L’ARCHITECTURE ADAPTABLE Entre mutabilité et identité
E622 // Rapport d’études // Licence 3 FPC Etudiant : Lucas BRUNETTE Enseignant Tuteur : Elodie MAS 08/06/18
« Un objet complexe est difficile à désorganiser car il a une grande résistance au changement. Pour le modifier – pour modifier les relations entre ses composants ordonnés – il faut un nouvel apport d’énergie qui est d’autant plus important que l’ordonnancement premier a été fort »
Jean-Marc Huygen, La poubelle et l’architecte, Ed Actes Sud, 2008
SOMMAIRE
INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 4 LE BATIMENT REVERSIBLE, TENDANCE CONSTRUCTIVE EN PLEIN ESSOR................................................ 5
1. A. B. C.
CONTEXTE ACTUEL DE LA CONSTRUCTION ET LOGIQUE ECONOMIQUE ......................................................................... 5 ORIGINE DE L’ADAPTABILITE ARCHITECTURALE ET FLEXIBILITE DANS L’HABITAT ............................................................. 8 LE BATIMENT REVERSIBLE, VRAIE REPONSE ARCHITECTURALE AUX ENJEUX SOCIETAUX ET URBAINS ACTUELS ?................... 12 L’ESPACE ADAPTABLE EN REPONSE A DES USAGES EN CONSTANTE MUTATION ................................... 14
2. A. B. C.
L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL, EXEMPLE D’UN ESPACE ADAPTE DEVENU ADAPTABLE ................................................. 14 RAPPROCHEMENT DES USAGES PUBLICS ET PRIVES : VERS UNE MEME LOGIQUE SPATIALE ET FONCTIONNELLE ................... 16 NOUVELLES TEMPORALITES EN ARCHITECTURE .................................................................................................... 17 L’ESPACE CAPABLE, NOUVELLE ESSENCE ARCHITECTURALE ............................................................... 19
3. A. B. C.
DISPOSITIFS ARCHITECTURAUX DE L’ESPACE ADAPTABLE ........................................................................................ 19 L’ESPACE GENERIQUE COMME ESPACE ARCHITECTURAL IDENTITAIRE ........................................................................ 25 VERS UNE ARCHITECTURE DE MOUVEMENT......................................................................................................... 28
CONCLUSION .................................................................................................................................................. 31 GLOSSAIRE .................................................................................................................................................... 32 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 33 RESUME ......................................................................................................................................................... 34 ABSTRACT ...................................................................................................................................................... 34 MOTS CLEFS ................................................................................................................................................... 34
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INTRODUCTION
L
’Homme a d’ores et déjà plus construit au cours deux derniers siècles que depuis le début de l’Humanité advenu il y a près de quatre cent mille ans. Croissance démographique mise à part, cette tendance témoigne de l’importance grandissante que l’on accorde aujourd’hui à construire des bâtiments qui se spécialisent et se diversifient pour correspondre toujours mieux à nos modes de vie. L’art de la construction évolue ainsi au gré des aspirations humaines telle une nécessité fondamentale de la société contemporaine. A l’ère de la mondialisation, les problématiques sociétales se recentrent sur la nécessité de s’adapter à un contexte de proximité avec une réactivité toujours plus grande. Le post-modernisme ayant replacé la vie quotidienne au cœur des préoccupations architecturales de notre époque, nos manières d’habiter, de travailler, de se déplacer et d’échanger évoluent et se complexifient : elles impactent fondamentalement notre façon d’imaginer les limites de l’espace dans lequel nous nous exprimons, portée par les formes émergentes de communication et le progrès technologique. La propension de l’Homme aux nouvelles expérimentations architecturales et constructives a su lui offrir jusqu’alors les perspectives de répondre à ses ambitions d’habiter le monde, tout autant qu’elle a créé de nouveaux besoins en termes d’usage et de mobilité. Aujourd’hui, la nécessité de reconvertir des espaces de plus en plus adaptés et spécialisés relève d’un processus complexe alors que nos usages évoluent toujours plus rapidement, ne cessant d’engendrer de nouvelles attentes vis-à-vis de l’architecture contemporaine. Ce degré de complexité fait naître chez les concepteurs et autres acteurs de la construction la nécessité d’imaginer de nouveaux espaces architecturaux et urbains ayant la capacité de s’adapter à ces évolutions, dans une logique toujours moins consommatrice de temps et de moyens. Ce sont ces nouvelles logiques spatiales qui seront interrogées au cours de cette réflexion. L’objectif premier sera alors de questionner la manière dont elles peuvent constituer une réponse viable aux enjeux actuels liés au besoin d’évolution des usages, puis d’établir les facteurs qui sont au cœur de cette problématique ainsi que les réponses architecturales qui peuvent y être apportées.
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1. Le bâtiment réversible, tendance constructive en plein essor a. Contexte actuel de la construction et logique économique Le principe de réversibilité d’un bâtiment consiste à intégrer des dispositions techniques et spatiales qui permettront ultérieurement à ce même bâtiment de changer d’usage le plus simplement possible, c’est-à-dire avec un minimum de contraintes techniques et financières. La réversibilité d’un bâtiment résulte donc d’un choix de conception qui se décide dès les premières esquisses d’un projet de conception : la mise en espace du projet est prévue en amont de telle sorte qu’elle puisse accueillir deux usages distincts de manière successive dans le temps, et ce sans avoir à en modifier les caractéristiques fondamentales (structure, façades, alimentations en énergie et en eau, circulations, etc.). Une opération de réversibilité d’un projet de construction se distingue ainsi de la reconversion non programmée d’un bâtiment qui nécessite pour sa part une réhabilitation lourde du bâti, dans le cas de figure où son changement d’affectation est recherché. Pour comprendre la raison pour laquelle les programmes de bâtiments réversibles intéressent particulièrement les acteurs de la construction - promoteurs immobiliers en tête -, il est nécessaire de se placer dans une logique de rentabilité : les programmes de bâtiments réversibles permettent en effet d’adapter proportionnellement les différentes typologies des espaces créés en fonction du marché de l’immobilier, et ce pendant la conception voire après la réalisation du bâtiment. A titre d’exemple, les surfaces tertiaires générées par une opération et qui rencontreraient des difficultés à être louées ou vendues selon le contexte économique local peuvent être aisément reconverties en habitation. Il en résulte donc une faisabilité économique offrant sensiblement plus de garanties quant au niveau de rentabilité de l’opération, dans la mesure où le projet est conçu pour respecter la logique financière de retour sur investissement programmée simultanément pour l’une ou l’autre typologie d’usage (tertiaire ou logement). Cette logique de réflexion permet de comprendre en quoi ce type de programme est particulièrement adapté aux opérations de construction du secteur immobilier privé, ainsi que la raison pour laquelle l’émergence d’opération réversibles d’immeubles tertiaires est constatée. De nouveaux types d’opérations immobilières privées font actuellement leur apparition dans plusieurs grandes métropoles françaises : ces opérations de construction qui émergent aujourd’hui donnent naissance à des bâtiments de bureaux communément appelés bâtiments réversibles. La conception architecturale de l’opération Black Swans 1 réalisée dans le quartier Rive Etoile à Strasbourg pour le compte d’Icade Promotion, et imaginée par l’agence Anne Demians Architecture, a dès le départ intégré un principe de réversibilité d’usage. Généralisé à l’ensemble du projet devant initialement accueillir un important programme tertiaire de bureaux au cœur d’un programme mixte, le principe de réversibilité adopté a permis d’ajuster la répartition des typologies de locaux de l’opération en fonction des ventes réalisées. Entre le concours et le dépôt du Permis de Construire de l’opération, il en a résulté une modification de plus de 50% des surfaces tertiaires vers d’autres typologies d’usage du programme initial ou apparues en cours d’études (logements, résidence séniors, hôtellerie, etc.). Le caractère réversible de ces bâtiments a ainsi donné la possibilité au promoteur de s’adapter à l’évolution de la réalité économique du contexte local au cours de l’opération. Malgré les analyses de marché réalisées en amont de opérations de construction, le marché de l’immobilier d’entreprise reste en effet difficilement prédictible et le risque existe pour les financeurs 1
Voir Figures 1 & 2 en page 7
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d’opérations de se retrouver in fine à proposer des surfaces tertiaires à la vente ou à la location qui ne trouvent pas preneur du fait des besoins fluctuants des entreprises du secteur privé. Leur potentiel programmé de reconversion de ces opérations en logements – usage dont la demande reste toujours forte et ce quasi indépendamment de leur situation géographique en France – apparaît alors comme une solution plausible afin d’éviter l’émergence de bâtiments non exploités. Le syndrome de l’immeuble de bureaux vacant est pourtant plus que jamais d’actualité au cœur des métropoles urbaines françaises et notamment à Paris, où des bâtiments de bureaux traditionnels continuent d’émerger. Début 2016, l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE) indiquait que la France disposait alors d’un parc immobilier de plus de 5 millions de m² de bureaux vides en France dont 3.9 millions en en Ile-de-France, et chiffre plus évocateur encore qu’1,2 millions de m² de bureaux seraient vacants depuis plus de 3 ans en Ile-de-France 2. Ces chiffres témoignent ainsi de la difficulté de prédire les besoins d’un marché tertiaire à un instant précis en tenant compte des délais de réalisation incompressibles d’une opération immobilière, obligeant alors les promoteurs à spéculer sur ses besoins potentiels à venir d’une zone géographique donnée avec plus ou moins de réussite. Le concept du bâtiment réversible serait donc susceptible de constituer une réponse plausible à la nécessité de flexibilité des opérations de construction actuelles, et éventuellement de présenter le potentiel pour être étendu à d’autres typologies d’opérations et donc d’usage. Néanmoins pour affirmer la viabilité à plus long terme de ces solutions constructives, il apparaît nécessaire de s’interroger sur le fait que le concept de flexibilité a été l’objet de plusieurs expérimentations de construction au cours du XXème siècle, sans pour autant avoir débouché sur la démocratisation d’un principe d’architecture pertinent et en mesure de répondre à la problématique actuelle.
ORIE (Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise en IDF), Février 2016, Rapport de synthèse du colloque/étude : L’immobilier réversible et les nouveaux modes de production 2
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Figure 1 : Vue aérienne des 3 bâtiments de l’opération Black Swans à Strasbourg, Anne Demians Architecte, 2017
Figure 2 : Schéma conceptuel de la matrice originelle du bâtiment réversible, matrice aménagée en bureaux et matrice aménagée en logements
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b. Origine de l’adaptabilité architecturale et flexibilité dans l’habitat Les prémisses du principe de flexibilité de l’architecture contemporaine apparaissent à la fin du avec les travaux de Frank Lloyd Wright sur l’habitat individuel. Dans son concept de Prairie House, Wright initie le développement des espaces décloisonnés et ouverts dans le plan à partir d’un noyau central : cela constitue le point de départ de l’espace mobile permettant un aménagement intérieur libre. Il fait par la suite aboutir ce principe d’adaptation de l’espace avec la Usonian House, concept d’habitat individuel qui introduit le principe de plan mobile à l’aide de cloisons mobiles permettant d’ouvrir ou de cloisonner l’espace au gré des besoins de l’occupant. XIXème siècle
Ces principes de flexibilité spatiale sont poursuivis au lendemain de la première guerre mondiale par les architectes du mouvement moderne. Le Corbusier travaille ainsi sur la l’adaptation de l’espace à l’usage à l’aide du mobilier intégré et du cloisonnement dans la Villa Le Lac en 1923 3, puis sur la notion de la fusion des espaces ouverts autour du parcours avec la Villa Savoye en 1931. Dans la foulée, Gerrit Rietveld avec la Villa Schröder en 1925 4 puis Pierre Chareau avec la Maison de verre en 1927 affirment avec aboutissement le concept de cloisonnement coulissant et du mobilier escamotable pour libérer l’espace au profit de l’usage. Ce concept est enfin poussé à son paroxysme dans l’architecture minimaliste de Ludwig Mies Van der Rohe avec la Villa Tugendhat en 1929 5, puis dans celle de Richard Neutra avec la VillaKaufman en 1946, avec le développement de techniques constructives ayant permis d’ouvrir les espaces habitables sur l’extérieur à l’aide de murs de verre mobiles. Les recherches menées sur la flexibilité dans l’habitat individuel restent cependant restées au stade du prototype et de l’expérimentation à cette époque : celles-ci ne sont pas conçues dans une optique de standardisation et sont justement réservées à une classe sociale élevée ayant les moyens financiers de les faire réaliser pour sa propre nécessité. A la suite de la seconde guerre mondiale, les réflexions sur la maison préfabriquée et à prix abordable prennent le pas sur les expérimentations liées à la flexibilité dans l’habitat. Le besoin urgent de construire des logements suite aux destructions massives causées par les bombardements en Europe, ainsi qu’à l’absence d’investissement dans la construction suite à l’effort de guerre aux Etats-Unis amènent d’autres priorités : les réflexions architecturales se concentrent sur le développement d’un habitat pouvant être produit massivement en série et à faible coût. Le concept de flexibilité spatiale est remis au goût du jour à la fin de la période de la reconstruction dans un contexte de remise en cause de l’identité architecturale mondiale marquant la fin du style international. Les réflexions sur l’habitat modulaire se poursuivent avec les architectes post-modernistes de l’époque. Alison et Peter Smithson avec la House of the Future 6 en 1956 puis Frederick Kiesler avec la Endless House 7 en 1959 conçoivent des habitats modulaires indépendant monoblocs et multi-fonctions : ceux-ci vont ensuite servir de base à l’exploration de la flexibilité architecturale par l’agrégation ou l’extension d’éléments, que l’on retrouve chez Moshe Safdie en 1967 avec son projet de logements collectifs Habitat
Voir figure 3 en page 9 Voir figure 4 en page 10 5 Voir figure 5 en page 10 6 Voir figure 6 en page 10 7 Voir figure 7 en page 11 3 4
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67 8 pour l’exposition universelle de Montréal, puis dans l’architecture métaboliste japonaise. Ces principes se retrouvent encore dans de nombreux exemples d’architecture contemporaine. Au cours du XXème siècle, l’habitat individuel et plus récemment les projets d’habitation collective ont donc constitué un terrain de jeu pour l’expérimentation des théories sur la flexibilité de l’espace en architecture. Comme l’évoque justement Jonathan Bell, l’habitation est « le laboratoire, le tube à essai et le plat de Pétri des formes, des technologies et des nouveaux modes de vie »9. Ces expérimentations ont créé une véritable dynamique pour l’architecture dans sa globalité, qui dépasse aujourd’hui le cadre de l’habitat individuel. Ces réflexions sont aujourd’hui remises au cœur des problématiques actuelles avec ce même objectif de chercher à répondre aux besoins de la société contemporaine par l’architecture. Pour distinguer ce qui a déjà expérimenté de ce qui est sur le point de l’être aujourd’hui, l’architecte espagnol Gustau Gili Galfetti distingue trois différentes notions de conception comprises dans le concept de flexibilité architecturale. Primo, la mobilité de l’espace expérimentée durant le mouvement moderne et qui permet en premier lieu une reconfiguration interne instantanée de celui-ci, le degré de reconfiguration restant toutefois limité. Secundo, la notion d’élasticité de l’espace amenée par les postmodernistes, et qui permet son expansion ou sa compression à l’aide de systèmes agrégatifs ou modulaires. Enfin, le principe de l’espace adaptable qui met en jeu son adaptabilité soit sa capacité intégrée de modification ultérieure de manière pérenne en terme d’usage. Ce sont aujourd’hui les prémisses de cet notion d’espace adaptable qui sont mis en œuvre au sein des projets de construction de bâtiments réversibles. Les espaces générés possèdent ainsi un potentiel intégré de modification ultérieure à la différence près que celui-ci est programmé pour des usages donnés dès la conception du bâtiment. Si les expérimentations sur la flexibilité architecturale s’observent désormais dans des proportions inédites, elles amènent néanmoins à s’interroger sur la pertinence des réponses architecturales, urbaines mais aussi sociétales qu’elles apportent.
Figure 3 : Vue intérieure du mobilier intégré modulable de la Villa Le Lac, Le Corbusier, 1923
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Voir figure 8 en page 11 Propos rapporté par Robert Kronenburg de Jonathan Bell, dans introduction à « The Transformable House », Architectural Design série 146, vol. 70, n°4, 2000 9
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Figure 4 : Vue intérieure du cloisonnement mobile coulissant intérieur de la Villa Schröder, G. Rietveld, 1925
Figure 5 : Vue intérieure d’une paroi vitrée extérieure escamotable, L. Mies Van der Rohe, Villa Tugendhat, 1929
Figure 6 : Axonométrie du projet de la maison modulaire House of the Future, Alison & Peter Smithson, 1956 Page | 10
Figure 7 : Maquette de la maison continue Endless House, Frederic Kiesler, 1959
Figure 8 : Vue panoramique du projet d’habitation collectif modulaire Habitat 67, Moshe Safdie, 1967
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c. Le bâtiment réversible, vraie réponse architecturale aux enjeux sociétaux et urbains actuels ? La problématique du manque de logements en France est régulièrement remise à l’ordre du jour. Des mesures sont ainsi créées par les gouvernements successifs afin d’inciter les bailleurs, les constructeurs ainsi que les collectivités à engager des chantiers de construction pour atteindre les quotas annuels de logements fixés et qui présentent aujourd’hui des difficultés à être respectés. Il s’avère donc intéressant de voir de quelle manière le potentiel de réversibilité des programmes de bureaux actuellement proposés impacte potentiellement cette dynamique. Au vue de l’importance accordée au travail dans la société contemporaine, l’objectif premier des opérations réversibles demeure de créer de la surface tertiaire, qui reste à ce jour un investissement immobilier plus rentable pour un promoteur. D’un point de vue sociétal les opérations réversibles s’inscrivent donc théoriquement dans cette même nécessité d’agrandissement du parc de logement par le biais du secteur de l’immobilier d’entreprise : soit les projets de construction tertiaire réversibles génèrent potentiellement dès le départ un certain nombre de logements à l’issue de leur réadaptation programmatique initiale, soit le potentiel de réversibilité des constructions tertiaires permet une reconversion ce celles-ci en immeuble de logement – à un coût optimisé par rapport à une reconversion usuelle non programmée – après une période de vacance, ou après une première vie du bâtiment en tant qu’immeuble de bureaux. Les constructions tertiaires réversibles proposent donc dans ces deux cas des solutions intéressantes pour répondre à la problématique de l’immeuble de bureau non occupé, tout en contribuant à la cohérence de l’adéquation de l’offre de logement vis-à-vis des besoins de la population. En rapport avec la progression démographique de notre société, l’hypothèse peut être prise que la dynamique sociétale en matière de construction continue de s’orienter vers une demande croissante en matière de logement. Les bâtiments de bureaux réversibles présentent ainsi tout le potentiel pour être développés, notamment dans les contextes urbains proches des grandes métropoles où la demande en logement est la plus forte et où un possible changement d’affectation en logement offre le plus de potentiel et de garanties. Si l’apparition des constructions réversibles est à encourager, l’hypothèse de la démocratisation de cette tendance constructive à l’échelle urbaine questionne cependant sur les facteurs de régulation d’une telle dynamique. Une fois ces opérations confrontées à la réalité du contexte métropolitain, la gestion des évolutions du territoire urbain qui en découle apparaît en effet difficile à maîtriser. Si l’on considère que cette régulation est principalement autogérée – par les intérêts économiques du secteur privé – il existe alors un risque d’écarter toute mixité fonctionnelle et sociale de l’équation, ce qui irait à l’encontre des principes urbanistiques actuels. Dans un tel cas de figure il ne serait ainsi pas exclu de voir émerger de nouveaux grands ensembles monofonctionnels de bureaux ou de logements, et dont l’apparition serait favorisée par la simplicité du changement d’affectation des bâtiments qui les composent et régie par le marché. Il s’en suivrait dès lors une impossibilité pour les instances publiques de prédire ces mutations urbaines et de prévoir en conséquence les équipements de proximité ou infrastructures de transports nécessaires au fonctionnement de la ville. En réponse à cette éventualité néanmoins théorique et purement spéculative, l’objectif est donc de construire un cadre législatif et réglementaire destiné à la fois à inciter les constructeurs à engager une opération de réversibilité pour un bâtiment en fonction de la pertinence de sa situation – vacance des locaux ou usage en inadéquation avec le contexte urbain et la demande – tout autant que d’encadrer ces changements d’affectation pour tenter d’en maîtriser les impacts sur le long terme.
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Dans cette optique, un Permis de Construire à double affectation – bureaux et logements – est actuellement au centre des débats publics. L’objectif de celui-ci serait alors de favoriser les initiatives des constructeurs à intégrer le principe de réversibilité à la conception de leurs opérations tertiaires, en les rassurant sur la faisabilité législative d’un changement d’affectation ultérieur sous contrôle de l’administration. Mais c’est principalement l’autorisation temporaire de changement d’affection mise en place par l’Etat depuis 2015 qui encadre aujourd’hui concrètement l’application du principe de réversibilité : elle permet au propriétaire d’un bâtiment à usage autre que d’habitation – qui aurait fait le choix de construire un immeuble réversible ou non – d’opter pour un changement d’affectation, et ce pour une durée maximale de 15 ans. Le caractère temporaire de l’autorisation permet dans un premier temps de rassurer les propriétaires réalisant cette démarche en leur assurant un retour en arrière en fonction de l’évolution du contexte économique et urbain, évitant le risque que ceux-ci ne gardent temporairement leurs biens vacants en faisant le pari d’une valorisation ultérieure. L’objectif majeur de ce dispositif est cependant de permettre concrètement un contrôle des opérations réalisées sur le territoire : un changement d’affectation pour un bâtiment peut donc être autorisé par une collectivité à condition que celle-ci ait pris soin de vérifier la cohérence de la demande avec les dispositions d’urbanisme local, les conditions d’accès et de sécurité (accès, transports publics, nuisances, etc.) ainsi que de la capacité de celle-ci à répondre aux besoins engendrés en matière d’équipements publics de proximité (crèches, écoles, équipements culturels et sportifs, etc.). La délivrance de ces autorisations sous ces conditions s’avère ainsi impérative afin d’encadrer ces opérations de façon adéquate. Leur réversibilité sous un laps de temps maximal offre en définitive tout autant de garanties pour la collectivité dans le cas d’un changement d’affectation qui n’aurait pas été concluant. De manière plus générale, il faut donc éviter une libéralisation de ce principe, de sorte qu’il soit mis au service de la réponse au contexte urbain et à la demande du moment. C’est dans les conditions sine qua non d’une incitation mais surtout d’un encadrement maîtrisés que le bâtiment réversible peut ainsi contribuer à apporter une réponse favorable à la demande croissante du logement tout en évitant le syndrome de l’immeuble de bureaux vacant. Une généralisation du principe de réversibilité semble donc à exclure tant la maîtrise de l’impact des changements de destination sur la mutation de l’espace urbain s’avère complexe et difficilement gérable. Dans un avenir proche, la mise en application du principe de réversibilité pourrait néanmoins s’envisager au sein de pôles d’expérimentation où le contexte sociétal y serait favorable et l’impact urbain anticipé, afin d’en étudier plus précisément les atouts mais aussi les limites à différentes échelles urbaines et architecturales. L’intérêt sociétal et urbain que présente le bâtiment réversible ne doit en effet pas se faire détriment de sa propre qualité d’usage : celui-ci doit également apporter une réponse architecturale sur l’adéquation du rapport entre l’(es) usage(s) et les dispositifs de spatialisation qu’il fait intervenir.
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2. L’espace adaptable en réponse à des usages en constante mutation a. L’environnement de travail, exemple d’un espace adapté devenu adaptable La notion d’environnement de travail et les espaces inhérents dédiés à l’accueillir ont connu de nombreuses évolutions au cours de l’histoire. C’est au Moyen-Âge qu’apparaît le scriptoria au sein de la communauté religieuse, première formulation spatiale d’un lieu dédié aux tâches intellectuelles dans les monastères. Ces espaces isolés permettent à l’époque aux moines de se concentrer sur leur travail d’écriture. Au cours de la Renaissance, le déplacement de la production intellectuelle du monde religieux vers le commerce et le domaine scientifique s’accompagne de l’apparition de ces espaces de travail au sein d’autres strates de la société. Entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, la démocratisation des espaces de bureaux s’amorce avec le développement des organisations administratives du fait de la centralisation des Etats. A l’instar des administrations qui emploient alors largement cette logique spatiale favorable à leurs activités, le modèle de l’espace de bureau isolé est emprunté par d’autres professions intellectuelles ou artistiques plus indépendantes, stimulées par le mouvement philosophique des Lumières prônant l’apprentissage et l’accès au savoir. La démocratisation de l’usage du bureau se poursuit pendant la période de la révolution industrielle. Vers la fin du XIXème siècle, l’invention du téléphone permet aux activités administratives et commerciales des entreprises d’être délocalisées des sites de production industrielle. Les premiers immeubles dédiés à l’accueil d’espaces de bureaux apparaissent aux États-Unis, dont la conception spatiale reste dictée par le fonctionnalisme et le taylorisme issu de ces sites de production au détriment de la qualité d’usage de l’espace : la disposition des bureaux est centrale et condensée dans de larges espaces ouverts, l’accès à la lumière naturelle n’est pas exploité. Le bureau individuel isolé reste l’espace qualitatif privilégié mais réservé aux dirigeants, tandis que le concept d’espace ouvert naît à ce moment-là afin de disposer les employés sous le contrôle de la direction. Sous l’impulsion de l’école de Chicago et de l’invention de l’ascenseur, les buildings font leur apparition et introduisent de nouvelles qualités spatiales pour les espaces de bureaux : accès à la lumière naturelle, ventilation, générosité des volumes. L’organisation spatiale de ces immeubles reste toutefois guidée par l’aspect patriarcal et hiérarchique des entreprises, dont le gain de productivité des travailleurs demeure l’objectif prioritaire. Cet axe principal de conception de l’espace perdure jusqu’à la fin des années cinquante. En parallèle de la diversification des secteurs d’activité des entreprises, l’ergonomie et le bienêtre au travail apparaissent également dans les années soixante. Le recours aux disciplines connexes en architecture – telles que la sociologie, l’anthropologie ou la médecine – se démocratisent et conduisent les concepteurs à imaginer des spatialisations tenant compte de ces notions. Les salariés en viennent également à revendiquer des droits à l’intimité vis-à-vis des espaces dans lesquels ils travaillent : c’est la fin du diktat patriarcal dans la conception des environnements de travail. Le principe de hiérarchisation spatiale et le cloisonnement des espaces de travail accompagnent ce mouvement et s’effacent ainsi au profit d’une organisation désormais basée sur les interactions entre les personnes. C’est la naissance du concept de « l’open-space » tel qu’il est connu aujourd’hui, et qui se caractérise par des subdivisions identiques et flexibles de l’espace décloisonnées et connectées entre elles pour faciliter la circulation fluide de l’information entre les travailleurs, ce qui prend alors une importance grandissante. Dans le même temps, l’apparition de l’ordinateur va marquer un autre tournant dans la perception du travail par la société qu’il va ainsi modifier en profondeur : il devient l’instrument de travail principal du travailleur à Page | 14
la place du bureau qui est relégué à une simple fonction de support. L’ordinateur représente alors l’outil de communication par excellence, qui va mettre en avant l’importance primordiale des flux d’informations et des personnes dans la rentabilité au travail. Dans les années deux mille, le concept d’espace ouvert devient ainsi l’un des principes de conception privilégié de l’espace de travail dans les locaux de bureaux en même temps que le cloisonnement est réintroduit pour des questions de respect de l’intimité des travailleurs, celui-ci pouvant prendre la forme de mobilier, de végétation ou de de divers éléments (acoustiques, etc.). La mise en commun des compétences transverses des travailleurs sont mis en avant pour développer la créativité et deviennent les nouvelles clefs de la productivité au travail. La conception spatiale des espaces de bureaux qui n’est désormais plus basée sur le contrôle des salariés, devient moins formelle pour favoriser l’échange, l’informalité et la réflexion collective qui prennent le pas sur les besoins de production pure au sein des entreprises et des administrations. Récemment, l’avènement successif et toujours plus rapide des nouvelles technologies de télécommunications (ordinateurs, téléphones mobiles, réseaux de communication sans fil, etc.) a à nouveau fondamentalement bouleversé la conception de l’environnement de travail en démocratisant la notion de mobilité du travailleur. Il est ainsi devenu possible de travailler dans presque n’importe quel environnement spatial autre que celui du bureau conventionnel tels que les lieux d’habitation, les infrastructures de transport, voire même des espaces informels pouvant varier quotidiennement. L’espace propre à l’usage du travail se retrouve ainsi partout et nulle part à la fois : L’environnement de travail qui était auparavant principalement incarné par un espace architectural techniquement adapté à l’usage du travail peut aujourd’hui être constitué par toute autre typologie d’espace dont l’usage initial importe peu, à la condition d’offrir des conditions de confort et d’intimité adéquates. Le rôle historique du bâtiment de bureaux évolue également du fait de l’évolution des philosophies d’entreprises et de la démocratisation de l’entreprenariat. Autrefois destiné à accueillir l’ensemble de son personnel de la production à l’administration, il devient aujourd’hui la représentation d’une centralité identitaire et fédératrice pour l’entreprise. Sa vocation tend désormais à porter la philosophie de celle-ci en proposant une expérience spatiale communicative de ses valeurs telle une image de marque faite pour convaincre et démontrer. En une trentaine d’année, la notion contemporaine de l’environnement de travail est donc globalement passée d’un espace physique cloisonné et figé à un espace libre de toute frontière matérielle, s’étant en partie déplacé hors des limites physiques du bâtiment de bureaux alors que celui-ci tend à devenir un espace de démonstration plus qu’un espace fonctionnel dédié à accueillir les tâches inhérentes au fonctionnement de l’entreprise. Les évolutions fondamentales développées par la société contemporaine dans son rapport au travail peuvent aujourd’hui expliquer en partie l’inadéquation grandissante entre la philosophie et les besoins immobilier actuels des entreprises avec les locaux de bureaux traditionnels, tels qu’ils sont encore conçus pour la plupart. Il est alors intéressant de montrer que cette inadéquation coïncide avec le syndrome de l’immeuble de bureau vacant constaté aujourd’hui bien qu’il ne soit pas possible d’en affirmer directement la relation de cause à effet. Dans un futur proche, l’arrivée imminente de l’intelligence artificielle est à nouveau sur le point d’impacter les besoins d’usages qu’offre une telle technologie notamment pour les entreprises. Cela implique donc plus que jamais la nécessité d’apporter des réponses architecturales capables de prendre en compte les évolutions d’usage à venir tout en tenant compte des facteurs d’influence actuels.
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b. Rapprochement des usages publics et privés : vers une même logique spatiale et fonctionnelle Le constat d’un rapprochement de nos activités professionnelles et domestiques est en train de s’établir. En effet, les sphères publiques et intimes d’une grande majorité de personnes au sein de la société actuelle mobilisent aujourd’hui plusieurs notions qui vont caractériser tant l’espace habitable, l’environnement de travail mais également l’espace public dans lequel elles évoluent. Ainsi l’intimité, la modularité, le confort et l’informalité constituent désormais les règles de conception fondamentales de l’espace architectural contemporain. Les limites physiques entre des espaces initialement destinés à des usages bien distincts s’estompent et tendent ainsi vers plus de porosité et de similarités spatiales et fonctionnelles. Ces rapprochements constatés entre les usages amènent à s’interroger voire à spéculer sur la direction commune que sont susceptibles de prendre ces nouvelles logiques spatiales à plus long terme, en fonction des évolutions sociétales. Les récents changements subvenus dans l’architecture au cours du dernier siècle laissent penser que l’on se dirige aujourd’hui vers une logique spatiale et fonctionnelle qui pourrait devenir quasi universelle, et dont les espaces qui la définissent ne seraient plus majoritairement caractérisés par les usages usuels – habitation, travail, loisirs, etc. – mais désormais par leur degré d’intimité, et au sein desquels l’importance des activités réalisées serait donc reléguée au second plan du fait des similarités qu’elles présentent. Ce niveau d’intimité pourrait ainsi se traduire par la propension de chacun de ces espaces à être plus ou moins ouvert sur l’environnement urbain, et donc sur l’échange et l’interaction entre les usagers, devenant la caractéristique fondamentale de celui-ci. Il pourrait alors en découler l’émergence de trois grands types d’espaces génériques, simplement différenciés par leurs degrés d’intimité tels qu’ils pourraient être définis actuellement : l’espace intime, l’espace semi-public et l’espace public. On ne serait alors plus dans le cas où les usagers se déplaceraient d’un espace à l’autre pour y exercer une activité donnée, mais plutôt pour y trouver le degré d’intimité qui lui serait le plus adapté. Si cette tendance reste hypothétique, ces réflexions interrogent sur les caractéristiques architecturales propres à ce qui serait alors un dispositif spatial adéquat capable d’accueillir indifféremment différentes activités ou fonctions, tout en proposant le degré d’intimité voulu. Celui-ci devrait alors présenter des dispositions architecturales naturelles et intégrées à pouvoir s’adapter physiquement aux différences résiduelles qui subsisteraient entre les activités de différentes natures qu’il devrait accueillir. Plus concrètement, il serait alors important de déterminer si ces dispositions seraient architecturalement réalisables ou s’il existe un risque de se retrouver avec des bâtiments qui présenteraient des espaces capables d'accueillir toutes les fonctions voulues, sans en satisfaire aucune complètement et séparément. Dans ce cas précis, la pertinence du caractère adaptable de tels bâtiments se ferait au détriment de l’existence d’espaces réellement adaptés aux usages prévus et donc aux usagers. De manière corollaire, il serait primordial de s’interroger sur la capacité physique d’un bâtiment adaptable à prendre en compte les modifications de l’espace nécessaire à la fois liées aux différences entre les usages qui demeurent perceptibles, en même temps que leurs évolutions sociétales futures qui restent difficilement prédictibles.
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c. Nouvelles temporalités en architecture Concevoir des bâtiments pour des usages de plus en plus perméables entre eux et évoluant de plus en plus vite tel qu’on le constate aujourd’hui ne laisse donc à priori plus de place pour une architecture figée. L’architecture doit désormais pouvoir s’adapter à l’évolution des nouveaux modes de vie et faire preuve de mobilité à son tour : la tendance va ainsi à une temporalité architecturale de l’usage devenant de plus en plus rapide, invoquant de ce fait la nécessité d’une réponse constructive de plus en plus réactive. Ce constat fait ainsi renaître la problématique de l’obsolescence accélérée des édifices. Historiquement, un édifice existant connaît généralement un changement de destination et donc d’usage une fois sa durée de vie dépassée – généralement entre 30 et 50 ans. Cette temporalité implique une restructuration importante et un remplacement de ses différents composants matériels pour continuer à vivre, la requalification de l’espace vis-à-vis de l’usage peut bénéficier de cette nécessité et se faire relativement naturellement. Dans le cas contraire, cette remise en état vital peut être différée dans le temps et le bâtiment est alors qualifié de friche dans cet intervalle de temps. Ce mode de fonctionnement est donc complètement remis en cause par cette nouvelle temporalité de l’usage. Si la mise en espace d’un bâtiment en réponse à besoin d’usage est imaginée à un instant T, le délai de conception et de réalisation de celui-ci peut s’établir de manière communément admise à plus ou moins T + 5 ans. Dans ce laps de temps nécessaire à sa construction et qui semble difficilement compressible malgré l’avènement de nouvelles technologies (maquette numérique, impression 3D, etc.), les tendances à l’utilisation de l’espace présenteront de fortes probabilités d’avoir à nouveau évolué, ayant comme conséquence de rendre le bâtiment sensiblement obsolète sans avoir été exploité du fait de son inadéquation à l’usage qu’il est censé accueillir. Cette différence de temporalité génère donc des bâtiments qui ne répondent plus aux attentes des fonctions qui leurs sont initialement confiées alors qu’ils sont matériellement fonctionnels. C’est ainsi qu’une dualité a donc émergé entre la temporalité d’usage – qui caractérise donc la vitesse d’évolution de celui-ci – et la temporalité du bâtiment qui reste pour sa part rythmée par sa durée de vie et par la réalité de ses contraintes physiques et constructives. Une réponse architecturale est donc primordiale à cette problématique d’obsolescence qui ne saurait rester en l’état dans le contexte sociétal actuel au sein duquel le manque de moyens est criant : il doit être aujourd’hui envisagé de concevoir des bâtiments capables de s’adapter aux évolutions d’usages auxquelles il est confronté en tenant compte de sa composante matérielle. Le principe d’adaptabilité d’un bâtiment se décline actuellement en deux notions principales qui sont récemment apparues au cœur des réflexions architecturales pour tenter de concilier cette double temporalité. : leur distinction se traduit dans sa capacité à accueillir les usages de manière diachronique ou alors de manière synchronique. En ce qui concerne le principe de l’adaptabilité diachronique, le bâtiment est destiné à accueillir deux usages différents dans le temps et de manière successive, dont la capacité de basculement entre ces deux usages est le plus souvent architecturalement programmée. Il s’agit de la notion qu’intègre le principe du bâtiment réversible, sur lequel on constate aujourd’hui les expérimentations les plus concrètes. En ce qui concerne le principe de l’adaptabilité synchronique, le bâtiment est destiné à accueillir des usages différents de manière simultanée, et dont la répartition spatiale entre les fonctions est évolutive : c’est ce qui le distingue notamment d’un bâtiment accueillant une mixité spatiale traditionnelle.
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Ces deux notions impliquent donc des logiques spatiales différentes bien que toutes deux basées sur la temporalité de l’usage. Leur capacité intégrée à être modifiée permet ainsi en théorie une adaptabilité de l’espace suffisante pour répondre dans une certaine mesure aux évolutions futures des usages ou à leur substitution, tout en ne nécessitant que peu de modifications constructives et donc sans remettre en cause les principes architecturaux qui sont les leurs. Les principes d’adaptabilité proposés possèdent ainsi des atouts de conception pertinents qui mériteraient d’être observés en pratique. Bien qu’ils ne dépassent pas à ce jour le stade expérimental de manière plus ou moins isolée, il s’avèrera néanmoins judicieux d’étudier les différents dispositifs architecturaux permettant l’adaptation des espaces et dans quelle mesure ils le permettent.
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3. L’espace capable, nouvelle essence architecturale a. Dispositifs architecturaux de l’espace adaptable Il existe à l’heure actuelle différentes solutions architecturales pouvant être utilisées pour produire une architecture adaptable. Bien que le caractère adaptable d’un espace puisse théoriquement s’appliquer à tous les types d’usages, les bâtiments d’habitation et de bureaux sont aujourd’hui les plus en adéquation avec ce principe et sont donc ceux autour desquels il est le plus expérimenté. Néanmoins, d’autres types de bâtiments comme les parcs de stationnement dont les caractéristiques spatiales sont proches, sont eux aussi sujets à expérimentation. En reprenant les notions sur la flexibilité dans l’architecture telles que définies par l’architecte espagnol Gustau Gili Galfetti et citées précédemment, c’est le principe de l’adaptabilité d’un espace qui est ici questionné, soit sa capacité intégrée de modification ultérieure de manière pérenne pour accueillir l’usage. Il convient donc d’appréhender les atouts, les contraintes mais aussi les limites liées à chacun de ces principes de conception. Steven Holl est l’un des premiers architectes à avoir expérimenté l’architecture adaptable au sein d’une résidence de logements collectifs réalisée à Fukuoka au Japon en 1991 10. Les logements conçus par l’architecte y introduisent la notion d’espace intérieur articulé : chacun des logements bénéficie d’un cloisonnement entièrement modulable, permettant d’aménager complètement l’espace selon les besoins. A la différence des expérimentations sur l’habitat menées par les architectes du Mouvement Moderne citées précédemment, les pièces de vie des logements possèdent des dimensions mais surtout des fonctions qui ne sont pas définies à l’avance : les espaces ne sont pas programmés pour être utilisés comme des séjours, chambres, bureaux, ou autres pièces de service mais laissés à la libre appropriation de l’occupant. L’agence Naud & Poux Architectes a quant à elle expérimenté un dispositif architectural permettant de créer des logements reconfigurables sur un bâtiment de logements sociaux collectifs réalisé dans le 20ème arrondissement de Paris en 2015 11. Les façades porteuses du bâtiment permettent de libérer les espaces intérieurs des logements de toute contrainte structurelle, qui sont alors entièrement reconfigurables par niveau. Les logements peuvent ainsi être scindés ou réunis, permettant de générer des typologies différentes de celles prévues initialement dans la conception du bâtiment. La structure est quant à elle spécifiquement conçue pour permettre aux balcons d’être intégrés aux logements susceptibles de leur créer un espace intérieur supplémentaire. La conception imaginée permet ainsi des possibilités non négligeables de reconfiguration et d’évolutivité des logements, les espaces restent néanmoins destinés à un usage de logement. Chacun de ces deux types d’espaces articulés présentent ainsi un potentiel de reconfiguration non programmée qui lui est propre. Même si ceux-ci restent destinés à un usage d’habitation, les dispositifs expérimentés incarnent néanmoins les prémisses de l’espace adaptable dit capable, c’est-à-dire un espace dont la fonction n’est volontairement pas spécifiquement prévue dans sa conception. Ces dispositifs de reconfiguration de l’espace ne permettent cependant par une application aisée pour un autre usage que l’habitation, ce qui limite leur potentiel d’adaptabilité. La trame architecturale est aujourd’hui le dispositif le plus utilisé lorsqu’il s’agit de concevoir de l’espace adaptable. Elle permet en effet une reconfiguration aisée de l’espace qu’elle compose pour 10 11
Voir figure 9 en page 22 Voir figure 10 en page 23
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s’adapter aux besoins liées à l’usage en libérant le plus souvent celui-ci par l’utilisation d’une structure poteaux poutres/planchers, laissant les façades et les plans intérieurs libres à l’instar de son ancêtre la Maison Dom-Ino de Le Corbusier. Dans l’exemple du Stream Building 12 imaginé par l’agence Philippe Chiambaretta Architecte et lauréat de l’appel à projets innovants « Réinventer Paris » en 2017, le bâtiment présente ainsi une trame structurelle modulaire de base cubique conçue pour être évolutive, au sein de laquelle sont créés de larges plateaux intérieurs spatialisés par les planchers ainsi que par de larges parois vitrées extérieures. Le fonctionnement du bâtiment a été pensé selon le principe de l’adaptabilité synchronique, il est donc destiné à accueillir plusieurs usages de manière simultanée (restauration, habitation, bureaux, espaces de vente, évènementiel, etc.) qui sont intégrés à la conception du projet et dont la part d’espace du bâtiment allouée à chacune de ces fonctions peut alors être adaptée selon les besoins. Cette mixité spatiale et d’usage évolutive est en majeure partie permise par la structure modulaire composant la trame du bâtiment, qui facilite l’aménagement intérieur des espaces par l’absence de recoupements structurels. La trame est donc un dispositif architectural pertinent lorsqu’il est question de l’adaptabilité d’un usage à un autre, qu’elle soit diachronique ou synchronique. C’est par exemple le cas du parking-silo transformable 13 réalisé à Montpellier par l’agence Archikubik en 2015 qui intègre un principe d’adaptabilité diachronique. Sa structure tramée composée de poteaux et de dalles béton ainsi que ses hauteurs sous plafonds ajustées entre 2,6 et 3 mètres selon les cas lui permet d’être ultérieurement reconfigurable en un usage d’habitation ou de bureaux, bien que d’importantes modifications soient nécessaires au niveaux des façades et des aménagements intérieurs. C’est également le cas de l’immeuble de parking et de bureaux 14 à Tourcoing conçu par l’agence Tank Architectes en 2015, et qui présente une adaptabilité synchronique entre deux usages qui présentent la particularité d’être très éloignées et qui sont le bureau et le stationnement de véhicules. Les espaces de bureaux sont conçus de telle sorte qu’ils puissent s’agrandir et prendre le pas sur certains espaces de stationnement si nécessaire. Les changements d’usages sont donc favorisés par cette solution constructive quel que soit la temporalité exigée, dans la mesure où la gestion des contraintes structurelles et l’absence de cloisonnement sont susceptibles de générer de larges espaces qui favorisent son utilisation. La trame est le seul dispositif architectural qui permet à ce jour d’apporter une réponse à la mixité spatiale évolutive, elle permet ainsi d’adapter les espaces du bâtiment en fonction des besoins tout en assurant une continuité d’usage pour les espaces non concernés. En pratique, cette idée de l’évolutivité des espaces semble néanmoins plus contraignante qu’il n’y parait. Elle nécessite certainement des adaptations impactant l’ensemble du bâtiment en termes d’aménagement intérieur, d’éléments techniques et d’enveloppe afin de s’adapter à l’usage, ce qui pose la question de la faisabilité de la réalisation de ces ouvrages une fois l’édifice en fonctionnement. La trame constructive présente également le risque d’aboutir sur une forme de standardisation fonctionnelle de la conception de l’espace (largeur des bâtiments, hauteurs sous plafonds, entraxes, etc.) pouvant être dupliquée d’un projet à un autre, appauvrissant l’identité architecturale et plastique de l’espace ou du bâtiment qu’elle génère. La trame présenterait ainsi un effacement architectural subi au seul profit de l’aspect fonctionnel alors que la structure d’un bâtiment est une composante essentielle de
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Voir figure 11 en page 23 Voir figure 12 en page 24 14 Voir figure 13 en page 24 13
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son architecture. Ce dispositif nécessite donc une attention particulière à sa disposition dans l’espace pour prendre en compte le contexte ainsi qu’à sa relation avec le propos architectural. Le concept de structure capable est le dispositif architectural émergent qui est le plus récent. Ce dispositif consiste à utiliser un élément modulaire duplicable ou extensible afin de générer l’espace voulu, et intégrant l’ensemble des contraintes constructives d’un bâtiment : structure porteuse – à l’instar de la trame – mais aussi les distributions en eau, en air et en énergie nécessaire à la vie d’un bâtiment. De manière analogue à la trame, la structure capable permet de libérer les espaces afin d’en favoriser une reconfiguration aisée pour s’adapter aux besoins liées à l’usage. Elle présente l’avantage de pouvoir s’affranchir dans une certaine mesure de l’ensemble des contraintes constructives. Ainsi l’ensemble des locaux d’un bâtiment nécessitant des alimentations particulières en eau ou en énergie sont susceptibles de pouvoir être réadaptées, supprimées ou ajoutées selon les besoins, ce qui n’est pas le cas pour un bâtiment réalisé selon le principe de la trame et au sein duquel les pièces d’eau doivent conserver leur localisation en cas de réadaptation spatiale du bâtiment ou liée à un autre usage. Le dispositif de structure capable a notamment été mis en œuvre par l’architecte Marc Barani dans son concept d’Urbik’s Cube 15, lauréat de l’appel à projets labarchi#1 de la Caisse des Dépôts et Consignations, et qui est expérimenté dans un bâtiment à usage mixte (logements, parkings et bureaux) à Bordeaux. L’élément de structure capable est constitué de planchers bois en treillis de grande portée, intégrant les canalisations et les réseaux, libérant l’espace des contraintes d’empilement des pièces humides. Cela permet de reporter en façade les chutes des alimentations et permet donc une liberté totale dans les espaces créés. Composé d’un assemblage des éléments de structure capable, ce plancher offre des vides accessibles permettant la circulation horizontale des réseaux dans toutes les directions et leur modification ultérieure. De ce fait, la structure capable autorise l’application de la mixité verticale évolutive, ce qui n’était pas forcément le cas par l’utilisation de la trame. De manière analogue à celle-ci, il s’agit néanmoins d’un dispositif qui questionne la convergence de son application avec une standardisation fonctionnelle au détriment du parti architectural, même si la structure capable semble être conçue pour s’effacer volontairement vis-à-vis de celui-ci en prenant une forme quelconque – à contrario de la trame qui y participe. En définitive, les contraintes physiques sont encore bien présentes au sein des espaces adaptables bien qu’il existe à ce jour des réponses concrètes et pertinentes à sa mise en application. Il sera alors nécessaire de voir si ces réponses fonctionnement à plus long terme car des doutes subsistent quant aux possibilités réelles du potentiel d’adaptabilité que proposent ces dispositifs vis-à-vis des intentions architecturales engagées. Aussi, il existe notamment des risques de voir émerger des propositions spatiales globalement standardisées : l’emploi de ces différentes solutions fonctionnelles nécessite donc d’apporter une véritable attention à la manière dont est générée l’architecture pour ne pas tendre vers une simple réponse constructive et fonctionnaliste. De manière pragmatique, les bâtiments adaptables permettent à l’heure actuelle des changements de destination d’un usage vers un autre bien que des impossibilités existent entre certains usages nécessitant des mises en espace encore considérées comme matériellement opposées aujourd’hui. Le potentiel d’adaptabilité se développe néanmoins par l’intermédiaire de l’expérimentation avec l’émergence de dispositifs architecturaux qui tendent à permettre le véritable espace capable dont l’usage n’est plus une donnée programmée de conception. C’est donc vers ce double objectif – permettre la
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Voir figure 14 en page 24
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création d’un espace indépendant de tout aspect fonctionnel programmé tout en lui conférant une identité architecturale forte – que doit aujourd’hui tendre l’espace capable.
Figure 9 : Vue intérieure du cloisonnement intérieur mobile d’une résidence de logements collectifs, S. Holl, 1991
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Figure 10 : Plan d’étage courant d’une résidence de logements collectifs avec éléments porteurs en façades, Naud & Poux Architectes, 2015
Figure 11 : Vue du bâtiment Stream Building et schémas perspectifs de la mixité évolutive de l’usage, Philippe Chiambaretta Architectes, 2017
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Figure 12 : Parking-silo transformable, Archikubik, 2015
Figure 13 : Plan d’étage d’un immeuble synchronique de parking-et de bureaux, Tank Architectes, 2015
Figure 14 : Coupe 3D de détail du plancher structurel capable Urbik’s Cube, M. Barani Architecte, 2015
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b. L’espace générique comme espace architectural identitaire L’identité architecturale d’un bâtiment adaptable est une équation qui demeure du domaine du sensible et à laquelle il n’y a pas de réponse donnée. Le bâtiment adaptable se compose ainsi des éléments qui vont être définis par et mis en place pour l’(les) usages au(x)quels il va être destiné, ainsi que des éléments fondamentaux de l’espace qui le composent à savoir la structure, les noyaux et l’enveloppe. Ces derniers vont donc essentiellement vivre à une temporalité qui est celle du bâtiment en tant que tel et qui est donc différente de celle de l’usage. L’espace générique est un terme emprunté à l’architecte Christian Kerez, qu’il utilise pour parler de l’espace capable comme étant la composante architecturale transcendantale et identitaire d’un bâtiment. L’espace générique est ainsi constitué des éléments qui vont composer l’essence même de l’architecture du bâtiment, il se caractérise alors par « la relation tangible entre l'enveloppe et le noyau, respectivement entre la structure portante, la façade et les noyaux» 16. Il se définit donc avec peu d’éléments mais qui sont décisifs pour conférer l’identité architecturale du bâtiment : selon Christian Kerez, l’expérience spatiale qui découle de la composition de ces quelques éléments peut rester perceptible en dépit des aménagements intérieurs liés à l’usage, à la condition qu’ils forment une composition dont la puissance et la cohérence soient suffisantes pour marquer cette identité. L’espace générique ne suit donc pas de logique normative ou fonctionnelle. La relation d’interdépendance entre ses éléments doit alors être suffisamment sensible et lisible pour se dégager des aléas de l’aménagement intérieur de l’espace et donc de l’usage. C’est donc l’affirmation de cette seule relation qui est en mesure de conférer une identité architecturale à un bâtiment adaptable, et de ce fait de proposer une véritable expérimentation spatiale. Il peut ainsi être considéré que le bâtiment adaptable fait état de deux niveaux de lecture architecturale à la manière de la théorie de Robert Venturi 17 qui introduit la question d’un double niveau de lecture de l’architecture : l’architecture adaptable serait alors définie par la lecture de l’identité architecturale propre à l’espace capable ou générique, ainsi que par la lecture de l’usage à une temporalité plus courte, ces deux niveaux de lecture étant indépendants l’un de l’autre. Ce double niveau de lecture peut ainsi être constaté au sein de propositions architecturales aussi variées que pertinentes telles que la Médiathèque 18 réalisée par Toyo Ito à Sendai en 2000, le Centre Georges Pompidou 19 réalisé par Renzo Piano et Richard Rogers à Paris en 1977, ou encore la Zengzhou Tower II 20 imaginée par Christian Kerez : la cohérence et la puissance des éléments tangibles qui composent l’espace à savoir la structure, l’enveloppe, et les noyaux sont clairement lisibles, tandis que la lecture de l’usage et de l’aménagement intérieur se fait sur un second plan. Bien que cela soit rendu possible dans ces trois cas par un objectif commun de libérer l’espace intérieur pour accueillir plusieurs typologies d’usage, ces bâtiments ne sont pas spécifiquement destinés à en changer dans le temps à la manière d’une architecture adaptable. Ils proposent toutefois des expérimentations spatiales bien différentes d’un bâtiment adaptable qui se voudrait uniquement fonctionnaliste : la lecture intérieure de la composition architecturale et des vues est différente selon l’endroit où l’on se situe dans le bâtiment, ce qui est rendu possible par l’utilisation de variations dans la 16 17 18
Christian Kerez, 7 Mars 2018, Introduction à la conférence sur l’Espace Générique, Pavillon de l’Arsenal Robert Venturi, 1966, De l’ambiguïté en architecture, Ed Dunod
Voir figure 15 en page 26 Voir figure 16 en page 26 20 Voir figure 17 en page 19
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conception de l’espace, conférant des « repères » démarquant les différents moments architecturaux aux yeux du visiteur. L’espace générique est donc le vecteur d’une identité architecturale pour un bâtiment adaptable, à la condition qu’il soit porté par une interrelation forte entre les éléments fondamentaux qui le composent. La dimension physique initiale du bâtiment est ainsi très présente et figée, ce qui renforce l’écart existant entre la temporalité du bâtiment et celle de l’usage. Elle amène néanmoins à se questionner quant aux limites de son potentiel d’adaptabilité, alors que d’autres solutions architecturales prennent le contrepied pour retrouver une seule et unique temporalité.
Figure 15 : Vue aérienne nocturne de la structure de la médiathèque de Sendai, Toyo Ito, 2000
Figure 16 : Vue de la façade et de la structure du centre Georges Pompidou, R. Piano & R. Rogers, 1977
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Figure 17 : Maquette structurelle de recherche de la Zengzhou Tower II, Christian Kerez
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c. Vers une architecture de mouvement Si la composante physique d’un bâtiment est depuis toujours ce qui rend son architecture tangible, elle est également ce qui la rend la plus figée. Si l’affranchissement de cette composante apparaît encore impossible pour créer un espace architectural adaptable, le dépassement de son caractère figé peut cependant être envisagé comme une direction plausible en termes d’adaptabilité de l’espace. Théoriquement, le dépassement de la limite physique d’un bâtiment pourrait ainsi se traduire par des espaces au sein desquels l’architecture deviendrait mobile et fluide, s’adaptant de manière quasi instantanée à diverses stimulations. Ce prisme de vue du principe d’adaptabilité ferait de ce fait intervenir une interaction entre un élément stimulateur et la composante physique du bâtiment, dont il pourrait en modifier la composition selon ses propres besoins. Cette architecture de mouvement serait alors susceptible de réagir aux composantes environnementales (conditions climatiques, énergie, etc.), sensorielles (bruit, contact, odeur, etc.) et pourquoi pas psychiques (humeur, etc.) auxquelles elle est sollicitée. C’est par exemple le cas de la Tour des Vents 21 construite à Yokohama au Japon par Toyo Ito en 1986, et dont la façade réagit aux conditions climatiques environnantes (pluie, vent, etc.) par l’intermédiaire d’un jeu de lumières modifiant l’aspect de sa façade. On retrouve également ce principe d’interaction avec l’environnement avec le projet de l’Adaptative Facade 22 imaginé par Kas Oosterhuis aux Pays-Bas en 2003, dans lequel les façades sont composées de tubes flexibles mobiles assimilables à des muscles fluides, qui se dilatent et se contractent en réaction à l’ensoleillement et à la chaleur ou bien sur simple demande de l’utilisateur. La composante physique de l’architecture de ces deux bâtiments n’est donc plus figée mais devient dès lors dynamique pour permettre à l’espace de s’adapter physiquement et instantanément aux sollicitations. D’autres exemples d’architecture de mouvement ont été imaginés pour proposer une expérience spatiale dépendante de l’usager qui en devient cette fois le principal stimulateur. Cette architecture est à la fois physique et virtuelle afin de pouvoir dialoguer avec l’usager, elle devient capable de se mouvoir dans l’espace et de changer d’aspect en fonction des sollicitations qui lui sont soumises par celui-ci. On retrouve ce principe avec l’enveloppe virtuelle et physique évolutive 23 imaginée par Kas Oosterhuis et présenté à la Biennale d’architecture de Venise en 2000, qui propose une enveloppe flexible dont la structuration de l’espace réagit à la présence de l’occupant par l’intermédiaire de capteurs digitaux : l’espace n’est donc plus figé par sa forme ou sa localisation mais peut alors se former selon la volonté de l’usager. Le pavillon réalisé dans le jardin d’un musée privé à New-York 24 en 2003 par l’agence Kieran Timberlake Associates et conçu à l’aide du matériau SmartWrap, réagit pour sa part aux stimulations atmosphériques ainsi qu’aux demandes de l’usager. Son enveloppe est composée de matériaux intelligents capables de changer de composition pour emmagasiner de la chaleur et la restituer en cas de besoin, ou de changer d’aspect en fonction de la lumière. Le matériau constitue également une base interactive pour l’usager, rendant l’enveloppe capable de véhiculer de l’énergie, de la lumière ou encore d’afficher des informations. Le bâtiment constitue donc dans ce cas prévis un médium pour l’usager, dont la composante physique est désormais plus un vecteur de flux immatériel qu’un matériau destiné à créer la fonction d’abri bien 21
Voir figure 18 en page 29 Voir figure 19 en page 29 23 Voir figure 20 en page 30 24 Voir figure 21 en page 30 22
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qu’il en remplisse également la fonction mais reléguée au second plan, ouvrant ainsi un champ des possibles conséquent en termes d’adaptabilité à l’usage. L’architecture de mouvement n’en est donc qu’aux balbutiements de son expérimentation aujourd’hui. Elle présente néanmoins un potentiel inédit quant aux possibilités d’utiliser la matière comme un vecteur de mobilité et d’interaction avec l’homme et son environnement. Si celle-ci est guidée par la volonté de s’affranchir des contraintes physiques, il sera nécessaire comme le précise très justement Juhani Pallasmaa 25 qu’elle dépasse l’absence de la composante matérielle qui stimule aujourd’hui les sens pour continuer de permettre l’expérience sensorielle et tangible de l’espace qui fait architecture. Il est probable que les réflexions menées sur l’adaptabilité architecturale aillent en ce sens à l’avenir.
Figure 18 : Vue extérieure nocturne de la Tour des Vents, Toyo Ito, 1986
Figure 19 : Perspective intérieure de la façade adaptative, Kas Oosterhuis, 2003 25
Juhani Pallasmaa, 2010, Le Regard des Sens, Ed du Linteau Page | 29
Figure 20 : Modélisation 3D de l’enveloppe virtuelle et physique évolutive pour la Biennale de Venise, Kas Oosterhuis, 2000
Figure 21 : Vue extérieure de l’enveloppe du pavillon en SmartWrap, Kieran Timberlake Associates, 2003
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CONCLUSION L’espace adaptable a toujours constitué une source de réflexion architectural au travers des époques de notre temps, qui a eu pour terrain d’expérimentation l’habitat individuel puis collectif avant de se tourner vers d’autres typologies d’usage. La notion d’adaptabilité est désormais sur le point de dépasser le stade expérimental et d’entrer dans les mœurs constructives, afin de permettre à l’architecture de continuer à formuler des réponses aux problématiques sociétales et urbaines. Le rapprochement de nos sphères publiques et intimes a engendré une logique spatiale et fonctionnelle basée sur l’intimité et au sein de laquelle l’exercice de nos usages s’est inscrits. Cette nouvelle logique évolue désormais à une temporalité relativement courte et s’est donc différenciée de la temporalité constructive du bâtiment, liée quant à elle à la dimension physique de son architecture. C’est cette différence de temporalité qui nécessite aujourd’hui une réponse architecturale et constructive basée sur l’adaptabilité de l’espace, afin de permettre aux bâtiments construits de dépasser la problématique de leur obsolescence accélérée induite par l’évolution toujours plus rapide et imbriquée de nos usages. Concevoir des espaces adaptables relève d’un processus complexe. Plusieurs solutions constructives sont envisageables à ce jour pour générer une architecture adaptable, dont certaines présentent le risque éventuel de se rapprocher d’une architecture fonctionnaliste et dénouée de toute expérience sensible. Il appartient donc aux architectes et aux concepteurs de comprendre l’espace adaptable comme étant formée d’éléments fondamentaux induisant un degré de lecture de l’architecture indépendant de l’usage qui en est fait, et dont seule l’interrelation et la puissance de la composition sauraient l’écarter de cette éventualité. La composante physique du bâtiment constitue donc à ce jour l’essence architecturale de l’espace adaptable tout comme elle en demeure sa principale contrainte. Dans l’optique d’un potentiel d’adaptabilité toujours plus fort, la dimension physique de l’architecture est sur le point d’être dépassée pour proposer une nouvelle forme d’expérience spatiale basée sur l’interaction entre l’architecture, l’Homme et son environnement. En définitive il revient à l’ensemble des acteurs de la ville et notamment aux architectes de construire la ville en s’adaptant continuellement à de nouvelles exigences, afin d’apporter des éléments de réponse aux problématiques et aux enjeux actuels tout autant que d’explorer l’avant-garde des possibles. La tendance à l’architecture vers une forme d’immatérialité dans un futur proche pourra amener à se questionner sur la notion de pérennité des bâtiments qui découleront de cette nouvelle manière de concevoir le tissu urbain de la ville. Aussi, la question de la continuité tangible du patrimoine bâti et de l’histoire de la construction seront des notions à interroger du point de vue éthique et philosophique de l’architecture.
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GLOSSAIRE Réversibilité : capacité programmée d’un ouvrage neuf à changer de destination grâce à une conception qui minimise l’ampleur des adaptations Réhabilitation : fait de mettre un ouvrage ancien en conformité avec les dernières normes en vigueur dans ses espaces intérieurs Évolutivité : capacité d’évolution d’un ouvrage ou d’un usage Adaptabilité (d’un espace) : capacité intégrée de modification ultérieure d’un espace de manière pérenne Mobilité (d’un espace) : modification rapide d’un espace sur une base virtuellement instantanée autorisant une reconfiguration au jour le jour Mobilité (d’un usage) : évolution des caractéristiques intrinsèques à un usage qui ont tendance à se modifier Modularité : capacité d’un ouvrage à évoluer par remplacement, ajout ou soustraction d’un ou plusieurs modules
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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages Canal Architecture, 2017, Construire réversible, CANAL, 96 pages Marc Bertier et Sandra Perin, 2016, Open Space : entre mythes et réalités au travail, Cavalier Bleu Eds, 128 pages Rem Koolhaas, 2011, Junkspace, Ed. Manuels Payot, 120 pages Robert Kronenburg, 2007, Flexible : Une architecture pour répondre au changement, Ed. Norma, 240 pages Juhani Pallasmaa, 2010, Le Regard des Sens, Ed. du Linteau, 98 pages Articles de revue Frédéric Mialet, 2017, Dossier spécial : Bâtiments réversibles – extrait de l’AMC n°262, Ed. Groupe Moniteur, 9 pages Milena Chessa, 2018, Le bâtiment réversible, programmé pour muter : Bâtiments réversibles – extrait de Le Moniteur n°5966, Ed. Groupe Moniteur, 8 pages Etudes XB Architectes, 2015, Architecture évolutive / flexible - Version 1, 30 pages Sites internet Rémy Cagnol, 2013, Petite histoire l’espace de travail, 3 pages, URL : http://www.deskmag.com/fr/architecture-bureau-petite-histoire-de-lespace-de-travail (consulté le 07.02.18) Vidéo Christian Kerez, L’espace Générique, vidéo de la conférence du 7 mars 2018 donnée au Pavillon de l’Arsenal, Paris, 51 minutes, URL : http://www.pavillon-arsenal.com/fr/arsenal-tv/conferences/horscycle/10941-christian-kerez.html (consulté le 18.03.18)
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RESUME Les nouveaux enjeux sociétaux et urbains actuels impliquent désormais une prise en compte des évolutions liées à l’usage dans l’architecture contemporaine. Le rapprochement des sphères intimes et privées créée une nouvelle logique spatiale, impliquant à son tour une double temporalité à l’échelle de l’usage et du bâtiment posant le problème de l’obsolescence accélérée de ces édifices. Le concept d’espace adaptable dont les origines remontent aux expérimentations sur la flexibilité dans l’habitat se dresse en réponse à cette problématique. La complexité du processus de de conception de l’espace adaptable pose néanmoins le risque d’une approche fonctionnelle de l’architecture. Il convient de s’en détourner par la prise en compte de la relation fondamentale entre les éléments tangibles de la composante physique de l’architecture, qui peut aussi bien être dépassée.
ABSTRACT The new societal and urban issues imply to take into account the evolutions of use in the contemporary architecture. The reconciliation of the intimate and private spheres creates a new spatial logic, implying a double temporality at the scales of the use and the building posing the problem of the accelerated obsolescence of these buildings. The concept of adaptable space whose origins go back to the experiments on flexibility in the living history arises as an answer to this problem. However the complexity of the adaptive space design process implies the risk of a functional approach of architecture. So it has to be avoided by taking into account the fundamental relationship between the tangible elements of the physical component of the architecture which can also be exceeded.
MOTS CLEFS Espace adaptable Bâtiment réversible Environnement de travail Flexibilité Temporalité Usage Espace capable
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