My kaaba is human

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Le Projet «My Kaaba is HUMAN» est un projet photographique inspiré de la philosophie Alevi / Bektashi, fondé en Anatolie au XIIIe siècle. L’idée se concentre sur l’unité de «Dieu, l’univers et l’humain». l'idée est composée de la croyance, ce que nous recherchons n'est pas loin mais en nous-mêmes. Parce que le plus grand livre à lire est «l'être humain». Donc, le projet vise à mettre cette croyance en pratique. Dans ce but, la photographe et la réalisatrice de documentaires Sinem Taş parcourt le monde et raconte les histoires des personnes qu'elle rencontre au cours du voyage. Elle vise à dépeindre les similitudes entre les gens du monde entier, révélant nos peurs, nos espoirs, nos luttes, nos déceptions, nos rêves, notre bonheur, etc. pour souligner le fait que nous sommes tous connectés les uns aux autres. Comme nous sommes plus semblables que nous ne le pensons, nous sommes plus connectés que nous ne pouvons l'imaginer.

BOOK COVER


My Kabaab its HUMAN BACK COVER NOTHING

Sinem Tas est nĂŠe en 1987 Ă Ankara, en Turquie. Elle a ĂŠtudiĂŠ relations internationales Ă l'UniversitĂŠ UludaÄ&#x; de Bursa. Elle a travaillĂŠe comme photojournaliste dans un journal local couvrant des nouvelles dures et des manifestations en 2013 Ă Izmir. TaĹ&#x; a terminĂŠe sa maĂŽtrise en multimĂŠdia / photographie Ă la facultĂŠ des beaux-arts de l'UniversitĂŠ de Lisbonne. Elle a travaillĂŠe comme photographe et rĂŠalisatrice indĂŠpendante Ă Lisbonne entre 2014 et 2018 et a participĂŠ Ă des projets de cours de cinĂŠma KINO DOC au Portugal. En 2017, Tas a rĂŠalisĂŠe son premier film documentaire "My Kaaba is HUMAN" qui a ĂŠtĂŠ projetĂŠ dans plusieurs pays et festivals de films qui ont inspirĂŠ son projet Ă long terme en cours portant le mĂŞme nom qu'elle voyage Ă travers le monde en racontant des histoires humaines avec des portraits.



Ronja « Je pense que cette situation se présente lors d’occasions où des jeunes vont faire connaissance. Par exemple, disons que nous passons un moment agréable à parler entre amis. Chacun se présente et explique d’où il vient, ce qu’il fait. Lorsqu’une personne du groupe dit qu’elle vient d’Israël ou qu’elle a des origines juives, il y a toujours un moment de silence. C’est un moment bizarre : plus personne ne parle, plus personne ne se regarde… Parce que personne ne souhaite que ce sujet survienne dans une conversation ». Ronja est une allemande de 28 ans qui vit à Munich. « Quand je rencontre une personne juive, je ne peux m’empêcher de penser à ceci : est-ce qu’à l’époque mon grand-père a fait du mal à son grand-père ou à un autre membre de sa famille ? Pourquoi sont-ils partis en Israël ? Qu’est-ce qui les a mené là-bas ? De quoi ont-ils été témoins ?». « Nous, les générations d’après, ressentons une forme de culpabilité de ce que les Allemands ont fait, du mal qu’ils ont causé durant la Seconde Guerre Mondiale. Du moins moi, lorsque je rencontre une personne juive, je ressens le sentiment de lui devoir quelque chose. Je sais que je n’étais même pas née à l’époque, mais après tout je fais partie de l’histoire. Je n’existerais pas sans mes grands-parents. De part ce lien, ce qu’ils ont fait dans le passé me concerne maintenant ».

« Si mes ancêtres ont fait du mal aux autres dans le passé, c’est mon devoir aujourd’hui de payer leurs dettes et de faire quelque chose pour aider à penser ces blessures. Quand je rencontre une personne juive, je veux lui dire que l’Allemagne a changé et que quelque part, elle peut maintenant lui offrir un lieu où vivre en sécurité ». Ronja a une licence en psychologie mais ces derniers temps elle voyage et enseigne le yoga dans les pays qu’elle visite. « Il y a une seule vie pour chacun d’entre nous. Je pense qu’il est important d’être là où l’on se sent appartenir. Après tout, tu ne peux pas changer le passé. Tu ne peux pas vivre en te souciant du futur. Ce que tu as c’est maintenant, ce moment. Tu peux changer « l’instant présent ». Je crois que je dois changer tout ce qui me semble néfaste à l’endroit où je suis en train de vivre. Je ne veux pas être dans un endroit où je compte les minutes et les heures pour faire passer mes journées. Si ce que tu fais ne correspond pas à qui tu es, ne gâches pas ta vie à le faire. Je suis sûre que quelque part il y a quelqu’un qui serait heureux de faire ce travail. En restant là où tu ne penses pas que tu dois être, non seulement tu te fais du mal mais tu prends aussi la place de la personne qui ferait ce travail mieux que toi. Donc je pense qu’être au bon endroit, là où tu penses appartenir, c’est une responsabilité ayant une importance autant pour toi que pour les autres ».


Khadija, Quand j’avais 5 ans, un des invitĂŠs de mon voisin a abusĂŠ de moi. Ce qui m’a fait le plus de mal dans cette histoire, c’est que ma famille a prĂŠfĂŠrĂŠ me culpabiliser plutĂ´t que l’agresseur. Je me souviens avoir ĂŠtĂŠ frappĂŠe par ma mère qui criait : “Pourquoi me fais-tu ça Ă moi ?â€?. Ă€ partir de lĂ , elle est devenue le bouc ĂŠmissaire de sa famille et de tous les autres, prise au piège dans un cercle vicieux. Khadija est nĂŠe au Maroc Ă Â Tan Tan d’un père d’origine mauritanienne et d’une mère marocaine. Elle a perdu l’usage de son Ĺ“il gauche Ă cause d’un ĂŠclat de verre quand elle avait juste 18 mois. C’est cette cicatrice qui lui a donnĂŠ ce ton bleu glacĂŠ comme celui de notre planète bleue. Mais ce handicap va lui causer beaucoup de soucis. “Après ce qui s'est passĂŠ, j’ai haĂŻ les hommes pendant longtemps. Je ne voulais plus personne. Plus tard, en voyant les familles se promener avec leurs enfants, je me suis rendu compte que moi aussi, je voulais ĂŞtre mère. J’avais rĂŞvĂŠÂ d’une famille heureuse et me suis retrouvĂŠe dans un triste mariage. J’Êtais mariĂŠe mais seule; mon mari avait honte de moi Ă cause de mon Ĺ“il et ne voulait pas sortir avec moi en public.Â

Je restais seule Ă la maison pendant qu’il sortait. J’ai tenu pendant 6 ans. Je suis devenue complètement apathique, je ne sentais plus rien. Après mon divorce, j’ai repris ma vie et reconquis ma libertĂŠâ€?. “Au Maroc, c’est normal d’avoir du mĂŠpris pour les divorcĂŠes. J’ai mĂŞme pensĂŠÂ sortir du pays Ă cause de ça. Je crois en l’ÊgalitĂŠ des hommes et des femmes. Quand je rentre tard du travail, mes voisins sont persuadĂŠs que je n’Êtais pas au boulot. Ils pensent que je fais autre chose d’inappropriĂŠ et que c’est pour ça que je rentre tard. Je les comprends. Quand je rencontre un homme, il me considère comme une “divorcĂŠeâ€? et il peut me traiter n’importe commentâ€?. Ă€ son travail, Khadija s’occupe du mĂŠnage, du jardin, de la cuisine et de beaucoup d’autres choses. Son salaire est très bas. J’ai du mal Ă comprendre comment malgrĂŠ tous ses problèmes elle insiste Ă aider les autres. J’ai du mal Ă lui demander ça alors que je la vois aider une vieille dame Ă prendre son bain dans la salle de bain, donner de l’argent au gardien pour qu’il s’offre une coupe de cheveux, ou acheter de la nourriture Ă ceux qui ont faim dans la rue : “Comment est-ce possible ? Comment peux-tu ĂŞtre toujours aussi gentille, si gĂŠnĂŠreuse ? â€? Elle me rĂŠpond très simplement : â€œ C’est le minimum pour ĂŞtre humain â€?.



Jean Les relations homosexuelles sont interdites au Maroc. Jean – que j’ai connu Ă Marrakech – affirme que les touristes europĂŠens gays n’ont pas de problèmes, mais les marocains homosexuels en gĂŠnĂŠral doivent payer une amende ou rester Ă la prison, oĂš ils peuvent ĂŞtre maltraitĂŠs. Il n’y a rien d’autre Ă faire que d’être nous-mĂŞmes. Nous n’avons pas besoin d’être plus fĂŠminins ou masculins que nous le sommes. Il suffit d’être naturel, rester comme nous sommes... Si nous nous acceptons de cette manière, nos amis et familiers le feront aussi . Une observation au lecteur : Jean est bisexuel, donc il est attirĂŠ par les deux genres. La raison pour laquelle le rĂŠcit se concentre dans ses relations avec les hommes est due aux problèmes d’acceptation dont il a souffert.

ÂŤ Mon cĹ“ur n’a pas de genre. Je pourrais tomber amoureux d’un homme ou d’une femme‌ , raconte Jean. Il vient de France, il a 56 ans. Il a divorcĂŠ après s'ĂŞtre rendu compte qu’il n’Êtait pas capable de continuer un mariage de 20 ans. Il a trois enfants de ce mariage. ÂŤÂ Nous ne pouvions pas exprimer notre orientation sexuelle confortablement, nous ne pouvions pas vivre de la façon dont nous voulions , dit-il, en affirmant que la sociĂŠtĂŠ ĂŠtait moins libĂŠral. Il nous raconte : ÂŤÂ la partie la plus difficile a ĂŠtĂŠ mes enfants , lorsqu’il raconte les efforts stressants après le divorce. ÂŤÂ Pour eux, c’Êtait très difficile d’accepter que leur père soit bisexuel et de parler de ce sujet dans leurs cercles d'amis Âť. ÂŤÂ Toute ma famille connaĂŽt mon orientation maintenant. Tous ont acceptĂŠ la situation avec le temps, mais je ne dois pas vivre ma vie privĂŠe explicitement, c’est la condition‌ Par exemple, pas de main dans la main‌ De cette façon, il n’y a pas de problèmes. Le seul problème, c’est le tuyau cassĂŠ chez moi , dit-il, en souriant. Jean explique que sa fille est gay, mais elle ĂŠvite de parler ouvertement de ce sujet. ÂŤÂ Elle croit qu’elle ne pourra pas se sentir confortable dans la communautĂŠ. Je sais qu’il est difficile de parler de cette question de façon directe pour elle , raconte-t-il.


Gabriel Gabriel est né en 1988, en Colombie. Adopté par une famille norvégienne en 1989, il a grandi dans une belle petite ville à l’est de la Norvège, seul enfant brun au milieu des blonds. « Vous pouvez voir ce garçon tout brun au milieu de tous ces petits blonds aux yeux bleus sur notre photo du jardin d’enfants. Quand j’étais petit, je savais que j’étais différent. Ma famille était très gentille, très compréhensive. Un jour, nous avons eu une conversation : ‘Gabriel, tu n’es pas norvégien, mais cela ne veut pas dire que nous t’aimons moins. Même si tu es différent, tu es aussi important que les autres. Nous serons là pour te soutenir si tu veux chercher tes racines’. « Un jour alors que nous étions au salon, j’ai dit à mon père : nous sommes en 2009, nous vivons à l’époque de la technologie. Ma mère biologique a peut-être un profil sur Facebook, je connais son nom, la ville où elle vivait, sa date de naissance, et j’ai encore cette ancienne photo noir et blanc dans les mains, même si j’ai du mal à imaginer l’apparence de ma mère à partir de cette image ». « Nous nous sommes connectés sur Facebook et j’ai cherché à partir du nom complet de ma mère. C’était un nom espagnol, très commun en Espagne et en Amérique du Sud. J’ai trouvé plusieurs profils. Au début, j’ai pensé que c’était impossible de la retrouver mais je voulais essayer ».

« Je suis tombé sur son profil quelque temps après. Le nom complet, la ville et l’année de naissance correspondaient. ’Serait-ce possible ? Ai-je pensé. Je ne parlais pas l’espagnol à cette époque. Mon père le parlait un peu pour avoir passé du temps en Colombie. Comme c’était assez simple, il a pu m'aider à écrire ce message : ‘Bonjour, je m’appelle Gabriel Castaño (le nom donné par ma mère). Je suis né à Bogota, en 1988. Vous avez le même nom que ma mère, vous êtes née la même année et habitez la même ville. J’ai 21 ans, j’habite actuellement en Norvège et je cherche ma mère biologique. Serait-ce possible que ce soit vous? Cordialement’ ». « J’étais vraiment excité. Nous n’avons pas eu de réponses et le profil a disparu quelque jours après. Ça n’avait pas de sens. Soit j’avais écrit à la personne incorrecte, soit j’avais écrit à la bonne personne et provoqué quelque chose. Aucune réponse pendant les trois années suivantes, puis, un soir à la fin de cette période, j’ai reçu une sollicitation d’amitié sur mon profil Facebook. Vous devriez demander à mon ami comment j’ai réagi sur le moment, car je n’en ai plus aucun souvenir. J’étais totalement en état de choc. Le profil avait le nom de ma mère, elle était la personne à qui j’avais écrit trois ans avant. Nous avons commencé à parler. Je ne parlais pas l’espagnol et elle ne parlait pas l’anglais. Nous essayions de communiquer en utilisant le Google Traducteur, mais c’était très difficile. Puis, j’ai décidé d’aller lui rendre visite pour mon anniversaire ». « Ça s’est passé comme dans ces programmes de télévision où les gens se retrouvent après des années. Ma mère et sa famille d’un côté, moi et ma famille norvégienne de l’autre côté… Nous nous sommes enlacés en cercle. Ma mère a commencé à dire des choses que je ne pouvais pas comprendre ».


Gabriel

ÂŤÂ Quand ma mère a dĂŠcouvert qu’elle ĂŠtait enceinte et l’a dit Ă mon père, il a fait ce que font beaucoup d’hommes colombiens, il l’a quittĂŠe. Enceinte, elle ĂŠtait très jeune quand elle a ĂŠtĂŠ abandonnĂŠe. Sa grand-mère ĂŠtait très vielle et pour elle, un bĂŠbĂŠ hors mariage, ĂŠtait inacceptable. Alors ma mère n’a pas eu le courage de raconter la situation Ă sa famille. Elle est partie Ă Bogota et a dĂŠcidĂŠ de trouver du travail et de rester lĂ . Je suis nĂŠ prĂŠmaturĂŠment en 1988 Ă l’hĂ´pital. Apparemment, il y a eu quelques complications Ă l’accouchement, dont certaines auraient pu ĂŞtre fatales. Un jour, ils m’ont emmenĂŠ pour faire un traitement et c’est la dernière fois qu’elle m’a vu. Elle n'a pas pu me retrouver. Alors, elle a dĂŠcidĂŠ de rentrer Ă la maison et de ne rien dire. La famille de ma mère ignorait mon existence. Elle n’a jamais pensĂŠ que je pourrais la retrouver. Quand elle a reçu mon message trois ans avant, elle n’a pas voulu y croire et ne savait pas quoi faire. Il lui a fallu trois ans pour parler de moi Ă sa famille. Ils ont rĂŠagi positivement et elle a dĂŠcidĂŠ de me contacter . Après tout cela, Gabriel a appris l’espagnol.  Il va parfois en Colombie pour passer du temps avec sa mère et sa sĹ“ur.  Il a maintenant deux familles, une en Norvège et une en Colombie. Â



Hendrik

C’est l’histoire d’un ami que j’aimais beaucoup. Il ĂŠtait plus vieux que moi et surtout plein de sagesse. A l’Êcole, il ĂŠtait maltraitĂŠ par un groupe d’Êlèves. Ils s’acharnaient sur lui, sans cesse. Pour lui, c’Êtait toujours Ĺ“il pour Ĺ“il, dent pour dent. S’ils le frappaient, il frappait. Si ils lui crachaient dessus, il leur crachait dessus. Le harcèlement continuait ainsi. Un jour, il a rĂŠagi de façon complètement diffĂŠrente. Après s’être fait taper, il a rĂŠpondu en embrassant son agresseur. Ils n'ont pas su comment rĂŠagir. Ă‡a a surpris tout le monde. Après cela, ils ne l’ont plus jamais embĂŞtĂŠ. Mon ami disait : â€œSi ils te font du mal, rĂŠponds-leur avec de l’amour. C’est facile de rĂŠpondre au mal par le mal, c’est prĂŠvisible. Par contre si tu leur rĂŠponds avec de l’amour, ils ne savent pas quoi faire. Ils ne savent pas comment rĂŠagir Ă de l’amour. Donne-leur de l’amour et crĂŠe la surpriseâ€?.


Demba Je veux ĂŞtre comme mon père. Mon père est un homme bon. Il aide toujours les gens, les enfants. Il veut que ses enfants soient heureux. C’est un bon père et un travailleur. Il fabrique et vend des masques en bois pour prendre soin de nous. J'avais une petite amie au SĂŠnĂŠgal. Mais quand je suis venu ici, notre relation s’est terminĂŠe. Je suis loin maintenant, donc ça n'a pas marchĂŠ. Peut-ĂŞtre qu'elle est avec un autre homme. Je ne sais pas. Mon rĂŞve est de devenir cĂŠlèbre. J'aurai de l'argent si je deviens cĂŠlèbre. Je pourrai aider les gens quand j'aurai plus d'argent. Beaucoup de gens vivent dans une situation difficile. Je veux les aider."

“Je suis heureux d'envoyer de l'argent Ă ma mère et Ă mes frères. Mon père me remercie Ă chaque fois. Ma famille me souhaite toujours bonne chance. Cela me fait plaisir de ressentir leur soutien mĂŞme si je suis absent.â€? Demba rĂŠcupère des papillons morts et utilise leurs ailes pour rĂŠaliser des peintures de personnages et d’animaux. Il gagne sa vie en les vendant dans les rues de Marrakech. Ayant reçu une ĂŠducation artistique au SĂŠnĂŠgal, son pays d’origine, Demba choisit une oeuvre de sa collection. "Mon travail prĂŠfĂŠrĂŠ: Mama Africa", dit-il, montrant la reprĂŠsentation d’une femme noire aux cheveux pelucheux recouverts d'ailes de papillons colorĂŠes. Demba a 26 ans. Il vit au Maroc depuis sept ans. “La vie est difficile au SĂŠnĂŠgal. Pas de travail. Je suis venu au Maroc pour gagner de l'argent et l'envoyer Ă ma famille. Au dĂŠbut, tout ĂŠtait très difficile. J'ĂŠtais seul. Je ne connaissais personne ici. Une fois j'ai ĂŠtĂŠ expulsĂŠ de chez moi. J'ai dormi peut-ĂŞtre deux ou trois fois dehors. Mais maintenant ça va, je vis dans une maison et je ne suis plus nouveau ici. Je suis au Maroc depuis sept ans. Je sais comment vivre Ma famille me manque. Mon père a deux femmes. Ma famille est musulmane. Nous sommes huit frères au total et nous sommes toujours heureux ensemble. De temps en temps, je vais au SĂŠnĂŠgal en bus pour leur rendre visite. Le trajet peut prendre cinq jours, parfois plus.



Jaume ‘’Une des choses les plus intéressantes que j’ai vécue sur l’île, fut ce sentiment étrange en me promenant un jour dans la forêt. Je n’étais pas seule parmi les arbres. L’esprit de la forêt était là avec moi.’’ Jaume est un jeune écrivain de 30 ans originaire de Barcelone. Il organise notamment des événements culturels dans sa ville. ‘’Quand j’ai décidé d’écrire ce livre, toutes les conditions étaient réunies. Mon professeur durant mon doctorat me soutenait, désireux de voir publié un livre de jeunes voyageurs. ‘Trouve et écris l’histoire de tes voyages’ m’a-t-il dit. Un éditeur était par ailleurs également partant. ’’ ‘’Je m’étais déjà rendu au Canada et savais qu’il y avait beaucoup de tribus disséminées à travers le pays. En faisant des recherches, j’ai découvert une île dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, et presque inconnue de tous (y compris des canadiens) : l’île ‘Haida Gwaii’, située dans le nord du Pacifique. Je décidai donc d’écrire sur les tribus y vivant, me rendant sur place pour y développer mes recherches. Après 3 mois de silence, je contactai l’éditeur qui me répondit qu’il ne souhaitait plus publier le livre. ‘’La culture de cette île est peu connue, donc nous pensons qu’il ne va pas vendre beaucoup’’. Je fus très déçu par cet argument purement commercial, à mes yeux paradoxal car émanant d’une maison d’édition sensée donner une place aux jeunes voyageurs et aux cultures différentes.

Certes, le livre n’avait pas pour vocation de devenir un ‘’best seller’’ mais il serait un témoignage authentique sur la condition des gens qui vivent là-bas. J’ai continué d’écrire le livre pour moi-même, en effectuant des recherches et en vivant parmi ces gens. J’ai beaucoup appris d’eux. Un des principes fondamentaux des indigènes de l’île est l’équilibre nécessaire dans toutes les choses. Ils vivent étroitement liés à la nature et estiment qu’ils doivent lui rendre ce qu’ils ont pris d’elle. C’est ce qu’enseigne leur mythologie également, à travers de nombreuses légendes. L’une d’elle raconte qu’Corbeau de la mer a créé leur île. Ce Corbeau est un reflet complexe de l’homme lui-même et est également décrit comme un filou, en raison de son effet transformateur et changeant. C’est aussi un symbole d’être créatif et curieux. La communauté Hayda est une communauté matriarcale qui possède différents clans, tels que les Aigles et les Corbeaux. Pendant longtemps, le gouvernement canadien n'a pas respecté les règles de l'Île. Il a notamment emporté des totems représentant des familles, des clans pour les exposer dans des musées. Des enfants de l’île ont été confiés à des pensionnats du Canada, mais ces enfants qui ont étudié et obtenu leur diplôme au Canada ne retournent pas sur l'île après l'école, préférant souvent rester dans les villes. Ils ne parlent pas leur propre langue. Ceux qui parlent la langue des peuples de l'île sont généralement âgés. De nombreuses protestations et manifestations ont eu lieu à l’encontre des politiques du gouvernement Canadien, les contraig-


Shannon Shannon « C’était en Février, j’arrivais à la maison depuis l’école. Maman était en train de cuisiner. Soudainement, elle m’attrapa et commença à faire des exercices de Tai Chi . Elle bougeait ses bras et ses mains doucement dans les airs, en faisant des allers-retours comme si elle dansait. Elle me dit: « C’est du Tai Chi. Reste en équilibre tout en bougeant le haut de ton corps vers l’avant. Fais-le comme une femme sexy ». J’ai crié «Mamaaan!», gênée. J’avais 17 ans. Je l’ai tout de même fait. Au moment où j’allais quitter la cuisine et rejoindre ma chambre, elle m’a retenu par l’épaule et m’a dit : « C’était l’un des plus beaux jours de ma vie quand je t’ai prise dans mes bras pour la première fois. Je t’aime énormément.» J’étais heureuse. Je l’ai remerciée et lui ai dit que je l’aimais énormément aussi, puis j’ai quitté la chambre. C’était la dernière fois que je voyais ma mère». J’ai rencontré Shannon à Marrakech au Maroc. Elle a 25 ans et vient du Canada. Elle a décidé de quitter son travail de Chef Pâtissière et de voyager autour du monde. Au moment de notre rencontre, elle pensait à rentrer au Canada quelques temps pour travailler, économiser de l’argent et continuer à voyager. « Maman était une femme très spirituelle. Je pense qu’elle savait qu’elle allait décéder. Je l’ai vu à l’hôpital peu de temps après sa mort, couverte de tuyaux. Cependant la dernière image que je garde en mémoire c’est quand elle pratiquait le Tai Chi dans la

cuisine, heureuse. Je me souviendrai toujours d’elle comme ça. Je crois que cela s’appelle « l’Effet Marilyn Monroe ». Je n’ai pas vu ma mère vieillir. Je me souviendrai toujours d’elle comme une femme très belle et joyeuse». « Cela m’a pris beaucoup de temps pour que ma colère passe. J’avais seulement 17 ans. J’avais encore besoin de ma mère. Elle n’aurait pas dû partir. Je me revois révoltée «Pourquoi moi ? » Nous étions une très belle famille et nous ne méritions pas ça. Plus tard, un ami m’a dit « si tu te demandes « pourquoi moi ? » pour toutes les choses négatives qu’il t’arrive, tu dois faire pareil pour toutes les choses positives. Parce que personne ne mérite la mort d’un proche ». « La mort de ma mère m’a beaucoup appris. J’ai grandi avec cette expérience. J’ai appris à voyager, en étant autonome, confiante et en aimant plus fort… Parce que tu ne sais jamais. Tu ne sais jamais de quoi demain sera fait». « Elle est là quand j’ai besoin d’elle. Parfois avec le soleil, d’autres fois sous la forme d’un papillon qui se pose sur moi. J’étais en Inde au moment du 8ème anniversaire de sa mort, allongée sur la plage. Je me suis dit : « J’aimerais qu’elle soit là maintenant avec moi pour que je puisse lui raconter ma journée », elle me manquait beaucoup. Il y a une chanson qui me fait toujours penser à elle. C’est « The Sweetest Taboo » de Sade. Dès que je pense à elle, la chanson démarre quelque part derrière moi. Ma mère… elle trouvait toujours un moyen ». « Maman aimait ses enfants et les protégeait. Je la sens encore me protéger quand j’ai besoin d’elle. Durant l’un de mes voyages, j’ai eu peur et je ne savais pas quoi faire. J’ai entendu sa voix dans ma tête me dire « quitte cet endroit immédiatement », je l’ai fait, et il ne s’est rien passé. J’étais très jeune, 19 ans et naïve. Je n’aurais pas pris cette



T.A La réponse que je recevais à ma question « Comment avez-vous eu le courage de nager jusqu’à un autre pays ? » était « Parfois, les choses qui semblent être les plus difficiles sont, en fait, les plus simples ». T. A. s’est préparé à une longue expérience à la nage de 11km. De telles pensées existaient depuis un certain temps. Pendant ses jours comme prisonnier, il pratiquait des exercices et il prenait des douches froides pour être prêt à supporter l’eau froide. Lorsque le jour de sa libération est arrivé, il a commencé à chercher des possibilités pour sortir du pays où il se sentait en danger. « Il y a eu d’autres opportunités pour partir. Peut-être, elles semblaient plus sûres que de nager. Il y avait un groupe qui emmenait des gens illégalement vers l’étranger. Cependant, faire un accord avec eux semblait plus risqué que de nager pour moi, car je n’avais pas confiance en eux. N’importe quoi pourrait se passer. Je ne serais pas au contrôle de mes risques. Nager, c’était différent. Tout serait sous mon contrôle et celui de la nature. On m’a demandé : « est-ce que vous le ferez ? ». Je leur ai dit « Je ferai un accord avec les vagues ». J’ai observé la mer pendant quelque temps, j’allais nager pendant des heures et je revenais. Les vagues étaient plus grandes pendant la nuit.

Une autre chose que j’ai remarquée : les vagues ne t’atteignent pas, mais elles t’emmènent avec elles. C’était comme un swing. Elles te poussent vers le haut et te tirent vers le bas. Je ne battrais contre les vagues. Lorsqu’elles me pousseraient vers le haut, j’en tireraient plus d’avantages. Les vagues faisaient plus ou moins 2 mètres. Je pourrais les atteindre à certains moments chaque fois ». T.A. a réussi à nager de la Turquie vers la Grèce en 9,5 heures après une longue période de tests et d’innombrables arguments. Il a laissé la plage après avoir dit au revoir aux gens qui lui étaient chers, portant sa tenue de plongée, son bonnet de bain et son sac de boissons énergétiques et de chocolats. « Connaissez-vous le livre Papillon, de Henri Charrière ? Il raconte la recherche de la liberté d’un condamné qui a été obligé de vivre une vie de travaux lourds en raison d’un crime qu’il n’avait pas commis. Mon intérêt pour la lecture peut avoir influencer mon choix », a-dit-lui, en souriant. « J’ai confiance en mes habilités de natation, je pourrais être dans l’eau pendant des jours, mais je ne connaissais pas la mer. Les cours d’eau ont été un autre risque. Pourtant, d’après mes recherches, je me suis rendu compte qu’il était plus probable que les cours d’eau surgissent autour de l’île en raison de la forme de la côte. Mais elles pourraient être fatalement froides. Ce sont les conditions que je devais accepter. J’ai commencé à nager. J’étais fatigué après quelque temps, il me fallait élaborer un style de nage qui m’était convenable. J’ai commencé à nager sur le dos à chaque fois que je ressentais de la fatigue.


Pendant que j’alternais la nage sur le ventre et sur le dos, j’ai eu des crampes aux pieds. J’ai appris avec un plongeur auparavant comment réagir à cette douleur. Pour que vous le sachiez, vous tenez le muscle et le tirez en sens inverse où la crampe a lieu . J’ai continué à nager de cette façon ». « Après quelque temps, j’ai commencé à avoir mal à l’estomac. Nous avions mangé de la pastèque, moi et les personnes qui étaient à la plage pour se dire adieu. Le problème est que la pastèque est diurétique. Je portais une tenue de plongée et un slip de bain, en plus de la pression de l’eau… J’avais beau essayer je n’arrivais pas à uriner. Cette situation a été l’un des aspects les plus difficiles pendant le parcours ». « J’ai observé une petite lumière stroboscopique au loin, située sur l’île où j’essayais d’arriver. J’ai tenté de faire des mouvements en direction du phare, mais il était difficile de percevoir si j’en m’approchais. Après quelque temps, je me suis rendu compte que réellement j’en étais plus près, donc j’ai pensé « même si c’est un petit mouvement comme celui d’un escargot, j’avançais. C’est ça la vie. C’est ça la liberté ». « Je me suis caché dans les arbustes pendant quelques jours lorsque je suis arrivé sur l’île. Quand j’ai décidé d’en sortir, j’ai noté qu’il y avait quelques familles sur la plage. Je ne parlais pas un mot de grec et que quelques-uns anglais. J’ai commencé à descendre avec ma tenue de plongée, mes cheveux tous en pagaille… En marchant inconfortablement je me suis aperçu qu’il n’y avait pas de raison pour paniquer. Ça ne dérangeait personne.

En Turquie, les gens regarderaient en essayant de percevoir qui était cette personne et ce qu’elle faisait là. À ce moment-là, j’ai compris « Je suis vraiment en Europe ». Ça ne dérange personne. Ils sont libres ». « J’avais vraiment très soif. J’ai vu un couple, j’ai décidé de m’approcher d’eux et leur demander de l’eau. Ils m’ont dit qu’ils n’en avaient pas. Une fois de plus, à ce moment-là, je m’en suis aperçu « Je suis vraiment en Europe. Les gens sont égoïstes. Personne ne te refuserait de l’eau à Anatolia ». « Ma première impression d’Europe a été : tous sont libres, mais ils sont égoïstes. Quelque temps après mon arrivée, j’ai vu des nouvelles sur le groupe qui faisait du trafic de personnes avait été arrêté. Là où j’ai nagé, entre 40 et 50 personnes sont mortes, lorsque leur bateau a coulé. Je me suis marié après quelque temps, nous avons une fille. Nous avons voulu lui donner un prénom qui indique l’espoir et la victoire. Nous lui avons donné le nom de la plage où je suis arrivé». « J’ai apporté avec moi une branche sèche des arbustes où je me suis caché pendant quelques jours. A chaque fois que j’écoute qu’il y a du feu sur cette île, je me vois en train d’ y penser … J’ai apporté aussi quelques coquilles d’escargot de ces mêmes arbustes. Pourquoi ? Si jamais j’oublie tout, ils vont me rappeler ce qu’est aller de l’avant même si on le fait à la vitesse d’un escargot… »


Ronja J’ai décidé de prendre des photos lorsque j’ai senti que l’avis de ma famille ne faisait plus de sens. Mais ma mère ne me le permettait pas, elle disait : « les filles ne prennent pas de photos ». Donc, je le faisais sans sa connaissance. J’avais trouvé un appareil photo disponible et je le laissais à la maison en évidence. De cette façon, ma mère pensait que j’avais laissé mon propre appareil chez nous. J’appartiens à une famille de descendants kurdes qui ont emménagé en l’Allemagne venaut Diyarbakir (Turquie). Nous avons été élevés d’une façon conservatrice, telle que ma mère ne permettait pas que nous nous habillions sans manches longues. Il nous était interdit de sortir la plupart du temps. Je me sentais prise dans une cage, généralement j’étais assise à côté d’une fenêtre en regardant dehors… Si vous voyez mon portfolio, vous vous rendez compte que les photos sont normalement prises à travers la fenêtre ou quelque chose comme ça… Je me suis rendue compte de ça après quelque temps, en regardant moi-même mon portfolio. J’avais vraiment envie de liberté. Un jour, j’ai pris mon appareil et je suis sortie de ma maison. C’était intéressant, toutes les fois que je laissais les choses se passer, je finissais exactement où je voulais être. Alors que je fuyais de ma maison et me cachais quelque part, je me suis rapprochée d’un gamin de 12, 13 ans, et il m’a demandé d’utiliser mon portable pour appeler la police. Je le lui ai donné.

Pendant nous attendions l’arrivée des policiers, le garçon m’a raconté qu’il avait fui car il lui était interdit sortir de la maison. C’était plus qu’une coïncidence. Lorsqu’il est entré dans la voiture de la police, le garçon s’est tourné vers moi (il paraissait un adulte à ce moment-là) et il a dit : « Ok, je te souhaite tout le meilleur, je vais me débrouiller ». Nous avons dit « machs gut », en allemand. Cette expression est utilisée quand nous ne sommes pas sûrs si nous verrons la personne de nouveau. C’est comme dire : « je te souhaite de bonnes choses » ou « soigne-toi, fais tout correctement ». Il a répondu « machs gut » et est parti. Cet évènement a eu lieu il y a sept ans, je ne l’ai plus vu. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais je ne suis jamais rentrée chez mes parents. Je continue á vivre ma vie.


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