On a affaire un modèle d’exploitation baptisé « extractivisme28 ».
Extractivisme « Il faut bien comprendre que déforester sur de grandes surfaces peut faire disparaître des espèces propres aux zones concernées, et replanter des arbres ne fera pas revenir les espèces disparues29 » En effet, lorsqu’on coupe un arbre, on coupe bien plus qu’un végétal, on coupe tout un écosystème, un ensemble d’espèces vivantes interconnectées et interdépendantes. Et comme le rappelle la phrase de Jean-Luc Dupouey citée ci-dessus, la destruction de la forêt de Bornéo est irréparable. Alors, comment en est-on arrivés là ? Une chronologie des mode d’exploitation de la forêt (fig. 1.16) de Bornéo nous est expliquée par Sellato30. Jusqu’au milieu du XX° siècle, la forêt est exploitée principalement par les peuples de l’intérieur de l’île, il y a peu de dégâts. Seul certains produits à hautes valeurs commerciales sont exploités de manière intensive: le rhinocéros nain de Bornéo (qui est presque éteint aujourd’hui), et le gibbons (lui aussi est en danger aujourd'hui) ont été chassés à la lance et à la sarbacane pour la pharmacopée chinoise. Cette forme d’extraction, la première, continue aujourd’hui à l’arme à feu, malgré leur statut d’espèce protégée. Dans les décennies d’après guerre, c’est l’extraction de bois qui devient la principale activité d’exploitation des ressources: on abat les arbres et la forêt se retrouve durablement abimée. Les dégâts restent maitrisés tant que l’exploitation se fait à la hache, or à partir des années 1970, les grandes compagnies forestières viennent s’implanter à Bornéo, 28 Ibid 29 Dupouey (Jean-Luc), Qu’est ce qu’une forêt primaire ?, entretien par Audrey Dufour, La Croix, 20 février 2018, [consulté le 10 novembre 2020], disponible ici www.la-croix.com/Scienceset-ethique/Environnement/Quest-quune-foret-primaire-2018-02-20-1200915140 30 Op.cit. 3
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Jusqu’au milieu du XX° siècle
EXPLOITATION
Chasse du rhinocéros et du Gibbon (haute valeur commerciale) Mais peu de dégats
EXTRACTION
Après 1945 Bois = principale cible d’exploitation
1970 Grands groupes forestiers Début de la déforestation intensive
1990 Ouverture de la Chine
Mécanisation intensive
EXTRACTIVISME
Terme altermondialiste ou universitaire Exploitation de toute ressources à échelle industrielle (monoculture) Exctinction de la biodiversité
Fig 1.16. Historique de l'extraction des ressources à Bornéo
apportant avec elles des équipements lourds (bulldozers, tronçonneuses etc...): « c’est le début de la déforestation intensive de l’île, aujourd’hui responsable de la disparition de millions d’hectares de forêt31 ». Autour de 1990, la Chine s’ouvre au marché et amène alors une puissante demande en produits forestiers. L’extraction s’intensifie et se mécanise d'avantage. L’impact est énorme: extinction du bois d’encens, pollution des cours d’eau, disparition de poissons, diminution des populations d’oiseaux... Le problème se trouve également ailleurs: les groupes forestiers locaux sont eux-mêmes dépassés par les groupes venus de l’extérieur. « Quand les ressources sont épuisées, enfin, les étrangers s’en vont ailleurs, et les groupes locaux demeurent, avec un environnement naturel et social saccagé32 ». On peut en déduire que cette triste exploitation effrénée des ressources forestières bornéennes a pour objectif principal de servir nos besoins occidentaux en terme de demande autour de ces produits: une forme, en soit, de colonisation capitaliste et mondialisée. Aujourd’hui, un nouveau terme a vu le jour dans les milieux universitaires et altermondialistes: « extractivisme ». Il s’agit de l’« accélération des activités d’exploitation des resources naturelles à l’échelle industrielle ainsi que la place centrale de ces secteurs d’activités pour les économies des Etats exportateurs de matières premières33 ». Aude Vidal, qui a suivie une mission de cartographie sur l’île en 2013, approfondi ce terme dans un article publié en 2016: « Il existe un phénomène mondial aujourd’hui c’est celui de l’extractivisme. Dans un système comme celui des provinces indonésiennes de Bornéo, où coexistent un faible état de droit, des ressources naturelles comme la bauxite et le bois tropical, le territoire est considéré comme un réservoir dans lequel prévaut la loi du plus fort. Or, La tension sur les matières premières fait monter la tension sur les territoires34 ». C’est comme cela qu’aujourd’hui, les compagnies forestières vont de plus en plus loin dans l’intérieur 31 Ibid 32 Ibid 33 Ibid 34 Jones (Awen), La cartographie, une arme politique à double tranchant ?, janvier 2016, disponible ici chroniques-architecture.com/la-cartographie-une-arme-politique-a-double-tranchant/
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des forêts de Bornéo; les compagnies minières (notamment charbon) détruisent le réseau hydrographique; l’exploitation de minerais déverse des tonnes de mercure dans les rivières; le foncier est devenu une commodité majeure. Enfin, l’expansion démesurée des grandes plantations industrielles (bois, palmiers à huile) se fait sur la coupe rase de surfaces immenses de forêts, la destruction d’une biodiversité intense, et sur le territoire de populations locales qui n’ont plus rien et se retrouvent, souvent, à travailler sur ces mêmes plantations ou monocultures. Sellato conclut: « les peuples indigènes cherchent leur place dans cette situation complexe où ils sont déjà clairement marginalisés35 ». Ces événements en chaîne donnent lieu aujourd’hui à une lutte pour la survie de la forêt, face à toutes ces menaces pesantes sur la biosphère de Bornéo et sur ceux qui la composent. Pour les populations locales, celles dont on détruit l’habitat, cela s’apparente à une véritable catastrophe humanitaire. Sellato l’a dit, « cette forêt n’est plus la leur36 ». On peut citer, avec justesse, les mots de Vidalou concernant l’extractivisme qui se joue en ce moment sur l’île de Bornéo et les conséquences pour ceux qui y habitent: « Les indigènes qui habitent dans ces forêts et qui ne partagent pas cette vision « économique » du monde se trouvent privés de leurs lieux de vie, expulsés hors des réserves, et voient leur habitat détruit au prétexte qu’ils « n’ont pas les compétences pour gérer la forêt rationnellement ». Au-delà de la financiarisation de la nature, dont toutes les bonnes âmes de nos pays condamnent les abus, ce qui contamine la planète depuis plus de trois cents ans, c’est bien cette maladie tout occidentale qui consiste à réduire le monde à des lignes de comptes37 ».
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35 Op.cit. 3 36 Ibid 37 Op.cit. 1
LES MÉTHODES DE LUTTE Plusieurs méthodes de lutte existent et sont mises en oeuvre, depuis des décennies, à Bornéo comme ailleurs dans le monde, pour défendre la forêt, les peuples qui y habitent et la biodiversité qu’elle abrite. Les ONG environnementales vont être d'avantage un rôle de médiateurs dans la négociation entre autorités, peuples indigènes ou encore la communication pour pousser les pouvoirs publics à porter des réponses aux problèmes écologiques, notamment la déforestation massive et la destruction ininterrompue de la biodiversité. Certaines d’entre elles sont très connues: Greenpeace, le WWF, Conservation International... Les ONG humanitaires peuvent, elles, être plus radicales dans leurs méthodes: blocage de route, manifestations ou actions diverses sur le terrain. Il s’agit là de protéger la biodiversité en y intégrant les peuples autochtones auxquels on vole les terres natales dans un but d’exploitation, principalement agro-industriel. Parmi les acteurs écologistes de cette lutte acharnée, on trouve Bruno Manser. Ce bâlois est allé vivre entre 1984 et 1990 parmi les tribus Penan, dans le coeur de Bornéo. Il y apprend la culture, le langage, et les pratiques de ces tribus nomades des forêts. À son retour, il fonde le Bruno Manser Fonds38 à Bâle en 1991, et s’engage ainsi dans l’activisme au profit des forêts tropicales et des peuples qui y habitent. Il a notamment aidé les populations locales à organiser des barrages pour ralentir les bulldozers et ainsi empêcher la coupe d’arbres. En 2000, il retourne au Sarawak, pour un dernier voyage au cours du quel il disparaît de manière encore mystérieuse aujourd’hui. Son incroyable histoire est raconté dans le film Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale39, sortie en 2019. Dans son livre, Vidalou dénonce « ce qu’on appelle « aménagement du territoire » [qui] doit être compris en tant que guerre de basse intensité. Une guerre menée non seulement contre les lieux qu’elle annihile, mais contre les vivants 38 Op.cit. 19 39 Hilber (Niklaus), Bruno Manser - La Voix de la Forêt Tropicale (Titre original: Bruno Manser – Die Stimme des Regenwaldes), Prod. Valentin Greutert, Suisse, 2019, 142min
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eux-mêmes40 ». Ce livre est comme un manuel de lutte en forêt, pour protéger la vie qu’elle abrite. On y trouve plusieurs axes, notamment celui visant à « développer une force collective capable de s’organiser pour penser cette histoire, nos usages et nos imaginaires pour faire en sorte qu’il n’y ait pas à choisir entre l’exploitation industrielle et la préservation sous cloche41 » ayant pour but de « fabriquer des sentiers, de tisser des gestes comme une texture du monde, contre les infrastructures elles-mêmes42 ». Pour Vidalou, la façon dont la protection de la nature est aujourd’hui organisée rappelle la gestion d’un parc, « l’« élevage des hommes par les hommes », une « zoologie politique43 » ». En effet, comme nous avons déjà pu l’aborder, la création d’un parc naturel et une très bonne chose pour la nature, car il permet de limiter l’exploitation des ressources du territoire qu’il représente; cependant, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les cultures qui y habitent, car cela représente, malgré eux, une acculturation et une adaptation à cette gestion administrée du territoire sur lequel ils étaient auparavant libres. La forêt est un lieu où la vie sait se défendre contre les menaces, « On pourrait dire qu’il y a de la forêt partout où ça résiste, partout où ça s’insurge contre le ravage que constitue cette civilisation. Il y a de la forêt là où on ne peut plus supporter la misère existentielle généralisée, cette neutralisation préventive de toute vie. Il y a de la forêt dans les cœurs et les esprits44 ». La forêt c’est « justement une zone libérée, où se crée cette chose assez forte, assez belle, de l’ordre d’un enchevêtrement entre un certain art de vivre et un art de se battre, de défendre cette forêt. Parce que quelque part, oui, ils sont cette forêt. Ils sont entrés dans un devenir commun. La raser, ça serait les raser45 ».
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40 Op.cit. 1 41 Ibid 42 Ibid 43 Ibid 44 Ibid 45 Ibid
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CONCLUSION CHAPITRE I LA MAISON LONGUE DANS SON TERRITOIRE Quelle est la place de la maison longue sur ce territoire à la fois foisonnant de vie, et déchirée par une lutte pour sa survie ?
N
ous avons vu que l’île de Bornéo est divisée par des frontières qui forment quatre états distincts. Les communautés Dayaks occupent un vaste territoire qui est traversé par différentes rivières, et sont présentes autant sur le territoire indonésien que le territoire malais ou du Brunei. Elles s’inscrivent dans une géographie diversifiée, entre plaines et montagnes et se placent dans un milieu forestier tropical extrêmement dense et riche de vie. Les communautés vivants en maisons longues partagent leur territoire avec d’autres populations traditionnelles à l’intérieur de ces forêts tropicales, notamment les nomades Punan. La maison longue est traditionnellement considérée par ses habitants comme l’habitat d’une véritable société civilisée au centre du milieu sauvage et hostile qu’est la forêt.
La maison longue et la nature Comme l’explique Paulus Tulung Daun, chef d’une maison longue traditionnelle Dayak, dans un entretien: « Nous, en particulier les Dayak Taman (le nom d’une communauté sous-
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ethnique Dayak vivant à l’intérieur de Bornéo), avons la sagesse et les traditions de nos ancêtres. Nous savons comment vivre en harmonie avec la nature. C’est pourquoi nous ne détruisons pas notre environnement. Sans nature, il n’y a pas de vie. Nous enseignons à nos jeunes à préserver cette valeur essentielle dans leur existence quotidienne et nous disons à nos enfants de ne pas se laisser facilement influencer par les immigrants d’autres endroits du pays et de l’étranger ; par ceux qui viennent ici et qui continuent à dévaster Kalimantan (Bornéo). Nous continuerons aussi à vivre dans cette maison longue parce que nous pensons qu’il est sage de vivre dans une maison longue, si on la compare aux maisons conventionnelles; nous nous aidons les uns les autres et partageons nos biens. Toutes les décisions importantes sont prises après consultation des membres de notre communauté. Les grandes entreprises d’huile de palme sont venues chez nous en de nombreuses occasions, offrant de nous acheter nos terres, mais nous refusons toujours parce que nous savons que l’huile de palme nuirait à la nature et à nos vies. Je pense que les gens sont attirés par l’argent et les promesses des entreprises, donc ils vendent tout ce qu’ils ont perdent ainsi leur forêt1 ». Malgré la sincérité apparente du chef de maison, il faut prendre ces paroles avec précaution. En effet, nous avons vue avec Sellato et Dounias2 que les ONG peuvent avoir un impact fort sur le discours des populations locales. En ce sens, le « savoir écologique3 » des populations traditionnelles est un mythe et on parle plutôt de « pragmatisme économique4 », c’est à dire un respect de la nature basée d’avantage sur la sauvegarde des ressources nécessaires à la survie de la communauté que sur une vision altruiste de protection de la biodiversité. Toutefois, il est intéressant d’observer la vision de cet habitant de maison longue concernant son mode de vie qu’il définit
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1 Vltchek (Andre) et Lubis (Mira), NEO New Eastern Outlook, traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action, juillet 2018, disponible ici www.investigaction.net/fr/borneo-il-ny-apas-que-la-nature-qui-a-ete-detruite-mais-aussi-une-grande-et-ancienne-culture/ 2 Dounias (Edmond), Les derniers chasseurs-cueilleurs de Bornéo, EPPDCSI, octobre 2011, [consulté le 25 septembre 2020], disponible ici www.youtube.com/watch?v=fndWwyhPDbs&t=4612s 3 Sellato (Bernard), Société et forêt tropicale: Bornéo, de la tribus à la mondialisation, janvier 2016 4 Ibid
comme « sage » et qu’il n’imagine pas en changer. Sa vision de la civilisation, de la coopération et de la société est définie par le modèle de la maison longue, bien plus que par des maisons conventionnelles, symbole, sans doute, d’une certaine forme d’individualisme. Et comme nous allons le voir dans le prochain chapitre, l’architecture de la maison longue est structurellement définie par la communauté qui y vit.
La maison longue face aux défis de l’anthropocène Les communautés des maisons longues sont perturbées par les effets de l’extractivisme massif qui a lieu à Bornéo. Beaucoup de communautés ont disparu, et celles restantes doivent s’adapter et trouver un compromis entre l’adaptation et la conservation de leurs traditions. Comme le présente aussi Paulus Tulung Daun, cité plus haut, certaines communautés perdent leurs terres et leur forêt au profit d’entreprises qui exploitent les sols et ressources. En 2013, Aude Vidal suit une mission de cartographie participative sur l’île de Bornéo. La cartographie participative consiste en un processus mis en œuvre pour impliquer les communautés locales dans la conception cartographique. Elle sert de support iconographique au débat public et à la participation des communautés locales5. Vidal nous décrit les problématiques que représentent l’extractivisme pour les communautés des maisons longues et comment leurs droits sont finalement limités face aux enjeux économiques dictés par les forces politiques: « Il existe trois types d’espaces. Le premier est l’espace cultivé juste autour de la maison longue, habitat traditionnel regroupant plusieurs familles d’agriculteurs. Cet espace est bien protégé par la loi de 1958. Le second espace est plus distant de la maison longue. Il n’est pas nécessairement cultivé mais souvent visité. Il peut s’agir d’un lac, de terres non exploitées pour un usage agricole. Le troisième espace est la forêt où l’on trouve peu de traces d’activités 5 Définition de Dicopart, section Dispositifs, disponible ici www.dicopart.fr/fr/dico/cartographie-participative
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humaines. Mais ce n’est pas parce qu’elles sont invisibles qu’elles n’existent pas ! Or, comme le gouvernement souhaite laisser le moins de territoire que possible aux autochtones, il n’accepte de rétrocéder que les terres cultivées sans tenir compte du mode vie des populations locales, et plus particulièrement de celle des peuples nomades6 ». Ainsi, le milieu territorial dans lequel s’inscrit la maison longue est nuancé. Une partie de celui-ci est clairement lisible, une autre partie est plus discrète, mais utile et essentielle à la survie de la communauté. L’absence de traces visibles montrants que cette partie du territoire est important pour ses habitants, pousse les autorités, régies par une vision extractiviste, à prôner l’exploitation de ces terres et signe ainsi l’arrêt de mort des communautés qui en dépendent. Grâce à la cartographie participative, certaines organisations et associations tentent ainsi d’aider les communautés des forêts de Bornéo à revendiquer leurs droits sur les terres qui leur reviennent, et à empêcher la destruction de celles-ci, parfois illégale.
La maison longue et l’éco tourisme L’éco tourisme est aussi une voie que les communautés des maisons longues adoptent, encouragés par les ONG. L’éco tourisme est définie par l’Organisation Mondial du Tourisme (OMT) comme un « tourisme qui tend à minimiser l'impact sur l'environnement pour le préserver à long terme. Mais il est davantage centré sur la découverte des écosystèmes et implique une participation active des populations locales et des touristes à la sauvegarde de la biodiversité. Il se pratique dans la nature, en petits groupes, au sein de petites structures7 ». Il s’agit donc dans notre cas d’emmener des voyageurs
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6 Jones (Awen), La cartographie, une arme politique à double tranchant ?, janvier 2016, disponible ici chroniques-architecture.com/la-cartographie-une-arme-politique-a-double-tranchant/ 7 Tomasella (Claire), L’éco tourisme, qu’est ce que c’est ?, Geo, 18 juin 2009 (MàJ le 5 juin 2019), [consulté le 15 novembre 2020], disponible ici www.geo.fr/environnement/ecotourisme-41139
étranger visiter les maisons longues, et y découvrir les cultures Dayaks. Pourtant, l’éco tourisme engendre un paradoxe qui est décrit par Clotilde Luquiau, docteur en géographie, dans un article pour Le Monde Diplomatique: « Les devises des visiteurs venus admirer forêt vierge et paysages immaculés contribuent à moderniser les lieux ; or, quand les habitants gagnent en confort et en sécurité, les touristes perdent en pittoresque. C’est l’un des paradoxes de l’éco tourisme, censé fournir un revenu aux populations, limiter l’impact sur l’environnement et contribuer à la prise de conscience écologique de tous les acteurs. Et, les voyageurs ciblés par le marketing malaisien étant généralement très dépensiers, la modernisation qu’engendre leur passage est appelée à s’amplifier. Mais au profit de qui8 ? » Elle décrit un tourisme qui a pour effet d’engendrer une boucle rétroactive: Les habitants coopèrent avec une agence d’éco tourisme qui leur enverra des visiteurs à la recherche d’authenticité au travers de la culture de ces peuples traditionnels. En échange de leur accueil, les habitants des maisons longues tireront un bénéfice, qui améliorera leurs conditions de vie. Cette augmentation du niveau de vie et du confort aura alors pour effet de faire diminuer l’authenticité du lieu et ainsi, faire disparaitre petit à petit les traditions de ces peuples. On peut faire le lien entre ce schéma et le schéma que décrit Sellato entre les populations locales et les ONG. On peut également citer à nouveau Vidalou lorsqu'il dit qu'ainsi, « Le « sauvage sublime » que les touristes viendront admirer n’est en fin de compte que le miroir sans tain de la forêt bien administrée9 » Pour conclure ce chapitre, je dirais qu’il est important et intéressant de saisir à quel point le milieu territorial influence logiquement les traditions et les évolutions des maisons longues. Qu’il soit politique, géographique, économique, le milieu territorial a 8 Luquiau (Clotilde), Dans la jungle de Bornéo, des visiteurs en quête d’authenticité, Le Monde Diplomatique, juillet 2012 [consulté le 21 avril 2020], p.20-21 9 Vidalou (Jean-Baptiste), Être Forêts - Habiter des Territoires en Lutte, Ed. Zones, 2017, 144p.
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un réel impact sur les modes de vie des communautés des maisons longues, comme sur ceux de toutes les populations traditionnelles dans les forêts tropicales de Bornéo. Il ne fait aucun doute qu’à l’air de l’anthropocène, où l’homme exploite de manière irraisonnable le territoire et les ressources qui s’y trouvent, l’existence des maisons longues est menacée. Maintenant que nous avons largement exploré le contexte territorial de l’île de Bornéo au XXI° siècle, il est temps pour nous d’entrer à l’intérieur de la maison longue, à l’échelle que j’ai nommé « macrospatiale ». Dans le chapitre suivant, nous allons aborder la structure architecturale, sociologique et les différents espaces qui composent la maison longue et ses environs. Par là, nous observerons l'influence du milieu proche de la maison longue et son influence sur le fonctionnement de celle-ci. En quoi l’architecture de la maison longue est définie par la communauté qui l’occupe et comment met-elle des espaces au service du lien social ?
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Maisons longues Kayan Rivière Baram, Tinjar
Malaisie (Sarawak) Maisons longues Melanau Rivière Rajang Maisons longues Lahanan Rivière Balui
Kuching
Maisons longues Iban Rivières Batang, Saribas, Paku
Nanga Sumpa, maison longue Iban
Maisons longues Gerai, Nord-est du Kabupaten Ketapang, Kalimantan occidental
Localisation des maisons longues étudiées
Indonésie
NOTRE CORPUS D'ÉTUDE D
ans le cadre de notre étude, nous sélectionnons différentes maisons longues où vivent différentes communautés. Ces études de cas forment un corpus qui nous sert de base pour analyser les concepts mis en avant dans les Chapitres II et III. Les maisons longues étudiées sont localisées dans le nord-ouest de l'île de Bornéo.
Communautés Kayan le long du fleuve Baram Cet exemple est tiré du livre1 de Peter Metcalf. Il s’agit des maisons longues de l’ethnie Kayan situées au centre nord de l’île de Bornéo, prêt de la frontière qui sépare la Malaisie du Brunei. Cet ouvrage nous fournit beaucoup d’informations sur la construction, le fonctionnement, et l’évolution des maison longues à Bornéo. Metcalf compare notamment sa propre expérience lorsqu’il a visité le morceau de territoire concerné, à celles de rapports et récits plus anciens.
Communautés Melanau le long du fleuve Rajang Le Rajang est le plus long cours d’eau de l’île de Bornéo. L’ethnie des Melanau, ou « peuple de la rivière », habite dans une maison longue dite « haute », au nord du Sarawak (Malaisie). La particularité de cette maison longue est qu’elle s’élève sur plusieurs niveaux, ce qui n’est pas le cas de nos autres études de cas qui restent de plain-pieds. La 1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p.
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construction de la maison longue Melanau et son fonctionnement sont développés dans un article2 publié à l’Université de Penang en Malaisie en 2018.
Communauté Lahanan le long du fleuve Balui C'est dans le récit3 de Jennifer Alexander, disponible dans l’ouvrage4 de James Fox, que l'on trouve une analyse précise de la construction et du fonctionnement social de la maison longue des Lahanan. Les Lahanan sont l'un des principaux groupes de l'ethnie de Kajang qui se considèrent comme les premiers colons de la région de Belaga, au Sarawak. Cette revendication a été usurpée par deux autres groupes ethniques: les Kayan et les Kenyah. Au début du XX° siècle, pendant les conflits armés qui opposaient les Iban chasseurs de têtes et les Kajang, Kayan et Kenyah, les communautés Lahanan sont intervenus en tant que médiateurs. Cette maison longue est appelée Leng Panggai et se trouve entre le fleuve Balui et la rivière Panggai. Elle possède une hiérarchie sociale et diffère donc d’autres maisons longues (Kayan ou Iban), où les habitants sont considérés comme socialement égaux.
Communautés Iban le long du fleuve Batang Les Iban sont un peuple vigoureux et extérieurement expansif du centre-ouest de Bornéo qui compte environ 400 000 personnes dans l'État malais de Sarawak. Ils sont connus comme « chasseurs de têtes ». En effet, jusqu’au milieu du XX° siècle, les guerriers Iban effectuaient des raids sur les villages d’autres communautés, et récupéraient les
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2 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018 3 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 4 Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993
têtes de leurs ennemis comme trophées. L’ethnie Iban est l’une des plus présentes sur Bornéo. La zone que nous allons étudier se trouve le long du fleuve Batang, au Sarawak. Nous pouvons recueillir des informations sur la construction, le fonctionnement social et rituel des communautés de maisons longues Iban grâce à l'étude5 de Clifford Sather, également présent dans l’ouvrage6 de James Fox. De plus, nous avons pu nous entretenir avec Josh Wallace, architecte canadien célèbre pour avoir participé à la conception et la reconstruction de la maison longue Iban de Nanga Sumpa en 2015. Cet entretien7 m’a apporté de riches informations sur le processus de construction de la maison longue Iban. Très peu d’occidentaux ont pu observer, et encore moins participer, à la conception d’une maison longue. Josh l’a fait et son témoignage est précieux pour cette étude.
Communautés Gerai dans le nord-est du Kabupaten Ketapang La communauté large Gerai compte environ 700 personnes. Située dans l’état indonésien du Kalimantan occidental, la maison longue de la communauté Gerai est finement décrite dans l'étude8 de Christine Helliwell. Elle approfondie, dans ses analyses, la question de la « vie privée » à l’intérieur de la maison longue, ainsi que la place de l’individu dans la communauté. Cet exemple nous intéressera particulièrement lors du Chapitre III. Chaque maison longue et sa communauté associée fait l'objet d'une fiche d'identité, résumant ses caractéristiques, en annexe de ce mémoire. Un glossaire des lexiques Iban, Lahanan et Gerai est également disponible à la fin de celui-ci. 5 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 6 Op.cit. 4 7 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte 8 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62
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CHAPITRE II
LA MAISON LONGUE ET SA COMMUNAUTÉ
SCHÉMA DIRECTEUR DE LA MAISON LONGUE N
ous allons étudier, dans ce second chapitre, la structure sociale et architecturale de la maison longue. A l’échelle du macro-espace, nous allons observer le fonctionnement des différentes communautés du Nord-ouest de Bornéo. Nous allons ainsi pouvoir comprendre comment les communautés s’inscrivent dans leur milieu proche et dans quelle mesure la maison longue représente une civilisation organisée qui se construit sur des traditions ethno-culturelles propres. Nous avons commencé à définir la maison longue en introduction de ce mémoire. Dans cette partie, nous allons approfondir cette définition de la maison longue. Bien qu’il n’existe pas de modèle générique de maison longue, nous tenterons de donner un schéma directeur intégrant les éléments et espaces fondateurs des maisons longues analysées à Bornéo.
LA MAISON LONGUE, CONCEPTUALISATION Une « maison » Dans notre société occidentale, une maison est un bâtiment qui abrite en général une ou deux familles. Elle a pour premier but d’être le logement de ces foyers. La maison longue de Bornéo peut accueillir beaucoup plus de familles, et n’est pas uniquement utilisée comme logement, mais bien comme un réel lieu de vie communautaire. Metcalf a dit « En réalité, les maisons longues sont une agglomération de « 89
maisons1». Jennifer Alexander2, anthropologiste, nous fait constater que cette forme inhabituelle d’architecture a suscité de nombreuses spéculations sur les raisons de son développement et de sa persistance dans les sociétés contemporaines qui, par ailleurs, évoluent rapidement.
Une « typologie » ? Le terme « typologie » pour désigner le modèle architectural de la maison longue est connoté. En effet, lors d’un échange3 avec Bernard Sellato où ce terme a été évoqué, il a répondu « J’ai souvent vécu avec des Dayak qui habitaient, non pas une typologie, mais une longue-maison (…) qui en fait reflète le vaste éventail de la variété des pratiques ethno-culturelles locales ». Le terme typologie peut être utilisé par les architectes pour définir un modèle générique qui se développe de manière différente, à différents endroits, comme des variantes possédant la même base. Il s’agit d’un système de classification physique ou psychologique. Pour Sellato, les maisons longues sont avant tout construites d’après des traditions ethno-culturelles anciennes et variées, qui dépendent réellement de l’environnement proche, local, de chaque maison. La vision anthropologique se veut donc refuser le terme de « typologie », car les interactions induites par l’espace construit ne sont pas les mêmes dans toutes les maisons longues. Pourtant, d’un point de vue architectural, les maisons longues possèdent des espaces identiques: elles reposent toutes sur un schéma directeur semblable. Nous tenterons d’en donner les lignes directrices dans cette partie.
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1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 2 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 3 extrait d’un échange avec Bernard Sellato par courriel, 30 Septembre 2020
Fig 2.1. et 2.2. Arrivées à différentes maisons longues Iban depuis le fleuve Batang
Première description d’une maison longue à Bornéo Dans le livre4 de Metcalf, nous pouvons trouver une description de maison longue rédigée par Spenser Saint-John5 en 1851 quand il est allé rendre visite au peuple Kayan le long de la rivière Baram. Il s’agit de la plus ancienne description de maison longue bornéenne que nous avons pu trouver. Il trouve un lieu qu’il appellera dans un premier temps « Longusin ». Saint-John y décrit des maisons longues construites à différentes hauteurs sur des collines et qui apparaissent agglomérées ensemble: « Je n’ai jamais vu d’endroit plus joli6 ». On y trouve de nombreuses réserves de riz. A l’intérieur, il découvre un espace commun très long avec une partie couverte, où dorment les célibataires, et des appartements séparés. Il observe ensuite les éléments de structures de la maison: un toit fait en galets, des piliers en bois lourd, le sol fait de planches, tout comme les cloisons. Des portes à peine 60 centimètres au-dessus du sol, conduisent aux cellules intérieures. Saint-John estime la population de la Longusin à environ 2500 personnes, soit environ 500 familles.
PARTITION ET SCHÉMA DIRECTEUR DE LA MAISON LONGUE Avant d’entrer dans les détails de la conception, la construction et l’organisation de la maison longue, nous allons définir son schéma directeur (Fig 2.3). Nous trouvons plusieurs éléments architecturaux ou géographiques récurrents: la rivière, la galerie, les appartements. La rivière définit l’implantation de la maison longue sur son site et permet l’accès à la maison. La galerie se trouve à l’intérieur de la maison, c’est un espace public et une voie de desserte pour les cellules familiales. Les appartements sont les cellules de logements des familles. Ces éléments
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4 Op.cit. 1 5 Explorateur et consul général du Royaume-Uni au Brunei, gouverneur de Labuan de 1852 à 1856 et secrétaire de James Brooke, le premier des Rajahs blancs du Sarawak 6 Op.cit. 1
sont toujours présents, dans toutes les maisons longues étudiées.
La partition spatiale Metcalf7 nous rapporte le témoignage de Charles Hose8, qui est allé rencontrer une communauté de maison longue dans le Baram au début du XX° siècle. Il décrit un espace de 1 kilomètre et demi de long, supporté par de larges piliers. L’espace est divisé en deux parties égales par un mur longitudinal qui couraient tout le long du village. Du côté de la rivière, on trouve un espace long et étroit, 15 mètres de large environ: la galerie. L’autre partie est divisée par des murs transversaux tous les 8 mètres environ, et forme des apparemments de tailles « plus ou moins9 » égales pour les familles. Hose estime que cette maison abrite environ 700 habitants10. La partition spatiale peut également se diviser en espaces sociaux. Par exemple, la maison longue Gérai11 est disposée sur sept niveaux horizontaux distincts, chacun d’entre eux se différenciant des autres par leur fonction. Chez les Iban12, on ne trouve que 6 niveaux horizontaux.
La longueur d’une maison longue La différence la plus évidente entre les différentes maisons longues est leur longueur. La longueur des maisons longues est souvent mesurée en nombre de portes13 qui s’ouvrent sur la galerie, une par appartement. Cela peut engendrer dans certains cas une 7 Op.cit. 1 8 Charles Hose est un naturaliste, ethnologue et administrateur colonial britannique né en 1863 et mort en 1929. Hose vit à Sarawak et en Malaisie de 1884 à 1907. 9 Op.cit. 1 10 Ibid 11 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 12 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 13 Op.cit. 1
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forme de confusion: « une maison longue à trois portes est-elle vraiment une maison longue14? » Metcalf15 avance que oui, si cette faible densité de population est justifiée par une mortalité élevée au cours des dernières générations, alors même quelques « portes » peuvent prétendre à un statut indépendant. On trouve dans le Baram16 des maisons longues avec 40, 50 ou 60 portes, et certaines étaient même plus grandes: « dans les années 1950, la maison de Long Laput, dans le Baram central, avait cent portes dans une seule maison longue de 800 mètres de long17 ». Cependant, les sites plats suffisamment grands pour accueillir un bâtiment aussi long sont rares: une communauté peut donc comprendre plusieurs maisons longues, comme nous l’avons vu dans la sous-partie précédente avec la description de Saint-John.
Division spatiale intérieure La principale division interne de la maison longue est produite par la « paroi centrale longue18 ». Il est aligné sur les piliers fondateurs19 et s’étend sur toute la longueur de la maison, séparant les appartements de la longue galerie. Dans la plupart des maisons Iban20, la galerie se poursuit sur une terrasse sans toit appelée « tanju21 ». Ce qui n’est pas le cas dans la maison longue Gerai22, ni dans la maison Lahanan23. L’exemple des Iban24 nous montrent que l’on entre dans chaque appartement par une porte creusée dans ce mur à partir de la galerie. De même chez les Lahanan, où l’on nomme la porte d’entrée d’un appartement littéralement comme son « embouchure25 ». On peut y voir
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14 Ibid 15 Ibid 16 Ibid 17 Ibid 18 Op.cit. 12 19 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 1, Une structure fondatrice et rituelle 20 Op.cit. 12 21 Ibid 22 Op.cit. 11 23 Op.cit. 2 24 Op.cit. 12 25 Op.cit. 2
une référence à l’embouchure d’un fleuve, qui fait sens à l’importante relation physique et rituelle entre la maison longue et son fleuve26. Les deux grandes zones de l’intérieur de la maison longue, séparées par la paroi centrale longue, sont associées à différents niveaux d’intégration sociale. Le côté des appartements marque à la fois « la cellule familiale en tant qu’entité individuelle et la maison longue en tant que totalité ayant des cellules familiales comme constituants27 ».
Maison sur pilotis Les maison longues sont construite sur pilotis, et généralement sur un seul niveau. Dans le passé, la communauté des Lahanan construisaient des maisons longues de deux étages avec des chambres à coucher sur le deuxième niveau, mais leur maison longue actuelle, décrit par Jennifer Alexander28, est une habitation de plain-pied. Une explication29 fonctionnelle de l’implantation de la maison longue sur pilotis a été recherchée dans la protection qu’elle offre contre les inondations et la chaleur dans un climat de mousson tropicale. Elle est également efficace du point de vue écologique, car les déchets ménagers aboutissent sous la maison longue30 où ils sont éliminés par les animaux élevés (porcs, volailles) en quête de nourriture. De plus, cette solution est économique, car la construction d’une maison longue sur pilotis nécessite moins de temps et de matériaux que celle d’habitations séparées. Pour les mêmes raisons, la maison longue Melanau31 peut s’élever jusque’à 12 mètres. Cette dernière possède ainsi trois niveaux et on y décompte entre 20 et 30 espaces de vie différents. À chaque
26 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 2, La maison longue sur son site, sous-partie 2, Placement et orientation de la maison longue 27 Op.cit. 12 28 Op.cit. 2 29 Ibid 30 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 4, Appropriation de la maison par la communauté, sous-partie 5, Vivre dans la maison longue 31 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018
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extrémité de la maison, une échelle d’entrée amovible32 descend généralement jusqu’au sol pour permettre l’accès.
Développement par l’intérieur: la partition familiale Dans une maison longue, on peut parler de partition spatiale, c’est à dire de découpage des différents espaces de la maison, mais également de partition familiale. La partition d’une famille désigne la division d’une cellule familiale pour créer deux nouvelles cellules familiales inter-dépendantes. La nouvelle cellule prend place à côté de l’ancienne cellule, lors du processus de reconstruction de la maison longue. En effet, comme nous le détaillerons par la suite33, la maison longue est une structure éphémère qui est reconstruite à chaque génération. La maison longue est évolutive et « se développe de l’intérieur34». Dans la communauté Iban35, la construction se développe en double sens à partir de l’appartement central, celui du chef du village. Chaque famille construit alors sa cellule à la suite de part et d’autres de cet appartement . Cependant, sur le plan de la maison longue Lahanan36 (Annexe 2.3), on observe que l’appartement du chef du village n’est pas disposé au centre. Cette dynamique de développement constructif des maisons longues diffèrent donc selon les ethnies et villages.
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32 Op.cit.12 33 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 3, Croissance de la maison longue 34 Op.cit. 1 35 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte 36 Op.cit. 2
Fig 2.3. Schéma directeur de la maison longue de Bornéo
LA MAISON LONGUE SUR SON COURS D'EAU C
ette partie a pour but d’analyser comment la maison longue s’inscrit sur son site en fonction des communautés. Elle nous permettra d'illustrer le lien entre les maisons longues et leur cours d'eau, en terme de placement et d'orientation.
COMPOSITION DU VILLAGE Un village de maisons longues peut être composé d’une ou de plusieurs maisons longues, ainsi que d’autres bâtiments plus petits, comme des réserves de riz, ou encore de petites maisons individuelles. Dans le district de Belaga1, la plupart des communautés Kayan se composent d’une seule maison longue, alors que les communautés Kenyah en construisent généralement deux ou trois dans un même village2. Un hameau Melanau3, dans le passé, pouvait être composé de 1 à 3 maisons longues, localisées à un point stratégique: l’embouchure de la rivière Rajang. Cet emplacement les contraints aux marées et prend en considération la sécurité, et les activités économiques de la tribus. 1 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 2 Ibid 3 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018
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Dans la communauté des Lahanan4, les habitants font la distinction entre une maison longue contenant plusieurs appartements individuels et une habitation individuelle occupée par un seul groupe domestique. La communauté actuelle de Leng Panggai, telle qu’elle est décrite par Alexander5 en 1993, se compose de deux longues maisons, de maisons individuelles et de cabanes de stockage situées dans une enceinte clôturée (Fig 2.7). La maison longue d’origine contient 29 appartements. Lorsqu’il est devenu impossible de s’étendre dans le sens de la longueur, 3 appartements semi-attachés ont été construits sur la façade de la maison, ainsi que 4 maisons individuelles et une autre maison longue, composée de 8 appartements6. Ainsi, on peut en déduire que la communauté Lahanan se composent de 44 familles. Il s’agit d’une maison longue temporaire qui remplace une structure similaire qui a été démantelée7. Christine Helliwell8 nous décrit le village Gerai dans les années 1960. Celui-ci était constitué de quatre maisons longues regroupées sur les rives d’un minuscule ruisseau. De ces quatre maisons, il n’en reste plus que deux lors de son étude de terrain, dans les années 1980. Dans les espaces où se trouvaient les deux autres maisons, on trouve plusieurs habitations indépendantes. Celles-ci ne cessent d’étendre les limites du village Gerai. En 1986, la communauté Gerai comptait 106 familles dans le village. Seuls 23 des 106 familles du village ont été trouvés dans les deux maisons longues (14 appartements dans l’une et 9 dans l’autre). Ainsi, les 83 autres familles vivent dans des maisons indépendantes9. Comme nous le constaterons dans le Chapitre III, la résidence indépendante devient un objectif pour beaucoup de nouveaux foyers familiaux de la communauté Gerai, souhaitant plus
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4 Op.cit. 1 5 Ibid 6 Ibid 7 Ibid 8 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 9 Ibid
Fig 2.4. Photo satellite de la maison longue Iban de Nanga Sumpa
d’intimité.
PLACEMENT ET ORIENTATION DE LA MAISON LONGUE La maison longue, à Bornéo, est toujours construite sur les rives d’un fleuve ou d’une rivière. Nous allons voir que le placement et l’orientation de la maison longue sur son site est clairement défini par cette proximité. Dans l’ouvrage de Metcalf10, nous trouvons plusieurs informations concernant le choix d’un site et du placement lors de la construction d’une maison longue. Le choix de l’emplacement de la maison longue dépend de nombreux facteurs, mais il est avantageux de choisir un endroit peu escarpé, assez plat pour permettre à la maison d’étendre sa longueur, et qui ne soit pas sujet aux inondations. Les berges devant les maisons longues ont tendance à être hautes et, après de fortes pluies, elles deviennent « un bourbier de boue11 ».
Relation physique de la maison avec son cours d’eau En tant qu’établissements riverains, les maisons longues étudiées sont construites le long des fleuves et des rivières, leur axe long idéalement orienté parallèlement au cours principal de la rivière sur lequel elle est située, mais cela n’est pas toujours totalement le cas. La façade du côté de la galerie de la maison fait face à la rivière. La maison longue Lahanan12 est situé sur une rive près du confluent de la rivière principale (le Batang) avec un cours d’eau plus petit. Leur maison se trouve à environ 50 mètres de la rivière, sur une pente glissante et raide. Cette pente est créée par les crues de la rivière qui montent et descendent selon la saison et le temps13.
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10 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 11 Ibid 12 Op.cit. 1 13 Ibid
Dans la communauté Lahanan14 comme dans celle des Iban15, les deux extrémités d’une maison longue sont distinguées comme étant les extrémités « en amont » et « en aval » du fleuve. De nombreuses activités prennent en compte la relation intime entre le cours d’eau et la maison. Par exemple, on « monte » à la maison longue comme le courant ascendant, mais on « descend » pour travailler, comme le courant descendant16, c’est-à-dire pour descendre à la rivière afin de pagayer le canoë jusqu’aux champs. Ainsi, l’emplacement de l’appartement d’une famille est indiqué de façon caractéristique par sa position par rapport à l’extrémité amont ou aval de la maison longue17.
Le fleuve comme accès à la maison longue Le principal point d’entrée de la maison longue Iban18 est son « penai », c’est à dire le lieu de baignade au bord de la rivière, qui fait également office de quai. L’espace ouvert à l’avant de la maison longue est entrecoupé de chemins surélevés. Souvent, il s’agit juste d'une rangée de rondins de bois placés à la verticale19 qui permet aux passants d’éviter la boue. Elle mène à la berge, puis, plus bas, à la rivière. Au bas des rondins verticaux, d’autres flottent20, allongés dans la rivière comme des radeaux. Ces pièces de bois servent de quais pour permettre l’amarrage des canoës. Dans cet univers social défini par la rivière, le « penai » de chaque maison longue sert de point nodal dans un réseau de transport fluvial, la rivière elle-même définissant les horizons dans lesquels les entreprises humaines se produisent. Pour les hommes, la réputation 14 Ibid 15 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 16 Op.cit. 1 17 Op.cit. 15 18 Ibid 19 Op.cit. 10 20 Ibid
103
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Fig 2.5. Plan masse de la maison Iban de Nanga Sumpa
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Fig 2.6. Plan de la maison Iban de Nanga Sumpa
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Fig 2.7. Plan masse de la maison Lahanan
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Fig 2.8. Plan de la maison Lahanan
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Fig 2.9. Accès à la maison longue Iban
découle principalement des entreprises à la suite d’un voyage au-delà de leur rivière d’origine : diriger des migrations, ouvrir de nouveaux domaines, faire la guerre ou du commerce, par exemple21.
Orientation de la maison Dans les communautés Iban22, l’espace architectural est également qualifié d’une autre manière. En effet, la maison longue Iban est également orientée en fonction du mouvement d’est en ouest qu’effectue le soleil. Dans leur langage, on appelle l’est « matahari tumboh », littéralement « la direction du soleil qui grandit » et l’ouest « matahari padam », « la direction du soleil éteint23 ». En ce sens, on associe généralement l’est à la vie et à la naissance, tandis que l’ouest est associé à la mort. L’orientation de la maison est décidée pour que la course est-ouest du soleil ne coïncide jamais avec l’axe long de la maison. Ainsi, le soleil brille soit à l’une ou à l’autre extrémité de la structure. « Une maison doit refléter le mouvement du soleil dans le cosmos24 ». En d’autres termes, le soleil doit orbiter autour de la maison: il doit monter le long de la pente du toit depuis le côté de la galerie, atteindre son zénith directement au-dessus de la faîtière centrale et du poteau fondateur central25 , puis redescendre en suivant la pente du toit jusqu’à l’horizon, à l’arrière des appartements familiaux. Le mouvement est-ouest du soleil sur la maison longue doit traverser ses divisions internes en amont et en aval du fleuve26. Le côté galerie de la maison Iban doit donc idéalement être orienté vers l’est, dans la direction du soleil levant. Le « tanju », la terrasse non couverte qui longe la galerie, est fortement associé au soleil et à la phase de lumière du jour. En revanche, l’intérieur de la maison est associé à 21 Op.cit. 15 22 Ibid 23 Ibid 24 Ibid 25 Chapitre II, La Maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 1, Une structure fondatrice et rituelle 26 Op.cit. 15
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la nuit et donc, à l’ombre27. Contrairement à la maison longue de la communauté Iban, la maison longue Lahanan28 autour du fleuve Balui n’est pas défini par la course du soleil, mais repose uniquement sur l’alignement avec son cours d’eau.
LES COMMUNAUTÉS LARGES ET LA MÉTAPHORE BOTANIQUE « Tout comme chaque appartement fait partie de la maison longue, chaque maison longue fait également partie d’un ensemble plus vaste29 ».
L’exemple de la communauté Iban de la région Paku Les Iban sont divisés en un certain nombre de grands groupes fluviaux. Appelées « tribus30 » dans la littérature du XIXe siècle, chacun de ces groupements comprend une unité territoriale constituée de communautés de maisons longues dispersées le long du même système fluvial. Ces réseaux s’étendent de manière caractéristique dans toute la région fluviale et fournissent la base organisationnelle de divers groupes organisés individuellement et axés sur différentes tâches ou productions. Le fleuve fournit l’axe de transport qui permet à ces communautés larges de se rencontrer lors de festivités, de rituels ou d’entreprises31. Dans la région fluviale du Paku32, toutes les maisons longues sont situées le long des rives du fleuve principal (le Paku) et de ses principaux affluents: les rivières Bangkit, Anyut et Serudit33. Chaque communauté locale est nommée, et donc individualisée, en référence à une caractéristique topographique spécifique qui la situe
108
27 Chapitre II, La Maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 1, Une structure fondatrice et rituelle 28 Op.cit. 1 29 Op.cit. 15 30 Ibid 31 Ibid 32 Ibid 33 Ibid
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Fig 2.10. Placement des maisons Iban dans la région du Paku, autour du cours d'eau
Fig 2.11. "Un arbre et ses branches"
EST
dans un paysage dont les dimensions sont définies par la configuration du fleuve principal (et de ses affluents) sur lequel elle est construite. Ainsi située, chaque maison longue est placée dans un univers social de voisins en amont et de voisins en aval. Les limites ultimes de cet univers sont définies par le système fluvial lui-même, dont la totalité est métaphoriquement envisagée comme un « tronc englobant34 ». La distinction entre l’amont et l’aval du fleuve s’allie à une autre distinction: la « base » ou « origine » et le « sommet », l’« extrémité ». Tout ce qui possède à la fois une base et un sommet, une origine et une extrémité, est désigné comme le « tronc35 ». Ainsi, le tronc forme le membre principal d’un ensemble composé de parties, de branches. En ce sens, le réseau fluvial Paku est le tronc sur lequel se connectent les maisons longues comme des branches, illustrant ainsi la communauté large Iban de la région Paku comme un arbre vivant.
La métaphore botanique « La métaphore est botanique et spatiale36 ». Comme le tronc d’un arbre vivant, les rivières et les maisons longues sont considérées comme s’étendant entre un point de départ (une origine) et un point ou des points d’arrivées (des sommets ou extrémités). Pour une rivière, son origine est en aval, à son embouchure, et son sommet est en amont, à sa source. Mais la métaphore est aussi totalisante: la communauté Iban de la région de Paku, ainsi considérée comme un arbre vivant, désigne tous ses habitants pris ensemble comme « l’ensemble de l’arbre de Paku37 ». Comme le fleuve sur lequel elle est orientée, la maison longue est elle-même décrite comme un « tronc », dont les cellules familiales sont les branches. Dans la mesure où les appartements familiaux
110
34 Ibid 35 Ibid 36 Ibid 37 Ibid
sont construits en amont et en aval du fleuve, la maison longue ellemême est conçue comme une totalité produite dans le temps, une unité de parties reliées par la métaphore botanique et morphologique d’« origine », d’« extrémités » et de « tronc ».
111
ORIGINE ET CROISSANCE DE LA MAISON LONGUE L
a maison longue est une structure construite en bois. Dans cette partie, nous allons étudier ce qui fait la structure de la maison longue, les matériaux utilisés, le placement des éléments, l’ordre de construction mais aussi les interprétations spirituelles que la structure peut avoir pour les communautés. Traditionnellement, Josh Wallace1 nous explique qu’on utilise des matériaux locaux présents sur place pour construire la maison longue.
UNE STRUCTURE FONDATRICE ET RITUELLE Les piliers fondateurs de la maison La structure porteuse des maisons longues étudiées repose sur des piliers fondateurs, plantés dans le sol du site. Ces piliers font entre 3 mètres2 et 12 mètres3 de hauteur, et sont généralement enfoncés d’au moins 1,50 mètre dans le sol vaseux. Ils traversent le plancher de la maison pour supporter les chevrons au-dessus et le toit.
1 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte 2 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 3 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018
113
Une description détaillée de la structure de la maison longue Iban et de son interprétation symbolique nous est rapportée par Sather4. Chaque appartement contient, dans son coin avant, en amont, un « tiang pemun », c’est à dire un pilier de fondation appelé « source ». Le pilier fondateur central de la maison est le premier pilier à être soulevé pendant la construction de la maison: c’est la « source », l'origine, de la maison. Il représente le principal pilier de fondation de la maison longue dans son ensemble, et est généralement situé en son centre. C’est à travers le rituel de fixation de ce pilier que la construction débute et que la maison longue est érigée sur son site. Lors de la construction d’une maison, le pilier central sert de pilier d’angle entre le premier appartement (généralement celui du chef) et l’appartement suivant en amont (Fig 2.12). Cette opération se répète pour chaque appartement, en amont et en aval de l’appartement central. Cette orientation des piliers fondateurs les uns par rapport aux autres identifie donc les appartements et les familles comme un élément constitutif de la maison longue. Le pilier fondateur central, vers lequel chaque poteau fondateur est orienté, représente « la maison longue comme la totalité primordiale5 ». Les piliers fondateurs, soutiennent la faîtière au point le plus élevé de la maison6, qui soutient à son tour la toiture.
Le déploiement de la maison longue comme un « arbre vivant » On retrouve dans la structure de la maison longue Iban7, la métaphore botanique que nous avons déjà évoquée à l’échelle de la communauté fluviale, dans la partie précédente. Située entre l’aval et
114
4 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 5 Ibid 6 Ibid 7 Ibid
Pilier fondateur
Mur transversal
Mur longitudinal
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Fig 2.12. Principe structurel de la maison longue Iban
PRINCIPE STRUCTUREL DE LA MAISON LONGUE IBAN Sommet
Sommet
Base
Base
Fig 2.13. Pièces de bois orienté dans le sens de l'arbre duquel elles proviennent
l’amont du fleuve, la maison longue est également constituée, comme le fleuve lui-même, d’un « tronc ». De même, l’ordre et l’assemblage des différents éléments reflètent l’image d’un « arbre vivant8 ». Les piliers et poutres de bois utilisés dans la construction de la maison sont placés de manière à ce que la base du tronc naturelle soit vers le bas ou vers le pilier fondateur central, la « source9 » de la maison. Le but est de refléter l’orientation que le bois avait à l’origine dans son cadre forestier (Fig 2.13). Ainsi, lorsque des arbres sont abattus et coupés en bois, le bout de chaque bois est marqué de façon à ce que son orientation correcte puisse être préservée. Le pilier fondateur central est aussi interprété par la communauté Iban comme la « base », la « racine » de la maison, son origine. La maison se développe à partir de cette base, et continue à s’étendre dans le temps, en amont et en aval. C’est par ses extrémités que la maison grandit par l’ajout de nouvelles cellules au fur et à mesure que les ménages établis subissent une partition10 ou que de nouvelles familles rejoignent la communauté. L’imagerie de « l’origine », du « tronc qui se développe » n’est donc pas simplement classificatoire, mais est botanique et fait processus11.
La charpente de la maison longue Si l’ordre des piliers fondateurs donne l’image d’une maison longue comme un arbre droit, avec une base centrale et des branches qui poussent vers l’extérieur à chacune de ses extrémités latérales, la maison longue peut également être conçue comme un arbre couché, avec sa base à une extrémité et son sommet à l’autre. On parle du « pun » (base) et du « ujong » (sommet), dans le langage Iban12, pour désigner les extrémités des pièces de bois, placées par rapport à leur orientation d’origine en tant qu’arbre.
116
8 Ibid 9 Ibid 10 Division d’un foyer en plusieurs foyers 11 Op.cit. 4 12 Ibid
ORIENTATION STRUCTURELLE DE LA MAISON LONGUE Type I. Schéma de maison orientée vers son centre: base centrale et deux extrémités latérales
Sommet, extrémité
Sommet, extrémité
Base, origine centrale
Type II. Schéma de maison orientée vers lʼaval de son cours dʼeau : base en aval et extrémité en amont Assemblages à tenons et mortaise Base « pun »
POUTRES Sommet « ujong »
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Base, origine en aval
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Sommet, extrémité
Type III. Schéma de maison orientée vers lʼamont de son cours dʼeau : base en amont et extrémité en aval Base « pun » Sommet « ujong »
POUTRES PILIER
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Sommet, extrémité
Fig 2.14. La métaphore botanique dans la structure de la maison
b
b
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Base, origine en amont
Fig 2.15. Photo du chantier de Nanga Sumpa, exemple d'assemblage des éléments d'un pillier
Fig 2.16. Photo du chantier de Nanga Sumpa, montage de la structure
+9m Toiture
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Sol
FAÇADE DE LA MAISON LONGUE KAYAN
+12m Toiture Plancher Toiture Plancher
Sol
FAÇADE DE LA MAISON LONGUE MELANAU Fig 2.17. L'importance structurelle du toit de la maison longue
La direction dans laquelle chaque pièce de bois est disposée est déterminée par des assemblages à tenon et à mortaise13 par lesquels chaque poutre est reliée à l’autre. Ces dernières sont fendues à travers les principaux piliers de support, y compris les piliers fondateurs. Dans chaque joint, il y a un tenon supérieur (« pun ») et un tenon inférieur (« ujong »), qui sont disposés dans la même direction dans toute la structure. On identifie dans ces assemblages la symbolique d’une série d’arbres tombés, bout à bout, avec la base d’un tombant sur le sommet du suivant. Toutes les poutres sont orientées dans la même direction, en amont ou en aval. La direction s’applique aux poutres individuelles, mais aussi à la maison longue dans son ensemble, établissant ainsi l’une de ses extrémités comme sa base et l’autre comme son sommet (Fig 2.14). D’après Sather14, dans le Paku, la base est généralement centrale avec deux sommets latéraux.
Le couronnement, achèvement de la structure « Il ne fait aucun doute, cependant, que le toit principal de la maison longue est sa caractéristique la plus impressionnante15 ». Dans l’ouvrage de Metcalf16, nous apprenons que la maison longue peut s’élever jusqu’à 9 mètres de hauteur dans la région du Baram. Le plancher de la maison Kayan17 se trouve à une distance similaire du sol du site que de son toit, qui représente alors la moitié de la hauteur du bâtiment (Fig 2.17). Le large toit de celle-ci apporte de l’ombre et une protection contre les pluies torrentielles, et son inclinaison le faisait descendre à moins d’un mètre de hauteur du plancher de la galerie. En effet, les toits des maisons longues, aux bords du fleuve, sont massifs, à forte pente et se dressent sur des rangées de 13 Ibid 14 Ibid 15 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 16 Ibid 17 Ibid
121
pilotis. À l’embouchure du fleuve Rajang, dans la communauté des Melanau18, le toit de la maison longue à trois niveaux peut s'élever jusqu’à 12 mètres de hauteur (Fig 2.17). Le toit est soutenu par une ossature composée de poutres transversales, de poutres longitudinales, de chevrons, d’étais et de cadres aussi massifs que l’ossature du plancher de la maison19. Chronologiquement, le couronnement de la maison est la dernière partie de la maison à être construite après l’érection des échelles d’entrée à chaque extrémité. Fixé aux sommets des piliers fondateurs, il marque rituellement l’achèvement de la structure20.
Structure du vide: circulation de l’air et ombre En zone tropicale, on cherche à créer de l’ombre et de l’air frais face à la chaleur du soleil21. Ainsi, l’espace sous le toit était vide, de sorte qu’il constituait un réservoir d’air relativement frais audessus de la maison22. De même, les avant-toits des maisons longues captent chaque souffle de mouvement dans les brises légères de midi, au moment le plus chaud de la journée, qui viennent circuler dans la maison longue et rafraichir les espaces. Rien n’entrave la circulation de l’air car tous le murs séparant les appartements de la galerie et les cloisons séparant les appartements entre eux étaient maintenus bas, sans jamais dépasser les poutres de l’ossature du toit. L’intérieur des maisons longues est aussi généralement très ombragé. L’ombre profonde est positivement luxueuse23. Pendant la journée, la galerie est éclairée par son côté ouvert et par une ouverture zénithale24, ce qui est assez pour laisser passer la lumière nécessaire aux
122
18 Op.cit. 3 19 Op.cit. 15 20 Op.cit. 4 21 Op.cit. 15 22 Ibid 23 Ibid 24 Ibid
activités dans la maison.
La maison longue comme forteresse « Plus la maison est grande, plus ses murs sont solides. Plus ses détenus sont nombreux, plus sa garde est nombreuse. C’est la simple explication de la taille remarquable des résidences de Bornéo25. » Dans son étude26, Jennifer Alexander évoque l’aspect défensif des maisons longues. En effet, dans les maisons longues de Bornéo, cet aspect est moins central que dans d’autres typologies de maisons longues dans le monde, mais il n’en reste pas moins présent. C’est notamment la « chasse aux têtes » des tribus Iban et d’autres conflits incessants entre ethnies qui ont rendu « judicieux » le regroupement du village sous un même toit. On note deux caractéristiques principaux de la maison longue, outre sa longueur et son unité, qui sont conçues à des fins de sécurité : l’échelle amovible à crans par laquelle les gens accèdent de l’enceinte à la galerie, et les portes des appartements qui sont surélevées de quelques 60 centimètres par rapport au sol pour en restreindre l’accès27. On peut trouver d’autres éléments qui font remarquer l’efficacité défensive des maisons longues: sa surélévation au-dessus du sol sur des poteaux massifs, la présence éventuelle de tranchées cachées, ou encore les palissades28.
25 Op.cit. 2 26 Ibid 27 Ibid 28 Ibid
123
DES MATÉRIAUX ISSUS DE SON ENVIRONNEMENT Le belian: matériau de construction universel pour la structure des maisons longues Le belian (Eusideroxylon zwageri), aussi appelé « bois de fer » est un arbre présent dans les forêts tropicales de Bornéo, utilisé principalement pour construire la structure des maisons longues. Si autrefois, le bois de belian était utilisé également pour construire d’autres éléments de la maison (sol, toit…), la déforestation l’a aujourd’hui rendu plus rare. Metcalf29, dans son ouvrage, raconte sa découverte d’une ancienne et très large structure dans la région du Baram dans les années 1970. Seul restaient les piliers de belian qui « ont survécu un siècle sans pourrir30 ». En effet, le bois de belian survie à l’humidité tropicale mieux que le fer, d'où son surnom, et est impénétrable par les termites. Ce bois est trop dense pour flotter et était donc transporté par la rivière sur des radeaux. La vieille structure observée « supporterait sans doute encore une maison31 » suggère l’auteur. Elle a d’autant plus de valeur qu’il est aujourd’hui impossible de trouver des arbres pour remplacer des piliers d’une telle proportion. Ces anciennes pièces de bois manifestent une forte mobilité qui est contradictoire avec la permanence affichée par la structure massive de la maison longue.
Le plancher de la maison longue Le matériau utilisé pour le plancher de la maison peut varier d’une communauté à l’autre. Dans les maisons longues Melanau, les planchers sont assemblés à partir de troncs de « nibong32 »: celui-ci est assemblé en double-couche qui permet de laisser des trous dans le sol.
124
29 Op.cit. 15 30 Ibid 31 Ibid 32 Le nibong (Oncosperma tigilarium) est un palmier de mangrove pouvant atteindre entre 12 et 30 mètre
Fig 2.18. Le Belian: "bois de fer"
Fig 2.19. Plancher en nibong tressé de la maison Melanau
Ces trous permettent une défense efficace contre les tribus ennemis qui viendraient les attaquer, notamment les « chasseurs de têtes » des tribus Iban. Ils déversent alors de l’eau bouillante par le sol33, évitant alors une attaque par en dessous. Ces ouvertures dans le plancher peuvent également permettre de se débarrasser d’ordures ménagères34. Dans le Baram35, ce sont des planches de belian qui sont assemblées pour composer le plancher des maison Kayan. Elles peuvent atteindre 16 mètres de long et traverser plusieurs appartements contigus.
Le toit de la maison longue On observe une évolution dans les matériaux utilisés pour la couverture de la toiture des maisons longues. Chez l’ethnie Lahanan36 par exemple, les bardeaux de belian étaient le matériau de couverture idéal, mais ils ont maintenant été largement remplacés par une toiture en zinc, qui a des propriétés d’isolations inférieures. Dans la communauté Gerai, la structure est généralement recouverte d’un toit de chaume ou, comme dans les maisons Iban ou Lahanan, de bardeaux en bois. Les Melanau37 utilisent plutôt les feuilles de sagoutier38 pour construire le toit de leur maison. Les troncs de sagoutier sont ensuite coupés en planches qui servent à fabriquer les murs de leur maison. Comme nous l’avons vu, le toit est soutenu par une ossature aussi massive que l’ossature du plancher de la maison. En effet, si le toit est fait de bardeaux de belian, dense et résistant à l’humidité, alors son poids est considérable. Comme nous le décrit Metcalf39 pour les maisons Kayan, cette ossature en belian peut être réutilisée dans une nouvelle maison longue après usage, mais nécessite un entretien
126
33 Op.cit. 3 34 Op.cit. 15 35 Ibid 36 Op.cit. 2 37 Op.cit. 3 38 Le sagoutier (Metroxylon sagu) est un palmier d’Asie du sud-est, produisant une fécule alimentaire à partir de son tronc: le sagou 39 Op.cit. 15
important car elle est susceptible de se fendre ou de se déplacer en cas de vent fort.
CROISSANCE DE LA MAISON LONGUE Une structure éphémère Comme l’explique Metcalf40, les maisons longues sont généralement reconstruites d’une génération à l’autre. Sa longueur va ainsi évoluer en fonction de la croissance de sa population, et des partitions de familles. Si la population augmente, la nouvelle maison sera plus longue que la précédente et on y trouvera plus de cellules. Si un couple se marie, ils resteront dans un premier temps dans le même appartement que leurs parents, et attendront la construction de la nouvelle maison pour se partitionner et avoir leur propre appartement et foyer41. Ce fonctionnement nous indique à la fois qu’une communauté en croissance démographique peut facilement passer de 40 à 60 appartements42 lors d’une reconstruction, et que le nombre d’habitants d’une maison longue est probablement plus important que l’indique le nombre de cellules dans les maisons existantes. Avant la reconstruction de la maison, les appartements surpeuplés n’ont guère le choix que de s’agrandir en créant des extensions vers l’arrière43, comme nous le verrons dans le Chapitre III. En effet, les extrémités de la maison longue ne sont pas considérés comme souhaitables comme emplacements pour les nouvelles cellules. On y trouve, même si c’est une pratique rare, des familles qui se sont ajoutés à la communauté après l’établissement de celle-ci, et qui n’y ont pas de relations parentales. C’est la raison pour laquelle les résidents 40 Ibid 41 Ibid 42 Ibid 43 Ibid
127
des appartements surpeuplées au centre de la maison longue doivent attendre une nouvelle maison longue avant de pouvoir y prendre place44. La fréquence de reconstruction varie d’une communauté à l’autre, mais d’après Alexander45, les Lahanan, qui construisent des maisons longues considérées comme plus durables que les autres communautés, ont déménagés assez fréquemment entre 1970 et 1990. Ils ont vécu dans deux maisons longues et deux maisons longues temporaires durant cette période. Nous observerons des exemples de causes et les impacts de ces reconstructions sur les communautés dans la partie suivante Appropriation de la maison par la communauté.
Hiérarchisation structurelle des cellules Dans la communauté Iban46, chaque famille entre dans la maison longue dans un ordre précis, le même que celui de la précédente maison en y ajoutant les nouveaux appartements, pour les nouvelles générations et nouvelles familles. Chacun son tour, les familles placent leur pilier fondateur puis la structure de leur appartement « d’abord en aval puis en amont depuis le pilier fondateur central de la maison47 ». Le pilier « source » de chaque famille est situé à l’angle amont de son appartement, séparé par une porte et un foyer48 du pilier « source » de son voisin aval. Le pilier « source » est donc identifiable comme un seuil de l’appartement. Il est situé à la jonction entre les différents appartements et entre l’appartement et la galerie. Comme nous l’étudierons dans le Chapitre III, l’emplacement des différents appartements les uns par rapport aux autres, et par leur orientation commune vers l’appartement central,
128
44 Ibid 45 Op.cit. 2 46 Op.cit. 4 47 Ibid 48 Le foyer, ici, désigne un feu, ou chaque famille peut réchauffer de l’eau ou du riz, par exemple.
identifie clairement l’appartement, la cellule familiale, non pas comme une entité autonome, mais « comme le membre composant d’un ensemble englobant49 ».
La maison longue comme un organisme vivant Ainsi, lors de la construction d’une maison Iban50, seule la cellule centrale érige deux murs latéraux, un de chaque côté de son appartement. Toutes les autres cellules n’érigent qu’un seul mur latéral, en amont ou en aval de leur appartement, selon l’emplacement de leur cellule par rapport à la cellule centrale. De même, chaque appartement repose sur trois rangées de poteaux : une rangée centrale et deux rangées latérales partagées par les appartements voisins (Fig 2.12). Seule la cellule centrale érige les trois rangées. Les autres appartements n’en érigent que deux, la rangée centrale et une rangée en amont ou en aval du fleuve, selon, là encore, son emplacement par rapport à la cellule centrale51. La maison longue partage donc un centre d’orientation commun et est perçue comme s’étendant vers l’extérieur, latéralement ou bilatéralement, de chaque côté de l’appartement central du chef de la maison. L’ajout latéral d’appartements à la maison longue, à la fois pendant et après sa construction initiale, est désigné par le même terme, « tampong » désignant « la succession générationnelle des membres des familles à travers le temps, le pilier fondateur central de la maison faisant office de point de référence dans un premier processus de croissance, le pilier fondateur familial dans le second52 ». Le festival de la « frappe rituelle des poteaux53 », à la fin de la construction, met ainsi en évidence la « signification rituelle des piliers 49 Op.cit. 4 50 Ibid 51 Ibid 52 Ibid 53 Ibid
129
fondateurs dans la sauvegarde du bien-être de la communauté54 ». Il met aussi en avant la relation de préséance qu’il existe entre le pilier fondateur central de la maison longue et les piliers fondateurs familiaux, au même titre que celle existante entre l’appartement dirigeant, au centre, et les autres appartements55.
130
54 Ibid 55 Ibid
Cellule centrale ORDRE DE CONSTRUCTION Fig 2.20. Croissance de la maison longue, du centre vers les extrémités.
E CE D SSAN
N
AISO
LA M
CROI
Pilier fondateur central
E CE D SSAN
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AISO
LA M
CROI
Fig 2.21. Développement des cellules de la maison comme les cellules d'un organisme vivant.
APPROPRIATION PAR LA COMMUNAUTÉ C
ette partie tend à expliquer comment les communautés s’approprient la maison longue, de la conception à l’habitation. Nous allons chronologiquement étudier comment les habitants vivent et interviennent dans les espaces communautaires créés.
IMPACT DE LA DESTRUCTION D’UNE MAISON LONGUE SUR LA COMMUNAUTÉ Une reconstruction qui prend du temps La processus de reconstruction d’une maison longue décrit par Metcalf1 dans la partie précédente2 est un processus qui prend beaucoup de temps. Si une maison brûle, ou si les gens déménagent sur un nouveau site, il y a un travail immense à faire pour assembler le bois nécessaire avant même que la construction puisse commencer. Une communauté peut très bien en être réduite à vivre dans une rangée de cabanes accrochées au bord du fleuve et faites de n’importe quel matériau (bambou, feuilles de palmiers)3. Avec le temps, ces maisons évoluent et fusionnent en une pseudo-maison longue: une maison 1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 2 Chapitre II, La Maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 3, Croissance de la maison longue 3 Op.cit. 1
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longue « temporaire4 ». Pendant la construction, certaines familles s’emploient à bâtir leur section de la nouvelle maison longue plus activement que d’autres. Ainsi, les structures temporaires subsistent bien après que certaines personnes aient déjà emménagés dans la nouvelle maison. Metcalf nous précise que: « au moment où les plus tardifs s’établissent, la première cellule a déjà besoin d’être réparée et le cycle de la construction ne cesse jamais vraiment5 ». Cependant, les habitants de la communauté Kayan s’accordent à dire que la vie dans des baraques individuelles est « insatisfaisante, pour ne pas dire humiliante6 ». La seule façon correcte de vivre est dans une maison longue7.
Les maisons longues en proies aux catastrophes Les maisons longues peuvent être fréquemment victimes de catastrophes. Dans la communauté Lahanan8 par exemple, certains mouvements peuvent être attribués à des épidémies, des mauvais présages ou encore des catastrophes naturelles. Les inondations et les incendies ne sont pas des dangers rares pour les maisons longues et les Lahanan en ont été victimes. En 1942, leur maison longue a été balayée par les inondations9, heureusement sans perte de vie. Plus récemment, une maison longue de deux étages comprenant vingtcinq appartements, située en face du site actuel de la maison longue Lahanan, a été détruite par un incendie, sept ans seulement après sa construction10. L’une des raisons pour lesquelles les Lahanan souhaitent construire une nouvelle maison longue, citée dans leur demande d’aide
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4 Ibid 5 Ibid 6 Ibid 7 Ibid 8 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 9 Ibid 10 Ibid
Fig 2.22. Maison longue de Nanga Sumpa avant l'incendie
Fig 2.23. Maison longue de Nanga Sumpa détruite
gouvernementale11 pour préparer et niveler un site, est que les gens souhaitent être « à nouveau logés sous un même toit12 ». La plupart des propriétaires de maisons longues souhaitent alors conserver leur style de vie, seuls quelques « dissidents13 » voient un attrait pour les logements indépendants dans des ensembles domestiques séparés. Un autre exemple est celui de la communauté Iban de Nanga 14 Sumpa (Fig 2.22 et 2.23). Un incendie domestique s’est déclenché dans les cuisines de la maison, tuant deux habitants. Le village s’est alors réorganisé en petites maisons individuelles de fortune, qui porte atteinte aux valeurs de partage de la société. Josh Wallace15 nous raconte le malaise qui existe dans cette communauté par rapport à la perte de son habitat d’origine. En effet, la galerie est détruite, ce qui crée un manque de communication. La vie communautaire est donc affaiblie16. En même temps, le village qui accueille en temps normal des touristes17, se voit privé d’un revenu essentiel pour ses habitants. Malgré tout, Josh Wallace l’affirme: « Si le village est parti, la vitalité des habitants ne l’est pas18 ».
CONCEVOIR LA MAISON LONGUE: UN PROCESSUS PARTICIPATIF Architecture formelle « La maison longue est construite de manière formelle, et les maisons individuelles qui lui succèdent le sont de manière informelle19 ». Le cadre de la communauté d’une maison longue est définie par la forme de son
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11 Ibid 12 Ibid 13 Ibid 14 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte 15 Ibid 16 Ibid 17 Ibid 18 Ibid 19 Ibid
ARCHITECTURE FORMELLE Schéma directeur traditionnel Structure hiérarchisée Techniques traditionnelles de construction Hiérarchie sociale et familiales Matériaux Qualification des espaces Définition des usages Communauté soudée
Destruction de la maison longue
ARCHITECTURE INFORMELLE Absence de schéma directeur Structure aléatoire Construction dans l’urgence Hiérarchie désorganisée Matériaux de récupération Espaces non définis Usages non définis / Survie Communauté fragmentée Fig 2.24. Architectures formelle de la maison longue, informelle des maisons temporaires
habitat. Lorsque la maison est détruite, les habitants sont désorganisés et construisent des habitats dans la précipitation sur le site. Ceux-ci sont bâtis de manière informelle, dépourvus de forme et de structure architecturale. Cette absence « d’architecture » provoque la dislocation de la structure sociale et affaiblit alors la communauté. Ainsi, l'ordre individuel devient plus important que l'ordre communautaire.
Méthode de conception Josh Wallace20 a participé à la conception de la maison longue Iban de Nanga Sumpa en 2015. Comme nous l'avons dit, cette dernière a été la proie du feu et a été entièrement détruite un an auparavant. «Reconstruire la maison longue, c’est reconstruire des valeurs et des traditions21». Ainsi, Josh se pose la question suivante: « qu’est-ce qui est le plus important entre une conception bien pensée, exécuté par quelqu’un d’étranger, ou une conception participative peut-être moins pragmatique, mais créant un véritable sentiment d’appropriation, par la communauté, de son habitat ? » Cette question est centrale au travail de Hugo Despeisses22 autour de l'appropriation d'une architecture « locale » par les communautés dans un milieu donné, et de leur autonomisation. Comme nous le voyons dans la Fig. 2.25, accompagner une communauté dans son processus de reconstruction demande une maîtrise des outils d'accompagnements, mais demande aussi de quantifier le niveau d'implication d'un acteur extérieur: trop d'implication dans la conception peut conduire à un phénomène de « contrôle », ce qui nuit drastiquement à l'appropriation de l'architecture par la communauté. En ce sens, Josh a décidé de ne pas imposer ses propres idéaux, valeurs ou croyances dans la conception de la maison. Il accompagnera le processus de conception pendant 6 mois, avant de laisser les acteurs
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20 Ibid 21 Ibid 22 Despeisses (Hugo), L'architecture participative - Construire un processus, Reconstruire une identité, Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Strasbourg, 2021
Fin de l’accompagnement
Domination
PÉRENNISATION
Prise de contrôle
Début de l’accompagnement
Appel d’une communauté
Niveau de participation ...
AUTONOMISATION
CONTRÔLE
Communauté ACTION Outils d’accompagnement ACCOMPAGNEMENT
Acteurs extérieurs ABSENCE
... dans le temps PRISE DE CONTRÔLE
Pas d’autonomie ACCOMPAGNEMENT temporaire
Autonomie temporairement retrouvée ACCOMPAGNEMENT continu
Autonomie pérennisée
Fig 2.25. Processus d' "autonomisation" de la communauté
Faut-il un toit fermé ou coupé, pour permettre la ventilation, notamment dans les cuisines ?
Faut-il des fenêtres de toiture pour laisser passer la lumière naturelle ?
Toit DÉBATS Murs
Plancher
Faut-il des murs ventilés ? Le plancher de la cuisine doit-il être surélevé avec un pont permettant l'accès ou au niveau du sol ?
Fig 2.26. Questions principales qui font débat dans la communauté Iban de Nanga Sumpa
locaux accompagner, en continu, la pérennisation du processus d'appropriation de la maison longue par la communauté de Nanga Sumpa. Lors de la phase de conception, Josh détermine les questions qui font débat dans la communauté autour de la construction de la maison (Fig 2.26). Ces questions relatent principalement de la fabrication du toit, où plusieurs réponses sont envisagées, et le placement des cuisines, responsables de l’incendie qui a ravagé la maison précédente. Pour communiquer avec les habitants, Josh réalise des dessins (Fig 2.28). Les dessins vont permettre une meilleure compréhension de la conception et permettre le débat. La plupart du temps, la maison longue est conçue « oralement23 » par les communautés, ce qui cause des problèmes de compréhension ou diverses interprétations qui peuvent mener à des problèmes lors de la construction. En ce sens, Josh crée un « Flip book24 » permettant de montrer sur un seul support, diverses options possibles autour des éléments qui font débats dans la communauté (Fig 2.27). C’est de l’architecture participative : c’est à dire que l’on construit avec les habitants, pour les habitants, en tentant de répondre au mieux à leurs besoins et en respectant leurs volontés, leur culture, et l’environnement qui les entourent25.
Déroulement du chantier Pour l’organisation du chantier, Josh est entouré du chef du village et du chef charpentier. Parmi la communauté, 18 familles participent à la construction de la nouvelle maison, qui a débuté en octobre 201526. Le financement et les matériaux ont été fournis par Bornéo Adventure27, l’agence d’éco tourisme qui organise l’accueil de 23 Ibid 24 Anglicisme du terme français « folioscope » qui désigne un petit livret de dessins ou de photographies représentant une « scène en mouvement » 25 Op.cit. 14 26 Ibid 27 Borneo Adventure, agence d’eco tourisme à Bornéo, www.borneoadventure.com
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Fig 2.27. Le flipbook réalisé par Josh permet de tester différent concepts
Fig 2.28. Josh réalise des dessins pour que chacun puisse visualiser et comprendre les principes
Fig 2.29. Erection des poteaux fondateurs à Nanga Sumpa
Fig 2.30. Construction de la charpente à Nanga Sumpa
visiteurs dans la maison longue, et grâce à des aides du gouvernement. La construction est accompagnée de rites de construction de la maison28. Chaque matin ont lieu des prières chrétiennes et animistes, des chants29, avant de commencer le travail. « Le village entier mange ensemble dans une très bonne ambiance et une très bonne humeur pendant la construction30 ». Le processus dure plusieurs mois et chaque matin, une famille entame la construction de sa section structurelle, à la suite des précédentes. L’opération a pour but de construire la structure de la maison et des différentes cellules familiales de la communauté. Ensuite, chaque famille construit son sol et ses murs.
DIRIGER LA MAISON LONGUE Le chef de la maison longue Dans beaucoup de communautés de maisons longues, les habitants sont considérés comme égaux et la hiérarchie est peu visible. Comme le dit Freeman: « Une maison longue n’a pas d’organisation hiérarchique ou hégémonique formelle31 ». On trouve généralement un chef de maison qui dirige la communauté. Dans les communautés Iban32, les chefs de maisons longues (en langage Iban: « tuai rumah33 ») sont les principaux intermédiaires entre les habitants, les autorités locales, et l’État34. L’appartement du chef de maison et de sa famille se trouve au milieu du bâtiment35. La responsabilité de sauvegarder l’ordre normatif qui se concentre dans chaque maison longue Iban incombe au chef de la
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28 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 29 Op.cit. 14 30 Ibid 31 Freeman (J. Derek), The Family System of the Iban of Borneo, dans Goody (J.) The Developmental Cycle in Domestic Groups, ed. Cambridge University Press, p.15-52 32 Op.cit. 27 33 Ibid 34 Ibid 35 Op.cit. 1
HIÉRARCHIE SOCIALE «MARQUÉE» DANS LA COMMUNAUTÉ LAHANAN
HIÉRARCHIE SOCIALE « PEU MARQUÉE» DANS LA COMMUNAUTÉ IBAN
Le « Laja » Chef de la maison
Le « Tuai rumah » Chef de la maison
Les « linau laja » Aristocrates
appartiennent à l’appartement du chef
Les chefs de familles
représentent chaque cellule familiale
Les « hipui » Aristocrates mineurs liens de parenté avec le chef
Les « panvins » Roturiers
essentiel de la communauté de la maison
Habitants la communauté
Les « lippen » Esclaves
généralement captifs de guerre
Fig 2.31. Comparaisons des rangs sociaux entre la communauté Lahanan et la communauté Iban
maison longue, mais également à d’autres anciens de la communauté. Les plus importants de ces derniers sont les chefs de familles36.
Une hiérarchie sociale qui peut être marquée Dans certaines communautés, la hiérarchie est d’avantage lisible. Par exemple, dans la maison longue Lahanan37, l’appartement de la famille dirigeante se trouvant au milieu du bâtiment, est deux fois plus grand que les autres. La largeur de la galerie devant ceuxci est plus large, pour accueillir des rassemblements publics38. Contrairement aux sociétés Iban, les Lahanan39 sont stratifiées en quatre rangs sociaux ou strates héréditaires: Les « aristocrates », les « aristocrates mineurs », les « roturiers » et les « esclaves » (Fig 2.31). Les « aristocrates » de la communauté Lahanan dirigent la maison longue aux côtés du chef mais sont aussi la « racine » de celleci. En ce sens, il n’est possible pour un « roturier » de quitter la maison longue natale et de former une nouvelle maison uniquement s’il est accompagné d’un membre du « groupe aristocratique40 ». Les « aristocrates » sont aussi désignés comme les « propriétaires de maison41 ». L’autorité politique leur est conférée et ils sont les seuls à être considérés comme ayant un lien généalogique direct avec un ancêtre fondateur de la maison.
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36 Chapitre III, L’Appartement et la Famille, Partie 2, Organisation de la cellule familiale 37 Op.cit. 8 38 Op.cit. 1 39 Op.cit. 8 40 Ibid 41 Ibid
TRAVAILLER POUR LA COMMUNAUTÉ Les habitants d’une maison longue doivent travailler pour garantir la subsistance des différentes cellules familiales, et de la communauté tout entière.
L’activité agricole La culture du riz, en marais, forêt ou sur les pentes des montagnes, représente une des activités principales des communautés de maisons longues étudiées. La plupart des communautés Iban subsistent grâce à une agriculture itinérante de riz de montagne. Celleci est complétée par la culture de produits commerciaux pérennes, notamment le caoutchouc42. Les habitants rejoignent les champs la journée en canoë43. Les travailleurs peuvent, pendant la haute saison des récoltes, passer plusieurs semaines dans leur ferme, plus loin sur le cours d’eau, à l’écart de la maison longue. C’est le cas notamment des communautés Kayan et Kenyah qui ont un double mode de résidence44: la maison longue et la ferme dans les cultures (Fig 2.32). La ferme peut être un simple abris, même s’il s’agit souvent d’un petit logement solide, où les travailleurs peuvent passer jusqu’à un mois lors des pics du cycle de culture du riz45. Elles sont organisées par cellule familiale. Les personnes désireuses d’échapper aux restrictions de la maison longue profitent activement de l’atmosphère plus intime et plus détendue de la vie familiale dans la ferme46.
42 Op.cit. 27 43 Op.cit. 8 44 Op.cit. 8 45 Ibid 46 Ibid
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Fig 2.32. Travail dans les champs
Travaille une journée aux rizières de
Appartement A
« PELADO »
Appartement B
Travaille une journée aux champs de tabac de Fig 2.33. Echange de main-d'oeuvre dans la communauté Lahanan
La communauté Melanau47, à l’embouchure du fleuve Rajang, vit principalement de la pêche, mais cultive aussi le riz et le Sagou. Ils construisent également des bateaux en bois. Ils vivent donc avec et sur l’eau.
Rémunération du travail La nourriture cultivée dans les champs ou prélevée en forêt est distribuée équitablement entre tous les habitants de la maison longue. Les fermes familiales et la production sont possédées par tous les cohabitants48. Le travail au sain de la maison longue Lahanan est organisée sur la base d’un échange de main-d’œuvre appelé le « pelado49 » (Fig 2.33). Celui-ci est calculé en termes d’échange de jours de travail entre les appartements. La composition des équipes de travail est basée sur la proximité des cultures, et les travailleurs sont recrutés sur la base de la parenté, de l’amitié ou de la proximité résidentielle. Chaque individu, ou un autre membre de sa cellule, fournit une journée de travail pour la cellule de chaque membre de l’équipe qui travaille pour lui. Dans la communauté Gerai50 la plupart des habitants ne se contentent pas de vivre au niveau de subsistance et cherchent activement à se créer un revenu supplémentaire en espèces. Ils vendent ainsi des produits fabriqués ou obtenus localement (caoutchouc, bois de sciage, bois de santal), fournissent des services à la population locale (services de menuiserie aux voisins et aux parents, services de traduction et services domestiques aux missionnaires, services de porteurs aux commerçants), ou travaillent dans un camps de bois. 47 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018 48 Op.cit. 1 49 Op.cit. 8 50 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62
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L’activité en groupe Dans les maison longues, on trouve des activités domestiques et des activités communautaires. Ainsi, pour certaines tâches, la main d’oeuvre des seuls membres d’une cellule familiale est suffisante. Pour d’autres, on compose des équipes sur la base de l’échange de main-d’oeuvre. Cette main-d’œuvre d’échange (« pelado »), chez les Lahanan, n’est pas essentiel pour la culture du riz de colline ou des cultures comme le cacao ou le poivre. Pourtant, presque tout le monde, préfèrent travailler en groupe plutôt que de travailler seul, notamment les jeunes habitants. « Bien que l’on admette que la culture du poivre et du cacao, en utilisant uniquement la main-d’œuvre domestique, présente des avantages économiques, le travail d’échange persiste en raison de la grande valeur accordée à la sociabilité51 ». Les gens aiment travailler en groupe. Les femmes, qui travaillent seules dans les jardins de tabac et de légumes, essaient de s’assurer qu’il y a des compagnes à proximité afin qu’elles puissent se réunir pour un repas commun52.
Les activités dans la maison La maison longue est elle même le lieu d’une activité intense. Sur la galerie, on trouve des femmes travaillant en binôme53 pour pilonner le riz récolté. Il s’agit d’une tâche répétitive et ardue, notamment avant des festivités, où elle peuvent alors travailler pendant plusieurs heures. Les femmes trouvent alors des moyens d’alléger le poids de ce travail, en battant des rythmes ou en faisant des courses pour voir quelle équipe est la plus rapide. Ainsi, « le sol de la maison longue sert de caisse de résonance pour les percussions des pilons, de sorte que dans les mythes, les héros en quête savent qu’ils s’approchent d’une maison longue non pas
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51 Op.cit. 8 52 Ibid 53 Op.cit. 1
12H00
6H00
Levé du soleil
Travaux dans les champs, chasse, pêche
Soleil au zénith
La maison entre en somnolence
Fig 2.34. Routine usuelle de l'activité dans la maison longue
Fig 2.35. Activités sur la galerie de la maison longue
16H00
Fin d’après-midi
18H00
Couché du soleil
Reprise des tâches Préparation du repas du soir
Fig 2.36. Les filets de pêches suspendus aux bords de la terrasse non couverte de la maison Iban
Fig 2.37. Les activités dans la galerie: tissage de paniers, réparation des filets de pêches, repos...
parce qu’ils la voient, mais parce qu’ils l’entendent54 ». Les femmes pratiquent aussi le tissage. Un travail aussi répétitif mais donné d’avantage aux hommes, est la réparation et la fabrication de filets de pêche55. Généralement, les hommes âgés s’occupent de cette tâche. Les hommes plus jeunes s’occupent d’avantage des réparations ménagères ou de l’organisation de fêtes. L’activité dans la maison longue est définie par une routine qui s’installe en fonction de la chaleur extérieure (Fig 2.34). Le matin, l’activité est intense mais lorsque la chaleur de midi s’installe, l’activité ralentit et la maison entre en « somnolence56 ». En fin d’après midi, les habitants se remettent à travailler puis jusqu'à l’heure du dîner.
VIVRE AUTOUR DE LA MAISON LONGUE On trouve, autour de la maison longue, des espaces distincts, utiles à la vie communautaire. Les habitants des maisons longues s’approprient ces espaces pour les métamorphoser en véritables lieux de vie. Metcalf a dit « La maison longue elle-même, cependant, n’épuise pas les espaces sociaux de la communauté car ceux qui l’entourent sont presque autant utilisés que ceux qui se trouvent à l’intérieur57 ».
La pelouse La pelouse (comme la « pelouse devant la maison58 ») désigne la bande de terre entre la maison longue et la rivière. Elle est l’espace le plus fréquenté. Cette zone est ensoleillée, il y fait donc trop chaud à midi pour que cela soit confortable. Les soirs où il ne pleut pas, les
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54 Ibid 55 Ibid 56 Ibid 57 Ibid 58 Ibid
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Fig 2.38. Des espaces de vie autour de la maison, exemple de la maison Lahanan
enfants se rassemblent pour jouer au football59, encouragés par les adultes assis sur la terrasse qui représentait les gradins. Cet espace ouvert est également utilisé dans de nombreux rituels60.
Autour de la rivière Comme nous l’avons vu61, la rivière a une relation fondamentale avec la maison longue. Mais au delà de la fonction de « route » et d’accès, la rivière est aussi le lieu où la communauté se retrouve pour se laver, laver des vêtements, et où les enfants peuvent s’amuser dans l’eau. Chez les Iban, cet espace est appelé « penai62 ». Habituellement, on trouve environ 6 radeaux dans la rivière, devant la maison longue, afin que tout le monde puisse y accéder facilement. Les quais sont le théâtre d’une activité intense au petit matin et au coucher du soleil, lorsque les gens viennent se baigner. Les rassemblements matinaux sur les radeaux sont l’occasion de bavardages63. Symboliquement, le « penai » représente le seuil extérieur de la communauté. Les visiteurs entrent dans la communauté par le lieu de baignade, se baignant d’abord au « penai » avant d’être accueillis dans la maison. L’entrée rituelle d’un nouveau-né dans la maison longue est également marquée par un bain en rivière64. Le long de l’eau sont également plantés divers types de palmiers à huiles. Sous les palmiers, on trouve souvent un atelier de construction, notamment pour construire des canoës directement sculptés à l’intérieur de troncs d’arbres65.
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59 Ibid 60 Ibid 61 Chapitre II, La Maison longue et sa communauté, Partie 2, La maison longue sur son fleuve, sous-partie 2, Placement et orientation de la maison longue 62 Op.cit. 27 63 Op.cit. 1 64 Op.cit. 27 65 Op.cit. 1
Sous la maison La sous-face de la maison, entre les pilotis, est souvent un endroit impropre à cause des déchets qui tombe d’au-dessus66. En effet, les déchets ménagers sont généralement évacués par les fissures du sol de la maison. Dans le passé, ces détritus étaient biodégradables. Cependant, on trouve aujourd’hui d’avantage de déchets plastiques ou en métal avec l’arrivée de produits en conserve ou sous emballage plastique dans la maison longue67. Les déchets ménagers organiques sont, eux, souvent éliminés par les porcs et les volailles en quête de nourriture68. Malgré cet aspect, les hommes viennent souvent sous la maison pour faire une sieste à midi, car la maison longue située au dessus offre une ombre profonde et agréable69.
Potager et animaux La communauté de la maison longue élève différents animaux, qui se promènent bien souvent en liberté70 sur le site, autour de la maison. À chaque extrémité de la maison longue, on trouve de petits potagers, plus ou moins bien entretenus, qui s’étendent le long de la rive. Ces derniers sont utiles à la culture de proximité et à petite échelle.
La question des cuisines Dans les année 1970, lorsque Metcalf s’est rendu dans une maison longue Kayan71, la cuisine était installée directement à l’arrière des cellules, sous les avant-toits de la maison. Elles ont été les premières à être déplacées de la maison longue vers un bâtiment séparé. Cela est premièrement dû à la place importante qu’elle prenaient à l’intérieur 66 Ibid 67 Ibid 68 Op.cit. 8 69 Op.cit. 1 70 Ibid 71 Ibid
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de la maison. Cependant, cela a également eu le grand avantage de réduire les risques qu’un feu de cuisine ne provoque l'incendie de toute la maison longue72, un désastre qui, comme nous l’avons expliqué, persiste dans la mémoire de nombreuses communautés. A Nanga Sumpa73, la conception de la maison longue Iban organisée par Josh Wallace a directement prit en compte les risques que représente les cuisines: « Pour le nouveau design, les cuisines sont détachées du reste de la maison pour éviter une nouvelle catastrophe74 ». Ainsi, elles sont distantes de la maison par environ 5,5 mètres. Le mur de la cuisine vers la maison est fait d’un matériau résistant au feu et aucun élément inflammable ne doit se trouver entre les cuisines et la maison principale. Chaque cuisine possède une ouverture en toiture qui permet de contrôler la fumée et de l’évacuer de l’autre côté par rapport à la maison, les cuisines sont reliées par des voies piétonnes protégées en cas de pluie pour pouvoir passer d’une cuisine à l’autre.
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72 Ibid 73 Op.cit. 14 74 Ibid
Fig 2.39. Le flipbook de Josh illustrant la cuisine séparée de la maison principale à Nanga Sumpa
Terrasse découverte Galerie
eau Appartement
Cuisine
Fig 2.40. Les cuisines sont séparées par 5,5 mètres du corps de la maison de Nanga Sumpa
LA GALERIE, ESPACE PUBLIC D
ans cette dernière partie du Chapitre II, nous allons analyser l’espace de la galerie. Nous allons définir ses différents usages. En ce sens, nous allons questionner la définition de la galerie comme un « boulevard » faite par Metcalf dans son livre, et la comparer à notre modèle de rue occidentale, aussi bien en terme spatial, sociologique et d’usages. La galerie de la maison longue comme « place du village » ?
LA GALERIE DE LA MAISON LONGUE Définition La galerie s’étend sur toute la longueur de la maison. Bien que non partitionnée par des murs, elle est divisée en sections familiales, chaque cellule construisant et entretenant sa propre section de galerie, adjacente à son appartement (Fig 2.41). Malgré cela, l’usage principal de la galerie reste dédié à la communauté. Il s’agit d’un espace public « symbolisant la communauté de la maison longue dans son ensemble et son appartenance à la société fluviale plus large qui l’entoure1 ». Ainsi, on peut dire que la galerie marque à la fois la maison longue en tant qu’unité 1 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119
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autonome et la société riveraine plus large en tant que totalité ayant des maisons longues individuelles comme constituantes. La galerie forme le cadre principal des rassemblements publics et est le centre de la sociabilité de la maison longue, par opposition à la cellule familiale2. Elle ne donne pas seulement accès à chaque appartement, mais sert également de terrain de jeu, de lieu de travail et de centre de relaxation3.
La sphère « publique » Nous pouvons voir la galerie comme un espace public au sain de la maison longue. D’après Helliwell4, la galerie de la maison longue Gerai est désignée comme « ramo », qui signifie littéralement « librement accessible à tous », et fait référence au fait que cette galerie est une zone où toute personne de la maison longue, ou de la communauté fluviale plus large, peut se promener, s’asseoir ou travailler, sans avoir besoin de la permission des occupants de l’appartement adjacent. Chez les Gerai, la distinction entre de la sphère « privée » et la sphère « publique » correspond, non pas à une division au sein de la communauté, mais à la distinction entre cette communauté et ceux qui n’en font pas partie: entre « nous » et « les autres5 ».
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2 Ibid 3 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 4 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 5 Ibid
Cellule
Entretient
Galerie
Fig 2.41. Chaque cellule entretient sa propre section de la galerie
Fig 2.42. Galerie d'une maison longue Iban sur le fleuve Batang
MIXITÉ D’USAGES COMMUNAUTAIRES Espace de circulation La galerie sert tout d’abord d’espace de circulation, traversant longitudinalement la maison longue et desservant tous les appartements familiaux. En ce sens, on trouve des portes à intervalles réguliers sur le mur longitudinal6. Ces portes sont l’accès aux cellules. De premier abord, la galerie peut s’apparenter à une longue coursive comme on peut en trouver dans nos immeubles occidentaux. Cependant, nous allons voir que la galerie, dans la maison longue, est bien plus qu’une coursive.
Espace de débats Dans la maison de la communauté Lahanan7, les chefs de chaque cellule familiale se retrouvent sur la galerie pour participer à des réunions sur les affaires de la maison longue et discuter de questions d’intérêts communs, comme la construction d’une nouvelle maison longue, la visite d’un invité de marque ou les nettoyages communs de l’enceinte de la maison longue. En général, ces réunions se déroulent devant l’appartement du chef. On y trouve le chef, son « adjoint » et la « commission de travail8 » qui dominent généralement les débats, mais des hommes et des femmes adultes peuvent également venir pour faire connaître leur point de vue.
Espace d’activités Le soir, lorsque les familles reviennent des champs, l’espace devient un lieu de travail commun où les habitants exercent des activités
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6 Chapitre II, La Maison longue et sa communauté, Partie 1, Schéma directeur de la maison longue, sous-partie 2, Partition et schéma directeur de la maison longue 7 Op.cit. 3 8 Ibid
(tissage, réparation) et où les familles peuvent discuter9. L’activité en soirée sur la galerie dépend des saisons. Pendant les périodes de forte activité du cycle agricole, lorsque de nombreuses personnes sont absentes de la maison et restent dans leurs fermes, il y a peu d’activité sur la galerie. Aucune lumière n’est alors visible, à l’exception d’une seule lanterne placée devant chaque porte. Pour Metcalf10, la ligne de lanternes créée sur la galerie et qui scintillait donne alors à la maison le sentiment, non pas tant d’être abandonnée par ses habitants, mais d’être enchantée11. Les hommes célibataires peuvent aussi dormir dans la galerie12.
Espace de rencontre et d’accueil La galerie est le lieu du repas du soir. Dans certaines communautés, il arrive que les hommes mangent avant les femmes. On y organise des banquets lorsque la maison accueille des visiteurs. Les hôtes disposent alors une rangée de plateaux de nourriture, s’étendant parfois sur des centaines de mètres le long de la galerie13. L’hospitalité est, pour les habitants des maisons longues, un devoir et une prérogative, notamment des chefs de maison14. Auparavant, les voyageurs venaient souvent d’autres maisons ou d’autres communautés; il s’agissait alors principalement de visites diplomatiques15. Metcalf16 nous explique qu’avec la généralisation des moteurs hors-bord, dans les années 1950 et 1960, l’aspect politique s’est atténué, mais les conventions de l’hospitalité sont restées les mêmes, notamment avec les touristes étrangers. Le chef d’une communauté 9 Op.cit. 1 10 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 11 Ibid 12 Ibid 13 Ibid 14 Ibid 15 Ibid 16 Ibid
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offre nourriture et logement à tous les voyageurs, importants ou non. Il n’y a pas non plus de rancune dans leur accueil ; les jeunes sont même excités d’accueillir des étrangers dans la communauté et profitent de l’occasion pour organiser des fêtes. Une telle hospitalité témoigne de la nature sociale de la galerie17.
Espace de rituels et de célébrations Dans la galerie ont lieux les évènements rituels les plus importants de la communauté. Pour les Iban18, la maison longue est le cadre prééminent dans lequel la grande majorité des rituels sont exécutés. Au cours de ces performances, les caractéristiques architecturales et spatiales de la maison longue se voient attribuer une signification théâtrale ou mythologique, qui reflète à la fois des aspects visibles du monde et des réalités alternatives et imaginaires19. Après la saison des récoltes autour du fleuve Baram20, des rassemblements ont lieux dans une cellule sur deux, et une circulation constante de personnes s’installe dans la galerie. En effet, cette « saison sociable21 » est entrecoupée de festivals (mariages, baptêmes, festivals annuels…). La galerie devient alors, non seulement l’avenue entre les rassemblements, mais aussi le lieu de ceux-ci, impliquant la communauté tout entière. Metcalf22 affirme que lorsqu’on s’éloigne de la maison durant une célébration, on peut entendre le bruit des gens et de la musique des festivités à des kilomètres à la ronde dans la jungle tranquille.
166
17 Ibid 18 Op.cit. 1 19 Ibid 20 Op.cit. 10 21 Ibid 22 Ibid
COMPARAISON SPATIALE ET RITUELLE AVEC LA RUE OCCIDENTALE D’après Helliwell23, « une telle distinction entre la galerie et la cellule semble en fait très similaire à la distinction faite dans la société occidentale entre la rue « publique » ouverte et les maisons « privées » fermées qu’elle relie entre elles24 ». On peut justement s’interroger sur cette comparaison. La galerie peutelle réellement être comparée à une rue comme on peut en trouver en France ? Comparons la galerie des maisons longues à la rue de la Course, à Strasbourg.
Circuler La rue de la Course est une rue relativement animée. Chaque jour, des gens s’y côtoient, discutent et s’y disputent. La rue de la Course à Strasbourg est située dans le quartier de la gare, un quartier qui est très diversifié culturellement. Cette rue s’étend en longueur, sur plusieurs centaines de mètres, ce qui lui fait un premier point commun avec la galerie. Elle possède le même rôle de desserte, permettant à chacun de rejoindre son appartement par le biais de portes disposées tout le long de la rue, de chaque côtés de la route. Cependant, si la maison longue se développe de l’intérieur (la longueur de galerie étant définie par le nombre de cellules qui la bordent), la rue de la Course se développe plutôt de l’extérieur et possède des limites finies, avec un nombre fixe d’appartements.
Débattre La rue de la Course, tout comme la galerie de la maison 25 longue , est un lieu de débat. Certains jours, de violentes disputes peuvent avoir lieux entre des personnes qui n’ont pas le même point de vue sur une situation, ou avec les autorités. Cependant, il n’existe pas, 23 Op.cit. 4 24 Ibid 25 Op.cit. 3
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Rue de la Course
117 m
GALERIE DʼUNE MAISON LONGUE (Nanga Sumpa)
cellules desservies
appartements desservis
RUE DE LA COURSE, STRASBOURG
Galerie de la maison longue de Nanga Sumpa
Fig 2.43. Comparaison spatiale de la rue de la Course avec la galerie de la maison longue
à l’heure actuelle, de moyen spatial pour les habitants de la rue de la Course de s’exprimer sur les changements qu’ils voudraient observer dans leur rue. Ils n’ont donc pas un réel pouvoir de décision, à l’échelle de la rue, comme cela est le cas dans la maison longue.
Voir et être vu « La galerie devient un boulevard, un endroit où l’on peut voir et être 26 vu » d’après Metcalf, lors de saisons festives. Dans la rue de la Course de Strasbourg, il n’y a pas de fête qui célèbre la vie de la rue en ellemême. En ce sens, il n’existe pas de réelle « communauté de la rue » qui partage des objectifs communs ou des ressources. Même si la rue de la Course est, au même titre que la galerie en soirée, un lieu où l’on peut exercer une activité (magasins, restaurant), il s’agit d’avantage de travaux individualistes que fédérateurs. Pour reprendre la phrase de Metcalf cité plus haut, la rue de la Course reste malgré tout un lieu où l’on peut voir: certains habitants observent quotidiennement, pendant plusieurs minutes, l’activité de la rue depuis leur fenêtre, comme pour s’imprégner des actions et histoires qui s’y déroulent. Certains habitants restent dehors pour discuter et être vus (ou entendu), notamment à certains croisements avec d’autres rues.
Des usages en commun, mais des valeurs différentes Ainsi, en comparant une rue habitée occidentale à la galerie d’une maison longue de Bornéo, nous pouvons observer de nombreuses similitudes fonctionnelles: le rôle de desserte aux différents logements, un lieu de débats et d’activités, d’échanges (Fig 2.43 et 2.44). Cependant, si on peut clairement observer le fonctionnement fédérateur de la « communauté de la maison longue » sur la galerie, on peut, au contraire, noter l’absence d’une « communauté de la rue de la Course » à Strasbourg. La rue française est bien un lieu où l’on voit et où l’on est 26
Op.cit. 10
169
vu, comme le premier palier entre « le monde » et le « chez-soi », mais elle est d’avantage fondée sur l’individualisme que sur l’entre-aide. Même si des associations de quartier commencent à voir le jour (association pour le compostage des déchets organiques, par exemple), on identifie la population de la rue de la Course comme « des individus formant une communauté » malgré eux. En ce sens, et comme nous le verrons dans le Chapitre III, les appartements d’une maison longue sont perméables et communiquent les uns avec les autres, alors que les appartements occidentaux représentent réellement un espace privé, imperméable, inaccessible à ses voisins. C’est cette absence de perméabilité et d’interdépendance des espaces individuels entre eux, ainsi que l’absence de réelles valeurs communautaires qui sont les principales différences « rituelles » et « culturelles » de la rue de la Course à Strasbourg, par rapport à la galerie d’une maison longue de Bornéo.
170
RUE DE LA COURSE
GALERIE
Circuler
Circuler
Dessert les différents appartements
Dessert les différents appartements
Lieu de passage
Débattre
Débattre
Disputes, altercations Discussions
Lieu d’échange sur les questions communautaires
Voir et être vu Commerces
Voir et être vu Activités
Fenêtres des appartements donnant sur la rue
Fêtes et festivals
Fig 2.44. Des usages en commun
Séduction
CONCLUSION CHAPITRE II RELATION ENTRE LA COMMUNAUTÉ ET SA MAISON LONGUE, BÂTIE ET VÉCUE SUR SON SITE. Qu'est ce qui fait de la maison longue un écosystème implanté, structuré et social pour sa communauté ?
D
ans ce chapitre, nous avons observé la relation entre le milieu et la maison longue à travers l’échelle du macro-espace. Nous avons analysé le fonctionnement de plusieurs communautés de maisons longues pour en déduire l’approche sociale et communautaire forte qui existe entre les habitants des maisons et la forme architecturale de cet habitat. Nous avons également pu déduire du schéma directeur établi des maisons longues qu’il existe un lien intrinsèque entre l’architecture de la maison et sa communauté. En réalité, c’est la structure sociale d’une communauté qui détermine la structure architecturale de sa maison, et ainsi, sa longueur.
Une relation intime de la communauté avec son cours d’eau Nous avons pu observer que la maison longue est inscrit sur son site en étroite relation avec son cours d’eau. Elle est placée parallèlement à celui-ci, et la galerie lui fait face. La maison est également orientée de manière rituelle, dans le sens de l’aval ou de l’amont du fleuve. Il s’agit aussi du principal accès à la maison longue qu’empruntent les invités 173
ou les touristes, utilisant canoës ou hors-bord pour l’atteindre. Le cours d’eau est aussi lié aux communautés des maisons longues par une métaphore botanique, considérant la rivière comme le tronc d’un arbre, et les maisons longues qu’elle dessert, comme des branches. En ce sens, certaines communautés font partie d’une communauté plus large, un groupe fluvial, qui intègre l’ensemble des maisons longues autour d’un fleuve et ses affluents dans une communauté fluviale large. C’est le cas, par exemple, de la communauté large Iban de la région Paku.
Une structure organique et éphémère Il existe un schéma directeur commun entre toutes les maisons longues qui distingue ses espaces fondateurs. La maison longue est ainsi divisée longitudinalement en deux parties égales: d’un côté on trouve la galerie, espace de la vie communautaire, qui dessert un certains nombre de cellules familiales, disposées de l’autre côté. Ces cellules sont divisées par des murs transversaux, et leur nombre détermine la longueur de la maison. La maison longue est une structure éphémère et est reconstruite à chaque génération. En ce sens, les différentes cellules familiales se partitionnent elles-même en plusieurs cellules familiales lors d’une reconstruction, ce qui allonge donc la maison longue de l’intérieur de manière organique. A contrario, après une épidémie ou une catastrophe naturelle, la maison longue peut devenir plus courte, signifiant alors une population moins importante. La métaphore botanique, que l’on observe entre la maison longue et son fleuve, existe aussi entre les éléments structurels de la maison. Ainsi, les éléments de bois sont placés dans leurs sens d’origine en tant qu’arbre, et on trouve une hiérarchie entre les éléments fondateurs (racines) et les extrémités (sommets) de la structure. 174
Les matériaux utilisés sont locaux, extraits du site de la construction. La structure de la maison longue est, à chaque fois, réalisée en belian, le « bois de fer », très dense et résistant à l’humidité. Grâce à ce dernier, les éléments structurels, comme les piliers fondateurs, peuvent être réexploités lors de plusieurs reconstructions de maisons longues.
La maison longue: modèle d’habitat communautaire et participatif De sa conception à son occupation, la maison longue est un réel modèle d’habitat participatif. Par là, nous entendons un habitat qui possède un degré d’intimité intermédiaire entre la sphère « publique » et la sphère « privée »: il s’agit de la sphère « communautaire ». Comme a pu l’observer Josh Wallace lors de sa mission à Bornéo, chacun participe à la conception de la maison longue, et chaque famille est impliquée dans la construction de la section structurelle de son appartement, de ses murs et de son planchers. Les habitants organisent leurs tâches sur la base d’un échange de mains d’oeuvre entre les cellules familiales. La communauté d’une maison longue tend ainsi vers des objectifs communs: sa subsistance perpétuelle par l’agriculture et l’élevage, mais aussi son bien-être, la survie de ses traditions, et aujourd’hui, la création de revenus monétaires par le biais du tourisme ou de la vente de produits au dehors de la communauté (caoutchouc, café, poivre…). Chacun a le pouvoir de lancer un débat sur les affaires de la communauté, même dans les maisons où la hiérarchie sociale est plus marquée. La maison longue sur son site, c’est aussi des espaces que la communauté s’approprie, autour de la rivière, autour de la maison, en dessous de la maison, et bien-sûr, une galerie commune. Sur cette dernière ont lieux activités quotidiennes, festivités et accueil des visiteurs. C’est un véritable lieu de rencontre. La galerie est un seuil entre la cellule familiale et le monde extérieur, au dehors de la communauté. 175
« En maintenant l’harmonie de la maison longue en tant qu’entité rituelle, chaque famille individuelle est subordonnée à des objectifs collectifs, exprimés principalement par ses foyers et ses piliers, tandis que le rituel préserve la relation entre ces éléments structurels, chacun d’eux étant englobé dans une plus grande totalité : de la famille, en passant par la maison longue, jusqu’à la région fluviale plus large1 ». Dans le chapitre suivant, nous aborderons le micro-espace: la cellule familiale. Nous observerons que les appartements ne sont pas réellement déconnectés les uns des autres et analyserons la notion de famille, d’individualité, d’intimité, en nous appuyant sur l'analyse faite par Christine Helliwell2.
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1 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 2 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62
177
CHAPITRE III
L'APPARTEMENT ET LA FAMILLE
COMPOSITION ET AMÉNAGEMENT D
ans les récits anthropologiques de Bornéo, les maisons longues Dayak que l’on trouve sur l’île sont généralement représentées comme étant chacune composée d’une galerie et d’une simple rangée d’appartements indépendants. D’après Christine Helliwell1, l’hypothèse la plus répandue est que l’appartement est l’espace de la vie privée, intime et familiale. Chaque appartement est en fait une entité très discrète. En ce sens, le caractère « indépendant » d’un appartement reflète une priorité du ménage sur la communauté dans l’organisation sociale des communautés des maisons longues. Helliwell s’oppose à ce point de vu, notamment défendu par Freeman2. Elle affirme que ce point de vue est erroné dans la plupart des communautés. L’observation des interactions existantes entre les co-résidents des appartements de la maison longue peuvent élargir la compréhension de la nature des relations sociales dans les communautés. Elle observe que « le ménage Dayak est profondément indépendant des autres ménages ainsi que des formes plus larges et plus englobantes de regroupement social3 ».
Comme nous allons le voir, les formes de sociabilités sont
1 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 2 Freeman (J. Derek), The Family System of the Iban of Borneo, dans Goody (J.) The Developmental Cycle in Domestic Groups, ed. Cambridge University Press, p.15-52 3 Op.cit. 1
181
différentes, plus discrètes dans les appartements qu’à l’extérieur4. Pourtant, la subtilité des relations entre les résidents peut se lire dans leurs usages et leurs pratiques spatiales, à l’échelle du micro-espace, au sain de la cellule.
LES ESPACES DANS LA CELLULE FAMILIALE Partition spatiale Alors que le côté de la galerie de la maison longue est un espace non cloisonnée, le côté des cellules est divisé par des murs transversaux qui séparent les appartements familiaux entre eux5. Les appartement des maisons longues Iban, bien qu’ils puissent varier légèrement en largeur, sont tous fondamentalement similaires dans leur construction. Comme l’indique Freeman6, chaque appartement Iban se compose toujours d’une seule pièce appelée « bilek » cloisonnée avec un grenier au-dessus. Il est associé à une partie de la galerie couverte, et une division de la terrasse non couverte, qui donne sur l’ensemble de la maison. La pièce cloisonnée de l’appartement est la pièce à vivre familiale : l’espace pour cuisiner, manger, dormir et accomplir diverses tâches domestiques. Ainsi, l’espace entre deux cloisons de l’appartement est souvent sous-divisé en différents sous-espaces7: une chambre à coucher, un foyer (c’est à dire une cheminée) et un espace de vie.
182
Comme nous avons pu l’observer, chaque appartement
4 Ibid 5 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 1, Schéma directeur de la maison longue 6 Op.cit. 2 7 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43
possède une entrée principale par la galerie. Il possède également souvent une entrée arrière8. D’après Metcalf9, la cellule d’une famille n’est pas fermée aux autres familles et aux visiteurs, car ils peuvent très bien devoir se rendre aux cuisines qui se trouvent à l’arrière des appartements. En ce sens, on remarque sur le plan des appartements Iban (Fig 3.1) qu’une ouverture permet le passage direct entre les appartements, par l’intérieur. Dans le plan des appartements de la communauté Lahanan (Fig 3.2), dans laquelle la hiérarchie sociale est marquée, nous pouvons observer deux typologies d'appartement adjacentes: un appartement standard d’un membre dit « roturier » de la communauté, et celui du chef de la maison. L’appartement du chef est deux fois plus large et sa section de galerie est séparée du reste de la galerie par de petites barrières.
Des espaces pour dormir D’après Metcalf10, dans les appartements des communautés Kayan, on construit des murs bas, de manière à créer une chambre à coucher séparée de l’espace de vie. Ces cloisons d’apparence fragiles permettent de découper l’espace intérieur de différentes manières. En effet, certains habitants préfèrent dormir à l’arrière de l’appartement, comme nous l’observons sur les plans des maisons Iban. D’autres préfèrent dormir près du mur central séparant la cellule de la galerie. Dans la maison longue Iban de Nanga Sumpa11, Josh Wallace a subdivisé l’espace de vie en 2, intégrant des chambres à coucher au fond de la pièce de vie.
Dans la maison Lahanan, des dortoirs séparés et exigus sont
8 Ibid 9 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 10 Ibid 11 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte
183
« BILEK » « RUAI » « TANJU »
Espace commun de la famille
Foyer
Pilier « source »
Galerie
Terrasse
en Aval
en Amont
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON IBAN DANS LA RÉGION PAKU (Description de 1970) Fig 3.1. Comparaison de plans d'appartements: Iban
« DAPUR »
Cuisine
Plateforme de séchage
Foyer Espace commun de la famille
« RUAI »
« BILEK »
Salle d’eau
« TANJU »
Galerie
Terrasse
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON IBAN DE NANGA SUMPA (Description de 2015)
WC
Espace nuit Espace nuit
Cuisine
Foyer
Cuisine
WC
Plateforme de séchage WC
Espace commun de la famille
Espace nuit
Espace commun de la famille du « Laja » (chef de la maison)
Stock
Espace nuit
Espace nuit
Galerie
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON LAHANAN
Fig 3.2. Comparaison de plans d'appartements: Lahanan et Gerai
« LAWANG »
Espace pour dormir pour la famille Espace commun de la famille
Pilier « source »
Cuisine de la famille Foyer
« SAWAH »
Pilonage du riz
Piétinage du riz Faire à manger
Espace pour dormir
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON GERAI
généralement construits à l’avant ou sur le côté de la pièce de vie. Ils peuvent être fermés par un rideau. Dans les appartements les plus encombrés, les habitants et les invités peuvent dormir directement dans l’espace de vie, généralement sur des nattes en rotin12. Enfin, on peut trouver, dans certains cas, d’autres dortoirs situés à l’arrière de la cuisine.
Des espaces communs Dans la maison longue Iban, Sather13 évoque, à l’intérieur de l'appartement, des gradients verticaux et horizontaux. En plus des gradients conceptuels disposés à travers la maison qui forment l’espace de vie familial, l’appartement est divisé verticalement entre l’étage principal et un grenier qui est construit au-dessus (Fig 3.3). On y accède par une échelle d’entrée située dans l’espace de passage entre la galerie et l’appartement ou, aujourd’hui, à l’intérieur de l’appartement. La famille y stocke le riz récolté. Les greniers sont situés au-dessus de l’âtre14 de la famille. Sather nous apprend que la fumée du foyer de la famille, qui passe au centre du grenier, réchauffe le riz. La distinction entre l’espace de vie au-dessous et le grenier au-dessus de celui-ci, également fonctionnelle, est associée aux tâches domestiques ordinaires d’une femme et « au prestige de fécondité féminins15 ». Ainsi, le grenier, est identifié aux activités par lesquelles les femmes se distinguent, comme le tissage et la riziculture. Les femmes filent le fil, teignent et tissent le tissu dans le grenier: il s’agit d’un atelier de tissage. De plus, c’est là que les femmes les plus âgées stockent les semences de riz de la famille. En outre, le grenier est traditionnellement le lieu de couchage des femmes en âge de se marier. C’est là que, la nuit, elles
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12 Op.cit. 7 13 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 14 Partie dallée de la cheminée, où l’on fait le feu 15 Op.cit. 13
« Sadau » Le grenier
« Tanju » La terrasse
« Bilek» L’appartement
« Ruai » La galerie
Fig 3.3. Coupe de la maison Iban décrite par Sather, explicitant l'existence d'un grenier
COUPE TRANSVERSALE DE LA MAISON LONGUE IBAN (PAKU)
Fig 3.4. Le foyer et la cuisine dans l'appartement Kayan, d'après la description faite par Metcalf
reçoivent leurs prétendants. Dans le plan des appartements Lahanan16, on distingue l’espace de vie situé du côté de la galerie. C’est ici que les membres de la familles s’assoient, se réunissent et se divertissent.
Des espaces pour l’eau et le feu Comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent17, la cuisine, traditionnellement bâtie derrière le mur longitudinal de la galerie, est aujourd’hui souvent séparée du bâtiment principal. C’est le cas de la maison longue de Nanga Sumpa, mais également de la maison Lahanan18, où la cuisine est séparée de l’espace de vie par une plateforme de lavage et de séchage centrale. Dans la maison Lahanan, les cuisines sont sombres avec seulement des ouvertures étroites sur les murs qui laissent passer un peu de lumière. Au contraire, dans la maison Iban, on peut trouver des ouvertures zénithales qui laissent passer la lumière, et également les fumées. Metcalf nous donne une description détaillée de la composition d’une cuisine dans une maison longue Kayan19, dans les années 1970 (Fig 3.4). Dans la communauté Lahanan20, on trouve l’eau courante qui va d’un bout à l’autre de la maison longue principale, et chaque ménage dispose d’un robinet. Une latrine est située sur la plate-forme ou, dans certains cas, à l’arrière de l’appartement. En observant le plan masse de la maison de Nanga Sumpa (Fig 2.5), on constate également la présence d’une canalisation allant d’un bout à l’autre de la maison.
16 Op.cit. 7 17 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 4, Appropriation de la maison par la communauté 18 Op.cit. 7 19 Op.cit. 9 20 Op.cit. 7
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Des espaces qui repoussent leurs limites Comme nous avons pu l’observer dans le chapitre précédent21, une famille qui s’agrandit ne peut traditionnellement se partitionner qu’au moment de la reconstruction de la maison longue. Pendant ce temps, une salle bondée n’a aucun moyen réel de s’agrandir, si ce n’est « vers l’arrière22 ». Si les espaces intérieurs de l’appartement (couchage et espace de vie) ne dépassent jamais la limite du toit de la maison, des extensions peuvent voir le jour à l’arrière des appartements, avec leur propre toit bas. Ainsi, ils cassent la linéarité de la maison longue: « vue depuis la forêt, la maison semble repousser ses racines vers la jungle humide23 ». Les extensions ne dépassent cependant jamais les limites transversales des appartements, rendant leurs largeurs identiques (Fig 3.5). De cette description faite par Metcalf, de ce qu’il nomme des « pièces profondes24 », on peut imaginer des espaces très sombres, car il n’y a aucune fenêtre dans les murs latéraux ou dans le toit. Cependant, rappelons nous que dans le climat tropical de la jungle humide de Bornéo, l’ombre est bienvenue et recherchée: c’est un luxe25.
LE MOBILIER DANS L’APPARTEMENT Une évolution de l’aménagement Au début du XX° siècle, Charles Hose26 trouve les appartements familiaux peu fournis: on n’y trouve pas de chaises, pas de tables, seulement des tapis. De précieux objets en laiton, dont des gongs et des
192
21 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 3, Croissance de la maison longue 22 Op.cit. 9 23 Ibid 24 Ibid 25 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 1, Une structure fondatrice et rituelle 26 Op.cit. 9
Fig 3.5. Extension des appartement vers l'arrière
plateaux, sont empilés contre le mur, et il peut y avoir des boîtes pour ranger les vêtements. Dans les années 1970, Metcalf27 constate la présence de quelques meubles supplémentaires, mais très peu. À cette époque encore, presque personne n’a de chaises, mais tout le monde semble avoir acquis une armoire. On trouve généralement un revêtement de sol épais en rotin fendu pour s’asseoir28. Dans les années 199029, la plupart des ménages ont au moins une garde-robe et celle-ci est généralement placée dans l’espace de vie. Les appartements aux aménagements les plus élaborés contiennent une table et des chaises ainsi que des placards pour le stockage de nourriture, et une étagère à vaisselle: « toutes des innovations récentes30 ». Le revêtement de sol en rotin est souvent remplacé par un revêtement plastique, en linoléum.
La moustiquaire: changement fondamental Un changement fondamental dans l’aménagement de l’appartement, rapporté par Metcalf31, est la généralisation des moustiquaires. Pour en avoir personnellement fais l’expérience, une moustiquaire est aujourd’hui une protection essentielle contre les moustiques et insectes lorsque l’on dort en forêt tropicale humide. Dans chaque appartement d’une maison longue, les moustiquaires sont tendues sur les chevrons, ce qui crée un petit espace personnel d’une manière qui n’existait pas au début du XX° siècle. On trouve plusieurs façon de suspendre la moustiquaire. L’arrangement le plus simple est un filet en forme de cône que l’on borde la nuit autour d’un matelas de couchage. Les couples mariés accrochent leur moustiquaire
194
27 Ibid 28 Ibid 29 Op.cit. 7 30 Ibid 31 Op.cit. 9
de manière plus permanente: un filet en forme de boîte suspendu audessus d’un cadre en bois, pour avoir plus d’espace et bénéficier d’une meilleure ventilation. On trouve un folklore au sujet des moustiquaires dans les communautés: « entrer dans la moustiquaire32 » est devenu la manière standard de se référer à l’activité sexuelle. L’arrivée des moustiquaires dans l’aménagement des appartements est ressenti comme une réelle modernisation de la vie dans la maison longue. En effet, il faut des tissus fabriqués à la machine pour fournir une maille uniforme suffisamment fine pour empêcher les moustiques d’entrer, tout en laissant passer l’air. D’après Metcalf33, il n’existe pas de substitut indigène à une telle matière.
32 Ibid 33 Ibid
195
ORGANISATION DE LA CELLULE FAMILIALE R
eflétant sa nature fédérée, les familles individuelles peuvent librement rejoindre la maison longue dans laquelle elles ont des proches, leur dissociation d’une communauté et leur acceptation par une autre étant une affaire « relativement simple1 ». Les appartements représentent l’espace domestique de chaque famille, symbolisant son existence en tant que groupe d’entreprise2. Malgré cela, Helliwell qualifie la cellule familiale comme « un espace traditionnel qui devient de plus en plus inapproprié pour les habitants de la communauté Gerai, et obtenir leur propre maison indépendante devient un objectif important dans la vie de la plupart des couples nouvellements mariés3 ». Nous allons observer, dans cette partie, l’organisation de la cellule familiale au sein de la maison longue.
COMPOSITION ET PARTITION DE LA FAMILLE Double sens du terme « cellule » Dans la maison, les habitants ne sont pas répartis comme dans un dortoir, mais ont des propriétés en commun qu’ils se transmettent 1 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 2 Ibid 3 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62
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de génération en génération4. Ainsi, dans les langages Dayaks, le terme de « cellule » signifie d’avantage un groupe de gens qu’une structure physique5. C’est le cas chez les Iban6, où le même terme « bilek » fait référence à la fois à l’appartement et au groupe familial qui l’occupe. De même chez la communauté Lahanan7, où le terme « tilung » désigne l’appartement physique de la maison longue, et les occupants d’un appartement, qui constituent une seule unité pour les activités sociales, politiques et religieuses courantes.
Partition familiale On parle de partition familiale pour désigner la division d’une cellule en plusieurs cellules adjacentes (Fig 3.6). Un couple qui a beaucoup d’enfants peut rapidement trouver son appartement remplit de conjoints et de petits-enfants. Ainsi, comme nous l’avons déjà souligné, lorsqu’une nouvelle maison est construite, les enfants de ces couples ont la possibilité de construire leur propre appartement, à côté du nouvel appartement des parents. Ce dernier persiste néanmoins théoriquement comme la « chambre d’origine de tous ses descendants8 ». Bien qu’il soit souhaitable et prestigieux de maintenir la cellule familiale aussi grande que possible, les limitations d’espace et la partition des groupes familiaux créent des fluctuations cycliques dans la taille de celle-ci. La plupart des appartements contiennent un seul ménage qui représente l’unité de consommation et de production de l’appartement9.
198
4 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p. 5 Ibid 6 Op.cit. 1 7 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 8 Op.cit. 4 9 Op.cit. 7
Construction de la maison longue Cellule familiale d’origine
naissance des enfants mariages des enfants naissances des petits enfants
Re-construction de la maison longue Cellule familiale d’origine Partition
Nouvelle cellule familiale
Nouvelle cellule familiale
Nouvelle cellule familiale
Enfant 1
Enfant 2
Enfant 3
Fig 3.6. Principe de la partition familiale à la reconstruction
Cohabitation de plusieurs générations En prenant l’exemple de la communauté Lahanan10, on peut analyser la profondeur généalogique, et la composition des groupes familiaux dans une maison longue (Fig 3.7 et 3.8). D’après Alexander11, chaque appartement contient soit une famille souche, soit une famille élargie, soit une famille nucléaire. La forme la plus courante d’organisation de l’appartement Lahanan est une famille souche12 avec des parents et des enfants non mariés, une fille mariée, son mari et leurs enfants. On trouve également des ménages élargis qui comptent plus d’un enfant marié (généralement deux filles mariées). Cependant, la famille élargie est considérée comme une étape « transitoire » en attendant « que toutes les filles mariées, sauf une, finissent par établir leur propre cellule adjacente13». On trouve enfin des familles nucléaires, composées d’un ou deux parents, avec un ou plusieurs enfants. L’adhésion à la famille se fait par « la naissance, le mariage, l’incorporation ou l’adoption14». En effet, bien que la cellule ait un noyau consanguin, il comprend également les enfants affinés, adoptés et placés en famille d’accueil, ainsi que toute autre personne vivant dans l’appartement et participant à ses activités15. Pour Josh Wallace, la maison longue à Bornéo représente un véritable exemple de logement inter-générationel16.
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10 Ibid 11 Ibid 12 La famille souche, selon Emmanuel Todd, est un type de systèmes familiaux, un ensemble de valeurs religieuses, politiques, économiques ou encore morales portées par une société organisée selon le modèle familial à héritier unique. 13 Op.cit. 7 14 Freeman (J. Derek), The Family System of the Iban of Borneo, dans Goody (J.) The Developmental Cycle in Domestic Groups, ed. Cambridge University Press, p.15-52 15 Op.cit. 7 16 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte
HIÉRARCHIE FAMILIALE Mariage et origine On retrouve dans la hiérarchie familiale, le concept « d’origine » déjà présent à l’échelle du macro-espace. La cellule dite « d’origine17 » dans une maison longue, est un groupe de parenté comprenant toutes les personnes ayant des liens consanguins avec celle-ci. L’appartement originel est une entité continue dans le sens où au moins un enfant reste vivre dans celui-ci, même après la reconstruction. Les couples sans enfant adoptent, généralement des frères et sœurs, tandis que les parents d’un fils unique insistent lors du mariage pour que la résidence post-maritale soit virilocale, afin d’assurer la survie de la cellule familiale. On trouve 90 % des couples actuellement mariés dans la maison longue Lahanan qui vivent dans la cellule de l’épouse ou dans une cellule issue de sa partition. Par conséquent, la continuité de la cellule familiale est généralement assurée par les lignées féminines, et la plupart des « gardiens des biens18 » des cellules sont des femmes. Cela a des implications importantes dans les relations entre les sexes, qui sont caractérisées par une forte éthique égalitaire. Les femmes Lahanan19 occupent une place importante dans les discussions sociales et politiques, et effectuent une grande partie du travail agricole. De même dans la communauté Iban20, où la ségrégation sexuelle fait défaut, et les femmes comme les hommes se disputent le statut et la renommée. Un tiers des femmes Lahanan21 mariées ont des maris issus d’autres groupes ethniques, principalement des Kayan, mais aussi des Kenyah et des Iban. 17 Op.cit. 7 18 Ibid 19 Ibid 20 Op.cit. 1 21 Op.cit. 7
201
Famille nucléaire
Famille souche
Famille élargie
Fig 3.7. Différents types de familles présentes dans la maison longue Lahanan
COMPOSITIONS GÉNÉALOGIQUES DANS LA MAISON LAHANAN 41 appartements dans la maison env. 260 habitants
Types de familles
37%
15 familles nucléaires
49% 20 familles souches
14%
6 familles élargies
Profondeurs généalogiques 4 générations 3 générations 2 générations 1 génération
15 cellules
21 cellules
5 cellules
Fig 3.8. Les familles ont une profondeur généalogique plus ou moins importante en fonction de leur composition
Malgré leur position initialement « marginale », Alexander22 insiste sur le fait que les hommes mariés à des familles Lahanan établies adoptent l’affiliation à la maison et à la cellule familiale de leurs épouses. En ce sens, ils peuvent jouer un rôle de premier plan dans les affaires de la maison longue. Le concept « d’origine » est également d’une importance considérable en ce qui concerne la continuité de la maison longue en tant que communauté distincte23. Ainsi, les individus conservent des liens affectifs forts avec leur maison natale, qu’elle soit Iban, Lahanan ou Kayan, et les personnes résidants dans d’autres maisons reviennent généralement une fois par an, notamment pendant la fête des récoltes24. Même les personnes qui ont fait des études supérieures ou qui ont travaillé en ville pendant plusieurs années conservent un fort attachement à leur lieu d’origine25 (maison longue et cellule familiale).
Décision au sein de la cellule et patrimoine familial Les cellules familiales possèdent des chefs de familles26. Ils sont influents et participent aux débats qui ont lieux avec le chef de la maison longue. On dit que les anciens ont une « autorité » et ils sont les représentants des résidents de la maison ou de leur appartement. En ce qui concerne la propriété du logement et de son contenu, des objets de famille et des droits fonciers, elle n’est toutefois pas dévolue au foyer de la cellule mais à tous les foyers issus de la cellule familiale d’origine27. Les objets de famille constituent des éléments symboliques de la cellule originelle. Les droits sur ces objets sont détenus par tous les membres de la cellule originelle, y compris ceux qui vivent dans
204
22 Ibid 23 Ibid 24 Ibid 25 Ibid 26 Op.cit. 1 27 Op.cit. 7
une autre cellule ou une autre maison. Il s’agit donc d’une propriété commune. La garde de ces biens est confiée au membre le plus âgé de la cellule originelle. Malgré le rôle de gardien de celui-ci, toutes les décisions importantes concernant les propriétés familiales reposent sur une « consultation approfondie28 » avec tous les membres issus de la cellule originelle.
NOTION DE « PROPRIÉTÉ PRIVÉE » Propriété physique de l’appartement Dans les maisons longues, on dit que chaque ménage est propriétaire des éléments matériels qui, ensemble, constituent son appartement et la maison longue en entier. D’après Helliwell29, ce schéma a souvent été utilisé par les anthropologues pour indiquer un ensemble de relations de propriétés similaires à celles qui existent en Occident. Selon elle, il s’agit de souligner « l’importance de l’individualisme dans la culture des communautés de maisons longues, et de la séparation de chaque ménage des autres ménages qui l’entourent30 ». Cependant, il n’y a pas de lien nécessaire entre la propriété des matériaux qui composent un appartement, et le contrôle sur la structure finie et sur l’espace qu’elle délimite. Dans la maison longue Gerai, si le ménage a des droits sur l’espace de sa cellule, cet espace est en même temps « une partie inséparable d’un espace communautaire plus vaste, et donc soumis également aux droits de ses voisins31 ». Ainsi, il est impossible, dans le cas de la maison Gerai32, d’affirmer qu’une partie d’une cellule de la maison longue soit radicalement isolée de celles qui se trouvent de part et d’autre de 28 Ibid 29 Op.cit. 3 30 Ibid 31 Ibid 32 Ibid
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celle-ci.
Accès à la cellule L’accès social à la cellule est relativement libre33 et les habitants se déplacent librement dans et hors des appartements des autres. Mais cet accès reste soumis à des conditions. Dans la communauté Gerai34, on signifie par « yeng diret » ce qui se rapporte « à soi-même », l'intimité. Ce terme indique que la cellule est une zone qui n’est pas libre d’être utilisée par quiconque à tout moment. En fait, son utilisation par toute personne autre que les membres du ménage auquel elle appartient est régie par des « règles d’étiquette strictes35 ». Par exemple, si l’appartement est vide, ou si les habitants dorment, il ne peut pas être visité. Le ménage a des droits sur l’utilisation de l’espace de son appartement, et en l’absence de tout membre du ménage, seuls des amis de confiance ou des parents très proches peuvent pénétrer dans cet espace. Des visites plus longues dans une cellule vide, ou des visites de personnes socialement plus éloignées, peuvent conduire à des suspicions de mauvaises intentions: « la disparition d’articles ménagers ou la maladie d’un membre de la cellule familiale à la suite d’une telle visite peut donner lieu à un litige36 ». Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent37, une telle distinction entre la cellule et la galerie semble en fait très similaire à la distinction faite dans la société occidentale entre la rue « publique » ouverte et les maisons « privées » fermées qu’elle relie entre elles.
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33 Op.cit. 7 34 Op.cit. 3 35 Ibid 36 Ibid 37 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 5, La galerie, espace public, sous-partie 3, Comparaison spatiale et rituelle avec la rue occidentale
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PROXIMITÉ ET INTER-DÉPENDANCE L
e passage d’un individu de la galerie à l’appartement marque un déplacement de son centre d’intérêt social de la famille en tant que partie de la communauté de la maison longue, à la famille en tant qu’entité autonome. Les appartements individuels offrent suffisamment d’intimité pour la vie domestique, mais la perméabilité des murs adjacents, la proximité des voisins et la galerie commune offrent de nombreuses possibilités d’interaction sociale1.
L’APPARTEMENT: UN ÉLÉMENT SOLITAIRE ? L’intérieur et l’extérieur Pour Helliwell2, l’idée implicite de l’appartement comme une zone « privée », réservée à l’usage exclusif du ménage, est difficile à soutenir. Elle contredit en ce sens Freeman3, qui défini la composition de l’appartement comme étant la représentation spatiale de la « sphère privée ». Elle s’appuie sur le sens des mots pour avancer son hypothèse. 1 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 2 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 3 Freeman (J. Derek), The Family System of the Iban of Borneo, dans Goody (J.) The Developmental Cycle in Domestic Groups, ed. Cambridge University Press, p.15-52
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Ainsi, dans le langage Gerai, les termes « lawang » (la cellule) et « sawah » (la galerie) ne représentent pas une opposition entre « privé » et « public », mais entre « intérieur » et « extérieur ». En ce sens, on peut interpréter la division « lawang/ sawah » (cellule / galerie) dans la communauté Gerai comme une opposition conceptuelle entre la communauté des maisons longues (l’intérieur) et ceux qui en sont exclus (l’extérieur), plutôt qu’une opposition au sein de la communauté elle-même4.
Des appartements en relations les uns avec les autres Dans la plupart des études sur les maisons longues, la description des cellules se fait de manière unilatérale, en ne décrivant qu’un seul appartement comme une entité indépendante. Pour Helliwell5, cette approche renvoie à saisir la nature de la maison longue dans son ensemble comme une simple agrégation d’un certain nombre de ces unités individuelles. Ainsi, en conceptualisant la maison longue en termes d’éléments constitutifs indépendant, nous risquons de négliger les relations qui existent entre ces éléments6. C’est le cas pour les appartements, notamment en ce qui concerne les relations qui se produisent dans le cadre privé, à « l’intérieur » de celui-ci. Formellement, la maison longue Gerai7 est en effet constituée de cellules séparées dans le sens de la largeur, chacune étant associée à un seul ménage. Mais d’un autre point de vue, l’ensemble des cellules forme une seule entité longitudinale dans l’espace, parallèle à la galerie. Isoler alors un seul appartement et décrire les relations qui opèrent dans les espaces qui le composent, en les reliant comme une seule unité, revient à négliger les relations d’un appartement à l’autre, les liant ensemble en une communauté de voisins. Bien que la galerie permet une sociabilité forte entre les voisins, cette dernière prend une
210
4 Op.cit. 2 5 Ibid 6 Ibid 7 Ibid
intensité particulière dans « l’espace clos de la cellule, à l’abri des yeux et des oreilles du monde entier8 ». L’examen des dispositions spatiales au sein de la maison longue Gerai9 ne permet pas de considérer la cellule familiale comme une entité isolée et tournée vers l’intérieur. Au contraire, il indique plutôt son ancrage dans la communauté de la maison longue dont il fait partie. « L’accent mis sur l’orientation de l’appartement dans la largeur en tant que partie de la structure unique de la maison longue ne doit pas être considéré comme une négation de son identité dans la longueur en tant qu’unité séparée au sein de cette structure10 ». L’appartement est donc autant orienté dans la largeur de la maison que dans sa propre longueur, tout comme le ménage qui l’occupe est à la fois autonome et, comme nous allons le voir par la suite, dépendant de ses voisins.
LA PERMÉABILITÉ DES MURS COMME BASE SOCIALE Le mur entre deux cellules On trouve des arrangements spatiaux capables de fournir des indices importants sur les conceptions indigènes de ces relations entre appartements11. On trouve notamment un mur latéral, contenant généralement une ouverture par laquelle les voisins peuvent converser ou se passer des objets12, et qui sépare les appartements adjacents. En ce sens, il n’est pas rare d’avoir des portes ouvertes entre les cellules contigus appartenant à des amis et à des parents proches13. Ces murs 8 Ibid 9 Ibid 10 Ibid 11 Ibid 12 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 13 Op.cit. 1
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sont fragiles et ne permettent pas une grande intimité14. De nombreuses fentes et trous permettent d’observer ce qui se passe dans la cellule d’un voisin et cette curiosité n’est aucunement contenue par les habitants (Fig 3.9). Le caractère de ce mur est crucial pour toute discussion sur la maison longue en tant qu’entité longitudinale, car c’est lui qui divise cette entité en ses unités constitutives15. Il est normalement constitué de morceaux d’écorces et d’autres matériaux peu solides, appuyés les uns contre les autres de manière à laisser des espaces de différentes tailles, à travers lesquels les chiens et les chats peuvent grimper, les gens peuvent se passer des choses et les voisins peuvent se tenir debout pendant qu’ils discutent ensemble. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent16, chaque ménage construit un seul mur traversal, du côté vers lequel la maison se développe (en aval ou en amont du fleuve). Ce mur appartient à l’appartement qui l’a construit17. Mais en pratique, il est partagé par les deux cellules qu’il délimite. Sur le plan physique, il est très perméable18: à travers lui se déplacent diverses ressources dans les deux sens. Mais le caractère des cloisons entre cellules voisines est important non seulement pour les relations qu’il favorise, mais aussi dans la création d’une sociabilité ininterrompue d’un bout à l’autre de la maison longue: « la perméabilité même des cloisons permet une circulation presque sans entrave du son et de la lumière entre tous les appartements qui constituent, ensemble, la maison longue19 ».
212
14 Ibid 15 Op.cit. 2 16 Chapitre II, La maison longue et sa communauté, Partie 3, Origine et croissance de la maison longue, sous-partie 3, Croissance de la maison longue 17 Op.cit. 2 18 Ibid 19 Ibid
Fig 3.9. Le mur qui sépare les appartements est pérméable et permet l'échange
Un flux sonore On observe alors un flux de son qui traverse la maison de bout en bout. Christine Helliwell définie comme une « communauté de voix20 » le groupe « invisible » dont elle a fait partie lors de sa visite en maison longue, dans les année 1980. En effet, dans une maison longue, les voix se déplacent. Dans un monologue en apparence, elles sont en fait en dialogue permanent avec des auditeurs qui peuvent être invisibles. En tant que telles, elles créent un sentiment de communauté21. À travers le son de leur voix, des voisins séparés par deux, trois, quatre ou cinq appartements sont liés au monde des autres, à la compagnie des autres, aussi intimement que s’ils se trouvaient ensemble dans la même pièce. Helliwell nous raconte: « Pendant mes deux premiers mois dans la maison longue, partageant l’appartement d’une famille Gerai, je ne comprenais pas pourquoi mon hôtesse était constamment en train de parler « avec les murs ». Elle donnait de longues descriptions des choses qui lui étaient arrivées tout en restant debout ou en travaillant seule dans son appartement. Pour une Occidentale, habituée à l’idée que son foyer s’arrête à ses murs son comportement semblait pour le moins excentrique22 ». Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle se rend compte que les monologues apparents de la femme avaient toujours un public, et qu’ils étaient une façon d’affirmer et de recréer les liens entre les appartements qui faisaient d’elle un membre de la maison longue dans son ensemble plutôt qu’un membre d’une cellule isolée. En ce sens, on peut déduire que la vie dans la maison longue est largement caractérisée par l’ambiance sonore23 qui y prend place. Les voix s’entremêlent dans l’air et coulent dans les espaces familiaux: « Ces voix passent parfois par quatre ou cinq cloisons, et sont reprises à volonté et reposées en fonction des exigences du travail ou du sommeil: jamais forcées, jamais exigeantes, mais toujours douces, généreuses dans le rappel d’un
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20 Ibid 21 Ibid 22 Ibid 23 Ibid
compagnonnage constamment à portée de main. Pour moi, même en mémoire, elles restent tout à fait convaincantes : l’aspect de la vie dans une maison longue qui la distingue le plus clairement du monde occidental dans lequel je suis retourné depuis24 ».
Un flux lumineux Si le son circule au travers de la maison, c’est aussi le cas de la lumière25. Elle passe d’un appartement à l’autre, en particulier la nuit, lorsque la maison longue est uniquement distinguée de la forêt sombre par des lumières tout du long de sa façade (Fig 3.11). La nuit, les habitants sont conscients de la présence de leurs voisins par la lueur de leurs lumières. Si une lumière n’apparaît pas dans un appartement, celui-ci est une source immédiate d’inquiétude et d’enquête. Helliwell nous explique qu’elle a oublié à 3 reprises d’allumer sa lampe, pour cause de fièvre. L’obscurité de son appartement a amené ses voisins à lui venir en aide: « Pourquoi votre appartement est-il dans l’obscurité26 »? Cette question prend alors directement place dans le flux sonore de la maison, entre les appartements27. En l’absence de réponse, en quelques secondes, les voisins peuvent pousser la porte et entrer.
Ces relations sont fondamentales entre les voisins C’est ce mouvement du son et de la lumière qui réaffirme constamment, tant pour la cellule familiale elle-même que pour celles qui se trouvent de part et d’autre de celui-ci, son statut de « partie de la maison longue28 », mais aussi de la communauté de voisins qui y vit (Fig 3.10). Les habitants de la communauté Gerai sont conscients de l’importance de la fragilité de ce mur pour les relations entre les appartements. 24 Ibid 25 Ibid 26 Ibid 27 Ibid 28 Ibid
215
Flux sonore
Flux lumineux Fig 3.10. La perméabilité des murs transversaux crée un flux de la lumière et des sons tout le long de la maison
Helliwell29 a tenté, durant son séjour, de combler certains défauts des murs de sa cellule, voulant améliorer son intimité. Mais ces tentatives ont été mal accueillis. Un tel comportement est interprété comme une affirmation d’indépendance au détriment de l’appartenance à la communauté.
DEVOIRS DES FAMILLES POUR L’APPARTENANCE À LA COMMUNAUTÉ L’obligation d’allumer un feu Tout d’abord, un représentant du ménage doit allumer un feu dans le foyer de l’appartement tous les cinq ou six jours30. Un manque de régularité est considéré comme un affront envers les cellules voisines. Ainsi, il peut déclencher « un procès31 » contre le chef de la famille concernée. D’après les témoignages perçus par Helliwell en 1986, des poursuites entre voisins pour de tels motifs sont rares de nos jours. Cependant, l’obligation d’allumer son feu est toujours strictement respectée par les membres de la communauté. Dans la communauté Gerai, un appartement sombre et non éclairé crée « un inconfort32 » dans le bon déroulement de la vie communautaire tout le long de la maison longue: « Un appartement sans lumière, sans feu, est avant tout un appartement sans êtres humains33 ». Lorsqu’une famille quitte son appartement pour sa ferme pendant plusieurs semaines, elle demande à l’une des deux cellules voisines d’allumer le feu de son foyer tous les six jours. Ceux-ci assument donc la responsabilité cruciale de la « présence rituelle » de l’autre dans 29 Ibid 30 Ibid 31 Ibid 32 Ibid 33 Ibid
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la communauté pendant son absence, car « la nécessité de maintenir cette présence est un principe central de la vie en maison longue34 ».
L’entretien de son appartement Helliwell met l’accent sur un second devoir essentiel qu’une famille doit assumer pour justifier son appartenance à la communauté: prendre soin et respecter son appartement. Tout signe de négligence d’un appartement par ses occupants (par exemple, des trous dans le toit ou le sol) est source de « commérages communautaires et de honte pour ses habitants ».
218
34 Ibid
Fig 3.11. De loin, les feux permettent aux visiteurs de comprendre que la maison est habitée
AUTO-CONTRÔLE SOCIAL ENTRE LES INDIVIDUS C
’est en constatant cette proximité, l’interdépendance et les devoirs qui impliquent les communautés de voisins entre eux, que nous pouvons nous interroger sur la nature de ces relations presque intimes. Nous allons ici observer leur impact sur le mode de vie des habitants de la maison, et nous poser ainsi la question de l’impact de ce milieu social sur la vie de l’individu au sein de la maison longue.
COMPORTEMENT SOCIAL DES INDIVIDUS Comportement socialement acceptable « Le regard humain passe également à travers le mur, et ainsi, la structure de la cellule donne lieu à une forme particulière de contrôle social1 ». Christine Helliwell2 développe une interprétation complète du phénomène de « contrôle social » et du comportement qu’il induit chez les membres de la communauté. Ainsi, dans la maison longue Gerai, des comportements socialement acceptables sont définis et on trouve une échelle de « sanctions dégressives », allant de la désapprobation de la communauté, au procès et à l’imposition d’une amende. 1 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 2 Ibid
221
Comme dans la communauté Lahanan, chaque cellule Gerai est liée à sa cellule « originelle ». Le chef de cette dernière est moralement, et parfois légalement3, responsable des problèmes qui interviennent dans les cellules affiliées. En cas de comportement gravement inacceptable, comme la maltraitance d’un enfant, il intervient dans les affaires de la cellule concernée et exige un changement de comportement. S’il n’est pas écouté, le chef de la cellule originelle prend des mesures légales contre le ou les contrevenants.
Contrôle des comportements Le contrôle des comportements qui peuvent conduire à l’application de sanctions est rendu possible par la perméabilité même des murs séparant les appartements4. L’ouverture d’un appartement à l’examen de ses voisins place ses habitants sous une pression forte. Celle-ci est bien plus marquée que si l’espace de la cellule était une zone réellement « privée5 ». On peut en déduire que cet « auto-contrôle » social fait effet de dissuasion à tout comportement inacceptable. Il est intéressant de considérer le regard comme une technique assurant le fonctionnement du contrôle social dans la communauté Gerai. On peut en ce sens comparer le regard des voisins à des caméras de surveillance. D’après Helliwell, on trouve dans ce système une forme marquée « d’individualisme et d’anarchisme6 » qui contraste avec le principe communautaire de la maison longue.
222
3 Ibid 4 Ibid 5 Ibid 6 Ibid
IMPACT DU CONTRÔLE SOCIAL SUR LES COMPORTEMENTS Impact sur le partage des ressources entre les habitants Les valeurs des communautés de maisons longues Gerai mettent l’accent sur l’importance du partage entre les ménages. Ainsi, si une famille obtient en abondance une ressource (en particulier les ressources alimentaires comme le riz), il est censé la partager avec ses voisins et proches parents7. C’est en ce sens que, si un habitant entend son voisin revenir de la chasse, de la pêche, ou de la cueillette, il se déplace vers la cloison perméable qui les séparent pour observer. Il va alors, avec plus ou moins de subtilité, en fonction de la relation entre les voisins, examiner le butin qui a été rapporté. Dans le sens inverse, un voisin qui rapporte chez lui le fruit de son labeur sait qu’il sera observé pas ses voisins. « La connaissance du regard des autres parmi les membres de la maison longue Gerai est une puissante force de conformité8 ». Si un habitant rentre à son appartement avec un chargement de viande, de poisson, ou de légumes, la conscience d’être observé suffit à le persuader de résister à toutes tentations d’avarices et de partager les biens avec la communauté (Fig 3.12). Mais cette pression sociale, ajoutée à l’importance croissante de l’économie monétaire dans la maison longue, donne lieu à des changements de comportements. Ainsi, d’après Helliwell9, de plus en plus d’habitants sont prêts à prendre des risques afin de conserver une plus grande partie des ressources obtenues pour leur propre usage. Les observations de l’anthropologue ont montré que ces personnes quittent inévitablement la maison longue et construisent des logements indépendants. En effet, la structure même de la maison longue et les 7 Ibid 8 Ibid 9 Ibid
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limites perméables entre les différentes cellules, rendent incompatible « la vie dans une maison longue avec la réticence à partager ses ressources10 ». Ces analyses démontrent que l’individualisme, marqué par le contrôle social, reste moins important dans la vie en maison longue que les liens communautaires et vertueux.
Impact sur les comportements domestiques Le regard des voisins peut aussi se porter sur les actions et les comportements des habitants au sein de leur appartement. Tout comme les biens, la lumière et le son circulent librement dans la longueur de la maison, « les conseils et opinions font de même11 ». Helliwell s’appuie sur sa propre expérience pour nous donner l’exemple d’une situation. Ainsi, lors de sa visite en maison longue, une vive dispute entre un mari et sa femme éclate dans un appartement voisin du sien. L’habitante avec laquelle elle se trouve se déplace immédiatement vers la cloison, et aperçoit le mari, « accroupi sur le sol dans la salle à manger, chasser et frapper sa femme à la jambe12 ». Elle lui demande alors ce qu’il se passe, tandis que la femme pleure. Le mari explique que « dans la dispute, sa femme a arraché l’assiette qu’il mangeait et en a vidé le contenu à travers le sol. En réponse, il lui a donné un coup de pied13». L’habitante, une fois assurée qu’aucune dispute majeure n’est sur le point d’éclater, retourne à ses occupations. Sa simple présence et son intervention dans la dispute domestique voisine a apaisé la situation et « empêché toute escalade des événements14 » (Fig 3.12).
224
10 Ibid 11 Ibid 12 Ibid 13 Ibid 14 Ibid
AUTO-CONTRÔLE SOCIAL DANS LA MAISON LONGUE Individu A Travaille aux champs et rapporte une certaine quantité de riz récolté
Communauté de la maison longue
Individu B Chasse et rapporte du gibier
Prévient un comportement socialement inapproprié
Est violent avec sa femme
PA RT AG E
PARTAG E
E
ÔL TR
N CO
voisins
voisins
Peut appliquer des sanctions voisins
Fig 3.12. Exemple d'une situation d' auto-contrôle social entre deux voisins, et les répercutions que peut avoir une déviance au comportement socialement acceptable dans la maison longue
CONSÉQUENCES SOCIALES En s’appuyant sur l’exemple Gerai15, nous avons pu observer que le comportement des habitants d’une cellule est soumis à un degré extraordinaire d’interférence de la part de la communauté de la maison longue. Cela est dû à la présence du regard, qui agit à la fois comme une technique de surveillance, au moyen de laquelle des informations peuvent être recueillies, et comme un moyen de faire respecter la conformité, grâce à « la conscience qu’ont les gens de leur visibilité16 ». Ce contrôle rend presque certain que les familles partageront leurs ressources entre elles selon les normes sociales. Enfin, il garantit que les membres d’un appartement particulier se comportent de manière « acceptable » les uns envers les autres.
Une volonté d’indépendance Le souhait d’échapper à la pression de la communauté est, d’après Helliwell17, la principale raison expliquant le déménagement d’un certain nombre de jeunes couples, qui avaient l’intention de construire des logements indépendants et de quitter la maison longue. Les deux cellules familiales situées aux extrémités de la maison longue sont plus réticents à partager avec leurs voisins et à participer à la sociabilité de la maison longue18. En effet, comme elles ne sont attenantes qu’à un seul appartement, leurs activités sont moins susceptibles d’être examinées et donc beaucoup moins soumises à la pression sociale de la communauté que celles des autres cellules.
Des normes sociales pour « regarder »
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Si un habitant passe trop de temps à observer ce qu’il se passe
15 Ibid 16 Ibid 17 Ibid 18 Ibid
chez ses voisins, on peut l’accuser d’avoir de mauvaises intentions19, allant du désir de voler, à la volonté d’empoisonner leurs voisins. « Ironiquement, c’est la possibilité constante de surveillance qui permet de contrôler l’utilisation excessive d’une telle technique20 ». Il existe en effet un code dans la communauté Gerai, que tous les habitants doivent suivre lorsqu’ils regardent dans un appartement voisin. Ce code précise deux facteurs essentiels: l’intention et la notification (Fig 3.13). L’intention, c’est les raisons pour lesquelles un habitant regarde à ce moment précis. La notification, c’est le fait d’indiquer à son voisin qu’il est observé. Ces deux facteurs permettent de distinguer « quand et comment il faut regarder » de « quand et comment il ne faut pas regarder21 ». En ce sens, si un habitant regarde volontairement ou longuement, la situation n’a pas la même gravité que s’il jette un coup d’œil rapide pendant un instant. L’acceptabilité sociale de la façon d’observer est évaluée au sein de la communauté en fonction de ces deux facteurs22. Par exemple, rester debout et fixer un appartement dont les habitants dorment ou ne sont pas présents est socialement mal perçu, car le regard ne comporte pas de notifications23.
La solitude n’est pas désirée Dans une maison longue, être seul n’est pas bien perçu. Les habitants de la communauté Gerai n’aiment pas être seuls et n’y voient pas de réel intérêt. Il est donc pratiquement impossible d’être seul dans les parties communes du village. Une personne qui doit effectuer une tâche loin du village cherche normalement un compagnon, et la vue d’une personne seule dans la jungle attire l’attention et les questions des autres habitants. En revanche, dans la maison longue, « il est possible, facilement et naturellement, d’être seul, simplement parce qu’on est 19 Ibid 20 Ibid 21 Ibid 22 Ibid 23 Ibid
227
Individu A Appelle son voisin ou frappe à sa porte Voudrait demander de prêter du riz
Notification
Comment regarder ?
Intention
Individu B
Fig 3.13. Pour regarder intentionnellement chez son voisin, il faut présenter une intention et effectuer une notification
reconnu comme n’étant jamais seul24 ». En effet, étant donné que l’individu est tout le temps entouré par les autres habitants, et que s’applique l’auto-contrôle social, il n’est jamais réellement considéré comme seul ou exclut. C’est en raison de son ouverture même à la voix et au regard de la communauté de la maison longue que l’espace de la cellule est un des seuls endroits où l’on peut être seul sans « susciter la suspicion et la discussion publique de ses motivations et de ses actes25 ».
Un contrôle qui se veut bienveillant Le contrôle social qui existe dans la maison longue n’est pas réellement négatif. En effet, ce système de surveillance « par les habitants, pour les habitants » peut être le reflet d’une appropriation par la communauté, de ses espaces et de son organisation au sein de la maison. La pression sociale induite est naturelle pour les habitants, et se veut bienveillante. La présence des voisins, comme le public de sa vie privée26, est normale. Jeter un rapide coup d’œil dans la cellule voisine, sauf si cela est fait dans un but précis, n’implique rien de plus qu’un regard désinvolte d’un habitant vers les habitants voisins. En tant que telle, elle n’empiète pas sur les droits de ces autres personnes sur cet espace27. Helliwell nous explique que lorsqu’elle est allée vivre dans la maison longue Gerai28, ses voisins ont été très sensibles à son besoin d’intimité. Ils ont tout de même demandé à pouvoir localiser la présence de la chercheuse à certains moments, par le regard ou la parole, à travers le mur perméable. « Cette reconnaissance de l’appartement individuel comme faisant inévitablement partie d’une communauté plus large rend problématique toute tentative 24 Ibid 25 Ibid 26 Ibid 27 Ibid 28 Ibid
229
de représenter la longue maison Gerai soit comme un ensemble d’habitations séparées, soit comme une communauté unifiée29 ». Les conclusions de cette étude nous montre qu’un individu est membre de sa communauté à deux échelles sociales distinctes: la cellule familiale (liée à la cellule familiale originelle) et la communauté de la maison longue toute entière.
230
29 Ibid
231
CONCLUSION CHAPITRE III RELATIONS INTERNES ENTRE LES CELLULES FAMILIALES DE LA MAISON LONGUE Comment les relations entre les appartements familiaux créent un milieu social auto-géré ?
D
ans ce troisième chapitre, nous avons étudié l’influence du milieu social et communautaire qu’engendre la maison longue sur la vie familiale et individuelle, à l’échelle microspatiale, au sein de la cellule.
Une composition et organisation évolutive de l’appartement L’appartement est divisé en plusieurs sous-espaces pour dormir, manger, cuisiner ou recevoir. La composition des espaces et le mobilier des appartements évolue dans le temps. Si au début du XX° siècle, très peu de meubles étaient trouvés dans les cellules, depuis les années 1980, l’aménagement a su se moderniser et les appartements ont gagné en confort. Contraint d’attendre la reconstruction d’une nouvelle maison longue pour se partitioner, les cellules familiales repoussent leurs limites vers l’arrière, créant des extensions et des espaces supplémentaires. Chaque cellule familiale possède un chef de famille, qui participe aux débats communautaires à l’échelle de la maison longue. 233
On trouve plusieurs types de familles dans les appartements: des familles souches, étendues ou nucléaires. Lorsqu’une cellule se partitione, la nouvelle cellule créée reste lié à sa cellule d’origine. Ainsi, on trouve une échelle sociale intermédiaire entre la communauté et la famille, qui est « l’ensemble des cellules descendantes d’une cellule originelle ». Un appartement peut être l’habitation de 3 voir 4 générations. La succession des cellules familiales se fait généralement du côté de l’épouse, c’est-à-dire que lors d’un mariage, c’est la cellule matrimoniale qui se partitione et accueille le mari.
Une société basée sur des relations d’interdépendance L’espace délimité par la construction de la cellule familiale n’est pas un espace « privé », radicalement séparé des autres cellules. La maison longue est structurée pour à la fois affirmer le statut autonome de chacune des cellules familiales originelles détenant des droits formels sur les appartements séparés qui la composent, et générer l’ancrage de ces groupes dans la communauté de la maison longue. La construction même d’une maison longue, la manière dont elle s’articule, génère des relations d’interdépendances entre les différents appartements qui constituent ensemble la communauté de la maison longue. Dans la communauté Gerai, « Biarpun banyak lawang, pokok-e sebetang ja » signifie « Bien qu’il y ait de nombreux appartements, il n’y a en fait qu’une seule malle1 ». Helliwell2, qui a largement étudié la question de la cellule familiale dans la maison longue, s’oppose fortement à Freeman3. En effet, elle juge l’implication de ce dernier, selon laquelle la maison
234
1 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62 2 Ibid 3 Freeman (J. Derek), The Family System of the Iban of Borneo, dans Goody (J.), The Developmental Cycle in Domestic Groups, ed. Cambridge University Press, p.15-52
longue Iban doit être considérée soit comme un ensemble d’entités distinctes, soit comme un groupe unifié de maisons longues, suppose une série de dichotomies conceptuelles, comme « soi » et « l’autre », « privé » et « public ». Ces oppositions conceptuelles ressemblent à celles générées au sein de la pensée occidentale par l’opposition entre la personne et la société, et ne prend pas vraiment en compte les concepts sociaux des communautés des maisons longues. De nombreuses dispositions de domiciliation occidentales contrastent fortement avec celles que l’on trouve dans la maison longue, notamment celle de la communauté Gerai. Là-bas, « ce ne sont pas les murs qui font de bons voisins4 », mais les vides et les déchirures qui s’y produisent. Ils créent un flux lumineux, sonore et social pour la communauté, sur toute la longueur de la maison longue. Dans ce flux, « il y a à la fois la pression exercée par un auto-contrôle social communautaire, et la promesse de ressources et de camaraderie, mais à un mot près5 ».
4 Op.cit. 1 5 Ibid
235
CONCLUSION DU MÉMOIRE N
ous pouvons maintenant conclure ce mémoire. Pendant une année, nous avons enquêté pour comprendre et analyser le fonctionnement de la maison longue. Cette étude a commencé par une analyse de territoire, complexe, où nous avons cherché à situer à la fois la maison longue sur l’île de Bornéo, mais également à replacer l’homme dans un contexte géographique, écologique et politique complexe. Nous avons ensuite, à l’aide de témoignages écrits et oraux, tenté de redessiner les contours structurels et humains de la maison longue en elle-même. Enfin, nous avons voulu introduire l’habitant dans son échelle la plus proche: l’appartement domestique et familial. En ce sens, nous avons cherché à répondre à la question fondamentale de l’influence du milieu sur les maisons longues et leurs habitants. Quelle est l’influence du milieu sur la construction, la symbolique et la vie sociale des maisons longues à Bornéo ?
LA MAISON LONGUE DANS SON TERRITOIRE Dans un premier temps, nous avons constaté que le territoire influence grandement l’existence et l’évolution des maisons longues à Bornéo. Le territoire est marqué par l’existence de nombreuses ethnies. Les côtes de l’île sont plus développées. On y retrouve principalement l’ethnie malaise, ainsi que plusieurs grandes villes comme Kuching ou Kota Kinabalu. C’est à l’intérieur de l’île, dans le « Coeur de Bornéo »,
237
que l’on trouve les maisons longues, au bord des grands fleuves qui parcourent l’île. Le contexte géographique des forêts tropicales représente l’habitat des Dayaks, et on y trouve différents modes de vie: on observe des nomades appelé Penan, qui vivent de la chasse et de la cueillette; des semi-sédentaires qui alternent vie nomade et vie sédentaire dans un village ou une maison longue; enfin, on trouve des sédentaires, vivants de l’agriculture dans des villages ou des maisons longues. Il n’existe pas de « sagesse écologique » entre les habitants et la forêt de Bornéo. Il s’agit plutôt d’une « économie pragmatique » des ressources qui a pour objectif de préserver le milieu pour le léguer aux générations futures. Aujourd’hui, comme nous l’avons vu, la mondialisation et l’agro-industrie détruit peu à peu la forêt bornéenne, anéantissant la biodiversité qui l’habite, dont l’homme. A cause de ces pratiques, nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique: l’Anthropocène. Les communautés des maisons longues voient donc leur existence compromise, et de nombreux habitants vendent leurs terres aux groupes d’exploitation forestiers ou agro-industriels en échange de revenus permettants la subsistance de leur famille. Cependant, de nombreuses ONG humanitaires défendent les droits des habitants de la forêt tropicale, s’engageant dans d’importantes luttes face aux compagnies d’exploitations et négociants des droits auprès des autorités. Dans le même temps, l’éco tourisme permet aux étrangers de venir visiter les maisons longues. C’est une manière de lutter contre l’extinction des cultures indigènes. Il permet également de créer des revenus pour la communauté. Cependant, l’authenticité d’une telle expérience et son bienfait à long terme sur la survie culturelle d’une communauté restent à nuancer.
238
LA COMMUNAUTÉ ET SA MAISON LONGUE, BÂTIE ET VÉCUE SUR SON SITE Dans un second temps, nous avons étudié l’influence du milieu à l’échelle du macro-espace. Nous avons d’abord constaté le lien fort entre la maison longue et le cours d’eau sur lequel elle s’implante. En effet, ce cours d’eau définit son placement, son orientation et représente le principal accès à l’édifice. Il justifie également la structure de la maison longue, notamment les pilotis qui permettent, en surélevant la maison, de la protéger des crues du fleuve. Ces derniers amoindrissent en même temps l’impact de la construction sur le site. Les communautés peuvent parfois être plus larges, avec plusieurs villages de maisons longues tout au long du cours d’eau. Ainsi, on observe une métaphore botanique, très présente à plusieurs niveaux. Le fleuve est comme le tronc d’un arbre, et les différentes maisons longues en sont les branches. Les maisons elles-mêmes peuvent être assimilées à des arbres vivants, possédant une base, origine, et un/des sommets, extrémités. Cette métaphore inscrit rituellement la maison longue dans son site, et la lie à la fois à son cours d’eau et à la forêt qui l’entoure, justifiant sa posture. Cette structure organique est aussi éphémère. En effet, la maison est détruite et reconstruite à chaque génération. La maison longue est donc un milieu vécu aussi bien dans son existence que dans son absence, qui apporte de nombreuses conséquences sociales. La reconstruction demande une certaine coordination de la communauté, et l’effort de chacun est requis. La maison longue est divisée en cellules familiales, qui représentent à la fois une unité architecturale et une unité sociale. Chaque cellule est bâtie par ses habitants. On peut conclure que la maison longue est un modèle d’habitat communautaire et participatif, aussi bien dans sa construction que dans son organisation sociale.
239
L’INDIVIDU DANS SA CELLULE FAMILIALE Dans un dernier temps, nous avons analysé le milieu domestique et familial à l’échelle du micro-espace: l’appartement. Nous avons déjà pu constater que ce sont les cellules familiales, leur composition et leur nombre qui influence la longueur de la maison longue: lors de la reconstruction, une maison en croissance démographique s’allongera; une maison en décroissance rétrécira. Ainsi, nous avons voulu nous plonger à l’échelle de l’individu et de l’organisation sociale qui régit les relations à l’intérieur et entre les cellules. Nous constatons que les cellules ne sont pas indépendantes comme le serait un appartement occidental, mais sont interdépendantes les unes des autres. Les murs sont perméables et laissent traverser le son et la lumière d’un appartement à l’autre, créant un flux qui circule tout le long de la maison. Ce phénomène engendre une proximité qui crée à la fois une unité entre tous les individus de la communauté, mais qui instaure également un processus d’auto-contrôle sociale. Celui-ci surveille à la fois le respect des règles de partage des ressources, et le comportement socialement acceptable des individus entre eux.
INFLUENCE DU MILIEU SUR LA CONSTRUCTION, LA SYMBOLIQUE ET LA VIE SOCIALE DES MAISONS LONGUES À BORNÉO Notre étude nous a permis de tirer des conclusions à différentes échelles du milieu. Ces échelles sont interconnectées et leurs influences se prolongent de la plus large jusqu’à la plus restreinte. On peut donc parler d’un emboîtement d’écosystèmes.
240
L’île de Bornéo représente un écosystème géographique, politique et territorial. La maison longue elle-même, est un écosystème architectural, communautaire et participatif. L’appartement familial matérialise un écosystème domestique et individuel. Ces 3 écosystèmes forment le milieu qui donne naissance à la maison longue dans son
ensemble, influence sa structure, son architecture et crée une société construite et forte. En ce sens, ils forment également 3 niveaux d’unité et d’intégration sociale pour l’habitant de la maison: l’individu en tant que Dayak de l’île de Bornéo, l’individu en tant que membre actif d’une communauté, et l’individu faisant partie d’une famille, l’unité de base de la constitution de son identité. On peut donc conclure que la maison longue est influencée par la communauté qui l’habite et évolue en fonction d’elle. En même temps, l’individu est tout autant influencé par le cadre de vie que représente la maison longue, qui détermine son identité et défini son appartenance à un cadre social. La maison longue est alors la résultante d’un contexte local, qui est constituée dans un territoire, en prenant en compte les éléments qui l’entourent. Elle est elle-même un macro-espace déterminée par sa structure, ses espaces et sa communauté. Enfin, sa croissance est déterminée par le micro-espace, l’appartement familial et les espaces individuels. Ce contexte est une totalité qui représente un ensemble interconnecté, un organisme architectural et sociétal indivisible, évolutif et participatif.
CONCLUSION SUR LES OBJECTIFS ET OUVERTURE Notre enquête a été une réussite, car elle nous a permis d’apprivoiser l’environnement tropical des forêts de Bornéo, de comprendre le fonctionnement architectural et social de la maison longue, et même de nous approcher de l’échelle de l’individu, en introduisant le concept d’auto-contrôle social. Pour cela, nous avons pu nous appuyer sur des ouvrages importants, comme celui de Metcalf1
1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, Cambridge University Press, 2010, 345p.
241
Eco-tourisme Culture
Lʼîle de Bornéo Dayak
La Maison Longue
Mondialisation
Rivière
Biodiversité
Démocratie
Membre de la communauté
Participatif
LʼAppartement
Membre de la famille
ONG
Luttes
Fleuve
Communauté Travail
Festivals
Auto-conrôle social Anthropocène
Structure architecturale
Famille
Individu
Comportement
Elevage Débats
Agriculture
Indigénisme
Matériaux Compagnies d’exploitation forestière
Espaces
Botanique
Agro-industrie Gouvernements
Ressources
Nature Forêts tropicales
CERCLES DES INFLUENCES: 3 ECOSYSTÈMES SPATIAUX ET IDENTITAIRES
ou de Fox2. Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec des experts comme Josh Wallace, architecte, en visioconférence, ainsi que Bernard Sellato, ethnologue spécialiste de Bornéo, par courriel. Nous avons pu répondre à nos objectifs, malgré l’impossibilité de retourner sur place dû à la crise sanitaire de 2020. Nous proposons, dans cette étude, une synthèse des connaissances sur les maisons longues de Bornéo, et nous avons comparé des cas d’étude pertinents. Un très grand travail de traduction depuis l’anglais et les lexiques indigènes a été nécessaire dans le cadre de notre recherche, et nous a permis d’en tirer des résultats concluants. Nous avons mis en tension architecture, géographie et sociologie, pour répondre à notre problématique. Finalement, cette étude nous permet de proposer de nouvelles pistes de recherche et de conception, aussi bien en matière d’architecture que de société. La maison longue est un modèle traditionnel d’architecture participative, évolutive et inter-générationelle. Aujourd’hui, nous traversons de multiples crises sociales, écologiques, économiques, existentielles. La vitesse a réduit les distances, mais nous éloigne pourtant les uns des autres. L’individualisme, qui est central à la société occidentale, peut générer une forme de malaise social et de désunion. La maison longue, par son fonctionnement communautaire, social, son intégration à l’environnement et son éphémérité, peut-elle être une source d’inspiration pour imaginer de nouveaux « modes d’habiter », plus humains, respectueux et conscients de leurs milieux ? Avec Josh Wallace, nous pensons que cette piste de recherche et de conception est prometteuse.
Nous vous remercions pour votre lecture.
2 Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993
243
ANNEXES
V
ous trouverez en annexes de ce mémoire:
1. La carte linguistique et ethnique de Bornéo
2. Les cartes d'identités de chaque maison longue
245
Annexe 1. Carte lingusitique et ethnique de l'île de Bornéo
Annexe 2.1. Communautés Kayan sur le fleuve Baram Cet exemple est tiré du livre1 de Peter Metcalf. Il s’agit des maisons longues de l’ethnie Kayan situées au centre nord de l’île de Bornéo, prêt de la frontière qui sépare la Malaisie du Brunei. Cet ouvrage nous fournit beaucoup d’informations sur la construction, le fonctionnement, et l’évolution des maison longues à Bornéo. Metcalf compare notamment sa propre expérience lorsqu’il a visité le morceau de territoire concerné, à celles de rapports et récits plus anciens.
1 Metcalf (Peter), The Life of the Longhouse: An Archaeology of Ethnicity, New York, Cambridge University Press, 2010, 345p.
+9m Toiture
Plancher
Sol
FAÇADE DE LA MAISON LONGUE KAYAN
248
+12m Toiture Plancher Toiture Plancher
Annexe 2.2. Communautés Melanau sur le fleuve Rajang Le Rajang est le plus long cours d’eau de l’île de Bornéo. L’ethnie des Melanau, ou « peuple de la rivière », habite dans une maison longue dite « haute », au nord du Sarawak (Malaisie). La particularité de cette maison longue est qu’elle s’élève sur plusieurs niveaux, ce qui n’est pas le cas de nos autres études de cas qui restent de plain-pieds. La +9m construction de la maison longue Melanau et son fonctionnement sont Toiture développés dans un article1 publié à l’Université de Penang en Malaisie en 2018. Plancher
Sol
1 Bahauddin (Azizi), Awg Musadat (Dyg Mustika Syaheeda), The Traditional Architecture of the Melanau Tall Longhouse, Mukah, Sarawak, The Authors, publié par EDP Sciences, School of FAÇADE DE LA MAISON LONGUE KAYAN Housing, Building and Planning, University Sains Malaysia, Penang, Malaysia, 2018
+12m Toiture Plancher Toiture Plancher
Sol
FAÇADE DE LA MAISON LONGUE MELANAU
249
Annexe 2.3. Communautés Lahanan sur le fleuve Balui C'est dans le récit1 de Jennifer Alexander, disponible dans l’ouvrage2 de James Fox, que l'on trouve une analyse précise de la construction et du fonctionnement social de la maison longue des Lahanan. Les Lahanan sont l'un des principaux groupes de l'ethnie de Kajang qui se considèrent comme les premiers colons de la région de Belaga, au Sarawak. Cette revendication a été usurpée par deux autres groupes ethniques: les Kayan et les Kenyah. Au début du XX° siècle, pendant les conflits armés qui opposaient les Iban chasseurs de têtes et les Kajang, Kayan et Kenyah, les communautés Lahanan sont intervenus en tant que médiateurs. Cette maison longue est appelée Leng Panggai et se trouve entre le fleuve Balui et la rivière Panggai. Elle possède une hiérarchie sociale et diffère donc d’autres maisons longues (Kayan ou Iban), où les habitants sont considérés comme socialement égaux. 1 Alexander (Jennifer), The Lahanan Longhouse, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 2 pages 31-43 2 Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993
an
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250
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20
40m
Appartement du Laja
Appartement
Galerie
chemins d’accès
« Pelouse »
Appartements temporaires
Plan de niveau
0
WC
20
40m
Espace nuit Espace nuit
Cuisine
Foyer
Cuisine
WC
Plateforme de séchage WC
Espace commun de la famille
Espace nuit
Espace commun de la famille du « Laja » (chef de la maison)
Stock
Espace nuit
Espace nuit
Galerie
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON LAHANAN
251
Annexe 2.4. Communautés Iban sur le fleuve Batang Les Iban sont un peuple vigoureux et extérieurement expansif du centre-ouest de Bornéo qui compte environ 400 000 personnes dans l'État malais de Sarawak. Ils sont connus comme « chasseurs de têtes ». En effet, jusqu’au milieu du XX° siècle, les guerriers Iban effectuaient des raids sur les villages d’autres communautés, et récupéraient les têtes de leurs ennemis comme trophées. L’ethnie Iban est l’une des plus présentes sur Bornéo. La zone que nous allons étudier se trouve le long du fleuve Batang, au Sarawak. Nous pouvons recueillir des informations sur la construction, le fonctionnement social et rituel des communautés de maisons longues Iban grâce à l'étude1 de Clifford Sather, également présent dans l’ouvrage2 de James Fox. De plus, nous avons pu nous entretenir avec Josh Wallace, architecte canadien célèbre pour avoir participé à la conception et la reconstruction de la maison longue Iban de Nanga Sumpa en 2015. Cet entretien3 m’a apporté de riches informations sur le processus de construction de la maison longue Iban. Très peu d’occidentaux ont pu observer, et encore moins participer, à la conception d’une maison longue. Josh l’a fait et son témoignage est précieux pour cette étude.
1 Sather (Clifford), Posts, Hearths and Thresholds: The Iban Longhouse as a Ritual Structure, dans Fox (James), Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 4 pages 67-119 2 Op.cit. 4 3 Entretien du 26 septembre 2020 avec Josh Wallace, architecte
252
Ri A re viè k elo
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Maisons individuelles temporaires eau
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Lodge pour les touristes
Plan masse de Nanga Sumpa
0
10
20m
Terrasse découverte Galerie
eau
Riviè re Su mpa
Appartement
Cuisine
Plan de niveau de Nanga Sumpa
0
10
20m
253
« BILEK » « RUAI » « TANJU »
Espace commun de la famille
Foyer
Pilier « source »
Galerie
Terrasse
en Aval
en Amont
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON IBAN DANS LA RÉGION PAKU (Description de 1970)
« Sadau » Le grenier
« Tanju » La terrasse
« Bilek» L’appartement
« Ruai » La galerie
COUPE TRANSVERSALE DE LA MAISON LONGUE IBAN (PAKU)
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« DAPUR »
Cuisine
Plateforme de séchage
Foyer Espace commun de la famille
« RUAI »
« BILEK »
Salle d’eau
« TANJU »
Galerie
Terrasse
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON IBAN DE NANGA SUMPA (Description de 2015)
« Sadau » Le grenier « Tanju » La terrasse
Eau
« Dapur » Les cuisines
« Bilek » L’appartement
« Ruai » La galerie
COUPE TRANSVERSALE DE LA MAISON LONGUE IBAN (NANGA SUMPA)
255
Annexe 2.5. Communautés Gerai dans le nord-est du Kabupaten Ketapang La communauté large Gerai compte environ 700 personnes. Située dans l’état indonésien du Kalimantan occidental, la maison longue de la communauté Gerai est finement décrite dans l'étude1 de Christine Helliwell. Elle approfondie, dans ses analyses, la question de la « vie privée » à l’intérieur de la maison longue, ainsi que la place de l’individu dans la communauté.
1 Helliwell (Christine), Good Walls Make Bad Neighbours: The Dayak Longhouse, dans Fox (James) Inside Austronesian Houses: Perspectives on domestic designs for living, Australian National University, 1993, Chapitre 3 pages 45-62
Plancher
« Lawang » L’appartement
« Sawah » La galerie
COUPE TRANSVERSALE DE LA MAISON LONGUE GERAI
256
« LAWANG »
Espace pour dormir pour la famille Espace commun de la famille
Pilier « source »
Cuisine de la famille Foyer
« SAWAH »
Pilonage du riz
Piétinage du riz Faire à manger
Espace pour dormir
PLAN DʼUNE CELLULE FAMILIALE - MAISON GERAI
257
ICONOGRAPHIE Couverture / 4° de couverture — illustration, © Lucas Andre 2020 Avant-propos — photographie, © Lucas Andre 2019 Introduction — Le milieu à 3 échelles, diagramme, © Lucas Andre 2020 Chapitre I — L'Île et le Dayak Fig 1.1. L’île de Bornéo en Asie du Sud-est, carte, © Lucas Andre 2020 Fig 1.2. Découpage géopolitique de Bornéo, carte, © Lucas Andre 2020 Fig 1.3. « Coeur de Bornéo », carte schématique, © Lucas Andre 2020 Fig 1.4. « L’île des grandes rivières », carte schématique, © Lucas Andre 2020 Fig 1.5. Le mont Kinabalu, photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.6. Une plante carnivore, photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.7. Les orang-outans de Bornéo (Sarawak), photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.8. Richie, le mâle dominant, photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.9. La canopée de la forêt tropicale, photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.10. Le sous-bois en milieu tropical, photographie, © Lucas Andre 2019 Fig 1.11. La forêt primaire de Bornéo, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 1.12. La déforestation de Bornéo entre 1950 et 2020, cartes schématiques, © Lucas Andre 2020 Fig 1.13. Les modes de vie Dayaks, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 1.14. Un continuum spatio-temporel identitaire, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 1.15. Interactions entre les différents acteurs, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 1.16. Historique de l’extraction des ressources à Bornéo, diagramme, © Lucas Andre 2020
259
Notre corpus d’étude — Localisation des maisons longues étudiées, carte, © Lucas Andre 2020 Chapitre II — La Maison longue et sa communauté Fig 2.1. Maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.2. Maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.3. Schéma directeur de la maison longue, ensemble de schémas, © Lucas Andre 2020 Fig 2.4. Vue aérienne de Nanga Sumpa, photographie satellite, © Apple Plans Fig 2.5. Plan masse de Nanga Sumpa, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 2.6. Plan de Nanga Sumpa, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 2.7. Plan masse de la maison Lahanan, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 2.8. Plan de la maison Lahanan, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 2.9. Accès à la maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.10. Placement des maisons longues Iban dans le Paku, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.11. « Un arbre et ses branches », schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.12. Principe structurel de la maison longue Iban, axonométrie, © Lucas Andre 2020 Fig 2.13. Orientation des éléments de bois, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.14. Orientation structurelle de la maison longue, schémas, © Lucas Andre 2020 Fig 2.15. Détail de pilier à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architect-helped-resurrect-avillage-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.16. Montage de la structure à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architect-helped-resurrect-avillage-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.17. Façades de maisons longues, dessins, © Lucas Andre 2020 Fig 2.18. Le Belian: « bois de fer », photomontage, © Lucas Andre 2020
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Fig 2.19. Plancher en nibong tressé de la maison Melanau, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.20. Croissance de la maison longue, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.21. La maison longue comme un organisme vivant, photomontage schématique, © Lucas Andre 2020 Fig 2.22. Vue aérienne de Nanga Sumpa, photographie satellite, © Apple Plans Fig 2.23. Vue aérienne de Nanga Sumpa détruite, photographie satellite, © Google Fig 2.24. Architecture formelle/informelle, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 2.25. Processus d’ « autonomisation » de la communauté, diagramme, © Hugo Despeisses 2020 Fig 2.26. Débats dans la communauté Iban de Nanga Sumpa, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 2.27. Le flipbook Josh Wallace à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.28. Dessins réalisés par Josh Wallace à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.29. Erection des poteaux fondateurs à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.30. Construction de la charpente à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.31. Hiérarchies sociales dans les communautés Iban et Lahanan, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 2.32. Travail dans les champs, photomontage, © Lucas Andre 2020 Fig 2.33. Echange de main-d'oeuvre dans la communauté Lahanan, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 2.34. Routine usuelle de l’activité dans la maison longue, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 2.35. Activités sur la galerie de la maison longue, photomontage, © Lucas Andre 2020
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Fig 2.36. Maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.37. Galerie de la maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.38. Les espace autour de la maison longue Lahanan, dessin - plan masse annoté, © Lucas Andre 2020 Fig 2.39. Le flipbook Josh Wallace à Nanga Sumpa, photographie, © Josh Wallace, www.archdaily.com/788929/the-soul-of-a-community-how-a-young-architecthelped-resurrect-a-village-longhouse-in-borneo?ad_source=search&ad_medium=search_result_all Fig 2.40. Extrait de plan de la maison de Nanga Sumpa, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 2.41. Section de galerie, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 2.42. Galerie de la maison longue Iban, photographie, © Borders of Adventure, www.bordersofadventure.com/staying-at-a-longhouse-in-borneo-experiencing-indigenous-sarawak Fig 2.43. Comparaison spatiale entre la galerie de la maison longue et la rue de la Course à Strasbourg, schémas, © Lucas Andre 2020 Fig 2.44. Comparaison des usages entre la galerie de la maison longue et la rue de la Course à Strasbourg, schémas, © Lucas Andre 2020 Chapitre III — L'Appartement et la famille Fig 3.1. Comparaison de plans d’appartements: Iban, dessins, © Lucas Andre 2020 Fig 3.2. Comparaison de plans d’appartements: Lahanan et Gerai, dessins, © Lucas Andre 2020 Fig 3.3. Coupe de la maison Iban, dessin, © Lucas Andre 2020 Fig 3.4. La cuisine dans l’appartement Kayan, collage, © Lucas Andre 2020 Fig 3.5. Extension des appartements vers l’arrière, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 3.6. Principe de la partition familiale, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 3.7. Types de familles dans la maison Lahanan, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 3.8. Compositions généalogiques dans la maison Lahanan, ensemble de diagrammes, © Lucas Andre 2020 Fig 3.9. Mur perméable entre les appartements, collage, © Lucas Andre 2020 Fig 3.10. Flux lumineux et sonore, schéma, © Lucas Andre 2020 Fig 3.11. La maison longue Iban de nuit, photomontage, © Lucas Andre 2020
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Fig 3.12. Auto-contrôle social dans la maison longue, diagramme, © Lucas Andre 2020 Fig 3.13. « Comment regarder ? », diagramme, © Lucas Andre 2020 Conclusion du mémoire — Cercles des influences: 3 écosystèmes spatiaux et identitaires, diagramme, © Lucas Andre 2020 Annexe 1 — Carte linguistique et ethnique de l’île de Bornéo, carte, © Muturzikin, www.muturzikin.com/cartesasiesudest/10.htm Annexe 2 — Cartes d’identités des différentes maisons longues étudiées, ensemble de documents graphiques, © Lucas Andre 2020
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GLOSSAIRE Lexique français Coeur de Bornéo: terres du centre de l’île de Bornéo, dans laquelle on trouve encore la forêt primaire, une très grande biodiversité ainsi que les peuples indigènes Dayak vivants en autonomie. Dayak: terme générique qui désigne différents peuples de l'intérieur des îles indonésiennes et malaisiennes d'Asie du Sud-Est. Penan: terme Punan ou Penan (ou encore la transcription Pnan) désigne une population de l'île de Bornéo. Autrefois nomades chasseurs-cueilleurs, les Punan habitent maintenant souvent dans des villages et cultivent une partie de leurs aliments. biodiversité: diversité des espèces vivantes et de leurs caractères génétiques. espèce endémique: espèce vivante propre à un territoire bien délimité. forêt tropicale primaire: formation ayant évolué sans aucune intervention humaine. forêt tropicale secondaire: forêt qui se reconstitue après l'exploitation de la forêt primaire. essart / essartage: défrichement d'un terrain boisé en vue de sa mise en culture temporaire ou permanente. sagou: matière alimentaire farineuse préparée à partir de la moelle contenue dans le stipe des sagoutiers. animisme: conception générale qui attribue aux êtres de l'univers, aux choses, une âme analogue à l'âme humaine. tribus: agglomération de familles vivant dans la même région, ou se déplaçant ensemble, ayant un système politique commun, des croyances religieuses et une langue communes, et tirant primitivement leur origine d'une même souche. indigène: originaire du pays où il vit; qui était implanté dans un pays avant la colonisation (par opposition aux populations d'origine européenne).
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indigénisme / indigénéité: mouvement politico-social qui s'est développé vers les années 1920 en Amérique latine, notamment dans les pays andins, pour plaider la cause des masses indigènes opprimées par le système semi-féodal hérité de la colonie. ONG: abréviation de organisation non gouvernementale; Une organisation non gouvernementale (ONG) est une association à but non lucratif, d'intérêt public, qui ne relève ni de l'État, ni d'institutions internationales. Les ONG n'ont pas le statut de sujet de droit international. sagesse écologique: terme utilisé pour désigner l’idée d’un savoir, d’une culture de la préservation de l’environnement au sain de groupe ethno-culturels indigènes. monoculture: culture unique ou largement dominante d'une espèce végétale dans une région (vigne, maïs, palmier). extractivisme: exploitation massive des ressources de la nature ou de la biosphère. La notion d'extractivisme est large et polysémique puisqu'elle désigne toutes les formes et tous les moyens d'exploitation industrielle de la nature. déforestation: action de détruire la forêt ; déboisement. maison-longue: habitat développé en longueur, des entrées à différents appartements familiaux sont disposées en gouttereau. Ces appartements ou cellules familiales sont disposées de manières adjacentes, tout comme les fonctions, et sont desservie par une longue galerie qui longe la maison. Elle peut faire une dizaine comme une centaine de mètres de longueur et abrite une communauté composée de différentes branches de famille, différentes familles, voir parfois, de plusieurs groupes ethniques. galerie: la galerie est un espace communautaire développé en longueur, qui possèdent diverses fonctions d’expression de la vie sociale, et qui dessert également tous les appartements familiaux. appartement familial / cellule familiale: espace intérieur de la maison, logement d’un groupe familial, en général composé de 3 génération minimum. partition familiale: division d’une cellule familiale en plusieurs nouvelles cellules familiales lors de la reconstruction. communauté large: ensemble ethnique et communautaire occupant plusieurs maison longues le long d’un même ensemble fluvial (fleuve et affluents). piliers fondateurs: piliers qui forment la base structurelle et rituelle de la maison longue. Ils sont construits en belian et sont en général les premier éléments structurels bâtis lors de la construction de la maison longue.
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belian: littéralement « bois de fer », Eusideroxylon zwageri est un arbre présent dans les forêts tropicales de Bornéo, et qui a la particularité de résister à l’humidité grâce à sa très grande densité. Il est utilisé principalement pour construire la structure des maisons longues. nibong: Oncosperma tigilarium est un palmier de mangrove pouvant atteindre entre 12 et 30 mètre architecture formelle: construction basée sur une forme précise, planifiée. architecture informelle: construction désorganisée, sans réelle forme et coordination; elle fait souvent suite à une catastrophe et la destruction d’une maison longue. architecture participative: processus de conception avec et pour une communauté. autonomisation: prise d’autonomie et appropriation d’une architecture par une communauté. auto-contrôle social: phénomène de régularisation des comportements des individus dans la maison longue, par le simple principe du de « contrôler et être contrôler par » ses voisins. comportement socialement acceptable: ensemble de règles à respecter qui codifient la vie en communauté dans la maison longue. Lexique Iban rumah: la maison longue. bilek: à la fois l’appartement familial et la famille qui l’occupe, composée en moyenne de 3 générations. ruai: galerie tanju: terrasse, section non-couverte de la galerie. dapur: foyer / cuisine. penai: accès principal à la maison, espace de baignade dans la rivière. tuai rumah: chef de la maison longue. pun: source, origine. ujong: sommet, extrémité. pun bilek: source familiale.
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tiang pemun: littéralement « source, pilier de fondation ». Le tiang pemun central est le premier pilier à être érigé. pun rumah: superviseur des rites de construction de la maison et gardien du pilier fondateur central, la source de la maison. ulu: en amont de la rivière. ili: en aval de la rivière. hari: jour. malam: nuit. matahari tumboh: est, littéralement « la direction du soleil qui grandit ». matahari padam: ouest, littéralement « la direction du soleil qui s’éteint ». rabonghari: le zénith du soleil. perabong: la poutre faîtières centrale. batang: rivière, tronc. sungai: affluants de la rivière. sapemakai: les alliés. menoa sebayan: littéralement « l’au-delà des morts ». batang mandai: système fluvial. pintu: porte. tangga’rumah: échelle d’entrée. tempuan ruai: passerelle qui longe la maison d’une extrémité à l’autre. atas: au-dessus. baroh: en-dessous. panggau: la partie supérieure de la galerie, généralement couverte par une plate-forme surélevée qui accentue encore son élévation. pugu tanju: le stock de graine de la galerie.
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sadau: grenier accessible via une échelle depuis les appartements familiaux ou la galerie, pour stocker du riz ou autre. bedara’: rituels essentiellement intra-familiaux, se déroulant généralement dans la cellule familiale ou sur sa section de galerie. gawa’: rituels communautaires d’une complexité intermédiaire, se déroulant généralement sur la galerie. gawai: rituels majeurs, avec des invités de la région fluviale ou du « sapemakai », se déroulant généralement sur la galerie. Lexique Lahanan levu: à la fois la maison longue et la galerie. luvung: maison longue temporaire. tilung: appartement familial. bah tilung: littéralement « la bouche du tilung », porte d’accès à l’appartement. tilung baken: « grand appartement », cellule du chef de la maison longue. linau Laja/maren: « aristocrates », appartiennent à la cellule de la famille dirigeante. Laja: chef de la maison longue. hipui: « aristocrates mineurs », ont des liens de parenté avec le laja. panyin: « roturiers », classe sociale de la plupart des habitants de la maison. lippen/dipen: « esclaves », généralement des prisonniers de guerre. levu larun: maison longue contenant un certain nombre d’appartements familiaux. levu karep: bâtiment détaché occupé par un seul groupe domestique. naju: en amont de la rivière. nava: en aval de la rivière. baguai: monter sur la maison longue. ba’ai nyadui: descendre travailler, prendre le canoë jusqu’aux champs. leng: confluence.
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batang: rivière principale. hungei: plus petit affluent. lesung: mortier à riz. dayong: expert des rituels. mahap: ménage, rituel avant la construction de l’appartement du chef. tuvung: tambour de rituel. lepau: ferme familiale dans les champs. siung: chapeau traditionnel servant de décoration dans la maison. baleh: cuisine. sepatah: platforme de lavage et de séchage. layang guai: tapis en rotin. siluk: dortoirs situés dans un appartement. pelado: échange de main-d’œuvre au sain de la communauté. tilung karep: littéralement « posséder un appartement séparé », lorsqu’un foyer se partitione en 2 foyers distincts et crée un nouvel appartement. linau tilung: habitants de la cellule familiale. tilung pu’un: cellule originelle. laven pusaka: objets de famille. daleh Lahanan: terres ancestrales. Lexique Gerai lawang: porte, appartement familial. lem rumah: l’intérieur de l’appartement. ruang: platforme de séchage, extérieur à l’appartement. sawah: l’extérieur, la galerie.
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ramo: littéralement « librement accessible à tous ». yeng diret: ce qui se rapporte à l’individu. diret: littéralement « soi », « nous », incluant l’individu et son interlocuteur. guno nar: fonctions essentielles d’un espace. sadau sawah: espace de couchage pour les individus d’ethnie malaise. paleper sawah: espace de cuisine pour les individus d’ethnie malaise. reng Melayu: littéralement « malais », « non-dayak ». bungkung: racine, origine. jat nar: littéralement « très mal, méchant », désignation donnée aux personnes qui ont un comportement socialement inacceptable (ex. manque de générosité).
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TABLE DES MATIÈRES La Maison Longue — Modèle d’habitat et de société Sommaire................................................................................................................p.3 Remerciements..................................................................................................... p.5 Avant-propos..........................................................................................................p.7 Introduction............................................................................................................p.9 Un territoire et des hommes.......................................................................................p.9 Une maison exceptionnellement longue...................................................................p.12 Le territoire, le macro-espace et le micro-espace: 3 échelles de milieux....................p.14 Chapitre I — L’Île et le Dayak...........................................................................p.19 L’île de Bornéo.....................................................................................................p.21 Géopolitique de l’île.................................................................................................p.21 La Malaisie................................................................................................p.22 Le Brunei....................................................................................................p.22 L’Indonésie..................................................................................................p.24 Géographie de l’île...................................................................................................p.25 Les forêts tropicales...........................................................................................p.33 La forêt: définition....................................................................................................p.33 Nature de la forêt tropicale.......................................................................................p.34 Forêts primaires............................................................................................p.36 Forêts secondaires..........................................................................................p.38 Déforestation............................................................................................................p.40 Identités, subsistance et habitats....................................................................p.45 Modes de subsistance...............................................................................................p.45 Continuum identitaire..............................................................................................p.48
Diversité ethnique....................................................................................................p.50 nature ou NATURE ?..............................................................................................p.51 Les habitats: du campement à la maison longue......................................................p.53 Indigénéité et anthropocène.............................................................................p.57 Une nouvelle forme de colonisation ?......................................................................p.57 « Peuples indigènes ».......................................................................................p.58 Les ONG au service des peuples traditionnels ?....................................................p.60 Anthropocène...........................................................................................................p.64 Pragmatisme économique................................................................................p.65 Extractivisme...............................................................................................p.67 Les méthodes de lutte...............................................................................................p.71 Conclusion Chapitre I: La maison longue dans son territoire.................p.75 La maison longue et la nature..........................................................................p.75 La maison longue face aux défis de l’anthropocène................................................p.77 La maison longue et l’éco-tourisme....................................................................p.78 Notre corpus d’étude..........................................................................................p.83 Communautés Kayan le long du fleuve Baram.....................................................p.83 Communauté Melanau le long du fleuve Rajang..................................................p.83 Communauté Lahanan le long du fleuve Balui....................................................p.84 Communautés Iban le long du fleuve Batang......................................................p.84 Communautés Gerai dans le nord-est du Kabupaten Ketapang...............................p.85 Chapitre II — La Maison longue et sa communauté...................................p.87 Schéma directeur de la maison longue...........................................................p.89 La maison longue, conceptualisation........................................................................p.89 Une « maison »..............................................................................................p.89 Une « typologie » ?.........................................................................................p.90 Première description d'une maison longue à Bornéo..............................................p.92 Partition et schéma directeur de la maison longue....................................................p.92 La partition spatiale......................................................................................p.93 La longueur d’une maison longue......................................................................p.93 Division spatiale intérieure..............................................................................p.94 Maison sur pilotis.........................................................................................p.95 Développement par l’intérieur: la partition familiale.............................................p.96
La maison longue sur son cours d’eau............................................................p.99 Composition du village.............................................................................................p.99 Placement et orientation de la maison longue.........................................................p.102 Relation physique de la maison avec son cours d’eau...........................................p.102 Le fleuve comme accès à la maison longue.........................................................p.103 Orientation de la maison...............................................................................p.107 Les communautés larges et la métaphore botanique...............................................p.108 L’exemple de la communauté Iban de la région Paku...........................................p.108 La métaphore botanique...............................................................................p.110 Origine et croissance de la maison longue..................................................p.113 Une structure fondatrice et rituelle.........................................................................p.113 Les piliers fondateurs de la maison..................................................................p.113 Le déploiement de la maison comme un « arbre vivant ».......................................p.114 La charpente de la maison longue....................................................................p.116 Le couronnement, achèvement de la structure.....................................................p.121 Structure du vide: circulation de l’air et ombre...................................................p.122 La maison longue comme forteresse.................................................................p.123 Des matériaux issus de son environnement.............................................................p.124 Le belian: matériau de construction universel pour la structure des maisons longues...p.124 Le plancher de la maison longue.....................................................................p.124 Le toit de la maison longue............................................................................p.126 Croissance de la maison longue..............................................................................p.127 Une structure éphémère.................................................................................p.127 Hiérarchisation structurelle des cellules............................................................p.128 La maison longue comme un organisme vivant...................................................p.129 Appropriation par la communauté...............................................................p.133 Impact de la destruction d’une maison longue sur la communauté........................p.133 Une reconstruction qui prend du temps............................................................p.133 Les maisons longues en proies aux catastrophes..................................................p.134 Concevoir la maison longue: un processus participatif...........................................p.136 Architecture formelle....................................................................................p.136 Méthode de conception.................................................................................p.138 Déroulement du chantier...............................................................................p.141 Diriger la maison longue........................................................................................p.144 Le chef de la maison longue...........................................................................p.144 Une hiérarchie sociale qui peut être marquée.....................................................p.146 Travailler pour la communauté..............................................................................p.147 L’activité agricole........................................................................................p.147
Rémunération du travail...............................................................................p.149 L’activité en groupe......................................................................................p.150 Les activités dans la maison..........................................................................p.150 Vivre autour de la maison longue...........................................................................p.154 La pelouse.................................................................................................p.154 Autour de la rivière......................................................................................p.156 Sous la maison...........................................................................................p.157 Potager et animaux......................................................................................p.157 La question des cuisines................................................................................p.157 La galerie, espace public..................................................................................p.161 La galerie de la maison longue................................................................................p.161 Définition..................................................................................................p.161 La sphère « publique »..................................................................................p.162 Mixité d’usages communautaires...........................................................................p.164 Espace de circulation...................................................................................p.164 Espace de débats.........................................................................................p.164 Espace d’activités........................................................................................p.164 Espace de rencontre et d’accueil......................................................................p.165 Espace de rituels et de célébrations..................................................................p.166 Comparaison spatiale et rituelle avec la rue occidentale.........................................p.167 Circuler.....................................................................................................p.167 Débattre....................................................................................................p.167 Voir et être vu..............................................................................................p.169 Des usages en commun, mais des valeurs différentes............................................p.169 Conclusion Chapitre II — Relation entre la communauté et sa maison longue, bâtie et vécue sur son site..................................................................p.173 Une relation intime de la communauté avec son cours d’eau..................................p.173 Une structure organique et éphémère................................................................p.174 La maison longue: modèle d’habitat communautaire et participatif........................p.175 Chapitre III — L’Appartement et la famille................................................p.179 Composition et aménagement.......................................................................p.181 Les espaces dans la cellule familiale........................................................................p.182 Partition familiale.......................................................................................p.182 Des espaces pour dormir...............................................................................p.183 Des espaces commun....................................................................................p.188 Des espaces pour l’eau et le feu.......................................................................p.191
Des espaces qui repoussent leurs limites............................................................p.192 Le mobilier dans l’appartement..............................................................................p.192 Une évolution de l’aménagement.....................................................................p.192 La moustiquaire: changement fondamental.......................................................p.194 Organisation de la cellule familiale..............................................................p.197 Composition et partition de la famille.....................................................................p.197 Double sens du terme « cellule »......................................................................p.197 Partition familiale.......................................................................................p.198 Cohabitation de plusieurs générations..............................................................p.200 Hiérarchie familiale................................................................................................p.201 Mariage et origine.......................................................................................p.201 Décision au sein de la cellule et patrimoine familial............................................p.204 Notion de « propriété privée »..................................................................................p.205 Propriété physique de l’appartement................................................................p.205 Accès à la cellule.........................................................................................p.206 Proximité et inter-dépendance......................................................................p.209 L’appartement: un élément solitaire ?....................................................................p.209 L’intérieur et l’extérieur.................................................................................p.209 Des appartements en relation les uns avec les autres............................................p.210 La perméabilité des murs comme base sociale........................................................p.211 Le mur entre deux cellules.............................................................................p.211 Un flux sonore............................................................................................p.214 Un flux lumineux........................................................................................p.215 Ces relations sont fondamentales entre les voisins...............................................p.215 Devoirs des familles pour l’appartenance à la communauté...................................p.217 L’obligation d’allumer un feu.........................................................................p.217 L’entretien de son appartement.......................................................................p.218 Auto-contrôle social entre les individus.......................................................p.221 Comportement social des individus........................................................................p.221 Comportement socialement acceptable..............................................................p.221 Contrôle des comportements...........................................................................p.222 Impact du contrôle social sur les comportements...................................................p.223 Impact sur le partage des ressources entre les habitants........................................p.223 Impact sur les comportements domestiques........................................................p.224 Conséquences sociales............................................................................................p.226 Une volonté d’indépendance..........................................................................p.226 Des normes sociales pour regarder...................................................................p.226
La solitude n’est pas désirée...........................................................................p.227 Un contrôle qui se veut bienveillant.................................................................p.229
Conclusion Chapitre III — Relations internes entre les cellules familiales de la maison longue...........................................................................................p.233 Une composition et organisation évolutive de l’appartement..................................p.233 Une société basée sur des relations d’interdépendance..........................................p.234 Conclusion du mémoire...................................................................................p.237 La maison longue dans son territoire......................................................................p.237 La communauté et sa maison longue, bâtie et vécue sur son site.............................p.239 L’individu dans sa cellule familiale..........................................................................p.240 Influence du milieu sur la construction, la symbolique et la vie sociale des maisons longues à Bornéo....................................................................................................p.240 Conclusion sur les objectifs et ouverture.................................................................p.241 Annexes................................................................................................................p.245 Annexe 1. Carte lingusitique et ethnique de l'île de Bornéo...................................p.246 Annexe 2.1 Communautés Kayan sur le fleuve Baram...........................................p.248 Annexe 2.2. Communautés Melanau sur le fleuve Rajang.....................................p.249 Annexe 2.3. Communautés Lahanan sur le fleuve Balui........................................p.250 Annexe 2.4. Communautés Iban sur le fleuve Batang............................................p.252 Annexe 2.5. Communautés Gerai dans le nord-est du Kabupaten Ketapang.........p.256 Iconographie......................................................................................................p.259 Glossaire.............................................................................................................p.265 Bibliographie, Filmographie..........................................................................p.273 Webibliographie................................................................................................p.277
C
e mémoire questionne l’influence du milieu sur le développement de la maison longue de Bornéo comme architecture et comme société. Nos objectifs sont de proposer à la fois une synthèse et une traduction des connaissances sur les maisons longues, mais également d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche et de conception architecturale et sociétale. Nous introduirons dans un premier temps les concepts et définitions utiles à la compréhension de cette étude, puis nous diviserons notre travail en 3 chapitres, analysants chacun une échelle du milieu. Ainsi, le premier chapitre développera le territoire de l’île de Bornéo, ses forêts tropicales et les modes de vie de la population Dayak qui les habite. Le second chapitre proposera une explication fine du fonctionnement structurel, social et organique de la maison longue. Le troisième et dernier chapitre approfondira l’échelle de l’appartement familial et de l’individu. Enfin, nous conclurons sur la problématique posée. Nous résumerons l’influence de chaque échelle du milieu sur la maison longue et ses habitants et nous constaterons que ces échelles sont 3 différents écosystèmes spatiaux et identitaires, faisant de la maison longue un possible modèle d’habitat participatif, évolutif et intergénérationel.
Lucas C. Andre