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ŒUVRES COMPLÈTES
D'ALEXANDRE DUMAS LE COMTE DE MONTE-CRISTO IV
ŒUVRES COMPLETES D'ALEXANDRE DUMAS PUBUKKS DANS LA COLLECTION MlCnSL LBVT Ac!é
La Femme aa
1
Aniaury
1
Ange
3 2
l'iiou
Ascanio
Une A\ciiture mour Aveiiiores
de
...
Une
Fille du réi,'eiil Filles, Loreiies et
d'a-
.
Mém.
3
Gabriel Laniliert. Les Garibaldiens
{
Gaule
LcsM;uicsellfsricus LaBouillicdclacuiu-
3
Geort;es
Un G
3
LeCapiiaiiiel'iinii'liilc
1
Cadet de
LeCapittiine l'aiil. . Le Capitaine Itliino. Le Capitaine Uicliai'd Cailierine Biuui. Caoserit'S Cécile
—
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1
1
2
Le
Clievaliei'
....
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—
2
La
3
Comtesse
6
La Comtesse de Sa2
li.->l)ury
Les Confessions
iJe la
njari|uise
Conscience ceni Création et
2 l'Innu-
Rédemp-
— LaFilleduManinis
2
LaD^iiiiedcMon oicaii La Dame de Volupté.
3
LtsLeuxLi.>nu. . . Les Leux lleJucà. . Liiu dis) ose. ... Le Drame de 93 . . Les Drames de la mer
2
LyoDna.
.
Savoie rarisiens ciaux
Provin-
et
Lel'asleurd'Ashbourn Pauline et Pascal
Bruno
Un Pays inconnu.
Le
.Spcronarc.
.
Le Véloce..
.
l.^aac l.a(|nedeni.
.
Princesse de .Monaco. La Princesse Floia.. Propos d'Art et (le Cui.-iiic
Les Quarante-Cinii. La Kei;cnce La Reine Mar«ot .
do
lloodle Proscrit La Route de Varennes. Le Salléadur. . . . Salvalor («uiii il«] lo'ilRoliiii
caiK du Parii)
....
.
Souvenirs d'une Fa-
.
voriie-
Sylvandire 'Icrrciir pnis.sionno. Le 'l'esiMnient de M.
Louis XI V tison tjiixle Louis XV et sa Cour. Louis XVI et la llé-
1
Jeliannc
la
Tucelle.
.
.
VdllItiUM
Les s
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Louves
de .Ma-
Aliidamcdc Clianililay. COLl.N
—
.
.
.
.
.Mousnue-
taires
Le Trou do Pciifor . La Tulipe noire. . . Le Vicomte de Uragelonm; La Vie au
Une
cliecoul
.
Les Siuarts Snlianella
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•
Sonvciiirsdrainaiii|ues
Les Trois
.
.
.
Wullor
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.
Souvenirs d'Anlouy
Jane
(
.
.
.
de Bavière. . Haliens cl Flamamls. Ivanlioe
.
Le Père Gigogne . . Le Père la Uuine. . Le Prince des Volcui:;
3 2
2 .
Russie.
Scott
do Cléves. . Le l'âge du Aiiii do
(ilynipe
LaSan-FtIice.
Kn
vile.
l'Ioreiice.
Cliauvelin Tliéâiie complot. Trois Maîtres. .
La Maniuise d'Esi^uiiua
Paris à Cadix.
Quinze jours au Sinal
il
Jacijues Orli.s. . . . Ja('i{uolsan3 Urcilles.
2
LcsDian]e.«gal:inis.—
com.in
.
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tion.— LeLocicur
...
— — — —
De
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La Villa Paliuieri. Ingénue
2
DiysKrieux.
Le Gorricolo
Le Midi France
~ —
6
de
Cliarny
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— — —
Le
Coniie de AlonleCrislo
Année
—
Los Compagnons de Jéliu
Une
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3 1
.
.
.
Florence L'Arabie lleuicuse. LcsBordsduIliiin Le Capit. Arena. Le Caucase. . .
—
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liCilibrils.
.
.
Iniprcssionsdevoyage: En Suisse. . . .
2
son-Ronpe. ... Le Ciillierdclareiiie.
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Mai-
Cli(V.ilicrdc
LaColomlie.
Ilenii IV, Louis XIII, Uicliclieu. . La Guerre des reinines llisl. de mes l-êtes. Histoire d'un casse-
L'Horoscope L'He de Fen.
2
Les jMorts vont Napoléon
Une Nuil
Cés.ir
1
d'Iiai-
n.ei.lal
Le
Les.Moliicaiisde Paris
L'Homme aux contes. Les Hommes de Ter.
LcClia^scurdeSauvagine LcCliâieaud'Eppsieiii
Ca-
2
t
Charles le Téméraire.
d'une aveugle. .'\Ienioires d'un médecin B.ils.ni'). . Le Meneur de loups. Les Mille et un Fantômes :
.
.
1
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Blas en
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.
. .
Les Grands Ilonnues en robede chambre:
raniiilc.
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. .
France.
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liroiiiio
1
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Les Frères corses.
Blarli
1
.
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Mémoires de tiaribaldi
du lor(al
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.
.
.
Fils
.
Havjs Les baleiniers. . . LeBAiaiddcMaulcuii
....
.
.
Le
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Médicis.
.
Mes Mémoires.
1
.
Olifus
Les
.
Courtisanes.
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tesse Uerilie. . La lioiile (le neige Bric-à-llrac
La Maison de çjl.iiis. Le .Maître d'armes.. LesMariai;es du pèra
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Y
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LE COMTE
k
MONTB-GRISTO PAR
ALEXANDRE DUMAS IV
NOUVELLE EDITION
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUa ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÉRBS 3,
RUE AUBER,
3
1800 Droits de /eproduction et de trftductioa r4serv4i
LE COMTE
DE MONTE-CRISTO
ï
M. NOlRTlER DE VILLEFORT.
Voici ce qui s'était passé dans la maison
du
fille,
madame
après le départ de
roi et
pendant
du procureur
Danglars
et
de sa
conversation que nous venons de rap-
la
porter.
M. de
Villefort était entré
dame de
Villefort;
chez son père, suivi
dema^
quant à Valentine, nous savons où
elle était.
Tous deux, après avoir salué
le vieillard, après avoir
songédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingtcinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.
M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes,
où on
le plaçait le
matin
et
d'où on
le tirait le soir, assis
devant une glace qui réfléchissait tout l'appartement lUi
permettait de voir, sans
devenu impossible, qui TOME
IV.
même
entrait
tenter
et
un mouv^.ment
dans sa chambre, qui en i
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
2
sortait, et ce
qu'on
faisait tout
comme un
immobile
autour de
dont
ntellifrenL; et vifs ses enfants,
férence
lui
lui
;
M. Noirtier,
cadavre, regardait avec des yeuï la
cérémonieuse ré-
annonçait quelque démarche
officielle
inat-
tendue.
La vue
comme deux
,
humaine déjà aux
étincelles,
la vie intérieure
un
ani-
cette matière
quarts façonnée pour
trois
encore, de ces deux sens,
dehors
deux seuls sens qui
et l'ouie étaient les
massent encore
tombe ;
la
seul pouvait-il révéler
qui animait
la statue
gard qui dénonçait cette vie intérieure
était
une de ces lumières lointaines qui, durant prennent au voyageur perdu dans ur désert
au
et le re-
:
semblable à nuit, ap-
la
qu'il
y a en-
core ua être existant qui veille dans ce silence et celte obscurité.
Aussi, dans cet œil noir
du vieux
Noirtier,
surmonté
d'un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu'il portait
longue
dans cet
œil,
et
pendante sur
comme
blanche;
les épaules, était
cela arrive pour tout organe de
l'homme exercé aux dépens des autres organes, concentrées toute
s'étaient
l'activité, toute l'adresse, toute la forre,
toute l'intelligence répandues autrefois dans ce corps et Certes, le geste du bras le son de la du corps manquaient, mais cet œil puisii commandait avec les yeux; sant suppléait à tout remerciait avec les yeux; c'était un cadavre avec de yeux vivants, et rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une co-
dans cet
esprit.
,
voix, l'attitude
:
lère
ou
luisait
une
joie.
Trois personnes seulement sa-
yaient comprendre ce langage du pauvre paralytique c'étaient Villefort, Valentine et le
nous avons déjà q;ue
parlé. Mais
rarement son père,
et.
comme
pour
:
vieux domestique dont Villefort
ainsi dire,
nt voyait
quand
ii
ne
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. pouvait faire autrement
comme,
;
3
lorsqu'il le voyait,
il
ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout' le bonheur du vieillard reposait en sa petite-tille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et
de patience, à comprendre du regard toutes /es pensées de Noirtie». A ee langage muet ou inintelligible
pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physic nomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune Glle et cette prétendue argile, à était
peu prés redevenue poussière,
encore
un homme d'un
et
qui cependant
immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'àme enfermée dans une matière par laquelle elle à perdu le pouvoir de se faira obéir. savoir
Valentine avait donc résolu cet étrange problème de
comprendre
la
pensée du
prendre sa pensée à elle
vieillard,
pour
lui faire
com-
grâce à celte étude , il était bien rare que, pour les choses ordinaires de la vie, elle ;
et,
ne tombât point avec précision sur le désir de cette âme vivante, ou sur le besoin de ce cada^Te à moitié insensible.
Quant au domestique, comme depuis vingt-cinq ans, que nous l'avons dit, il servait son maitre, il
ainsi
con-
naissait si bien toutes ses habitudes, qu'il était rare Noirtier eût besoin de lui demander quelque
que
chose.
Villefort n'avait
en conséquence besoin du secours ni de l'autre pour entamer avec son père l'étrange conversatiofi qu'il venait Provoquer. Lui-même, nous de l'un
ni
l'avons
dit,
vieillard, et
connaissait partaitemenl le vocabulaire s'il
ne s'en servait point plus souvent,
tait
par enoui
tine
descendre au jardin,
et
par indifférence. il
Il
donc Valen-
laissa
éloigna doncBarrois, et après
avoir pris sa place à la droite de son père, tandis
madame
du c'é-
de Villefort s'asseyait à sa gauche
;
que
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
4
— Monsieur, ne
ne vous étonnez pas que Valentioe
dit-il,
pas montée avec nous
soit
rois, car la
que
et
éloigné Rar-
j'aie
conférence que nous allons avoir ensemble
est de celles qui ne
peuvent avoir
madame
îhe ou un domestique;
nne communication à vous
devant une jeum
lieu
de Villefort et moi avo»?'
faire.
Le visage de Noirtier resta impassible pendant ce préambule, tandis qu'au contraire l'œil de Villeiîrt semblait
du cœur du
vouloir plonger jusqu'au plus profond
vieillard.
— Cette communication, continua avec son ton glacé contestation,
le
prccureur du
roi
semblait ne jamais admettre
et qui
nous sommes sûrs, madame de
la
Villefort et
moi, qu'elle vous agréera. L'œil tait
:
du
demeurer atone
vieillard continua de
;
il
écou-
voilà tout.
— Monsieur,
Villbfori
reprit
nous marions Valen-
,
tine.
Une
figure de cire
ne
nouvelle que ne resta
—
Le mariage aura
fût pas restée plus froide à cette
la figure
du
vieillard.
lieu avant trois mois, reprit Ville-
fort.
L'œil
du
Madame d'ajouter
vieillard continua d'être inanimé.
de Villefort prit
la
parole à son tour, et se hâta
:
— Nous avons pensé que cette nouvelle aurait de térêt
pour vous. Monsieur
semblé dire
attirer
le
nom du
et
nous
il
jeune
;
il
y a de
reste
homme
un des plus honorables
tine puisse prétendre
la
partis
de celui que nous
donc à vous
qui lui est des-
auxquels Valen-
fortune,
des garanties parfaites de bonheur dans
les goûts
l'in-
d'ailleurs Valentine a toujours
votre affection;
seulement
tiné. C'est
;
un beau nom la
conduite et
lui destinons, et
dont le nom
.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
m
àoit pas
vous
être inconnu.
s a^it
Q
de M. Franz de
baron d'Épinay.
U'fftsnel,
Vlllefort,
pendant
le petit
fhait sur le vieillard
f.orsque
11
madame
discours de sa femme, atta-
un regard plus
attentif
de Villefort prononça
que jamais.
nom
de tranz, œil de Noirlier, que son fils connaissait si bien, frissonna, et les paupières se dilatant comme eussent pu faire des lèvres pour laisser passer des paroles, laissèrent, elles, passer un éclair. le
1
Le procureur du roi , qui savait les anciens rapports d'inimitié publique qui avaient existé entre son père et père de Franz, comprit ce feu
le
cependant nant
—
la
il
les laissa
parole où sa
Monsieur,
nez bien, près
passer
femme
dit-il,
il
comme
et cette agitation;
comme
mais
inaperçus, et repre-
l'avait laissée
est important,
:
vous
le
elle est d'atteindre sa
compredix-neu-
vième année, que Valentine soit enfin établie. Néanmoins, nous ne vous avons point oublié dans les
conférences,'
et
nous nous sommes assurés d'avance que
le mari de Valentine accepterait, sinon de vivre près de nous, qiu gênerions peut-être un jeune ménage,
du moins'que
vous, que Valentine chérit particulièrement, et qui, de TOtre côté, paraissez lui rendre
cette affection, vivriez
près d'eux, de sorte que vous ne perdrez aucune de vos habitudes, et que vous aurez seulement deux enfants au lieu d'un pour veiller sur vous. L'éclair du regard de Noirtier devint sanglant. Assurément il se passait quelque chose
d'affreux dans
l'âme de ce vieillard
de
;
assurément
le cri
de
la do-ileur eJ
Ja colère
l'etouffait,
montait à sa gorge ; et, ne pouvant éclater, car son visage s'empourpra et ses lèvres de-
vinrent bleues. Villefort ouvrit tranauillcment
une fenêtre en disant
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«
— M.
fait
11
bien chaud
ici
mal à
et celle chaleur fait
,
Noirlier.
Puis
—
mais sans se rasseoir.
revint,
il
Ce mariage, ajouta madame de
M. d'Épinay
et
à sa famille
pose seulement d'un oncle
morte au moment où
Villefort, plaît
d'ailleurs sa famille se
;
et
à
com-
d'une tanle. Sa mère étant
elle le mettait
au monde
et
,
son
père ayant été assassiné en 1815, c'est-à-dire quand l'en-
deux ans à peine,
fant avait
il
ne relève donc que de sa
propre volonté.
— Assassinat
mystérieux,
dit Villefort,
auteurs sont restés inconnus, quoique
plané sans s'abaltre au-dessus de !a
tèle
dont les
3t
soupçon
le
ail
de beaucoup
de gens. Noirtier
un
fit
comme pour
—
que ses lèvres se contractèrent
tel effort
sourire.
Or, continua Villefort,
le
sur lesquels peut descendre
des
dant leur vie et seraient bien
une
la justice
la justice
heureux
coupables,
les véritables
ceux-là qui savent qu'ils ont commis
crime
,
ceux-là
hommes pen-
de Dieu après lem mort,
d'être
à notre place,
et d'avoir
à offrir à M. Franz d'Épinay pour éteindre jus-
fille
qu'à l'apparence du soupçon. Noirtier s'était rait
— Oui fort
;
,
je
et ce
profond
l'on n'au-
comprends
,
répondit-il
du regard à
Ville-
regard exprimait tout ensemble le dédain
cl la colère intelligente.
Villefort, il
calmé avec une puissance que
pas dû attendre de cette organisation brisée.
de son coté, répondit à ce regard, dans lequel
avait lu ce qu'il contenait, par
un
léger
mouvemenl
d'épaules.
Puis
il
fit
signe à sa
— Maintenant
,
femme de
Monsieur,
dit
se lever.
madame
de Villetort
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. agréez
mes
toLS
Vous
respects.
f
qu'Edouard
plait-il
vienne vous présenter ses respects?
convenu que
était
11
le vieillard
exprimait son aporo-
bation en fermant les yeux, son refus en les clignaat à
plusieurs reprises, ei avait quelques désirs à exprimer
quand
il
les levait
an
ciel.
demandait Valentine
S'il
il
,
fermait
droit seule-
l'oa'l
ment.
demandait Barrois,
S'il
A
la proposition
ment
de
il
fermait l'œil gauche.
madame de
Villefort,
il
cligna vive-
jeux.
les
Madame
de Villefort, accueillie par un refus évident,
se pinça les lèvres.
— Je vous enverrai donc Valentine, alors? — Oui, vieillard en fermant yeux avec vivacité. dit-elle.
M.
et
les
le
fit
madame
de Villefort saluèrent et sortirent eu
ordonnant qu'on appelât Valentine
,
déjà prévenue
au
reste qu'elle aurait quelque chose à faire dans la journée
près de M, Noirtier. Derrière
eux Valentine ,
entra chez le vieillard. qu'elle comprit
de choses
— Oh On
t'a
1
combien
,
toute rose encore
ne
lui fallut
souffrait
démotion
qu'un regard pour
son aïeul
et
combiea
avait à lui dire.
il
bon papa,
s'écria-t-elle, qu'est-il
donc arrivé
t
fâché, n'est-ce pas, et tu es en colère ?
— Oui, — Contre
fit-il
madame, de
Le
11
en fermant
qui donc Villefort
vieillard
fit
?
les
yeux.
contre
?
non
;
mon
contre
père
?
non
;
contre
moi?
signe que oui.
— Contre moi? reprit Valentine étonnée. Le
vieillard
— Et que lentine.
renouvela
t'ai-jô
donc
le signe.
fait,
cher bon papa? s'écria Va-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
•
Pas de réponse
—
continua
elle
;
vu de quelque chuse de moi ? J«»
ne
t'ai
pas
:
journée; on
la
l'a
dons rapporté
— Oui, regard du avec — Voyons donc que je cherche. Mon Dieu, je vieillard
dit le
bon
pas
d'ici, n'est-ce
— Oui. — Et ce
madame de
Ahl... M. et
père...
'ivacit*^.
sont eux qui t'ont dit ces choses qui te fâ-
mander pour que
je puisse
leur de-
j'aille le
m'excuser près de
toi?
—
Non, non,
—
Ohl mais tu m'elTrayes. Qu'ont-ils pu dire,
Dieu
!
fit
regard.
le
— Ohl peut-être
j'y suis, dit-elle,
en baissant
le
t'en rien dire et
;
que
;
mariage
;
Redevenu
atone
que
me
— Non, —
?
dit
à moi-
j'ai
été si réservée
le
avec
regard sembla répondre
demanda
je t'abandonnerais
la j-eune fille ,
•
u) 'afflige. »
bon père
,
et
:
tu c-ois
que mon
rendrait oublieuse?
dit le vieillard.
Ils t'oDi dit alors que M. d'Épinay consentait que nous demeuras8."ons ensemble ?
— Oui.
!
Noirtier.
seulement ton silence qui
Qu'est-ce donc
peut-être
,
Oh
en quelque sorte ce secret
voilà pourquoi
fixe et
n'est pas
silence.
recommandé de ne
ne m'en avaient rien
j'avais surpris
Pardonne-moi, bon papa
mariage
mon
m'en veux de mon
c'est qu'ils
par indiscrétion
—
voix et en se
regard courroucé. tu
vois-tu, c'est qu'ils m'avaient bien
même,
la
ont parlé de
Ils
?
— Oui, répliqua — Je comprends
Ce
mon
Et elle chercha.
rapprochant du vieillard.
toi.
jure,
?
chent? Qu'est-ce donc? Veux-tu que
«
te
Villefort sortenl
à ce
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Alois pourquoi es-tu fâché
9
?
Les yeux du vieillard prirent une expression de don ceur
infinie.
— Oui,
comprends,
je
Valentine; parce que iu
dit
m'aimes?
Le
vieillard
fit
signe que oui.
— Et tu as peur que je ne —
sois
malûeureusef
Oui.
— Tu n'aimes pas M. Franz Les yeux répétèrent
?
ou quatre
trois
fois
:
— Non, non, non. — Alors tu as bien du chagrin, bon père? — Oui. — Eh bien
!
écoute, dit Valentine en se mettant à ge-
noux devant Noirtier et en lui passant ses bras a.Ttour du cou, moi aussi, j'ai bien du chagrin, car moi non plus je
n'aime pas M, Franz d'Épinay.
Un
éclair
—
Quand
de joie passa dans les yeux de j'ai
me
voulu
rappelles bien, que tu as été
Une larme humecta
— Eh bien
!
si fort
fait
te ?
paupière aride du vieillard.
continua Valentine,
à ce mariage, qui
La
la
l'aïeul.
au couvent, tu fâché contre moi
retirer
mon
c'était
pour échapper
désespoir.
respiration de Noirtier devint haletante.
— Alors, ce mariage mon
Dieu,
si
te fait
bien du chagrin, bon père?
tu pouvais m'aider, si nous pouvions à
nous deux rompre leur projet Mais tu es sans force contre eux, toi dont l'esprit cependant est si vif et la vo!
lonté
si
faible et
pour
fe^me ,'mais quand
même
mu un protecteur
«t de ta santé;
comprendre
il
s'agit
de lutter tu es aussi
plus faible que moi. Hélas si
I
tu eusses été
puissant aux jours de
ta force
mais aujourd'hui tu ne peux plus que
et te réjouir
ou
t'affliser
me
avec moi. C'est un
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ÎO derniei
bcnheur que Dieu a oublié de m'enlever
a¥€fi les
autres. Il
y eut à ces paroles, dans les
yeux de
Noirtier,
telle
expression de malice et de profondeur, que
fille
;rut
— Tu
ces mots
la
y
lire
te
trompes, je puis encore beaucoup pour
— Tu peux
une
jeune
:
toi.
quelque chose pour moi, cher bon papa?
traduisit Valentine.
— Oui. yeux au
Noirtier leva les
ciel. C'était le
signe convenu
entre lui et Valentine lorsqu'il désirait quelque chose.
— Que veux-tu, cher père
?
voyons.
Valentine chercha un instant dans son esprit, exprima tout haut ses pensées à
à
elle
,
et
vieillard répondait
— Allons, si sotte
mesure
qu'elles se présentaient
voyant qu'à tout ce qu'elle pouvait
constamment non
fit-elle, les
dire, le
:
grands moyens, puisque je suis
!
Alors elle récita l'une après l'autre toute les lettres de l'alphabet depuis interrogeait l'œil
que
A
jusqu'à N, tandis que son sourire
du paralytique
;
à N, Noirtier
fit
signe
oui.
— Ah
dit Valentine, la chose que vous désirez commence par la lettre N c'est à l'N que nous avons affaire? Eh bien! voyons, que lui voulons-nous à l'N? Na, ne, I
;
ni, no.
— Oui, oui, oui, — Ahl no? — Oui.
fit
le vieillard.
c'est
Valentine alla chercher
un
dictionnaire qu'elle pos*
sur un pupitre devant Noirtier; elle l'ouvrit, et quand elle eut
vu
l'œil
du
vieillard fixé sur les feuilles, son doigt
courut vivement du haut en bas des colounssc
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. L'exercice,
dans
depuis six ans que Noirtier
fâcheux état où
le
épreuves
les
pensée du dans
Il
tombé
était
se trouvait, lui avait rendu
il
faciles, qu'elle devinait aussi vile
si
vieillard
que
la
lui-même eût pu cherchei
si
le dictionnaire.
Au mot
notaire, Noirtier
— Notaire, Le
dit-elle; tu
vieillard
fit
fit
signe de s'arrêter.
veux un
notaire,
bon papat
signe que c'était effectivement
un
no-
taire qu'il désirait.
—
faut donc envoyer chercher
Il
un
demanda
notaire ?
Valentine.
— Oui, paralytique. — Mon père savoir — Oui. fit
le
doit-il le
f
— Es-tu pressé d'avoir ton notaire? — Oui. — Alors on va l'envoyer chercher te
cher père. Est-ce tout ce que tu veux
— Oui.
Valentine courut à la sonnette
et
tique pour le priar de faire venir M. lefort
chez
le
— Es-tu bien Et
:
jeune
suita^^
appela un domesou madame de Vil-
grand-père.
content?
hein? ce
la
tout de
?
n'était
fille
dit
Valentine; oui... je
pas facile à trouver, cela
sourit à l'aïeul
comme
le
crois
pu
fairt
?
elle eût
à un enfant.
M. de
Villefort entra
ramené par
Barrois.
— Que voulez-vous, Monsieur ?demanda-t-il au parv lytique.
— Monsieur,
dit
Valentine,
mon
grand-père désire un
aotaire.
A
cette
Villefort
demande étrang3
et surtout inattendue,
échangea un regard avec
le
paralytique.
M. de
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lî
— Oui, qu'avec
fit
ce dernier avec
l'aide
de Valentine
une fermeté qui
indiquait
de sou vieux servileur,qui
et
savait maiuieuant ce qu'il désirait,
il
a soutenir
était prêt
la lutte.
— Vous demandez — Oui. — Pour quoi faire?
le
notaire? répéta Villeforl.
Noirtier ne répondit pas.
— Mais
qu'avez- vous besoin d'un notaire? demanSa
Villefort.
Le regard du paralytique demeura immobile conséquent muet, ce qui voulait dire
ma
:
et
par
dam
Je persiste
volonté.
— Pour nous
faire
quelques mauvais tour?
dit Ville-
fort; est-ce la peine?
— Mais enfin,
dit Barrois, prêt
à insister avec
sévérance habituelle aux vieux domestiques,
veut un notaire
,
apparemment
c'est
Ainsi je vais chercher
un
qu'il
si
la
per-
monsieur
en a besoin.
notaire.
Barrois ne reconnaissait d'autre maître que Noirtier et
n'admettait jamais que ses volontés fussent contestées en rien.
— Oui, je veux un notaire, les
yeux d'un
si l'on
osera
air
me
de défi
et
fil
le vieillard
comme
s'il
eût
en fermant
dit
:
Voyons
refuser ce que jo veux.
— On aura un notaire,
puisque vous en voulez abso-
lument un, Monsieur; mais je m'excuserai près de vous excuserai vous-même, car
— N'importe,
la
scène sera
dit Barrois, je vais
toujours
cher.
El
le
vieux serviteur
sortit
triomphant.
lui et
fort ridicule. J'aller
cher-
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ii
II
LE TESTAMENT.
Au moment ou line
La jeune son
Barrois sortit, Noirlier regarda Valen-
av^c cet intérêt malicieux qui annonçait tant de choses. fille
comprit ce regard
car
et Villefort aussi,
front se rembrunit et son sourcil se fronça.
Il
prit
un
siège, s'installa dans la
chambre du paraly-
tique et attendit. Noirtier le regardait faire
rence
;
tine de
mais, du coin de
l'œil,
ne point s'inquiéter
et
avec une parfaite il
indiffé-
avait ordonné à Valen-
de rester aussi.
Trois quarts d'iieure après, le domestique rentra avec le notaire.
— Monsieur,
dit Villefort
après les premières saluta-
vous êtes mandé par M.
Noirtier de Villefort, que une paralysie générale lui a ôlé l'usage des membres et de la voix, et nous seuls à grand'peine parvenons à saisir quelques lambeaux de ses pensées.
tions,
voici;
Noirtier ût de
rieux et
— mon
si
l'oeil
un appel à Valentine, appel
si sé-
impératif, qu'elle répondit sur-le-champ
:
Moi, Monsieur, je comprends tout ce que veut dire grand-père.
— C'est vrai, comme
ajouta Barrois, tout, absolument tout,
je le disais à
Monsieur en venant.
— Permettez, Monsieur, dit le notaire
et
vous aussi. Mademoiselle,
en s'adressant à Villefort
et
à Valentine
un 1e ces cas où l'officier public ne peut mconsidérément procéder sans assumer une re5Doi»3abi"té dan c'est là
gereuse. La première nécessité, pour qu'un acte soil va-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
14 lable, esl
que
le noiaire soit
lement interprète
la
bien convaincu qu'il a fidè-
volonté de celui qui
le dicte.
Or, jo
ne puis pas moi-môme être sûr de l'approbation ou de l'improbal'on d'un client qui ne parle pas jet
de ses désirs
et
et
;
comme l'ob-
vu son mutisme,
de ses répugnances,
De peut m'étre prouvé clairement, mon ministère
est
plus qu'inutile et serait illégalement exercé.
Le
notaire
fit
un pas pour se
retirer.
Un
imperceptible
sourire de triomphe se dessina sur les lèvres
reur du
roi.
De son
une telle expression de douleur, chemin du noiaire.
— Monsieur,
du procu-
côté, Noirtier regarda Valentine avec
dit -elle, la
qu'elle se plaça sur le
langue que je parle avec
grand-père esl une langue qui se peut apprendre
ment,
et
de
même que je
le
comprends je puis en quel-
ques minutes vous amener à faut-il,
mon
facile-
,
le
comprendre. Que vous
voyons, Monsieur, pour arriver à
la parfaite édi-
de votre conscience?
fication
— Ce qui est nécessaire pour que nos actes soient valables. Mademoiselle,
répondit
certitude de l'approbation
la
peut
tester
le
notaire; c'est-à-dire
ou de
malade de corps, mais
l'improbation. il
On
faut tester sais
d'esprit.
— Eh bien! Monsieur, avec deux signes vous acquer rez celle certitude que
mon grand-père
n'a jamais mieux
joui qu'à celte heure de la plénitude de son intelligence.
M.
Noirtier, privé de la voix, privé
yeux quand reprises quand
les
il il
du mouvement, ferme
à plusieurs veut dire non. Vous eo savez assez
veut dire oui,
et les cligne
maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.
Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu'il fui oomf/ris
du
Qolaire lui-même.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Vous avez entendu
compris ce que vient de dire
et
TOtre peiile-ûlle, Monsieur?
doucement
Noiriier ferma
un
IK
demanda les
yeux,
le notaire.
et les rouvrit après
instant.
— Et vous approuvez ce qu'elle a dit? c'est-à-dire que bien ceux à l'aide des-
les signes indiqués par elle sont
quels vous faites comprendre votre pensée
?
— Oui, encore vieillard. — C'est vous qui m'avez demander? — Oui. — Pour faire votre testament — Oui. — Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir le
fit
fait
?
fait
ce testament?
Le paralytique cligna vivement
et à plusieurs reprises
ses yeux.
— Eh demanda
bien la
I
Monsieur, comprenez-vous, maintenant,
jeune
fille,
et votre
conscience sera-t-elle en
repos?
Mais avant que le notaire n'eût pu répondre, Yillefort le tira
à part
:
— Monsieur,
dit-il,
croyez-vous qu'un
homme
puisse
supporter impunément un choc physique aussi terrible
que
celui qu'a
que
le
—
moral
Ce
éprouvé M, Noirtier de
ait
n'est point c«la
sans ?
précisément qui m'inquiète,
iMonsieur, répondit le notaire, mais je
ment nous arriverons à deviner voquer
Villefort,
reçu lui-même une grave atteinte
les
me demande com-
pensées, afin de pro-
les réponses.
— Vous voyez donc que c'est impossible,
dit Villefort.
Valentine et le vieillard entendaient cette conversation. Noirtier arrêta son regard tine,
si fixe et si
ferme sur Valen-
que ce regard appelait évidemment une
riposte.
LE COM'IL DE MONTE-CRISTO.
J6
— Monsieur,
dit-elle,
que cela ne vous inquiète point;
si difficile
qu'il soit,
ou
couvrir
pensée de
mon
rai,
la
plutôt qu'il
vous paraisse de dé-
grand-père, je vous
la
ff.véle-
moi, de façon à lever tous les doutes à cet égard.
Voilà six ans que je suis près de M. Noirtier, dise lui-même,
dans son cœur faute de pouvoir
est resté enseveli faire
comprendre
— Non,
fil
et, qu'il le
depuis six ans, un seul de ses désirs
si,
me
le
?
le vieillard.
— Essayons donc,
dit le notaire
;
vous acceptez Made-
moiselle pour votre interprète?
Le paralytique
— Bien et
;
signe que oui.
fit
voyons. Monsieur, que désirez-vous de moi,
quel est l'acte que vous désirez faire?
Valentine qu'à
nomma
toutes les lettres de l'alphabet jus-
la lettre T.
A celte
lettre, l'éloquent
coup
d'œil de Noirtier l'arrêta.
— C'est la lettre T que Monsieur demande, taire; la
—
no-
Attendez, dit Valentine; puis, se retournant vers
son grand-père
Le
dit le
chose est visible.
:
Ta... te...
vieillard l'arrêta à la
Alors Valentine
prit
le
seconde de ces syllabes. dicllonnairo,, et
aux yeux du
notaire attentif elle feuilleta les pages.
— Testament,
son doigt arrêté par
dit
le
coup
d'oeil
de
Noirtier.
— Testament Monsieur veut
!
s'écria ie notaire, la
chose est visible
;
tester.
— Oui, Noirtier à plusieurs reprises. — Voilà qui est merveilleux. Monsieur, convenez-en, fit
dit le notaire à Villefort stupéfait.
— En effet,
répliqua-t-il, et plus merveill-^ux encore
serait ce testament
;
car, enfin, je
ne pense pas que
les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
47
anicles se Tiennent ranger sar ie papier, uiui pai moi,
ma
sans l'intelligente aspiration de sera pent-être
un
être
un peu
Or, Valentine
tille.
trop intéressée à ce testament pour
interprète convenable des obscures volontés de
M. Noirtier de Villefort. '- Non, non! fît le paralytique.
— Comment
dit
I
M. de
Villefort, Valentine n'est point
intéressée à votre testament?
— Non, Noirtier. — Monsieur, fit
dit le
notaire
,
qui, enchanté de cette
épreuve, se promettait de raconter dans détails de cet
me
épisode pittoresque
;
paraît plus facile maintenant que ce
je regardais
ment
comme une
monde
et ce testa-
un testament mystique,
à-dire prévu et autorisé par la loi
pourvu
approuvé par
les
que tout à l'heure
chose impossible,
sera tout simplement
face de sept témoins,
le
monsieur, rien ne
c'est-
qu'il soit lu
le testateur
en
devant
eux, et fermé par le notaire, toujours devant eux. Quant au temps, il durera à peine plus longtemps qu'un testament ordinaire il y a d'abord les formules consacrées et qui sont toujours les mêmes, et quant aux détails, la plupart seront fournis par l'état même des affaires du testa;
teur et par vous qui, les ayant gérées, les connaissez.
Mais
d'ailleurs,
nous allons l'un de
mes
lui
pour que cet acte demeure inattaquable, donner l'authenticité la plus complète;
confrères
me
servira d'aide
et,
contre les
habitudes, assistera à la dictée. Êtes-vous satisfait, sieur
?
continua
— Oui, — Que
le notaire
en s'adressant au
répondit Noirtier, radieux d'être compris. va-t-il
faire? se
demanda
Villefort à qui sa
oaute position commandait tant de réserve,
et qui, d'ail-
ne pouvait deviner vers quel but tendait son père. se retourna donc pour envoyer chercher le deuxième
leurs, il
Mon-
vieillard.
LE COMTE DE MONTE-CIUSTO.
18
notaire désigné par le premier; mais Barrois, qui avail tout entendu et qui avait deviné le désir de son maître, était déjà parti.
Alors
Au dans
le
procureur du roi
fit
dire à sa
bout c'un quart d'heure, tout
la
chambre du paralytique,
le
et le
femme de monter. monde était réuni
second notaire
était
arrivé.
En peu de mots les deux officiers ministériels furem On lut à Noirlier une formule de testament
d'accord.
vague
,
banale; puis pour commencer, pour ainsi dire,
l'investigation de son intelligence, le premier notaire, se
retournant de son côté, lui dit
— Lorsqu'on
:
son testament. Monsieur,
fait
c'est
en
laveur de quelqu'un.
— Oui, Noirtier. — Avez- vous quelque idée du chiffre auquel se monte fit
votre fortune?
— Oui. — Je vais vous nommer plusieurs ront successivement teint celui
;
que vous croirez
monte-
j'aurai at-
être le vôtre.
— Oui. Il
chiffres qui
vous m'arrêterez quand
y avait dans cet interrogatoire une espèce de solen-
nité; d'ailleurs jamais la lutte de l'intelligence contre la
matière
n'a-^ait
peut-être été plus visible; et
un sublime, comme nous un curieux, spectacle.
On
faisait cercle
était assis
si
ce n'était
allions le dire, c'était
au moini
autour de Villefort
taire se tenait
debout devant
— Voti e fortune dopasse ce pas? demanda-t-il. Noirlier
;
le
à une table, tout prêt à écrire
fit
signe que oui.
;
second notaire le
premier no-
lui et interrogeait.
trois cent mille francs, n'es^
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Possédez-vous quatre cent
IS
mille francs?
demanda
le notaire.
Noirtier resta immobile.
— Cinq cent mille? Même
—
immobilité.
Six cent mille ? sept cent mille? huit cent millet
neuf cent mille? Noirtier
fit
signe que oui.
— Vous possédez neuf cent mille francs? — Oui. — En immeubles? demanda notaire. le
Noirtier
fit
signe que non.
— En inscriptions Noirtier
fit
de rentes?
signe que oui.
—
Ces inscriptions sont entre vos mains?
Un
coup
d'oeil
adressé à Barrois
viteur, qui revint
un
fît
sortir le
vieux ser-
une
petite cas-
instant après avec
sette.
—
Permettez-vous qu'on ouvre cette cassette? de-
manda
le notaire.
Noirtier
On
fit
signe que oui.
ouvrit la cassette et l'on trouva pour neuf cent
mille francs d'inscriptions sur le Grand-Livre.
Le premier notaire passa,
les
unes après
chaque inscription à son collègue;
comme
l'avait
les autres,
compte y
le
était,
accusé Noirtier.
— C'est bien cela,
dit-il;
il
est évident
que l'intelligence
est dans toute sa force et dans toute son étendue.
Puis, se retournant vers
— Donc,
lui dit-il,
de capital, qui, à
la
le
paralytique
:
vous possédez neuf cent mille francs façon dont
vous produire quarante mille
ils
sont placés, doivent
livres de rentes
à
peu
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
SO
— Oui,
fit
ISoiriier.
— A qui désirez-vous laisser cette fortune? — Ohl madame de Villefort, cela n'est pDinl doudit
teux; M. Noirlier aime uniquement sa moiselle Valenline de Villefort
depuis six ans
;
elle a
peiite-fillc,
made-
c'est elle qui le soigne
:
su captiver par ses soins assidu»
de son grand-père, et je dirai presque sa re-
l'affection
connaissance
;
il
est
donc juste qu'elle recueille
prix de
le
son dévouement. L'œil de Noirlier lança
un
éclair
comme
s'il
n'était
dupe de ce faux assentiment donné par madame de lefort
—
aux
pas Vil-
attentions qu'elle lui supposait.
Est-ce donc à mademoiselle Valenline de Villefort
neuf cent mille francs? demanda
que vous
laissez ces
le notaire,
qui croyait n'avoir plus qu'à enregistrer cette
clause, mais qui tenait à s'assurer cependant de l'assen-
timent de Noirlier, et voulait faire constater cet assenti-
ment par tous
les
Valentine avait
yeux
témoins de cette étrange scène. fait
un pas en
arrière et pleurait les
baissés; le vieillard la regarda
un
instant avec
l'expression d'une profonde tendresse; puis se retour-
nant vers
le notaire,
il
cligna des
yeux de
la
façon la plus
significative.
— Non?
dit le notaire;
comment, ce
n'est pas
made-
moiselle Valentine de Villefort que vous instituez pour votre légataire universelle? Noirtier
fit
signe que non.
— Vous ne vous trompez pas? s'écria vous
dites bien
— Non
!
le notaire
étonné;
non?
répéta Noirtier, noni
Valenline releva la tète; elle
était
stupéfaite,
de son exhédération, mais d'avoir provoqué qui dicte d'ordinaire de pareils actes.
non pas
le sentioienl
LE COMlTb DE MONTE-CRISTO. Mais Noirtier la regarda avec une sion de tendresse qu'elle s'écria
—
mon bon
Olil
— Oh
:
que
père, je le vois bien, ce n'est
votre fortune que vous m'ôtez
fQUJours votre
2!
profonde expres-
si
cœur
me
mais vous
,
laissez
?
yeux du paune expression à laquelle
oui, bien certainement, dirent les
I
ralytique, se fermant avec
Valentine ne pouvait se tromper.
— Merci
1
merci
murmura
!
Cependant ce refus avait
madame
la
jeune
fille.
dans
fait naître
le
cœur de
de Villefort une espérance inattendue;
elle se
rapprocha du vieillard.
— Alors fort
c'est
que vous
tier ?
donc à votre
demanda
la
Ville-
monsieur Noir-
fui terrible
:
il
exprimait pres-
la haine.
— Non, ici
Edouard de
mère.
Le clignement des yeux que
petit-fils
laissez votre fortune, cher
fit
présent
le notaire
;
alors c'est à
monsieur votre
— Non, répliqua
le vieillard.
Les deux notaires se regardèrent stupéfaits et sa
fils
?
femme
;
Villefort
se sentaient rougir, l'un de honte, l'autre de
colère.
^ Mais, que vous avons-nous donc
fait,
père, dit Va-
vous ne nous aimez donc plus ? Le regard du vieillard passa rapidement sur son
lentine
;
fils,
sur sa belle-fille, et s'arrêta sur Valentine avec une
expression de profonde tendresse.
— Eh bien
!
dit-elle, si tu
tâche d'allier cet
meni.
Tu me
la fortune
ma mère
,
:
m'aimes, voyons, bon père,
amour avec
ce que tu
fais
en ce mo-
connais, tu sais que je n'ai jamais songé à
d'ailleurs,
trop riche
on
dit
même
;
que je suis riche du côté de explique-toi donc.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«2
main de Valeû-
Noirtier fixa son regard ardent sur la tine.
— Ma main? — Oui, Noirtier. — Sa maini répétèrent tous les assistants. dit-elle.
fil
- Ahl Messieurs, vous voyez bien que tout lile
,
que mon pauvre père est fou, dit Ohl s'écria tout à coup Valentine,
—
Mon mariage,
— Oui, çant
un
n'est-ce pas,
comprends!
je
bon père?
oui, oui, répéta trois fois le paralytique, lan-
éclair à
chaque
fois
— Tu nous en veux pour — Oui. — Mais absurde, — Pardon, Monsieur,
que le
se relevait sa paupière.
mariage, n'est-ce pas
?
dit Villefort.
c'est
dit le
traire
est inu*
Villefort.
et
est très-logique et nie
notaire, tout cela l'effet
fait
au con-
de s'enchaîner
parfaitement.
—
Tu ne veux
pas que j'épouse M. Franz d'Épi-
nay?
—
Non, je ne veux pas, exprima
— Et vous déshéritez votre taire,
-
parce qu'elle
fait
l'œil
petite-fllle
du ,
vieillard.
s'écria le
no-
un mariage contre votre gré?
— Oui, répondit Noirtier. — De sorte que sans ce mariage
elle serait votre
hé-
ère?
— Il
Oui. se
fil
alors
un
silence profond autour
du
vieillard.
Les deux notaires se consultaient; Valentine, •ointes, regardait
les
mains
son grand-père avec un sourire lecon-
oaissAnt; Villefort mordait ses lèvres minces;
de Villefort ne pouvait réprimer
madame
un sentiment joyeuï
qui, malgré elle, s'épanouissait sur son visage.
~ Mais,
dit enfin Villefi^'^t,
rompant
le
premier ce
si-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lence,
me
il
semble que
je suis seul
23
juge des convenances
qui plaident en faveur de cette union. Seul mdître de la
main de
ma fille,
je
veux
qu'elle épouse M. Franz d'Épi
oay, et elle l'épousera.
Valentine tomba pleurante sur
— Monsieur,
dit le notaire,
que comptez-vous
faire
un
fauteuil.
s'adressant au vieillard,
de votre fortune au cas où
demoiselle Valentine épouserait M. Franz
Le
vieillard resta
ma-
?
immobile.
— Vous comptez en disposer, cependant? — Oui, Noirtier. — En faveur de quelqu'un de votre famille fit
—
?
Non.
— En faveur des pauvres, alors — Oui. — Mais, notaire, vous savez que ?
dit le
la loi
à ce que vous dépouilliez entièrement votre
— Oui. — Vous ne disposerez donc que de
s'oppose
fils ?
la partie
que
la loi
vous autorise à distraire. Noirtier demeura immobile.
— Vous continuez à vouloir disposer de tout? — Oui. — Mais après votre mort on attaquera testament le
— Non. — Mon père me connaît fort,
leurs
il il
?
Monsieur, dit M. de Villeque sa volonté sera sacrée pour moi d'ailccrnprend que dans ma position je ne puis plai,
sait
;
der contre les pauvres. L'œil de Noirtier
exprima
— Que décidez -vous,
le
triomphe.
Monsieur? demanda
le notaire
à
Villefort.
— Rien
,
Monsieur, c'est une résolution prise dans
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
24
mon
de
l'espril
mon
père, et je sais que
me
pas de résolution. Je
père ne change
résigne donc. Ces neuf cent
mille fiancs sortiront de la famille pour aller eiirichir les
hôpitaux; mais je ne céderai pas à un caprice de vieillard, et je ferai selon
ma
conscience.
Et Villefort se retira avec sa femme, laissant son père libre
Le les
de tester
même
comme
jour
témoins,
fut
il
il
l'entendrait.
testament fut
le
approuvé par
fait
;
on
alla
le vieillard,
chercher
fermé en
leur présence et déposé chez M. Descharaps, le notaire
de
la famille.
m LE TÉLÉGRAPnE.
M.
et
madame
eux, que M.
pour leur
où
il
le
de Villefort apprirent, en rentrant chex
comte de Monte-Cristo, qui
faire visite, avait été introduit
les attendait
;
madame
était
dans
venu
le salon,
de Villefort, trop émolion-
née pour entrer ainsi tout à coup, passa par sa chambre à coucher, tandis que
le
procureur du
lui-même, s'avança directement vers Mais gût
si
roi,
nuage de son
rire brillait
front
Villefort
que
le
plus sûr de
salon.
maître qu'il fût de ses sensations,
composer son visage, M. de
écarter le
le
si
bien qu'il
ne put
comte, dont
si
le
bien
sou-
radieux, ne remarquât cet air sombre et rô-
veur.
— Oh
I
mon
Dieul
dit
Monte-Cristo après les premiers
compliments, qu avez-vous donc, monsieur de yillefor4f
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
95
au moment où vous dressiez quelque accusation an peu trop capitale ?
et suis-je arrivé
Villefort essaya de sourire.
— ISou, time
monsieur
que moi.
ici
le
C'est
comte,
dit-il,
il
n'y a d'autr3 vic-
moi qui perds mon procès
et
,
c'est le hasard, l'entêtement, la folie qui a lancé le réquisitoire.
— Que voulez-vous dire un
?
intérêt parfaitement joué.
rivé quelque
— Oh
1
demanda Monte-Cristo avec Vous est-il, en réalité, ar-
malheur grave ?
monsieur
le
comte,
dit Villefort
avec un calme
plein d'amertume, cela ne vaut pas la peine d'en parler
;
presque rien, une simple perte d'argent.
— En
effet, répondit Monte-Cristo, une perte d'argent peu de chose avec une fortune comme celle que vous possédez et avec un esprit philosophique et élevé comme
est
l'est le
vôtre
I
— Aussi, répondit d'argent qui
me
Villefort, n'est-ce point la question
préoccupe, quoique, après
cent mille francs vaillent bien
un
regret,
tout,
neuf
ou tout au moins
un mouvement de dépit. Mais je me blesse surtout de cette disposition du sort, du hasard, de la fatalité, je ne sais comment nommer la puissance qui dirige le coup qui me frappe et qui renverse mes espérances de forlune
et détruit peut-être l'avenir
de
ma
fille
par
le
ca-
tombé en enfance. Eh mon Dieu qu'est ce donc ? s'écria le comte. Neuf cent mille francs, avez-vous dit ? Mais, en vérité, comme vous le dites, la somme mérite d'êire regrettée, même par un philosophe. Et qui vous donne ce chaprice d'un vieillard
—
!
I
grin?
— Mon père, dont je vous parlé. — M. Noirtier vraiment Mais vous ai
1
I
m'aviez
dit,
ce
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
26
me
semble
,
en paralysie comnlète, et gne
était
qu'il
toutes ses facultés étaient anéanties ?
— Oui, ses facultés physiques, maer, dant,
pense,
il
quitte
ne peut point parler,
il
il
cupé à
veut,
il
il
et,
car
il
ne peut pas
avec tout
cela,
comme vous
agit,
y a cinq minutes,
dicter
et
rfr-
cepen-
voyez. Je
dans ce moment,
il
le
est oc-
un testament à deux notaires.
— Mais alors a parlé — a mieux, comprendre. — Comment cela? —A du regard; ses yeux ont continué de vivre, ?
il
fait
Il
il
s'est fait
l'aide
vous voyez,
et
ils
— Mon ami, trer à
dit
madame
de Villcfort qui venait d'en-
son tour, peut-être vous exagérez-vous la situation?
— Madame... •—
tuent.
Madame
dit le
comte en
s'inclinanl.
de Villefort salua avec son plus gracieux
sourire.
— Mais
que
me
dit
donc
là
M. de Villefort? demanda
Monte-Cri«to, et quelle disgrâce incompréhensible?...
— Incompréhensible, du
en haussant
roi
— Et
il
les
n'y a pas
mol
c'est le
!
reprit le
procureur
épaules, un caprice de vieillard
moyen de
le faire
!
revenir sur cette
décision?
—
Si
même
de
fait,
mon
dit
madame
de Villefort;
et
il
dépend
mari que ce testament, au lieu d'être
au détriment de Valentine,
soil
fait
fait
au contraire en sa
faveur.
Le comte, voyant que parler par paraboles, prit
les
deux époux commençaient à
l'air distrait, cl
regarda avec
tention la plus profonde et l'approbation la plus
l'at-
marquée
Edouard qui versait de l'encre dans l'abreuvoir des
oi-
ieaux.
— Ma chère
dit Villefort
répondant à sa femme, vous
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. savez que j'aime peu
que je
et
me
poser chez moi en patriarche,
jamais cru que
n'ai
ma
d'un signe de
le sort
Cependant
tête.
27
de l'univers dépendit importe que mes
il
décisions soient respectées dans ma famille, et que la folie
d'un vieillarQ
un
d'un enfant ne renversent pas
et le caprice
mon esprit depuis était mon ami, vous
projet arrêté dans
Le baron d'Épinay alliance avec son
— Vous croyez Une
est d'accord
fils était ,
dit
avec
une
des plus convenables.
madame de Villefort, que Va-snlui?... En effet... elle a toujours ne serais pas étonnée que
été opposée à ce mariage, et je
que nous venons de voir
tout ce
longues années. le savez, et
et d'entendre
ne
soit
que l'exécution d'un plan concerté entre eux. Madame dit Villefort on ne renonce pas ainsi croyez-moi, à une fortune de neuf cent mille francs. Elle renoncerait au monde Monsieur puisqu'il y a un an elle voulait entrer dans un couvent. N'importe, reprit de Villefort, je dis que ce mariage
—
,
,
—
,
,
—
Madame
doit se faire.
— Malgré Villefort
,
I
de votre père
la volonté
attaquant une autre corde
Monte-Cristo
faisait
,
jours respecté
de
reprit Villefort
mon
père
,
,
à deuy
titres,
sacré
;
madame de
c'est bien
grave
I
et
disait.
je puis dire
que
j'ai
tou-
parce qu'au sentiment naturel
descendance se joignait chez moi
la
sa supériorité morale
? dit
semblant de ne point écouter,
oe perdait point un mot de ce qui se
— Madame
:
la
conscience de
parce qu'enfin un père est sacré
comme
notre créateur, sacré
comme
notre maître; mais aujourd'hui je dois renoncer à reconjaîire
une
intelligence dans
simple souvenir de haine pour ûis
;
il
sei ait
le
le
vieillard qui, sur
un
père, poursuit ainsi le
donc ridicule à moi de conformer
duite à ses capricesi Je continuerai d'avoir
le
ma
con-
plus grand
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Î8
respect pour M. Noirtier; je subirai sans
me
punition pécuniaire qu'il m'inflige
je resterai
muable dans ma volonté,
et le
mais
;
monde
plaindre la
im-
appréciera do quel
En conséquence, je marierai au baron Franz d'Épinay, parce que ce mariag*
côté était la saine raison.
ma
lîlle
est, à
mon
sens,
veux marier nu,
—
Eh quoi
I
qu'en définitive
et bonoraljle, et
à qui
me
comte
dit le
!
constamment
avait
quoi
bon fille
,
je
plaît.
dont
le
procureur du
sollicité l'approbation
du regard
roi ;
eh
M. Noirtier déshérite, dites-vous, mademoiselle
Valentine, parce qu'elle va épouser M. le baron Franz
d'Épinay
—
?
Eh mon Dieu I
Villefort
— La
1
en haussant
oui
,
Monsieur
;
voilà la raison
,
dit
les épaules.
raison visible
,
du moins
,
ajouta
madame de
Villefort.
— mon
La raison
réelle,
Madame. Croyez-moi,
— Conçoit-on cela? répondit vous
je
je connais
père.
le
la
jeune femme; en quoi,
demande, M. d'Epinay
déplaît-il plus
qu'un
autre à M. Noirtier?
— ney, fait
En le
effet, dit le
fils
comte,
j'ai
connu M. Franz d'Épi-
du général de Quesnel,
baron d'Épinay par
le roi
n'est-ce pas, qui a été
Charles
X?
— Justement, reprit — Eh bien mais c'est un jeune homme charmant, Villefort.
1
me
semble
— Aussi dit
n'est-ce qu'un prétexte, j'en suis certaine,
madame
de Villefort; les vieillards sont tyrans de
leurs affections fille
—
ce
1
;
M. Noirtier ne veut pas que sa
petite-
se marie.
Mais,
dit
Monte-Cristo, ne ^-onnaisse^- vous pas une
cause à celte haine ?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Eh
mon
!
Dieul qui peut savoir
29
?
— Quelque antipathie politique peut-être — En père de M. d'Épinay mon père et
ont
vu que
les
?
effet
le
,
vécu dans des temps orageux dont je
n'ai
derniers jours, dit Villefort.
—
Votre père
comme
quelque chose
— Mon
me
?
demanda
rappeler que vous m'avez
dit
cela.
père a été jacobin avant toutes choses
,
reprit
emporté par son émotion hors des bornes de
Villefort,
prudence,
robe de sénateur que Napoléon
et la
jetée sur les épaules ne
homme, mais s.;^irair,
pas bonapartiste
n'était-il
Monte-Cristo. Je crois
faisait
sans l'avoir changé.
la
lui avait
que déguiser
le vieil
Quand mon père con-
ce n'était pas pour l'empereur, c'était contre les
BourLons qu'il n'a
;
mon
car
père avait cela de terrible en
lui,
jamais combattu pour les utopies irréalisables,
mais pour
les
choses possibles, et
qu'il a
appliqué à la
réussite de ces choses possibles ces terribles théories de la
Montagne, qui ne reculaient devant aucun moyen.
— Eh bien! M. Noirtier
Monte-Cristo, voyez-vous, c'est cela
dit
M. d'Épinay se seront rencontrés sur
et
de la politique. M.
le
général d'Épinay, quoique ayant
servi sous Napoléon, n'avait-il pas
au fond du cœur gardé
des sentiments royalistes, et n'est-ce pas assassiné
un
l'avait atdré
.
le sol
même qui
le
fu
soir sortant d'un club napoléonien,
où on
un
frère?
dans l'espérance de trouver en
Villefort regarda le
lui
comte presque avec terreur.
— Est-ce que me trompe? Monte-Cristo. — Non pas. Monsieur, madame de je
dit
Villefort, et
dit
c'est bien cela,
au
contraire
;
et c'est
justement à cause de
ce que vous venez de dire que, pour voir s'éteindre de vieilles haines,
M. de
Villefort avait
eu
l'idée
aimer deux enfants dont les pères s'étaient haïs.
de faire
,
uE COMTE DE MONTE-CRISTO.
80
-— Idée sublime
1
dit
Monle-Crislo, idée pleine de cha-
monde
Eo
rité et
à laquelle
c'était
beau de voir mademoiselle Noirtier de
le
madame Franz
8'appcler
devait applaudir.
d'Épinay.
Villefort tressaillit et regarda Monte-Cristo
eût voulu
au fond de son cœur
lire
effet
Villefort
comme
s'il
l'intention qui avait
dicté les paroles qu'il venait de prononcer.
Mais
le
comte garda
sur ses lèvres
de son regard,
sourire stéréotypé
le bienveillant
encore, malgré la profondeur
et celte fois
;
procureur du roi ne
le
pas au delà do
vit
î'épiderme.
— Aussi,
quoique ce
reprit Villefort
malheur pour Valcnline que de perdre
soit
un grand
la fortune
de son
grand-père, je ne crois pas cependant que pour cela
le
mariage manque; je ne crois pas que M. d'Épinay recule devant cet échec pécuniaire
mieux que
être
de
lui tenir
ma
leurs, est riche
madame
;
verra que je vaux peut-
il
somme moi
qui la sacrifle au désir
,
parole
;
il
calculera que Valcntine
,
d'ail-
du bien de sa mère, administré par M.
de Saint-Méran, ses aïeuls maternels, qui
chérissent tous
—
la
et la
deux tendrement.
Et qui valent bien qu'on les aime et qu'on les
«oigne
comme
Valentine a
dame de Villefort un mois au plus,
;
fait
d'ailleurs,
et Valentine,
dispensée de s'enterrer
pour M. Noirtier,
ils
dit
ma-
vont venir à Paris dans
après un
comme
elle
tel affront,
l'a
fait
sera
jusqu'ici
auprès de M. Noirtier.
Le comte écoutait avec complaisance
la
voix discor-
lante de ces amours-propres blessés et de ces intérêts meurtris.
— Mais
il
de silence,
que
me
semble,
et je
je vais dire
;
dit
Monte-Cristo après un instant
vous demande pardon d'avance de ce il
me semble aue
si
M.
Noirtier désbé-
,,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO, mademoiselle de
rite
n'a pas le
il
même
— N'est-ce fort
coupable de se vouloir
Villefort,
marier avec un jeune tort
homme
3«
donl
il
a délesté
père
le
à reprocher à ce cher Edouard.
pas, Monsieur? s'écria
madame de
avec une intonation impossible à décrire
:
Ville-
n'est-ce
pas que cest injuste, odieusement injuste? Ce pauvre
Edouard,
il
est aussi bien le petit-fils de
Valentine, et cependant ser M.
Franz
si
M. Noirlier
,
son bien
lui laissait tout
de plus, enfin, Edouard porte qui n'empêche pas que,
M. K^irtier que
Valentine n'avait pas dû épou-
même
nom
le
;
et
de la famille, ce
en supposant que Valen-
effectivement déshéritée par son grand-père
tine soit
encore
elle sera
trois fois
Ce coup porté,
— Tenez,
le
plus riche que
comte écouta
et
lui.
ne parla plus.
monsieur
reprit Villefort, tenez,
le
comte,
cessons, je vous prie, de nous entretenir de ces misères
de famille; oui,
c'est vrai,
ma
fortune va grossir le revenu
des pauvres, qui sont aujourd'hui les véritables riches.
Oui,
mon
père m'aura frustré d'un espoir légitime, et
cela sans raison
de sens, j'avais
;
mais moi
j'aurai agi
comme un homme
promis
revenu de
le
comme un homme
de cœur. M. d'Épinay, à qui cette
somme
,
le
recevra
dussé-je m'imposer les plus cruelles privations.
— Cependant
,
reprit
madame
de Villefort
,
revenant à
murmurât sans cesse au fond de son cœur , peut-être vaudrait-il mieux que l'on confiât cette mésaventure à M. d'Épinay et qu'il rendît lui-môme sa
.a seule idée qui
,
Darole.
— Oh
!
ce serait
un grand malheur
I
s'écria Villefort.
— Un grand malheur? répéta Monte-Cristo. — Sans doute, mariage manqué, de
la
reprit Villefort
même
en se radoucissant
;
un
pour des raisons dargent, jette
défaveur sur ime jeune
fille
;
puis, d aaciens bruits
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
5î
que
je voulais éteindre reprendraient de la consistance.
Mais non
homme,
,
n'en sera rien. M. d'Épinay
il
de Valentine qu'auparavant
— Je
comme
pense
autrement
;
dans un simple but d'avarice
,
esl
s'il
agirait
il
M. de Villcfort,
dit
Monte-Cristo
madame de Villcfort amis pour me permettre de
assez de ses
un
conseil, je l'inviterais
nir, à ce
que
m'a
l'on
dit
enfin
une
M. de
Villcfort.
— Bien
du moins, à nouer
,
dit-il
voilà tout ce
,
en tendant
monde
— Monsieur, ;
visible, tandis
que
je
demandais tel
il
;
n'y a rien de changé à nos projets.
comte,
le
monde,
tout injuste qu'il
vous en réponds, gré de voire réso-
je
vos amis en seront
fiers, et
M. d'Épinay,
prendre mademoiselle de Villcfort sans dot saurait être
,
et je
que vous,
considère ce qui est arrivé aujourd'hui
dit le
vous saura,
lution
pour
main à Monte-Cristo. Ainsi donc, que
la
ici
comme non avenu est,
celte affaire
pàlissaft légèrement.
prévaudrai de l'opinion d'un conseiller
tout le
donner
puisque M. d'Épinay va reve-
Ce dernier se leva, transporté d'une joie
dit-il
lui
partie dont l'issue doit être si honorable
que sa femme
me
et si j'é-
;
ne se put dénouer; j'engagerais
fortement qu'elle
Li
,
donc
non, c'est impossible.
:
en fixant son regard sur lais
honnête
engagé par rexhércdaiion
se verra encors plus
,
dùl-il
ce qui ne
sera charmé d'entrer dans une famille où
l'on sait s'élever à la
hauteur de
tels sacrifices
pour
tenir
sa parole et remplir son devoir.
En il
disant ces mois, le comte s'était levé et s'apprêtait
partir. —
ùc:
-
Vous nous
quittez,
monsieur
le
comte?
dit
madame
Vjljeiort.
— J'y
suis forcé
rapiielei voi'e
,
Madame
,
je venais
promesse pour samedi.
seulement vott»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
33
— Craignez-vouâ que nons i'ôutîiassions — Vous êtes trop bonne, Madame; mais M. ?
fort
a de
graves
si
et parfois
de
si
de Ville-
urgentes occupA-
lions...
—
ma-
;Mon mari a donné sa parole, Monsieur, dit
dame de quand
vous venez de voir
Villefcrt,
qu'il la
tient
a tout à perdre, à plus forte raison quand
il
il
a
tout à gagner.
—
demanda
Et,
—
Non
maison des
Villefort, est-ce à votre
Champs-Elysées que
réunion a lieu?
la
pas, dit Monte-Cristo, et c'est ce qui lend
encore votre dévouement
plus méritoire
:
à la
c'est
campagne.
— A campagne? — Oui. — Et où cela? près de Paris, n'est-ce pas? — Aux portes, à une demi-lieue de barrière, la
la
à
Au-
teuil.
—
A
Auteuill s'écria Villefort. Ahl c'est vrai,
dame m'a c'est
ma-
que vous demeuriez à Auteuil, puisque
dit
chez vous qu'elle a été transportée. Et à quel en-
droit d'Auteuil?
— Rue de — Rue de alranglée
;
la
Fontaine
la
I
Fontaine!
et à quel
reprit Villefort d'une voix
numéro?
— Au n' 28. — Mais, s'écria Villefort, c'est donc à vous que l'on a yendu •
la
maison de M. de Saint-Méran?
- Dp m.
de Saint-Méran? demanda Monte-Crista
Cette maison appartenait-elle donc à M. de Saint-Meran
—
Oui, reprit
madame
une chose, monsieur
— Laquelle?
le
de Villefort
comte?
,
et
croyez-vouf
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
S4
— Vous trouvez celle maison n'esl-ce pasY — Charmante. — Eh bien mon mari n'a jamais voulu l'habiter. — Chl reprit Monte-Cristo, en vérité, Monsieur, jolie,
I
une prévention dont
je
me
ne
— Je n'aime pas Auteuil, Monsieur, reur du
en faisant un
roi,
c'est
rends pas compte.
effort
répondit
procu-
le
sur lui-même.
—
Mais je ne serai pas assez malheureux, je l'espère, Ht avec inquiétude Monte-Cristo, pour que celle antipathie
me
que
du bonheur de vous recevoir?
prive
— Non,
monsieur
— Oh!
le
que
je ferai tout ce
comte... j'espère bien... croyez je pourrai, balbutia Villefort.
répondit Monte-Cristo, je n'admets pas d'ex-
cuse. Samedi, à six heures, je vous attends, el
ne veniez pas, sur
que
moi?
si
vous
y a maison inhabitée depuis plus de vingt ans
cette
je croirais,
quelque lugubre
tradition,
sais-je,
qu'il
quelque sanglante légende.
vivementVillefort. monsieur — comte, — Merci, Monte-Cristo. Maintenant faut que vous j'irai, dit
le
J'irai,
dit
me
il
permettiez de prendre congé de vous.
— En nous
fort, et
faire,
vous avez
effet,
quitter,
vous
monsieur alliez
même,
quand vous vous
une autre
—
vous
Bah
que vous dit
je crois,
étiez forcé de
madame de
Ville-
nous dire pourquoi
êtes interrompu
pour passer à
idée.
— Fu vérité, Madame, j'oserai
dit
comte,
le
!
dire
où
dit
Monte-Cristo, je ne sais
si
je vais.
dites toujours.
— Je vais, en véritable badaud que
je suis, visiter
une
ehose qui m'a bien souvent fait rêver des heures entières. Laquelle?
— Un télégraphe. Ma tant voilà mol lâché. — Un télégraphe répéta madame de Villefort. foi
'
pis,
le
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Eh mon
5Ç
un télégraphe. J'ai vu parfois 1 bout Q'un chemin, sur un tertre, par un heau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d'uiî immense coiéoptère, et jamais ce ne fut sans émof ,n, je vous jure, car je pensais que ces signes bizarre^ sp.ndant l'air
Dieu, oui,
avec précision, et portant à
lonlé inconnue
homme
d'un
trois cents lieues la
assis devant
une
rj.
table, à
un autre nomme assis à l'extrémité de la ligne devani une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l'azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout-puissant je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je :
Or, jamais l'envie ne m'était
riais.
venue de voir de près aux pattes noires et
ces gros insectes au ventre blanc,
maigres, car je craignais de trouver sous leurs ailes de pierre le petit génie
humain, bien gourmé, bien pédant,
bien bourré de science, de cabale ou de sorcellerie. Mais
beau matin
voilà qu'un
chaque télégraphe
était
appris que le moteur de
j'ai
un pauvre
diable d'employé à
douzft cents francs par an, occupé tout le jour à regarder,
non pas
comme
le
le ciel
comme
pécheur, non pas
l'astronome,
le
paysage
non pas
l'eau
comme un
cer-
veau vide, mais bien l'insecte au ventre blanc, aux pattes noires, son correspondant, placé à quelque quatre ou lui. Alors je me suis senti pris d'un désir curieux de voir de près cette chrysalide vivante et d'as-
cinq lieues de
sister
à
la
comédie que du fond de sa coque
à cette autre chrysalide, tres
quelques bouts de
en
tirant les
donne
eîlc
uns après
les
au-
ficelle.
— Et vous allez là? — J'y vais.
—
A
quel télégraphe?
ricbr ou de
A
l'Observatoire?
celui
du ministère de '^
l'inlé-
t
LE COMTE DE MUISlli-tRlSlO.
se
— Ohl
non pas,
trouverais là des gens qui rou-
je
draient n^e forcer de
comprendre des choses que
icnorer, et qui m'expliqueraient malgré qu'ils
ne connaissent pas. Peste
sions
que
donc
veux
veux garder
les illu-
encore sur les insectes; c'est bien assez
j'ai
d'avoir déjà perdu celles n'irai
je
!
je
moi un vnyslère
que
j'avais sur les
hommes.
au télégraphe du ministère de
ni
Je
l'intérieur,
au télégraphe de l'Observatoire. Ce qu'il me faut, c'est télégraphe en plein champ, pour y trouver le pur bon-
ni le
homme
—
pétrifié
Vous
êtes
dans sa tour.
un
singulier grand seigneur, dit Ville-
fort.
— Quelle ligne me conseillez-vous d'étudier? — Mais plus occupée à cette heure. — Bon! celle d'Espagne, alors — Justement. Voulez-vous une du ministre pour la
?
lettre
qu'on vous explique...
— Mais non, contraire,
où
dit
Monte-Cristo, puisque je vous dis, au
que je n'y veux rien comprendre.
comprendrai quelque chose,
j'y
télégraphe,
il
il
Du moment
n'y aura plus de
n'y aura plus qu'un signe de
M. Ducbàtel
ou de M. de Montalivet, transmis au préfet de Hayonne et travesti en doux mots grecs T-nlt, yfxkfziv. C'est :
la
bote
aux
pattes noires et le
mol
conserver dans toute sa pureté
et
cITrayant
que
dans toute
je
ma
veux véné-
ration.
— et
Mlez donc, car dans deux heures
vous ne verrez plus
— Diable vous m'effrayez. Quel est — Sur route de lîayonne — Oui, va pour route de Bayonne. — C'est celui de Châtillon. I
la
il
fera nuit, et
rien.
?
la
*- Et après celui de Cliâlillooî
le
plus proche
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Celui de —
Merci
la tour
de Montlhéry, je
au revoir
,
!
Samedi
je
37
croiii.
vous raconterai mes
impressions.
A
la porte, le
comîe se trouva avec
les
deux notaires
qui venaient de déshériter Valentine, et qui se retiraient
enchantés d'avoir
de leur
faire
fait
un
acte qui ne pouvait
manquer
grand honneur.
IV LE MOYEN DE DÉLIVRER UN JARDINIER DES LOIRS QUI MANGENT SES PÊCHES.
Non pas
même
le
lendemain matin,
le
comme
soir,
il
l'avait dit,
comte de Monte-Cristo
mais
sortit
le
par la
barrière d'Enfer, prit la route d'Orléans, dépassa le vil-
lage de Linas sans s'arrêter au télégraphe qui, juste-
ment au moment où
le
comte passait,
faisait
mouvoir ses
longs bras décharnés, et gagna la tour de Montlhéry, tuée,
comme chacun sait,
plaine de ce
la
Au un
si-
sur l'endroit le plus élevé de
nom.
pied de la colline, le comte mit pied à terre, et par
de
petit sentier circulaire, large
commença de
gravir la
dix-huit pouces,
montagne arrivé au sommet, ;
il
une haie sur laquelle des fruits verts avaient succédé aux fleurs roses et blanches. se trouv» arrêté par
Monte-Cristo chercha
la
porte
tarda point à la trouver. C'était
du
une
petit enclos, et
roulant sur des gonds d'osier et se fermant avec
une ficelle. En un instant le comte mécanisme et la porte s'ouvrit. et
TOME
IV.
ne
petite herse en bois,
fut
un cloo au courant du
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
88
Le comte se trouva alors dans un petit jardin de vingt pieds de long sur douze de large, borné d'un côté par la partie
dfe .a
haie dans laquelle était encadrée l'ingénieuse
machine que nous avons décrite sous de
•t
.^mée de ravenelles
On
et
nom
le
de
l'autre par la vieille tour ceinte
de porte
lierre, toute
par
de giroflées.
n'eût pas dit, à la voir sjnsi ridée et fleurie
comme
UD3 aïeule à qui ses petits-enfants viennent de souhaiter lît fête, qu'elle pourrait raconter liien des drames terribles si elle
une voii aux
joignait
menaçantes qu'un
oreilles
vieax proverbe donne aux murailles.
On
parcourait ce jardin en suivant
une
allée sablée de
sable rouge, sur lequel mordait, avec des tons qui eussent réjoui l'œil de Delacroix, notre
Rubens moderne, une
bordure de gros buis, vieille de plusieurs années. Cette allée avait la
manière à
forme d'un
faire
en s'élançant, de
8, et tournait
dans un jardin de vingt pieds une prome-
nade de soixante. Jamais Flore, déesse des bons jardiniers
riante
la
latins,
d'un culte aussi minutieux et aussi pur que
qu'on
En
lui
l'était
celui
rendait dans ce petit enclos.
effet,
de vingt rosiers qui compo. aient
pas une feuille ne portait la trace de petite
fllei la
et fraîche
n'avait été honorée
la
le parterre,
mouche, pas un
grappe de pucerons verts qui désolent
et
rongent les plantes grandissant sur un terrain humide.
Ce
n'était
lardin
;
cependant point l'humidité oui manquait à ce
la terre
noire
comme
de
la suie
,
l'opaque feuil-
lage des arbres, le disaient assez; d'ailleurs l'humidité taclice eût
promptement suppléé à l'humidité naturelle,
giice au tonneau plein d'eau croupissante qui creusait
on des angles du jardin, et dans lequel stationnaient, sur une nappe verte, une grenouille et un crapaud qui, par (Dcompalibililé d'buxnenr
.
sans doute
,
se tenaient tou-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lours,
3î>
en se tournant le dos, aux deux points opposés du
Tercle.
D'ailleurs, pas
une herbe dans
les allées,
ton parasite dans les plates-bandes;
émcnde avec moins de
polit et
pas un reje-
une petite-maîtresse
soin les géraniums, les
cactus et les rhododendroDS de sa jardinière de porcelaine
que ne
le faisait le
maître jusqu'alors invisible du
petit enclos.
Monte
Cri sto s'arrêta après avoir
agrafant la ficelle à son clou
,
refermé
la porte
en
embrassa d'un regard
et
toute la propriété.
—
Il
parait
,
dit-il
jardiniers à l'année,
que l'homme du télégraphe a des
,
ou se
passionnément à
livre
l'agri-
culture.
Tout à coup
il
se heurta à quelque chose
,
tapi der-
une brouette chargée de feuillage ce quelque chose se redressa en laissant échapper une exclamation qui
rière
:
peignait son étonnement, et Monte-Cristo se trouva en
bonhomme
face d'un
d'une cinquantaine d'années qui plaçait sur des feuilles
ramassait des fraises qu'il
de
vigne. Il
de
y avait douze feuilles de vigne et presque autant
fraises.
Le bonhomme, en se relevant,
faillit
laisser
choir
fraises, feuilles et assiette.
— Vous Cristo
faites
votre récolte
Monsieur
,
— Pardon, Monsieur, répondi'. tant la vrai,
?
dit
Monte-
en souriant. le
mais je viens d'en descendre à
— Que je ne vous gêne en cueille?:
vos
— J'en
ai
fraises,
si
encore di^
rien,
por-
l'instant
mon ami,
même.
dit le
comte
;
vous en reste encore. l'homme, c»r en voici onze.
toutefois dit
bonhomme en
jo ne suis pas là-haut, c'est
main à sa casquette,
il
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
40
et j'en avais
vingt et une, cinq de plus que l'année der-
nière. Mais ce n'est pas étonnant, le printemps a été
aux
celle année, et ce qu'il faut
chaud
la chaleur.
vouS, Monsieur, c'est
de seize que
eues l'année passée, j'en
j'ai
voyez-
fraise?
Voilà pourquoi, au lieu ai cette
année,
voyez-vous, onze déjà cueillies, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit. Oh!
manque deux elles
y étaient, j'en suis sûr, je les
que ce soit flées
;
je
de
le fils
mon Dieu
y étaient encore
elles
,
la
ai
I
comptées.
mère Simon qui me
il
m'en
Monsieur,
hier,
Il
faut
les ait souf-
vu rôder par ici ce matin. Ahl le petit drôle, un enclos il ne sait donc pas où cela peut le
l'ai
voler dans
!
mener.
— En
Monte-Cristo, c'est grave, mais vous
dit
effet,
ferez la part de la jeunesse
du délinquant
et
de sa gour-
mandise.
— Certainement, moins
est pas
fort
pardon, Monsieur attendre ainsi
Et
il
:
dit le jardinier
;
cependant ce n'en
désagréable. Mais, encore une fois, c'est peut-être
un chef que
je fais
?
interrogeait d'un regard craintif le
comte
et
son
habit bleu.
— Rassurez-vous, mon ami, à sa volonté,
rire qu'il faisait,
lant, et
qui cette
fois
dit le si
comte avec ce sou-
terrible et si bienveil-
n'exprimait que la bienveillance, je
ne suis point un chef qui vient pour vous inspecter, mais
un simple voyageur conduit par nnence
vous
même
qui com-
perdre votre temps.
fait
— Oh
la curiosité et
à se reprocher sa visite en voyant qu'ii
mon temps n'est pas cher, répliqua le homme avec un sourire mélancolique. Cependant le
I
temps du gouvernement,
mais j'avais reçu
le signal
et je
ne devrais pas
le
bonc'es
perdre
qui m'annonçait que je poa-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. vais
me reposer une heure
(il
4t
yeux sur un cadran
jeta les
y avait de tout dans l'enclos de Montlhéry, même un cadran solaire), et, vous solaire, car
j'avais encore dix
mûres,
étalent
voyez,
minutes devant moi, puis mes
frajses
un jour de
et
foi,
non
,
de
le
vous, Monsieur, que les
— Ma
la tour
il
loirs
ne
je
plus... D'ailleurs, croiriei-
me les mangent?
l'aurais pas cru, répondit grave-
ment Monte-Cristo c'est un mauvais voisinage, Monsieur, que celui des loirs, pour nous qui ne les man;
geons pas confits dans du miel mains.
,
— Ahl
Romains
les
mangeaient
ils
les
CMMne
faisaient les
Ro-
Jm^ mangeaient?
fit
le jardinier;
les loirs?
— comte. lu cela dans Pétrone, — Vraiment? Ça ne doit pas être bon, quoiqu'on dise dit le
J'ai
Gras
comme un
sieur,
que
Et ce n'est pas étonnant,
loir.
les loirs soient gras,
:
Mon
attendu qu'ils dorment
toute la sainte journée, et qu'ils ne se réveillent que pour
Tenez, l'an dernier, j'avais quatre
ronger toute
la nuit.
abricots
m'en ont entamé un. J'avais
un
;
seul,
Monsieur,
ils il
est vrai
me
ils
que
l'ont
c'est
un
un brugnon,
rare; eh bien!
fruit
à moitié dévoré du côté de la
mu-
un brugnon superbe et qui était excellent. Je n'en jamais mangé de meilleur. Vous l'avez mangé ? demanda Monte-Cristo. C'est-à-dire 'a moitié qui restail, vous comprenez
raille; ai
— —
bien. C'étai» exqu' là
5,
Monsieur.
Ah dame I
1
ces messieurs-
ne choisissent pas les pires morceaux. C'est
fils
de
la
mère
fraises, allez
I
Si:
non,
il
n'a pas choisi les plus
comme
le
mauvaises
Mais cette année, continua l'horticulteur,
soyez tranquille, cela ne m'arrivera pas, dussé-je, quand les fruits seront prêts (farder.
de mûrir, passer
la nuit
pour les
LE COMTE
4Î
E MONTE-CRISTO.
I
homme
Monte-Cristo en avait assez vu. Chaque
aisa
mord au fond du cœur, ccmme chaque son ver; ceUe de l'homme au télégraphe, c'était
passion qui le fruit
l'horticulture.
cœur du
dev'gne qui
se mil à cueillir les feuilles
Il
cachaient les grappes au soleil Jardinier.
,^^se ccuquit par
là le
""^R,*'
— Monsieur venu pour v(^46 télégraphe — Oui, Monsieur, toutefois cela n'est pas défendu ? dit-il.
était
si
par les règlements.
— Oh
!
pas défeiK^^e moins du monde, dit le jardi-
n^^ifcâiéide dangereux, vu que per-
nier, attendu qu'il
sonne ne
—
ne peut savoir ce que nous disons.
sait ni
On m'a
dit,
en
ijffel,
même,
wf^'— Certainemeii PTwsieur,
dit
comte, que vous ré-
reprit le
vous ne compreniez pas vous-
pétiez des signauijiroe '
et
j'aime bien
mieux
cela,
en riant l'homme du télégraphe.
— Pourquoi aimez-vous mieux cela? — Parce que, de cette façon, je pas n'ai
hilité.
de responsa-
Je suis une machine, moi, et pas autre chose, et
pourvu que
je fonctionne,
on ne m'en demande pas da-
vantage.
—
Diable
ûl
!
Monte-Cristo en lui-même,
par hasard je serais tombé sur pas d'ambition? Morbleu
—
Monsieur,
dit le
801 «tadran solaire, <OLjne a
I
mon po^. Vous
--Je vous
que
n'aurait
ce serait jouer de malheur.
jardinier en jetant
les dix
est-ce
un homme qui
un coup d'œil sur
minutes vont expirer, ]a replait-il
de monter avec oaoi
t
suis.
Monle-Crisio entra, en
effet, dans la tour divisée en du bas contenait quelques instruments
trois étages; celui
aratoires, tels
que bêches, râteaux, arrosoirs, dressés c'était tout l'ameublement.
contre la muraille
:
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Le second
était rhabitation ordinaire
turne de l'employé; tensiles
ou plutôt noc-
contenait quelques pauvres us-
il
de ménage, un
43
lit,
une
table, deux, cliaites,
une
fontaine de gré^, plus quelques herbes sèches pendues
au plafoAd,
et
que
le
comte reconnut poar des pois de
senteur et des haricots d'Espagne dont le bonhomme conservait la graine dans. sa
avec
le soin
coque
;
avait étiqueté tout cela
il
d'un maître botaniste du Jardin des Plantes.
— Faut-il passer beaucoup de temps à étudier graphie. Monsieur?
la télé-
demanda Monte-Cristo.
— Ce n'est pas l'étude qui^jMiBfngue,^
c'est le
surnu-
mérariat.
— Et combien reçoit-on d'appointements — Mille francs. Monsieur. — Ce n'est guère. — Non mais on est logé, comme vous voyez. ?
'
;
Monte-Cristo regarda la chambre.
—
Pourvu qu'il n'aille pas tenir à son logement murmura- t-il. On passa au troisième étage c'était la chambre du i
:
télégraphe. Monte-Cristo regarda tour à tour les
deux
poignées de fer à l'aide desquelles l'employé
faisait
jouer
mais à la longue
c'est
U machine.
— C'est
fort intéressant, dit-il,
un peu insipide? Oui, dans le commencement cela donne le torticolis à force de regarder mais au bout d'un an ou doux on une vie qui
doit
vous
paraître
—
;
s'y fait; puis
nous avons nos heures ;le récréalion
jours de congé.
— Vos jours de congé? — Oui. — Lesquels? — Ceux où du brouillard. il
fait
et
nos
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
44
— Ah! c'est juste. — Ce sont mes jours de le
fête,
à moi
;
je descends dans
jardin ces jours-là, et je plante, je taille, je rogne,
j'(^clicnille
:
ea somme,
le
temps passe.
—
Depuis combien de temps êtes-vous
—
Depuis dix ans, et cinq ans de surnumérariat, qumze.
— — —
Vous
ici ?
avez?...
Cinquante-cinq ans.
Combien de temps de service vous
faut-il
pour
avoir la pension?
— Oh Monsieur, vil|Ncinq ans. — Et de combien est cette pension — De cent écus. — Pauvre humanité murmura Monte-Cristo. — Vous Monsieur?... demanda l'employé. — Je dis que c'est intéressant. — Quoi? — Tout ce que vous me montrez... Et vous ne comI
?
I
dites,
fort
prenez lien absolument à vos signes?
— Rien absolument. — Vous n'avez jamais essayé de comprendre? — Jamais pour quoi faire? — Cependant, y a des signaux qui s'adre.ssent à ;
il
vous directement.
— —
— — —
Sans doute. El ceux-là vous les comprenez? Ce sont toujours les mômes. Et
ils
disent?
Bien de
nouveau.... vous avez une heure.,,,
ou à
demain.
—
Voilà qui est parfaitement innocent, dit
mais regardez donc, ne dant qui se met en
voilà-t-il
mouvcmfnt?
le
comte
;
pas votre correspon-
Lli
— Ah
COMTE DE MONTE-CRISTO
c'est vrai
!
— Et que vous comprenez?
;
45
merci, Monsieur.
dit-il? est-ce
quelque chose que vous
— Oui me demande je suis prêt. — Et vous répondez?... — Par un signe qui apprend en môme temps il
;
si
lui
mon
à
correspondant de droite que je suis prêt, tandis quM invite mon correspondant de gauche à se préparer à soi tour.
— C'est très-ingénieux, — Vous voir, allez
dans cinq minutes
—
J'ai
dit le
reprit
il
va
comte.
avec orgueil
le
bonhomme
parler.
cinq minutes alors, dit Monte-Cristo, c'est plus
de temps qu'il ne m'en faut.
Mon
cher Monsieur,
dit-ii,
i>ermettez-moi de vous faire une question.
— — — —
rasse
Faites.
Vous aimez le jardinage? Avec passion. Et vous seriez heureux, au lieu d'avoir une de vingt pieds, d'avoir un enclos de deux
ter-
ar-
pents?
— — — — — —
Monsieur, j'en ferais un paradis terrestre.
Avec vos Assez mal
mille francs vous vivez
mal?
mais enfln je vis. Oui; mais vous n'avez qu'un jardin misérable.
Ah
I
;
c'est vrai, le jardin n'est
Et encore,
tel qu'il est,
il
est
pas grand.
peuplé de
loirs qui
dévorent tout.
— Ça, c'est mon Oéau. — vous aviez T)ites-raoi\ si
tète,
— —
quand Je ne
le
le
malheur de
tourne»- fa
correspondant de droite va marcher?
le verrais pas.
Alors, qu'arriverait-il?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
46
— — —
Que
je
ne pourrais pas répéter ses signaux»
Et après? II
arriverait que,
l^ente, je serais
—
ne
pas répétés par négll-
les ayant
mis à l'amende.
—
De combien ? De cent francs.
—
Le dixième de votre revenu
— Ail l'employé. — Cela vous est arrivé — Une Monsieur, une
;
c'est joUI
fit
!
? dit
fois,
Monte-Cristo.
fois
que
je greffais
un
ro
sier noisette.
—
Bien. Maintenant,
si
vous vous avisiez de chan-
ger quelque chose au signal, ou d'en transmettre autre
— drais
— —
Alors, c'est différent, je serais renvoyé et je per-
ma
pension.
Trois cents francs?
Cent écus, oui. Monsieur; aussi vous comprenez
que jamais
—
un
?
je
ne
môme
Pas
ferai rien
de tout cela.
pour iiuinze ans de vos appointements?
Voyons, ceci mérite réflexion, hein
— — — — — — —
Pour quinze mille francs? Oui.
Monsieur, vous m'effrayez. IJah!
Monsieur, vous voulez
me
tenter?
Justement! Quinze mille francs, comprenez vous? Monsieur, laissez-moi regarder
de droite
mou
correspondant
I
— Au contraire, ne regardez pas et regardez ceci. — Qu'est-ce que c'est? le
—
Comment
plers-Ià?
1
vous ne connaissez pas cei
petits pA-
^ COMTE DE MONTE-CRISTO.
47
— Des de banque — Carrés y en a quinze. — El à qui «ont-ils? — A vous, vous voulez. — Amoil s'écria l'employé suffoqué. — Oh mon Dieu, oui à vous, en toute propriété. — Monsieur, voilà mon correspondant de droite qai billets ;
I
il
si
!
I
marche.
— Laissez-le marcher. — Monsieur, vous m'avez
distrait,
et je vais être
à
J'amende.
— Cela vous coûtera cent francs vous avez tout
intérêt à prendre
;
vous voyez bien que
mes quinze
billets
de
banque.
— Monsieur, il
le
correspondant de droite s'impatiente,
redouble ses signaux.
— Laissez-le
faire et prenez.
Le comte mit
le
— Maintenant, mille francs
paquet dans la main de l'employé.
dit-il,
ce n'est pas tout
:
avec vos quinze
vous ne vivrez pas.
— J'aurai toujours ma place. — Non, vous la perdrez car vous allez faire un autre ;
signe que celui de votre correspondant.
— Oh Monsieur, que me proposez-vous là? — Un enfantillage. — Monsieur, à moins que d'y être — Je compte bien vous y forcer effectivement. 1
forcé...
Et Monte-Cristo
tira
de sa poche un
— Voici dix autres mille francs,
autrf»
dit-il;
paquet.
avec
les
quinze
qui sont dans votre poche, cela fera vingt-cinq mille.
Avec cinq maison autres,
mille francs vous achèterez
une jolie petite deux arpents de terre avec les vingt miUd vous vous ferez mille francs de rente. et
;
LE COMTE DE iMONTE-CUlSTO.
48
— Vn jardin de deux arpents ? ~ Et mille francs de rente. — Mon Dieu mon Dieul — M;iis prenez donci !
Et Monte-Cristo mil de force les dix mille francs dans !a
main de l'employé.
— Que dois-je faire? — Rien de bien — Mais enfin? — Répéter les signes que voici. difficile.
Monte-Cristo
tira
l'ordre dans lequel
— Ce
de sa poche un papier sur lequel
ils
devaient être
ne sera pas long,
il
y
numéros indiquant
tout tracés, des
signes
avait trois
faits.
comme vous
voyez.
— Oui, mais... —
C'est
pour
coup que vous aurez des brugnons,
le
et
de reste.
Le coup porta gouttes, le trois
;
rouge de fièvre
bonhomme exécuta
les
et
suant à grosses
uns après
les autres les
signes donnés par le comte, malgré les effrayantes
dislocations
du correspondant de
droite, qui,
ne compre-
nant rien à ce changement, commençait à croire que
l'homme aux brugnons
devenu
était
fou.
Quant au correspondant de gauche, cieusement
les
mômes
il
répéta conscien-
signaux, qui furent recueillis dé-
finitivement au ministère de l'intérieur.
—
Maintenant, vous voilà
riclie, dit
Monte-Cristo.
— Oui, répondit l'employé, mais à quel prixl — fîcoutez, mon ami Monte-Cristo, je ne veux pas ,
que vous TOUS
jure,
ayf!Z
dit
des remords
vous n'avez
fait
;
de
croyez-moi donc, car, je tort à
personne,
et
vous
avez servi les projets de Dieu.
L'employé
re^arr^ait les billets
de banque, les palpail
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. les comptait
il
;
cipita ""ers sa il
était pâle,
il
était
rouge
;
enfin,
49 il
se pré-
chambre pour boire un verre d'eau
;
mais
n'eut pas le temps d'arriver jusqu'à la fontaine, et
il
s'évanouit au milieu de ses haricots secs.
Cinq minutes après que
la
arrivée au ministère, Debray
coupé,
et
nouvelle télégraphique fut fit
mettre les chevaux à son
courut chez Danglars.
— Votre
mari a des coupons de l'emprunt espagnci?
à la baronne.
dit-il
— Je crois bien en a pour six millions. — Qu'il les vende à quelque prix que ce — Pourquoi cela? — Parce que don Carlos sauvé de Bourges il
?
soit.
s'est
et est
rentré en Espagne.
— Comment savez-vous cela? — Parbleu, Debray en haussant les épaules, comme dit
je sais les nouvelles.
La baronne ne
se le
fit
pas répéter deux
fois
:
elle
courut chez son mari, lequel courut à son tour chez son agent de change et
Quand on
vit
lui
ordonna de vendre à tout prix.
que M. Danglars vendait,
les fonds
espa-
gnols baissèrent aussitôt. Danglars y perdit cinq cent mille francs, mais
Le
soir
on
lut
il
se débarrassa de tous ses coupons.
dans
le
Messager :
Dépêche télégraphique. m
Le
roi
don Carlos a échappé à
la
surveillance qu'on
exerçait sur lui à Bourges, et est rentré en la frontière
faveur.
Espagne par
de Catalogne. Barcelone s'est soulevée en sa
»
Pendant toute la soiréB il ne fut bruit que de la préToyance de Danglars, qui avait vendu ses coupons, et da
LE COMTE DE MONTE-GRISIT.
«0 bonheur de francs sur
l'agioteur, qui
un
ne perdait que cinq cent mHl«
pareil coup.
Ceux qui avaient conservé leurs coupons ou acheté «eux de Danglars se regardèrent comme ruinés et passèune fort mauvaise nuit. Le lendemain on lut dans le Moniteur : « C'est sans aucun fondement que le Messager a auloncé hier la fuite de don Carlos et la révolte de Bar-
rent
celone. «
Le
roi
don Carlos n'a pas quitté Bourges,
et la
Pé-
ninsule jouit de la plus profonde tranquillité. «
Un
signe télégraphique, mal interprété à cause da
brouillard, a
donné
lieu à cette erreur,
»
Les fonds remontèrent d'un chiffre double de celui où ils étaient descendus. Cela
fit,
en perte
et
en manque à gagner, un million
de différence pour Danglars.
— Bon!
dit
Monte-Cristo à Morrel, qui se trouvait chez
au moment où on annonçait l'étrange revirement de Bourse dont Danglars avait été victime je viens de faire lui
;
pour vingt-cinq mille francs une découverte que j'eusse payée cent mille.
— Que venez-vous donc de découvrir? demanda Maximilien.
— Je viens
de découvrir
le
moyen de
délivrer
iioier des loirs qui lui mangeaient ses pêches
un jar-
LK COMTE DE MONTE-CRISTO.
bi
LES FANTOMES.
A
première vne,
la
et
examinée du
deiiors, Ja maisc%'
d'Auteuil n'avait rien de splendide, rien de ce qu'on pouvait attendre
d'une habitation destinée au magnifique
ie Monte-Cristo
comtfc
:
mais cette simplicité
tenait à la
volonté du maître, qui avait positivement ordonné que rien
ne fût changé à
l'extérieur;
il
n'était
besom pour
convaincre que d^ considérer l'intérieur. porte était-elle ouverte
la
M. Bertuccio
s'était
que
le
s'en
En effet, a peine
spectacle changeait.
surpassé lui-même pour
le
goût
ameublements et la rapidité de l'exécution comme autrefois le duc d'Antin avait fait abattre en une nuit une allée d'arbres qui gênait le regard de Louis XIV, de même âes
en
:
trois
jours M. Bertuccio avait
entièrement nue,
et
venus avec leurs blocs énormes de la façade principale
fait
planter
une cour
de beaux peupliers, des sycomores racines, ombrageaient
delà maison, devant laquelle, au lieu
de pavés à moitié cachés par l'herbe, s'étendait une pelouse de gazon, dont les plaques avaient été posées le
même,
matin
et
qui formait
un vaste
tapis
où
perlait en-
core l'eau dont on l'avait arrosé.
Au
reste, les ordres venaient
remis à Bertuccio un plan où \Sl
du comte; lui-même avait
était
indiqué
le
nombre
et
place des arbres qui devaient être plantés, la forme et
l'espace
Vue
d«.
'a
pe'ouse qui devait succéder aux pavés.
ainsi, la
maison
était
devenue méconnaissable,
et
Bertuccic lui-même protestait qu'il ne la reconnaissait plus, emboîtée qu'elle était dans son cadre de verdure.
n
LE COMTE DE MUNTE-CKISIU. L'inlendanl n'eût pas été fâché, tandis qu'il y était,
quelques transformations au jardin:
faire subir
df»
m?.' s le
comte avait positivement défendu qu'on y touchât en rien. Bertuccio s'en dédommagea en encombrant de cheminées.
fleurs les antichambres, les escaliers ei ies
Ce qui annonçait l'extrême habileté de l'intendant la
pour se
que cette maison, déserte de. sombre et si triste encore la veille
faire servir, c'zst
puis vingt années,
si
imprégnée qu'elle
tout
de celte fade odeur qu'on
était
un jour, le mai
pourrait appeler l'odeur du temps, avait pris en
avec l'aspect de tre,
la vie, les
parfums que préférait
jusqu'au degré de son jour favori
et
comte, en arrivant, avait ses armes
;
là,
oiseaux dont
les il
chiens dont
aimait
le
c'est
que
le
il
aimait les caresses, les
chant ; c'est que toute cette mai-
son, réveillée de son long sommeil Belle
;
sous sa main, ses livres et
sous ses yeux ses tableaux préférés; dans les
antichambres
la
et
profonde science du maître, l'un pour servir, l'autre
au bois dormant,
pareille à ces
comme
le
palais de
vivait, chantait, s'épanouissait,
maisons que nous avons depuis longtemps
chéries, et dans lesquelles, lorsque par
malheur nous
les
nous laissons involontairement une partie de
quittons,
notre àme.
Des domestiques belle cour
:omme
:
s'ils
les
allaient et venaient
joyeux dans
uns possesseurs des cuisines,
cette
et glissant.
eussent toujours habile celte maison, dans dei
escaliers restaurés de la veille, les autres peuplant les re-
mises,
otx les
équipages, numérotés et casés, semblaieni
installés
depuis cinquante ans
vaux au
râtelier rc-pondaieni
Diers, qui leur parlaient
;
et les écuries,
où
en hennissant 5ux
les
che
oalofre-
avec infiniment plus de respect
que eaiicoup de domestiques ne parlent à leurs maîtres. l
La bibliothèque
était
dispo><ie sur
deux corps, aux
,
M
LE COMTE DE MOÏn f E-CRISTO.
deux côtés de la muraille, et contenait deux milles volumes à peu près tout un compartiment était destiné aux romans modernes, et celui qui avait paru la veille :
rangé à sa place, se pavanant dans sa reliure
était déjà
rouge
De
et or.
de la maison, faisant pendant à
l'autre côté
la bi-
y avait la serre, garnie de plantes rares et s'épanouissant dans de larges potiches japonaises, et au bliothèque,
milieu de
il
la serre,
un
l'odorat,
billard
merveille à la fois des yeux et de
que
une heure au plus par mourir
Une
l'on eût dit
les billes sur le tapis.
chambre avait été respectée par le magniDevant cette chambre située à l'angle
seule
fique Bertuccio.
,
gauche du premier étage par
le
grand escalier,
calier dérobé et Bertuccio
A
,
les
et
,
à laquelle on pouvait monter
dont on pouvait sortir par
avec terreur. ,
le
comte arriva
maison d'Auteuil. Bertuccio
la
arrivée avec
l'es-
domestiques passaient avec curiosité
cinq heures précises
devant
rait
abandonné depuis
les joueurs, qui avaient laissé
,
suivi d'Ali
attendait cette
une impatience mêlée d'inquiétude
;
il
espé-
quelques compliments, tout en redoutant un fronce-
ment de
sourcils.
Monte-Cristo descendit dans la cour, parcourut toute tour du jardin, silencieux et sans donner
]a
maison
le
moindre signe d'approbation
et
fit
le
ni de
mécontentement.
Seulement, en entrant dans sa chambre à coucher, située
du
côié opposé à la
main vers
le tiroir
chambre fermée
,
il
étendit la
d'un petit meuble en bois de rose,
qm'l avait déjà distingué à son premier voyage.
— Cela ne peut servir qu'à mettre des gants, — En Excellence, répondit Bertuccio ravi, oudit-il.
effet,
vres, et
vous y trouver^a des gants.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ft4
Dans
meubles,
les autres
comte trouva encore c»
le
comptait y trouver, flacons, cigares, bijoux.
qu'il
— Pieu
(lit-ii
!
encore.
El M. Bertucdo se retira l'âme ravie, tant puissante et réelle rinfliience de cet
était
homme
grajde,
sur loui ce
qui l'entourait.
A
six heures précises
devant
porte
la
,
on entendit piétiner un cheval
d'entrée.
C'était
notre capilainii
des
«pahis qui arrivait sur Alédéah.
Monte-Cristo l'attendait sur
le
perron
,
le sourire
aux
lèvres.
— Me
voilà le premier, j'en suis bien sur
Morrel ; je
l'ai fait
seul avant tout
le
,
!
Dites-moi, comte, est-ce que vos gens
ici!
mon cheval? mon cher Maximilien,
auront Lien soin de
—
et Emmanuel vous disent Ah mais savez-vous que c'est
monde. Julie
des millions de choses. maj^nifuiue
cria
lui
!
exprés pour vous avoir un instant à moi
Soyez tranquille,
ils
s'y con-
naissent.
—
C'est qu'il a besoin d'être
viez de quel train
— I*este, francs
I
[larler
à
—
dit
il
a été
bouchonné.
Une
!
Si
vous sa-
véritable trombe
I
un cheval de cinq
je le crois bien,
mille
Monte-Cristo du ton qu'un père mettrait à
.son fils.
Vous
les
egrettez? dit Morrel avec son franc sou.
rire.
— Moi
IDieu
m en
préserve! répondit le comte. Non.
Je regretterais seulement que
—
11
est
K'»naud,
1
si
bon,
mon
homme
le
iiK.i
les
arabes du ministère, couieul
en ce moment,
comme vous
voyez
,
cheval ne fût pas bon.
plus connaisseur de France, et
M. Debray, qui monte apn-s
le
cher comte, que M. de Chàleau-
el
et
sont
un peu distancés,
encore sont-ils talonnés par
les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
55
cheTaux de la baronne Danglars qui vont d'un troi faire tout bonnement leur six lieues à l'heure. Alors, ils vous suivent? demanda Monte-Cristo. ,
à
— —
Tenez, les voilà.
En
effet,
au moment même, un coupé à l'attelage tout deux chevaux de selle hors d'haleine arri vèrent devant la grille de la maison qui s'ouvrit devant fumant
et
,
eux. Aussitôt le coupé décrivit son cercle rêter
En un à
,
et vint s'ar-
au perron, suivi de deux cavaliers. instant
la portière.
Debray eut mis pied à
Il offrit
sa
main à
la
trouva
terre, et se
baronne, qui lui
en
fit
descendant un geste imperceptible pour tout autre que
pour Monte-Cristo. Mais reluire
comte ne perdait rien
le
un
,
dans ce geste
et
avec une aisance qui indiquait
geste, et qui passa,
vit
il
que
petit billet blanc aussi imperceptible
le
l'ha-
manœuvre, de la main de madame Dandu secrétaire du ministre.
bitude de cette
glars dans celle
femme
Derrière sa s'il
fût sorti
Madame Danglars et investigateur
dans lequel de
la
descendit
du sépulcre au
elle
maison
;
le
jeta autour d'elle
embrassa
puis
,
son visage de pâlir,
—
Monsie''.!', si
Morrel ,
rapide
la cour, le péristyle, la façade
réprimant une légère émotion
elle
monta
le
s'il
,
qui
eût été permis à
perron tout en disant à
:
manderais
iii.icf
un regard
que Monte-Cristo seul put comprendre, et
se fût certes traduite sur son visage,
Morrel
comme
banquier, pâle
lieu de sortir de son coupé.
si
fit
et se
vous
étiez
mes amis,
un
je
vous de-
sourire qui ressemblait fort à une gri-
retourna vers Monte-Cristo,
prier de le tirer de l'embarras
Le comte
de
votre cheval est à vendre.
le
comprit.
où
il
comme
«e trouvai!:
pour
le
LE COMTE DE MONTE-CKISTO.
56
— 1101
Ahl Madame, répondit-il, pourquoi n'est-ce pointa
que
—
demande
celte
s'adresse ?
Avec vous, Monsieur,
iroit \\e
dit la
baronne, on n'a
le
ne rien désirer, car on est trop sûre d'obtenir.
Aussi était-ce à M. Morrel.
— Malheureusement, reprit
le
comte, je suis témoia
que M. Morrel ne peut céder son cheval étant
engagé à ce
,
son honneur
qu'il le garde.
— Comment cela? — a pané dompter
Médéah dans l'espace de
Il
sl'^
mois. Vous comprenez maintenant, baronne, que s\. s'en défaisait avant le terme fixé par le pari
ment
un à une et
il
le perdrait,
mais encore on
,
dirait qu'il
non-seulea eu peur
;
même pour passer un caprice est, à mon avis, une des choses
capitaine de spahis, jolie
femme, ce qui de ce monde, ne peut
les plus sacrées
laisser courir
un
pareil bruit.
— Vous voyez, Madame... à Monte-Cristo
—
11
me
un
Morrel tout en adressant
dit
sourire reconnaissant.
semble d'ailleurs,
dit
Danglars avec un ton
bourru mal déguisé par son sourire épais, que vous en avez assez
Ce
comme
n'était
cela de chevaux.
point l'habitude de
madame
Danglars de
de pareilles attaques sans y riposter, et cependant, au grand étonnement des jeunes gens, elle ûl
laisser passer
semblant de ne pas entendre
et
ne répondit
rien.
Monte-Cristo souriait à ce silence, qui dénonçait une humilité inaccoutumée, tout en montrant à
la baio'^'ie
deux immenses pots de porcelaine de Chine, sur lesquels servnlaient des végétations marines d'une grosseur et d'uD travail tels, que la nature seule peut avoir cette richesse, cette sève et cet esprit.
La baronne
était émerveillée.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. j.
Eh, mais, on
des Tuileries faire cuire
— Ah
'
dit-elle
comment donc a-t-on jamais pu
;
de pareilles énormités ?
Madame,
I
57
un marronnier
planterait là-dedans
dit
Monte-Cristo
,
il
ne faut pas nous
«demander cela à nous autres faiseurs de statuettes et de verre mousseline
:
c'est
un
— Comment cela — Je ne sais pas pereur de
la
que dans ce
et
la terre et
Chine avait
fait
on descendit
;
cents brasses au fond de la mer.
que
l'on
demandait
,
une
mer.
emun four exprès ;
les autres
cuire douze pots pareils à ceux-ci.
sous l'ardeur du feu
la
oui dire qu'un
j'ai
construire
uns après
four, les
de
de quel époque cela peut-il être?
seulement
;
d'un autre âge
travail
espèce d'œuvre des génies de
,
on avait
Deux
fait
se brisèrent
les dix autres à trois
La mer, qui
savaiv ce
sur eux ses Hanes, tordit
d'elle, jeta
ses coraux, incrusta ses coquilles; le tout fut cimenté
par deux cents années sous ses profondeurs inouïes, car
une révolution emporta l'empereur qui cet essai et ne laissa la
cuisson des vases
Au
que
le
avait
et leur
allèrent, sous des
faire
descente au fond de la mer.
bout de deux cents ans on retrouva
bal, et l'on songea à
voulu
procès-verbal qui constatait
retirer les
machines
le
procès-ver-
vases. Des plongeurs
faites
exprès, à
la
décou-
où on les avait jetés mais sur les dix on n'en retrouva plus que trois les autres avaient été dispersés et brisés par les flots. J'aime ces vases, au fond desquels je me figure parfois que des monstres informes, verte dans la baie
;
,
effrayants, mystérieux, et pareils à
ceux que voient
les
seul? plongeurs, ont fixé avec étonnemcnt leur regard
terne et froid, et dans lesquels ont dormi des myriades
de poissons qui
pour
s'y réfugiaient
fuir la
poursuite de
leurs ennemis.
Pendant ce temps
,
Danglars
,
peu amateur de
curiosi-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
58
tés, arrachait machinalement, et l'une après l'autre, les Heurs d'un magnifique oranger quand il eut fini avec ;
l'oranger,
il
s'adressa à
un
cactus, mais alors le cactus
d'un caractère moins facile que l'oranger, le piqua o.tra^
geusemeni. Alors tait
tressaillit et se frotta les
il
yeux comme
s'il
sor-
d'un songe,
—
Monsieur, lui dit Monte-Cristo en souriant, vous qui êtes amateur de tableaux et qui avez de si magnifiques choses, je ne vous recommande pas les miens
Cependant voici deux Ilobbema, un l'aul Polter, un Miedeux Gérard Dow, un Raphaël, un Van-Dyck un Zurbaran et deux ou trois Murillo, qui sont dignes de vous être présentés. ns,
— Tiens
I
dit
Debray, voici un
Hobbema que
je recon-
nais.
— Ah vraiment — Oui, on est venu proposer au Musée. — Qui n'en a pas. je hasarda Monte-Cristo. — Non, qui cependant a refusé de l'acheter. — Pourquoi cela? demanda Château-Renaud. — Vous êtes charmant, vous parce que gouverneI
1
le
crc,,^ ?
et
'
le
;
ment
n'est point assez riche.
-Ah! pardon! dit Château-Renaud. J'entends dire cependant de ces choses-là tous les jours depuis huit ^ns, et je ne puis pas encore m'y habituer.
— Cela viendra;,
dit Debray. ne crois pas, répondit Château-Renaud. M. le major Rartolomeo Cavalcanti M. le viu^rate Andréa Cavalcanti annonça
— Je
—
!
I
Baptistin.
Un col de satin noir sortant des mains du fabricant ane barbe fraîche, des moustaches grises, l'œil assuré' on habit de major orné de trois plaques et de cinq croix'
59
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
en 'somme une tenue irréprochable de vieux --nBarut le major Bartolomeo Cavalcanti , ce tendre père soldat, tel
que nous connaissons. Près de
lui,
couvert d'habits tout flambants neufs, s'a-
vançait, le sourire sur les lèvres, le vicomte Andréa Caencore. valcanti, ce respectueux fils que nous connaissons
Les
trois
jeunes gens causaient ensemble
;
leurs re-
tout gards se portaient du père au fils, et s'arrêtèrent déqu'ils naturellement plus longtemps sur ce dernier, taillèrent.
— Cavalcanti Debray. — Un beau nom, Morel peste! vrai, ces Italiens se — Oui, Château-Renaud, I
dit
fit
;
c'est
dit
nomment
bien, mais
—Vous
ils
êtes difficile,
s'habillent mal.
Château-Renaud,
reprit
Debray;
ces habits sont d'un excellent faiseur, et tout neufs. —Voilà justement ce que je leur reproche. Ce monsieur
a
de s'habiller aujourd'hui pour la première fois. Qu'est-ce que ces Messieurs? demanda Danglars au
l'air
—
comte de Monte-Cristo.
— Vous avez entendu, des Cavalcanti. — Cela m'apprend leur nom, voilà — Ah! vrai, vous n'êtes pas au courant de nos notout.
c'est
blesses d'Italie
;
qui dit Cavalcanti, dit race de princes.
— Belle fortune? demanda — Fabuleuse. — Que font-ils — essayent de la manger
le
banquier.
?
Ils
sans pouvoir en venir à
ce qu'ils bout. Ils ont d'ailleurs des crédits sur vous, à venant voir avant-hier. Je les ai même en
m'ont
me
dit
invites a votre intention. Je
— Mais
il
me
semble
français, dit Danglars.
vous
qu'il»
les présenterai.
pax^.eat
très-purement
le
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
«0
— Le seille
flls
un
a été élevé dans
ou dans
les
environs
du Vous
collège
je crois.
,
Midi, à Mar-
trouverez
le
dans l'enthousiasme.
— De quoi? demanda baronne. — Deb Françaises, Madame. veut absolument prenla
Il
femme à Taris. Une belle idée
dre
—
qu'il
a là
I
dit
Danglars en haussant
les épaules.
Madame Danglars
regarda son mari avec une expres-
sion qui, dans tout autre
mais pour — -
la
seconde
moment, eût présagé un orage:
fois elle se tut.
Le baron parait bien sombre aujourd'hui,
Cristo à
madame Danglars
;
dit
Monte-
est-ce qu'on voudrait le faire
ministre, par hasard?
— Non, pas encore, que je sache. Je crois plutôt aura joué à
la
Bourse,
qu'il
aura perdu,
et qu'il
qu'il
ne
sait
à qui s'en prendre.
— M.
et
madame
de Villefort! cria Baptistin.
Lesdeuxpersonnesaunoncéesentrèrent.M.deVillefort, malgré sa puissance sur lui-même, était visiblement ému.
En touchant
—
sa main, Monte-Cristo sentit qu'elle tremblait.
Décidément
il n'y a que les femmes pour savoir dissimuler, se dit Monte-Cristo à lui-même et en regardant madame Danglars, qui souriait au procureur du roi
et qui
embrassait sa femme.
Apres qui,
un
les premiers compliments, le comte \it Bertuccic occupé jusque-là du côté de l'offlce, se glissait dans
petit salon attenant à celui
Il
dans lequel on se trouvait.
alla à lui.
— Que voulez-vous, M. Bertuccio? — Son Excellence ne m'a pas
lui dit-il.
dit le
convives.
—
Ah
!
c'est vrai.
nombre de
sea
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Combien de couverts
61
?
•— Comptez vous-même.
— Tout — Oui.
le
monde
est-il arrivé,
Excellence?
Uertuccio glissa son regard à travers la porte entrebâillée.
Monte-Cristo le couvait des yeux.
— Ah mon Dieul — Quoi donc? demanda comte. — Cette femme femme — Laquelle? s'écria-t-il.
I
le
1...
— Celle qui a une la
cette
I...
robe blanche et tant de diamantsi...
blonde!...
— Madame Danglars
— Je ne elle.
pas
sais
Monsieur, c'est
?
comment on elle
la
nomme. Mais
c'est
!
— Qui — La femme du jardm! elle?
celle qui était enceinte qui se promenait en attendant!... en attendant!...
I
celle
Bertuccio demeura la bouche ouverte, pâle et les che-
veux
hérissés.
— En attendant qui
?
Bertuccio, sans répondre, montra Villefort
du doigt, à peu près du même geste dont Macbeth montra Banco. Oh!... oh I... murmura-t-il enfin, vo^ôz-vou'- f
— — Quoi? qui? — Luif — Luiî... M.
dc:«te,
que
le
procureur du
roi
de Villefort? Sans
je vois.
— Alais je ne donc pas tué? — Ah çà, mais je crois que vous l'ai
brave monsieur Bertuccio,
— Mais
il
TOMK
n'est IV.
donc »»*
dit le
devenez fou,
comte.
wt^'-t9
4
mon
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
6i
— Eh non!
il
vous
u'esl pas niori,
voyez bien; aa
le
iieu de le frapper entre la sixième et la sepfièmn cote
gauche, conime
c'est la
coutnine de vos compatriotes,
vous aurez ûappé plus haut ou plus bas
vous a l'âme chevillée dans
justice, ça
plutôt rien de ce c'est
;
ces gens de
et
CDrps
le
que vous m'avez raconté
un rêve de votre imagination, une
;
ou bien
n'est vrai
hallucination de
votre esprit; vous vous serez endormi ayant mal digéré votre vengeance; elle vous aura pesé sur l'estomac; vous
aurez eu
cauchemar, voilà
le
votre calme, et comptez
deux M. ;
et
madame
:
Voyons, rappelez
tout.
M. et
madame
Danglars, quatre
;
Renaud, M. Dehray, M. Morrel, sept; M. lomeo Cavalcanli, huit.
— Huitl répéta Bertuccio. — Attendez donc attendez donc convives.
aller,
que diable
garde
la
!
major Barto-
I
Appuyez un peu à gauche...
dréa Cavalcanti, ce jeune
le
vous êtes bien pressé vous oubliez un de mes
I
de vous en
de Villefort,
M. de Château-
homme
en
tenez... M.
ha^bit noir
An-
qui re-
Vierge de Murillo, qui se retourne.
Cette fois Bertuccio
commença un
cri
que
le
regard de
Monte-Cristo éteignit sur ses lèvres.
—
Benedetto! murmura-t-il tout bas, fatalité!
— Voilà
six heures et
demie qui sonnent, monsieur
Bertuccio, dit sévèrement le comte
donné
l'ordre
;
c'est l'heure
où
j'ai
qu'on se mil à table; vous savez que je
n'aime point à attendre. Et Monte-Cristo rentra dans
salon où l'attendaient
le
aes convives, taudis que Hertuccio regagnait la sa?le à
manger en s'appuyant contre Cinq minutes après,
les
rent. Bertuccio parut, et tilly,
UQ dernier
et
les murailles.
deux portes du salon s'ouvrifaisant,
comme
héroïque effort:
Vat'^ à Chan-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. «— Monsieur Monte-Cristo
comte
le
de
madame
la
bras à
offrit le
— Monsieur de
63
est servi, dit-il.
madame de
Villefoit.
Villefort, dit-il, faites-vous le cavalier
baronne Dànglars, je vous
Villefort obéit, et l'on
passa dans
prie.
la salle
à manger.
VI LE DINER.
n
était évident,
qu'en passant dans
un même sentiment animait
mandaient quelle bizarre influence dans cette maison, tout inquiets
et
à manger,
la salle
tous les convives. les avait
Ils se
cependant, tout étonnés
que quelques-uns
de-
amenés tous et
même
étaient de s'y trouver,
ils
n'eussent point voulu ne pas y être.
Et cependant des relations d'une date récente, tion excentrique et isolée, la fortune
inconnue
la posi-
presque
et
hommes
fabuleuse du comte, faisaient un devoir aux d'être circonspects, et
entrer dans cette
pour
les
aux femmes une
maison où
il
loi
de ne point
n'y avait point de
recevoir; et cependant
hommes
et
femmes femmes
avaient passé les uns sur la circonspection, les autres sur la convenance; et la curiosité, les pressant de son irrésistible aiguillon, l'avait Il
emporté sur
le tout.
n'y avait point jusqu'à Cavalcanti père et
fils
qui,
l'un malgré sa roideur, l'autre malgré sa désinvolture,
ne paru*î^!it préoccupés de se trouver réunis, chez cet
homme ù nt ils ne pouvaient comprendre le but, à d'autres hommes qu'ils voyaient pour la première fois. Madame Dànglars avait fait un mouvement en voyant.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
64
sur l'invilation de Monte-Cristo, M. de Villefort s'approcher d'elle pour
sentant
le
bras de
Aucun de comte,
grand
il
baronne se poser sur
la
ces deux
et déjà,
individus, fort
M. de Villefort avait
lui offrir le bras, et
son regard se troubler sons ses lunettes d'or en
senti
mouvements
le sien.
n'avait échappé
au
dans cette simple mise en contact des
y avait pour l'observateur de cette scène un
intérêt.
M. de Villefort avait à sa droite
madame Danglars
et
à
gauche Morrel.
sa
Le comte
était assis entre
madame
de Villefort et Dan-
giars.
Les autres intervalles étaient remplis par Debray, assis entre Cavalcanti père et Cavalcanti
Renaud, assis entre madame de Le repas
fut
et
fils,
par Château-
Villefort et Morrel.
magnifique; Monte-Cristo avait pris à tâche
de renverser complètement
donner plus encore à
la
symétrie parisienne et de
la curiosité
convives l'aliment qu'elle
désirait.
qu'à l'appétit do ses
Ce
fut
un
festin orien-
qui leur fut offert, mais oriental à la manière dont
tal
pouvaient
Tous
l'être les festins
les fruits
que
des fées arabes.
les quatre parties
vent verser intacts et savoureux dans
du monde peu-
la
corne d'abon-
dance de l'Europe, étaient anrioncelés en pyramides dans les
vases de Chine et dans les coupes du Japon. Les oi-
seaux rares avec
la partie brillante et leur
pui&Mjus nionsirueux cieudus sur
plumage,
(ie^ laiiies
les
d argent,
tous les vies de l'Archipel, de l'Asie Mineure el du Cap,
enfermés dans des
vue
fioles
aua formes
.semblait encore ajouter à la
filèrent
comme une
bizarres et dont la
saveur de ces vins, dé-
de ces revues qu'Apicius passait,
avec hcs convives, devant ces Parisiens qui compresaieut bien
que
l'on
pût dépenser mille loui» à un diner
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
65
de dix personnes, mais à la condition que, comme Ck^opàtre, on mangerait des perles, ou que, comme Laurent de Médicis, on boirait de Monte-Cristo vit rire et
—
l'or
fondu.
rétonnement général,
se mit à
et
à se railler tout haut.
Messieurs,
vous admettez bien
dit-il,
un
pas, c'est qu'arrivé à apliis de nécessaire
que
admettront qu'arrivé à
ceci, n'est-ce
certain degré de fortune, le
un
superflu,
comme
ces
il
n'y
dames
certain degré d'exaltation,
n'y a plus de positif que l'idéal
il
Or, en poursuivant le
?
raisonnement, qu'est-ce que le merveilleux? Ce que nous ne comprenons pas. Qu'est-ce qu'un bien véritablement désirable?
Un bien que nous ne pouvons pas avoir. Or, voir me procurer des
des choses que je ne puis comprendre,
choses impossibles à avoir, vie. J'y arrive
telle est l'étude
avec deux moyens l'argent :
de toute
et la
ma
volomé. Je
mets à poursuivre une fantaisie, par exemple,
la
même
persévérance que vous mettez, vous, monsieur Danglars,
une
à créei
Villefort,
ligne de
chemin de
à faire condamner un
fer;
vous, monsieur de
homme
à mort
;
vous,
un royaume vous, monsieur de Château-Renaud, à plaire à une femme; et vous, Morrel, à dompter un cheval que personne ne^peul monter. Ainsi, par exemple, voyez ces deux poissons, nés, monsieur Debray, à
pacifier
l'un à cinquante lieues
zirq lieues de Naples nir sur la
même
table
:
;
de Saint-Pétersbourg n'est-ce pas
l'autre à
,
amusant de
les réu-
?
— Quels soDt donc ces deux poissons
?
demanda Daa
Jars.
— Voici M. de Château Renaud, qui a habité qui
vous
voici
M.
dira le
dira le le
nom
nom
major Cavalcanti, qui de l'autre.
la
Russie,
de l'un, répondit Monte-Cristo, est Italieu, qui
e»
vous
LE COMTR
66
MONTE-CRISTO.
tJE
—Celui-ci, dit Château-Renaud, est, je crois, un r>ter)et.
— A merveille. — El celui-là,
dit Cavalcanti, est, si je
ne
me
trompe,
ane lamproie.
— C'est cela
môme. Maintenant, monsieur Danglars,
demandez à ces deux messieurs où
se pèchent ces
deux
poissons.
— Mais, dans
le
dit
Château-Renaud,
— Mais,
dit
Cavalcanti, je ne connais
que
saro qui fournisse des lamproies de cette
— Eh du
pèchent
les sterlets se
Volga seulement.
hien, j-ustement, l'un vient
le lac
de Fu-
taille.
du Volga
et l'autre
lac de Fusaro.
— Impossible s'écrièrent ensemble tous convives. — Eh bien voilà justement ce qui m'amuse, Monteles
!
dit
!
comme Néron
Jristo.
Je suis
voilà,
vous aussi, ce qui vous amuse en ce moment;
voilà enfin ce qui fait réalité
ne vaut pas
que
celle
cupitor impasse bilium; et
:
cette chair, qui peut-être
de
la
vous sembler exquise tout à l'heure, esprit,
était
il
pendant
impossible de se
la
en
et
du saumon, va
c'est
que, dans votre
perche
procurer, et que ce-
la voilà.
— Mais comment a-t-on
fait
pour transporter ces deux
poissons à Paris?
— Ohl
mon Uieu!
rien de plus simple
:
on a apporté
deux poissons chacun dans un grand tonneau matelassé, l'un de roseaux st d'herbes du (îeuve, l'autre de joncs et de plantes du lac; Us ont été mis dans un fources
gon et la
fait
exprès;
ils
ont vécu ainsi,
le sterlet
douze jours.
lamproie huit; et tous deux vivaient p<irfaitement
lorsque»
mon
l'un dans
du
cuisinier s'en est lait,
l'autre
pas, monsieur Dan^larsî
emparé pour
faire
dans du vin. Vous ne
le
mourir croyez
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Je doule au
P7
moins, répondit Danglars, en souriant
son sourire épais.
<le
—
Saptistin
I
dit
Monte-Cristo, faites apporter l'autre
vous savez, ceux qui sont venus dans d'autres tonneaux et qui vivewt encore. l'autre lamproie
sterlet et
;
Danglars ouvrit des yeux effarés; l'assemblée
battit
des mains. Quatre domestiques apportèrent deux tonneaux garnis
de plantes marines, dans chacun desquels
palpitait
un
poisson pareil à ceux qui étaient servis sur la table.
— Mais pourquoi deux
de chaque espèce? demanda
Danglars.
—
Parce que l'un pouvait mourir, répondit simple-
ment Monte-Cristo. Vous êtes vraiment un homme prodigieux, dit Danglars, et les philosophes ont beau dire, c'est superbe
—
d'être riche.
— Et surtout d'avoir des idées,
— Oh
!
ne
me faites
elle était fort
dit
madame
pas honneur de celle-ci.
en honneur chez
Romains;
les
conte qu'on envoyait d'Ostie à
Danglars.
Madame
;
et Pline ra-
Rome, avec des
relais
d'esclaves qui les portaient sur leur tète, des poissons
de l'espèce de celui en
le portrait qu'il
qu'il appelle le
fait,
est
mulus,
probablement
et qui, d'apics la
dorade. C'é-
un spectacle fort amusan' de le voir mourir, car en mourant il changeait trois ou quatre fois de couleur, et, comme un arc-en-ciel qui s'évapore, passait par toutes les nuances du prisme, tait
aussi
un luxe de
l'avoir vivant, et
après quoi on l'envoyait aux cuisines. Son agonie partie de son mérite. Si le
on ne
le
faisait
voyait pas vivant, on
méprisait mort.
— Oui,
dit
Debray; mais
lieues d'Ostie a
Rome.
il
n'y a que sept ou
huà
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«8
— Ah!
ça c'est vrai, dit Monte-Cristo
;
mais où
serait
mérite de venir dix-huit cents ans après Lucullus,
(6
ne
l'on
si
pas mieux que lui?
faisait
Les deux Cavalcanti ouvraient des yeux énormes, mais avaient
Ils
le
bon
esprit de
— Tout cela est
ne pas dire un mot.
fort aitiialile, dit
pendant ce que j'admire
rable promptitude avec laquelle
pas vrai, monsieur
il
celle
— —
maison
Ma
foi,
Eh bien
vée
ce-
vous êtes
servi. N'est-
comte, que vous n'avez acheté
le
y a cinq ou six jours? au plus, dit Monte-Cristo.
qu'il
tout !
qu'en huit jours
je suis sûr
transformation complète avait
Château-Renaud;
plus, je l'avoue, c'est l'admi-
le
car,
;
une autre entrée que
si
je
ne
celle-ci, et la
trompe,
cour
qu'aujourd'hui la cour est
et vide, tandis
a subi une
elle
me
elle
était pa-
un magni-
fique gazon bordé d'arbres qui paraissent avoir cent ans.
—
Que voulez-vous? j'aime
la
verdure
et l'ombre, dit
Monte-Cristo.
— En ma
effet
,
dit
madame
de Villefort, autrefois on en-
par une porte donnant sur la route,
trait
miraculeuse délivrance
rappelle,
—
que vous m'avez
Oui, Madame,
préforé
dit
c'est
,
fait
ma
jour de
me
entrer dans la maison.
Monte-Cristo; mais depuis
une entrée qui me permît de voir
logne à travers
le
et
par la route, je
le bois
j'ai
de Bou-
grille.
— En quatre jours, Morrel, c'est un prodige — En Château-Renaud, d'une vieille maison dit
I
effet, dit
er
faire
étaU
une neuve,
fort vieille la
c'est
chose miraculeuse; car elle
maison,
et
rappelle avoir été chargé par
quand M. de Saint-Méran
on
l'a
même fort ma mère
triste.
de
mise en vente,
il
Je
me
la visiter,
y a deux
îiois ans.
—
M
de Saint-Méran?
dit
madame
«le Villefort,
mal»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. eette
69
maison appartenait donc à M. de Saint-Méran avant
que vous ne l'achetiez?
— parait que oui, répondit Monte-Cristo. — Comment, parait vous ne savez pas à qui vous 11
il
I
avez acheté cette maison?
— Ma
foi
Eon
,
mon
c'est
intendant qui s'occupe de
tous ces détails.
—
Il
y a au moins dix ans qu'elle n'avai Château -Renaud, et c'était une grand?
est vrai qu'il
été habitée, dit tristesse
que de
la voir
avec ses persiennes fermées, ses
portes closes et ses herbes dans la cour. elle n'eût point
du
roi,
En
vérité,
si
appartenu au beau-père d'un procureur
on eût pu
prendre pour une de ces maisons
la
maudites où quelque grand crime a été commis. Villefort, qui jusque-là n'avait point
touché aux
trois
ou quatre verres de vins extraordinaires placés devant lui, en prit un au hasard et le vida d'un seul trait. Monte-Cristo laissa s'écouler un instant puis, au milieu du silence qui avait suivi les paroles de Château-Renaud ;
:
— C'est bizarre,
pensée m'est venue cette
première
la
le
fois
baron, mais
que
même
j'y entrai
;
et
me parut si lugubre, que jamais je ne l'eusse mon intendant n'eût fait la chose pour moi.
maison
achetée
si
Probablement que
du
monsieur
dit-il,
reçu quelque pourboire
le drôle avait
tabellion.
—
C'est probable,
sourire; mais croyez
balbutia Villefort en essayant de
que
je
ne suis pour rien ûans cette
corruption. M. de Saint-Méran a voulu
son, qui
fait
due, parce qu'en restant encore,
Ce
—
elh' fût
trois
cette inai-
ven-
ou quatre ans inhabitée
tombée en ruine.
fut Morrel qui pâlit à 11
que
partie de la dot de sa petite-ûlle. fût
y avait surtout
,
son tour. continua Monle-CrisU)
,
oua
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
70
moQ Dieu bien simple en apparence, nne chambre comme toutes les chambres, tendue de damas rouge, qui m'a paru, je ne sais pourquoi, dramatique au chambre, ah
I
I
possible.
— Pourquoi
cela?
demanda Debray, pourquoi
dramar-
tique ?
— Est-ce que l'on
se rend compte des choses instinc-
tives? dit Monte-Cristo
où
il
;
est-ce qu'il n'y a pas des endroits
semble qu'on respire naturellement
pourquoi? on n'en
un
souvenirs, par
sait rien;
la tristesse?
par un enchaînement de
caprice de la pensée qui nous reporte
à d'autres temps, à d'autres lieux, qui n'ont peut-être
aucun rapport avec trouvons
;
tant
il
les
temps
et les lieux
y a que cette chambre
où nous nous
me
rappelait ad
chambre de la marquise de Ganges ou celle de Desdomona. Eh ma fc«i, tenez, puisque nous avons uni de diner, il faut que je vous la montre, puis mirablement
la
!
nous redescendrons prendre
le
café
au jardin
;
après
le
diner, le spectacle.
Monte
Cristo
fit
un signe pour
interroger ses convives.
Madame de Villefort se leva, Monte-Cristo en fit autant, tout le monde imita leur exemple. Villefort et madame Danglars demeurèrent un instant comme cloués à leur place ils s'interrogeaient des yeux, ;
.'roidi,
muets
et glacés.
— Avez-vous entendu? madame Danglars. — faut y répondit Villefort en se levant dit
aller,
Il
et
en
loi offrant le bras.
Tout
le
monde
par la curiosité,
était déjà t-dr
épars dacs la maison, poussé
on pensait bien que
bornerait pas à celle chambre, et qu'en
parcourrait avait
fait
un
le
reste de cette
palais.
la visite
même
ne se
temps on
masure dont Moute-Cristo
Chacun s'élança donc
pu
les portes
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. deux
ouvertes. Monte-Cristo attendit les
71
retardataires
;
quand ils furent passés à leur toui, il ferma la marche avec un sourire qui, s'ils eussent pu le comprendre, eût épouvanté les convives bien autrement que
puis,
'^ette
chambre dans laquelle on
On commença en
effet
chambres meublées à
les
des coussins pour tout tous meubles
;
allait entrer.
par parcourir les appartements,
avec des divans
l'orientale
lit,
et
des pipes et des armes pour
salons tapissés des plus beaux ta-
les
bleaux des vieux maîtres
des boudoirs en étoffes de
;
Chine, aux couleurs capricieuses,
aux
dessins fantasti-
ques, aux tissus merveilleux; puis enfin on arriva dans
fameuse chambre.
la
Elle n'avait rien de particulier, si ce n'est que, quoi-
que était
jour tombât, elle n'était point éclairée, et qu'elle
le
dans
la vétusté
quand toutes
,
chambres
les autres
avaient revêtu une parure neuve.
Ces deux causes suffisaient, en
une
— Hou en
pour
effet,
lui
donner
teinte lugubre. I
s'écria
madame
de Villefort
,
c'est effnayant,
effet.
Madame Danglars essaya de
balbutier quelques mots
qu'on n'entendit pas. Plusieurs observations se croisèrent, dont fut qu'en effet la
chambre de damas rouge
le résultat
avait
un
as-
pect sinistre.
— N'est-ce pas ce
lit
est
tenture! et ces
a
fait pâlir,
blêmes
? dit
Monte-Cristo. Voyez donc
bizarrement placé, quelle sombre
deux
portraits
au
ne semblent-ils pas
et leurs
yeux
,
comme
sanglante
que l'humidité
avec leurs lèvre»
J'ai vu madame Danglars tomba
effarés
Villefort devint livide
pastel, dire,
et
:
nue chaise lonsfue placée près de
I
la
cheminée.
sar
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Tî
— Oh! bien
le
dit
madame
de Villefort en souriant, avez-vous
courage de vous asseoir sur cette chaise où peut-
être le crime a été
commis
Madame Danglars
— Et puis, — Qu'y
Monte-Cristo, ce n'est pas
dit
donc encore
a-t-il
l'émotion de
— Ahl
I
se leva vivement.
?
madame Danglars
le tont.
demanda Debray, à qui n'échappait point.
oui, qu'y a-t-il encore?
demanda Danglars,
car
jusqu'à présent j'avoue que je n'y vois pas grand'chose et
;
vous, monsieur Cavalcanti?
— Ah lin,
dit celui-ci,
I
à Ferrare la prison
de Francesca
— Oui
et
nous avons
du Tasse,
.à
et
Pise la tour d'^^<ço-
à Rimini
mais vous n'avez pas ce
;
la
cha&ibre
de Paolo. petit escalier, dit
Monte-Cristo en ouvrant une porte perdue dans la tenture
;
regardez-le-moi, et dites ce que vous en pensez.
— Quelle Renaud en
—
Le
cambrure
sinistre
d'escalier!
dit
Château-
riant.
fait est, dit
de Chio qui porte à
Debray, que je ne sais la
mélancolie
,
si c'est le
vin
mais certainement je
vois cette maison tout en noir.
Quant à Morrel, depuis dot de Valenline,
il
était
qu'il
avait été question de la
demeuré
triste et
n'avait pas
prononcé un mol.
— Vous figurez-vous,
dit
Monte-Ciislo, nu Othello ou
un abbé de Ganges quelconque, descendant pas à pas, par une nuit sombre et orageuse, cet escalier avec quel-
que lugubre fardeau qu'il a hâte de dérobera hom.'nes, sinon au regard de Dieu
la
vue des
1
Madame Danglars fort,
—
s'évanouit à moitié au bras
(^e Ville-
qui fut lui-même obligé de s'adosser à la muraille.
Ah
!
Tous donc
mon Dieu Madame, ? comme vous 1
s'écria
Debray, qu'avez-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Ce simple
;
madame
qu'elle a? dit elle
a que M. de Monte-Cristo nous raconte des
histoires épouvantables
nous
faire
73
de Villofort, c'est bien
dans l'intention sans doute de
,
mourir de peur.
— Mais
oui, dit Villefort,
En
effet,
comte, vous épou-
vantez ces dames.
— Qu'avez-vous donc
dame
répéta tout bas Debray à
?
ma-
Danglars.
— Rien, rien,
dit celle-ci
en faisant un
effort
j'ai
;
be-
soin d'air, voilà tout.
— Voulez-vous descendre au jardin? demanda Debray, offrant son bras
en
à
madame
Danglars
et
en s'avançant
vers l'escalier dérobé.
— Non
dit-elle
,
non
,
j'aime encore
;
mieux
rester
ici.
— En vérité.
Madame,
dit
Monte-Gristo, est-ce que
cette terreur est sérieuse ?
— Non,
Monsieur,
dit
madame
Danglars ; mais vous
avez une façon de supposer les choses qui donne à
l'il-
lusion l'aspect de la réalité.
— Oh
I
mon
et tout cela est
Dieu,
une
oui., dit
Monte-Cristo en souriant,
affaire d'imagination
;
pourquoi ne pas plutôt se représenter
comme une bonne mille ? ce
an
lit
rieux
lit
t;
cette
chambre
honnête chambre de mère de
avec ses tentures couleur de pourpre,
visité par la
comme
le
fa-
comme
déesse Lucine, et cet escalier mysté-
passage par où, doucement
et
pour ne
sommeil réparateur de l'accouchée, pass« médecin ou la nourrice, ou le père lui-même empor-
pas troubler le
et
car aussi bien,
le
Hv l'enfant qui dort?... Cette fois
cette
madame
douce peinture
nouit tout à
TOME
Danglars, au lieu de se rassurer a ,
poussa un gémissement
et s'éva-
fait-
IV.
S
U
LE COMTE DE MONTE-CRÏSTO.
— Madame Danglars se trouve mal, balbutia Villefort; peui-êire faudraii-il la transporter à sa voiture.
— Oh! blié
mon Dieu!
mon
—
flacon
mien,
J'ai le
dit
Monte-Cristo, et moi qui aioGT
I
dit
madame
£t elle passa à Monte-Cristo
de Villefort.
un
flacon plein d'une li-
comte avait essayé
queur rouge
pareille à celle dont le
sur Edouard
la bienfaisante influence.
— Ah madame
I...
dit F.lonte-Cristo
en
le
prenant des mains de
de Villefort.
— Oui,
murmura
celle-ci,
sur vos indications
j'ai
essayé.
— Et vous avez réussi — Je le crois. On avait
transporté
?
madame
Danglars dans
la
chambre
à côté. Monte-Cristo laissa tomber sur ses lèvres une goutte de
— Oh
I
la
liqueur rouge, elle revint à elle.
dit-elle,
Villefort lui
comprendre
quel rêve affreux
qu'elle n'avait pas rêvé.
On chercha M. Danglars pressions poétiques, sait,
I
serra fortement le poignet pour lui fair^
il
;
était
mais, peu disposé aux im'
descendu au jardin,
et
cau-
avec M. Cavalcanti père, d'un projet de chemin de
irde Livourne à Florence. Monte-Cristo semblait désespéré
madame
Danglars et
la
;
il
prit le
conduisit au jardin,
MM.
frouva M. Danglars prenant le café entre
pèrb
—
bras de
0(1 l'on re-
Cavalcant;
ei fils,
En
vérité,
Madame,
lui dit-il, est-oe
que je vous
ai
fort effrayée?
— Non, Monsieur,
mais, vous savez, les choses nous
impressionnent selon ia4iiti;M>Mtion d'esprit où nous nous trouvons.
LE'
COMTE DE MONTE-CRISTO.
Villefo-î s'efforça
—
de
75
rire.
Et alors vous comprenez,
dit-^î., il
suffit
d'une sud-
^osition; d'une chimère...
— Eh bien voulez,
!
j'ai la
dit
Monte-Cristo, vous m'en croirez
si vons commis dans
conviction qu'un crime a été
maison.
cette
— Pnenez garde, procureur du
ici le
— Ma
dit
madame de
Villefort,
nous avons
roi.
répondit Monte-Cristo, puisque cela se ren-
foi,
contre ainsi, j'en profiterai pour faire
— Votre déclaration? — Oui, en face de témoins. — Tout cela est intéressant,
ma déclaration.
dit Villefort.
et
fort
dit
Debray;
et s'il
y
a réellement crime, nous allons faire admirablement la digestion.
—
Il
y a crime,
dit
Monte-Cristo. Venez par ici, Mes-
sieurs ', venez, monsieur de Villefort
:
pour que la dé-
aux
claration soit valable, elle doit être faite
autorités
compétente3. Monte-Crioto prit le bras de Villefort, et en même temps qu'il
serrait
sous
le sien celui
traîna le procureur
l'ombre
Tous
était le
3
dit
iéjà vieux,
madame le
Danglars, platane,
il
où
convives suivaient.
du
j'ai fait
travailleurs
,
pied),
ici,
ici,
à cette place même (e
pour rajeunir ces arbres
creuser et mettre du terreau
en creusant
plutôt des ferrures de coffre, le squelette
de
jusque sous
Monte-Cristo,
frappait la terre
mes
roi
plus épaisse.
les autres
— Tenez,
du
,
ont déterré
un
;
eh biec coftre
ou
au milieu desquelles étai
d'un enfant nouveau-né. Ce n'est pas de
la
fantasmagorie cela, j'espire? Monte-Cristo sentit se roidir
U
bras de
glars et frissonner le coignet de Villefort.
madame Dan-
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
76
— Un
nouveau né? répéta Debray diable
enfant
;
devient sérieux
— Eh
me
ce
,
I
ceci
semble.
me
bieni dit Château-Renaud, je ne
trompais
dune pas quand je prétendais tout à l'heure que les mai-
âme
sons avaient une
;
un visage comme
La maison
leurs entrailles.
des remords
et
était triste
hommes,
les
un
sur leur physionomie
et qu'elles portaient
retlet
de
parce qu'elle avait
des remords parce qu'elle cachait
elle avait
un crime.
— Oh tentant
qui
!
dit
que
un dernier
— Comment
I
c'est
un crime?
reprit Villeforl
effort.
enfant enterré vivant dans
un
un
jardin,
ce n'est pas un crime? s'écria Monte-Cristo.
Comment
appelez-vous donc cette action-là, monsieur
1«
reur du roi
procu-
?
— Mais qui dit qu'il a été enterré vivant? — Pourquoi l'enterrer là, était mort? Ce jardin n'a s'il
jamais été
un
cimetière.
—
Que fait-on aux infanticides dans ce pays-ci? demanda naïvement le major Cavalcanti. Oh mon Dieu on leur coupe tout bonnement le I
I
cou, répondit Danglars.
— Ah — Je
I
on leur ceupe
le
cou,
fit
Cavalcanti.
le crois... N'est-ce pas, monsieur de Villefort?
demanda Monte-Cristo.
— Oui,
monsieur
le
comte, répondit celui-ci avec
un
accent qui n'avait plus rien d'humain.
Monte-Cristo vit que
c'était tout
ce que pouvaient
supporter les deux
personnes pour lesquelles
paré cette scène;
et
loin
ne voulant pas
la
il
avait pré-
pousser trop
:
— nous
Mais i
le caf^.
oublions.
Messieurs,
dit-il, il
me
senble que
LU COMTE DE MONTE-CRISTO. Et lieu
il
ramena
77
ses convives vers la tablp placée
an mi-
de la pelouse.
— En
vérité,
glars, j'ai
monsieur
comte,
le
ma
honte d'avouer
dit
faiblesse,
madame Danmais toutes ces
affreuses histoires m'ont bouleversée; laissez-moi m'as seoir, je
vous
prie.
Et elle tomba sur une chaise.
Monte-Cristo la salua et s'approcha de
madame
de
Villefort.
— Je crois que madame votre flacon,
Mais avant que de son amie,
de
Danglars a encore be soin de
dit-il.
le
madame
de Villefort se fût approchée
procureur du
madame Danglars
roi avait déjà dit
à
l'oreille
:
— faut que je vous parle. — Quand cela? — Demain. — Où? — A mon bureau... au parquet Il
encore
—
là l'endroit le
si
vous voulez,
J'irai.
En ce moment madame
de Villefort s'approcha.
— Merci,
dit
chère amie,
madame
Danglars en es-
sayant de souwre, ce n'est plus rien, et je «
fait
c'est
plus sur.
me
sens tout
mieux.
VII LE MENDIANT.
La soirée s'avançait
;
madame
de Villefort avait mani
testé le désir de regagner Taris, ce
que
n'avai*. point
o&6
U: COMTE DE MONTE-CRISTO.
18
madame
faire
Danglars, malgré
le
malaise évident qu'elle
éprouvait.
Sur
donc
la
demande de
sa
femme, M. de
premiei le signal du départ.
le
dans son landeau à
madame
donna
Villefort
Tl olTrit
une place
Danglars, afin qu'elle eût les
femme. Quant à M. Danglars, absorbé dans
soins de sa
une conversation M. Cavalcanti,
il
avec
industrielle des plus intéressantes
ne
faisait
aucune
attention. à tout ce qui
se passait.
Monte-Cristo, tout en demandant son flacon à
madame
de Villefort, avait remarqué que M. de Villefort
approché de tion,
l'avait Tl
Danglars
;
et,
si
bas qu'à peine
si
madame
s'était
guidé par sa situa-
avait deviné ce qu'il lui avait
il
parlé
madame
dit,
quoiqu'il eût
Danglars elle-même
entendu.
laissa,
sans s'opposer à aucun arrangement, partir
Morrel, Debray et Château-Renaud à cheval, et monter les
deux dames dans
côté, Danglars,
le
landeau de M. de Villefort
;
de son
de plus en plus enchanté de Cavalcanti
père, l'invita à monter avec lui dans son coupé.
Quant à Andréa Cavalcanti, l'attendait rait les
devant
la porte, et
agréments de
il
gagna son
tilbury, qui
dont un groom, qui exagé-
la fashion anglaise, lui tenait,
en se
hissant sur la pointe de ses bottes, l'énorme cheval gris
de
fer.
Andréa n'avait pas beaucoup parlé durant le dîner, par cela
môme que
c'était
un garçon
fort intelligent, et qu'il
avait tout naturellement éprouvé la crainte de dire quel•^ue sottise
au milieu de ces convives riches
parmi Icpquols son œil
sans (Tainte un procureur Ensuite,
il
et puissants,
dilaté n'apercevait peut-ôtre
du
pas
roi.
avait été accaparé par M. Danglars, qui,
iDVès un rapide coup d'œil sur
le
vieux mî)or au (Xn
LE COMTE DE MONT&CRISTO. roide et sur son
un peu
encore
fils
79
timide, en rapprt»-
Mont^
chant tous ces symptômes de l'hospitalité de
nabal
Cristo, avaif pensé qu'il avait affaire à quelque
venu vie
à Paris
pour perfectionner son
fils
uniqi'e dans
b
mondaine. avait
Il
donc contemplé avec une complaisance indi-
cible l'énorme diamant qui brillait jor, car le
peur
major, en
qu'il n'arrivât
homme
au
prudent
petit doigt et
quelque accident à ses
que, les avait convertis à l'instant
du ma-
expérimenté, de
même
billets
de ban-
en un objet de
valeur. Puis, après le dîner, toujours sous prétexte d'industrie et de voyages,
il
avait questionné le père et le
sur leur manière de vivre
que
c'était
l'un,
;
et le
père
et le fils,
chez Danglars que devait leur être ouvert, à
son crédit de quarante-huit mille francs, une
donnés, à
charmants
et plein d'afabilité i
banquier, aux domestiques duquel, ils
fois
son crédit annuel de cinquante mille
l'autre,
livres, avaient été
retenus,
fils
prévenus
s'ils
our le
ne se tLisenS
eussent serré la main, tant leur reconnais-
sance éprouvait
Une chose
besoin de l'expansion.
le
surtout augmenta la considération, nous
dirons presque la vénération de Danglars pour Caval canti. Celui-ci, fidèle s'était contenté,
au principe d'Horace:
comme on
l'a
nil
admirari,
vu, de faire preuve de
science, en disant de quel lac on tirait les meilleures
lamproies. PHis dire
un
il
avait
mangé
sa part de celle-là sans
seul mot. Danglars en avait conclu
de sor<.f»uosiîés étaient familières à
que ces
l'illustre
sortes
descendant
des Ca' alcanii, lequel «e nourrissait probablement, à
Lucques, de
truites qu'il faisait venir
langoustes qu'on
lui
de Suisse, et de
envoyait de Bretagne, par des pro-
cédés pareils à ceux dont
le
comte
s'était servM
pour
faire
venir des lamproies du lac Fusaro, et des sterlets du
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
SO
fleuve Volga. Aussi, avait-il accueilli avec une bienveil-
lance très-prononcée ces paroles de Cavalcanli
:
— D*^inain, Monsieur, j'aurai l'honneur de vous rendre visite
pour
affaires,
— Ft moi, Monsieur, heureux de vous Sur quoi
il
avait
répondu Danglars, je serai
recevoir.
avait proposé à Cavalcanli, si cependant
cela ne le privait pas trop de se séparer de son
fils,
de
le
reconduire à l'hôtel des Princes. Cavalcanti avait répondu que, depuis longtemps, son fils
avait l'habitude de
qu'en conséquence,
pages à
lui, et
il
mener
la vie
avait ses
de jeune
chevaux
homme
;
et ses équi-
que, n'étant pas venus ensemble,
il
ne
voyait pas de difficulté à ce qu'ils s'en allassent séparé-
ment.
Le major çlars. et le
était
donc monté dans
banquier
s'était assis
plus charmé des idées
homme,
qui,
d'ordre
la
voiture de Dan-
à ses côtés, de plus en et
d'économie de cet
cependant, donnait à son
nille francs par an, ce qui
fils
cinquante
supposait une fortune de cinq
ou six cent millb livres de rentes. Quant à Andréa, il commença, pour se donner bon air,
à gronder son groom de ce qu'au lieu de
prendre au perron
il
l'allendait à la porte
le
venir
de sortie, ce
qui lui avait donné la peine de faire trente pas pour aller
chercher son tilbury.
Le groom reçut
la
semonce avec humilité
retenir le cheval impatient et qui frappait
mors de
la
main gauche,
Andréa, qui sur
le
les prit et
;
prit,
du
pour
pied, le
tendit de la droite les roues à
posa légèrement sa botte vernie
marchepied.
En oc moment, une main s'appuya sur son épaule. Le eune homme se retourna, oeusanl que Danglars ou
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Monte-Cristo avait oublié quelque chose à revenait à la charge au
moment du
81 dire, et
lui
départ.
Mais, au lieu de l'un et de l'autre, il'n'aperçut qu'une
une
étrange, hâlée par le soleil, encadrée dans
figure
barbe de m^Jéle, des yeux brillants boucies et
bouche où
un
comme
des escar-
sourire railleur s'épanouissant sur
brillaient,
rangées à leur place
et
une
sans qu'il en
manquât une seule, trente-deux dents blanches, aiguës et
affamées comme celles d'un loup ou d'un chacal. Un mouchoir ? carreaux rouges coiffait celte tête aux
cheveux
un bourgeron des
grisâtres et terreux;
plus
crasseux et des plus déchirés couvrait ce grand corps eî osseux, dont il semblait que les os, comme ceux d'un squelette, dussent cliqueter en marchant. Enfin, la main qui s'appuya sur l'épaule d'Andréa, et qui
maigre
fut la
première chose que
vit le
jeune homme,
de
nut-il cette figure à la lueur
ou
fut-il
lui
homme
d'une dimension gigantesque. Le jeune la lanterne
parut recon-
de son tilbury,
seulement frappé de l'horrible aspect de cet
terlocuteur?
Nous ne saurions
qu'il tressaillit et se recula
le dire;
mais
in-
le fait est
vivement.
— Que me voulez-vous? — Pardon! notre bourgeois, répondit l'horojie en pordit-il.
main à son mouchoif rouge, je vjus dérange que j'ai à vous parler. On ne mendie pas le soir, dit le groom en faisant
tant la
peut-être, mais c'est
—
an mouvement pour débarrasser son maître de cet importun.
— Je ne mendie pas, mon
joii garçon, dit l'homme inau domestique avec un sourire ironique, et un sourire si effrayant que celui-ci s'écarta: je désire seule-
^nnu ment
dire
deux mots à votre bourgeois, qui m'a chargé il y a quinze jours à peu près.
d'une commission
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
82
— Voyons, pour
le
""^ue
son tour Andréa avec assez de foroo
dit à
domestique ne s'aperçût point de sou trou-
voulez-vous?
ble, que.
— Je voudrais...
dites vite,
mon
ami.
je voudrais... dit tout bas
lliomme
au mouciioir rouge, que vous voulussiez bien m'épargner
peine de retourner à Paris à pied. Je suis
la
comme je n'ai pas si je puis me tenir. Le jeune homme tressaillit à
fatigué, et, si
bien diné que
toi,
li'ès-
à peine
cette étrange familiarité.
— Mais enfin, voyons, que voulez-vous? — Eh bien je veux que tu me laisses monter dans lui dit-il,
!
belle voilure, et
Andréa
pâlit,
—Oh mon I
mais ne répondit point.
Dieu oui,
dit
l'homme au mouchoir rouge
en enfonçant ses mains dans ses poches,
homme avec que j'ai comme
jeune
dant
le
une
idée
.la
que tu me reconduises.
et
en regar-
des yeux provocateurs, c'est
mon
cela; entends-tu,
petit
Benedetio ?
A
ce
nom,
le
jeune
homme
s'approcha de son groom, et
—Cet homme
a à
il
la barrière
;
là,
me
il
:
a elTeclivement été chargé par
commission dont jusqu'à
rofiéchit sans doute, car
lui dit
moi d'une
rendre compte. Allez à pied
vous prendrez un
cabriolet, afin
de n'être point trop en retard.
Le valet, surpris, s'éloigna.
— Laissez-moi au moins gagner l'ombre, Andréa. — Oh quant à cela, je vais moi-même conduire en dit
le
1
j)elle
Et flans
place; attends, dit il
prit le
un endroit où
que ce
fût
l'homme au mouchoir rouge.
cheval par il
le
était
mors,
et coLduisit le tilbury
effectivement impossible à qui
au monde de voir l'honneur que
lui accord;ut
Andréa.
— Ohl
moi, lui
dit-il,
ce n'est pas pour la gloire de
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. monter dans une
belle voiture;
parce que je suis fatigué,
que j'ai à causer Il
était
fâcheux
spectacle curieux
ment sur
les
avec
d'affaires
— Voyons, montez,
dit le
ne
qu'il
que
non,
et puis,
un
c'est
83
seulement peu, parce
petit
toi.
jeune homme.
fit
pas jour
celui de ce
,
car c'eût été
gueux,
un
ass?s carré-
coussins brochés , près du jeune et élégant
conducteur du tilbury.
Andréa poussa son cheval jusqu'à la dernière maison du village sans dire un seul mot à son compagnon, qui, de son côté, souriait et gardait été ravi de se
Une
fois
le silence,
promener dans une
si
comme s'il
hors d'Auteuil, Andréa regarda autour de
pour s'assurer sans doute que nul ne pouvait ni les entendre
;
c' alors
sant les bras devant
— Ah çà! dans
ma
,
lui
ni les voir
arrêtant son cheval et se croJ
l'homme au mouchoir rouge
lui dit-il,
eût
bonne locomotive.
pourquoi venez-vous
-
:
me troubler
tranquillité ?
— Mais, toi-même, mon garçon, pourquoi te défies-tu de moi
?
— Et en quoi me suis-je défié de vous? — En quoi? tu demandes? nous nous quittons le
pont du Var, tu et
en Toscane,
me
et
dis
au
que tu vas voyager en Piémoni
pas du tout, tu viens à Paris.
— En quoi cela vous gêne-t-il — En rien; au contraire, j'espère ?
soême que cela va
m'aider.
— Ahl
ahl dit Andréa, c'est-à-dire que vous spéculez
sur moi.
— Allons! voilà gros mots qui arrivent. — C'est que vous auriez maître Caderousso, jo les
tort,
vous en préviens.
—
Eh, mon Dieu! ue
te tâche
oas
,
le petit
;
tu dois
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
84
pourlaût savoir ce que c'est que
malheur et
-
Toscane, obligé de
la
le
malheur; eh bien!
ça rend jaloux. Je te crois courant le faire faccino
od
le
le
Piémont
cicérone; je
du fond de mon cœur, comme je plaindrais mon Tu sais que je t'ai toujours appelé moii enfaut*
e plains
enfant.
—
Après? après?
— Patience donc, salpêtre! — J'en de patience; voyons, achevez. — Et je te vois tout d'un coup passer à la barrière ùe^ la
ai
Bons-Hommes avec un groom avec un tilbury, avec des Ah çà! mais tu as donc décou,
habits tout flambants neufs.
une mine, ou acheté une charge d'agent de change?
vert
— De sorte que, comme vous l'avouez, vous êtes jaloux — Non, je suis content, content, que voulu mais
comme je
mes
précautions pour
Belles précautions! dit Andréa,
vous m'aborder
mes compliments
faire
le petit
,
pas vêtu régulièrement,
ne pas
—
?
te
j'ai
si
te
n'étais
compromettre.
mon
devant
;
j'ai pris
domestique.
— Eh! que veux-tu, mon enfant ijet'abordequandjepuii te saisir.
Tu
un cheval
as
très-vif,
naturellement glissant
es
l'avais
manqué ce
un tilbury
comme une
très-léger
anguille;
soir, je courais risque
de ne pas
;
si
tu je
te re-
joindre.
— Vous voyez bien que je ne me cache pas. — Tu es bien heureux, j'en voudrais bien dire auet
moi
tant
;
quo
lu ne
,
je
me
me
cache
:
sans compter que j'avais peur
reconnusses pas
;
mais tu m'as reconnu,
ajouta Caderousse avec son mauvais sourire
;
allons
,
ta
es bien gentil.
— —
Voyons,
dit
Tu ne me
cien camarade
;
Andréa, que vous
faut-il î
tutoies plus, c'est mal, Ijenedeiio, (ireuds j^arde, tu vas
me
on an-
rendre exigeant.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. menace
Cette
vent de
tomber
fit
la contrainte
— C'est
du jeune homme
trot.
mal à toi-même, Caderousse,
dit-il,
comme
prendre ainsi envers un ancien camarade, 8?'j tout à l'heure
— Tu —
je suis
;
menace Est-ce
ma
— Elle
été élevé en Corse
j'ai
jeune
et têtu.
toi, est
tu es vieux et
comme
,
nous,
la
à l'amiable.
qui continue d'être
mau-
bonne pour moi au contraire?
donc bonne,
est
;
Entre gens
et tout doit se faire
,
faute si la chance
vaise pour
t'y
tu di-
tu es Marseillais, je suis...
;
mauvaise
est
de
donc ce que tu es maintenant?
le sais
Non, mais
entêté
le
:
venait de souffler dessus.
remit son cheval au
Il
la colère
85
un groom d'emprunt,
chance? ce n'est donc pas
la
un
ce n'est donc pas
tilbury
d'em-
prunt, ce ne sont donc pas des habits d'emprunt que nous
avons là? Bon, tant mieux
dit
!
Caderousse avec des yeux
brillants de convoitise.
— Oh!
tu le vois bien et tu le sais bien, puisque tu
m'abordes,
dit
Andréa s'animant de plus en plus.
un mouchoir comme
vais
ron crasseux sur les épaules
me
pieds, tu ne
— Tu vois tort
;
bien que tu
vêtu d'elbeuf
connais bon cœur ras bien
un
;
et
ma tête, un
Si j'a-
bourge-
des souliers percés aux
reconnaîtrais pas.
maintenant que je
d'être
sur
le tien
:
me
t'ai
méprises,
comme un si
tu as
le petit, et tu
retrouvé, rien ne autre
deux
je te donnais bien
,
attendu que je te
habits, tu
ma
as
m'empêche
m'en donne-
portion de soupe e^
ûe haricots, moi, quand îu avais trop faim.
— C'est vrai, Andréa. — Quel appétit tu avais Est-ce que tu as toujours bon dit
I
appétit?
— Mais oui, Andréa en ~ Comme tu as dû dîner chez ce prmce d'où ta sors dit
riant.
t
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
86
— Cen'est pas un prince, mais tout bonnement un comic.
— Un comte? un riche, hein? — Oui, mais ne pas et
t'y fie
pas
l'air
— Oh
;
c'est
un monsieur qui
n'a
commode. !
mon Dieu
I
seul. Mais, ajouta
donc tranquille
sois
de projets sur ton comte,
et
on
On
n'a pas
pour
toi tout
I
te le laissera
Caderousse en reprenant ce mauvais
sourire qui avait déjà effleuré ses lèvres,
quelque chose pour
cela, tu
faut donner
il
comprends.
— Voyons, que — Je qu'avec cent francs par mois... — Kh bien? te faut-il ?
crois
— Je vivrais... — Avec cent francs — Mais mal, tu comprends bien mais avec... — Avec? — Cent cinquante francs, je serais fort heureux. — En voilà deux cents, dit Andréa. ?
;
Et
il
mit dans la main de Caderousse dix louis d'or.
— Bon, —
Caderousse.
fit
l'résente-toi chez le concierge tous les premiers
mois
et tu
— Allons! voilà encore que tu m'humilies — Comment cela? — Tu me mets en rapport avec de
I
la valetaille
vois-tu, je ne
— Eh bien!
veux avoir soit,
du mois, du moins loucheras
affaire
qu'à
dernande-moi tant
que
,
;
non,
toi.
et tous les
je toucherai
ma
premiers
repî«, toi, tu
la tienne.
— Allons, lu es
du
en trouveras autant.
allons! je vois
un brave garçon,
bonheur arrive à des gens u}ftonne chance.
que je ne m'étais pas trompé,
et c'est
une béncdiclion quand
comme
toi.
le
Voyons, couto-moi
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
8f
— Qu'as-tu besoin de savoir cela? demanda Cavalcauti. — Boni encore de défiance! — Kon. Eh bien! retrouvé mon père. — 'Jn vrai père? — Dame tant payera... — Tu croûas tu honoreras; juste. Comineni la
j'ai
qu'il
!
c'est
et
l'appelles-tu ton père?
— Le major Cavalcanti. — Et se contents de — Jusqu'à présent paraît que je — Et qui retrouver ce père-là? — Le comte de Monte-Cristo. — Celui de chez qui tu sors — Oui. — Dis donc, tâche donc de me placer chez lui comme toi?
il
lui suffis.
il
t'a fait
?
grand parent, puisqu'il
— Soit,
tient
bureau.
je lui parlerai de toi
vas-tu faire
;
mais en attendant que
"^
— Moi? — Oui, — Tu es bien bon de t'occuper de cela, — me semble, puisque tu prends toi.
Il
éprit
Andréa, que je puis bien à
dit
Caderousse.
intérêt
mon
à moi,
tour prendio
quelques informations.
— C'est juste... maison honnête,
je vais louer
me
une chambre dans une
couvrir d'un habit décent,
raser tous les jours, et aller lire les journaux soir, j'entrerai
claque, j'aurai
— Allons,
au
me
faire
café.
Le
dans quelque spectacle avec un chef de l'air
c'est
d'un boulanger
bon
1
S'I
tu
retiré, c'est
veux mettre ce
mon rérs'c.
projet à exé-
cution et être sage, tout ira à merveille.
— Voyez-vous M. Bossuet air?... pair
de France*
!..,
et toi,
que vas-tu deve^
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
88
— Eh —M
I
le
eh
dit
!
Andréa, qui sait?
major Cavalcanti
reusement l'hérédité
—
Pas de politique, Caderousse que tu veux
tu as ce
en bas de
ma
maismalheu
peut-être...
l'est
est abolie.
et
Et maintenant que
I...
que nous sommes arrivés, saute
voiture et disparais.
— Non pas, cher ami — Comment, non pas? — Mais songes-y donc, I
ma
napoléons en or dans
et dix
y avait déjà,
qu'il
le petit,
presque pas de souliers,
la tête,
un mouchoir rouge sur pas de papier du tout
poche, sans compter ce
ce qui fait juste deux
cents francs
mais on m'arrêterait immanquablem.ent à Alors je serais forcé, pour
m'a donné ces
qui
toi
enquête
lion,
;
donner congé,
me
justifier,
me
et l'on
quitté
j'ai
et
simplement
le
I
informa-
là
Toulon sans
reconduit de brigade en brigade
jusqu'au bord de la Méditerranée. Je redeviens
ment
j
de dire que c'est
napoléons: de
dix
on apprend que
barrière
la
pure-
n° 106, et adieu
mon
rêve de res-
Non
pas,
mon
sembler à un boulanger retiré
!
fils j
je
préfère rester honorablement dans la capitale.
.\ndrca fronça
sourcil
le
;
c'était,
comme
il
vanté lui-même, une assez mauvaise tête que tatif
de M.
un coup
le
major Cavalcanti.
«le
s'arrêta
d'œil rapide autour de lui, et
achevait de décrire cendit
Il
innocemment
datis son gousset,
comme où
pu-
un instant, jeta
investigateur, sa
le cercle
s'en était le fils
elle
son regard
main des-
commença
caresser la sous-garde d'un pistolet de poche.
Mais pendant ce temps, Caderousse, qui ne perdait pas de vue son compagnon, passait ses mains derrière
son
dos,
espagnol
et ouvrait qu'il portait
Les deux amis,
tout
doucement un long couteau
sur lui à tout événement.
comme on
ie voit
étaient dignes de se
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. comprendre,
et se
comprirent;
la
89
main d'Andréa
inoffensive de sa poche, et remonta jusqu'à sa
sortit
moustache
rousse, qu'elle caressa quelque temps.
— Bon Caderousse, tu vas donc être heureux — Je tout mon possible, répondit l'aubergiste du dit-il
?
,
ferai
pont du Gard en renfonçant son couteau dans sa manche.
— Allons
voyons
,
comment vas-tu
faire
soupçons?
ler les
Il
,
rentrons donc dans Paris. Mais
pour passer
me
la barrière sans éveil-
semble qu'avec ton costume
ta
risques encore plus en voiture qu'à pied.
— Attends, L
prit le
collet
que
dit
Caderousse, tu vas voir.
chapeau d'Andréa,
groom
le
exilé
du
houppelande à grand
la
tilbury avait laissée à sa
place, et la mit sur son dos, après quoi,
il
prit la
pose
refrognée d'un domestique de bonne maison dont le maître conduit lui-même.
— Et moi, — Penh!
dit
Andréa, je vais donc rester nu-tète Caderousse,
dit
fait
il
?
tant de vent 'Vie la
bise peut bien l'avoir enlevé ton chapeau.
— Allons donc, Andréa, — Qui est-ce qui t'arrête? dit
et finissons-en.
dit
Caderousse, ce n'est pas
moi, je l'espère?
— Chut
fit
1
Cavalcanli.
On traversa la barrière sans accident. A la première rue transversale, Andréa arrêta son val, et
Caderousse sauta à
— Eh bien tique, et
— Ah je
!
dit
Andréa,
che-
terre. et le
manteau de mon domes-
mon chapeau? !
répondit Caderousse, tu ne voudrais pas que
risquasse de m'enrhumer.
— 'lais moi?
— Toi, tu es jeune, tandis que moi faire
vieux
;
au
revoir. Benedetto
I
je
commence
à
me
W
LE COMTE DE MONTE CRISTO.
Et
il
s'enfonça dans la ruelle,
— Hélas
où
il
disparut.
Andréa en poussant un soupir, on ne peut donc pas être complètement heureuy en ce monde I
dit
I
Ylll SCÈNE CONJUGALE.
A la place Louis XV, parés, c'est-à-dire
les trois
que Château-Renaud avait et
jeunes gens s'étaient sé-
que Morrel avait
que Debray avait suivi
pris les boulevards,
pris le pont de la Révolution,
le
quai.
Morrel et Château-Renaud, selon toute probabilité,
gagnèrent leurs foyers domestiques, à et
la
Chambre dans
tribune de la
au théâtre de
écrites
mais
;
il
la
rue Richelieu, dans
n'en fut pas de
au guichet du Louvre, Carrousel au grand
boucha par
il
trot,
fit
môme
les pièces
un à gauche
enfila la
bien
de Debray. Arrivé ,
traversa le
rue Saint-Roch, dé-
rue de la Michodière et arriva à la porte de
la
M. Dangiars, au fort,
comme on dit encore
les discours bien faits,
raoraen'l
où
le
landeau de M. de Ville-
après l'avoir déposé, lui et sa femme, au: faubourg
Saint-Honoré s'arrêtait pour mettre la baronne chez ,
Debray, en
premier dans
homme
la cour, jeta la
bride aux mains d'un valet
de pied, puis revint à la porlière recevoir à laquelle
giars,
il
elle.
familier dans la maison, entra le
offrit Ib
madame Dan-
bras pour regagccr ses appar-
tements.
Une la
cour
fois hi :
porte fer:uée et la baronne et Debray dans
.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. •
— Qa'avez-vous don^
,
54
Hermine ? dit Debray,
et
pour-
quoi donc vous êtes-vous trouvée mal à cette histoire
ou
à cette fable qif a racontée
pluiôt.
— Parce mon
que
j'étais
le
comte
?
horriblement disposée ce
soir,
ami, répondit la baronne.
— Mais non, Hermine, reprit Debray, vous ne me
fe-
Vous étiez au contraire dans d'exceldispositions quand vous êtes arrivée chez le comte.
rez pas croire cela. lentes
M. Danglars était bien quelque peuraaussade, c'est vrai, le cas que vous faites de sa mauvaise humeur.
mais je sais
Quelqu'un vous a
quelque chose. Racontez-moi cela;
fait
vous savez bien que pertinence vous soit
je
ne
souffrirai
jamais qu'une im
faite.
— Vous vous trompez, Lucien, je vous assure, madame
Danglars, et les choses sont
ai dites,
plus la mauvaise
comme
je
reprit
vous
humeur dont vous vous
les
êtes
aperçu, et dont je ne jugeais pas qu'il valût la peine de
vous
'^
parler.
Il était
évident que
madame
Danglars
était
sous
fluence d'une de ces irritations nerveuses dont les
l'in-
femmes
souvent ne peuvent se rendre compte à elles-mêmes, ou que, comme l'avait deviné Debray, elle avait éprouvé
quelque commotion cachée qu'elle ne voulait avouer à personne. En homme habitué à reconnaître les vapeurs
comme un
des éléments de. la vie féminine,
donc point dp,vantage soit
,
attendant le
d'une iElerrogalion nouvelle
,
il
n'insista
moment opportun,
soit
d'un avea proprio
motu.
A
la porte
de sa chambre, la baronne rencontra made-
moiselle Cornélie.
Mademoiselle Cornélie. était la camériste de confiance
ée
la
baronne.
' Que
fait
ma
fille ?
demanda madame Dauslars.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
92
—
Elle a étudi'i toute la soirée, répondit mademoiselle
CornélJe, a' ensuite elle s'est couchée.
— me semble cependant que j'entends son piano? — C'est mademoiselle Louise d'Armilly qui de Il
la
fait
musique pendant que mademoiselle est au lit. Bien, dit madame Danglars venez me désnabiller.
—
;
On sur
chambre à coucher. Debray
entra dans la
un grand canapé
son cabinet de
,
toilette
— Mon cher
et
madame
avec mademoisellb Cornélie.
monsieur Lucien,
à travers la portière
s'étendit
Danglars passa dans
du
jours qu'Eugénie ne vous
dit
madame
Danglars
vous vous plaignez tou-
cabinet,
pas l'honneur de vous
fait
adresser la parole?
— Madame,
dit
Lucien jouant avec
le petit
chien de la
baronne, qui, reconnaissant sa qualité d'ami de la maison, avait l'habitude de lui faire mille caresses, je ne suis pas le seul à
vous
de pareilles récriminations,
faire
entendu Morcerf se plaindre
et je crois avoir
à vous-même de ne pouvoir
tirer
l'autre jour
une seule parole de sa
fiancée.
— C'est vrai,
dit
madame
Danglars mais je crois qu'un ;
de ces matins tout cela changera, et que vous verrez en trer
Eugénie dans votre cabinet.
— Dans mon cabinet, à moi? — C'est-à-dire dans celui du ministre. — Et pourquoi cela? — Pour vous demander un engagement à l'Opéra! vérité, je n'ai
sique
:
c'est ridicule
Denray
—
jamais vu un
tel
engouement pour
la
pour une personne du monde
En mu-
I
sourit.
Eh bien dit-il, qu'elle vienne avec le consentemenl du baron cl le vôtre, nous lui ferons cet engagement, el nous lâcherons qu'il soi\ selon son mérite, quoique !
LE COMTE DE MONTE-C^.JSTO.
93
nous soyons bien pauvres pour payer un aussi beau lent
que
ta-
le sien.
— Allez, Cornélie,
madame
dit
Danglars, je n'ai plus
besoin de vous.
un
Cornélie disparut, et,
instant après,
glars sortit de son cabinet dans
madame Dan-
un charmant
négligé, et
vint s'asseoir près de Lucien.
Puis, rêveuse, elle se mit à caresser le petit épagneul.
Lucien
la
regarda un instant en silence.
— Voyons, Hermine, pondez franchement ce pas
dit-il
au bout d'un
instant, ré-
quelque chose vous blssse, n'est-
:
•?
— Rien,
reprit la baronne.
Et cependant
,
saya de respirer
— Je suis à Debray se
comme
elle étouffait, elle
et alla se
peur ce
faire
levait
se leva, es-
regarder dans une glace. soir, dit-elle.
en souriant pour
aller rassurer la
ronne sur ce dernier point, quand tout à coup
ba-
la porte
s'ouvrit.
M. Danglars parut
Au
môme
pas
la
rassit.
madame
,
Danglars se retourna,
avec un étonnement qu'elle ne se
et regarda son mari
donna
Debray se
;
bruit de la porte
peine de dissimuler.
— Bonsoir, Madame,
dit le
banquier
;
bonsoir,
mon-
sieur Debray.
La baronne crut sans doute que signifiait
quelque chose,
mots amers qui
étaient
cette visite
comme un
imprévu
désir de réparer les
échappés au baron dans
la
journée. Elle s'arma d'un air digne, et se retournant vers Lucien, sans répondre à son mari
— Lisez-moi donc loi dit-elle.
:
quel«iue chose, monsieur Debray»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
94
dV
Debnry, que celle visite avait légèrement inquiété
au calme de la baronne, et allongea la main vers un livre marqué au milieu par un couteau à bord, se reœit
lame de nacre incrustée
— Pardon,
en veillant
fatiguer, baronne, et
d'or.
banquier, mais vous allez bien vous
dit le
M. Debray demeure bien
Debray demeura
saisi
lard;
si
onze heures,
de stupeur, non point que
fût parfaitement
de Danglars ne
est
il
loin.
calme
et poli
au travers de ce calme et de cette politesse, il perune certaine velléité inaccoutumée de faire autre
tin,
çait
chose ce soir-là que
La baronne aussi
de sa femme.
la volonté
fut surprise et
témoigna son étonne-
ment par un regard qui sans doute eût donné à à son mari, si son mari n'avait pas eu les yeux
un
le ton
mais en-
;
journal,
où
il
réfléchir fixés sur
cherchait la fermeture de la rente.
en résulta que ce regard si fier fui lancé en pure perte, et manqua complètement son effet. 11
— Monsieur que
Lucien,
je n'ai pas la
dit la
baronne
je
,
vous déclare
moindre envie de dormir, que
choses à vous conter ce
soir, et
que vous
mille
j'ai
allez passer la
nuit à m'écouter, dussiez-vous dormir debout.
—A
vos ordres
,
Madame
,
répondit flegmatiquement
Lucien.
— Mon cher monsieur Debray,
dit
à son tour
ban-
le
ne vous tuez pas, je vous prie, à écouter cette nuit folies '!o madame Danglars, car vous les écouterez
quier, /es
Jussi bien «iemain
serve, et je
le
;
mais ce
consacrerai,
soir est si
à moi, je
mettre, à caisor de graves intérêts avec
Cette loii, le
d'aplomb, qu
il
coup
était
ma
le ré-
le
per-
femn>e
tellement direct et tombait
étourdit Lucien et la baronne
«"interrogèrent des
me
vous voulez bien
veux rnmme pour
;
si
tous deux
puis**' J'^^i dan*
LE COMTE DE MOl'^TE-GIUSTO.
95
l'antre
nn
sistible
pouvoir du maître de la maison triomniia- et force
resta
—
secours contre ceiie agression
mais
;
l'irré-
au mari. N'allez pas croire
au moins que
je voTis chasse,
mon cher Debray, continua Danglars; non, du monde une circonstance imprévue me :
rer d'avoir ce
ronne
soir
même une
pas
le
moins
force à dési-
conversation avec la ba-
cela m'arrive assez rarement pour qu'on ne
:
me
garde pas rancune.
Debray balbutia quelques mots, salua heurtant aux angles,
— C'est
incroyable,
si
quand
dit-il,
et sortit
en se
dans Athalie. la porte fut
fermée
combien ces maris, que nous trouvons ce-
derrière lui,
pendant
comme Nathan
ridicules, prennent facilement l'avantage sur
nous! Lucien
parti,
napé, ferma
Danglars s'installa à sa place sur
le livre resté ouvert, et,
horriblement prétentieuse chien. Mais
comme
,
continua de jouer avec
le chien, qui n'avait pas
même
sympathie que pour Debray,
le prit
par
la
la
peau du cou
le ca-
prenant une pose
le
et l'envoya,
pour
le
lui la
voulait mordre,
il
de l'autre côté de
chambre, sur une chaise longue. L'animal jeta un cri en traversant l'espace ; mais, arrivé
à sa destination,
il
se tapit derrière
péfait de ce traitement auquel il
se tint
-
muet
et
il
un
coussin,
n'était point
et,
stu-
accoutumé,
sans mouvement.
Savez-vous, Monsieur,
dit la
baronne sans sourcil-
que vous faites des progrès? Ordinairement voue n'étiez que grossier ce soir vous êtes brutal. C'est que je suis ce soir de plus mauvaise humeur ler,
;
—
qu'ordinairement, répondit Danglars.
Hermine regarda
le
banquier avec un suprême dédain.
Ordinairement ces manières de coup d'œil exaspéraient
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
96
l'orgoiilleux Danglars; mais ce soir-là
parut à peine y
il
faire attention.
— Et que me
fait
à moi votre mauvaise humeur
? ré-
pondit la baronne, irritée de l'impassibilité de son mari, est-ce
me
que ces choses-là
regardent? Enfermez vos
mauvaises humeurs chez vous, ou consignez-les dans vos bureaux
;
et
puisque vous avez des commis que vous
payez, passez sur eux vos mauvaises humeurs!
— Non pas, répondit Danglars
;
vous vous fourvoyez
dans vos conseils, Madame, aussi je ne
Mes bureaux sont mon M. Desmouliers, et
en troubler
qui
me
le
gagnent
et je
Pactole,
commis
fortune, et
niment au-dessous de celui
je crois,
pas en eolère contre eux
;
—
;
ne
je
me
mettrai donc
soyez tranquille, faire
ruinent votre
Monsieur, je
si
je parle par
énigme, je ne
chercher longtemps
Danglars. Les gens qui ruinent
ma
qui en tirent cinq cent mille francs en
la fois
le
mot, re-
caisse sont
ceux
une heure de temps.
— Je ne vous comprends pas. Monsieur, en essuyant de dissimuler à
dit la
baronne
l'émotion de sa voix
rougeur de son visage.
— Vous comprenez, glars; iwais dirai
dî-
prie.
— Ohl
et la
mes
chevaux et qui ruinent ma caisse.
Et quels sont donc ces gens qui
compte pas vous en orii
infi-
ceux contre lesquels je me met-
caisse? Expliquez-vous plus clairement,
TOUS
cours
que je paye un taux
en colère, c'est contre les gens qui mangent
ners, qui éreintentmes
le
sont gens honnêtes,
qu'ils méritent, si je les es-
time selon ce qu'ils rapportent
trai
dit,
ne veux pas en tourmenter
calme. Mes
ma
les suivrai pas.
comme
que
si
au contraire,
fort bien, dit
Dan-
votre mauvaise volonté continue, je vous
je viens de perdre sept cent mille francs sur
l'emprunt espagnol.
^— c'est
LE COMTE DE MOxME-CRISTO. 97 Aûl par exemple, dit la baronne en ricanant; et moi que vous rendez responsable de cette perte?
— Pourquoi pas? — C'est ma faute,
si
vous avez perdu sept ceci mille
francs ?
— En tout cas, ce n'est pas mienne. — Une pour toutes, Monsieur, reprit la
fois
baronne, je vous
la
ai dit
de ne jamais
me
aigrement
s^arlor caisse
•
une langue que je n'ai apprise ni chez mes parents dans la maison de mon premier mari.
c'est
ni
— Je sou
le
le crois
parbleu bien,
uns
ni les
dit
Danglars,
ils
n'avaient
ni les autres.
—
Raison de plus pour que je n'aie pas appris chez eux rargot de la banque, qui me déchire ici les oreilles du matin au soir; ce bruit d'écus qu'on compte et qu'on recompte m'est odieux, et je ne sais que le
voix qui
—
En
me
soit
vérité, dit Danglars,
comme
moi qui avais cru que vous preniez mes opérations!
—
Moi
I
son de votre
encore plus désagréable.
le
c'est étrange
I
et
plus vif intérêt à
qui a pu vous faire croire une pareille sot-
et
tise?
— Vous-même. — Ahl par exemple — Sans doute, — Je voudrais b^en que I
vous
me
fissiez connaître
en
quelle occasion.
—
Ohl mon Dieu!
vrier dernier, à"
Haïti: vou;
port
du
c'est
chose
facile.
vous m'avez parlé <
Au
mois de
fé-
première des fonds viez rêvé qu'un bâtiment entrait dans le
liii,re, et
que ce bâtiment
la
apportait la nciivelle
qu'un payement que l'on croyait remis aux taleudes grecques allait s'effectuer. Je connais la lucidité de votre TOME
I?.
g
le comte de MONTE-CRISTO.
IK;
sommeil-
donc
j'ai
acheter en dessous main tous lei trouver de la dette dllaui, et j'ai
fait
coupons 'que j'ai pu dont cent mille vous om gagné quatre cent mille francs, avez fait ce que voui en Vous remis. religieusement été
avez voulu, cela ne
me
regarde pas.
d'une concession de chemm àf garantiei se présentaient, offrant des fer. Trois sociétés et, quoique instinct, votre que égales. Vous m'avez dit
En
mars,
il
s'agissait
aux spéculations, vous vous prétendiez étrangère au
je crois
très-développé sur certaines contraire votre instinct faim'avez dit que votre instinct vous
matières, vous sait croire
que
le privilège serait
donné à
la société dite
même
, ^ pour les deux
du Midi. Je
,
me suis
fait
inscrire à l'instant
Le privilège lui a été, des actions de cette société. prévu, les actions l'aviez vous comme en effet, accordé ; million, sur lej'ai encaissé un ont triplé de valeur, et ont été remis vous mille francs quel deux cent cinquante ces deux employé Comment avez-vous
tiers
à titre d'épingles. cent cinquante mille francs?
s é-
_ Mais où donc voulez-vous en venir, Monsieur?
cria la
de dépit eî d'impabaronne, toute frissonnante
tience.
— Patience, Madame, _ C'est heureux
j'y arrive.
I
—
vous avez été dîner chez le ministre ; on une conver'^alion causa de l'Espagne, et vous entendîtes don Carlos j'ade l'expulsion A s'agissait de
En
secrète
avril,
;
;
K
j^ L'expulsion eut lieu, chetai dès fonds espagnols. repassa V Charles jour où le francs mille gagnai six cent cent mille francs vous avez tou!a P.ldassoa. Sur ces six
dié cinquante mille écus
;
ils
à vous, vous en avez ne vous en demande pas
étaient
ie disposé à votre fantaisie, et
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. compte ; mais
9»
n'en est pas moins vrai que vous avez
il
reçu cinq cent milles livres cette année.
— Eh bien, après? Monsieur. — Ahi oui, après Eh bien,
c'est justement après cela
I
que
chose se gâte.
la
— Vous avez des façons de en vérité... — Elles rendent mon idée, c'est tout ce me dire...
qu'il
faut...
y a trois jours donc, vous avez causé politique avec M.Debray, et Après,
c'était
il
ya
trois jours cet après-là. Il
vous croyez voir dans ces paroles que don Carlos est rentré en Espagne alors je vends ma rente, la nouvelle se ré;
y a panique, je ne vends plus, je donne; demain, il se trouve que la nouvelle était fausse, pand,
il
? !
puisque je vous donne un quart quand je
gagne, c'est donc
perds
;
le
len-
qu'à
perdu sept cent mille francs.
cette fausse nouvelle j'ai
— Eh bien — Eh bien
le et
un quart que vous me devez quand je
quart de sept cent mil/e francs
,
c'est ceni
soixante-quinze mille francs.
—
Mais ce que vous me dites là est extravagant, et je ne vois pas, en vérité, comment vous mêlez le nom de
M. Debray à toute
— Parce que
si
cette histoire.
vous n'avez point par hasard
les cent
soixante-quinze mille francs que je réclame, vous les
emprunterez à vos amis,
et
que M. Debray
est
de vos
amis.
— Fi donc s'écria — Oh pas de gestes !
1
la ,
baronne. pas de cris, pas de drame mo-
Madame, sinon vous me
forceriez à vous dire que Debray ricanant près des cinq cent mille livres que vous lui avez comptées cette année, et se disant qu'il a enfin trouvé ce que les plus habile? joueurs
derne.
je vois d'ici M.
n'ont
pu jamais
découvrir, c'est-à-dire ujie roulette où
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
100
l'on gagne sans mettre au jeu, quand on perd. La baronne voulut éc'ater.
— Misérable
saviez pas ce que vous osez —
ne perd pas
l'on
oseriez-vous dire que vous ne
dit-elle,
!
où
et
me
reprocher aujourd'hui?
Je n_ vous dis pas que je savais, je ne vous dis pas
-
que je ne
savais point, je vous dis
:
et
que
ma conma femme
observez
duite depuis quatre ans que vous n'êtes plus
ne suis plus votre mari, vous verrez
je
toujours
conséquente
été
avec elle-même.
si elle
a
Quelque
temps avant notre rupture, vous avez désiré étudier
la
musique avec ce fameux baryton qui a débuté avec tant de succès au Théâtre-Italien moi j'ai voulu étudier la :
danse avec cette danseuse qui
s'était fait
une
si
grande
réputation à Londres. Cela m'a coûté, tant pour vous que
pour moi, cent mille francs à peu près. Je
n'ai rien dit,
parce qu'il faut de l'harmonie dans les ménages. Cent
que l'homme
mille francs pour
à fond
Bientôt, voilà
et la
femme sachent
bien
musique ce n'est pas trop cher. que vous vous dégoûtez du chant, et que
danse et
la
la
,
vous vient d'étudier la diplomatie avec un secrédu ministre; je vous laisse étudier. Vous comprenez que m'importe à moi, puisque vous payez les leçons
l'idée taire :
que vous prenez sur votre cassette? Mais, aujourd'hui, je m'aperçois que vous tirez sur la mienne, et que votre apprentissage
me
mois. Halte-là
(Ju le diplomate tolérerai,
ou
il
1
car cela ne peut durer ainsi.
donnera des leçons... gratuites,
ne remettra plus
enteodez-vous.
— Oh
peut coûter sept cent mille francs par
Madame,
I
le
pied dans
et je le
ma maison;
Madame?
c'est trop fort.
Monsieur! s'écria Hermine suf-
foquée, et vous dépassez les limites de l'ignoble.
— Mais
,
dit
Danglars
ie
vois avec plaisir
que vous
LE COMTE DE MONTE-CRISTO n'êtes pas restée en deçà, et
ment obéi à son mari.
cet
axiome du code
:
femme doit
« la
suivre
»
— Des injures! — Vous avez
rai
>on
li"ûidement. Je ne
me
affaires
iOl
que vous avez' volontaire-
:
arrêtons nos faits, et raisonnons suis jamais,
que pour votre bien
;
moi, mêlé de vos
de
faites
môme. Ma
caisse
ne vous regarde pas, 'Jites-vous? Soit; opérez sur la vôtre, mais n'emplissez ni ne videz la mienne. D'ailleurs, qui
sait si tout cela n'est
tique
;
pas un coup de Jarnac poli-
ministre, furieux de
si le
me
voir de l'opposition,
des sympathies populaires que je soulève
et jaloux
s'entend pas avec M. Debray pour
me
— Comme c'est probable — Mais sans doute qui a jamais vu
,
ne
ruiner?
!
;
cela...
une fausse
nouvelle télégraphique, c'est-à-dire l'impossible, au à
peu près des signes tout à fait dilTérents donnés par les deux derniers télégraphes!... C'est fait exprès pour moi ;
en vérité.
— Monsieur,
dit
plus humblement la baronne, vous
me semble, que cet employé a été qu'on^ parlé même de lui faire son procès, que
n'ignorez pas, ce
chassé,
l'ordre avait été
été
donné de
mis à exécution
s'il
l'arrêter, et
ne se
que cet ordre eût
fût soustrait
recherches par une fuite qui prouve sa pabilité... C'est
— Oui, qui
une
aux premières
folie
ou sa
cul-
erreur.
fait rire les niais,
vaise nuit au ministre, qui
fait
qui
secrétaires d'État, mais qui à
passer une maudu papier à MM. les
fait
noircir
moi me coûte sept cent
mille francs.
— Mais
,
Monsieur,
dit tout
à coup Hermine, puisque
tout cela, selon vous, vient de M. Debray, pourquoi,
Mda de
au
dire tout cela directement à M. Debray, venei-
„ ,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
im vous et
me
à moi? Pourquoi accusez-vous l'homm»
le dire
vous en prenez-vous à la femme ? Ebvce que je connais Jl. Debray, moi ?
—
est-ce qu'il
veux
je
le
que
je joue ?
non pas moi
— Mais
Non,
je
veux
vous qui
c'est
Dauglars ;
veux savoir les
suivre?
faites tout cela
i
me
il
dit
connaître ? est-ce que je
donne des conseils? est-ce que
est-ce et
que
semble que puisque vous en
Danglais haussa
profilez.
les épaules.
— Folles créatures, en vérité, que ces femmes qui se croient des génies parce qu'elles ont conduit 'lîtrigues
une ou dix
de façon à n'être pas affichées dans tout Paris
I
Mais songez donc qu'eussiez-vous caché vos dérèglements
même,
à votre mari la
TA B G
ce qui est
de
l'art,
parce (lue
plupart du temps les maris ne veulent pas voir
ne seriez qu'une pâle copie de ce que font
amies les femmes du monde. Mais
pour moi
;
j'ai
vu
et toujours
il
la
,
vous
moitié de vos
n'en est pas ainsi
vu depuis ;
peu
seize ans à
vous m'avez caché une pensée peut-être, mais pas une démarche, pas une action, pas une faute. Tandis que vous, de votre côté, vous vous applaudissiez de votre près,
me tromper qu'en est-il ma prétendue ignorance, de-
adresse et croyiez fermement résulté ? c'est que, grâce à
:
puis M. de Villefort jusqu'à M. Debray,
de vos amis qui
n'ait
un qui ne m'ait
traité
tremblé devant moi.
en
prétention près de vous
maît-'c de la
;
il
vous permets de
vous empêcherai de Jusqu'au
noQcé,
la
me
me rendre
défends positivement
et,
moment où
le
baroDDO avait
11
n'est pas
maison, ica seule
moi-même
nom
ait
au-
rendre odieux, mais je
ridicule, et surtout je
par-dessus tout, de
fait
un
n'en est pas
n'en est pas un, enfin, qui
osé vous dire de moi ce que je vous en dis jourd'hui. Je
il
me
vous
ruraer
de Villefort avait été pro
assez bonne contenance
, ,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lOCi
mais à ce nom elle avait pâli, et se levant comme mue par un ressort, elle avait étendu les bras comme pour conjurer une apparition, et
comme pour naissait pas
comme il
lui
arracher
fait trois
pas vers son mari
du secret
la lin
qu'il
ne con-
ou que peut-être, par quelque calcul odieux
étaient à
peu près tous
les calculs
de Danglars,
ne voulait pas laisser échapper entièrement.
— M. de Villefort que que voulez-vous — Cela veut dire, Madame, que M. de Nargonne, votre I
signifie ?
dire'?
n,,iri, n'étant ni un philosophe ni un banquier, ou peut-être étant l'un et l'autre, et voyant qu'il n'y avait aucun parti à tirer d'un procureur du roi, est mort de chagrin ou de colère de vous avoir trouvée enceinte de six mois après une absence de neuf. Je suis brutal non-seulement je le sais mais je m'en vante c'est un de mes moyens de succès dans mes opérations commer-
premier
:
,
Pourquoi, au lieu de tuer,
ciales.
s'est-il fait
tuer lui-
même ?
parce qu'il n'avait pas de caisse à sauver. Mais,
moi
me dois à ma caisse. M. Debray , mon associé perdre sept cent mille francs, qu'il supporte sa
me
je
,
fait
part de la perte, et
me
qu'il
nous continuerons nos
affaires
;
sinon,
fasse banqueroute de ces cent soixante-quinze
mille livres, et qu'il fasse ce que font les banqueroutiers, qu'il disparaisse.
Eh,
mon Dieu
c'est
1
un charmant
gar-
çon, je le sais, quand ses nouvelles sont exactes ; mais quand elles ne le sont pas , il y en a cinquante dans le
monde qui valent mieux que lui. Madame Danglars était atterrée effort
Elle
du
suprême pour répondre à
tomba sur un
dîner
,
;
cependant
elle
fit
un
celte dernière attaque.
fauteuil, pensant à Villefort, à la scène
à cette étrange série de malheurs qui depuis
quelques jours s'abattaient un à un sur sa maison ei changeaient en scandaleux débats le calme ouaté de son
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
104
ménage. Danglars ne fil
tout
c.»
regarda
la
môme
qu'elle pût pour s'évanouir.
pas, quoiqa'elle
Il lira la
porte de
chambre à coucher sans ajouter un seul mot et rentra chez lui de soro que madame Danglars, en revenant de la
;
Bon demi-évanov:issemenf
un mauvais
,
put croire qu'elle avait
fait
rêve.
IX DE
J>ROJETS
MARIA-^vlî
Le lenflfcmain de celte scène, s coutume de choisir pour veîil
avait
bureau, une petite visite à
ne parut pas dans
mada as
afcmfe aire,
que Debrav
en allant à sou
Danglars, son coupé
la cour.
A cette heure-là c'est-à-dire vers midi et demi madame Danglars demanda sa voiture et sortit. Danglars, placé derrière un rideau, avait guetté cette ,
,
sortie qu'il attendait.
aussitôt
que madame
elle n'était
A deux
Il
donna
l'ordre
reparaîtrait
;
qu'on
le
prévînt
mais à deux heures
pas rentrée.
il demanda ses chevaux, se rendit à la Chambre et se fit inscrire pour parler contre le budget. De midi à deux heures, Danglars était resté à son
heures
:-abinet, décachetant ses
dépêches, s'assombrissant de
plus en plus, entassant chilîres sur chiffres et recevant *;ntre
autres visites celle du major Cavalcanti, qui, tou-
jours aussi bleu, aussi roide et aussi exact, se présenta
l'heure annoncée
avec
le
la
veille
pour terminer sou
affaire
banquier.
Pn sortant de
la
Chamlirc, Danglars. qui avait dooû'i
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lOR
de violentes marques d'agitation pendant la séance
et qui
surtout avait été plus acerbe que jamais contre le minis
remonta dans sa voiture
tère, le
et
ordonna au cocher de
conduire avenue des Champs-Elysées, n" 30. Monte-Cristo
quelqu'un, et
chez
était
priait
il
lui
seulement
;
il
était
avec
Danglars d'attendre un instant an
salon.
Pendant que et
il
d'attendre
dans
comme
maison,
la
appartements
Un
banquier attendait,
le
un homme
vit entrer
habillé
la porte s'ouvrît,
en abbé
lui, plus familier
que
,
qui
lui
,
au
lieu
sans doute
salua, entra dans l'intérieur des
le
et disparut.
instant après
la porte
,
par laquelle
le prêtre était
entré se rouvrit, et Monte-Cristo parut.
— Pardon, aiHis, l'abbé
cher baron, mais un de
dit-il,
mes bons
Busoni, que vous avez pu voir passer, vient
d'arriver à Paris
;
y avait
il
fort
longtemps que nous
étions séparés, et je n'ai pas eu le courage de le quitter
tout aussitôt. J'espère
qu'en faveur du motif, vous
m'excuserez de vous avoir
— c'est
Comment moi qui
ai
donc,
dit
mal
pris
fait
attendre.
Danglars, c'est tout simple;
mon moment,
et je vais
me
retirer.
—
Point
du
Mais, bon Dieu
tout !
asseyez-vous donc, au contraire.
;
qu'avez-vous donc? vous avez
soucieux; en vérité vous m'effrayez. grin est
comme
les
comètes,
il
Un
l'air
tout
capitaliste cha-
présage toujours quelque
grand malheur au monde.
—
J'ai,
mon cher
dit Danglars, que la maumoi depuis plusieurs jours, et que
Monsieur,
vaise chance est sur je n'apprends
— Ah!
que des
mon Dieu
!
sinistres. dit
Monte-Cristo, est-ce que vous
avez eu une rechute à la Bourse?
LE COMTE DE MONTE-CUISTO.
iOf-
—Non, j'en il
suis guéri, pour quelques jours
du moins;
bonnement pour moi d'une banqueroutes
s'agit tout
Iriesle.
— Vraiment? Est-ce que voire banqueroutier ferait par hasard Jar opo jManfredi
— Justement
?
homme
Figurez-vous un
1
qui
faisait,
de-
puis je ne sais combien de temps, pour huit ou neuf cent mille francs par an d'affaires avec moi. Jamais
un mé-
compte, jamais un retard
comme
;
un
gaillard qui payait
on prince... qui paye. Je me mets en avance d'un million
mon
ivec
lui, et
fredi
qui suspend ses payements
ne
voilà-t-il
— En vérité — C'est une
pas
diable de Jacopo
Man-
I
?
fatalité
mille livres, qui
me
inouïe. Je tire sur lui six cent
reviennent impayées, et de plus je
suis encore porteur de quatre cent mille francs de lettres
de change signées par
payables
lui et
toucher
mon
ah
;
affaire
!
bien oui,
le
courant chez
fin
son correspondant de Paris. Nous sommes
le 30, j'envoie
correspondant a disparu. Avec
d'Espagne, cela
me
fait
une
gentille fin de
mois.
—
Mais est-ce vraiment une
votre
perte,
affaire
d'Espagne?
— Certainement, caisse, rien
que
— Comment
sept cent mille francs hors de
ma
cela.
diable avez-vous
fait
une
pareille écoïC,
vous un vieux loup-cervier?
— Eh
!
c'est la faute
de
ma femme. Elle a rêvé que don aux
rêves. C'est
elle ri^ve
une chose,
Carlos était rentré en Espagne ; elle croit
du magnétisme,
dit-elle, et
quand
celte chose, à ce qu'elle assure, doit infailliblemeut arri-
ver. Sur sa conviction, je lui permets de jouer: elle cassette et son agent de chance
:
«Ue joue
i:
sa
et elle perd.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
H
que ce
est vrai
n'est pas
mon
argent, mais le sien
Cependant, n'importe, vous comprendrez
qu'elle joue.
que lorsque sept cent mille francs de la femme,
le
— Si
fait, ;
sortent de la poche
mari s'en aperçoit toujours bien un peu.
Commertl vous ne un bruit énorme. détails
10?
saviez pas cela? Mais la chose a
j'en avais
fait
entendu parler, mais j'ignorais les
puis je suis on ne peut plus ignorant de toutes
ces affaires de Bourse.
— Vous ne jouez donc pas — Moi! comment voulez-vous que je joue? Moi qui ?
et
mes revenus,
je serais
intendant, de prendre encore
un com-
déjà tant de peine à régler
ai
mon
forcé, outre
un garçon de
mis
et
me
semble que
l'histoire ils
pas
de
dit
la
la
caisse. Mais, à propos d'Espagne,
baronne n'avait pas tout à
rentrée de don Carlos. Les journaux n'ont-
quelque chose de cela?
— Vous croyez donc aux journaux, vous — Moi, pas moins du monde mais le
que
il
rêvé
fait
f
me
il
;
semble
cet honnête Messager faisait exception à la règle
qu'il n'annonçait
que
et
,
les
nou-
reprit
Dan-
les nouvelles certaines
,
velles télégraphiques.
— Eh bien glars
;
c'est
!
voilà ce qui est inexplicable
que
cette rentrée de
vement une nouvelle télégraphique. En sorte, dit Monte-Cristo, que
—
mille francs à
,
don Carlos
était effecti-
c'est dix-sept ceiÉ
peu près que vous perdez ce mois-ci ?
— n'y a pas d'à peu près, — Diable pour une fortune
c'est juste
Il
I
1
dit
chiffre. dit
un rude coup. Danglars un peu humilié;
Monte-Cristo avec compassion
— De troisième ordre
mon
de troisième ordre,
,
c'est
que diable entendez-vous par là?
— Sans doute, continua Monte-Cristo, je
fais trois
câ~
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
408
tégories dans les fortunes
fortune de
fortune de premier ordre,
:
deuxième ordre
,
fortune de troisième ordre.
J'appelle fortune de premier ordre celle qui se e
que
trésors
les
la
revenus sur des États
main,
comme
pourvu que ces
l'Angleterre,
et
sous
l'on a
revenus, forment un j'appelle fortune de
total
compose
les terres, les la
mines,
France, rAutriche
trésors, ces mines, ces
d'une centaine de millions;
second ordre les exploitations ma-
Dufacturières, les entreprises par association, les vice-
royautés et les principautés ne dépassant pas quinze cent mille francs de revenu,
tout formant
le
d'une cinquantaine de millions
;
un
capital
j'appelle enfin fortune
de troisième ordre les capitaux fructifiant par intérêts
composés,
les
gains dépendant de la volonté d'autrui ou
des chances du hasard
,
qu'une banqueroute entame,
qu'une nouvelle télégraphique ébranle
;
les spéculations
éventuelles, les opérations soumises enfin
de cette
en
la
comparant à
turelle
:
la force
majeure, qui est la force na-
formant un capital
le tout
fictif
quinzaine de millions. N'est-ce point
^u
aux chances
qu'on pourrait appeler force mineure,
fatalité
1î\
ou
réel d'une
votre position à
prêt, dites?
— Mais dame, oui répondit Danglars. — en résulte qu'avec six de mois comme celleI
fins
Il
,
continua imperturbablement Monte-Cristo
,
une mai-
ion de troisième ordre serait à l'agonie.
— Oh TOUS y
!
Danglars avec un sourire
dit
allez
fort pâle,
comme
I
— Mettons sept mois,
ton. Dites -moi,
répliqua Monte-Cristo
du même
avez-vous pensé à cela quelquefois, que
sept fois dix-sept cent mille francs font douze millions ou
4 peu près?...
Non? Eh bien! vous avez
raison, car
4vec des réflexions pareilles on n'engagerait jamais sôb
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
109
rapitaux, qui sont au financier ce que la peau est à
J'homme
civilisé.
somptueux, il
n'a
Nous avons nos
que sa peau, de
ou moins
habits plus
;
mais quand l'homme meurt
même
qu'en sortant des affaires,
c'est notre crédit
vous n'avez que votre bien réel, cinq ou six millions tout au plus car les fortunes de troisième ordre ne représentent guère que le tiers ou le quart de leur apparence, comme la locomotive d'un chemin de fer n'est toujours, ;
au milieu de
fumée qui l'enveloppe
la
qu'une machine plus ou moins
forte.
et qui la
Eh
bien
cinq millions qui forment votre actif réel,
grossit,
I
sur ces
vous venez
d'en perdre à peu près deux, qui diminuent d'autant votre
ou votre
fortune fictive
crédit; c'est-à-dire,
mon
cher
monsieur Danglars, que votre peau vient
d'être ouverte
par une saignée qui, réitérée quatre
entraînerait la
mort. Eh, eh glars.
faites attention,
!
mon
Avez-vous besoin d'argent
vous en prête
?
fois
,
cher monsieur Dan-
Voulez-vous que je
?
— Que vous êtes un mauvais calculateur!
Dan-
s'écria
glars en appelant à son aide toute la philosophie et toute
de l'apparence
la dissimulation
gent est rentré dans
mes
:
à l'heure
qu'il est, l'ar-
coffres par d'autres spéculations
qui ont réussi. Le sang sorti par la saignée est rentré par la
nmdtion.
battu
à.
perdu une
J'ai
Trieste
pris quelques galions
bataille
mon armée
mais
;
;
mes
en Espagne
,
j'ai
été
navale de l'Inde aura
pionniers
du Mexique auront
découvert quelque mine.
— Fort bien, première perte
fort
bien
I
mais
— Non, car je marche sur Danglars avec
la
trois
à la
des certitudes, poursuivit
faconde banale du charlatan, dont
est de prôner son crédit;
que
la cicatrice reste, et
elle se rouvrira.
il
faudrait,
pour
gouvernements croulasseoi.
me
l'étal
rerverst/r,
«0
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Dame cela vu. — Que terre manquai de — Rappelez-Yous sept vaches s'est
!
récoltes.
la
les
grasses et les sept
vaches maigres.
— Ou que encore
éton;
mer
la
se retirât,
comme du temps
de Pha-
y a plusieurs mers, et les vaisseau)( en
il
seraient quittes pour se faire caravanes.
— Tant mieux, mille
fois tant
Monte-Cristo;
dit
trompé,
que vous rentrez dans
et
mieux, cher monsieur vois que je m'étais
et je
Danglars,
les fortunes
du second
ordre.
— Je crois pouvoir aspirer à cet honneur, avec un de ces sourires stéréotypés qui
dit
Danglars
faisaient à
Monte-
Cristo l'effet d'une de ces lunes pâteuses dont les
vais peintres badigeonnent leurs ruines
;
mau-
mais, puisque
nous en sommes à parler d'affaires, ajouta-t-il, enchanté de trouver ce motif de changer la conversation, dites-
moi donc un peu ce que
— Mnis, vous
et
je puis faire
donner de l'argent,
lui
que ce
— Excellent
crédit !
il
pour M. Cavalcanti. s'il
a un crédit sur
vous paraisse bon.
s'est
présenté ce matin avec un bon
de quarante mille francs, payable à vue sur vous, signé Busoni, et renvoyé par vous à moi avec votre endos.
Vous comprenez que
je lui ai
compté à
l'instant
même
ses quarante billets carrés.
Monte-Cristo
fil
un
signe de tête qui indiquait toute
son adhésion.
— Mais ce n'est pas tout, continua Danglars vert à son ûls
un
— Combien,
;
il
a ou-
crédit chez moi.
sans indiscrétion, donne-t-il au jeune
homme?
— Cinq mille francs par mois. — Soixante mille francs par an. Je m'en doutais bien.
LE COMTE DE MOxME-CRISTO. Monte-Cristo en haussant les épaules
lit
pleutres
nomme
que
Que
les Cavalcanti.
veut-il
m
ce sont des
;
qu'un jeune
fasse avec cinq mille francs par mois ?
— Mais ^ous comprenez que
si le
jeune hommec?, be-
soin de qutriques mille francs de plus...
-ren
faites rien, le
votre compte;
père vous les laisserait pour vous ne connaissez pas tous les million-
naires ullramontains : ce sont de véritables harpagons. Et par qui lui est ouvert ce crédit ?
— Oh!
par la maison Fenzi, une des meilleures de
Florence.
— faut
;
Je ne veux pas dire que vous perdrez, tant s'en mais tenez-vous cependant dans les termes de la
lettre.
— Vous canti
°
—
n'auriez donc pas confiance dans ce Caval-
Moi je lui donnerais dix millions sur sa signature. Cela rentre dans les fortunes de second ordre, dont je
vous
I
parlais tout à l'heure,
— El avec cela comme
mon il
cher monsieur Danglars.
est simple! Je l'aurais prig
pour un major, rien de plus. Et vous lui eussiez fait honneur; car, vous avez raison, il ne paye pas de mine. Quand je l'ai vu pour la première fois, û m'a fait l'effet d'un vieux lieutenan; moisi sous la contre-épaulette. Mais tous les Italiens son: comme cela, ils ressemblent à de vieux juifs quand Us n'éblouissent nas comme des mages d'Orient. Le jeune homme est mieux, dit Danglars.
—
,
— — Oui,
un peu timide, peut-être; mais, en somme, a m'a para convenable. J'en étais inquiet. Pourquoi cela?
— — Parce que vous l'avez vu chez moi à peu prèsàsoa
ectrée dans
le
monde, à ce aue
l'on
m'a
dit
du moins. U
2
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
H
très-sévère et n'était jaa voyagé avec un précepteur mais venu à Paris. — Tous ces Italiens de qualité ont l'habitude de se
négligemment mar.er entre eux, n'est-ce pas? demanda fortunes. leurs associer à aiment Danglars ; ils Cavalcanti D'habitude ils font ainsi, c'est vrai mais
—
est
;
un
original qui
ne
rien
fait
comme
m'ôtera pas de l'idée qu'il envoie son
les autres.
fils
On ne
en France pour
y trouve une femme.
qu'il
— Vous croyez — J'en suis sur. — Et vous avez entendu parler de sa fortune — n'est question que de cela seulement les ?
?
;
Il
lui
un;
prétendent qu'il ne accordent des millions, les autres
possède» pas
un
paul.
Kt votre o[iinion à vous? vous fonder dessus; elle est toute 11 ne faudra pas
_
personnelle.
—
Mais, enfin..
_ Mon opinion, à moi
,
est
que tous ces vieux podes-
ces Cavalcanti ont tous ces anciens condottieri, car
tats,
provinces ; des armées, ont gouverné des des millions enterré ont qu'ils est dis-je, opinion,
commandé
mon
seuls connaissent et font dans des coins que leurs aînés en génération; et la connaître à Ipurs aînés de génération et secs comme leurs preuve, c'est qu'ils sont tous jaunes dont ils conservent République, florins du temps de la
un
reflet
-
à force de les regarder.
Parfait,
dit
Danglars; et c'est d'autant plus vrai terre, à tous ces
qu'on ne leur connaît pas un pouce de gens-là.
— Fort
que je ne peu, du moins; moi, je sais bien
nalais de Lucques. oounais à Cavalcanti app- sau
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Ah
a un palais
il
!
en riant Danglars
dit
!
113 ;
c'est déjà
lueique chose.
— Oui,
et
encore
au ministre des îinances,
le loue-t-il
une maisonnette. Oh!
tandis qu'il habite, lui, dans
vous
déjà
l'ai
dit, je
crois le
bonhomme
— Allons, allons, vous ne — Écoutez, je connais à peine
je
serré.
le flattez pas.
le
dans
trois fois
Busoni
et
ma
vie.
Ce que
par lui-même
projets sur son
fils,
et
me
il
;
me
je crois l'avoir
:
matin de ses
parlait ce
laissait entrevoir
que, las de
voir dormir des fonds considérables en Italie, qui est
pays mort, soit
il
voudrait trouver
en Angleterre, de
vu
j'en sais, c'est par l'abbé
un moyen,
faire fructifier ses millions.
remarquez bien toujours que, quoique j'aie
un
en France,
soit
la plus
Mais
grande
confiance dans l'abbé Busoni personnellement, moi, je
ne réponds de
rien.
— N'importe, voyé ; et
c'est
mon
un
merci du client que vous m'avez en-
fort
beau nom à
Cavalcanti, en est tout détail
fier.
mes
inscrire sur
caissier, à qui j'ai expliqué ce
que
A propos, et ceci
registres,
c'était
est
que
les
un simple
de touriste, quand ces gens-là marient leurs
fils,
îeur donnent-ils des dots?
— Eh,
mon
italien, riche
J'ai
connu un prince
d'or,
un des premiers
Dieul c'est selon.
comme une mine
noms de Toscane,
qui, lorsque ses
fils
guise, leur donnait des millions, et, riaient
malgré
de trente
se mariaient à sa
quand
ils
se
ma-
se contentait de leur faire
une rente écus par mois. Admettons qu'Andréa se marie lui,
selon les vues de son père,
il
lui
donnera peut-être un,
jeux, trois millions. Si c'était avec la
fille
par exemple, peut-être prendrait-il
un
maison du beau-père de son de cela que sa bru
fils
lui déplaise
:
;
d'un banquier, intérêt
dans
la
puis, supposez à côté
bonsoir, le père Caval-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
i\A canti
met
la
main sur
double tuur à de vivre
la
def de son
comme un
coffre-fort,
donne un
maître Andréa obligé
la serrure, et voilà
de famille parisien, en bizeautant
fils
des cartes ou en piquant des dés.
— Ce garçon-là péruvienne;
trouvera une princesse bavaroise ou
voudra une couronne fermée, un El-
il
dorado traversé par
— Non,
le
Polose.
tous ces grands seigneurs de l'antre côté de?
monts épousent fréquemment de simples mortelles sont
comme Jupiter, ils aiment à croiser les
races.
Ah
;
ils
çàl
mais.est-cequevousvoulez marier Andréa, mon cher monsieur Danglars, que vous me faites toutes ces questions-là?
— Ma
foi, dit
—
Ce
me paraîtrait pas une un spéculateur, moi.
Danglars, cela ne
mauvaise spéculation;
et je suis
avec mademoiselle Danglars, je pré-
n'est pas
sume? vous ne voudriez pas
faire
égorger ce pauvre
Andréa par Albert?
— Albert! bien oui,
il
dit
Danglars en haussant les épaules; ahl
se soucie pas
mal de
cela.
— Mais est fiancé avec votre je crois? — C'est-à-dire que M. de Morcerf et moi nous avons fille,
il
quelquefois causé de ce mariage
;
mais
madame
de Mor-
cerf et Albert...
— N'allez-vous
pas
me
dire
que cdui-ci
n'est pas
un
bon parti?
—
Eh, ehl mademoiselle Danglars vaut bien M. de
Morcerf, ce
— La
me
semble
1
dot de mademoiselle Danglars sera belle, en
eOet, et je n'en doute pas, surtout
si le
tdégraphe ne
fait
plus de nouvelles folies.
— Oh
I
ce n'est pas seulement la dot. Mais; dites-moi
donc, à propos?
— Eh bien)
LE COMTE Uc MONTE-CRISTO.
115
— Pourquoi donc n'avez-vous pas invité Morcerf
et
sa
famille à voire dîner?
— Je l'avais Dieppe avec i'air
de
la
aussi,
fait
madame
mais
il
un
a objeLcé
voyajje à
de Morcerf, à qui on a recomiûandé
mer.
— Oui, oui, Dan^iars en être bon. doit — Pourquoi cela? qu'elle a respiré dans sa jeunesse. — Parce que riant,
dit
lui
il
c'est l'air
Monte-Cristo laissa passer l'épigramme sans paraître
y
faire attention.
— Mais
enfin, dit le
comte,
si
Albert n'est point aussi
que mademoiselle Danglars, vous ne pouvez nier quil porte un beau nom ? riche
— Soit, mais j'aime autant mien, Danglars. — Certainement, votre nom est populaire, et a orné dit
le
il
le titre
dont on a cru l'orner
;
mais vous êtes un
homme
pour n'avoir point compris que, selon certains préjugés trop puissamment enracinés pour qu'on les extirpe, noblesse de cinq siècles vaut mieux que notrop intelligent
blesse de vingt ans.
— Et voilà justement pourquoi,
dit
Danglars avec
un
sourire qu'il essayait de rendre sardonique, voilà pour-
quoi je préférerais M. Andréa Cavalcanti à M. Albert de Morcerf.
— Mais les
cependant,
Morcerf ne
—
le
dit
Monte-Cristo, je suppose que
cèdent nas aux Cavalcanti?
Les Morcerf
I...
lenei,
Danglars, vous êtes un galant
mon
cher comte, repri
homme,
n'est-ce pasf
— Je crois. — Et de plus, connaisseur en blason? le
— Ln peu. — Eh bien iolide
que
I
la couleur du mien du blason dp Morcerf.
regardez
celle
;
elle est plus
H6
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— —
Pourquoi cela? Parce que, moi,
si
je
ne suis pas baron de nais-
sance, je m'appelle Danglars au moins.
— Après? — Tandis que ne s'appelle pas Morcerf. — Comment, ne s'appelle Morcerf? — Pas moins da monde. — Allons donc — Moi quelqu'un m'a baron, de sorte que je lui
paj.
il
le
I
fait
,
suis; lui s'est l'est
fait
comte tout seul, de sorte
qu'il
le
ne
pas.
— Impossible. — Écoutez, mon cher comte, continua Danglars, M. de Morcerf est
mon
trente ans; moi,
mes
ami, ou plutôt
ma
vous savez que
armoiries, attendu
que
connaissance depuis
je fais
je n'ai
bon marché de
jamais oublié d'où je
suis parti.
— C'est
la
preuve d'une grande humilité ou d'un grand
orgueil, dit Monte-Cristo.
— Eh était
bienl
quand
j'étais petit
commis, moi, Morcerf
simple pécheur.
— Et alors on l'appelait? — Fernand. — Tout court? — Fernand Mondogo. — Vous en êtes sur. — Pardieu m'a vendu assez de poisson pour que je I
le
il
connaisse.
— Alors, pourquoi donniez-vous votre — Parce que Fernand et Danglars étant deux lui
fllle?
parve-
nus, tou' deux anoblis, tous deux enrichis, se valent au fond, sauf certaines choses cependant, qu'on a dites lai et
qu'on n'a jamais dites de moi.
de
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— QaDi donc? — Rien. — Ah oui, comprends
117
ce que vous me dites la me je mémoire à propos du nom de Fernano Monentendu prononcer ce nom-là en Grèce.
!
;
rafraîchit la
dego
:
j'ai
— A propos de — Justement. — Voilà mystère,
l'affaire
reprit Danglars, et j'avoue
le
j'eusse
d'Ali-Pacha?
donné bien des choses pour
— Ce
n'était
pas
difficile, si
le
que
découvrir.
vous en aviez eu grande
envie.
— Comment cela? — Sans doute, vous avez bien quelque correspdhdant en Grèce
?
— Pardicu — A Janina? — J'en partout... — Eh bieni écrivez !
ai
et
à votre correspondant de Janina,
demandez-lui quel
d'Ali-Tebelin
— Vous vivement,
rôle a joué
dans
la catastrophe
un Français nommé Fernand.
avez raison j'écrirai
I
s'écria
aujourd'hui
Danglars en se levant
même
!
— Faites. — Je vais — Et vous avez quelque nouvelle bien scandaleuse... — Je vous communiquerai. — Vous me ferez le faire.
si
la
plaisir.
Danglars s'élança hors de l'appartement, et ne
bond jusqu'à sa
voiture.
fit
qu'un
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lis
X ZZ CABINET DU PROCUREUR DO ROI.
Laissons le banquier revenir au grand train de ses che-
vaux,
et
madame
suivons
Danglars dans son excursion
matinale.
Nous avons
qu'à midi et demi,
dit,
demandé
avait
chevaux
ses
en voiture.
du côté du faubourg Saint-Germain,
Elle se dirigea prit la
madame Danglars
et était sortie
rue Mazarine
,
et
fit
arrêter
au passage du Pont-
Neuf. Elle descendit et traversa le passage. Elle était vêtue fort
simplement,
qui sort
le
comme
Rue Guénégaud,
comme
le
il
convient à une
femme de goût
matin.
monta en
elle
but de sa course,
A peine
fut-elle
dans
fiacre
en désignant,
rue du Harlay.
la
la voiture,
qu'elle
tira
de sa
poche un voile noir très-épais, qu'elle attacha sur son
chapeau de tête, et vit
paille
avec
;
pais elle remit son chapeau sur sa
plaisir,
en regardant dans un
de poche, qu'on ne pouvait voir blanche
Le
d'elle
petit miroir
que sa peau
prunelle étincelante de son œil.
et la
fiacre prit le
Pont-Neuf, et entra, par la place Dau-
com du
phine, dans
la
portière, et
madame Danglars
Harlay
;
il
fut
payé en ouvrant
la
s'élançant vers l'escalier,
qu'elle franchit légèrement, arriva bientôt à la salle des
Pas-Perdus.
Le matin,
gens
affairés
beaucoup
y a beaucoup d'atTaires et encore plus de au Palais les gens affairés ne regardent pas
il
les
;
femmes
:
madame
Danglars traversa donc
H9
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
remarquée que dix
îa salle des Pas-Perdus sans être plus
autres
femmes qui
guettaient leur avocat.
y avait encombrement dans l'antichambre de M. de Villefort ; mais madame Danglars n'eut pas même besoin Il
nom
de prononcer son
sonne à laquelle M. dez-vous, par
un
et,
;
dès qu'elle parut,
demanda
leva, vint à elle, lui
le
un
si elle n'était
procureur du
roi avait
sur sa réponse afiQrmative,
il
huissier se
point la per-
donné ren-
la conduisit,
au cabinet de M. de
corridor réservé,
Ville-
fort.
Le magistrat
écrivait, assis sur
tourné à la porte
:
il
prononcer ces paroles
:
se refermer, sans faire
un
eut-il senti se perdre les
qu'il se retourna tirer les
rideaux
son fauteuil,
le
dos
entendit la porte s'ouvrir, l'huissier
Madame » et la porte mouvement mais à peine
Entrez,
«
seul
I
;
pas de l'huissier, qui s'éloignait,
vivement,
et visiter
alla
pousser les verrous
chaque coin du cabinet.
Puis lorsqu'il eut acquis la certitude qu'il ne pouvait être ni quillisé
vu
ni entendu, et
— Merci, Madame, Et
il
car le
que par conséquent
il
fut tran-
:
lui offrit
cœur
un
dit-il,
siège
merci de votre exactitude.
que madame Danglars accepta,
lui battait si
fortement qu'elle se sentait
près de suffoquer.
— Voilà,
dit le
procureur du
roi
en s'asseyant à son
un demi-cercle à son fauteuil, afin de 5e trouver en face de madame Danglars, voilà tAen longtemps Madame, qu'il ne m'est arrivé d'avoir tour et en faisant décrire
et, à mon grand nous nous retrouvons pour entamer une conver-
ce bonheur de causer seul avec vous ; regret,
sation Dien pénible,
— Cependant, Monsieur, vous voyez que je suis venue votre premier appel, quoique bien certainement cette
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
120
conversation soit eccore plus pénible pour moi que pour
vous.
amèrement.
Villefort sourit
—
Il
est
donc vrai,
dit-il,
répondant à sa propre pen-
madame
sée bien plutôt qu'aux paroles de est
unes sombres,
les
passé
I
est
II
il
sillon
!
marche du
la
Hélas
leurs larmes
I
reptile sur le sable et font
pour beaucoup
ce sillon est celui de
,
I
— Monsieur, dit mon
lumineuses, dans notre
les autres
donc vrai que tous nos pas dans cette vie
ressemblent à
un
Danglars,
donc vrai que toutes nos actions laissent leurs traces,
madame
Danglars, vous comprenez
émotion, n'est-ce pas? ménagez-moi donc, je vous
prie. Cette
chambre où
blants et honteux, ce
tant de coupables ont passé trem-
ma
où
fauteuil
tour honteuse et tremblante
!..
je m'assieds à
Oh! tenez,
j'ai
mon
besoin de
moi une femme un juge menaçant. Villefort secoua la tète et poussa un soupir. Et moi, reprit-il, et moi, je me dis que ma place n'est pas dans le fauteuil du juge, mais bien sur la sel-
toute
raison pour ne pas voir en
bien cocpable et en vous
—
leitâ
de l'accusé.
— Vous? madame Danglars étonnée. — Oui, moi. — Je crois que de votre pa;t, Monsieur, votre dit
nisme s'exagère l'œil si
la situation, dit
madame
beau s'illumina d'une fugitive lueur. Ces
dont vous parliez à l'instant
même,
toutes les jeunesses ardentes.
Au
delà du plaisir,
il
purita-
Danglars, dont sillons,
ont ^ti iracés par
fond des passions, au
y a toujours un peu de remords
;
c'est
pour cela que l'Évangile, celte ressource éternelle des
malheureux, nous a donné pour soutien, à nous autres pauvres femmes, l'admirable parabole de
la fllle
pèche-
LE COiMTE DE MONTE-CRISTO. resse et de là
me
femme
adultère. Aussi, je
de
reportanH; à ces délires
quelquefois que Dieu l'excuse,
du moins
vée dans
mes
la
me
ma
les
121
vous l'avoue, en
jeunesse, je pense
pardonneia,
sinon
'îar
compensation s'en est bien trou-
souffrances
mais vous, qu'avez-vous à
;
hommes que
craindre de tout cela, vous autres
tou*, le
monde excuse et que le scandale anoblit? Madame, répliqua Villefort, vous me connaissez ; je ne suis pas un hypocrite, ou du moins je ne fais pas
—
de l'hypocrisie sans raison. c'est
que bien des malheurs
s'est pétrifié, c'est afin qu'il
Si l'ont
mon
front
assombri
ainsi ce
sévère,
est si
mon cœur
de pouvoir supporter les chocs
ma
a reçus. Je n'étais pas ainsi dans
n'étais pas
;
jeunesse, je
où nous étions rue du Cours à Mar-
soir des fiançailles
tous assis autour d'une table de la
Mais, depuis, tout a bien changé en moi et autour
seille.
de moi ciles et
ma
;
vie s'est usée à poursuivre des choses
à briser dans les
difficultés
ceux
rement ou involontairement, par leur hasard, se trouvaient placés sur
par
le
me
susciter ces choses.
ardemment ne
soit
Il
est rare
diffi-
qui, volontai-
libre arbitre
ou
mon chemin pour
que ce qu'on désire
pas défendu ardemment par ceux de
qui on veut l'obtenir ou auxquels on tente de l'arracher. Ainsi, la plupart des mauvaises actions des
hommes
sont venues au-devant d'eux, déguisées sous la forme
spécieuse de la nécessité; puis, la mauvaise action com-
mise dans un moment d'exaltation, de crainte lire,
on voit qu'on aurait pu passer auprès
l'évitant.
Le moyen
qu'il eût été
et
de dé-
d'elle
n'a pas vu, aveugle qu'on était, se présente à vcs facile et
simple; vous vous dites
fait ceci
au
lieu de faire cela?
traire, bien
en
bon d'employer, qu'on
:
comment
yeux
n'ai-je
pas
Vous, Mesdames, au con-
rarement vous êlos tourmentées par des
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
422
remords, car bien rarement la décision vient de vous
som presque
vos malheurs vous
,
toujours imposés, vc
fautes sont presque toujours le crime des autres.
—
En tout cas, Monsieur, convenez-en, répondit nudame Banglars, si j'ai commis une faute, cette faute fût reçu hier soir
elle personnelle, j'en ai
— Pauvre femme
dit Villefort
en
la
sévère punitio»
lui serrant la
pour votre force, car deux
trop sévère lailliy
I
succomber,
main,
vous avez
fois
et cependant...
— Eh bien? — Eh bien! je dois
vous
rassemblez tout votre
dire...
courage. Madame, car vous n'êtes pas encore au bout.
— Mon Dieu a-l-il
I
s'écria
madame
— Vous ne voyez que est
passé.
le
Madame,
et certes
il
sombre. Eh blenl figurez-vous un avenir plus sombre
encore,
un
peut-êlre
affreux
avenir...
certainement... sanglant
!..
La baronne connaissait si
Danglars effrayée, qu'y
donc encore?
le
calme de Villefort;
épouvantée de son exaltation, qu'elle ouvrit
pour
crier,
mais que
— Comment Villefort
;
le cri
mourut
,
il
<>^Q5 sa gorge.
la
tombe
dormait, est-il sorti
pour
faire pâlir
nos joues
—
ll(iJas! dit
Hermine, sans doute
•-Le
et rougir
hasard! reprit Villefort
elle fut
bouche
ce passé terrible? s'écria
est-il ressuscité,
comment du fond de
nos cœurs où
la
;
du fond de
et
comme un fantôme
nos fronts
?
hasard!
le
non, non. Madame,
il
a'y a point de hasard!
— Mais
si;
n'est-ce point
mais un hasard qui a hasard que
le
fait
un hasard
futal,
n
est vrai,
tout cela? n'est-ce point par
comte de Monte-Cristo a acheté cette mai-
son? n'est-ce point par hasard
qu'il
a
terre? nesi-ce point par hasard, enfin,
fait
creuser
la
que ce malheu-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
123
reux enfent a été déterré sous les arbres? Pauvre innocente créature sortie de moi, à qui je n'ai jamais
ner un baiser, mais à qui
pu don-
donné bien des larmes. Ah! mon cœur a volé au-devanl du comte lorsqu'il a
tout
j'ai
parlé de cette chère dépouille trouvée sous des fleurs.
— Eh bien terrible
!
Madame
non,
;
et voilà ce
que
de
j'avais
a vous dire, répondit Villefort d'une voix sourde
;
;
non,
il
n'y a pas eu de dépouille trouvée sous les fleurs
non,
il
n'y a pas eu d'enfant déterré
pleurer ; non,
—
il
ne faut pas gémir
Que voulez-vous
non,
;
faut trembler
il
:
dire? s'écria
ne faut pas
il
!
madame Danglars
toute frémissante.
— Je veux dire que M. Monte-Cristo, en pied de ces arbres, n'a ni ferrures
de coffre
,
pu trouver
creusant au
ni squelette d'enfant,
parce que sous ces arbres
il
n'y
avait ni l'an ni l'autre.
—
n'y avait ni l'un ni l'autre! redit
Il
en
glars,
fixant sur le procureur
du
madame Dan-
roi des
yeux dont
prunelle, effroyablement dilatée, indiquait la terreur
n'y avait ni l'un ni l'autre
!
une personne qui essaye de et
fixer par le
la il
comme
son des paroles
par le bruit de la voix ses idées prêtes à lui échapper.
— ses
Non!
mains
dit Villefort, en. laissant ;
non
!..
donc point
là
non, cent
— Mais ce le
répéta-t-elle encore
;
n'est
fois
tomber son front dans
que vous aviez déposé
pauvre enfant. Monsieur? Pourquoi
me tromper?
dans
quel but, voyons, dites?
— C'est là; mais écoutez-moi, écoutez-moi. Madame, et
vous
allez
me
plaindre
,
moi qui
ai porté
gans en rejeter la moindre part sur vous,
douleurs que je vais vous
— Mon iez, je
Dieu
vous
!
vingt ans, fardeau de
dire.
vous m'effrayez
écout-e.
le
!
mais n'importe, par-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
i24
— Vous
comment
savez
s'accomplit cette nuit dou-
loureuse où vous étiez expirante sur votre
dans cette
lit,
chambre de damas rouge, tandis que moi prescjue aussi haletant que vous, j'attendais votre délivrance. L'enfant ,
vint,
me
voix
:
Madame elle eût
remis sans mouvement, sans souffle, sans
fut
nous
le
crûmes mort.
Danglars
fit
un mouvement
rapide,
comme si
voulu s'élancer de sa chaise.
Mais Villefort
l'arrêta
en joignaht
pour implorer son attention. Nous le crûmes mort, répéta-t-il
—
coffre qui devait
remplacer
jardin, je creusai
une fosse
vais à peine de
le
lus crier,
je le
le cercueil, je
et l'enfouis
mis dans un
descendis au
à la hâte. J'ache-
comme une ombre
frisson glacé
me
se dresser,
une douleur,
éclair reluire. Je sentis
un
;
parcourut tout
tué. Je n'oublierai jamais votre
me
calier, où, expirante
de moi.
Il
fallait
je
vou-
corps et
le
m'élreignità la gorge... Je tombai mourant, et je
revenu à moi, je
comme
mains,
couvrir de terre, que le bras du Corse
s'étendit vers moi. Je vis
comme un
les
me
crus
sublime courage, quand,
traînai expirant
jusqu'au bas de
l'es-
vous-même, vous vîntes au-devant
garder le silence sur la terrible cata-
strophe; vous eûtes le courage de regagner votre maison, soutenue par votre nourrice
ma blessure.
de
;
un duel
fut le prétexte
Contre toute attente, le secret nous fut
gardé à tous deux ; on
me
transporta à Versailles
dant trois mois, je luttai contre la mort; enfin, je
parus
l'air
du
me
rattacher à la vie,
Midi. Quatre
on m'ordonna
hommes me
me
pen-
le soleil et
portèrent de Pans à
Châlons, en faisant six lieues par jour. fort suivait le
;
comme
Madame de Ville-
brancard dans sa voilure.
A
Chàlons, on
mit sur la Saône, puis je passai sur le Rhône,
et,
par la seule vitesse du courant, je descendis jusqu'à
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ma
Arles, puis d'Arles, je repris
chemin pour
Marseille.
Ma
125
conlinuai
litière et
mon
convalescence dura dix mois
je n'entendais plus parler de vous, je n'osai
;
m'informer
de ce que vous étiez devenue. Quand je revins à Paris,
que, veuve de M. de Nargonne, vous aviez
j'appris
épousé M. Danglars.
A tait
quoi avais-je pensé depuis que la connaissance m'é
revenue? Toujours à
même
la
chose, toujours à
cadavre d'enfant qui, chaque nuit, dans volait
en
du
mes
rêves,
a
s'en-
sein de la terre, et planait au-dessus delà fosse
me menaçant du
regard
du
et
retour à Paris, je m'informai; la
geste. Aussi, à peine de
maison
n'avait pas été
habitée depuis que nous en étions sortis, mais elle venait d'être louée
pour neuf ans.
feignis d'avoir
un grand
J'allai
trouver
le locataire, je
désir de ne pas voir passer entre
des mains étrangères cette maison, qui appartenait au et à la mère de ma femme j'offris un dédommagement pour qu'on rompit le bail on me demanda six
père
;
;
donné dix
mille francs, j'en eusse
mille, j'en eusse
vingt mille. Je les avais sur moi, je
fls,
donné
séance tenante,
signer la résiliation; puis, lorsque je tins cette cession
au galop pour Auteuil. Personne,
tant désirée, je partis
depuis que j'en étais Il était
sorti,
n'était entré
dans
la
maison.
cinq heures de l'après-midi, je montai dans la
chambre rouge et j'attendis la nuit. Là, tout ce que je me disais depuis un an dans mon agonie continuelle se représenta, bien plus menaçant que jamais, à
ma
pensée.
Ce Corse qui m'avait déclaré suivi de
Nîmes à
Paris
;
la vendetta,
jardin, qui m'avait frappé, m'avait
m'avait
vu
qui m'avaii
ce Corse, qui était caché dans le
enterrer l'enfant
;
il
vu creuser
la fosse,
i!
pouvait en arriver à vous
connaître; peut-êtr» voik connaissait-il...
Ne vous
fe-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
ff6 rail-iï
pas payer un jour
Ne
faire?...
;;eance, iion
serait-ce pas
quand
le secret
pour
de celte terrible af-
une bien douce ven-
lui
apprendrait que je n'étais pas inort de
il
cnrp de poignard?
Il
était
donc urgent qu'avant toute
chose, et à tout hasard, je fisse disparaître les traces de
que j'en détruisisse tout
ze passé,
aurait toujours C'était
cela
que
que trop de
"vestige matériel
réalité
dans
pour cela que j'avais annulé j'étais
La nuit
venu,
c'était
mon
;
n'y
il
souvenir.
le bail, c'était
pour
pour cela que j'attendais.
arriva, je la laissai bien s'épaissir; j'étais sans
lumière dans cette chambre, où des souffles de vent
fai-
saient trembler les portières derrière lesquelles je croyais
toujours voir quelque espion
temps je ce
lit,
tressaillais,
il
me
embusqué
entendre vos plaintes, et je n'osais
Mon cœur
battait
violemment que
dans
;
de temps en
semblait derrière moi, dans
me
retourner.
le silence, et je le sentais battre si
je croyais
que
ma blessure
allait
se rou-
viir; enfin, j'entendis s'éteindre, l'un après l'autre, tous
ces bruits divers de la campagne. Je compris
que
je n'a-
vais plus rien à craindre, que je ne pouvais être ni ni
entendu,
et je
me
Écoutez, Hermine, je
homme, mais tite clef
de
vu
décidai à descendre.
me
crois aussi brave
lorsque je retirai de
l'escalier,
ma
qu'un autre
poitrine celte pe-
que nous chérissions tous deux, et faire attacher à un anneau d'or,
que vous aviez voulu
lorsque j'ouvris la porte, lorsque, à travers les fenêtres, je vis
une lune pâle
jeter, sur les
degrés en spirale, une
longue bande de lumière blanche pareille à un spectre, je
me
blait
retins
que
au mur
j'allais
et je fûs près
de crier
;
il
me
sem-
devenir fou.
Enfin, je parvins à
me
rendre maître de moi-même. Je
desceudis l'escalier marche à marche; la seule chose que je n'avais
pu vaincre,
c'était
un étrange tremblement
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dans
me
genoux. Je
les
un
l'eusse lâchée
cramponnai à
me
instant, je
J'arrivai à la porte d'en bas
une
;
au milieu de
pour l'allumer, puis
rêtai
Novembre
;
si je
fusse précipité
en dehors de
;
127
rampe
cette porte,
muni
contre le mur. Je m'élai?
bfrche était posée
d'une lanterne sourde
la
la
je continuai
pelouse, je m'ar-
mon
chemin.
du jardin
unissait, toute la verdure
avait
disparu, les arbres n'étaient plus que des squelettes aux
longs bras décharnés, et les feuilles mortes criaient avec sable sous
(e
mes pas.
L'effroi m'étreignait si
prochant du massif je
fortement
un
tirai
la
cœur, qu'en ap-
pistolet de
ma
poche
et
l'armai. Je croyais toujours voir apparaître à travers les
branches
massif avec
yeux
vide. Je jetai les
seul
;
du Corse.
la figure
J'éclairai le
aucun
ma
ne troublait
bruit
lanterne sourde
;
il
était
tout autour de moi, j'étais bien
de la nuit,
le silence
n'est le chant d'une chouette qui jetait
son
cri
si
ce
aigu et
comme un appel aux fantômes de la nuit. ma lanterne à une branche fourchue que j'a-
lugubre
J'attachai
vais déjà
où
remarquée un an auparavant, à
je m'arrêtai
pour creuser
L'herbe avait, pendant
l'endroit
même
la fosse.
l'été,
poussé bien épaisse à cet
endroit, et, l'automne venu, personne se s'était trouvé là
pour tira
la faucher.
mon
Cependant, une place moins garnie at-
attention;
il
était
vais retourne la terre. Je
évident que
me
c'était là
que j'a-
mis à l'œuvre.
J'en étais donc arrivé à cette heure que j'attendais de-
uis plus d'un an
Aussi,
comme
je sondais
!
j'espérais,
chaque
résistance au bout de UTi trou
deux
fois
comme je
travaillais,
comme
touffe de gazon, croyant sentir de la
ma
bêche
;
rien
!
et
cependant je
fis
plus grand que n'était le premier. Je
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
!28
cros m'être abusé, m'être trompé de place; je m'oneotai, regardai les arbres, je cherchai à reconnaître les dé-
je
flait
bise froide et aiguè sif-
a travers les branches dépouillées, et cependant la
mon
sueur ruisselait sur
pour recouvrir
la terre
me
front. Je
r^jjpelai
coup de poignard au moment où
vais reçu le
je
Une
oui m'avaieri frappé.
tails
la fosse
en piétinant celte
;
neurs
destiné à servir de banc
ariillciel
ma
car en tombant,
;
me
moi
le colTret
— Le
même,
plaçant de
à élargir
et
le trou
A ma
de cette pierre.
droite était le faux ébénier, derrière
mis à creuser
terre,
était
main, qui venait de quitter
l'ébénier, avait senti la fraîcheur
je tombai en
j'a-
un aux prome-
m'appuyais à un faux ébénier; derrière mo'
rocher
que
je piétinais
:
je
était le
me
rien
!
rocher;
me
relevai et
toujours rien
I
n'y était pas.
cofTret
murmura madame Dan-
n'y était pas?
glars, suffoquée par l'épouvante.
— Ne croyez
pas que je
continua Villefort; non. Je sai
que
l'assassin
,
me
bornai à cette tentative,
fouillai tout le
ayant déterré
massif; je pen-
le coffre et
croyant que
c'était
un
porté
puis, s'apercevant de son erreur, avait
tour
;
un
trésor, avait
trou et
cette idée qu'il l'avait
Dans
purement
cette
l'y
voulu s'en emparer,
avait déposé
et
simplement
mes recherches, attendre chambre et j'attendis.
— Oh mon Dieu — Le jour venu, je mière
visitfc
rien. Puis
il
em-
à son
fait
me
vint
n'avait point pris tant de précaution, et
dernière hypothèse,
!
;
l'avait
le
jeté il
jour.
dans quelque coin.
me
fallait,
pour
faire
Je remontai dans
la
I
fut
pour
descendis de nouveau. le
Ma
pre-
massif; j'espérais y retiouver
des traces qui m'auraient échappé pendant l'obscurité. J'avais retourné la terre sur
une
superficie de plus de
129
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
vingt pieds carrés, et sur une profondeur de plus de deui salarié pied^. Une journée eût à peine suffi à un homme
pour je
que
faire ce
j'avais fait, moi,
en une heure. Rien,
ne vis absolument rien. me mis à la recherche du
Alors, je
supposition que j'avais quelque coin. Ce devait
chemin qui condui-
être sur le
à la petite porte de sortie
sait
;
mais
coffre, selon la
avait été jeté dans
qu'il
faite
cette nouvelle inves-
que la première, et, le cœur au massif, qui lui-même ne me laissait
tigation fut aussi inutile
serré, je revins
plus aucun espoir.
— Oh
!
s'écria
devenir fou
— Je
madame
Danglars,
y avait de quoi
il
!
l'espérai
un
instant, dit Villefort,
pas ce bonheur; cependant, rappelant
conséquent mes idées
Pourquoi cet
mais
ma
je n'eus
force et par
:
homme
me
emporté ce cadavre?
aurait-il
demandai-je.
— Mais vous l'avez
dit, reprit
madame Danglacs,pour
avoir une. preuve.
— Eh
non, Madame, ce ne pouvait plus être cela on pas un cadavre pendant un an, on le montre à ne garde et Ton fait sa déposition. Or, rien de tout magistrat, un ;
I
cela n'était arrivé.
— Eh
bien! alors?...
demanda Hermine
toute palpi-
tante.
— Alors,
y a quelque chose de plus terrible, de plus il y a que l'enfant fatal, de plus effrayant pour nous, l'a sauvé. l'assassin que et peut-être, était vivant il
lûadame Danglars poussa un les
mains de
Villefort
— Mon enfant
mon
était
cri terrible, et saisissant
:
vivant
1
enfant vivant, Monsieiv
dit-elle "
Vous
;
vous avez enterré que
n'étiez pas sur
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
130
mon enfant était mort, et vous l'avez enterré ahl,.„ Madame Danglars s'était redressée et elle se tenait deI
vant
procureur du
le
roi,
dont elle serrait les poignets
enire ses mains délicates, debout et presque meuaçante.
— Que sais-je? Je vous dis cela comme je vous
autre chose, répondit Villefort avec
homme
qui indiquait que cet
— Ahl
mon
enfant,
dirais
de regard
fixité
puissant était prêt d'at-
si
du désespoir
teindre les limites
une
et
de
mon pauvre
la folie.
enfant! s'écria la ba-
ronne, retombant sur sa chaise et étouffant ses sanglots
dans son mouchoir. Villefort revint à lui, et comprit
que pour détourner
l'orage maternel qui s'amassait sur sa tète,
madame
passer chez
Danglars la terreur
il
fallait faire
qu'il
éprouvait
lui-n;ème.
— Vous comprenez en se levant à son tour
pour
lui parler
perdus
:
que
alors
si
cela est ainsi
en s'approchant de
et
dune voix
la
plus basse, nous
,
dit-il
baronne
sommes
cet enfant vit, et quelqu'un sait qu'il vit, quel-
qu'un a notre secret; et puisque Monte-Cristo parle devant nous d'un enfant déterré où cet enfant n'était plus, «e secret c'est lui qui
l'a.
— Dieu, Dieu juste. Dieu vengeur
I
murmura madame
Danglars.
ne répondit que par une espèce de ragisse-
Villefort
ment.
— Mais
cet enfant, cet enfant.
Monsieur?
reprit
la
•ère obstinée.
^Oh les
!
bras
que ,
je
l'ai
que de
nuits sans sommeil
royale
cherché
fois je
I
reprit Villefort
en se tordant
appelé dans
mes longues
l'ai
que de fois j'ai désiré une richesse pour acheter un million de secrets à un million
d'homme s,
et
I
pour trouver
mou
secret dans les leurs
!
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. un jour que pour
Enfin,
me demandai
bêche, je
que
Corse avait
le
pu
rasse on fugitif;
vivant encore,
— Oh
la
pour
faire
la
131
fois je reprenais la
centième
de l'enfant
:
un
fois aussi ce
enfant embar-
peut-être en s'apercevant qu'il était
dans
l'avait-il jeté
impossible
I
centième
la rivière.
madame
s'écria
I
Danglars
;
on as-
un homme par vengeance, on ne noie pas de sang-froid un enfant
sassine
I
— Peut-être, continua
Villefort, l'avait-il
mis aux En-
fants-Trouvés.
— Oh
oui
oui,
I
s'écria la
!
baronne,
mon
enfant est
là! Monsieur!
—
Je courus à l'hospice
même,
la nuit
posé dans
en
viette
le
et j'appris que cette nuit du 20 septembre, un enfant avait été dé-
tour
;
était
il
,
enveloppé d'une moitié de ser-
déchirée avec intention. Cette moitié
toile fine,
de serviette poitait une moitié de couronne de baron la lettre
— C'est cela, mon
et
H. c'est cela! s'écria
marqué
linge était
ainsi
;
madame Danglars,
M. de Nargonne
ron, et je m'appelle Hermine. Merci, fant n'était pas
mort
— Non, — Et vous il
n'était
tout
était
ba-
mon Dieul mon
en-
I
pas n»rt
!
me le dites vous me dites cela sans craindre de me faire mourir de joie Monsieur ? Où estU ? où est mon enfant? !
,
Villefort
— Le rais, je
îomme hélas
1
haussa
les épaules.
sais-j>3? dit-il;
vous le
ferais
ferait
non!
je
mois environ,
et
croyez-vous que
si je le
sa-
passer par toutes ces gradations,
un dramaturge ou un romancier? Nod, le sais pas. Une femme, il y avait six
ne
étaii
venue réclamer
moitié de la servieiie. Cette
femme
l'enfant
avec
l'autre
avait fourni toutes
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
13?
que
.es garanties
—
Mais
lait la
cette
remis.
femme, û
me
de quoi pensez-vous donc que jo
Madame?
Joui ce 'e
le lui avait
vous informer de
ïal-
découvrir.
— El cupé.
on
la loi exige, et
fallait
il
que
J'ai feiut
la police
une instruction
sois oc-
criminelle, et
a de fins limiers, d'adroits agents,
mis à sa recherche. On a retrouvé ses traces
les ai
usqu'à Chàlons; à Châlons, on les a perdues.
— Perdues — Oui, perdues; perdues à jamais. ?
Danglars avait écouté ce récit avec un sou-
Madame pir,
une larme, un
— Et — Ohl
cri
pour chaque circonstance.
c'est tout, dit elle; et
non,
vous vous êtes borné là?
dit Villefort, je n'ai
jamais cessé de cher-
cher, de m'enquérir, de m'informer. Cependant, depuis
deux ou
donné quelque relâche. recommencer avec plus de d'acharnement que jamais et je réus-
trois ans, je m'étais
Mais, aujourd'hui
persévérance
et
je vais
,
;
voyez-vous; car ce n'est plus
sirai,
la
conscience qui
me
pousse, c'est la peur.
— Mais, Cristo
ne
reprit
madame
sait rien;
rechercherait point
—
Oli
1
Danglars, le comte de Monte-
sans quoi, ce
comme
il
me
méchanceté des hommes
la
dit Villefort,
semble
,
il
ne nous
le fait.
est bien profonde
puisqu'elle est plus profonde
que
la
bouM
de Dieu. Avez-vous remarqué les yeux de cet homme, tandis qu'il
nous
parlait?
— Non. — Mais l'avez-voas examiné profondément parfois? — Sans doute. est bizarre, mais voilà Une tout.
Il
chose qui m'a frappée seulement, c'est que de tout ce repas exquis qu'il nous a donné,
que d'aucun
plat
il
n'^
il
n'a rien touché, c'est
vnnhi nrcndre sa part.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Oui, ouil j'avais
dit Villefort, j'ai
su ce que je
155
remarqué cela ajssi.
Si
maintenant, moi non plus je
sais
n'eusse touché à rien; j'aurais cru qu'il voulait nous
empoisonner.
— Et vous vous seriez trompé, vous voyez bien. — Oui, sans doute mais, croyez-moi, cet homme le
;
roilà
quii
pourquoi j'ai
pourquoi
projets. Voilà
à'autres
j'ai
demandé à vous
a
voulu vous voir,
j'ai
parler, voilà pour-
voulu vous prémunir contpe tout
monde, mais
le
contre lui surtout. Dites-moi, continua Villefort en fixant
plus profondément encore qu'il ne l'avait ses
yeux sur
la
fait
jusque-là
baronne, vous n'avez parlé de notre
liai-
son à personne?
— Jamais, à personne. — Vous me comprenez fort,
quand
,
reprit affectueusement Ville-
je dis à personne,
pardonnez-moi cette
tance, à personne au monde, n'est-ce pas
— Oh
!
oui, oui, je
comprends
en rougissant jamais ;
I
je
vous
très-bien, dit la
passé dans la nw.ùnée? vous
journal
baronne
le jure.
— Vous n'avez point l'habitude d'écrire s'est
insis-
?
ne
le soir ce
qui
pas
de
faites
?
— NonI Hélas
1
ma
vie passe empoilée par la frivohté;
moi-même, je l'oublie. Vous ne rêvez pas haut, que vous sachiez? J'ai un sommeil d'enfant ne vous le rappelez-vous
— —
;
pas?
Le pourpre monta au visage de
la
baronne,
et la
pâleur
envahit celui de Villefort.
— C'est vrai, bas qu'on l'entendit a peine. — Eh bien? demanda baronne. — Eh bien je comprends ce me reste -à dit-il si
la
qu'il
I
reprit Villefort.
TOME
IV.
Avant huit jours
d'ici, je
faire,
saurai ce
8
que
LE COMTE DE MONTE-CRISlU.
134
que M. de Monte-Cristo, d'où il vient, où il va, et pour(juoi il parle devant nous des enfants qu'on déterre
c'est
dans àon jardin. Villefort
prononça ces mots avec un accent qui eût
comte
frissonner le
Puis
il
serra la
s'il
pu
eût
main que
la
fait
les entendre.
baronne répugnait à h
i
donner et la reconduisit avec respect jusqu'à la porte.
Madame Danglars au passage, de
un autre
reprit
duquel
l'autre côté
qui
fiacre,
la
ramenu
retrouva sa voi-
elle
qui, en l'attendant, dormait paisi-
lure et son cocher,
blement sur son siège.
XI CN BAL u'ÉTË.
même
Le sait la
jour, vers l'heure
procureur du la
dans
Au
la
le
la porte
du
n» 27 et s'arrê-
cour.
bout d'un instant
madaire
îa portière s'ouvrait, et
de Morcerf en descendait appuyée au bras de son
A
fai-
cabinet de M. le
une calèche de voyage, entrant dans
roi,
rue du Ilelder, franchissait
tait
où madame Danglars
séance que nous avons dite dans
peine Albert eut- il reconduit sa mère chez
commandant un bain
et ses
chevaux, après
mains de son valet de chambre Champs-Elysées, chez
Le comte
le
le
il
se
fit
s'être
que
mis
au.
conduire aux
comte de Monte-Cristo.
reçut avec son sourire habituel. C'était
une étrange chose
en avant dans
le
,
fils.
elle,
jamais on ne paraissait cœur ou dans Tesnrit de :
faire
cet
un pas
homme.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Ceux qui voulaient,
si
ro-n peut
135 pas-
dire cela, forcer le
sage de son intimité, trouvaient un mur. Morcerf, qui accourait à lui les bras ouverts, laissa, en le
voyant
et
De son
malgré son sourire amical, tomber ses bras,
au plus
et osa tout
lui tendre la
main.
comme
côté, Monte-Cristo la lui toucha,
mais sans
sait toujours,
fai-
il
la lui serrer.
— Eh bien me voilà, cher comte. — Soyez bienvenu. — Je suis arrivé depuis une heure. — De Dieppe? — Du Tréport. dit-il,
!
le
— Ah —
Et
c'est vrai.
!
ma
— C'est
première visite est pour vous.
charmant de votre part,
comme il eût — Eh bien
— Des étranger
dit toute !
—
vous demandez cela à moi
!
,
à
un
I
quand je demande quelles nouvelles, vous avez fait quelque chose pour moi? M'aviez-vous donc chargé de quelque commission'
demande
dit
Monte-Cristo
voyons, quelles nouvelles?
nouvelles
— Je m'entends je
dit
autre chose.
:
si
Monte-Cristo en jouant l'inquiétude.
— Allons, allons, rence.
On
qui traversent la
mon coup
dit Albert, ne simulez pas l'indifféy a des avertissements sympathiques distance eh bien au Tréport, j'ai reçu
dit qu'il
:
électrique
;
!
vous avez
,
sinon travaillé pour
moi, da moins pensé à moi.
— Cela
est possible
pensé à vous; mais
le
,
dit
Monte-Cristo.
J'ai
courant magnétique dont
en
effet
j'étais le
conducteur agissait, je l'avoue, indépendamment de volonté.
— Vraiment
!
Contez-Ca
cela. Je
vous
prie-
ma
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
136
— C'est — Je saii
facile,
M. D.inglars a diné chez moi.
bien, puisque c'est pour fuir sa préseuo*
le
que nous sommes
ma mère
partis,
et
moi.
— Mais a diné avec M. Andréa Cavalcanli. — Voire prmce italien? — N'exagérons pas. M. Andréa se donne seulement il
titre
le
de vicomte.
— Se donne, dites-vous? — Je dis se donne. — ne donc pas? :
l'est
11
— on
Ehl
le lui
le sais-je,
donne
;
moi
? Il
se le donne, je le lui
comme
n'est-ce pas
s'il
donne
l'avait?
— Homme étrange que vous Eh bien? — Eh bieni quoi? — M. Danglars a donc diné ici? — Oui. — Avec voire vicomte Andréa Cavalcanti? — Avec vicomte Andréa Cavalcanti, marquis son faites, allez!
le
le
père,
madame
Danglars, M.
madame de
cl
Villcfort,
gens charmants, M. Debray, Maximiiien Morrel, attendez donc
qui encore
des
et puis
ahl M. de Château-
Renaud.
— On a parlé de moi
— On n'en a pas — Tant — Pourquoi cela?
?
un mot.
dit
pis.
oublié,
on n'a
fait,
II
me
semble que
en agissant
ainsi,
si l'on vous a que ce que vous dé-
siriez?
— Mon cher comte,
si
l'on n'a point parlé
de moi, c'est
qu'on y pensait beaucoup, et alors je suis désespéré. "Jue vous importe, puisque mademoiselle Danglars
—
n'était point
au nombre de ceux qui y pensaient
U est vrai qu'elle pouvait y pen^^Hr chez
elle.
ici? Alàl
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Oh! quant
à cela, non, j'en suis sûr; ou
pensait, c'est certainement de la
pense à
—
137
même
si elle
y
façon que je
elle.
Touchante sympathie!
dit
le
comte. Alors vous
vous détestez?
—
Écoutez,
dit
Morcerf,
femsie à prendre en
était
souffre pas
pour
si
pitié
mademoiselle Danglars le
martyre que je
ne
à m'en récompenser en dehors
elle et
des conventions matrimoniales arrêtées entre nos deux familles, cela m'irait à merveille. Bref, je crois
que ma-
demoiselle Danglars serait une maîtresse charmante;
comme femme,
mais
— Ainsi,
diable...
Monte-Cristo en riant, voilà votre façon
dit
de penser sur votre future
— Oh
mon Dieu
!
!
oui
? ,
un peu
brutale
c'est vrai,
,
mais exacte du moins. Or, puisqu'on ne peut rêve une réalité
;
comme pour
arriver à
un
que mademoiselle Danglars devienne
faut
c'est-à-dire qu'elle vive avec moi, qu'elle
faire
de ce
certain but
il
ma femme,
pense près de
moi, qu'elle chante près de moi, qu'elle fasse des vers
musique à dix pas de moi,
ft
de
le
temps de
mon
la
et cela
pendant tout
ma vie, alors je m'épouvante. Une maîtresse,
cher comte, cela se quitte; mais une femme, peste
I
c'est autre chose, cela se garde éternellement, de près
ou de
loin c'est-à-dire. Or, c'est effrayant de garder tou-
jours mademoiselle Danglars, fût-ce
— Vous êtes — Oui car souvent
difficile,
,
môme
de
loin.
vicomte. je
pense à une chose impos-
sible. '
— A laquelle? — A trouver pour
moi une femme comme mon père
en a trouv*3 une pour Monte-Cristo
pâlit
lui.
et
regarda Albert en jouant ayeo
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
!38
des pistolets magnifiques dont
il
faisait
rapidement crier
les ressort.<=.
— Ainsi, votre père a été bien heureux? — Vous savez mon opinion sur ma mère, monsieur dit-il.
comte
:
un ange du
voyez-la encore belle, spiri-
flls,
que jamais. J'arrive du Tréehl mon Dieu accompagner
laclle toujours, meilleure
port
pour tout autre
;
mère
sa
moi,
j'ai
satisfait, si
serait
I
une complaisance ou une corvée
passé quatre jours en tôle à têle avec
mais
;
elle,
plus
plus reposé, plus poétique, vous le dirai-je, que
j'eusse
emmené au
Tréport la reine
Mab ou
— C'est une perfection désespérante, <*i
le
;
ciel
et
Titania.
vous donnez
tous ceux qui vous entendent de graves envies de res-
ter célibataires.
— Voilà justement, reprit Morcerf, pourquoi,
sachant
au monde une femme accomplie, je ne me soucie pas d'épouser mademoiselle Danglars. Avez-vous quelquefois remarqué comme notre égoïsme revêt de
qu'il existe
couleurs brillantes tout ce qui nous appartient ? Le dia-
mant qui chatoyait à la vitre de Marié ou de Fossin devient bien plus beau depuis qu'il est notre diamant; mais
si
l'évidence vous force à reconnaître qu'il en est
d'une eau plus pure, ter
et
que vous soyez condamné à por-
éternellement ce diamant inférieur à
prenez-vous
—
la
Mondain murmura
— Voilà
un
com-
autre,
souffrance ? le
I
pourquoi
comte.
je sauterai
de joie
ie
jour où
ma-
demoiselle Eugénie s'apercevra que je ne suis qu'un chctif atome, et
que
j'ai
à peine autant de cent mille
francs qu'elle a de millions.
Monte-Cristo sourit.
— J'avais bien pensé Franz airo"
les
à autre chose, continua Albert;
choses excentriques,
j'ai
voulu
'd
rendra
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. malgré
lui
iâ'J
amoureux de mademoiselle Danglars mais i ;
quatre lettres que je lui
ai écrites
dans le plus affriandant
des styles, Franz m'a imperturbablement répondu suis excentrique, c'est vrai
,
mon
mais
:
«Je
excentricité
ne
va pas jusqu'à reprendre ma parole quand je l'ai donnée.» Voilà ce que j'appelle le dévouement de TamitiéL donner à un autre la femme dont on ne voudrait soi-
—
même
qu'à
titre
de maîtresse.
Albert sourit.
— A propos,
continua-t-il,
il
arrive, ce cher
mais peu vous importe, vous ne l'aimez
Franz
;
pas, je crois ?
—
Moi! dit Monte-Cristo; eh! mon cher vicomte, où donc avez-vous vu que je n'aimais pas M. Franz? J'aime tout le
monde.
— Et je suis compris dans tout — Oh ne confondons pas ,
!
le
dit
monde... merci.
Monte-Cristo
:
j'aime
tout le monde à la manière dont Pieu nous ordonne d'aimer notre prochain, chrétiennement; mais je ne hais
ûien que de certaines personnes. Revenons à M. Franz d'Épinay.
Vous
dites
donc
— Oui, mandé par M.
qu'il
paraît,
de
qu'il arrive ?
de Villefort, aussi enragé, à ce
marier mademoiselle
Valentine que
M. Danglars est enragé de marier mademoiselle Eugénie. Décidément, il paraît que c'est un état des plus fatigants que celui de père de grandes
que cela leur donne
la fièvre,
et
filles;
il
me
semble
que leur pouls
bat
quatre- vingt- dix fois à la minute, jusqu'à ce qu'ils en soient débarrassés.
— Mais
M. d'Épinay ne vous ressemble pas,
prend son mal en patience. Mieux que cela, il le prend au sérieux
—
cravates blanches et paile déjà de sa famille.
pour
les Villefort
une grande considération.
;
11
il
lui;
il
met des
a au reste
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
140
— Méritée, n'est-ce pas? — Je crois. M. de Viliefort a toujours passé pof.r un le
homme ^évère, mais juste. — A la bonne heure, dit Monte-Cristo, en voilà un au moins que vous ne traitez pas comme ce pauvre M. Danglars.
— Cela
tient peut-être à ce
d'épouser sa
— En
ûlle,
vérité,
Vous ôtes d'une
que je ne suis pas forcé
répondit Albert en riant.
mon
cher Monsieur, dit Monte Cristo,
fatuité révoltante.
— Moi — Oui, vous. Prenez donc un cigare. — Bien volontiers. Et pourquoi suis-je fat? — Mais parce que vous êtes à vous défendre, à vous ?
là
débattre d'épouser mademoiselle
Dieu! laissez aller les choses,
vous qui
Danglars.
et ce n'est
Eh
f
mon
peut être pas
retirerez votre parole le premier.
— Bah! St Albert avec de grands yeux. — Ehl sans doute, monsieur le vicomte, mettra pas de force
le
cou dans
les
portes,
on ne vous que diable I
Voyons, sérieusement, reprit Monte-Cristo en changeant d'intonation, avez-vous envie de rompre?
— Je donnerais cent mille francs pour cela. — Eh bien soyez heureux M. Danglars est prêt à es !
donner
le
:
double pour atteindre au
— Est-ce bien
vrai, ce
môme
bonheur-là?
dit
but.
Albert, qui ce-
pendant en disant cela ne put empêcher qu'un imper nuage passât sur son front. Mais, mon cher comte, M. Danglars a donc des raisons ? cepiible
— Ah!
U
te
voilà bien, nature orgueilleuse et égoïs'e
bonne heure,
je retrouve
Tamour-iiropre d'autrui à coups de hache,
quand on troue
le
sien aver.
I
à
l'homme qui veut trouer
une
aitjuille.
et
qui
crie
— Non
!
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
t41
me semble que M.
Danglars..,
mais
— Devai* bien
I
c'est qu'il
M. Daiîglars est un
convenu,
et
de vous
être enchanté
homme
est encore plus
il
— De qui donc — Je ne sais pas, moi
n'est-ce pas
,
de mauvais goût,
?
Eh
(^'est
enchanté d'rn autre...
?
;
étudiez, regardez, saisissez les
allusions à leur passage, et faites-en votre profit.
— Bon, je comprends; ma mère, an
je
me
écoutez,
mon père
trompe,
ma
mère... non! pas
a eu l'idée de donner
bal.
— Un bai Cans ce moment-ci de l'année — Les bals d'été sont à mode. — n'y seraient pas, que comtesse n'aurait qu'à ?
la
la
Ils
vouloir, elle les y mettrait.
— Pas
mal; vous comprenez, ce sont des bals pur
sang; ceux qui restent à Paris dans
le
mois de
juillet
sont de vrais Parisiens. Voulez-vous vous charger d'une
pour
invitation
MM.
Cavalcanti?
— Dans combien de jours a lieu votre bal? — Samedi. — M. Cavalcanti père sera parti.
— Mais M.
Cavalcanti
fils
demeure. Voulez-vous vous
charger d'amener M. Cavalcanti
fils ?
— Écoutez, vicomte, je ne connais pas. — Vous ne connaissez pas — Non je vu pour première y a le
?
le
;
la
l'ai
fois
il
trois
ou
quatre jours, et je n'en réponds en rien.
— Mais vous le recevez bien, vous
— Moi,
c'est autre
un brave ahbe
qui peut
il
m'a
vitez-le directement, à merveille, df,
vous
le
présenter;
!
recommandé par lui-même avoir été trompé. In-
chose;
s'il
allait
été
mais ne
me
dites pas
plus tard épouser made-
moiselle Danglars, vous m'ao-îuseriez de
manège,
et
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
14?
vous voudriez vous couper ne sais pas
Vî
si j irai
la
gorge avec moi; d'ailleurs,
moi-même.
— vJÙ? — A votre bal. — Pourquoi n'y viendrez-vous point? — D'abord
parce que vous ne m'avez pas encore in-
rité.
— Je viens exprès pour vous
apporter votre invitation
moi-même.
— Oh!
c'est trop
charmant; mais je puis en
em-
être
pêché.
— Quand je vous aurai aimable pour nous —
dit
sacrifier
une chose, vous serez assez tous les empêchements.
Dites.
— Ma mère vous en prie. — Madame comtesse de la
Morcerf?
Monte-
reprit
Crisio en tressaillant.
—
Ah! comte, dit Albert, je vous préviens que madame de Morcerf cause librement avec moi et si vous n'avez pas senti craquer en vous ces fibres sympathiques dont je vous parlais tout à l'heure, c'est que ces fibros-lÎL vous manquent complètement car pendant ;
,
quatre jours nous n'avons parlé que de vous.
— De moi? En vérité vous me comblez — Écoutez, c'est privilège de votre emploi 1
le
on est -
— Ali!
iière? je
je suis
En
livrer à
quand
donc aussi un problème pour votre
vérité, je l'aurais crue trop raisonnable
pour
de pareils écarts d'imagination!
— Problème, pour
:
un problème vivant.
mon cher comte problème pour tous, ma mère comme pour les autres; problèuie accepté, ,
mai,> non deviné, vous demeurez toujours à l'état d'énigme rassurez-vous. Ma mère seulement demande lou;
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. jriurs
comment il
se
que vous soyez
fait
qu'au fond, tandis que
si
143
jeune. Je crois
comtesse G... vous prend pour
la
Ruthwen, ma mère vous prend pour Cagliostro on comte de Saint-Germain. La premièie fois que vous
lord lo
viendrez voir
madame
cette opinion. Cela
de Morcerf, confirmez-la dans
ne \ous sera pas
difficile,
vous avez
philosophale de l'un et l'esprit de l'autre-
la pi<îrre
— Je vous remercie de m'avoir prévenu, en souriant,
je tâcherai de
me
dit le
comte
mettre en mesure de faire
face à toutes les suppositions.
— Ainsi vous viendrez samedi — Puisque madame de Morcerf m'en — Vous êtes charmant. ?
— EtM. Danglars? — Oh a déjà reçu il
1
s'en est chargé.
prie.
la triple invitation
Nous lâcherons aussi
;
mon
père
d'avoir le grand
d'Aguessau, M. de Villefort; mais on en désespère.
— ne faut jamais désespérer de rien, proverbe. — Dansez-vous, cher comte? — Moi? — Oui, vous. Qu'y aurait-il d'étonnant à ce que vous dit le
Il
dansassiez
— Ah taine...
Et
?
effet, tant qu'on n'a pas franchi la quaranNon, je ne danse pas; mais j'aime à voir danser. 1
en
madame
de Morcerf, danse-t-elle
?
— Jamais, non plus; vous causerez, de causer avec vous
elle
a tant envie
!
— Vraiment — Parole d'honneur ?
le
premier
homme
1
et je
vous déclare que vous êtes
pour lequel
ma mère
ait
manifesté
cette curiosité.
Albert prit son chapeau et se leva duisit jusqu'à la porta.
;
le
comte
le rc-con*
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
U«
— Je me
fais
ua reproche,
dii-il,
en l'arrêtant
auhau
du perron.
—
Lequel?
— J'ai
été indiscret, je
ne devais pas voui parler
di
M. Dauglars.
— Au contraire,
parlez-m'en encore, panez-m'en sou-
vent, parlez-m'en toujours; mais de la
— Bien
I
vous
me
rassurez.
A
même
façon.
propos, quand arriv«
M. d'Épinay?
— Mais dans cinq ou six jours au plus — Et quand se marie-t-il — Aussitôt de M. de madame
tard.
?
l'arrivée
et
de Saint-
Méran.
— Amenez-le-moi donc quand vous prétendiez que
que
je serai
je
heureux de
il
sera a Paris. Quoique
ne l'aime pas, je vous déclare le voir.
— Bien, vos ordres seront exécutés, seigneur. — Au revoir — A samedi, en tous cas, bien sûr, n'est-ce pas? — Comment donc c'est parole donnée. I
I
Le comte suivit des yeux Albert en main. Puis, quand
il
fut
le saluant
de
remonté dans son phaéton,
retourna, et Irouvani liertuccio derrière lui
il
la
se
:
— Eh bien? demanda-t-il. — Elle est allée au Palais, répondit l'intendant— Elle y est restée longtemps ?
— Une heure demie. — Et est rentrée chez et
elle
— —
Eh bien mon cher monsieur Bertuccio, maintenant un conseil à vous donner, I
^i j'ai ^Toir
elle ?
Directement.
en Normandie
terre dont je
vous
si
ai
vous ne trouverez pas oarlé.
dit le coini«
c'est d'.illôi
cette p
,,te
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Bertucrio salua,
et,
145
comme
ses désirs étaieni en parfaite harmonie avec l'ordre qu'il avait reçu, U partit 19
même.
soir
XII LES INFORMATIONS
M. de
Villeforl tint parole à
madame
Danglars,
sur-
et
lui-même, en cherchant à savoir de quelle façon comte de Monte-Cristo avait pu apprendre l'his-
tout à
M.
le
toire
n
de la maison d'Auteuil. écrivit le
même jour à un
certain
M. de Boville, qui,
après avoir
'été autrefois
été attaclif
dans un grade supérieur, à
reté,
,
pour avoir
les
inspef'tpur des
prisons la police
,
avait
de sû-
renseignements
qu'il désirait, et cejours pour savoir au juste près de qu; l'on pourrait se renseigner. lui-
d demanda deux
Les deux jours expirés, M. de Villefort reçut suivante
la
note
:
La personne que
l'on appelle M, le comte de Monteconnue particulièrement de lord Wilmore, riche étranger, que l'on voit quelquefois à Paris et qui «
Cristo est
s'y trouve en ce moment; il est connu également de l'abbé Busoni, prêtre sicilien d'une grande réputation en Orient, où il a fait beaucoup àe bonnes œuvres. »
M. de Villefort répondit par un ordre de prendre sur ces deux étrangers les informations les plus promptes et les plus précises le lendemain soir, ses ordres étaient exécutés, et voici les renseignements qu'il recevait ;
:
L'abbé, qui n'était que pour un mois à Paris, babitaii, TOME fV. 9
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
44b
derrière Saint-Sulpice, seul '^tage
une
petite
maison composée d'un
au-dessus d'un rez-de-chaussée
ces, oeiix pujces en haut bm le logement, dont il
et
l'unique locataire.
était
se composaient d'une salle à
Les deux pièces d'en bas
manger avec table, chaises
quatre piè-
;
deux pièces en bas, formaient
et buffet
en noyer,
et
d'un sa-
tapis et lon boisé peint en blanc, sans ornements, sans pendule. On voyait que, pour lui-même, Tabbé se
sans
bornait Il
aux
objets de stricte nécessité.
que l'abbé
est vrai
du premier. Ce
habitait de préférence le salon
meublé de
salon, tout
livres
de théologie
voyait s'enseet de parchemins, au milieu desquels on le velir, disait son valet de chambre, pendant des mois entiers, était
en
réalité
moins un salon qu'une bibliothèque.
Ce valet regardait de guichet,
et
les visiteurs
au travers d'une
sorte
lorsque leur figure lui était inconnue ou
ne lui plaisait pas, il répondait que M. l'abbé n'était point à Paris, ce dont beaucoup se contentaient, sachant que l'abbé voyageait souvent et restait quelquefois fort long-
temps en voyage. au logis ou qu'il n'y fût pas, qu'il se ou au Caire, l'abbé donnait toujours, et le guichet servait de tour aux aumônes que le valet distribuait incessamment au nom de son maître.
Au
reste, qu'il fût
trouvât à Paris
L'autre chambre, située près de la bibliothèque, était une chambre à coucher. Un lit sans rideaux, quatre fauteuils et
un canapé de velours d'Utrecht jaune, formaient
avec un prie-Dieu tout son ameublement. Quant à lord Wibnore il demeurait rue Fontaine,
Saint-Georges. C'était
mangent toute
un de
leur fortune
ces Anglais touristes qui
en voyages.
Il
i'appartenient qu'il habitait, dans lequel
seulement de deux ou
trois
louait
il
en garni
venait passer
heures oar jour,
et
où
il
ne
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. couchait que rarement.
Une de
manies
ses
147
de ne
était
vouloir pas absolument parler la langue française, quil écrivait cependant, assurait-on, avec
une assez grande
pureté.
Le lendemain du jour où ces précieux renseignements parvenus à M. le procureur du roi un homme,
étaient
,
qui descendait de voiture au coin de la rue Pérou, vint frapper à une porte peinte en vert olive et
demanda l'abbë
Busoni.
— M. l'abbé est dès matin, répondit valet. — Je pourrais ne pas me contenter de cette réponse, sorti
dit le visiteur, car je
le
viens de
le
la part
d'une personne pour
laquelle on est toujours chez soi. Mais veuillez remettre
à l'abbé Busoni...
— Je vous déjà qu'il n'y pas, répéta valet. — Alors quand sera rentré, remettez-lui cette carie ai
dit
était
le
il
et ce papier cacheté.
— Oh
Ce
soir, à huit
heures, M. l'abbé
chez lui ?
sera-t-il
sans faute. Monsieur, à moins que M. l'abbé ne
I
travaille, et alors c'est
comme
s'il
était sorti.
— Je reviendrai donc ce soir à l'heure convenue, reprit le visiteur.
Et
En dans
il
se retira.
effet,
la
à l'heure indiquée
même voiture,
le
même hommo
au coin de la rue Pérou, s'arrêta devant Il frappa, on lui ouvrit, et il entra.
Aux vers
revint
qui cette fois, au lieu de s'arrêter la
porte verte.
signes de respect dont le valet fut prodigue ea-
lui,
il
comprit que sa
— M. l'abbé est chez lui
— Oui,
il
travaille
lettre avait fait l'effet désiré. ?
demanda-t-il.
dans sa bibliothèque mais ;
il
attend
MoLiieur, répondit le serviteur. L'étranger
monta un
escalier
assez rude,
et,
devant
LE COMTE DE MONTE-CRISfO.
<48
une
table dont la superflcie était inondée de la lumière
que concentrait un vaste de rappari«ment
était
que
abal-jou./, tandis
dans l'ombre,
il
reste
le
aperçut l'abbé, en
habit ecclésiastique, la tête couverte de ces coqueluchons
sous lesquels s'ensevelissait
crâne des savants en us
le
du moyen âge.
— C'est à .donsieur Busonique ler?
demanda
j'ah
l'honneur de par-
le visiteur.
— Oui, Monsieur, répondit l'abbé, et vous êtes
la per-
sonne que M. de 60 ville, ancien intendant des prisons, m'envoie de
la part
de M.
le préfet
de police?
— Justement, Monsieur. — Un des agents préposés à sûreté de Paris? — Oui, Monsieur, répondit l'étranger avec une espèce la
d'hésitation, et surtout
un peu de rougeur.
L'abbé rajusta les grandes lunettes qui
non-seulement rasseyant,
fit
les
couvraient
lui
yeux, mais encore les tempes,
et,
se
signe au visiteur de s'asseoir à son tour.
— Je vous écoute. Monsieur, dit l'abbé avec un accent italien
des plus prononcés.
— La
mission dont je
prit le visiteur
comme
si
me
elles avaient
peine à
de confiance pour celui qui
daquel on
suis chargé, Monsieur, re-
en pesant sur chacune de ses paroles sortir,
une mission
est
remplit et pour celui près
la
la remplit.
L'abbé s'inclina.
— Oui
,
J'abbé, est
reprit si
l'étranger,
connue de M.
savoir de vous,
comme
votre
le préfet
,
monsieur qu'il
veul
magistral, une chose qui inté-
resse cette sûreté publique au suis député.
probité
de police,
nom
de laquelle
Nous espérons donc, monsieur
n'y aura ni liens d'amitié ni considération
je
vous
l'abbé, qu'il
humaine qui
puisse vous engager à déguiser la vérité à la justice.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
—
Poun^u, Monsieur, que
U9
choses qu'il vous im-
les
aux scrupules de ma
porte de savoir ne touchent en rien
conscience. Je suis prêtre, Monsieur, et les secrets de la
confession, par exemple, doivent rester entre
la
justice de Dieu, et
non entre moi
moi
et la justice
et
hu-
maine.
— Oh!
soyez tranquille, monsieur l'abbé,
ger, dans tous les cas
dit l'étran-
nous mettrons votre conscience
à
couvert.
A
ces mots l'abbé, en pesant de son côté sur l'abat-
jour, leva ce
même
du
abat-jour
que, tout en éclairant en plein
le
côté opposé, de sorte
visage de l'étranger,
le
sien restait toujours dans l'ombre.
— Pardon, monsieur l'abbé, fet
la
dit
de pc lice, mais cette lumière
l'envoyé de M. le pré-
me
fatigue horriblement
vue. L'abbé baissa le carton vert.
— Maintenant, Monsieur, je vous écoute, — J'arrive au Vous connaissez M. fait.
parlez. le
comte de
Monte-Cristo?
— Vous voulez parler de M. Zaccone, je présume? — Zaccone Ne s'appelle-t-il donc pas Monte-Cristo? — Monte-Cristo est un nom de terre, ou plutôt un !...
nom
—
de rocher, et non pas un
Eh
nom
de famille.
bien, soit; ne discutons pas sur les mots,
puisque M. de Monte-Cristo
et
M. Zaccone
c'est le
homme...
— —
Absolument
le
même.
Parlons de M. Zaccone.
—
Soit.
—
Je vous demandais
— Beaucoup. — Qu'esl-il?
si
vous
le
connaissiez
el
même
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
150
— C'est — Oui, je
d'un riche armateur de Malte.
le fils
vous
le
quand
monde
tout le
la police
comme
ne peut pas se contenter
dit.
— Cependant, fable,
bien, c'est ce qu'on dit; mais,
comprenez,
le
d'un on
le sais
reprit l'abbé
a'S'Bc
cet on dit est la vérité,
s'en contente
,
que
et
un il
sourire tout af-
faut bien
que tout
la police fasse
comme
monde.
— Mais vous êtes sûr de ce que vous dites? — Comment j'en suis sûr! — Remarquez, Monsieur, que jb ne suspecte en auI
si
cune façon votre bonne
foi.
Je
vous
dis
— Écoutez, connu M. Zaccone — Ah! ah! — Oui, et tout enfant joué dix
le
j'ai
j'ai
dans
les chantiers
:
Êtes-vous sûr?
père.
fois
avec sont
fils
de construction.
— Mais cependant ce
titre
de comte?
— Vous savez, cela s'achète. — En — Partout. — Mais ces richesses qui sont Italie ?
immenses à ce qu'on
dit toujours...
— Ohl le
quant à cela, répondit l'abbé, immense,
c'est
mot.
— Combien
croyez-vous
qu'il
possède, vous qui
le
connaissez.
—
Oh
!
il
a bien cent cinquante à deux cent mille
livres de rente.
— Ah
!
voilà qui est raisonnable, dit le visiteur, mais
on parle de
—
trois,
de quatre millions
!
Deuîv cent mille livres de rente, Monsieur, font
juste quatre millions de capital.
—Mais on
parlait de trois
ou auatre millions de ente ;
\
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
iBi
— Ohl cela n'est pas croyable. — Et vous connaissez son de Monte-(Msto? île
—
Certainement; tout
larme, de Naples ou de
homme qui est venu Rome en France, par
connaît, puisqu'il est passé à côté d'elle et
l'a
de Pa-
mer,
la
vue en
passant.
— C'est un séjour enchanteur, — C'est un rocher.
— Et pourquoi donc comte — Justement pour être comte. le
à ce que l'on assure.
a-t-il
acheté
un rocher?
Itahe,
pour être
En
comte, on a encore besoin d'un comté.
— Vous avez sans doute entendu parler des aventures de jeunesse de M. Zaccone.
— Le père? — Non, — Ahl voici
le fils.
voici
où
j'ai
où commencent m«s incertitudes, mon jeune camarade de vue.
car
perdu
— a guerre? — Je crois a servi. — Dans quelle arme? — Dans marine. Il
fait la
qu'il
la
— Voyons, vous n'êtes pas son confesseur? — Non, Monsieur; luthérien. je le crois
— Comment, luthérien? — Je dis que je crois; je n'affirme pas. D'ailleurs, Je croyais la liberté des cultes établie en France.
— Sans
doute, aussi n'est-ce point de ses croyances
que nous nous occupons en ce moment, c'est de ses actions au nom de M- le préfet de police, je vous somme de dire ce que vous en savez. Il passe pour un homme fort charititle. Notre saiaîpère le pape l'a fait chevalier du Ch/ist, faveur qu'il ;
—
n'accorde guère qu'aux irinces, pour les services émi-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
152
nents qu'il a rendus aux chrétiens d'Orient;
il
a cinq ou
grands cordons conquis par des services rendus ainsi
six
aux princes ou aux
—
Et
il
États.
les porte?
— Ncn, mais
en est
il
fier;
il
dit qu'il
aime mieux
les
récompenses accordées aux bienfaiteurs de l'humanité
que
celles accordées
aux destructeurs des hommes.
— C'est donc un quaker que cet homme-là? — Justement, grand chaun quaker, moins c'est
peau
et l'habit
le
marron, bien entendu.
— Lui connait-on des amis? — Oui, car a pour amis il
tous
ceux qui
le
con-
naissent.
— Mais enfin, — Un seul. — Comment
le
—
a bien quelque ennemi 1
il
nommez- vous?
Loid Wilraore.
—
Où
-—
A
est-il?
moment même,
Paris dans ce
— Et peut me donner des renseignements? — Précieux. dans l'Inde en même temps que il
était
11
Zaccone.
— Savez-vous où demeure? — Quelque part dans la Chaussée-d'Antin; il
gnore
rue
la
et le
— Vous êtes mal avec cet — J'aime Zaccone et lui
—
nous sommes en
à cause de cela.
Monsieur l'abbé, pen.sez-vous que
Monte-Cristo qu'il vient
—
j'i-
Anglais?
le déteste;
froid
mais
numéro.
/\li
I
soit
le
jamais vena en France avant
comte de le
voyage
de faire à Paris'/
pour cpla, je puis vous repondre pertinemment.
Non, Monsieur,
il
n'y
^M
iamais venu, ouisqu'il c'est
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. adressé à moi,
ments
11
y a six mois, pour avoir
renseigne-
De mon côté, comme j'ignorais a serais moi-même de retour à Paris, je
qu'il désirait.
quelle époque je
hC
les
133
adressé M. Cavalcanti.
*i
Andréa?
«
Non; Barlolcmeo,
'i^
—
le père.
Très-bien, Monsieur; je n'ai plus à tous demander
qu'une chose,
et je
vous somme, au nom de l'honneur
de l'humanité et de la religion, de
me
répondre sans dé-
tour.
— Dites,
—
Monsieur.
Savez-vous dans quel but M.
Cristo a acheté
le
comte de Mont»
une maison à Auteuil?
— Certainement,
car
il
me
l'a dit.
— Dans quel but. Monsieur ? — Dans celui d'en faire un hospice genre de celui fondé par
le
d'aliénés dans le
baron de Pisani, à Palerme.
Connaissez-vous cet hospice?
— De réputation, oui. Monsieur. — C'est une institution magnifique. Et là-dessus, l'abbé salua l'étranger en
homme
qui
désire faire comprendre qu'il ne serait pas fâché de se
remettre au travail interrompu.
Le
visiteur, soit qu'il comprît le désir de l'abbé, soit
qu'il fût
L'abbé
au bout de
le reconduisit
— Vous
faites
ses questions, se leva à son tour.
jusqu'à
la porte.
de riches aumônes,
dit le visiteur, et
quoiqu'on vous dise riche, j'oserai vous
offrir
quelque
chose pour vos pauvres; de votre côté, daignerez -vous accepter
mon
— Merci,
offrande?
Monsieur,
je sois jaloux
vienne de moi
il
au monde-
n'y a qu'une seule chose dont c'est
que
le bien
que
je fais
1B4
COMTE
LIT
Dî-
MONTE-CRISTO.
— Mais cependaul... — C'est une résolution invariable. Mais cherchez, Monvous trouverez
«ienr, et
l:omme
riche,
il
:
hélas sur le chemin de chaque I
y a Dien des misères à coudoyei
— L'ahbé salua une dernière
fois
en ouvrant
I
la porte,
l'itranger salua à son tour et sortit.
La voiture le conduisit droit chez M. de Villefort. Une heure après, la voiture sortit de nouveau,
e\
cette fois se dirigea vers la rue Fonlaine-Saint-Georges.
Au n"
que demeurait lord Wil-
5, elle s'arrêta. C'était là
innre.
L'étranger avait écrit à lord
mander un rendez-vous que heures. Aussi,
[lonctualité
Wilmore, qui
lord
n'étitit
était
l'exactitude et la
pas encore rentré, mais
pour sûr à dix heures sonnantes.
visiteur attendit dans le salon.
Le
de-
l'envoyé de M. le préfet de police moins dix minutes, lui fut-il ré-
en personne,
qu'il rentrerait
lui
comme
arriva à dix heures
pondu que
Wilmore pour
celui-ci avait fixé à dix
de remarquable
et était
comme
Ce salon
n'avait rien
tous les salons d'hôtel
garni.
Une cheminée avec deux vases de Sèvres modernes, une pendule avec un Amour tendant son arc, une glace en deux morceaux; de chaque côté de celte Homère
glace une gravure représentant, l'une
portant
son guide, l'autre Bélisaire demandant l'aumône; un pa pier gris sur gris,
noir 11
;
tel était le
ciaii
un meuble en drap rouge imprimé ae
salon de lord Wilmore.
éclairé par des globus du verre dépoli qui
ne
répandaient qu'une faible lumière, laquelle semblait mé-
nagée exprès pour
les
yeux fatigués de l'envoyé de M.
le
piéfet de police.
Au
bout de dix minutes d'attente,
la
pendule sonna
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dix heures
au cinquième coup,
;
Wiimore parut. Lord Wiimore
un homme
était
avec der favoris rares
et
veux Dlonds grisonnants.
roux, 11
était
plutôt grand que petit,
blanc
le teint
tait
en 181
1
nankin de
et à
un
;
trois
un
étoffe
che-
habit bleu à
comme on
,
les por-
un pantalon de mais que des sous
de casimir blanc
pouces trop court,
même
pieds de
haut collet piqué
gilet
et les
vêtu avec toute l'exceo-
tricité anglaise, c'est-à-dire qu'il portait
boutons d'or
155
la porte, s'ouvrit, et lord
et
empêchaienl de remonter jus-
qu'aux genoux»
Son premier mot en entrant fut Vous savez, Monsieur, que je ne parle pas français. Je sais, du moins, que vous n'aimez pas a parler :
—
—
notre langue
,
répondit l'envoyé de M. le préfet de po-
lice.
— Mais vous pouvez more?
car, si je
ne
— Et moi, reprit
la parler,
vous, reprit lord Wii-
la parle pas, je la
le visiteur
comprends.
en changeant d'idiome,
je
parle assez facilement l'anglais pour soutenir la conver-
sation dans cette langue.
Ne vous gênez donc
pas.
Mon
sieur.
— Hao
!
lord
fit
Wiimore avec
cette intonation qui
n'appartient qu'aux naturels les plus purs de la Grande-
Bretagne.
L'envoyé du préfet de police présenta à lord Wiimore sa lettre d'introduction. Celui-ci la lut avec tout anglican
;
un flegme
puis, lorsqu'il eut terminé sa lecture
— Je comprend*, ûii-U en anglais
;
je
comprends
:
Irè»-
bien.
Alors commencèrent les interrogations. Elles furent à
avaieHtété
peu près
adre:i^sées
les
mêmes que celles quJ comme lord
à l'abbé Busoni. Mais
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
156
Wilmore, en sa qualité d'ennemi du comte de Monte-
même
Crisio, n'y metlait pas la
furent
retenue que l'abbé, elles
beaucoup plus étendues;
il
raconta
la
jeunesse de
Monte-Cristo, qui, selon 'ui,
était,
à l'âge de dix ans,
au service d'un de ces
petits
souverains de l'Inde
entré
aux Anglais;
qui font la guerre
Wilmore, rencontré pour
c'est là qu'il l'avait, lui
première fois,
la
et
qu'ils
avaient combattu l'un contre l'autre. Dans cette guerre,
Zaccone avait été
prisonnier, avait été envoyé eu
fait
Angleterre, rais sur les pontons, d'où
commencé
nage. Alors avaient
s'était
il
enfui à
la
ses voyages, ses duels,
ses passions; alors était arrivée l'insurrection do Grèce, et
il
avait servi dans les rangs des Grecs. Tandis qu'il
était
à leur service,
dans
les
avait découvert
il
montagnes de
une mine d'argent
Thessalie, mais
la
il
s'était
bien
gardé de parler de cette découverte à personne. Après Navarin, et lorsque
le
gouvernement grec
demanda au roi Othon un celte mine ce privilège lui lune immense qui pouvait, il
;
à
un ou deux
pouvait
— est
Mais,
fut accordé.
à coup,
demanda
le
De
là celte for-
selon lord Wilmore, monter
millions de revenu
tarir tout
fut consolidé,
privilège d'exploitation pour
si la
,
fortune qui, néanmoins,
mine elle-même
visiteur,
tarissait.
savez-vous pourquoi
il
venu en France?
—
Il
veut spéculer sur
Wilmore
;
et pois,
comme
les il
cien non moins distingué,
télégraphe dont
il
— Icrd Il
fer,
dit lord
il
a découvert
un nouveau
poursuit l'application.
— Combien dèpense-t-il renvoyé de M.
chemins de
est chimiste habile et physi-
le préfet
à [leu près par
an? demanda
de police.
Ohl cinq ou six cent mille francs, tout au plus,
Wilmore; était
il
dit
est avare.
évident auc
la
haine faisait parler l'Anglais, et
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
157
que, ne sachant quelle chose reprocher au comte,
il
lui
reprochait son avarice.
— Savez-vous quelque chose de sa maison d'Auteuil? — certainement. — Eh bieni qu'en savez-vous? Oui-,
— Vous
demandez dans quel but
— Oui. — Eh bien
I
le
comte
y a à Auteuil, dans
les
achetée?
l'a
un spéculateur qui se
est
nera certainement en essais qu'il
il
et
en utopies
environs de
la
:
il
rui-
prétend
maison
qu'il
un courant d'eau minérale qui peut rivaliser avec les eaux de Bagnères, de Luchon et de Cauterets. Il veut faire de son acquisition un bad-haus, comme disent les Allemands. Il a déjà deux ou trois fois retourné tout son jardin pour retrouver le fameux cours d'eau et comme il n'a pas pu le découvrir, vous allez le voir, d'ici à peu de temps, acheter les maisons vient d'acquérir,
;
qui environnent la sienne. Or, j'espère
comme
que dans son chemin de
je lui en veux,
dans son télégraphe
fer,
ou dans son exploitation de bains,
électrique
il
va se
ruiner; je le suis pour jouir de sa déconfiture, qui ne
peut manquer d'arriver un jour ou l'autre.
—
Et pourquoi lui en voulez -vous?
demanda
le visi-
teur.
— Je
lui
en veux, répondit lord Wilmore, parce qu'en
passant en Angleterre
il
a séduit
la
femme d'un de mes
amis.
— Mais
si
vous
lui
en voulez, pourquoi ne cherchez-
vous pas à vous venger de lui?
— Je me suis déjà battu l'Anglais
çée
;
la
— Et
:
la
première
fois
trois fois
au
troisième à l'espadon. le résultat
avec
pistolet; la
de ces duels a été?.
le
comte,
seconde à
dit
l'é-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ins
— La première fois,
fois,
m'a traversé
il
L'Anglais rabattit
jusqu'aux
un
oreilles, et la date
geur indiquait
— De sorte que je
bras; la seconde
— Mais,
m'a
il
!
de chemise qui
fit
lui
montait
cicatrice dont la rou-
peu ancienne, en veux beaucoup, répéta l'An-
lui
ma
main.
l'envoyé de la préfecture, vous ne prenez
dit
chemin de
— Uâo
col
montra une
ne mourra, bien sur, que de
glais, et qu'il
le
le
el la troisième,
blessure.
fait cette
pas
m'a cassé
il
pouinou;
le
ce
le tuer,
me
semble.
l'Anglais, tous les jours je vais
au
et
tir,
tous les deux jours Grisier vient chez moi. C'était ce tait
tout ce
que voulait savoir que
le visiteur,
ou plutôt
c'é-
paraissait savoir l'Anglais. L'agent se
Wilmore, qui
leva donc, et, après avoir salué lord
répondit avec la roideur et la politesse anglaises
,
lui
se
il
retira.
De sou
Wilmore, après avoir entendu se
côté, lord
fermer sur lui
la
à coucher, où, en
re-
porte de la rue, rentra dans sa chambre
un
tour de main,
il
perdit ses
cheveux
blonds, ses favoris roux, sa fausse mâchoire et sa cicaet
de son côté, ce fut M. de Villefort,
et
les dents de perles 11
est vrai que,
les
noirs, le teint
du comte de Monte-Cristo.
non l'envoyé de M. M. de
cheveux
mat
pour retrouver
trice,
le préfet
de police, qui rentra chez
Villefort.
Le procureur du
roi était
un peu
double visite, qui, au reste, ne
tranquillisé par cette
lui avait rien appris
de
rassurant, mais qui ne lui avait rien appris non plus
d inquiétant. puis
le
11
en résulta que, poui
dîner d'xVuteuil,
quelque
tranquillité.
il
la
première
fois
de-
dormit la nuit .suivante avec
159
LE COMTE D2 MONTE-CRISTO.
XTFT LE BAL,
On en
était arrivé
aux plus chaudes journées de
juil-
dans l'ordre let, lorsque vint se présenter à son tour, bai de M, de le lieu avoir devait où samedi ce des temps, Morcerf. Il
était
dix heures du soir
din de l'hôtel
:
les grands arbres
du jar-
du comte se détachaient en vigueur sur un
découvrant une tenture d'azur parsemée d'étoiles d'or, les dernières vapeurs d'un orage qui
ciel
où
glissaient,
menaçant toute
avait grondé
la journée.
du rez-de-chaussée on entendait bruire
la
Dans les salles musique et tourbillonner
la valse
et le galop, tandis
tranque des bandes éclatantes de lumière passaient chantes à travers les ouvertures des persiennes. dizaine de jardin était livré en ce moment à une
Le
rassurée par serviteurs, à qui la maltresse de la maison, venait de plus en plus de , rassérénait se
le
temps qui
donner
l'ordre
de dresser
Jusque-là on
le
avait hésité
souper. si
a manger ou sous une longue la pelouse. Ce beau ciel bleu,
nait de décider le procès
l'on souperaii dans la salle
tente de coutil dressée sur tout
parsemé
en faveur de
d'étoiles, ve-
de
la tente et
la
pelouse.
On
illuminait les allées
de couleur,
comme
du jardin avec des lanternes
c'est l'hahUude en
Italie, et l'on
sur-
table du souper, chargeait de bougies et de fleurs la où l'on comprend pays les tous dans l'usage comme c'est
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
160
M luxe de la table,
on peu
quand on veut
le
plus rare de tous les luxes,
rencontrer complet.
Je
Au moment où
la
comtesse de Morcerf rentrait dans
ses salons, après avoir donné ses derniers orares, les salons commençaient à se remplir d'invités qu'attirait la
charmante hospitalité de sitiou distinguée
comtesse, bien plus que
la
du comte
la po-
car on était sûr d'avance qui
;
celte fête offrirait, grâce au bon goût de Mercedes, quelques détails dignes d'être racontés ou copiés au besoin. xMadame Danglars, à qui les événements que nous avons racontés avaient inspiré une profonde inquiétude, hésitait à aller chez madame de Morcerf, lorsque dans là matinée sa voiture avait croisé celle de Villefort.
Ville-
avait
fort lui
fait
un
signe, les
deux voitures
rapprochées, et à travers les portières
— Vous allez chez madame avait
—
demandé
le
s'étaient
:
de Morcerf, n'est-ce pas
procureur du
?
roi.
Non, avait répondu madame Danglars, je suis trop
souffrante.
— Vous avez
tort, reprit Villefort
avec un regard que l'on vous y vît. Ahl croyez-vous? demanda la baronne.
gniflcaiif ;
il
st
serait important
— — Je crois. — En ce cas, le
j'irai.
Et les deux voitures avaient repris leur course divergente. Madame Danglars était donc venue, non-seulement belle de sa propre beauté, mais encore éblouissante de luxe; elle entrait par une porte
au moment même où
Mercedes entrait par l'autre. La comtesse détacha Albert Danglars; Albert s'avança, lette,
les
au-devant de
madame
à la baronne, sur sa toicompliments mérités, et lui prit le bra^ fit
pour
la
conduire à
la place qu'il lui plairait
de choisir.
LE COMIE DE MONTE-CRISTO.
161
Albert regarda autour de lui.
— —
Vous cherchez
ma fille ?
Je l'avoue,
Albert
dit
de ne pas nous l'amener
— Rassurez-vous Villefort et a pris
,
dit
en souriant
auriez-vous eu
;
baronne.
la la
cruauté
?
rencontré mademoisehe de
elle a
son bras
;
tenez, les voici qui ncus sui-
vent toutes les deux en robes blanches, l'une avec un
bouquet de camélias,
l'autre
avec un bouquet de myo-
mais di-tes-moi donc?...
sotis;
—
Que cherchez-vous à
votre tour?
demanda Albert
en souriant.
—
Est-ce que
Monte-Cristo
vou3 n'aurez pas ce
soir le
comte de
?
— Dix-sept répondit Albert. — Que voulez-vous dire — Je veux dire que cela va bien, reprit I
?
que vous
riant, et
même question; mon compliment...
fait la
fais
le
vicomte en
êtes la dix-septième personne qui
— Et répondez- vous — Ahl c'est vrai, je
il
va bien
à tout
le
ne vous
le comte!... je lui
me en
monde comme à moi? ai
pas répondu; rassu-
rez-vous. Madame, nous aurons l'homme à la mode,
nous sommes des
— Etiez-vous — Non.
—Ey — Ah
I
privilégiés.
hier à l'Opéra ?
était, lui.
vraiment Et l'excentric-man 1
a-t-il fait
quelque
nouvelle originalité?
— le
Peut-il se montrer sans cela? Elssler dansait dans
Diable boiteux; la princesse grecque était dans le ra-
vissement. Après
la
cachucha,
il
a passé une bague
gnifique dans la queue du bouquet, et
mante danseuse, qui au troisième
l'a
ma-
jeté à la chai-
acte a reparu, pour
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
162 lui faire
honneur, avec sa bague au doigt. Et sa princesss
grecque, l'aurez-vous?
— dans
Non la
il
faut
que vous vous en priviez; sa position
maison du comte n'est pas assez
— Tenez,
laissez-moi
baronne
Villefort, dit la
ici
fixée.
et allez saluer
je vois qu'elle
:
madame
de
meurt d'envi©
de vous parler. Albert salua madame Danglars et s'avança vers deVillefort, qui ouvrit la
— Je parie,
Albert en l'interrompant , que je sais
dit
ce que vous allez
madame
bouche à mesure qu'il approchait.
me
dire
?
— Ah par exemple madame de — Si je devine jusle, me l'avouerez-vous — Oui. — D'honneur — D'honneur! — Vous me demander comte !
!
Villefort.
dit
?
?
alliez
si
Cristo était arrivé
— Pas
du
ou
tout.
en ce moment.
allait
Ce
n'est pas de lui
J'allais
de Monte»
le
venir?
que
vous demander
si
je
m'occupe
vous aviez
reçu des nouvelles de M. Franz?
— Oui, hier. — Que vous disait-il? — Qu'il partait en même
— Bien.
temps que sa
Maintenant, le comte
lettre.
?
— Le comte viendra, soyez tranquille. — Vous savez a un autre nom que Monte-Cristo? — Non, je ne savais pas. — Monte-Cristo est un nom a un nom de qu'il
d'ile,
et
il
mille.
—
Je ne
l'ai
— Kh bien! pelle Zaccone.
jamais entenou prononcer. je suis plus
avancée que vous;
ii
s'ap-
*i»
LE COMTE DE MONTE-CIUSTO. -*- C'est possible.
— est Maltais. — C'esi possible encore. Il
— Fils d'un armateur. —
Oh! mais, en
»e«-là tont haut,
— Ha servi
vérité,
vous
vous auriez
de-\Tiez raconler ces cho-
plus grand succès.
le
dans l'Inde, exploite une mine d'argent à Paris pour faire
en- Thessalie, et vient
ment d'eaux minérales à Auteuil. Eh bien à la bonne heure,
—
dit
I
nouvelles
!
Me permettez-vous
— Oui, mais petit à
un
Morcerf, voilà des
de les répéter?
une à une, sans
petit,
établisse-
dire qu'elles
viennent de moi.
— Pourquoi cela? — Parce que c'est presque un secret surpris.
— A qui — A police. ?
la
—
Alors ces nouvelles se débitaient...
— Hier soir chez comprenez bien, à
le préfe
la
.
Paris s'est
vue de ce luxe
ému, vous
inusité, et la
le
poUce
a pris des informations.
— Bien
!
il
ne manquait plus que d'arrêter
le
comte
comme vagabond, sous prétexte qu'il est trop riche. — Ma foi, c'est ce qui aurait bien pu lui arriver si renseignements n'avaient pas été
—Pauvre
comte,
et se doute-t-il
— Je ne crois pas. — Alors, charité quu de ce
vifs,
manquerai
l'en avertir.
pas.
noirs, à la
respectueusement main.
A
moment un beau jeune homme aux yeux
aux cheveux la
du péril qu'il a couru arri-
*3 n'y
En
le
favorables.
son
c'est
vée
si
moustache
madame
luisante, vint saluer
de Villefort. Albert
lui tendit
LE COMTH DE MONTE-CRISTO.
164
— l\ladame, ter
dit Albert, j'ai
l'honneur de vous prcîsen-
M. Maximilien Morrel, capitaine aux spahis, l'un de
nos bons
—
et surtout
J'ai
eu
déjà
de nos braves le plaisir
Auteuil, chez M. le comte de
madame de
officiers.
de rencontrer Monsieur à Monte-Cristo, réponiiit
en se détournant avec une froideur
Villefort
marquée. Cette réponse, et surtout le ton dont elle était faite,
cœur du pauvre Morrel mais une compenménagée; en se retournant, il vit à l'encoignure de la porte une belle et blanche figure dont les yeux bleus dilatés et sans expression apparente s'attaserrèrent le
;
sation lui était
mon-
chaient sur lui, tandis que le bouquet de myosotis tait
lentement à ses lèvres.
Ce salut
fut si bien
compris que Morrel, avec
la
même
expression de regard, approcha à son tour son mouchoir
de sa bouche
;
et les
deux
statues vivantes, dont
rapidement sous
battait si
le
cœur
le
marbre apparent de leur
visage, séparées l'une de l'autre par toute la largeur de s'oublièrent
la salle,
blièrent tout le
Elles eussent
un
instant,
monde dans pu
ou plutôt un instant ou-
cette
mueile contemplation.
rester plus longtemps ainsi perdues
l'une dans l'autre, sans
oubli de toutes choses
:
que personne remarquât le
leur
comte de Monte-Cristo venait
d'entrer.
Nous soit
l'avons déjà
dit,
le
comte, soit prestige
prestige naturel, attirait l'attention partout
factic*»,
où
il
se
présentait; ce n'était pas son habit noir, irréprochable il
est vrai
dans sa coupe, mais simple et sans décorations;
ce nétait pas son gilet blanc sans aucune broderie; ce A'était oas la
son pantalon emboîtant un pied de
la
forme
plus délicate, qui attiraient l'attention; c'étaient son
teint
mat, ses cheveux noirs ondes,
c'était
son visage
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. calme
et
16S
pur, c'était son œil profond et mélancolique,
c'était enfin
bouche dessinée avec une
sa
veilleuse, et qui prenait
finesse
mer-
facilement l'expression d'un
si
haut ûédain, qui faisaient que tous les yeux se fixaient sur
lui.
Il
pouvait y avoir des
hommes
en avait certes pas de plus cette expression
chose
et
et
il
n'y
qu'on nous passe
tout dans le comte voulait dire quelque
valeur; car l'habitude de la pensée
et avait sa
donné à ses
traits, à l'expression de son viau plus insignifiant de ses gestes une souplesse
utile avait
sage
:
plus beaux, mais
significatifs,
une fermeté incomparables. Et puis notre
monde
n'eût peut-être point
parisien est
fait
si
étrange, qu'il
attention à tout cela,
s'il
n'y
eût eu sous tout cela une mystérieuse histoire dorée par
une immense fortune. Quoi
en
qu'il
soit
,
il
s'avança , sous le poids des re-
gards et à travers l'échange des petits saluts, jusqu'à
madame
de Morcerf, qui, debout devant la cheminée
garnie de fleurs, l'avait
vu
apparaître dans
une glace
olacée en face la porte, et s'était préparée pour le recevoir. Elle se retourna
posé, au
donc vers
moment même où
Sans doute
elle crut
que
lui
le
avec
u-n sourire
s'inclinait
il
tant
une
;
com-
elle.
comte allait lui parler; sans
doute, de son côté, le comte crut qu'elle ser la parole
devant
mais des deux côtés
ils
allait lui
adres-
restèrent muets,
banalité leur semblait sans doute indigne de
tous deux;
et,
après un échange de saluts, Monte-Cristo
se dirigea vers Albert,
venait à lui la main ou-
qui
verte.
— Vous avez vu ma mère demanda Albert. — Je viens d'avoir l'honneur delà saluer, ?
dit le
mais
je n'ai point ajnftrcu votre oère.
comte,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
166
— Tenez
!
il
cause polilique là-bas dans ce
petit
groope
de grandes célébrités.
— En
vérité, dit Monte-Cristo, ces messieurs
vois là-bas sont des célébrités
douté! Et de quel genre?
commp \ous
espèce,
— il
Il
je
y a des célébrités de toute
Il
y a d'aboid un savant, ce grand monsieur sec
lézard qui a
revenu
à
l'Institut
au grand monsieur
coup de bruit dans sec n'était
Rome une
une vertèbre de plus que
faire part
le
sec.
les autres, et
:
mais enfin force
La vertèbre avait
monde savant
que chevalier de
la
;
espèce de il
de cette découverte. La
chose a été longtemps contestée restée
que
serais pas
savez.
a découvert dans la campagne de
est
ne m'en
je
?
le
;
fait
-est
beau-
grand monsieur
Légion d'honneur, on
l'a
nommé o£Qcier. — A la bonne heure dit Monte-Cristo, voilà une croix qui me parait sagement donnée; alors, s'il trouve uno 1
seconde vertèbre, on
commandeur?
le fera
— C'est probable, Morcerf. — Et cet autre qui a eu singulière idée de s'affubler dit
la
d'un habit bleu brodé de vert, quel peut-il être?
—
Ce
n'est pas lui qui a
habit; c'est la République,
eu
l'idée
de s'affubler de cet
laquelle,
comme vous
le
un peu artiste, et qui, voulant donner un uniforme aux académiciens, a prié David de leur dessiner un habit.
savez, était
—
Ah
I
vraiment,
Monte-Cristo
dit
;
ainsi ce
nonsieur
est académicien ?
— Depuis huit jours
il
fait partie
de la docte asseai
Uée.
— Et quel est son mérite, sa spécialité? — Sa dans
spécialité? Je crois qu'il enfonce des épingles
la tête
des lapins
,
qu'il fait
manger de
la (garance
LE COMTE xm MONTE-CRISTO. aux poules,
et qu'il
167
repousse avec des baleines
la moille
épinière des chiens.
— £t est de Académie des sciences pour cela? — Non oas, de l'Académie française. — Mais qu'a donc à l'Académie française dedans? il
1:'
là
faire
— Je vais vous — Que des expériences ont dire,
Ja science,
parait... fait faire
doit
en
qu'il écrit dit
,
la tête,
des poules dont
des chiens dont
repousse
il
Albert se mit à
bon
fort
Monte-Cristo
l'amour-propre des lapins à qui
dans
un grand pas à
sans doute ?
— Non, mais
— Cela
il
style.
flatter
énormément
enfonce des épingles
teint les os
il
la
il
,
en rouge,
et
moelle épinière.
rire.
— Et cet autre demanda comte. — Cet autre? — Oui, troisième. — Ah bleu barbeau — Oui. — C'est un collègue du comte, qui vient de s'opposer le
?
le
l'habit
I
le
?
plus chaudement à ce que la chambre des pairs
uniforme pos-là
;
il
;
il
était
mal avec
les gazettes libérales,
noble opposition aux désirs de
moder avec
elles
;
on parle de
— Et quels sont ses —
Il
a
ou cinq
fait
ait
un
a eu un grand succès de tribune à ce pro-
litres
deu7. ou trois
actions
au Siècle,
la le
cour vient de
mais sa raccom-
nommer ambassadeur.
à la pairie?
opér«-comiques,
et
le
pris quatre
voté cinq ou six ans pour
le
ministère.
—Bravo! vicomte, dit Monte-Cristo en riant, vous êtes un charmant cicérone maintenant vous me rendrez un ;
service, n'est-ce pas?
— Lequel?
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
168
— Vous ne me présenterez pas à ces messieurs,
et s'ils
demandent à m'être présentés, vous me préviendrez. F.n ce moment le comte sentit qu'on lui posait la main sur
le
—
bras;
Ah!
il
c'est
se retourna, c'était Danglars.
vous, baron!
dit-il.
—Pourquoi m'appelcz-vous baron?
dit
savez bien que je ne tiens pas à mon.
eomme
Danglars; vous
Ce
titre.
n'est pas
vous, vicomte; vous y tenez, n'est-ce pas^ vous?
— Certainement, répondit Albert, attendu que tais
si
je n'é-
pas vicomte, je ne serais plus rien, tandis que vous
vous pouvez
sacrifler votre titre
de baron, vous resterez
encore millionnaire.
— de
Ce qui
me
parait le plus
—
beau
titre
sous
la
Malheureusement
millionnaire à vie
,
dit
comme on
Monte-Cristo, ou n'est pas est baron, pair
de France ou
académicien; témoin les millionnaires Franck
mann, de Francfort, qui viennent de
— Vraiment? — Ma j'en
dit
ai
foi,
rier; j'avais
—
faire
et
Poul-
banqueroute.
Danglars en pâlissant. reçu
la
nouvelle ce soir par
quelque chose
mais, averti à temps, j'en voici
royauté
Danglars.
Juillet, reprit
comme un ai
exigé
un mois à peu près. Ah! mo« Dieu! reprit Danglars,
un cour-
million chez eux;
le
remboursement
ils
ont
tiré
sur moi
pour deux cent mille francs.
— Eh
bien,
vous voilà prévenu; leur signature vaut
cinq pour ceat.
— Oui, mais je
suis
prévenu trop
tard, dit
Danglars
honneur à leur signature. Bon! dit Monte-Cristo, voilà deux cent mille francs
j'ai fait
—
qui soni allés rejoindre...
—
Chut!
dit
Danglars; ne parlez donc pas de ces
cnoses-la... Puis, s'apiirochanl de Monte-Cristo... surtout
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. devant M. Cavalcanti
ajouta
fils,
le
1G9
banquier, qui
,
en
prononçant ces mots, se tourna en souriant du côté du
jeune homme. Moijerf avait quitté
mère. Danglars
comte pour
le
aller parler à sa
peur saluer Cavalcanti
quitta
le
fils.
Monte-Cristo se trouva un instant seul.
Cependant
chaleur commençait à devenir exces-
la
sive.
Les valets circulaient dans les salons avec des pla-
teaux chargés de
fruits et
de glaces.
Monte-Cristo essuya avec son mouchoir son visage mouillé de sueur
passa devant
mais
;
ne
lui, et
il
se recula
prit rien
Madame de Morcerf ne
quand
pour se
perdait pas
du regard Monte-
Cristo. Elle vit passer le plateau sans qu'il elle saisit
môme
mouvement
le
plateau
le
rafraîchir.
par lequel
il
y touchât
;
s'en éloigna.
— Albert, avez-vous remarqué une chose. — Laquelle, ma mère? — C'est que comte n'a jamais voulu accepter de dit-elle,
le
diner chez M. de Morcerf.
—
Oui, mais
puisque le
c'est
a accepté de déjeuner chez
il
par ce déjeuner qu'il a
fait
moi,
son entrée dans
monde.
— Chez vous n'est pas chez -îédès, et,
depuis qu'il est
ici,
le
— Eh bien? — Eh bien n'a encore rien — Le comle est très-sobre. 1
comte,
murmura Mer
je l'exaiaine.
il
pris.
Mercedes sourit tristement.
— Rapprocbez-vous
de
lui
,
dit-elle, et
,
au premier
plateau qui passera, insistez.
— Pourquoi — Faites-moi ce
cela,
TOME
IV*
ma mère?
plaisir, Albert, dit
Mercedes. 19
La COMTE DE MONTE-CRISTO.
170
Albert baisa la main de sa mère, et alla se placer près
da comte.
Un
autre plateau passa chargé
elle vit
comme
les précédents,
Albert insister près du comte, prendre
glace et la lui présenter, mais Albert revint près de sa
môme
unf
refusa obstinément.
il
mère
;
la
comtesse
était très-
oâle.
— Eh cien, a refusé. vous voyez, — Oui mais en quoi cela peut-il vous préoccuper? dit-elle,
il
;
— Vous J'aurais
femmes
savez, Albert, les
le
vu avec
plaisir le
sont singulières.
comte prendre quelque chose
chez moi, ne fût-ce qu'un grain de grenade. Peut-être au
coutumes françaises,
reste ne s'accommode-t-il pas des
peut-être
a-t-il
des préférences pour quelque chose.
— Mon Dieu, non
!
vu en
je lai
Italie
prendre de tout;
sans doute qu'il est mal disposé ce soir.
— Puis,
dit la
comtesse, ayant toujours habité des
mats brûlants, peut-être
cli-
moins sensible qu'un autre
est-il
a la chaleur?
— Je
ne crois pas, car
il
se plaignait d'étouffer, et
demandai pourquoi, puisqu'on a déjà ouvert
il
les fenêtres,
on n'a pas aussi ouvert les jalousies.
— En surer
si
effet,
Et elle sortit
Un
dit
Mercedes,
cette abstinence est
du
c'est
un
un moyen de m'as-
parti pris.
salon.
instant après, les persiennes s'ouvrirent, et l'on put,
à travers les jasmins et les clématites qui garnissaient les fenêtres, voir tout le jardin ei le
souper servi sous
Danseurs rent
un
cri
et
danseuses, joueurs et causeurs, poussè-
de joie
avec délices
illuminé avec les lanternes
la tente.
l'air
:
tous ces
poumons
qui entrait à
altérés aspiraient
flots.
\u même momaût. Mercedes
reparut, plus pâle qu'ell*
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. n'était sortie,
mais avec
remarquable
cliez elle
alla droit
—
comte,
pas ces Messieurs
aimeront autant,
dit-elle, ils
/espirer
dans certaines circonstances. Elle
au groupe dont son mari formait
N'enchaînez
au jardin qu'étouffer
— Ah! Madame, avait chanté
:
dit
171
cette fermeté de visage qui était
If
s'ils
centre
;
monsiei^r
ici,
le
ne jouent pas»
ici.
un vieux général
qui
fort galant,
Partons pour la Syrie! en 1809, nous n'irons
pas seuls au jardin.
—
Soit, dit
Mercedes, je vais donc donner l'exemple.
El se retournant vers Monte-Cristo
— Monsieur
le
comte,
:
dit-elle, faites-moi
l'honneur de
m'offrir votre bras.
Le comte chancela presque à ces simples paroles; puis il
regarda
un moment Mercedes. Ce moment eut
dité de l'éclair, et
durait
un
cependant
il
la rapi-
parut à la comtesse qu'il
siècle, tant Monte-Cristo avait
mis de pensées
dans ce seul regard. Il offrit
son bras à
pour mieux
la
comtesse
deux descendirent un des rhododendrons Derrière eux, le jardin,
;
elle s'y
dire, elle l'effleura de sa petite
et et
escaliers
s'appuya, ou,
main,
tous
et
du perron bordé de
de camélias. par l'autre
l'escalier, s'élancèrent
avec de bruyantes exclamations do
vingtaine de promeneurs.
dans
plaisir,
un»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
172
XIV LE PAIN ET LE SEL.
Madame
de Morcerf entra sous
avec son compagnon
:
une
leuls qui conduisait à
—
11
comte?
le
— Oui,
une
allée de
til-
le salon, n'est-ce
pas,
dit-elle.
Madame;
et votre
portes elles persiennes est
En achevant
voûte de feuillage
serre.
chaud dans
trop
faisait
monsieur
la
cette voûte était
ces mots, le
idée do
faire
ouvrir les
une excellente idée. comte s'aperçut que
la
main
de Mercedes tremhlait.
— Mais vous, avec cette robe légère servatifs autour
du cou que
aurez peut-être froid?
— Savez-vous où je répondre à
—
la
vous
dit-il.
vous mène?
dit la
comtesse, sans
question de Monte-Cristo.
Non, Madame, répondit celui-ci; mais, vous
voyez, je ne
—
sans autres pré-
et
cette écharpe de gaze,
A
la serre,
le
pas de résistance.
fais
que vous voyez
au bout de
là,
l'allée
que nous suivons. Le comte regarda Mercedes mais
elle
comme
pour l'interroger
continua son chemin sans rien dire,
et
;
de son
fôté Monte-Cristo resta muet.
On
arriva dans le bâtiment, tout garni de fruits magni-
fiques qui, dès le li,ur
commencement de
juillet, atteignaient
maturité sous cette température toujours calculée
pour remplacer chei nous.
la
chaleur du soleil,
si
souvent absente
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. la comtesse cueillir à
quitta le bras de Monte-Cristo,
ud cep une grappe de
— Tenez, monsieur que
^_ îiiste
173
l'on eût
comte, dit-elle avec un sourire
le
pu
et alla
raisin muscat.
voir poindre les larmes
au bord
de ses yeux; tenez, nos raisins de France ne sont point com.parables, je le sais, à vos raisins de Sicile et de Chypre, mais vous serez indulgent pour notre pauvre s
)leil
du Nord. Le comte
s'inc^!na, et
— Vous me refusez
fit
?
un pas en
dit
arrière.
Mercedes d'une voir
t.
em-
blante.
—
Madame, répondit Monte-Cristo, je vous prie bien humblement de m'excuser, mais je ne mange jamais de muscat.
Mercedes laissa tomber
la
grappe en soupirant. Une
pêche magnifique pendait à un espalier voisin, chauffé,
comme le serre.
cep de vigne, par cette chaleur
Mercedes s'approcha du
— Prenez cette pêche, alors, Mais
—
le
comte
fit
Oh! encore!
le
même
artificielle
la
dit-elle.
geste de refus,
avec un accent
dit-elle
de
fruit velouté, et le cueillit.
douloureux
si
qu'on sentait que cet accent étouffait un sanglot; en vérité j'ai
Un la
du malheur.
long silence suivit cette scène
grappe de raisin, avait roulé sur
— Monsieur
le
;
la
chante coutume arabe qui qui ont partagé le pain et
fait
le sel
et
sous
du
pain.
y a une tou-
le
même le
non en Arabie,
n'y a pas plus d'amitiés éternelles
sel et
il
amis éternellement ceul
Je la connais, Madame, répondit
nous sommes ec France, il
comme
comte, reprit enfin Mercedes en regar
dant Monte-Crislo d'un œil suppliant,
—
pêche,
le sable.
toit.
comte; mais et
en France
que de partage du
LE COMTE DE MONTE CRÎSTO.
174
— Mais
enfin, dit la
attachés snr les
comtesse palpitante
yeux de Monte-Cristo, dont
presque convulsivement
le
et l«s
bras avec ses deux mains,
nous sommes amis, n'est-ce pas? Le sang afllua au cœur du comte, qui devint pâle /a
mort, puis, remontant du cœur à
secondes,
quelques
la
yeux nagèrent dans
ses joues, et ses
yeux
elle ressaisit
comme ceux
gorge, le
vague pendant
homme
d'un
comme envahit
il
frappé
d'éblouissement.
— Certainement que nous Ce ton
sommes amis, Madame,
pourquoi ne
pliqua-t-il; d'ailleurs,
de celui que désirait
était si loin
madame
Morcerf, qu'elle se retourna pour laisser échapper
soupir qui ressemblait à
— Merci,
ré-
serions-nous pas?
le
de
ub
un gémissement.
dit-elle.
Et elle se remit à marcher.
Ils
une seule tout à coup
jardin sans prononcer
— Monsieur, reprit
firent ainsi le tour
du
parole. la
minutes de promenade silencieuse,
comtesse après dix
que vous
vrai
est-il
ayez tant vu, tant voyagé, tant souffert?
—
beaucoup
J'ai
souffert, oui,
Madame,
répondis
Monte-Cristo.
— Mais
vous êtes heureux maintenant? ,
— Sans m'entend
doute
me
,
répondit le
comte
— Et votre bonheur présent vous
— Mon bonheur îe
,
car personne ne
fait
l'âme plus douce?
plaindre.
présent égale
ma
misère passée,
dit
comte.
— N'ôtes-vous point maiié? demanda — Moi, marié, répondit Monte-Cristo rni a
—
pu vous
la
comtesso.
en
tressaillant,
dire cela?
On ne me
l'a
pas
dit,
mais plusieurs
vu conduire à l'Opéra une jeune
et belle
fois
on vous »
per.dnne.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— C'est une esclave çue Madame, une
fille
j'ai
175
achetée à Constanlinople,
de prince dont
j'ai fait
ma £11 e, n'ayant
pas d'autre affeelion au monde.
— Vous vivez seul ainsi
?
— Je vis seul.
— Vous n'avez pas de sœur... de — Je n'ai personne. — Comment pouvez-vous vivre ainsi,
fils...
cous attache à
de père?...
sans rien qui
la vie ?
—
Ce n'est pas ma faute, Madame. A Malte, j'a: aimé une jeune fille et j'allais l'épouser, quand la guerre est venue et m'a enlevé loin d'elle comme un tourbillon. J'avais cru qu'elle m'aimait assez pour m'attendre, pour
demeurer revenu,
même
fidèle
elle était
mon
tombeau. Quand
je suis
mariée. C'est l'histoire de tout
homme
à
qui a passé par l'âge de vingt ans. J'avais peut-être
cœur plus
faible
n'eussent
fait
à
La comtesse
que
ma
le
les autres, et j'ai souffert plus qu'ils
place, voilà tout.
s'arrêta
un n:-^ment, comme
si elle
eût eu
besoin de cette halte pour respirer.
—
Oui, dit-elle, et cet
On n'aime bien qu'une cette temme ?
amour vous
fois...
est resté
au cœur...
Et avez-vous jamais revu
— Jamais. — Jamais — Je ne suis point retourné dans — A Malte? — Oui, à Malte. !
— Elle à Malte, alors? — Je pense. — Et lui avez-vous pardonné
le
pays où
elle était
est
le
souffrir ?
—A
elle, oui.
ce qu'elle vou& a
fait
4
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
76
— Mais à
elle
seulement; vous haïssez toujours ceux
qui vous ont séparé d'elle ? La comtesse se plaça en face de Monte-Cristo; nait encore à la
main un fragment de
— Prenez, — Jamais je
la
elle te-
graope parfumée.
dit-elle
Monte-Cristo,
eux
ne mange de muscat, Madame, répondit
comme
question de rien entre
s'il
n'etit été
la
grappe dans
à ce sujet.
La comtesse lança
le
massif
plus
le
proche avec un geste de désespoir.
— Inflexible!
murmura-t-elle.
Monte-Cristo demeura aussi impassible que
proche ne
lui était
si le
re-
pas adressé.
AJbert accourait en ce moment.
— Oh
!
ma
— Quoi?
comme
-edressant
à
mère,
la réalité
arriver des
un grand malheur! demanda la comtesse en se après le rêve, elle eût été amenée
dit-il,
qu'est-il arrivé?
:
si,
un malheur, avez-vousdil? En
malheurs
effet,
doit
il
'.
— Monsieur de Vilh est — Eh bien — vient chercher sa femme sa — Et pourquoi cela? — Parce que madame marquise de Saint-Méran est fort
ici.
?
et
11
fille.
la
arrivée à Paris, apportant la nouvelle que M. de Saint-
Méran
est
Madame
mort en quittant
de Villefort
,
\
arseiile,
au premier
qui était fort gaie
,
relais.
ne voulait
m
-"omprendre, ni croire ce malheur; mais mademoiselle Valentine,
aux premiers mots,
qu'ail prises son père, a tout
sée
comme
— Et leforl?
et
quelques précaution
deviné
la foudre, et elle est
:
ce coup
l'a terraf
tombée évanuuie.
qu'est M. de Saint-Méran a mademoiselle de
demanda
le
comte.
.
Va
HT
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
—
Son grand père maternel. 11 venait pour mariage 4e Franz et de sa petite-fille.
— Ah
vraiment
!
— Voilà Franz
hâte,
le
I
retardé.
a'est-il pas aussi bien
un
Pourquoi M. de Saint-Mérac aïeul de mademoiselle Dan-
glars?
— Albert
I
Alberti dft
madame
de Morcerf du ton d'un
le doux reproche, que diles-vous là? Ah monsieur considération, comte, vous pour qui il a une si grande I
donc
dites-lui
qu'il a
mal parlé
I
quelques pas en avant. une Monte-Cristo la regarda si étrangement et avec afexpression à la fois si rêveuse et si empreinte d'une Elle
fil
fectueuse admiration qu'elle revint sur ses pas. presAlors elle lui prit la main en même temps qu'elle
de son
sait celle
— — Oh
fils,
et les joignant toutes
Nous sommes amis, n'est-ce pas? !
votre ami.
tion, dit le
comte
Madame,
deux
;
dit elle.
je n'ai point cette préten-
mais, en tous cas, je suis votre bien
;
respectueux serviteur. de La comtesse partit avec un inexprimable serrement
cœur
;
et,
avant qu'elle eût
fait
dix pas, le comte lui vit
mettre son mouchoir à ses yeux. Est-ce que vous n'êtes pas d'accord,
—
vous? demanda
ma mère
— Au contraire, de
me Et
répondit le comte, puisqu'elle vient amis. dire devant vous que nous sommes quitter Vade venaient regagnèrent le salon que
ils
ientine ei M. et Il
et
Albert avec étonnement.
va sans
madame
dire
de Villefort.
que Morrel
était sortJ derrière
eu^
ns
LE COMTE DE MONTE-CRlSTa
XV MADAME DE
Une scène \uguhve
SAI.NT-MIÎRAN.
venait en eiïet de se passer dans
maison de M. de Villefort. Après le départ des deux dames pour les instances
de
le bal,
la
où toutes
madame
de Villefort n'avaient pu déterminer son mari à l'accompagner, le procureur du roi
s était, selon sa
une
coutume, enfermé dans son cabinet avec
de dossiers qui eussent effrayé tout autre, mais temps ordinaires de sa vie, suffisaient à peine a satisfaire son robuste appétit de travailleur. Mais, cette fois, les dossiers étaient chose de forme Vjl.efort ne s'enfermait point pour pile
qui, dans les
travailler,
réfléchir; et. sa porte fermée, l'ordre
mais pour donné qu'on ne le
dérangeât que pour chose d'importance,
son fauteuil
il
s'assit
dans
et se rait à
repasser encore une fois dans sa mémoire tout ce qui, depuis sept à huit jours, faisait dé^ border la coupe de ses sombres chagrins et de ses amers souvenirs. Alors, lui,
Il
au
lieu d'attaquer les dossiers entassés devant
ouvrit
un
et tira la liasse
tiroir de son bureau, fit jouer un secret de ses notes personnelles, manuscrits pré-
cieux, parmi lesquels chiffres
dans
connus de
il
avait classé et étiqueté avec des
lui seul les
noms de
tous ceux qui
sa carrière politique,
dans ses affaires d'argent dans ses poursuites de barreau ou dans ses mystérieuses amours, étaient devenus ses ennemis. Le nombre en était formidable aujourd'hui
qu'il avait
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. commencé à trembler puissants et
culminant de
comme
sourit le
précipices près desquels
il
voyageur qui, du
si
les
des
et les arêtes
pour arriver,
a,
si
fait
montagne, regarde à ses pieds
la
chemins impraticables
pics aigus, les
et si
cependant, tous ces noms,
formidables qu'ils fussent, l'avaieni
si
bien des fois sourire, faite
et
;
i79
longtemps
péniblement rampé.
Quand
eut bien repassé tous ces
il
moire, quand
commentés sur
— Non,
les eut bien relus,
il
ses listes,
il
secoua
noms dans
sa
mé-
bien étudiés, bien
la tête.
murmura-t-il, aucun de ces ennemis n'aurait
attendu patiemment
et laborieusement jusqu'au jour où nous sommes, pour venir m'écraser maintenant avec ce
secret.
Quelquefois
,
comme
dit
Hamlet
,
bruit des
le
choses les plus profondément enfoncées sort de
comme l'air
;
terre, et,
feux du phosphore, court follement dans
les
mais ce sont des flammes qui éclairent un moment
pour égarer. L'histoire aura été racontée par
le
Corse à
quelque prêtre, qui l'aura racontée à son tour. M. de Monte-Cristo l'aura sue, et pour s'éclaircir...
Mais à quoi bon
an
s'éclaircir,
instant de réflexion
M. Zaccone,
flls
;
reprenait Villefort après
quel intérêt M. de Monte-Cristo,
d'un armateur de Malte, exploiteur d'une
mine d'argent en Thessalie, venant pour en France,
a-t-il
rieux et inutile
de
s'éclaircir
comme
d'un
celui-là?
Au
fait
la
première
fois
sombre, mysté-
milieu des rensei-
gnements incohérents qui m'ont été donnés par cet abbé Busoni et par ce lord Wilmore, par cet ami et par cet ennemi, une seule chose ressort claire, précise, patente dans aucun c'est que dans aucun temps à mes yeux ,
:
dans aucune circonstance il ne peut y avoir eu moindre contact entre moi et lui.
cas,
4lais
,
Villefort
se
disait ces paroles
la
sans croire lui-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«80
même
à ce qu'il disait.
pas encore
répondre
•
s'inquiétait
il
Le plus
révélation, car
la
pour
terrible
lui .n'6laH
pouvait nier, ou /nôine
il
peu de ce Uanè, Thccd,
i
'harcs,
qui apparaissait tout à coup en lettres de sang sur la raille,
mais ce qui
l'inquiétait,
mu-
de connaître
c'était
le
corps auquel appartenait la main qui les avait tracées.
Au moment où
essayait de se rassurer lui-même, et
il
où, au lieu de cet avenir politique que, dans ses rêves
d'ambition,
avait entrevu quelquefois,
il
il
se composait,
ennemi endormi depuis si restreint aux joies du foyer, im avenir un longtemps, la crainte d'éveiller cet
dans
bruit de voilure retentit dans la cour;
dans son escalier des sanglots
et
puis
il
entendit
marche d'une personne âgée, puis
la
des hélas
comme
I
domestiques en
les
trouvent lorsqu'ils veulent devenir intéressants par
la
douleur de leurs maîtres. se liàta de tirer le verrou de son cabinet, et bientôt,
Il
sans être annoncée sur
le
une
,
vieille
dame
entra,
son chàle
bras et son chapeau à la main. Ses cheveux blan-
chis découvraient
un
front
mat comme
l'ivoire jauni, et
ses yeux, à l'angle desquels l'âge avait creusé des rides
profondes, disparaissaient presque sous le gonflement de" pleurs.
-Ohl Monsieur, heur
I
moi aussi
dit-elle;
mourrai
j'en
ah! Monsieur, quel mal1
oh! oui, bien certaine-
xenl j'en mourrai! Et,
tombant sur
elle éclata
fauteuil le plus proche de la porte
le
en sanglota.
Les domestiques, debout sur
le seuil,
et n'osant aller
vieux serviteur deNoirtier, qui, ayant «^nteùducebruitdela chambre de son niaitre, était
plus loin, regardaient
accouru aussi se leva et
et se
le
tenait derrière les
courut à sa belle-mcre, car
autres. Villeforl
c'était
elle-même.
— Rh,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. mon Dieu! iMadame, demanda-t-il, que
passé? qui vous bouleverse ainsi ne vous accompagne-t-il pas ? M. de Saint-Méran est mort,
—
isj s'est-il
M. de Saint-Méran
? et
dit la vieille
marquise,
sans préambule, sans expression, et avec une sorte de stupeur. Villefort recula d'un
pas
frappa ses mains l'une
et
"ontre l'autre.
— Mortl... balbutia-t-il mort — Ily ahuitjours, continua madame
ainsi...
;
subitement? de Saint-Méran
nous montâmes ensemble en voiture après
diner. M. de depuis quelques jours cependant l'idée de revoir notre chère Valentine le rendait courageux, et malgré ses douleurs
Saint-Méran
était souffrant
:
avait
il
voulu
partir
lorsque, a six lieues de Marseille, il fut pris, après avoir mangé ses pastilles habituelles, d'un
sommeil
qu'il
ne
me
le réveiller,
sait et
que
semblait pas naturel
quand
il
me
;
cependant
si
profond
j'hésitais à
sembla que son visage rougistempes battaient plus vio-
les veines de ses
lemment que d'habitude. Mais cependant, comme venue et que je ne voyais plus rien, je le
la nuit
était
laissai dor-
mir; bientôt celui d'un
il
poussa un
homme
cri
sourd
brusque mouvement sa
tête
en
de chambre, je
fis
Saint-Méran, je
lui fis respirer
était fini,
comme
et déchirant
qui souffre en rôve
,
arrière.
et
renversa d'un
Jappeki
le valet
arrêter le postillon, j'appelai
mon
M. de
flacon de sels
,
tout
mort, et ce fut côte à côte avec son cadavre que j'arrivai à Ai*.. Villefort
il
était
demeurait stupéfait
et la
bouche béante.
— Et vous appelâtes un médecin, sans doute — A l'instant même mais, comme je vous ;
? l'ai dit,
a
était trop tard.
—- Sans doute: mais TOME IV.
au moins
pouvait -il recoih ..
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
183
naître de quelle maladie le pauvre marquis élait mort,
— que
Mon c'est
Monsieur,
Di<iul oui,
il
me
— Et quo fites-vous alors? — M. de Sainl-Méran avait toujours de Paris,
rait loin
dans
dit
paraU
il
que,
que son corps
désirait
il
caveau de
le
dit;
l'a
d'une apoplexie foudroyante.
Je
la famille.
l'ai fait
s'il
mou
ramené
fût
mettre dans un
cercueil de plomb, et je le précède de quelques jours.
— Oh!
mon
—
Dieu, pauvre mère
après
reils soins
un
Dieu m'a donné
ce cher marquis, fait
pour
bas, je crois il
que
je suis folle. Je
il
me
Où
pensa
—
veux
je
il
;
A
;
;
Monsieur?
c'est pou»"
voir Valentine.
de répondre que
seulement à
dit
peiite-Olle était sortie
allait la
n'a plus de larmes
serait affreux
qu'il
Valentine élait au bal
que sa
j'ai
quitté là-
l'ai
ne peux plus pleurer
est Valenline,
que nous revenions,
Villefort
je
semble que tant qu'on souffre on devrait
pouvoir pleurer. elle
pour moi ce que
mon âge on
est vrai qu'on dit qu'à
cependant
fait
que depuis que
vrai
de pa-
;
!
jusqu'au bout; d'ailleurs,
la force
eût certes
il
lui. Il et*,
dil Villefort
!
pareil coup, et à votre cage
marquise
la
avec sa belle-mère
et
qu'on
prévenir. l'instant
vous en supplie,
même.
Monsieur, à l'instant
Villefort mit sous
môme,
je
dame.
dit la vieille
son bras
le
bras de
madame
de
Saint-Méran. et la conduisit à son appartement.
— Prenez du repos, La marquise leva qui
lui
dit-il,
ma
la tête à ce
rappelait cette
fille
mère.
mot,
et
voyant cet
tant regrettée qui
frappée par ce
pour
elle
noii/
de mère, se mit à fondre en larmes,
dans Valentine,
genoux dans un rable.
fauteuil
elle se sentit
où
homme revivait
et
tomba à
elle ensevelit sa tète
véné-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. recommanda aux
Villefort la
dis
que
maître \a
vieux Barrois remontait tout
le
183
femmes
soins des
effaré
tan-
,
chez son
car rien n'effraye tant les vieiHards que lorsque
;
mort quitte un instant leur côté pour
aller
frapper
un
autre vieillard.
madame
Puis, tandis que
de Saint-Méran, toujours
agenouillée, priait du fond du cœur,
envoya chercher
il
lui-même prendre chez madame de Morcerf sa femme et sa fille pour les ramener à
une voiture de place la
maison.
lon
Il était si
et vint
— Oh
mon
I
père
!
il
lui
en s'écriant
est arrivé
— Votre bonne maman vient M. de
du
pâle lorsqu'il parut à la porte
que Valentine courut à
sa-
:
quelque malheur
I
d'arriver, Valentine
,
dit
Villefort.
— Et
mon
grand-père? demanda
la
jeune
toute
fille,
tremblante.
M. de
Villefort
ne répondit qu'en
son bras à sa
offrant
elle.
D était temps Valentine, saisie d'un vertige, chancela ; madame de Villefort se hâta de la soutenir et aida son :
,
mari à l'entraîner vers
— Voilà
la voiture
qui est étrange
!
en disant
qui aurait
:
pu
se douter de
cela? Oh! oui, voilà qui est étrange!
Et toute cette famille désolée s'enfuit ainsi, jetant sa fristesse,
Au
comme un
bas de
tendait
crêpe noir, sur
l'escalier,
le reste
de
la soirée.
Valentine trouva Barrois, qui
l'at-
:
— M. Noirtier désire
— Dites-lui
que
vous voir ce
j'irai
soir, dit-il tout bas.
en sortant de chaz
ma
bonne
grand'raeie, dit Valentine.
Dans
la
délicatesse de son
âme
,
la
jeune
compris que celle qui avait surtout besoin heure,
c'était
madame de
Saint-Méran.
fille
avait
d'elle à celle
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
184
au lit; muettes caresses, douloureux du cœur, soupirs e iticcoupés,
Valentin'ï trouva son aïeule
gonflemenls
^i
détails rafarmes hrûlanles, voilà quels furent les seuls au bras contables de cette entrevue, à laquelle assistait, respect, de pleine Villefort, de madame de son mari,
pour la pauvre veuve. pencha à l'oreille de son
apparent, du moins,
Au bout mari
d'u;i instant, elle se
:
— Avec votre permission, me
relire, car
ma vue
dit-elle,
mieux vaut que
je
paraît affliger encore votre belle-
mère.
Madame
—
Oui
s'en aille
,
;
de Saint-Méran l'entendit. oui dit-elle à l'oreille de Valon'ine ,
mais
Madame de près du
lit
Villefort sortit, et ValcntinJ
demeura seule
de son aïeule, car le procureur du roi, con-
sterné de cette mort imprévue, suivit sa
Cependant Barrois
était
remonté
la
femme.
première
fois
du vieux Noirtier; celui-ci avait entendu tout qui se faisait dans la maison et il avait envoyé ,
nous l'avons
A
dit, le
interrogea le messager
arrivé
:
I
près
le bruit ,
comme
vieux serviteur s'informer.
son retour, cet œil
— Hélas
qu'elle
,
reste, toi, reste.
Monsieur,
si
vivant et surtout
si intelligent
:
dit Barrois,
madame de Saint-Méran
un grand malheur
est arrivée, et
est
son mari
est mort.
M. de Saint-Méran
et ÎSoirlier n'avaient
d'une bien profonde amilic fait
toujours sur
un
;
cependant on
jamais été
liés
sait l'effet
que
vieillard l'annonce de la
mort d'un
autre vieillard. Noirtier laissa
tomber sa
tête
sur sa poitrine,
comme
un homm'» accablé ou comme un homme qui pensô, Muis il ferma un seul œil.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Mademoiselle Valenline? fit
— Elle
est
venue
au
bal
Monsieur
,
nouveau
— Oui, vous voulez vieillard
— Eh madame dirai
bien
fit
l'œil
,
puisqu'e^î
toilette.
gauche.
voir?
signe que c'était cela qu'il désirait.
on va
,
la
bien
le sait
adieu en grande
lui dire
Noirtier ferma de
Le
dit Barrois.
signe que oui.
Noirtier
est
185
de Morcerf
chercher sans doute chez
l'aller
je l'attendrai à son retour, et je lui
;
de monter chez vous. Est-ce cela?
— Oui, répondit
le paralytique.
Barrois guetta donc
retour de Valentine,
le
nous l'avons vu, à son retour
il
lui
'jt,
exposa
le
comme désir de
son grand-père. vertu de ce désir, Valentine monta chez Noirtier au
En sortir
de chez
qu'elle était
,
madame avait
de Saint-Méran, qui, tout agitée
fini
par succomber à la fatigue et
dormait d'un sommeil fiévreux.
On
avait approché à la portée de sa
table sur laquelle était
habituelle, et
Puis, le lit
un
l'avons
la
jeune
vieillard insistait
— Oui, Le «on
jeune
fille
avait quitté
un bon grand-père, fit
vieillard sentit
,
qui la regarda
de nouveau
elle croyait la
jailli
source tarie
avec son regard.
oui, dit Valentine
vieillard'
le
fille
de ses yeux des larmes dont
jours
dit, la
de la marquise pour monter chez Noirtier.
tendrement que
Le
petite
sa boisson
verre.
comme nous
Valentine vint embrasser si
main une
une carafe d'orangeade,
,
tu
veux
n'est-ce pas
dire
que
j'ai
tou-
?
signe qu'effectivement c'était cela que
regaii) voulait dire.
—
fléJis!
heureusement, reprit Vale^itine. Sans cela,
que deviendrais-je, mon Dieu ?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
4^6 11
une heure du matin. Barrois
était
dt se coucher lui-môme,
fit
aussi douloureuse, tout le
Le
monde
vieillard ne voulut pas dire
tait
de voir son enfant.
Il
qui avait envie
,
ohserver qu'après une soirée avait besoin ae repos
que son repos, à
lui, c'é'
con^^édia Valentine,à qui effecti
vemeu/la douleur et la fatigue donnaient un air souffrant Le lendemain, en entrant chez sagrand'mère.Valenline trouva celle-ci au lit la fièvre ne s'était point calmée au contraire, un feu sombre brillait dans les yeux de la vieille marquise, et elle paraissait en proie a une violente :
nerveuse.
irritation
— Oh vantage
tômes
mon Pieu bonne maman I
!
? s'écria
,
souffrez-vous da-
Valentine en apercevant tous ces symp-
d'agitation.
— Non
,
ma
fille
non
,
,
madame
dit
de Saint-Méran
;
mais j'attendais avec impatience que tu fusses arrivée
pour envoyer chercher ton père.
— Mon père demanda Valentine inquiète. — Oui, veux parier. ?
je
lui
Valentine n'osa point s'opposer au désir de son aïeule, dont d'ailleurs elle ignorait la cause
ol
,
un
instant après
Villefort entra.
—
Monsieur,
dit
madame
de Saint-Méran
ployer aucune circonlocution, craindre
que
vez-vous
— Oui
le
écrit, ,
tempe
lui
et
comme
manquât,
il
,
Madame
,
répondit Villefort
eût paru
est question,
d'un mariage pour cette enfant ;
c'est
em-
sans
si elle
m'a-
?
même
plu»
ju'un projet, c'est une convention.
— Votre
gendre s'appelle M. Franz d'Épinay
?
— Oui, Madame. -
C'e°t le
fils
du général d'Épinay, qu'
était
nôtres, et qui fut assassiné quelques jours avant
surpateur revint de
l'ile
d'Elbe î
que
de» l'u
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— G cela même. — Cette alliance avec
187
est
la petite-fllle d'un jacobin
ne
lui
répugne pas?
— Nos dissensions civiles se sont heureusement éteinma
tes,
mère,
dit Villefort;
M. d'Épinay
un
enfant à la mort de son père;
M.
Noirtier, et le verra, sinon
avec
presque
était
connaît fort peu
il
plaisir,
avec
indiffé-
rence du moins.
— C'est un sortable? — Sous tous rapports. — Le jeune homme? — Jouit de considération générale. parti les
la
— —
II
est
convenable?
C'est
un des hommes
les
plus distingués que je
connaisse.
Pendant toute cette conversation, Valentine
était restée
muette.
— Eh bien réflexion j'ai
I
Monsieur,
peu de temps à
— Vous, M. de
dit
après quelques secondes de
madame de Saint-Méran,
il
faut
vous hâter, car
vivre.
Madame
!
vous, bonne
maman
!
s'écrièrent
Villefort et Valentine.
— Je
sais ce
que
donc vous hâter,
je dis, reprit la
afin
marquise;
que n'ayant plus de mère,
il
faut
elle ait
au moins sa grand'mère pour bénir son mariage. Je suis la seule qui lui reste du côié de ma pauvre Renée, que vous avez si vite oubliée, Monsieur.
— lait
Ahl Madame,
dit Villefort,
vous oubliez
qu'il fal-
donner une mère à cette pauvre enfant qui n'en avait
plus,
— Une belle-mère
n'est jamais
Mais ce n'est pas de cela tïùù
;
une mère. Monsieur.
qu'il s'agit,
laissons les morts tranquilles.
il
s'agit
de Valen*
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
188
Tout cela
avec une
était dit
telle volubilité et
un
tel
accent, qu'il y avait quelque chose dans cette conver-
un commencement de dtî)»re. Madame, di» Villefort, cela d'autant mieux que votre désir est d'accord avec
sation qui ressemblait à
— et
Il
sera
mien;
te
fait
selon votre désir,
de M, d'Épinay à Paris...
et aussitôt l'arrivée
— Ma bonne mère,
Valentine, les convenances, le
dit
deuil tout récent... voudriez-vous donc faire
sous d'aussi
—
Ma
fille,
interrompit vivement l'aïeule, pas de ces
raisons banales qui
lit
empêchent
les esprits faibles
solidement leur avenir. Moi aussi
tir
de mort de
un mariage
auspices?
tristes
ma
mère,
de bâ-
été mariée
j'ai
et n'ai certes point été
au
malheu-
reuse pour cela.
— Encore cette idée de mort Madame, reprit Villefort. — Encore toujours Je vous dis que je vais mou1
1...
1
rir,
entendez-vous? Eh bien
vu mon gendre;
!
avant de mourir, je veux
veux lui ordonner de rendre ma petite-fille heureuse je veux lire dans r^es yeux s'il compte m'obéir; je veux le connaître enfin, moi! conavoir
je ;
tinua l'aïeule avec une expression effrayante, pour le venir trouver du fond de mon tombeau s'il n'était pas "« qu'il doit être,
—
Madame,
s'il
n'était
pas ce qu'il faut qu'il
dit Villefort,
idées exaltées, qui touchent
il
faut éloigner de
presque à
la folie.
soit.
vous ces
Les morts,
couchés dans leur tombeau, y dorment sans se
fine fois
relever jamais.
— Oh oui, oui, bonne mère, calme— Et moi. Monsieur, je vous dis !
toi
I
dit
Valentine.
qu'il n'en est point
ainsi
que vous croyez. Cette nuit
meil terrible; car je coiaime
corps
:
si
mon âme
me
j'ai
dormi d'un som-
voyais en quelque sorte dormir
eût déjà plané au-dessus de trioa
mes yeux, que
ic m'efforçais d'ouvrir,
se refa-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. maient malgré moi;
vous
va.
et
paraître impossible, à vous, Monsieur, surtout
eh bienl
mes yeux
fermés,
vu
entrer sans bruit
Valentine jeta
— C'était
un
;
vu, à l'endroit m*ème où
j'ai
vous êtes, venant de cet angle où àonne dans le cabinet de toilette de j'ai
189
cependant je sais bien que cela
y a une porte qui
il
madame
de Villefort,
une forme blanche.
cri.
b. fièvre qui
vous
agitait.
Madame,
dit Vil-
ifefort.
— Doutez je dis
:
craint
sens,
j'ai
que
j'ai
même
là
— Oh —
si
vous voulez, mais
vu une forme blanche; je récusasse le
entendu remuer qui est
!
ici, là,
bonne mère,
comme
de ce que
Dieu eût témoignage d'un seul de mes
mon
et
si
verre, tenez, tenez, celui-
sur la table.
c'était
un
peu un rêve, que
C'était si
je suis sûre
rêve.
étendu
la
main vers
la sonnette, et qu'à ce geste l'ombre a disparu.
La femme
j'ai
de chambre est entrée alors avec une lumière. Les fantômes ne se montrent qu'à ceux qui doivent les voir c'était l'âme de mon mari. Eh bien! si l'âme :
de
mon mari
Le
lien est encore plus direct, ce
revient pour m'appeler, pourquoi à moi, ne reviendrait-elle pas pour défendre
—
Oh! Madame,
dit Villefort,
me
mon âme, ma fille?
semble.
remué malgré
lui jus-
qu'au fond des entrailles, ne donnez pas l'essor à ces lugubres idées vous vivrez avec nous, vous vivrez long;
temps heureu'C, aimée, honorée,
et
nous vous ferons
oublier...
— Jamais, jamais, jamais!
dit la
marquise. Quand re-
vient M. d'Kpinay?
— Nous l'attendons d'un moment à — C'est bien; aussitôt sera arrivé,
l'autre.
prévenez moi. Hâtons-nous, hâtons-nous. Puis, je voudrais aussi qu'il
LE COMTE DE MONIE-CRISTO.
^90 voir
notaire pour m'assurer que tout notre bien re-
un
vient à Valentine.
—
ma
Oh!
mère, murmura Valentine, en appuyant
ses lèvres sur le front brûlant de l'aïeule,
Jonc
Mon
mourir?
faire
\iie
Ce n'est pas un notaire
vous voulez
Dieu! vous avez
la fièvre.
qu'il faut appeler, c'est
un mé-
decin!
—
Un médecin?
dit-elle
en haussant
les épaules
;
je
souffre pas; j'ai soif, voilà tout.
lie
— Que buvez-vous, bonne maman? — Comme toujours, tu sais bien, mon orangeade. Mon verre est là sur cette table; passe-le-moi, Valentine. Valentine versa l'orangeade de la carafe dans et
le
prit
avec un certain
grand'mère, car elle,
c'était
ce
effroi
même
pour
le
verre
le
donner à sa
verre qui, prétendait-
avait été touché par l'ombre.
La marquise vida Puis
elle se
le
verre d'un seul
trait.
retourna sur son oreiller en répétant
:
— Le notaire, le notaire! M. de
Villefort sortit, Valentine s'assit près
>a grand'mère. ijesoin
du
lit
de
La pauvre enfant semblait avoir grand
elle-même de ce médecin qu'elle avait recom-
Une rougeur pareille à une flamme pommette de ses joues, sa respiration était
înandé à son aïeule. .brûlait la
courte et haletante, et son pouls battait vait
eu
C'est qu'elle songeait, la
de Maximilien quand .Méran.
comme
si
elle
la fièvre.
au
connaître,
il
lieu de lui être
comme
Plus d'une
fois
pauvre enfant, au désespoir
apprendrait que
une
alliée,
si elle lui était
madame de
Saint-
agissait, sans le
ennemie.
Valentine avait scngé à tout dire à sa
;.:rand'mère, et elle n'eût pas hésité
Maximilien Morrel
s'était
un
seul instant
si
appelé Albert de Morcerf ou
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Raoul de Château-Renaud
;
mais Morrel
tioD plébéienne, et Valentine savait le
191
était d'extrac
mépris que
l'or
gueilleuse marquise de Saiot-Méran avait pour tout ce
qui n'était point de race. Sou secret avait donc toujours,
an
moment où
allait se faire jour, été
il
repoussé dans
îon cœur par cette triste certitude qu'elle
qu'une
iîîutilement, et et
fois ce secret
le
livrerait
connu de son père
de sa belle-mère, tout serait perdu.
Deux heures
peu près s'écoulèrent
à
ainsi.
Saint-Méran dormait d'un sommeil ardent
annonça
Madame de On
et agité.
le notaire.
Quoique
annonce eût
cette
été faite très-bas,
de Saint-Méran se souleva sur son
— Le notaire? Le notaire
dit-elle; qu'il
était
à
la porte,
— Va-t'en, Valentine,
dit
il
madame
oreiller.
vienne, qu'il vienne! entra.
madame
de Saint-Méran, et
laisse-moi avec Monsieur.
— Mais, ma mère.., — Va, va. La jeune
A que
baisa son aïeule
fille
mouchoir sur
les
médecin
front et sortit le
trouva le valet de chambre, qui lui
la porte elle le
au
yeux.
Valentine descendit rapidement. Le médecin était
ami delà famille,
et
en
même
plus habiles de l'époque
dit
au salon.
attendait
:
il
temps un des hommes
un les
aimait beaucoup Valentine,
vue venir au monde. Il avait une fille de Tàge de mademoiselle de Villefort à peu près, mais née d'une mère poitrinaire sa vie était une crainte continuelle à
qu'il avait
;
l'égard de son enfant.
—
Ohl dit Valentine, cher monsieur d'Avrigny, nous vous attendions avec bien de l'impatience Mais avant toute chose,
comment
se Dortent Madeleine et .Antoinette?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
192
était la Glle
Madeleine
de M. d'Avrigny, et Antoinette
sa nièce.
M. d'Avrigny sourit tristement.
— Très-bien Antoinette,
dit-il
;
assez bien Madeleine.
Mais vous m'avez envoyé chercher, chère enfant?
madame
r'est ni votre père, ni
Ce
malade? Quant a nous, quoiqu'il
dit-il
de Villefort qui est
soit visible
que nous
ne pouvons pas nous débarrasser de nos nerfs, je ne présume pas que vous ayez besoin de moi autrement quo pour que je vous recommande de ne pas trop laisser notre imagination battre la
Valentine rouyit la divination
;
campagne?
M. d'Avrigny poussait
presque jusqu'au miracle, car
la science c'était
de
un de
ces médecins qui traitent toujours le physique par
le
moral.
—
Non,
dit-elle,
Vous savez
le
c'est
pour
ma
malheur qui nous
pauvre grand'mère;
est arrivé, n'est-ce
— Je ne sais rien, dit M. d'Avrigny. — Hélas Valentine en comprimant I
mon
dit
pas?
ses sanglots,
grand-père est mort.
— M. de Sainl-Méran? — Oui. — Subitement? — D'une attaque d'apoplexie foudroyante. — D'une apoplexie? répéta médecin. — Oui. De sorte que ma pauvre grand'mère est frappée le
de
l'idée
que son mari, qu'elle n'avait jamais quitté» va aller le rejoindre. Oh monsieur
l'appelle, et qu'elle
d'Avrigny, je vous
mère
I
recommande bien ma pauvre grand'-
!
— Où est-elle?
— Dans sa chambre avec — El M. Noiriier?
le notaire»
,
.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Toujours
même, une
le
193
lucidité d'esprit parfaite
même immobilité, le même mutisme. Et le même amour pour vous n'est-ce
mais
—
la
,
ma
m'aime bien,
lai.
pas
,
chère enfant
?
— Oui, Valenline en — Qui ne vous aimerait pas?
sout^irant,
dit
il
Valenline sourit tristement.
— Et qu'éprouve votre grand'mère? — Une excitation nerveuse singulière agité et étrange
son sommeil, son
âme
que
le bruit
du
c'est
:
délire
;
elle
prétend
entrer dans sa chambre, et avoir
vu un fantôme
entendu
un sommeil
planait au-dessus de son corps
qu'elle regardait dormir
avoir
,
ce matin que, pendant
elle prétendait
;
faisait le
prétendu fantôme en tou-
chant à son verre.
— C'est singulier, dame de
— C'est lenline, et folle
;
ma-
docteur, je ne savais pas
dit le
Saint-r>]éran sujette à ces hallucinations. la
première
ce matin
fois
elle
que
m'a
je
l'ai
vue
Va-
ainsi, dit
grand'peur, je
fait
l'ai
crue
mon père, certes, monsieur d'Avrigny, vous mon père pour un esprit sérieux, eh bien
et
connaissez
mon
I
père lui-même a paru
— Nous allons voir, dites-là
Le
me
fort
impressionné.
M. d'Avrigny
dit
;
ce que vous
me
semble étrange.
on vint prévenir Valenline que
notaire descendait;
sa grand'mère était seule.
— Montez, au docteur. — El vous? — Oh moi, je n'ose, m'avait défendu de vous en dit-elle
elle
I
voyer chercher
;
puis,
comme vous
je suis agitée, fiévreuse,
tour au jardin pour
Le docteur serra
me la
le dites,
mal disposée,
moi-même
je vais faire
ua
remettre.
muin à Valenline,
et tandis
qu'A
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
494
montait chez sa grand'mère ,
la
jeune
fille
descendit le
perron.
Nous savons pas besoin de dire quelle portion du jarpromenade favorite de Valentine. Après avoii fait deux ou trois tours dans le parterre qui entourait la din était la
maison, après avoir
cueilli une rose pour mettre à sa ou dans ses cheveux, elle s'enfonçait sous l'alsombre qui conduisait au banc, puis du banc elle
ceinture lée
allait
à la
grille.
Cette fois Valentine
fit, selon son habitude, deux ou au milieu de ses fleurs, mais sans en cueillir deuil de son cœur, qui n'avait pas encore eu le temps
trois tours
:
le
de s'étendre sur sa personne, repoussait ce simple orne-
ment; puis
elle
qu'elle avançait,
s'achemma vers son il
lui
allée.
A
mesure
semblait entendre une voix qu»
prononçait son nom. Elle s'arrêta étonnée. Alors cette voix arriva plus distincte à son oreille, et «' 8 reconnut la voix de Maximilien.
ÏJi
COMTE DE MONTE-CRISTO.
*-9=^
XVÏ LA PROMESSiî.
C'était
plus.
^n
effet
mères,
Morrel, qui depuis la veille ne vivait
cet instinct particulier
Avec
avait deviné qu'il
il
allait,
aux amants
et
aux
à la suite de ce retour
de la mort du marquis, se son passer quelque chose chez Villefort qui intéresserait
de
madame
de Saint-Méran
amour pour
Comme
et
Valentine.
on va
le voir,
ses pressentiments s'étaient
inquiétude qui le réalisés, et ce n'était plus une simple grille des marla à tremblant si et conduisait si effaré ronniers.
pas prévenue de l'attente de ordinairement^ Morrel, ce n'était pas l'heure où il venait une heumieux, pur hasard ou, si l'on aime
Mais Valentine
et ce fut
n'était
un
Quand elle reuse sympathie qui la conduisit au jardin. grille. la courut à elle parut, Morrel l'appela;
— Vous, à heure — Oui, pauvre amie, répondit Morrel. cette
1
dit-elle.
Je viens cher
cher et apporter de mauvaises nouvelles.
—
Valentine
C'est donc la maison du malheur, la somme de Parlez, Maximilien. Mais, en vérité, dit
dou
leurs est déjà bien suffisante.
— Chère Valentine,
dit
Morrel, essayant de se
re-
convenablement, mettre de sa propre émotion pour parler ce que je vais tout car prie; vous écoutez-moi bien, je vous compte-t-on époque quelle A solennel. vous dire est marier?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
196
— Écoutez,
dit à son tour Valentine, je ne veux rien rous cacher, Maxiniilien. Ce malin on a parié de «non el ma grand'raère, sur laquelle j'avais coiiipié sur un appui qui ne me manquerait nas, non-
mariage,
comme
seulement
s'est déclarée
le désire à tel
que
retarde, et
le
pour ce mariage mais encore
point que le retour seul de M. d'Épinay le
lendemain de son arrivée
le contrai
sera signé.
Un et
il
—
pénible soupir ouvrit la poitrine du jeune homme, regarda longuement et tristement la jeuns ûlle. Hélas! reprit-il à voix basse, il est
affreux d'en-
'endre
dire
tranquillement par la
femme qu'on aime
:
Le moment de votre supplice est flxé c'est dans quelques heures qu'il aura lieu mais n'importe, il faut que «
:
;
cela soit ainsi, et de
opposition.
»
ma
part je n'y apporterai
Eh bieni puisque,
aucune
dites-vous, on n'attend
plus que M. d'Épinay pour signer le contrat, puisque vous serez à lui le lendemain de son arrivée, c'est demain que vous serez engagée à M. d'Épinay, car
il
est
arrivé à Paris ce matin.
Valentine poussa
—
J'étais
chez
un
cri.
comte de Monte-Cristo il y a une heure, dit Morrel; nous causions, lui de la douleur de votre maison et moi de votre douleur, quand tout à coup une voiture roule dans la cour. Écoutez. Jusque-là je ne croyais pas aux pressentiments, Valentine mais maintenant il faut bien que j'y croie Au bruit de cette voiture, un frisson m'a pris bientôt j'ai entendu des pas sur l'esle
;
;
Les pas retentissants du commandeur n'ont pas plus épouvanté don Juan que ces pas ne m'ont
calier.
épou
vanté. Enfin la porte s'ouvre
premier,
que
el
j'allais
je m'étais
;
Albert de Morcerf entre le
douter de moi-même,
trompé, quand derrière
lui
j'allais croire
s'avance un
-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. autre jeune
M. et
le
homme
que
et
le
'baron Franz d'Épinayl
de courage dans
»
cœur, je
le
comte
s'est éciié
Tout ce que l'ai
197
j'ai
appelé pour
«
:
Ah!
de furc«
me
con mais
tenir. Peut-être ai-je pâli, peut-être ai-je irrirablé-
à coup sur je suis resté le sourire sur les lèvres. Mais
cinq minutes après, je suis sorti sans avoir entenau un
mot de ce qui
s'est dit
pendant ces cinq minutes
;
j'étais
anéanti.
— Pauvre Maximilien murmura Valentine. — Me voilà, Valentine. Voyons, maintenant répondez I
moi comme à un homme à qui votre réponse va donner la mort ou la vie. Que comptez-vous faire? Valentine baissa
—Écoutez,
dit
vous pensez à
;
elle était accablée.
où nous sommes arrivés elle pesante, suprême. Je ne pense pas que
la situation
est grave, elle est
ce soit le
la tête
Morrel, ce n'est pas la première fois que :
moment de s'abandonner aune douleur
cela est bon pour
ceux qui veulent
leurs larmes à loisir.
Il
y a des gens
sans doute leur tiendra compte au tion sur la terre lutter,
;
stérile
:
souffrir à l'aise et boire
comme ciel
cela, et
Dieu
de leur résigna-
mais quiconque se sent
la volonté
de
rend immédia-
ne perd pas un temps précieux et la fortune le coup qu'il en a reçu. Est-ce votre
tement à
volonté de lutter contre la mauvaise fortune, Valentine? dites, car c'est cela
Valentine
que
tressaillit
je viens
et
vous demander.
regarda Morrel avec de grands
yeux effarés. Cette idée de résister à son père, à sa grand" mère, à toute sa famille enfln ne lui était pas même venue. Que me dites-vous, Maximilien? demanda Valen-
—
qu'appelez-vous une lutte? Oh! dites un sacrilège. Quoi moi, je lutterais contre l'ordre de mon père,
tine, et
I
contre le vœu de
Morre)
fil
mon aïeule mourante
un mouvement.
I
C'est impossible
I
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
498
— Vous êtes un trop noble cœur pour ne pas me comprendre, iien,
et
que
vous
me comprenez
Dieu m'en préserve pour
silence. Lutter, mo."
troubler les derniers
I
force
pour boire mes larmes,
et
Quant à aûliger mon père
dites.
ma
Non, non; je garde toute
!
moi-môme
lutier contre
comme vous
bien, cher Maximi-
si
vous vois réduit au
je
moments de mon
,
quant à
aïeule, jamais
!
— Vous avez bien raison, flegmatiquement Morrel. — Comme vous me dites cela, mon Dieu! s'écria Vadit
lentine blessée.
— Je vous dis
cela
comme un homme
qui vous ad-
mire, Mademoiselle, reprit Maximilien.
— Mademoiselle! l'égoïste
!
il
me
s'écria Valentine,
voit
au désespoir
Mademoiselle
!
de ne pas
et feint
Oh!
me
comprendre.
—
Vous vous trompez, et je vous comprends parfaitement au contraire. Vous ne voulez pas contrarier M. de Villefort, vous ne voulez pas désobéir à la marquise, et demain vous signerez le contrat qui doit vous lier à
votre mari.
— Mais, mon Dieu! puis-je donc autrement? — ne faut pas en appeler à moi, Mademoiselle, faire
Il
je suis
un mauvais juge dans
m'aveuglera et les
,
cette cause, et
répondit Morrel
,
dont
la
car
mon égoïsme voix sourde
poings fermés annonçaient l'exaspération crois-
sante.
— Que m'eussiez-vous donc proposé, Morrel,
si
vous
m'aviez trouvée disposée à accepter votre proposition?
Voyons, répondez.
Il
mal,
un
—
il
faui.
f^onner
ne
s'agit pas
de dire vous
Est-ce sérieusement que vous
lentine, et dois-je le
faites
conseil.
donner ce conseil
— Certainement, cher Maximilien,
me ?
dites cela, Var
dites.
car
s'il
est bon, je
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. ^« sTùvrai
;
vous savez bien que
je suis
199
dévouée à vos
affections.
—
Valentine, dit Morrel en actievant d'écarter
un9
planche déjà disjointe, donnez-moi votre main en preuve
que vous
me
pardonnez
ma
bouleversée, voyez- vous,
colère
et
que
c'est
;
j'ai la tête
que depuis une heure
les
mon
es-
idées les plus insensées ont tour à tour traversé
Oh dans
prit.
où vous refuseriez mon
le cas
!
conseil I.-
— Eh bien!... ce conseil? — Le voici, Valentine. La jeune
leva les
fille
yeux au
ciel et
poussa un soupir.
— Je suis libre, reprit Maximilien, je suis assez riche pour nous deux;
vous jure que vous serez
je
ma femme
avant que mes lèvres se soient posées sur votre front.
— Vous me trembler — Suivez-moi, continua Morrel faites
ma
I
dit la jeune fille. ;
je
vous conduis chez
sœur, qui est digne d'être votre sœur; nous nous
embarquerons pour Alger, pour l'Angleterre ou pour l'Amérique, si vous n'aimez pas mieux nous retirer ensemble dans quelque province, où nous attendrons, pour revenir à Paris, que nos amis aient vaincu la résistance de votre famille. Valentine secoua la
— Je
m'y
attendais
tête. ,
Maximilien
,
dit-elle
:
c'est
un
conseil d'insensé, et je serais encore plus insensée que
vous
mot
si :
je
ne vous
arrêtais pas à l'instant
— Vous suivrez donc votre vous
avec ce seul
impossible, Morrel, impossible.
la fera, et
sans
même
fortune, telle
que
le sort
essayer de la combattre? dit
Morrel rembruni.
— Oui, dussé-je en mourir! — Eh bien Valentine, reprit Maximilien, je vous réI
péterai encore
que vous avez
raison.
Eu
effet, c'est raoi
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ÎOO
un
qui suis
fou,
et
vous
me
prouvez que
passion
la
avena-le les esprits les plus justes. Merci donc, à
qui raisonnez sans passion. Soit donc,
"eus
une chose
c'^sst
entendue; demain vous serez irrévocablement promise à
M. Franz d'Épinay, non point par
cette formalité
de
théâtre inventée pour dénouer les pièces de comédie, et
qu'on appelle
la
du
signature
mais par votre
contrat,
propre volonté.
— Encore une fois, vous Valentine
dit
dans lait
la plaie
un
—
;
I
encore une
me
fois,
Que feriez-vous,
conseil
comme
celui
désespérez, Maximilien,
vous retournez le poignard dites, si votre
Mademoiselle, reprit Morrel avec un sourire amer,
je suis
un
égoïste,
vous l'avez
d'égoïste, je ne pense pas à ce
dans
sœur écou-
que vous me donnez?
ma
position,
dit,
et
que
ma
dans
qualité
feraient les autres
mais à ce que je compte
faire,
pense que je vous connais depuis un an, que
j'ai
moi. Je mis, du
ai connue, toutes mes chances de bonheur amour; qu'un jour est venu où vous m'avez que vous m'aimiez que de ce jour j'ai ïAs toutes mes
jour où je vous sur votre lit
;
ihances d'avenir sur votre possession
ne pense plus rien maintenant je ;
les
:
c
était
me dis
ma
chances ont tourné, que j'avaic cru gagner
que je
l'ai
vie. Je
seulement que le ciel et
perdu. Cela arrive tous les jours qu'un joueur
perd non-seulement ce
qu'il a,
mais encore ce qu'il n'a pas.
Morrel prononça ces mots avec un calme parfait; Valentine le regarda
un
instant de ses grands
teurs, essayant do ne pas laisser pénétrer
yeux scruta-
ceux de Morrel
jusqu'au trouble qui tom-billonnait déjà au fond de soa cœur.
— Mais enfin, qu "Jlez-vous faire? demanda Valentine. — Je vais avoir l'honneur de vous dire adieu, Mademoiselle, en attestant Dieu, aui entend
mes
paroles bt
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. qai
au fond de mon cœur, que
lit
heureuse
vie as^ez calme, assez
n'y
^u'il
mon
pas place pour
ait
— Oh murmura Valentine. — Adieu, Valentine, adieu!
je
20
vous souhaite une
assez remplie pour
et
souvenir
f
— Où allez-vous?
cria
dit
Morrel en s'inclinanl
en allongeant sa main à
ira
vers la grille et en saisissant Maximilien par son habit la
jeune
que
fille
qui comprenait, à son agitation intérieure,
calme de son amant ne pouvait être réel
le
où
;
allez-
vous?
— Je vais m'occuper de ne point apporter un trouble nouveau dans votre
famille, et
pourront suivre tous les qui se trouveront dans
— Avant de me faire,
Maximilien
Le jeune
— Oh!
ma
et
dévoués
que vous
quitter, dites-moi ce
allex
?
homme
sourit tristement.
parlez, parlez
— Elle ne
1
dit
Valentine, je vous en prie!
peut changer, malheureux
s'écria la
I
jeune
Valentine secoua
la grille
crue incapable; et
— Qu'allez-vous t-elle
;
vous
le
save*
I
evec une force dont on
comme
passa ses deux mains à travers în se tordant les bras
I
fille.
— Alors, adieu, Valentine rait
honnêtes
position.
Votre résolution a-t-elle changé, Valentine?
— -
bien
donner un exemple que
hommes
Morrel
s'éloignait,
la grille, et les
1
aueli?
joignan
:
faire? je
veux
le
savoir
I
s'écria-
où allez-vous?
— Oh!
soyez tranquille,
a trois pas de la norte
;
mon
dit
Maximilien en s'arrêlanl
intention n'est pas de rendro
un autre homme responsable des rigueurs que le sort garde pour moi. Un autre vous menacerait d'aller trouver M. Franz, de le provoquer, de se battre avec
lui.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
g02
tout cela serait insensé. Qu'a à faire M. Franz dans tout
V m'a \a
cela?
ce matin pour la première
oublié qu'il m'a
vu;
il
ne savait
môme
fois,
a déjà
il
pas que j'existais
lorsque des conventions faites par vos deux familles ont décidé que vous seriez l'un à l'autre. Je n'ai donc point aflaire
à M. Franz,
et,
je
vous
ne m'en pren-
le jure, je
drai point à lui.
— Mais à qui vous en prendrez-vous? à moi —
A vous, Valcntine Oh
est sacrée; la
?
Dieu m'en garde La femme femme qu'on aime est sainte. !
1
!
— A vous-même alors, malheureux, à vous-môme? — C'est moi coupable, n'est-ce pas? Morrel. — Maximilien, Valentine, Maximilien, venez le
dit
dit
je le
ici,
veux!
Maximilien se rapprocha avec son doux sourire, n'était sa pâleur,
on eût pu
et,
dans son état ordi-
le croire
naire.
— Écoutez-moi, ma chère, mon adorée Valentine, il
de sa voix mélodieuse
et
grave, les gens
comme
dit-
nous»
qui n'ont jamais formé une pensée dont
ils aient eu à monde, devant leurs parents et devant gens comme nous peuvent lire dans le cœur
rougir devant le
Dieu
les
;
l'un de l'autre à livre ouvert. Je n'ai jamais fait de ro-
man,
ne suis pas un héros mélancolique, je ne
je
pose ni en Manfred ni en Anlony sans protestations, sans serments,
vous je
;
vous me manquez
vous
l'ai dit
manquez
et
et je
ma vie
vous
et
j'ai
mis
mon
est
vie en
est perdue.
me Du moment où vous vous
heureuse près de son mari
beau-frère, c'est-à-dire
ainsi,
répète; mais enfm vous
éloigne' de moi, Valentine, je reste seul au
sœur
ma
vous avez raison d'agir
le
me
mais sans paroles,
:
;
un homme que
Uous sociales attachent seules à moi
;
monde.
Ma.
son mari n'est que les
conven-
personne n'a donc
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
mon
besoin sur la terre de Voilà re que je ferai
:
205
existence devenue inutile.
j'attendrai jusqu'à
dernifre se-
:i3
conde que vous soyez mariée, car je ne veux pas perdre i'ombre d'une de ces chances inattendues que nous garde quelquefois le hasard, car enfin d'ici là M. Franz d'Épinay peut mourir; au moment où vous vous en approchetout semble rez, la foudre peut tomber sur l'autel croyable au condamné à mort, et pour lui les miracles :
rentrent dans la classe
du
possible dès qu'il s'agit
du
salut de sa vie. J'attendrai donc,dis-je, jusqu'au dernier
moment,
quand mon malheur sera
et
certain, sans re-
mède, sans espérance, j'écrirai une lettre confidentielle à mon beau-frère, une autre lettre au préfet de police pour leur donner avis de mon dessein et au coin de quelque ,
bois, sur le revers de fiviêre, je
suis le
me
fils
quelque fossé, au bord de quelque
ferai sauter la cervelle, aussi Trai
du plus honnête homme qui
ai
que
je
jamais vécu
en France.
Un tremblement lentine
;
elle
convulsif agita les
membres de Va-
lâcha la grille qu'elle tenait de ses deux
mais, ses bras retombèrent à ses côtés, et deux grosses
larmes roulèrent sur ses joues. Le jeune homme demeura devant
sombre
et ré-
vous vivrez,
n'est-
elle,
solu.
— Ohl par
pitié,
par
pitié, dit-elle,
pas?
— Non, sur mon honneur,
Maximilien; mais que
dit
vous importe à vous? vous aurez votre conscience vous restera. Valenti/^e
fait
votre devoir, et
tomba à genoux en étreignant son cœur, qui
se brisait.
—
Maximilien,
frère sur la terre,
dit-elle,
mon
Maximilien,
véritable
mon
époux au
ami, mo::
ciel, je t'en
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
20»
comme
prie, fais
moi, vis avec la souffrance
un jour
:
peut-êlre nous serons réunis.
— Adieu,
Valentine, répéta Morrel.
— Mon Dieu au fait
!
Valentine en levant ses deux mains
dit
avec une expression sublime, vous
ciel
pu pour rester
tout cequft j'ai
supplié, imploré;
supplications, ni
fille
mes
n'a écouté ni
il
mes
Eh
pleurs.
voyez,
le
soumise
mes
prières, ni
bien!
j'ai
j'ai prié,
:
continua-t-elle
en essuyant ses larmes et en reprenant sa fermeté, eh bien! je ne veux pas mourir de remords, j'aime mieux mourir de honte. Vous vivrez, Maximilien, à
personne qu'à vous.
A
et
jene
quelle heure? à quel
serai
moment?
est-ce tout de suite? parlez, ordonnez, je suis prête.
nouveau
Morrel, qui avait de s'éloigner, était
quelques pas pour
fait
revenu de nouveau,
cœur épanoui, tendant à
de joie,
et pâle
travers la grille ses
le
deux mains
à Valentine.
— Valentine, qu'il faut
me
chère amie, ce n'est point ainsi
dit-rt,
parler,
ou sinon
il
faut
me
laisser
Pourquoi donc vous devrais-jeàla violence,
mez comme humanil
i,
— Au
murmura
î? lui.
Qui m'a consolée de toutes mes douleurs?
ma vue
égarée, sur qui repose
lui, lui,
toujours lui.
f.anglotant, tout!...
Miais
Eh
mon cœur
s'arrête
saignant
?
sur
bien! tu as raison à ton tour;
te suivrai,
ingrate
uelle, tout.
que
je quitterai la
je suis
même mon
I
maison pater
s'écria Valentine en
bon grand-père que
j'ou-
!
— Noii, tier
mieux mourir.
Valentine, qui est-ce qui m'aime
Sur qui reposent mes espérances, sur qui
Maximilien, je
mourir.
vous m'ai-
vous aime? Me forcez-vous à vivre par
voilà tout? en ce cas j'aime
fait,
au mond lui.
je
si
dit
Maximilien, tu ne
a p^ru éprouver, dis-tu, de
\ô quitteras pas. la
M. Noir-
sympathie pour moi
:
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. eh bien! avant de
égide devant Dieu de son consentement mariés,
viendra avec nous
ii
aura deux.
Tu m'as
au
:
comment
dit
20?;
;
puis, aussitôt
lieu d'un enfant, il
une
tout; tu te feras
fuir tu lui diras
te parlait et
il
ec
comment
tu lui répondais; j'apprendrai bien vite cette langue tou
chante des signes, va, Valentine. Ohl je lieu
du désespoir qui nous
je te
promets
— Oh
I
regarde
!
Maximilien
,
puissance sur moi, tu tu
car
jure, au bonheur que
te le
attend, c'est le
me
,
regarde quelle est ta
presque croire à ce que
fais
me dis, et cependant ce que tu me dis est insensé, mon père me maudira, lui car je le connais, lui, le ;
cœur
inflexible, jamais
tez-moi, Maximilien,
si
il
par
moi?
cident,
que
conque
je puis retarder
n'est-ce pas
— Oui,
sais-je,
ne pardonnera. Aussi, écouartifice,
le
par prière, par ac-
un moyen quel-
enfin par
si
mariage, vous attendrez,
?
je le jure,
cet affreux mariage
comme vous me
jurez, vous,
ne se fera jamais,
et
trainât-on devant le magistrat, devant le prêtre, direz
que
que, vous
vous
non?
— Je
te le jure,
Maximilien, par ce que
sacré au monde, par
ma mère
j'ai
de plus
î
— Attendons Morrel. — Oui, attendons, reprit Valentine, alors, dit
qui respirait à ce
mot il y a tant de choses qui peuvent sauver des malheureux comme nous. Je me fie à vous, Valentine, dit Morrel, tout ce que ;
—
vous ferez sera bien
à vos
Drières,
si
fait;
seulement,
votre père,
si
si
madame
l'on passe outre
de Saint-Méran
exigent que M. d'Épinay soit appelé demain à signer contrat...
— Alors, vous avez ma parole, TUM£
IV.
Morrel 12.
le
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Î06
— Au lieu designer... — Je viens vous rejoindre et nous là,
ne tentons pas Dieu, Morrel
;
rayons; mais
d'ici
ne nous voyons pas
:
c'est tin miracle, c'est
une providence que nous n'ayons
pas encore été surpris
;
vait
si
nous étions surpris,
comment nous nous voyons, nous
si
l'on sa-
n'aurions plus
aucune ressource.
— Vous avez
;
mais comment sa-
— Par notaire, M. Deschamps. — Je connais. — Et par moi-môme. Je vous
donc
raison, Valenline
voir... le
le
écrirai, croyez-le
bien.
Mon Dieul
odieux qu'à vous
—
ce mariage, Maximilieu, m'est aussi !
Bien, bien! merci,
Morrel. Alors tout est j'accours
ici,
dit,
ma une
Valentine adorée, reprit fois
que
ais l'heure,
je
vous franchissez ce mur dans mes bras
:
la
une voiture vous attendra à la porte de l'enclos, vous y montez avec moi, je vous conduis chez ma sœur là, inconnus si cela vous convient»
chose vous sera
facile
;
;
faisant éclat
si
de notre force
vous et
le
désirez,
nous aurons
conscience
la
de notre volonté, et nous ne nous
comme
serons pas égorger
lais-
l'agneau qui ne se défend
qu'avec ses soupirs.
—
Soit,
dit
Valenline; à votre tour je vous dirai
Maximilien, ce que vous ferez sera bien
— Oh! — Eh bien!
êtes-vous content de votre
tristement la jeune
— Ma Valentine
:
fait.
femme'
dit
fllle.
adorée, c'est bien peu dire que dire
oui.
—
Dith5 toujours.
Yaleuuae
s'était
approchée, ou plutôt avait approcbé^
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. ses lèvres de la
207
grille, et
ses paroles glissaient, avec son parfumé, jusqu'aux lèvres de Morrel, qui collai; sa bouche de l'autre côté de la froide et inoxoraole clôsouffla?
ture.
— Au revoir,
dit Valentine, s'aiTachant à ce
bonheur,
au revoir?
— J'aurai une de vous — Oui. — Merci, chère femme! au revoir. lettre
Le
?
bruit d'un baiser innocent et
perdu
retep'.ic, et
Va-
lentine s'enfuit sous les tilleuls.
Morrel écouta les derniers bruits de sa robe frôlant les charmilles, de ses pieds faisant crier le sable, leva les
yeux au îe ciel
ciel
de ce
avec un ineffable sourire pour remercier qu'il permettait qu'il fût
aimé
ainsi, et dis-
parut à son tour.
Le jeune homme rentra chez lui et attendit pendant tout le reste de la soirée et pendant toute la journée du lendemain sans rien recevoir. Enfln, ce ne fut que le surlendemain, vers dix heures du matin, comme il allai! s'acheminer vers M. Deschamps, notaire, qu'il reçut par la
poste
un
petit billet qu'il
tine, quoiqu'il n'eût Il
«
était
reconnut pour être de Valen-
jamais
vu son
conçu en ces termes
écriture.
:
Larmes, supplications, prières, n'ont rien
pendant deux heures,
j'ai
fait.
Hier.
été à l'église Saint-Philippe
du Roule, et pendant deux heures j'ai prié Dieu du fond de l'âme; Dieu est insensible comme les hommes, et la signature du contrat est fixée à ce soir, neui heures. «
je n""! qu'une parole
comme
je n'ai
Morrel, et cPtte parole vous est engagée
TOU?l
:
qu'un cœur, ce cœur esta
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.^
208 «
Ce
à^euf
soir donc,
heures moins un quart, à
la
grille.
Voire femme,
•
Valentine de Villefort.
«
—
P. S.
plus mal
Ma pauvre grand'mère va de
a
plus mal en
son exaltation est devenue du délire
hier,
;
aujourd'hui son délire est presque de la
:
folie.
Vous m'aimerez bien, n'est-ce pas, Morrel, pour me que je l'aurai quittée en cet état? « Je crois que l'on cache à grand- papa Noirlier que la signature du contrat doit avoir lieu ce soir. » «
faire oublier
Morrel ne se borna pas aux renseignements que lui
donnait Valentine;
il
chez
alla
le notaire,
qui lui con-
firma la nouvelle que la signature du contrat était pour
neuf heures du Puis
en sut
soir.
passa chez Monte-Cristo
il
le
plus
Franz
:
lennité; de son côté,
comte pour mais
la
le prier
;
venu
madame
ce fut encore là qu'il
lui
veuve
de l'excuser
tristesse
dont
elle
comte, auquel veille,
jetaient sur
annoncer cette so-
de Villefort avait écrit au si
elle
mort de M. de Saint-Méran
vait sa
La
était
cette
ne
l'invitait point;
et l'état
ne voulait pas assombrir
elle souhaitait toute sorte
Franz avait été présenté à
Méran, qui avait quitté
le
lit
pour
où se trou-
réunion un voile de le front
du
de bonheur.
madame
de Saint-
cette présentation, ci
qui s'y était remise aussitôt. Morrel, la chose est facile à comprendre, était dans état d'agitation qui
perçant que fut-il
pour
l'était l'œil
du comte; aussi Monte-Cristo que jamais; si affectueux,
pius affectueux
(Uk
que deux ou
un
ne pouvait échapper à un œil aussi
trois fois
lou. dire. Mais
il
Maximilien fut sur
se rappela la
)e |;:.jmt
de lu
promesse formelle donnée
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. à Valentine,
relut vingt
à quelle occasion
et
sait cette
lettre,
dans
!
A chaque
courageuse
de
la part
!
lui-même
à
effet,
quelle
qui prend une résolution
quel dévouement ne mérite-t-elle pas de
celui à qui elle a tout
doit être réellement
et l'on n'a point
Comme
sacrifié!
pour son amant
digne objet de son culte! C'est à
femme,
la
qu'elle lui
fois qu'il reli-
serment de rendre Valentine heureuse. En fille
journée
la
fois
Maximilien se renouvelait
autorité n'a pas la jeune si
fois
àe Valentine. C'était la première
écrivait,
201
son secret resta au fond de son cœur.
homme
Le je^ne lettre
le
et
le
premier
la reine et la
la fois
assez d'une
elle
et le plus
âme pour
remer-
la
cier et l'aimer.
Morrel songeait avec une agitation inexprimable à c«
moment où Valentine arriverait en disant Me voici, Maximilien; prenez-moi.
:
—
organisé
avait
Il
toute
avaient été cachées dans
la
deux
fuite;
cette
que devait conduire Maximilien lui-même,
attendait; pas
de domestique, pas de lumière; au détour de
rue on allumerait des lanternes, car par
un
échelles
luzerne du clos; un cabriolet,
surcroît de précautions,
il
ne
la
première
fallait point,
tomber entre
les
mains
de la police.
De temps en temps des frissonnements tout le corps de Morrel 'aîte
et
où
de ce mur, il
il
il
pa?iâient par
songeait au ""i^oment où,
du
protégerait la descente de Valentine,
sentirait tremblante et
celle dont quv» le
il
;
abandonnée dans ses bras,
n'avait jamais pressé
que
la
main
et baisé
bout du doigt.
Mais quand vint l'après-midi, quand Morrel l'heure s'approcher,
il
éprouva
le
son sang bouillait, les simples questions,
d'un ami l'eussent
irrité;
il
sentit
besoin d'êtrb seul; la
seule vcix"
se renferma chez lui, es^
LE COMTE DE MONTE-nUISTO.
210
sayaiit de lire
mais son regard
;
y rien comprendre, et
revenir a dessiner, pour la deuxième échelles et sor.
pages sans pour en
glissa sur les
unit par jeter son livre,
il
foi9,
son plan,
se.'
'••los.
Enfin l'heure s'approcha.
Jamais homrat bien amoureux n'a laissé faire
horloges
les
paisiblement leur chemin; Morrel tourmenta
les siennes, qu'elles finirent par
demie à six heures.
Il
se dit alors qu'il était
que neuf heures
partir,
était
si
bicK
marquer huit heures
et
temps de
bien effectivement l'heure
de la signature du contrat, mais que, selon (oute probaValentine n'attendrait pas cette signature inutile
bilité,
en conséquence, Morrel, après être parti de
la
;
rue Meslay
à huit heures et demie à sa pendule, entrait dans le clos
comme huit
heures sonnèrent à Saint-Philippe du Roule.
Le cheval et le cabriolet furent cachés derrière une petite masure en ruines dans laquelle Morrel avait l'habitude de se cacher.
Peu à peu
le
jour tomba, et les feuillages du jardin se
massèrent en grosses touffes d'un noir opaque. Alors Morrel sortit de la cachette et vint regarder,
?œur
palpitant,
au trou de
la grille
:
il
le
n'y avait encore
personne.
Huit
fi.îures et
Une demi
;
demie sonnèrent.
°ure s'écoula à attendre; Morrel se pro-
menait de long en large; puis, à des intervalles toujours plus rapprochés, venait appliquer son œil
aux planches.
Le jardin s'assombrissait de plus en plus; mais dans l'obscurité on cherchait vainement la robe blanche dans le silence on écoutait inutilement le bruit des pas. ;
La maison qu'on apercevait à travers restait
sombre,
et
les
feuillages
ne présentait aucun des caractères
d'une maison qui s'ouvre nour un événement aussi im-
LE COMIE DE MONTE-CRISTO. poilant que
2H
une signature du contrat de mariage.
l'est
Morrel consulta sa montre, qui sonna neuf heures quarts
;
mais presque aussitôt
loge, déjà entendue
de
la
deux ou
cette
même
C'était déjà
une demi-heure
lentine n'avait fixée
heures,
même
et
demie
d'attente de plus
elle-même
:
que Vaneuf
avait dit
elle
plutôt avant qu'après.
Ce fut le moment
homme,
Terreur
trois fois, rectifia
montre en sonnant neuf heures
trois
voix de l'hor-
le
plus terrible pour
le
cœur du jeune
comme un
sur lequel chaque seconde tombait
marteau de plomb.
Le plus
faible bruit
du
vent appelaient son oreille
feuillage
,
son front; alors, tout frissonnant,
il
moindre
le
et faisaient
monter
la
cri
du
sueur à
assujettissait son
«chelle, et pour ne pas perdre de temps, posait le pied
sur le premier échelon.
Au
milieu de ces alternatives de crainte
au miheu de ces dilatations
et
et d'espoir,
de ces serrements de cœur,
dix heures sonnèrent à l'église.
— Oh
I
murmura Maximilien avec
terreur,
il
est ira-
possible que la signature d'un contrat dure aussi long-
temps, à moins d'événements imprévus; les
chances, calculé
malités,
il
Et alors
s'est ,
le fer glacé.
j'ai
pesé toutes
temps que durent toutes
les for-
passé quelque chose.
tantôt
la grilla, tantôt
le
il
il
se promenait avec agitation devant
revenait appuyer son front brûlant sur
Valentine s'était-elle évanouie après
le
con-
ou Valentine avait-elle été arrêtée dans sa fuite? C'étaient là les deux seules hypothèses où le jeune homme pouvait s'arrêter, toutes deux désespérantes. trat,
L'idée à laquelle
môme
il
la lorce avait
s'arrêta fut
manqué
qu'au milieu Je sa
fuite
à Valentine, et qu'elle était
iombée évanouie au milieu de quelque
allée.
LE COMIE DE MONTE-CRISTO.
912
—
Oh!
en
s'il
est ainsi,
haut de l'échelle, je
Le démon qui plus, et
qui
fait
par
lui avait soufflé cette
bourdonna à son
en s'élançant aa
s'écria-t-il
la perdrais, et
oreille
ma
faute
pensée ne
I
le
quUia
avec cette persistance
que certains doutes, au bout d'un
instant, par la
du raisonnement, devionnent des convictions. Ses
force
yeux, qui cherchaient à percer l'obscurité croissante, croyaient sous la sombre allée apercevoir sant bla
Aforrel se hasarda jusqu'à appeler, et
;
que
vent apportait jusqu'à
le
lui
une
un objet giil lui sem-
plainte inarti-
culée.
Enfin la demie avait sonné à son tour sible de se les
borner plus longtemps, tout
tempes de Maximilien battaient avec
ges passaient devant ses
yeux
;
il
;
force, des
enjamba
il
impos-
était
était siipposable;
le
nua-
mur
et
sauta de l'autre côté. Il il
était
chez Villeforl,
il
venait d'y entrer par escalade
;
songea aux suites que pouvait avoir une pareille ac-
mais
tion,
En un point
où
il
n'était
instant il
était
il
pas venu jusque-là pour reculer. fut à l'extrémité
de ce massif.
parvenu on découvrait
la
Du
maison.
Alors Morrel s'assura d'une chose qu'il avait déjà soup-
çonnée en essayant de glisser son regard à travers
les
qu'au lieu des lumières qu'il pensait voir
arbres
:
briller
à chaque fenêtre, ainsi qu'il est naturel aux jours
c'est
de cérémonie,
il
ne
vit rien
que
la
masse
grise et voilée
encore par un grand rideau d'ombre que projetait un
Duage immense répandu sur
Une lumière due,
Ces
et passait
la lune.
courait de temps en temps
devant
trois
fenêtres
trois fenêtres étaient celles
comme
du premier
éperétage.
de l'appartement de nu-
dame de Saint-Méran. Une autre lumière restait immobile
derrière des rt*
nz
LE COMTE DE MONTE-CRISTO, deaux rouges. Ces rideaux
madame
à coucher de
étaient
s'était fait
il
Le jeune homme
il
fois,
du
lentine en pensée à toute heure
que, sans l'avoir vue,
la
chambre
de Villefort.
Morr»' devina tout cela. Tant de
disons-nous,
ceux de
pour suivre Va-
jour, tant de fois,
plan de cette maison,
faire le
la connaissait.
fut encore plus
épouvanté de celte
obscurité et de ce silence qu'il ne l'avait été de l'absence
de Valenline.
Éperdu, fou de douleur, décidé à tout braver pour
du malheur
voir Valenline et s'assurer
quel qu'il
Morre! gagna
fût,
la iisicre
re-
qu'il pressentait,
du massif,
et s'ap-
prêtait à traverser le plus rapidement possible le parterre,
complètement découvert
encore assez éloigné, mais que
,
quand un son de voix
le
vent
lui apportait, par-
vint jusqu'à lui.
A du
ce bruit
il
feuillage,
immobile
et
fit
il
par
compagnée, fui était il
et
demeura
si c'était
:
la verrait
au moins si
si
Valenline seule,
il
Valenline était ac-
et s'assurerait qu'il
ne
c'étaient des étrangers,
quelques mots de leur conversation
et arrive-
à comprendre ce mystère incompréhensible jusque-là.
La lune la
il
était prise
un mot au passage;
arrivéaucun malheur;
saisirait
rait
arrière; déjà à moitié sorti
enfonça complètement
muet, enfoui dans son obscurité.
Sa résolution l'avertirait
un pas en
s'y
alors sortit
du nuage qui
la cachait, et,
sur
porte du perron, Morrel vit apparaître Villefort, suivi
d'un
homme
vôtu de noir.
Ils
et s'avancèrent vers le massif.
pas que, dans cet
connu
fe
homme
descendirent les marches
Us n'avaient pas
fait
vôtu de noir, Morrel
quatre
^vait re-
docteur d'Avrigny.
Le jeune homme, en les voyant venir à lui, recula macLmalement devant eux jusqu'à ce qu'il rencontra i9
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
•V5
tionc d'un sycomore qui il
fut forcé
faisait le centre
d'un massif;
ia
de s'arrêter.
Bientôt le sable cessa de crier sous les pas des deux
promeneurs. "- Ah cher docteur, se
me
profonde
consoler
;
quel coup de foudre
!
hélas
!
la plaie est trop
I
Une sueur Villefort
lui-même
était
disait
homme
du jeune
froide glaça le front
mort dans
cette
trCj)
et
fit
maison
maudite?
— Mon cher monsieur de Villefort, répondit un accent qui redoubla homme, je ne vous ai point amené
cin avec
ler,
N'essaye."
vive et
Morte, mortel
I
claquer ses dents. Qui donc
que
roi, Voici le
déclare décidément contre notre maison.
Quelle horrible mort pas de
procureur du
dit le
I
qui
îiel
la terreur ici
le
méde-
du jeune
pour vous conso-
tout au contraire.
—
Que voulez-vous
demanda
dire ?
procureur du
le
roi, effrayé.
— Je vous
veux
arriver,
dire que, derrière le il
en
est
un
malheur qui vient de
autre plus grand encore peut-
être.
— Ohl
mon
Dieu! murmura Villefort en joignant
mains, qu'allez-vous
me
— Sommes-nous bien —
Oh
!
— vous
seuls,
oui, bien seul. Mais
précautions Elles
mon ami que
?
signifient toutes ces
?
signifient
faire, dit le
Villefort
les
encore?
dire
que
docteur
tomba plutôt
j'ai :
une confidence
terrible à
asseyons-nous.
qu'il
ne
s'assit
sur un banc. Le
une main posée sur son épaule. Morrel, glacé d'effroi, tenait d'une main son front, docteur resta debout devant
lui,
de l'autre comprimait son cœur, dont entendit les battements.
il
craignait qu'on
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Morte,
morte
dans sa pensée avec
répétait-il
I
^15 la
voix de son cœur. Et lui-même se sentait mourir.
— Parlez, docteur, j'écoute,
dit Villefort;
frappez, je
suis préparé à tout.
— Madame de Saint-Méran mais
elle jouissait
était
bien âgée sans doute,
d'une santé excellente.
Morrel respira pour la première
depuis dix mi-
fois
nutes.
— Le chagrin docteur
près du marquis
— Ce
;
oui, le chagrin,
I...
Le chagrin peut
mais
il
mon
Villefort qu'il avait
cher Villefort,
quoique
il
les il
dit le
cas soient
ne tue pas
ne tue pas en dix minutes.
ne répondit rien
;
seulement
tenue baissée jusque-là,
avec des yeux
Vous
tuer,
ne tue pas en un jour, mais
en une heure, mais
—
dit Villefort
n'est pas le chagrin,
docteur. rares,
tuée,
l'a
Cette habitude de vivre depuis quarante ans
!
et
il
leva la tête
regarda
le
doctem
effarés.
êtes resté
pendant l'agonie? demanda
là
M. d'Avrigny.
— Sans m'avez
doute
dit tout
,
répondit
— Avez-vous remarqué madame
—
le
procureur du
roi
vous
;
bas de ne pas m'éloigner. les
symptômes du mal auquel
de Saint-Méran a succombé
Certainement madame ;
?
de Saint-Méran a eu trois
attaques successives à quelques minutes les unes des autres, et à chaque fois plus rapprochées et plus graves.
Lorsque vous êtes arrivé, déjà depuis quelques minutes elle eut alo's une
madame de Sant-Méraa était haletante crise je
m
;
une simple attaque de nerfs mais commençai à m'effrayer réellement que lorsque je
que
je pris po
-jir
la vis se soulever sur
son lit, le; membres
;
et le c<ai tendus.
LE COJITE HE MONTE-CRISTO.
21 fi
Alors, a voire visage, je compris que la chose étaii pltts
grave que
[e
vos yeui
mais je ne
ne
le croyais.
La
crise passée, je c.'ierchai
les rencontrai pas.
Vous
teniez le
pouls, vous en comptiez les battemeuts, et la seconde
que vous ne vous
crise parut,
mon
de
côté. Celle
première
bouche se contracta
duisirent, et la
A
encore retourné
mêmes mouvements nerveux
les
:
étiez pas
seconde crise fut plus terrible que
et
devint violette.
la troisième elle expira.
Déjà, depuis la fin de la première, j'avais reconnu
me
tétanos; vous
-
ma
Oui, devant tout le monde, reprit
sommes
ment par mêmes.
;
mais
me dire, mon Dieu? symptômes du tétanos et de l'empoisonne-
M. de
les
matières végétales sont absolument lea
les
Villeforl se dressa sur ses pieds; puis, après
instant d'immobilité et de silence,
— Oh! mon Dieu me
ce que vous
I
docteur,
dit le
ma déclaration demanda
A
un
retomba sur son banc.
dit-il,
songez-vous bien à
s'il
un rêve ou
faisait
s'il
veillait.
docteur, je connais l'importance de
et le caractère
— Est-ce au
il
dites là?
Morrel ne savait pas
— Écoulez,
—
docteur
le
seuls.
Qu'allez-vous
— Que
entre
le
confirmâtes dans celte opinion.
ntenant nous
—
la
se repro-
de l'homme à qui je
la fais.
magistral ou à l'ami que vous parlez
î
Villeforl.
l'ami
les
,
moment
à l'ami seul en ce
symptômes du
tétanos et les
;
les rapports
symptômes de
l'empoisonnement par les substances végétales sont tellement identiques que s'il me fallait signer ce que je ,
dis là, je
vous déclare que
j'hésiterais. Aussi, je
répète, ce n'est point au magistral
i l'ami. Kh bien à I
Vsjaai
ie dis
:
que
vous
le
je m'adres5e, c'est
pendant les
trois
quarts
LE COMTE d'heure qu'elle a duré
,
Ui.
MONTE-CRISTO.
j'ai
étudié l'agonie
madame
sions, la mort de
do Saint-Méran
U7
les
,
convul-
bien
dans non-seulement madame de Saint-Méran est morte empoisonnée, mais encore je dirais, oui, je di-
ma
conviction
;
eli
!
,
rais quel poison
l'a
tuée,
— Monsieur Monsieur — Tout y est, voyez-vous: I
I
somnolence interrompue
par des crises nerveuses, surexcitation du cerveau peur des centres. Madame de Saint-Méran a
,
tor-
succombé
i
une dose violente de bracine ou de strychnine, que par hasard sans doute , que par erreur peut-être on lui .a ,
ad.ministrée. Villefort saisit la
main du docteur.
— Oh! c'est impossible! dil-il,je rêve, mon Dieu! je rêve
C'est effroyable d'entendre dire des
I
à up
reilles
homme comme vous
I
choses pa-
Au nom du
ciel, je
vous en yapplie, cher docteur, dites-moi que vous pouvez vous tromper !
— Sans doute, je — Mais?... —
le
puis, mais...
Mais, je ne le crois pas.
— Docteur,
prenez pitié di moi; depuis quelques m'arrive tant de choses inouïes, que je crois à la possibilité de devenir fou.
jours
—
il
Un
Méran
auvre que
moi
a-t-il
vu madame de Saint-
?
— Personne. — A-i-on envoyé
chez le pharmacien quelque ordonnance qu'on ne m'ait pas soumise? Aucune.
— — Madame de Saint-Méran avait-elle des ennemis? — Je ne en connais pas. lui
— Quelqu'un TOME
IV.
avaii-il intérêt
à sa morlr
4|
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
94 s
— Mais
non,
pensée aie pouvait venir,
mon cœur
d'avoir
ma
Dieul mais non;
mon
seule héritière, Valentine seule...
pu un
me
je
Oh
est 3^
fille
une
si
I
pareille
poignarderais pour punir
seul instant abriter
une
pareille
pensée.
— Oh!
son tour M. d'Avrij,ny, cher ami, à j'accuse quelqu'un je ne parle que que Dieu ne plaise bien d'une erreur. Mais comprenez-vous accident, d'un s'écria à
,
,
accident
ou
conscience
erreur, le ,
et qui
qui parle tout bas à
fait est là
veut que
ma
ma
conscience vous parle
tout haut. Informez-vous.
— A qui? comment? de quoi — Voyons Barrois, vieux domestique, ne se serait?
le
:
pas trompé,
il
et n'aurait-il
madame
pas donné à
de Saint-
quelque potion préparée pour son maître?
Méran Pour mon père
— — Oui. — Mais comment une potion préparée peut-elle
tier
?
empoisonner madame
— Rien de plus simple
:
pour M. Noir-
de Saint-Méran?
vous savez que dans certaines
la paralysie maladies les poisons deviennent un remède trois mois, depuis près pe,u A maladies-là. ces est une de ;
pour rendre par exemple, après avoir tout employé
le
mouvement et la parole à M. Noirtier, je me suis décidé mois dis-je je à tenter un dernier moyen depuis trois ,
;
le traite
par la brucine
;
ainsi
,
dans
la
,
dernière potion
commandée pour lui il en entrait six centigrammes six centigrammes, sans action sur les organes
que
,
j'ai
;
paralysés de M. Noirtier, et auxquels d'aill'^urs
il
s'est
acco,ulumé par des doses successives, six ceuiigrammes sufliseni
pour tuer toute autre personne que lui. communication il n'y a aucune
— Mon cher docteur
entre l'appartement de
,
M Noirtier «t
celu» de
madame
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
21»
ma
de Saint-Méran, et jamais Barrois n'entrait chez
belle-mère. Enfin, vous le dirai-je, docteur, quoique je
vous sache l'homme
le
plus habile et surtout
le
plus cons-
ciencieux du monde, quoiqu'en toute circonstance votre parole soit pour moi
de
la
lumière du
un flambeau qui me guide à
soleil
,
eh bien
,
l'égal
docteur , eh bien
j'ai
!
besoin, malgré cette conviction, de m'appuyer sur cet
axiome, errare humanum
— Écoutez, Villefort,
est.
dit le
un de
docteur, existe-t-il
mes confrères en qui vous ayez moi?
autant de confiance qu'en
— Pourquoi cela, dites? où voulez-vous en venir? — Appelez-le, je ce que vu, ce que lui dirai
j'ai
j'ai
remarqué, nous ferons l'autopsie.
— Et vous trouverez des traces du poison? — Non, pas du poison je pas cela, mais noua n'ai
,
dit
du système nerveux, nous reconnaîtrons l'asphyxie patente incontestable et nous constaterons l'exaspération
,
vous dirons
:
Cher
Villefort, si c'est
,
par négligence que
chose est arrivée, veillez sur vos serviteurs;
la
si
c'est
par haine, veillez sur vos ennemis.
— Oh!
mon
gny? répondit
un
Dieul que
me
proposez-vous là, d'Avri-
Villefort abattu;
du moment où
y aura
il
autre que vous dans le secret, une enquête deviendra
nécessaire, et tant,
continua
une enquête chez moi impossible le
regardante médecin avec inquiétude, pourtant voulez,
si
Pour-
I
procureur du roi en se reprenant
vous l'exigez absolument,
si
je le ferai.
et eu
vous U
En
effet,
mon caractère me le commande. Mais, docteur, vous me voyez d'avance pénétré de tristesse ^troduire dans ma maison tant de scandale après tant de douleur Ohî ma femme et ma fille en mourront; et moi, moi, docteur, vous le
peut-être dois-je donner suite à cette affaire;
•
!
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
J80 savez,
un homme n'en
où
arrive pas
du
n'a pas été procureur
j'en suis,
un homme
vingt-cinq ans sans s'être
roi
amassé Don nombre d'ennemis;
miens sont nom-
les
breux. Cette affaire ébruitée sera pour eux un triomphe qui les fera tressaillir de joie
,
et
moi
me
couvrira de
honte. Docteur, pardonnez -moi ces idées mondaines. Si
TOUS
un
étiez
hommes
prêtre, je n'oserais vous dire cela
homme
vous êtes un
,
docteur, docteur, vous ne
;
;
mais
mais vous connaissez les autres
m'avez rien
dit,
n'est-ce pas?
— Mon
cher monsieur de Villefort
répondit le doc-
,
mon premier devoir est l'humanité. J'eusse sauvé madame de Saint-Méian si la science eût eu le
teur ébranlé,
pouvoir de
le faire
,
mais
morte
elle est
,
je
me
dois
aux
vivants. Ensevelissons au plus profond de nos cœurs ce terrible secret. Je permettrai
,
yeux de quelques-
les
si
uns s'ouvrent là-dessus qu'on impute à mon ignorance ,
que
le silence
j'aurai gardé.
chez toujours
Cependant, Monsieur, cher-
cherchez activement
,
,
car peut-être cela
quand vous aurez trouvé le coupable, si vous le trouvez, c'est moi qui vous dirai Vous êtes magistrat, faites ce que vous voudrez ne
s'arrêtera-t-il point là... Et
;
!
— Oh
merci
!
joie indicible
,
,
merci
,
dit Villefort avec une eu de meilleur ami que
docteur
je n'ai jamais
I
vous. Et
comme
eût craint que le docteur d'Avrigny ne
s'il
revint sur cette concession, teur Ils
du côté de
se leva et entraîna le doc-
s'éloignèrent.
Morrel têit
il
maison.
la
du
eût pu
,
comme
s'il
taillis, et la le
eût eu besoin de respirer, sortit sa
lune éclaira ce visage
si
pâle qu'on
prendre pour un fantôme.
— Dieu me
protège d'une manifeste mais terrible (a-
LE r.OMTE DE MONTE-CRISTO. çon
Mais Valentine, Valentinel pauvre amie!
dit-il.
,
221
résistera t-elle à tant de douleurs ?
En nêtre
disant ces mots
regardait alternativement la fe-
il
,
aux rideaux rouges
aux rideaux
et les trois fenêtres
blancs.
La lumière avait presque complètement disparu de la aux rideaux rouges. Sans doute madame deVil-
fenêtre lefort
venait d'éteindre sa lampe
envoyait son
A
l'extrémité
une des
aux
reflet
trois
placée sur la
et la veilleuse
,
seule
vitres.
du bâtiment, au
contraire,
vit s'ouvrit
il
aux rideaux blancs. Une bougie cheminée jeta au dehors quelques rayons fenêtres
de sa pâle lumière
une ombre
et
,
vint
un
instant s'ac-
couder au balcon. Morrel frissonna
lui
il
;
semblait avoir entendu
us
sanglot. Il n'était
courageuse
et si forte,
deux plus
les
âme
pas étonnant que cette
ordinairement
maintenant troublée
fortes des passions
et exaltée
si
par
humaines, l'amour
et
se fût affaiblie au point de subir des hallucina-
la peur,
tions superstitieuses.
comme
Quoiqu'il fût impossible, caché
Vœil de Valentine par l'ombre de
la
son cœur ardent nait
une
le
distinguât
fenêtre
;
il
il
réalité irrésistible, et, il
l'était,
que
crut se voir appeler
son esprit troublé
le lui répétait. Cette
hensibles élans de jeunesse, et
,
le lui disait,
double erreur deve-
par un de ces incompré*
bondit hors de sa cachette,
en deux enjambées, au risque d'être vu, au risque Valentine, au risque dfc donner révei\ par
d'effrayer
quelque
cri
involontaire échappé à la jeune
que
la
gagnant
la
chit ce parterre
un
lac
,
et,
s'étendait devant la
lune
faisait large et
fille, il
blanc
fran-
comme
rangée de caisses d'orangers qui
maison
il
atteignit les
marches du
LE COrTE DE MONTE
tî2
perron, qu'il monta rapidement
'ÎIRISTO.
poussa
et
,
la porte
qui
,
s'ouvrit sans résistance devant lui.
Valentine ne l'avait pas vaient
un nuage
forme
était celle
vu
yeux levés au
ses
;
ciel sui-
d'argent glissant sur l'azur, et dont
d'une ombre qui monte au
esprit poétique et exalté lui disait
que
ciel
la
son
;
l'àme de sa
c'élait
grand'mère.
Cependant
Morrel avait traversé
,
trouvé la rampe de l'escalier
;
l'antichambre et
des tapis étendus sur les
marches assourdissaient son pas
d'ailleurs Morrel en
:
à ce point d'exaltation que
était arrivé
la
présence de
M. de Villefort lui-même ne l'eût pas effrayé. Si M. de fût présenté à sa
Villefort se
prise
vue, sa résolution
amour qui
priant d'excuser et d'approuver cet
à sa
et sa
fille,
à lui
fille
Par bonheur
Ce
il
ne
il
;
comme,
;
arrivé là,
il
iMorrel était fou.
que
cette connaissance qu'il avait
du plan
il
au haut de
un
s'orientait,
indiqua
lui
se retourna
le
une porte
;
maison
intérieur de la
arriva sans accident
connut l'expression suivre
;
le
l'unissait
personne.
vit
fut alors surtout
prise par Valentine servit
était
s'approchait de lui et lui avouait tout, en
il
:
l'escalier
sanglot dont
chemin
il
lui ,
et
re-
qu'il avait a
entre-bàillée laissait
arriver à lui le reflet d'une lumière et le sou de la voix
gémissante.
Au
11
poussa cette porte
fond d'une alcôve
,
sous
vrait sa tète et dessinait sa
effrayante encore lion
A
du
le
et entra.
drap blanc
forme,
du
lit,
à genou-x
,
fait
la tête
qm
recou-
morte, plus
aux yeux de Morrel depuis
secret dont le hasard l'avait
l'ôté
gisait la
la révéla-
possesseur.
ensevelie dans les
ccissins d'une large bergère, Valentine, frissonnante ei
Rouievée par les sanglots, étendait au-dessus de sa tète qu'on ne voyait pas, ses deux mains jointes et roidies.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
223
Elle avait quitté la fenêtre restée ouverte, et priait tout
haut avec des accents qui eussent touché insensible
la parole s'échappait
-,
incohérente,
cœur
le
plus
le
de «es lèvres, rapide,
inintelligible, tant la
douîcir serrait sa
gorge de ses brûlantes étreintes.
La lune,
glissant à travers l'ouverture des persiennes,
faisait pâlir la
lueur de la bougie,
et azurait
de ses teintes
funèbres, ce tableau de désolation.
Morrel ne put résister à ce spectacle;
d'une piété exemplaire,
il
n'était pas facile
ner, mais Valentine souiïrant, pleurant,
pas
n'était
il
à impressionse tordant les
bras à sa vue, c'était plus qu'il n'en pouvait supporter
en silence. tête
Il
poussa un soupir, murmura un nom,
noyée dans
une
fauteuil,
les pleurs et
et la
velours du
le
de Madeleine du Corrége, se releva
tête
demfodra tournée vers Valentine
marbrée sur
lo vit et
et
lui.
ne témoigna point d'étonnement.
un cœur
n'y a plus d'émotions intermédiaires dans
Il
gonflé
par un désespoir suprême.
main à son amie. Valentine, pour
tout
qu'elle n'avait point été le trouver, lui
mon
Murrel tendit
excuse de ce
la
cadavre gisant sous
Ira le
meuça à
le
drap funèbre
,
recom
et
sangloter.
Ni l'un ni l'autre n'osaient parler dans cette chambre
Chacun mander
rompre ce silence que semblait com
hésitait à la
Mort debout dans quelque coin
et le doigt sur
les lèvres.
Enfin Valentine osa la première.
— Aiui, dirais
:
dit-elle,
soyez
le
vous eût ouvert
—
comment ètes-vous ici? Hélas
bienvenu là porte
,
si
I
je
voaa
ce n'était pas la Mort qui
de celte maison.
Valentine, dit Morrel d'une voix tremblante et les
mains
jointes, j'étais là depuis huit
heures
et
demie
:
je
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Îi24
ne vous voyais point venir, l'inquiétude m'a pris, eauté par-dessus
le
mur,
j'ai
pénétré dans
des voix qui s'entretenaient du
— Quelles voix?
dit
le
j'ai
jardin; alors
fatal acident...
Valentine.
Morrel frémit, car toute la conversation du docteur et de M. de Villefort lui revint à drap,
il
l'esprit, et,
à travers
le
bras tordus, ce cou roidi, ces
croyait voir ces
lèvres violettes.
— Les
voix de vos domestiques,
m'ont tout
dit-il,
appris.
— Mais venir dit
jusqu'ici, c'est
nous perdre,
mon ami
Valentine, sans effroi et sans colère.
— vais
Pardcniiez-moi
me
,
du même
répondit Morrel
ton, je
retirer.
— Non, dit Valentine, — Mais l'on venait
?
La jeune
la tête.
on vous rencontrerait,
si
fille
— Personne
secoua
ne viendra
,
dit-elle
,
restez.
soyez tranquille,
voilà notre sauvegarde.
du cadavre moulée par le drap.
Et elle montra la forme
— Mais
qu'est-il arrivé
vous en supplie,
à M. d'Épinay? dites-moi, je
reprit Morrel.
—
M. Frani est arrivé pour signer le contrat au moment où ma bonne grand'mère rendait le dernier soupir. Hélas dit Morrel avec un sentiment de joie égoïste,
—
car
I
songeait en lui-même que cette mort retardait in-
il
définiment le mariage de Valentine.
— Mais ce qui redouble ma douleur, continua fille,
comme
même
si
ce sentiment eût
sa punition, c'est
que
dû recevoir à
cette
tôt
possible
;
elle
aussi,
jeune
pauvre chère aïoule,
en mourant, a ordonné qu'on terminât plus
la
l'instant
mon Dieu
protéger, elle aussi agissait contre moi.
!
le
mariago
en croyant
le
me
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Ecoulez
!
dit
Morrel.
Les deux jeunes gens
firent silence.
On entendit la porte qui quer
le
2î5
s'ouvrit, et des pas firent cra-
parquet du corridor
— C'est mon père
et les
marches de
qui sort de son cabine
i,
l'escalier. dit
Valen-
tine.
— Et qui reconduit docteur, ajouta Morrel. — Comment savez-vous que le docteur? le
c'est
manda Valentine
— Je
le
présume,
Valentine regarda
Morrel.
dit le
jeune homme.
Cependant, on entendit
M. de celle
la porte
de la rue se fermer.
donner en outre un tour de
Villefort alla
du
jardin, puis
il
remonta
hésitait
de
madame
s'il
clef à
l'escalier.
Arrivé dans l'antichambre, il s'arrêta s'il
de-
étonnée.
devait entrer chez lui
un instant, comme
ou dans
la
chambre
de Saint-Méran. Morrel se jeta derrière une
portière. Valentine
ne
fit
qu'une suprême douleur
pas un la
mouvement; on
eût dit
plaçait au-dessus des craintes
ordinaires.
M. de
Villefort rentra chez lui.
— Maintenant, tir
ni par la porte
dit
Valentine, vous ne pouvez plus sor-
du
jardin, ni par celle de la rue.
Morrel regarda la jeune
— Maintenant, mise
dit-elle,
et sûre, c'est celle
fille il
avec étonnement.
n'y a plus qu'une issue per-
de l'appartement de
père. Elle se leva,
— Venez, — Où cela? demanda Maximilien. — Chez mon grand-père. — Moi, chez M. Noirtierî — Oui. dit-elle.
mon
grand-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
226
—
Y
—
songez-vous, Valentine?
J'y soDge, cl depuis longtemps. Je n'ai plus
ami au monde,
et
que
nous avons tous deux besoin de
cet
lui...
Venez.
— Prenez garde, Valentine, ce que lui ordonnait la jeune
deau pli
tombé de mes yeux
est
un
— Oui,
dit
:
prenez garde,
en venant
ici, j'ai
ban-
amie?
Valentine, et je n'ai qu'un scrupule au
de laisser seuls les restes de
c'est
le
accom
Avez-vous bien vous-même
acte de démence.
;oute votre raison, chère
monde,
dit Morrel, hésitant à faire
fille;
grand-mère, que je
— Valentine,
dit
me
ma
pauvre
suis chargée de garder.
Morrel
,
la
mort
est sacrée par elle-
même.
— Oui, répondit la jeune
fille; d'ailleurs
ce sera court,
venez.
Valentine traversa
le corridor et
descendit
un petit
es-
calier qui conduisait chez Noirtier. Morrel la suivait sur la pointe ils
du
pied. Arrivés sur le palier de l'appartement,
trouvèrent
— Barrois,
le
dit
vieux domestique. Valentine, fermez la porte et ne laissez
entrer personne. Elle passa la première. Noirtier, encore bruit, instruit par
dans son fauteuil,
attentif
au moindre
son vieux 'serviteur de tout ce qui se
passait, fixait des regards avides sur l'entrée de la
bre;
il
vit Valentine, et
son œil
cham-
brilla.
11 y avait dans la démarche et dans l'attitude de la jeune fille quelque chose de grave et de solennel qui
frappa
le vieillard.
Aussi, de brillant qu'il
était,
son œil
devint-il interrogateur.
— bien
Cher père, :
tu sais
dit-elle
d'une voix brève, écoute-moi
que bonne nvînan
Saint-
Méran
est
morte
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. il
y
une heure,
a
que maintenant, excepté
et
Une expression de
tendresse iuûnie passa dans les
vieillard,
— C'est donc à 6er
toi, je n'ai
monde ?
plus personne qui m'aime au
yeux du
2Î7
toi seul, n'est-ce pas,
que
je dois
M»
mes chagrins ou mes espérances?
Le paralytique
fit
signe que oui.
Valentine prit Maximilien par la main.
— Alors, Le
lui dit-elle,
regarde bien Monsieur.
vieillard fixa son œil scrutateur et légèrement étonné
sur Morrel.
— C'est M.
Maximilien Morrel
,
dit-e!ie
,
le fils
de cet
honnête négociant de Marseille dont tu as sans doute
entendu parler
?
— Oui, — C'est un nom irréprochable, que Maximilien est en fit
le vieillard.
train de rendre glorieux, car, à trente ans,
taine de spahis, officier de la
Le
vieillard
— Eh bien,
signe qu'il se
fit
bon papa,
deux genoux devant lien d'une
force d'en épouser je
me
le rappelait.
le vieillard et
un
et
autre
est capi-
Valenline en se mettant à
dit
main, je l'aime
il
Légion d'honneur.
ne ,
en montrant Maximi-
serai qu'à lui
je
me
I
laisserai
Si l'on
me
mourir ou
tuerai.
Les yeux du paralytique exprimaient tout un monde de pensées tumultueuses.
— Tu aimes M. Maximilien Morrel,
papa? demanda
—
Oui,
fit
la
jeune
le vieillard
— Et tu peux Noirtier
bon
immobile.
bien nous proléger, nous qui sommci;
aussi tes enfants, contre la volonté de attacha son
comme pour
n'est-ce pas,
fille.
lui dire
:
mon
pèi o
?
regard inielUKeiU sur Mcr'âl,
LE COMTE DE nrONTE-CRISTO
!28
— C'esl selon. Maximilien comprit.
— Mademoiselle,
vous avez un devoir sacré à
dit-il,
remplir dans la chambre de votre aïeule
;
permettre d'avoir l'honneur de causer
M. Noirtier
me
instant avec
fit l'oeil
du
vieillard.
regarda Valenline avec inquiétude.
il
— Comment bon père
un
?
- Oui, oui, c'est cela,
Puis
voulez-vou,'-
il
fera
pour
te
comprendre, veux-tu dire,
?
— Oui. — de
Ohl
sois tranquille
toi, qu'il sait
bien
nous avons
;
comment je
si
souvent parlé
te parle.
un adorable
Puis, se tournant vers Maximilien avec eourire, tristesse
—
Il
quoique ce sour:re
fût voilé par
une profonde
:
sait tout ce
que je
sais, dit-elle.
Valenline se releva, approcha
recommanda
un
siège pour Morrel,
à Barrois de ne laisser entrer personne
après avoir embrassa tendrement son grand-père
adieu tristement à Morrel
,
;
et
et dit
elle partit.
Alors Morrel, pour prouver à Noirtier qu'il avait la confiance de Valenline et connaissait tous leurs secrets, prit le dictionnaire, la
sur ime table où
il
— Mais d'abord,
plume
et le papier, et
plaça
le tout
y avait une lampe. dit
Morrel, permettez-moi, Monsieur,
de vous raconter qui je suis, comment j'aime mademoiselle Valentine, et quels sont
— J'écoute,
fit
mes
desseins à son égard.
Noirtier.
un spectacle assez imposant que ce vieillard, en apparence, et qui était devenu le seul protecteur, le seul appui, le seul juge de deux amaata C'était
inutile fardeau
jeunes, beaux, forts, et entrant dans la vie.
f
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Sa
empreinte d'une noblesse
figure,
remarquables récit Il
imposait à Morrel
,
229
d'une austérité
et
qui commeD(ji son
,
en tremblant. raconta alors
comment il avait connu, comment U comment Valentine, dans son
avait aimé Valentine, et
isolement
et
son malheur, avait accueilli
dévouement. U
tion, sa fortune; le
plus d'une
et
fois, lorsqu'il
regard du paralytique, ce regard
— C'est bien, continuez. — Maintenant, Morrel dit
mière partie de son Monsieur,
l'offre
de son
lui dit quelle était sa naissance, sa posi-
récit,
mon amour
et
quand
interrogea
répondit
lui
eut
il
:
fini cette
maintenant que je vous
mes
pre-
ai dit,
espérances, dois-je vous
dire nos projets?
— Oui, — Eh bien fit
Et alors
le vieillard.
voilà ce
1
que nous avions résolu.
comment un cacomment il comptait en-
raconta tout à Noirtier
il
briolet attendait dans l'enclos,
:
lever Valentine, la conduire chez sa sœur, l'épouser, et
dans une respectueuse attonte espérer
le
pardon de M. de
Villefort.
— Non,
dit Noirtier.
— Non? reprit Morrel, ce n'est pas ainsi qu'il faut faire
— Non. — Ainsi ce projet n'a point votre assentiment? — Non. — Eh bien y a un autre moyen, Morrel. !
dit
il
Le regard interrogateur du
—
J'irai,
demanda lequel?
vieillard
continua Maximilien,
:
j'irai
trouver M. Franz
d'Épinay, je suis heureux de pouvoir vous dire cela en l'absence de mademoiselle de Villefort, et je
avec
lui
de manière à
Le regard de
le forcer d'être
un
me
conduirai
galant honiris.
Noirtier continua d'interroger.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
tSO
— Ce que je ferai? -^ Oui.
—
^
comme je vous le
e voici. Je Tirai trouver,
Valentme licatesse
délicat,
il
la
si c'est
;
mon
cée, et
un homme
en renonçant de lui-même à amitié et
heure acquis jusqu'à térêt le
pousse,
soit
mon dévouement la
mort;
s'il
disais
;
mademoiselle
je lui raconterai les liens qui m'unissent à
prouvera sa dé-
main de
sa fian-
sont de cette
lui
refuse, soit
qu'un ridicule orgueil
que
l'in-
le fasse per-
après lui avoir prouvé qu'il contraindrait ma femme, que Valentine m'aime et ne peut aimer un autre sister,
que moi,
me
je
avantages,
bâtirai
avec
et je le tuerai
n'épousera pas Valentine
lui,
ou ;
il
s'il
en
que Valentine ne l'épousera pas. Noirtier considérait avec un plaisir
donnant tous si je le
les
tue,
il
serai bien sûr
indicible ce/'»e noble
physionomie sur laquelle se peignaient tous
et sincère les
lui
me tuera; me tue, je
sentiments que sa langue exprimait, en y ajoutant
par l'expression d'un beau visage tout ce que la couleur ajoute à
un dessin
solide et vrai.
Cependant, lorsque iMorrel eut
terma ait,
les
yeux à plusieurs
fini
de parler, Noirtier
reprises, ce qui était,
on
le
sa manière de dire non.
—
Non?
dit
«K)nd projet,
Morrel. Ainsi vous désapprouvez ce se-
comme vous
avez déjà désapprouvé
le pre*
mierî
—
Oui, je le désapprouve,
— Mais
que
Lef dernières paroles de été
pour que
attei'dre
:
le
fit
le vieillard.
Monsieur? demanda Morrel
faire alors,
madame
mariage de sa
de Saint-Méran ont
petite-fille
ne se
fit
point
dois-je laisser les choses s'accomplir?
— Noirtier resta immobile. — Oui, je comprends, Morrel, je dois attendre. dit
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
~ Oui. — Mais tout homme.
jeune
contraindra
délai
nous perdra
,
234
Monsieur, reprit
Seule, Valentine est sans force, et
comme un enfant.
pour savoir ce qui
s'y passe,
Entré
lo
'^n la
miraculeusement
ici
admis miraculeusemenl de-
vant vous, je ne puis raisonnablemenl espérer que ces
bonnes chances se renouvellent. Croye2-moi,
ou donnez
l'un
moi
l'autre des
deux
cette vanité à
celui des
partis
que
ma jeunesse,
je
il
n'y a
vous propose,
qw par-
qui soit le bon; dites-
deux que vous préférez
mademoiselle Valentine à se confier à
autorisez-vous
:
mon honneur?
— Non. — Préférez-vous que trouver M. d'Épinay? — Non. — Mais, mon Dieul de qui nous viendra secours j'aille
le
que nous attendons du
Le
ciel
vieillard sourit des
de sourire quand on
?
yeux commî
lui parlait
un peu d'athéisme dans
resté
du
il
avait l'habitude
ciel. Il était
les idées
toujours
du vieux
ja-
cobin.
— Du hasard? reprit Morrel. — Non.
— De vous? — Oui.
— De vous?
— répéta — Vous comprenez
le vieillard.
Oui,
Monsieur? Excusez votre réponse
:
bien oe que je vous demande,
mon
insistance, car
ma
vie est Jans
notre salut nous viendra de vous?
— Oui. — Vous en êtes sûr? ^Oui.
— Vous en répondez
i
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
?3f?
— Oui Et tion ter
il
y avait dans
unt
de
telle
la volonté,
— Oh
!
le
regard qui donnait cette aiDrma-
fermeté, qu'il n'y avait pas Jioyen de dou-
sinon de la puissance.
merci. Monsieur, merci cent fois
!
Mais com-
ment, à moins qu'un miracle du Seigneur ne vous rende la parole, le geste, le
mouvement, comment pourrez-vous,
vous, enchaîné dans ce fauteuil, vous, muet
et
comment pourrez-vous vous opposer à
bile,
immoma-
ce
riage?
Un que
du vieillard, sourire étrange yeux sur un visage immobile.
souriro éclaira le visage
celui des
— Ainsi, je dois attendre? demanda — Oui. — Mais contrat?
jeune homme.
le
le
Le
même
sourire reparut.
— Voulez
— Oui, — Ainsi
vous donc me
ne sera pas signé?
dire qu'il
dit Noirlier.
Morrel.
le contrat
ne sera pas
même
Ohl pardonnez, Monsieur
grand bonheur,
il
est bien
I
signé
I
s'écria
à l'annonce d'un
permis de douter ;
le contrai
ne sera pas signé?
— Non,
dit le paralytique.
Malgré cette assurance, Moîi«î hésitait à croire. Cette
promesse d'un lieu
vieillard
impotent
était si étrange,
d'un affaiblissement des organes
;
qu'au
elle
pouvait émaner
n'est-il
pas naturel que
de venir d'une force de volonté,
l'insensé qui ignore sa folie prétende réaliser des choses
au-dessus de sa puissance? Le qu'il
.soulève, le
pauvre des trésors
faible parle des
timide des géants qu'il
manie,
le
qu'il
fardeaux
affronte,
h
plus humble paysan,
au o^mpte de son orgueil, s'appelle Jupiter. Soit
que
Noirtier eût compris
l'indécisiou
du jeune
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. tiomme
scH
;
qu'il n'ajoutât
docilité qu'il avait
montrée,
— Que voulez- vous, vous renouvelle
je
Le regard de
pas complètement il
la
^
Monsieur? demanda Morrel, que de ne rien faire?
demeura
pour dire qu'une promesse ne la
à
foi
regarda fixement.
le
ma promesse
Noirtier
passa du visage à
233
fixe et ferme,
lui sufQsail
comme
pas; puis
i'.
main.
— Voulez-vous que je jure, Monsiem
?
demanda Maxi-
milien.
—
Oui,
fit
le
paralytique avec la
même
solennité, je
veux.
le
Morrel comprit que
le vieillard attachait
une grande
importance à ce serment. Il
étendit la main.
— Sur mon bonneur,
dit-il, je
que vous aurez décidé pour
vous jure d'attendre ce
agir contre
M. d'Épinay.
— Bien, des yeux — Maintenant, Monsieur, demanda Morrel, le vieillard.
fit
vous que je
— Oui. — Sans revoir mademoiselle Valentine — Oui. Morrel
fit
que votre
à l'heure votre Il
?
signe qu'il était prêt à obéir.
— Maintenant, sieur,
ordonnez-
me retire?
continua Morrel, permettez-vous, Monfils
vous embrasse comme
l'a fait
tout
fille?
n'y avait pas à se tromper
iw
r'ex pression
des yeux
de Noirtier.
Le jeune homme posa sur le front du vieillard ses lèvi«8 même endroit où la jeune fille avait posé les siennes.
au
Puis
Sur
il
salua une seconde fois
le carré
il
trouva
le
le vieillard et so-iii.
vieux serviteur, prévenu par
Vai.3ntine; celui-ci attendait Morrel, et le guida par les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
t34
détours d'un corridor sombre qui conduisait à UDe pe\,He porte donnant sur le jardin.
Arrivé fut
là,
Morrel gagna la grille
en UD mslant au haut du mur;
une seconde,
il
fut
;
et
dans l'enclos à
par
la charmille,
il
par son écheûe, en
la luzerne,
où son ca-
briolet l'attendait toujours. Il
y remonta,
plus libre,
son
lit
il
et brisé
dormit
et
par tant d'émotions, mais
le
cœur
rentra vers minuit rue Meslay, se jeta sur
comme
s'il
eût été plongé dans
une pro-
fonde ivresse.
XVII lE CAVEAU DE LA FAMILLE VILLEFORT.
A deux
jours de là,
une
foule considérable se trouvait
rassemblée, vers dix heures du matin, à Villefort,
et l'on avait
vu
la porte
de M. de
s'avancer une longue
file
de
voitures de deuil et de voitures particulières tout le long
du faubourg Saint-IIonoré et de la rue de la Pépinière. Parmi ces voitures, il y en avait une d'une forme sin-
un long voyage. C'éune espèce de fourgon peint en noir, et qui un des
gulière, et qui paraissait avoir fait tait
premiers
s'était
Alors on
trouvé au funèbre rendez-vous.
s'était
informé, et l'on avait appris que, par
une coïncidence étrange, de M.
le
cette voiture renfermait le corps
marquis de Saint-Méran,
et
que ceux qui
étaient
venus pour un seul convoi suivraient deux cadavres.
Le nombre de ceux-là
était
grand; M.
le
marquis de
Saint-Méran, l'un des dignitaires les plus zélés et les plus
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. fidèles
du
roi
Louis XVIII
et
du
roi Charles
23r,
X, aTait con-
servé grand nombre d'amis qui, joints aux personnes que les
convenances sociales mettaient en relation avec Vil-
leforl,
On les
formaient une troupe considérable. fit
prévenir aussitôt les aulorilés, et l'on obtint que
deux convois
en même temps. Une semême pompe mortuaire, fut
se feiaient
conde» voiture, parée avec la
amenée devant la porte de M. de Villefort, et le cercueil dû fourgon de poste sur le carrosse funèbre. Les deux corps devaient être inhumés dans le cimetière du Père-Lachaise, où depuis longtemps M. de Ville-
transporié
fort avait fait élever le
caveau destiné à
la
sépulture de
toute sa famille.
Dans ce caveau pauvre Renée
,
avait déjà été déposé le corps de la
que son père
et sa
mère venaient
re-
joindre après dix années de séparation. Paris, toujours curieux, toujours
néraires, vit avec
un
ému
des pompes fu-
religieux silence passer le cortège
Lsplendide qui
accompagnait à leur dernière demeure deux
noms de
cette vieille aristocratie, les plus célèbres
des
du commerce
et
dévouement obstiné aux principes. Dans la même voiture de deuil, Beauchamp, Albert
et
pour le
l'esprit traditionnel,
pour
la sûreté
v^hâteau-Renaud s'entretenaient de cette mort presque iubite.
— a
J'ai
vu madame de Saint-Méran
Marseille, disait
rie; c'était
l'an dernier
encore
Château-Renaud, je revenais d'Algé-
une femme destinée à vivre cent
ans, grâce à
sa santé parfaite, à son esprit toujours présent et à son aciivité toujours prodigieuse.
Quel âge avait-elle?
— Suixante-six ans, répondit Albert, du moins à ce que Franz m'a assuré. Mais ce n'est point
l'âge qui l'a luée,
c'est le chagrin qu'elle a ressenti de la mart
du
m jrquis;
LE COMTF DK MONTE-CRISTO.
236 il
parait
cette mort, qui l'avait
que depuis
violemment
ébranlée, elle n'a pas repris complètement la raison.
— Mais enfin de
quoi est-elle morte ? demanda 0eaa-
ehamp.
— D'une
congestion cérébrale, à ce qu'il parait, ou
d'une apoplexie foudroyante. N'est-ce pas la même chose?
— Mais à peu près. — D'apoplexie Beauchamp, ? dit
Madame de deux dans
Saint-Méran, que
ma
j'ai
à croire.
c'est difficile
vue aussi une
fois
ou
vie, était petite, grêle de formes, et d'une
constitution bien plus nerveuse
que sanguine;
elles sonî
un corps
rares les apoplexies produites par le chagrin sur
d'une constitution pareille à celui de
madame
de Saint-
Méran.
— En tout cas, ou
le
tôt
médecin qui
dit
Albert, quelle
l'a
que
soit la
tuée, voilà M. de Villefort,
maladie
ou plu-
mademoiselle Valentine, ou plutôt encore notre ami
Franz en possession d'un magnifique héritage
:
quatre-
vingt mille livres de rente, je crois.
— Héritage
qui sera presque doublé à la mort de ce
vieux jacobin de Noirtier.
— En voilà un grand-père tenace, dit Beauchamp. nacem propositi virum.
Il
a parié contre
Te-
Mort, je crois,
la
Il y réussira, ma foi. vieux conventionnel de 93, qui disait à Na-
qu'il enterrerait tous ses héritiers.
C'est bien le
poléon en «
Vous
18U: baissez, parce
que votre empire
tige fatiguée par sa croissance;
prenez
est
la
une jeune
République
poui tuteur, retournons avec une bonne constitution sur
champs de bataille, et je vous promets cinq cent; mille un autre Marengo et un second Austerlitz. Les idées ne meurent pas, sire, elles sommeillent quelqueles
soldats,
COMTE DE MONTE-CRISTO.
Llî fois,
mais
dormir.
—
elles se réveillent
plus fortes qu'avant de
s'ft»-
»
hommes
sont
seulement une chose m'inquiète,
c'est
que pour
parait, dit Albert,
Il
«37
comme
\
es idées
;
lui les
de savoir comment Franz d'Épinay s'accommodera d'un
grand beau-père qui ne peut se passer de sa femme
mais où
— Mais lefort,
il
est
dans
la
première voiture, avec M. de Vil-
qui le considère déjà
comme
étant de la famille.
Dans chacune des voitures qui suivaient conversation
rapprochées
si
aucune on ne soupçonnait
et si rapides,
le terrible
dans sa promenade nocturne,
Au à
le deuil, la
à peu près pareille; on s'étonnait de
était
ces deux morts
M. de
;
Franz?
est-il,
mais dans
secret qu'avait,
révélé M. d'Avrigny à
Villefort.
bout d'une heure de marche à peu près, on arriva
la porte
sombre,
du cimetière
et
:
il
faisait
un temps calme, mais
par conséquent assez en harmonie avec
la fu-
nèbre cérémonie qu'on y venait accomplir. Parmi les groupes qui se dirigèrent vers le caveau de famille, Châ-
teau-Renaud reconnut Morrel, qui et
en cabriolet;
il
sur le petit chemin b^rdé
— Vous
était
venu
marchait seul, très-pâle
tout seul
et silencieux,
d'ifs.
hm
ici dit Château-Renaud en passant son vous connaissez donc sous celui du jeune capitaine M. de Villefort? Comment se fait-il donc, en ce cas, que I
;
je
ne vous
aie jamais
vu chez
lui ?
— Ce n'est pas M. de Villefort que je connais, répondit de Saint-Méran que je connaissais. ce moment, Albert les rejoignit avec Franz.
Morrel, c'est
En
madame
— L'endroit
est
mal
choisi pour
une présentation, du
Albert; mais n'importe, nous ne sommes pas supersU-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
238
Monsieur Morrel, permettez que
lieux.
je
vous présente
M. Fraûz d'Épinay, un excellent compagnon de voyage avec lequel
tour de
j'ai fait le
l'Italie.
Mon
cher Fianz,
me
M. Maximilien Morrel, un excellent ami que je
„ais
acquis en ton absence, et dont tu entendras revenir le
nom
dans
ma
conversation toutes les fois que j'aurai à
parler de cœur, d'esprit et d'amabilité.
moment
Morrel eut un
d'indécision.
se
Il
demanda
si
ce n'était pas une condamnable hypocrisis que ce salut
presque amical adressé à l'homme
dement mais son serment lui revinrent en mémoire ;
qu'il combattait sour-
et la gravité des circonstances :
il
s'efforça de
ne rien
laisser
paraître sur son visage, et salua Franz en se contenant.
— Mademoiselle pas?
dit
de Villefort est bien
n'est-ce
triste,
Debray à Franz.
— Oh!
Monsieur, répondit Franz, d'une tristesse
exprimable; ce matin
elle était si défaite
que
je
in-
l'ai
à
peine reconnue.
Ces mots
simples en apparence brisèrent
si
de Morrel. Cet
homme
avait donc parlé
?
Ce
fut alors
que
le
avait donc
jeune
vu
le
Valentine,
cœur il
lui
et bouillant oflQcier eut be-
soin de toute sa force pour résister
au
désir de violer
son serment. Il
prit le bras
ment vers
le
de Château-Renaud et l'eriralna rapide-
caveau, devant lequel
les
employés des pom-
pes funcores venaient de déposer les deux cercueils.
— Magnifique habitation, yeux sur
le
mausolée
;
'lit
Beauchaup en
y demeurerez à votre tour,
mon
veux une
tage là-bas
sous
petite
les
Vous
cher d'Épinay, car vous
voilà bientôt de la famille. Moi, en
sophe, je
jetant les
palais d'été, palais d'hiver.
ma
qualité de philo-
maison de campagne, un cot-
arbres, et pas tant de pierres d«
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
mon pauvre
îaîile sur
corps.
En mourant,
239
je dirai
àceni
qui m'entoureront ce que Voltaire écrivait à Piron
morbleu
rus, et tout sera Qni... Allons,
rage- votre
— En
I
:
Eo
Franz, du cou-
femme hérite.
vérité,
Beauchamp,
dit
portable. Les affaires politiques
tude de rire de tout, et les
Franz, vous êtes insup-
vous ont donné
hommes
l'habi-
qui mènent les affaires
ont l'habitude de ne croire à rien. Mais enfin, Beauchamp, quand vous avez l'honneur de vous trouver avec des ommes ordinaires, et le bonheur de quitter un instant a politique, tâchez donc de reprendre votre cœur, que
vous
laissez
au bureau des cannes de
chambre des
la
députés ou de la chambre des pairs.
— Eh,
mon Dieu
1
dit
Beauchamp, qu'est-ce que
la
halte dans l'antichambre de la Mort.
vie? une
— Je prends
Beauchamp en
grippe, dit Albert; et
il
se retira à quatre pas en arrière avec Franz, laissant
Beauchamp continuer
ses
dissertations philosophiques
avec Debray.
Le caveau de
la famille
de Villefort formait un carré
de pierres blanches d'une hauteur de vingt pieds environ; une séparation intérieure divisait en deux compartiments la famille Saint-Méran et la famille Villefort, et
chaque compartiment avait sa porte d'entrée.
On ne
voyait pas,
comme
les autres
dans
tombeaux,
ces ignobles tiroirs superposés dans lesquels une éco-
nome
distribution enferme les morts avec
qui ressemble à une étiquette
;
vait d'abord par la porte de bronze était
sév^e
une
inscriptios
tout ce que l'on aperce-
et sombre, séparée par
une antichambre
un mur du
véritable
tombeau. C'était
au milieu de ce mur que
s
ouvraient les deux
portes d^^nt nous parlions tout à l'heure, et qui
com
.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
f 40
muniquaient aux sépultures
Villefort et Saint-
Méran.
Là, pouvaient s'exhaler en liberté les douleurs- sans
que
promeneurs
/es
qui font d'une visite au
folâtres,
Père-Lachaise partie de campagne ou rendez-vous d'a-
mour, vinssent troubler par leur chant, par leurs par leur course
la
muette contemplation ou
ou
cris
la prière
baignée de larmes de l'habitant du caveau.
Les deux cercueils entrèrent dans celui de
c'était
la
le
caveau de droite ;
famille de Saint-Méran;
ils
furent
placés sur des tréteaux préparés, et qui attendaient d'a-
vance leur dépôt mortel
;
Villefort,
Franz
proches parents pénétrèrent seuls dans
Comme
les
et
quelques
le sanctuaire.
cérémonies religieuses avaient été accom-
plies à la porte, et qu'il n'y avait pas de discours à pro-
noncer, les assistants se séparèrent aussitôt
Renaud, Albert Debray
et
Franz tière
et Morrel se retirèrent
Beauchamp du avec M. de
resta,
vit sortir
deuil, et
Franz il
et
conclut
M. de
Villefort, le
même dit
lefort
la porte
Villefort
et
du cime;
il
dans une voiture de
un mauvais présage de ce lui-môme
tête-à-tête. fût
voiture que Château-Renaud et Albert,
pas
En
à
premier prétexte venu
revint donc à Paris, et, quoique
Il
Château-
leur.
Morrel s'arrêta sous
;
;
de leur côté,
il
dans
la
n'enten-
un mot de ce que dirent les deux jeunes gens. au moment où Franz allait quitter M. de Vil-
effet, :
— Monsieur
le
baron, avait
dit
celui-ci,
quand vous
reverrai -je?
—Quand vous voudrez. Monsieur, avait répondu Franz.
— Le plus possible. — je suis à vos ordres. tôt
nous revenions ensemble
—
Si cela
Monsieur; vous
plaîl-il
?
ne vous cause aucun dérangement.
que
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
241
—
Aucun. Ce fut ainsi que
nontèrent dans
la
beau-père
le futur
même
voiture, et
et le futur
gendre
que Morrel, en
les
royant passer, conçut âvec raison de graves inquiétudes. Villefort et
Franz re\ lurent au faubourg Saint-Honoré.
Le procureur du parler ni à sa
homme
sans entrer chez personne, sans
roi,
femme
à sa
ni
dans son cabinet,
— Monsieur d'Épinay, ler, et le
moment
et lai
fille,
fit
passer le jeune
montrant une chaise
lui dit-il, je dois
n'est peut-être pas
si
mal choisi qu'on
pourrait le croire au premier abord, car l'obéissance
morts est
la
première offrande
cercueil; je dois donc
avant-hier
qu'il faut
vous rappeler
madame de Saint-Méran
c'est
que
tard.
Vous savez que
le
le
:
vous rappe-
aux
déposer sur
vœu
le
qu'exprimait
sur son
lit
d'agonie,
mariage de Valentine ne souffre pas de rede la défunte sont par-
les affaires
faitement en règle ; que son testament assure à Valentine toute la fortune des Saint-Méran
;
le notaire
m'a montré
hier les actes qui permettent de rédiger d'une
manière
Vous pouvez voir le de ma part communiquer ces M. Deschamps, place Beauveau,
définitive le contrat de mariage. "îotaire
actes.
et
Le
vous
faire
notaire, c'est
faubourg Saint-Honoré.
— Monsieur,
répondit d'Épinay, ce n'est pas le
mo-
ment peut-être pour mademoiselle Valentine, plongée comme elle est dans la douleur, de songer à un époux eu ;
vérité, je craindrais...
— Valentine, interrompit M. de
Villefort, n'aura pas
de plus vif désir que celui de remplir les dernières intentions de sa grand'mère
;
ainsi les obstacles
ne vien-
dront pas de ce côté, je vous en réponds.
—
En ce cas, Monsieur, répondit Franz, comme ils ne viendront pas non plus du mien, vous pouvez faire à votre 44 TOME IT.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
942
convenance
ma
;
parole est engagée, et je l'acquitterai,
non-seulement avec
— Alors,
plaisir,
dit Villefort
contrat devait être signé
mais encore avec bonheur.
rien ne
,
nous arrête plus
y a trois jours, nous
il
le
même.
verons tout préparé on peut le signer aujourd'hui :
— Mais deuil? en hésitant Franz. — Soyez tranquille. Monsieur, reprit dit
le
Villefort
ma
point dans
;
le trou-
maison que
les
ce n'est
;
convenances sont négli-
gées. Mademoiselle de Villefort pourra se retirer pen-
dant les trois mois voulus dans sa terre de Saint-Méran; je dis sa terre
huit jours,
si
,
car cette propriété est à
vous
sans faste, le mariage
de
madame
Là, dans
elle.
voulez bien, sans bruit, sans éclat,
le
civil sera
conclu. C'était
de Saint-Méran que sa
un
petite-fille se
désir
mariât
dans cette terre. Le mariage conclu, Monsieur, vous pourrez revenir à Paris, tandis que votre le
femme passera
temps de son deuil avec sa belle-mère.
— Comme vous — Alors, reprit M. de
plaira,
il
tendre lon.
une demi-heure
;
dame de
le contrat
nous irons
— Monsieur,
dit
Franz. la
peine d'at-
M. Deschamps, nous
séance tenante,
et,
Villefort conduira Valentine
huit jours
dit
prenez
Valentine va descendre au sa-
J'enverrai chercher
signerons
Monsieur,
Villefort,
dès ce
lirons et soir,
ma-
à sa terre, où dans
les rejoindre.
Franz,
j'ai
une seule demande à vous
faire.
— Laquelle ? — Je désire qu'Albert !eau-Renaud
^ez qu'ils sont
— Une vous
de Morcerf et Raoul de Cbl-
soient présents à cette signature;
mes
demi-heure
les aller
suffit
chercher
envoyer chercher?
vous sa-
témoins.
pour
les
prévenir ; voulez-
vous-même?
voulez- vous les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Je préfère y — Je vous
aller,
24S
Monsieur.
attendrai donc dans
une demi-heure, baune demi-heure Valentine sera prête. Franz salua M, de Villefort et sortit.
ron, et dans
A le
peine la porte de la rue se fut-elle refermée derrière jeune homme, que Villefort envoya prévenir Valen-
tine qu'elle eût
à descendre au salon dans une demi-
heure, parce qu'on attendait
témoins de
le notaire et les
M. d'Épinay. Cette nouvelle inattendue produisit sation dans la maison.
Madame de
une grande sen«
Villefort n'y voulut
comme
d'un coup
comme pour
chercher à
pas croire, et Valentine en fut écrasée
de foudre. Elle regarda lout autour d'elle
qui
elle
pouvait demander secours.
Elle voulut descendre chez son grand-père, mais elle
rencontra sur l'escalier M. de Villefort, qui la prit par
le
bras et l'amena dans le salon.
Dans l'antichambre Valentine rencontra jeta
Barrois, et
au vieux serviteur un regard désespéré.
Un
madame
instant après Valentine,
au salon avec
le
petit
Edouard.
Il
de Villefort entra
était visible
que
la
jeune femme avait eu sa part des chagrins de famille elle était pâle et
?
semblait horriblement fatiguée.
Elle s'assit, prit
Edouard sur ses genoux,
et
de temps
en temps pressait, avec des mouvements presque convulsifs, sur sa poitrine, cet enfant sur lequel semblait se
îoncentrer sa vie tout entière. Bientôt on entendit le bruit de traient
dans
Ltine
la
deux voitures qui en
cour.
était celle
du
notaire, l'autre celle de Franz et
de ses amis.
En un
instant tout le
monde
était
réuni au salon.
COIMTE DE MONTE-CRISTO.
LE
244
Valentine était
si
pâle, que l'on voyait les veines
bleues de ses tempes se dessiner autour de ses yeux et courir le long de ses joues.
Franz ne pouvait se défendre d'une émotion assez viva
Château-Renaud menV>
la
pas plus
et
Albert se regardaient avec étonne-
cérémonie qui venait de triste
que
finir
ne leur semblait
commencer.
celle qui allait
Madame de Villefort s'était placée dans l'ombre, derun rideau de velours, et, comme elle était constam-
rière
ment penchée sur son
fils,
était difficile
il
de
sur
lire
«on visage ce qui se passait dans son cœur.
M. de
Le
comme
Villefort était,
notaire, après avoir,
gens de
loi,
toujours, impassible.
avec
la
méthode ordinaire aux
rangé les papiers sur la table, avoir pris
place dans son fauteuil et avoir relevé ses lunettes
,
se
retourna vers Franz
— C'est vous,
dit-il,
qui êtes M. Franz de Quesnel, ba-
ron d'Éplnay? deraanda-t-il, quoiqu'il
le sût
parfaitement.
— Oui, Monsieur, répondit Franz. Le notaire
— Je
s'inclina.
dois donc
vous prévenir. Monsieur,
dit-il,
e^,
cela de la part de M. de Villefort, que votre mariage projeté
avec mademoiselle de Villefort a changé
sitions de
M. Noirtier envers sa
entièrement la fortune qu'il devait
tons-nous d'ajouter, continua n'ayant
le droit d'aliéner
ayant aliéné ie tout, l'attaque,
— Oui,
le
les dispo-
petite-fille, et qu'il aliène
lui transmettre.
le notaire,
que
Hâ-
le testateur
qu'une partie de sa fortune,
et
testament ne résistera point è
mais sera déclaré nul
et
non avenu.
seulement je préviens d'avance M. d'Èpinay que, de mon vivant, jamais le testament de mon père ne sera attaqué, ma position me défendant dit Villefort;
jusqu'à l'ombre d'un scandale.
i
LF COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Monsieur,
dit
24?
Franz, je suis fâché qu'on
ail
devant
mademoiselle Valentine soulevé une pareille question. me suis jamais informé du chiffre de sa fortune,
Je ne qui,
si
que
la
réduite qu'elle soit, sera plus considérable encore
mienne. Ce que
iiance de M.
de
ma famille
a recherché dans
l'al-
Villefort, c'est la considération; ce
que
je recherche, c'est le bonheur. fit un signe imperceptible de remerciement, que deux larmes silencieuses roulai' int le long de
Valentine tandis
ses joues.
—
D'ailleuif/,
Monsieur,
dit Villefort s'adressant
à son
futur gendre, ^ part cette perte d'une portion de vos es-
pérances, ce testament inattendu n'a rien qui doive per*
sonnellement vous blesser;
elle
s'explique par la
blesse d'esprit Cj M. Noirtier. Ce qui déplaît à
mon
fai-
père,
ce n'est point qse mademoiselle de Villefort vous épouse, c'est
que Valentine
eût inspiré le
lui
se marie
:
une union avec
Monsieur, et mademoiselle de Villefort tier
une
madame
fidèle
la
tout autre
même chagrin. La vieillesse est faisait
égoïste.
à M. Noir-
compagnie que ne pourra plus
lui faire
baronne d'Épinay. L'état malheureux dans
lequel se trouve
mon
d'affaires sérieuses,
père
que
fait
qu'on lui parle rarement
la faiblesse
de son esprit ne
lui
permettrait pas de suivre, et je suis parfaitement con-
vaincu qu'A cette heure, tout en conservant
que
sapetil
nom Â
e-fille
le
souvenir
se marie, M. Noirtier a oublié jusqu'au
de celui qui va devenir son
fictit-fils.
peine M. de Villefort achevait-il ces paroles, aux-
quelles Franz répondait pat
un
salut,
que
la porte
du
salon s'ouvrit et que Barrois parut.
— Messieurs, un
dit-il
d'une voix étrangement ferme pour
serviteur qui parle à ses maîtres dans
tance
si
une circons-
solennelle, Messieurs, M. Noirtier de Villefori
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
846
désire parler sur-le-champ à M. Franz de Quesnel, baron
d'Épinay.
Lui aussi,
comme le notaire, et afin
ne pût y
qu'il
9\«
a"^
erreur de personnes, donnait tous ses titres au fiancé.
madame
Villefort tressaillit,
son
fils
muette
de Villefort laissa glisser
de dessus ses genoux, Valentine se leva pâle
comme une
et
statue.
Albert et Château-Renaud échangèrent
gard plus étonné encore que
Le notaire regarda
le
un second
re-
premier.
Villefort.
— C'est impossible,
dit le
M. d'Épinay ne peut quitter
procureur du roi; d'ailleurs le
salon en ce
moment.
— C'est justement en ce moment, reprit Barrois avec la
même
fermeté, que M. Noirtier,
mon
maître, désire
parler d'affaires importantes à M. Franz d'Épinay.
—
parle donc à présent, bon papa Noirtier? deavec son impertinence habituelle. Edouard manda Mais cette saillie ne fit pas même sourire madame de Il
Villefort, tant les esprits étaient
préoccupés, tant la
si-
tuation paraissait solennelle.
— Dites
à M. Noirtier, reprit Villefort
demande ne
,
que ce
qu'il
se peut pas.
— Alors
M. Noirtier prévient ces Messieurs reprit Barrois, qu'il va se faire apporter lui-même au salon. L'étonnement fut à son comble. ,
Une espèce de sourire se dessina sur le visage de madame de Villefort. Valentine, comme malgré elle, leva ^s yeux au plafond pour remercier le ciel. — Valentine, dit M. de Villefort, allez un peu savoir. Je vous prie, ce
que
c'est
que
cette nouvelle fantaisie
de
votre grand-père.
Valentine
fit
vivement quelques pas pour
M. de Villefort se ravisa.
sortir,
mais
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Attendez, vous accompagne. — Pardon Monsieur Franz à son
247
dit-il, je
,
,
semble
/\ue,
mander,
puisque
c'est surtout à
d'ailleurs je serai
dit
c'est
moi que M.
moi de
heureux de
me
tour
;
me
il
Noirtier fait de-
rendre à ses désirs
lui présenter
mes
;
respects,
n'ayant point encore eu l'occasion de solliciter cet honneur.
— Oh visible,
I
mon Dieu
I
dit Villefort
avec une inquiétude
ne vous dérangez donc pas.
— Excusez-moi homme qui
,
Monsieur
,
dit
Franz du ton d'un
a pris sa résolution. Je désire ne point
man-
quer cette occasion de prouver à M. Noirtier combien aurait tort de concevoir contre je suis décidé
il
moi des répugnances que
à vaincre, quelles qu'elles soient, par
mon
nrofond dévouement.
Et sans se laisser retenir plus longtemps par Franz se leva à son tour
Villefort,
et suivit Valentine, qu? déjà
descendait l'escalier avec la joie d'un naufragé qui met la
main sur une roche. M. de
Villefort les suivit tous deux.
Château-Renaud
et
Morcerf échangèrent un troisième
regard plus étonné encore gue les deux premiers.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
SU&
XVIIÏ LE PROCÈS-VERBAL.
Noirtier attendait, vêtu de noir et installé dans son fanteuil.
Lorsque
chambre ferma
— Faites
personnes
les trois
furent entrées,
regarda
il
qu'il
comptait voir venir
que son valet de
la porte,
aussitôt.
attention, dit Villefort bas à Valentine qui
joie, que si M. Noirtier veut vous communiquer des choses qui empêchent votre mariage,
ne pouvait celer sa
je
vous défends de
comprendre.
le
Valentine rougit, mais ne répondit pas. Villefort s'approcha de Noirtier.
— Voici
M. Franz d'Épinay,
mandé. Monsieur, nous souhaitons serai
tion
charmé
et
il
cette
qu'elle
lui dit-il
;
vous l'avez
se rend à vos désirs. Sans doute
entrevue depuis longtemps,
au mariage de Valentine était peu fondée. ne répondit que par un regard qui
Noirtier le frisson Il fit
de
fît
courir
veines de Villefort.
dans
les
l'œil
signe à Valentine de s'approcher.
En un moment,
et je
vous prouve combien votre opposi-
grâce aux
moyens dont
elle avait l'ha-
bitude de se servir dans les conversations avec sou père, elle
eut trouvé le
mot
clef.
Alors elle consulta le regard fixa sur le tiroir
du
paralytique, qui se
d'un petit meuble placé entre les aeuz
fenêtres.
Elle ouvrit le lu-oir et trouva effectivement
une
clef.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Quand
eut cette clef et que
elle
249
le vieillard lui
eutfai
signe que c'était bien celle-là qu'il demandait, les \eux
du paralytique
se dirigèrent vers
blié
depuis bien des années,
tin,
que des paperasses
et
un vieux
secrétaire ou-
qui ne renfermait, croyait-
inutiles.
— Faut-il que j'ouvre
le secrétaire ?
demanda Valen-
tine.
— Oui, — Faut-il que j'ouvre les — Oui. — Ceux des côtés? le vieillard.
fit
—
tiroirs ?
Non.
— Celui du milieu? — Oui. Valentine l'ouvrit et en
— Est-ce — Non.
tira
une
liasse.
là ce que vous désirez
,
bon père?
dit-ello.
Elle tira successivement tous les autres papiers, jus-
qu'à ce
qu'il
ne restât plus rien absolument dans
le
tiroir.
— Mais
le tiroir est
Les yeux de
—
vide maintenant,
dit-elle.
Noirtier étaient fixés sur le dictionnaire.
Oui, bon père,
je
vous comprends,
dit la
jeune
fille.
Et
elle
répéta
l'alphabet; à
l'S,
l'une après l'autre
,
,
chaque
lettre
de
Noirtier l'arrêta.
Elle ouvrit le dictionnaire, et chercha jusqu'au
mol
secret.
•—
Ah
1
il
y a un
secret? dit Valentine.
— Oui, — Et qui connaît ce secret? fit
Noirtier.
Noirtier regarda la porte par laauelle était sorti le do-
mestique.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
250
— Barrois? —
Oui,
fit
dit-elle.
Noirtier.
— Faut-il que — Oui.
je l'appelle?
Valentine alla à la porte et appela Barrois
Pendant ce temps,
sueur de l'impatience ruisselai.
la
nir le front de Villefort
,
Franz demeurait stupéfait
et
d'étonnement.
Le vieux serviteur parut.
— Barrois,
dit
mon
Valentine,
mandé de prendre
la clef
grand- père m'a com-
dans cette console, d'ouvrir ce
secrétaire et de tirer ce tiroir ; maintenant
à ce
tiroir,
paraît
il
Barrois regarda
— Obéissez,
que vous
il
y a un secret
le connaissez, ouvrez-le.
le vieillard.
dit l'œil intelligent
de Noirtier.
un double fond s'ouvrit et présenta une liasse de papiers nouée avec un ruban noir. Est-ce cela que vous désirez. Monsieur ? demanda Barrois obéit
;
—
Barrois.
— Oui, Noirtier. — A qui remettre ces papiers — Non. — A mademoiselle Valentine? — Non. — A M. Franz d'Épinay? fit
faut-il
?
à M. de Villefort?
— Oui. Franz, étonné,
fit
un pas en
— A moi, Monsieur? — Oui. Franz reçut
yeux sur
les
«
Pour
les papiers des
la
être
avant.
dit-il.
couverture,
il
déposé, acres
mains de Barrois, lut
ma
et, jetant
:
mort, chez
mon ami
la
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
?5I
général Durand, qui lui-même en mourant léguera ce paquet à son fils, avec injonction de le conserver comme
renfermant un papier de
— Eh
je fasse de ce papier?
vous
le
conserviez cacheté
doute, dit le procureur du
comme
il
est,
sans
roi.
— Non, non, répondit vivement Noirtier. — Vous désirez peut-être que Monsieur manda
»
bien! Monsieur, demanda Franz, que voulez-
vous qup
— Qpe
plus grande importance.
la
le lise î
de-
Valentine.
— Oui, répondit — Vous entendez,
le vieillard.
monsieur
le
baron,
mon
père vous
prie de lire ce papier, dit Valentine.
— Alors
asseyons-nous,
fit
Villefort
avec impatience
car cela durera auelque temps.
— Asseyez -vous, Villefort s'assit,
fit
l'œil
du
vieillard.
mais Valentine resta debout à côté de
son père, appuyée à côté de son fauteuil, bout devant Il
mystérieux papier à
tenait le
— Lisez, dirent Franz la
'
défit
chambre.
et
Franz de-
lui. la
main.
yeux du vieillard. l'enveloppe, et un grand silence
Au
les
milieu de ce silence
il
lut
se
fit
dans
:
Extrail des procès-verbaux d'une séance du club bonapartiste de la
Franz
rue Saint- Jacques, tenue
le
5 février 1815.
s arrêta.
— Le 5 février <845l C'est
assassiné
le
jour où
mon
père a en»
I
Valentine et Villefort restèrent muets vieillard dit clairement
:
Continuez.
;
l'œil
seul
au
,
Kï
LE COMTH DE MONTE-CRISTO.
— Mais
en sortant de ce club, continua Franz
c'est
qu" nioa père a disparu
I
Le regard de Noirtier continua de dire Il
reprit
Les
Lisez.
:
:
soussignés Louis-Jacques Beaurepaire,
tenanl-colonel d'artillerie
,
Duchampy
Etienne
,
iieu-
générai
de brigade, et Claude Lecharpal, directeur des eaux
et
Jorôls «
Déclarent que,
le 4 février
une
<815,
nie d'Elbe, qui recommandait à
lettre arriva
la bienveillance et
conûance des membres du club bonapartiste
le
de
à
la
général
Flavien de Quesnel, qui, ayant servi l'empereur depuis i
804 jusqu'en 1815, devait être tout dévoué à
napoléonienne, malgré
le titre
dynastie
la
de baron que Louis XVIII
venait d'attacher à sa terre d'Épinay. «
En conséquence, un
de Quesnel, qui
demain la
5,
Le
le
billet n'indiquait ni la
maison où devait se
cune signature, mais se tenir prêt,
lait
du
billet fut
adressé au général
priait d'assister à la
on
tenir là
séance du len-
rue ni le numéro de
réunion;
il
ne portait au-
annonçait au général que,
il
le viendrait
s'il
vou-
piendre à neuf heures
soir. «
Les séances avaient lieu de neuf heures du soir
'
minuit.
A neuf
«
le
général
heures, :
le
le
président
du club
général était prêt
;
le
se présenta chez
président lui dit
qu'une des conditions de son introduction
était
qu'il
ignorerait éternellement le lieu de la réunion, et qu'il se laisserait
bander
à soulever •
le
les
yeux en jurant de ne point chercher
bandeau.
Le général de Quesnel accepta
la condition, et
mit sur l'honneur de ne oas chercher à voir conduirait.
pro-
où on
W
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. «
Le général
avait fait préparer sa voiture
;
253
mais
le pré-
sident lai dit qu'il était impossible que Ton s'en servît,
attendu que ce n'était pas la peine qu'on banc'àt les yeux
du maître
cocher demeurait les yeux ouverts
si le
et re-
connaissait les rues par lesquelles on passerait. «
— Comment
•
— J'ai
•
— Êtes-vous donc
lui confier
ma un
faire alors?
demanda
le
général.
voiture, dit le président. si sûr de votre cocher, que vous que vous jugez imprudent de dire
secret
au mien? «
— Notre cocher est un membre du club,
sident; «
nous serons conduits par un
— Alors,
dit
en riant
le
général
pré-
dit le
conseiller d'État. ,
nous courons un
autre risque, celui de verser. «
ie
Nous consignons
cette plaisanterie
général n'a pas été le moins du
à la séance, et qu'il y est
comme preuve que
monde
venu de son
forcé d'assister
plein gré.
« Une fois monté dans la voiture, le président rappela au général la promesse faite par lui de se laisser bander les yeux. Le général ne mit aucune opposition à cette
formalité fit
:
un
foulard, préparé à cet effet dans la voiture,
l'affaire. a
Pendant
la route, le président crut s'apercevoir
à regarder sous son bandeau
le général cherchait
:
que
il
lui
rappela son serment. «
— Ah
«
La voiture
I
c'est vrai, dit le général.
s'arrêta
devant une allée de
la
rue Saini-
Jacques. Le général descendit en s'appuyant au bras du président, dont
il
ignorait la dignité, et qu'il prenait pour
un simple membre du club; on monta un étage, et l'on entra dans
traversa la
l'allée,
chambre des
ea
déli-
bérations. «
La séance TOME
IT.
était
commencée. Les membres du club, *^
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
254
prévepus de l'espèce de présentation qui devait avoir lieu ce soir-là se trouvaient au grand complet. Arrivé ,
au milieu de bandeau,
se rendit aussitôt à l'invitation,
il
oter sou
la salle, le général fut invité à
un si grand nombre de
étonné de trouver
naissance dans une société dont
ù parut fort
figures de con-
même
n'avait pas
il
soupçonné l'existence jusqu'alors.
On
«
l'interrogea sur ses sentiments,
tenta de répondre
dû
que
de
les lettres
les faire connaître...
i'ile
mais
il
se con-
d'Elbe avaient
»
Franz s'interrompit.
— Mon père
était royaliste, dit-il
on n'avait pas besoin
;
de l'interroger sur ses sentiments,
— Et de père,
mon
là, dit Villefort,
quand on partage
—
mêmes
continua de dire
Lisriz,
Franz continua «
les
Le président
ma
venait
cher monsieur Franz
étaient connus.
ils
;
liaison
on se
lie
avec votre facilement
opinions.
du
l'œil
vieillard.
:
prit alors la parole
pour engagei
nérai à s'expliquer plus explicitement
;
nel répondit qu'il désirait avant tout savoir ce désirait
de
gé-
que
l'on
lui.
« 11 fut alors
même
le
mais M. de Ques-
lettre
de
donné communication au général de l'île
d'Elbe qui
le
cette
recommandait au club
comme un homme sur le concours compter. Un paragraphe tout entier
duquel on pouvait ex[>osait le retour
probable de Tile d'Elbe, et promettait une nouvelle lettre
de plus amples détails à l'arrivée du Pharaon, bâtiment appartenant à l'armateur Morrel, de Marseille, et
et
dont
Ib
capitaine était à l'entière dévotion de l'empereur
Pendant toute cette lecture, avait cru pouvoir compter
le
comme
général, sur lequel on
sur
un frère, donna au
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. des signes de mécontentement
contraire
gnance
visibles.
«Lalecture terminée, cil
255 de répu-
et
il
demeura silencieux
et le
sour-
dites
vous
froncé. «
— Eh bien
de cette a
lettre,
— Je dis
demanda
I
monsieur
le président,
le
que
général?
y a bien peu de temps,
qu'il
qu'on a prêté serment au
répondit-il
Louis XVIII, pour le violer déjà au bénéfice de l'ex-empereur. «
roi
Cette fois la réponse était trop claire pour
que
l'on
pût se tromper à ses sentiments. «
— Général,
nous de
roi
dit le président,
Louis
XVUI qu'il n'y
a que Sa Majesté l'empereur
mois de
la
il
n'y a pas plus pour
a d'ex-empereur.
et roi, éloigné
Il
n'y
depuis dix
France, son État, par la violence
et la tra-
hison. «
— Pardon, Messieurs,
n'y ait pas pour
un pour moi de camp,
et
:
vous de
dit le
roi
attendu qu'il m'a
que
«
— Monsieur,
fait
dit le
se peut qu'il
il
baron
je n'oublierai jamais
heureux retour en France que et
général;
Louis XVIII, mais
que
je dois ces
il
y en a
maréchal
et
c'est à
deux
son
titres.
président du ton le plus sérieux
en se levant, prenez garde à ce que vous
dites
;
vos
paroles nous démontrent clairement que l'on s'est trompé
sur votre compte à
l'ile
d'Elbe et qu'on nous a trompés.
La communication qui vous a qu'on avait en vous,
et
été faite tient à la confiance
par conséquent à
un sentiment
qui vous honore. Maintenant nous étions dans l'erreur
:
nouveau gouverrenverser. INouî. ne vous contraindrons pas à nous prêter votre concours nous n'en-
un titre et un grade vous nement que nous voulons
ont rallié au
;
rôlerons personne contre sa conscience et sa volonté; ûiais
nous vous contraindrons à
agir
comme un
galant
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
?56
homme, même au cas où vous n'y seriez point disposé. « Vous appelez être un galant homme connaître
—
votre conspiration et ne oas la révéler être votre complice,
J'appelle cela
!
moi.\>us voyez que je
suis encore
plus franc que vous...
— Ah
mon
!
père, dit Franz
prends maintenant pourquoi
,
ils
t'ont assassiné.
Valentine ne put s'empêcher de jeter
Franz;
homme
jeune
le
enthousiasme Villefort se
était
com-
s'inlerrompant, je
un regard sur
vraiment beau dans son
filial.
promenait de long en large derrière
Noirtier suivait des
lui.
yeux l'expression de chacun,
et
conservait son attitude digne et sévère.
Franz revint au manuscrit «
— Monsieur,
dit le
et
continua
président,
:
on vous a
prié de
vous
rendre au sein de l'assemblée, on ne vous y a point traîné
de force; on vous a proposé de vous bander les yeux, vous avez accepté. Quand vous avez accédé à cette double demande, vous saviez parfaitement que nous no
nous occupions pas d'assuier
le trône
de Louis XVlll,
sans quoi nous n'eussions pas pris tant de soin de nous
Maintenant, vous
cacher à
la police.
rait trop
commode de
on surprend
mettre
le secret
le
comprenez,
un masque à
l'aide
il
se-
duquel
des gens, et de n'avoir ensuite
qu'à ôter ce masque pour perdre ceux qui se sont
fiés
vous. Non, non, vous allez d'abord dire franchement
vous
êtes
ou pour «
pour
S.
— Je
le roi
de hasard qui régne en ce moment,
M. l'empereur. suis
royaliste
,
répondit le général
serment à Louis XVIIl, je tiendrai «
à si
mon
;
j'ai fait
serment.
Ces mots furent suivis d'un murmure général, eK î'on
put voir, par les regards d'un graod nombre des
membres
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. du
club,
257
qu'ils agitaient la question de faire
repentir
M. fl'Épinay de ces imprudentes paroles. «
Le président se leva de nouveau
«
—
grave
Monsieur,
et trop
quences de
vous
lui dit-il,
;\nposa silence.
et
êtes
un homme
trop
sensé pour ne pas comprendre les consé-
où nous nous trouvons
la situation
en face des autres,
et
les conditions qu'il
nous reste à vous
votre franchise
les
uns
même
nous
dicte
faire
vous
allez
:
donc jurer sur l'honneur de ne rien révéler de ce que
vous avez entendu.
main à son épée
"
Le général porta
«
— Si vous parlez d'honneur, commencez par ne pas
anéconnaitre ses «
— Et
vous
un calme plus ral,
la
lois, et ,
et s'écria
:
n'imposez rien par la violence.
Monsieur, continua le président avec
terrible peut-être
que
la colère
ne touchez pas à votre épée, c'est
un
du géné-
conseil
que
je
vous donne. «
Le général tourna autour de
celaient fléchit «
«
un commencement
lui
des regards qui dé-
d'inquiétude. Cependant
il
ne
pas encore; au contraire, rappelant toute sa force-
— Je ne jurerai pas, — Alors, Monsieur, vous
dit-il.
mourrez, répondit tran-
quillement le président. «
M. d'Épinay devint
fort pâle
:
il
regarda une seconde
autour de lui; plusieurs membres du club chuchotaient et cherchaient des armes sous leurs mantout
fois
teaux. «
— Général,
dit le
président, soyez tranquille
;
vous
tous les ïies parmi des gens d'honneur qui essayeront do contre porter se avant de convaincre moyens de vous
mais aussi, vous l'avez dit, vous tenez notre seconspirateurs, des parmi vous êtes
vous à cret,
il
la dernière extrémité;
faut
nous
le rendre.
LE COMTE DE MONTE-CMSTO.
258
Un silence plein de comme le général ne
«
et
signification suivit ces paroles
répondait rien
«
— Fermez les portes,
«
Le
«
Abr»» îe général s'avança,
même
—
J'ai
aux huissiers
président
silence de mort succéda à ses paroles.
sur lui-même «
dit le
;
:
un
et faisant
un
violent effort
:
fils
dit-il,
,
et je dois
me
scnger à lui en
trouvant parmi des assassins. «
— Général,
avec noblesse
dit
chef de rassemblée,
le
un seul homme a toujours
le
quante
la faiblesse.
c'est le privilège
:
tort d'user
de
droit d'en insulter cin-
Seulement
de ce droit. Croyez-moi, général jurez
il
et
,
a
ne
nous insultez pas. «
Le général, encore une
dompté par
fois
du chef de l'assemblée,
riorité
hésita
un
bureau du président
enfin, s'avançant jusqu'au
supé-
cette
instant; mais :
«
— Quelle
«
La
«
Je jure sur l'honneur de ne jamais révéler à qui que
voici
est la
formule? demanda-t-il.
:
monde
vu
«
ce soit au
«
vrier 1815, entre neuf et dix heures clare mériter la «
ce que
mort
si
j'ai
je viole
et
mon
entendu
du
le 5 fé-
,
dé-
soir, et je
serment.
»
Le général parut éprouver un frémissement nerveux
qui l'empêcha de répondre pendant quelques secondes
surmontant une répugnance manifeste,
enfin,
nonça
le
serment exigé, mais d'une voix
peine on l'entendit ils qu'il le
qui fut •
:
aussi plusieurs
si
membres
il
;
pro-
basse qu'à exigèrent-
répétât à voix plus haute et plus distincte, ce
fait.
— Maintenant, je désire
me
iJîtirer, dit le
général
;
suis-je enfin libre? «
Le
prt^-sident se leva,
désigna trois membres de
semblée pour l'accompagner,
et
l'as-
monta en voiture avec
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le général, après lui avoir
de ces
trois
membres
bandé
était le
les
yeux.
259
Au nombre
cocher qui les avait amenés
«
Les autres membres du club se séparèrent en silence
«
— Où voulez-vous
demanda
que nous vous reconduisions*
le président.
— Partout où
je pourrai être délivré
de votre pré«
sence, répondit M. d'Épinay. "
— Monsieur, reprit alors
vous n'êtes plus qu'à des
affaire
ici
le président,
prenez garde,
dans l'assemblée, vous n'avez plus
hommes
isolés
;
ne
les insultez
pas
si
vous ne voulez pas être rendu responsable de l'insulte. « Mais au lieu de comprendre ce langage, M. d'Épinay répondit «
:
— Vous êtes toujours aussi brave dans votre voilure
que dans votre
hommes
club, par la raison. Monsieur,
«
Le président
«
On
fi*
était juste
arrêter la voiture.
à l'endroit
du quai des Ormes où
trouve l'escalier qui descend à «
que quatre
sont toujours plus forts qu'un seul.
se
la rivière.
— Pourquoi faites- vous arrêter ici? demanda M. d'É-
pinay. «
— Parce que, Monsieur,
insulté
un h<imme,
et
que
dit le
cet
président, vous aver
homme
ne veut pas
fair»;
un pas de plus sans vous demander loyalement réparation. « Encore une manière d'assassiner, dit le général
—
en haussant les épaules. a Pas de bruit, Monsieur, répondit le président, si vous ne voulez pas que je vous regarde vous-même
_
comme un
hommes que vous à-dire comme un lâche
de ces
l'heure, c'est
désigniez tout à
qui prend sa
fai-
blesse pour bouclier. Vous êtes seul, un seul vous répondra; vous avez une épée au côté, j'en ai une aans cette canne vous n'avez ras de témoin, un de ces Messieurs ;
LE COMTE DE MOjSTE-CRISTO.
260
sera le vôtre. Maintenant,
si
vous convient, vous
cela
pouvez ôter votre bandeau. «
Le général arracha à
«
— Enfin,
«
On
môme
l'instant
mouchoir
le
yeux.
qu'il avait sur les
dit-il,
je vais
ouvrit la voiture
:
donc savoir à qui
j'ai affaira
hommes
quatre
les
descen-
dirent... »
Franz s'interrompit eiîsore une
fois.
sueur froide qui coulait sur son front
que chose
d'effrayant à voir le
;
Tl il
essuya une
y
avait quel-
tremblant
fils
et pâle, li-
sant tout haut les détails, ignorés jusqu'alors, de la mort
de son père.
comme
Valentine joignait les mains
si
elle
eût été en
prières.
une expression pres-
Noirtier regardait Villefort avec
que sublime de mépris Franz continua «
On
était,
il
tout roide
grand,
le
:
comme nous
puis trois jours était
et d'orgueil.
l'avons dit
gelait à cinq
ds glaçons;
président lui
offrit
ou le
,
au 5
De-
février.
six degrés
;
l'escalier
général était gros
le côté
et
de la rampe pour
descendre. «
Les deux témoins suivaient par derrière.
« 11 faisait
une nuit sombre la humide de neige .
la rivière était
l'eau s'écouler,
noire,
terrain de l'escalier et
à
de givre, on voyait
profonde et charriant quelques
glaçons. «
Un
des témoins alla chercher une lanterne dans
un
bateau de charbon, et à la lueur de cette lanterne on
examina « il
les
armes.
L'épée du président, qui
l'avait dit,
une épée
était
qu'il portail
simplement,
comme
dans une canne,
était
LE COiMTE DE MONTE-CRISTO.
261
plus courte de cinq pouces que celle de son adversaire, et n'avait
pas de garde.
Le général d'Épinay proposa de tirer au sort épées mais le président répondit que c'était «
les
avait provoqué, et qu'en provoquant
deux
lui
:
qui
avait prétendu
il
que chacun se servit de ses armes. «
Les témoins essayèrent
imposa «
d'insister; le président leur
silence.
On posa
la
lanterne à terre
mirent de chaque côté
le
;
:
les
deux adversaires se
combat commença.
« La lumière faisait des deux épées deux éclairs. Quant aux hommes, à peine si on les apercevait, tant
l'ombre «
M.
était épaisse.
le
général passait pour une des meilleures lames
de l'armée. Mais
fut pressé si
il
vivement dès
mières bottes, qu'il rompit; en rompant, «
Les témoins
le
il
crurent tué; mais son adversaire, qui
savait ne l'avoir point touché, lui
offrit la
main pour
der à se relever. Cette circonstance, au lieu de irrita le «
le
l'ai-
calmer,
général, qui fondit à son tour sur son adversaire.
Mais son adversaire ne rompit pas d'une semelle. Le
recevant sur son épée,
trouvant trop engagé, «
les pre-
tomba.
A
la troisième fois,
On
trois fois le général recula, se
et revint à la charge. il
crut qu'il glissait
tomba encore.
comme
pendant les témoins, voyant
la
première
fois;
ce-
ne se relevait pas,
qu'il
s'approchèrent de lui et tentèrent de le remettre sur ses pieds; mais celui qui l'avait pris à bras-le-corps seniil
sous sa main une chaleur humide. «
Le général, qui
était
C'était
du sang.
à peu près évanoui, reprit ses
sens. «
— Ah
I
dit-il,
on m'a dépêché quelque spadassin,
quelque maître d'arme de révjmeni.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
262 «
Le président, sans répondre, s'approcha de celui de«
deux témoins qui tenait la lanterne, et relevant sa manche il montra son bras percé de deux coups d'épée ,
;
puis, ouvrant son habit et déboutonnant son gilet,
il fit
voir son flanc entamé par une troisième blessure.
même
poussé un soupir.
«
Cependant
«
Le général d'Épinay entra en agonie
il
minutes après...
Franz
n'avait pas
lut ces derniers
mots d'une voix
qu'à peine on put les entendre s'arrêta,
et
expira cinq
»
;
et
si
étranglée,
après les avoir lus
passant sa main sur ses yeux
il
comme pour en
chasser un nuage. Mais, après «
un
instant de silence,
Le président remonta
son épée dans sa canne
chemin sur
;
l'escalier,
une
la neige. Il n'était
il
continua
:
après avoir repoussé
trace de sang marquait son
pas encore en haut de
l'es-
un clapotement sourd dans l'eau corps du général que les témoins venaient de
calier, qu'il entendit c'était le
:
précipiter dans la rivière après avoir constaté la mort. «
Le général a donc succombé dans un duel
non dans un guet-apens, o
En foi de
blir la vérité
comme on
quoi nous avens signé des
faits,
le
de peur qu'un
où quelqu'un des acteurs de
loyal, et
pourrait le dire.
présent pour éta-
moment
n'arrive
cette scène terrible
ne se
trouve accusé de meurtre avec préméditation ou de forfaiture
aux
lois
de l'honneur. «
Signé et
:
Beauregard, Duchampt
Lecharpal.
»
Quand Frantz eut terminé cette lecture si terrible poiBP an fils, quand Valentine, pâle d'émotion, eut essuyé une larme, quand Villefort, tremblant et blotti dans un coin»
1
^
COMTE DE MONTE-CRISTO.
263
«Ut essayé de conju-rer l'orage par des regards suppliants adressés au vieillard implacable.
— Mon^'eur,
d'Épicay à Noirtier, puisque vous
dit
connaisse/î cette terrible histoire dans tous ses détails,
puisque vous î'avez râbles,
fait attester
par des signatures hono
puisque enfin vous semblez vous intéresser à moi,
quoique votre
ne se
intérêt
soit
encore révélé que par la
me refusez pas une dernière satisfaction, dites-moi le nom du président du club, que je connaisse enfin celui qui a tué mon pauvre père. Villefort chercha, comme égaré, le bouton de la porte. douleur, ne
Valentine, qui avait compris avant tout le
ponse du
son avant-bras
la trace
monde
la ré-
souvent avait remarqué
et qui
vieillard,
sui-
de deux coups d'épée, recula
d'un pas en arrière.
— Au nom du
ciel
Mademoiselle,
1
dit
Franz, s'adres-
nom
sant à sa fiancée, joignez-vous à moi, que je sache le
homme
de cet
qui m'a
orphelin à deux ans
fait
I
Valentine resta immobile et muette.
— Tenez, Monsieur,
dit Villefort,
longez pas cette horrible scène été cachés à dessein.
ce président,
Mon
et, s'il le
noms propres ne
;
les
croyez-moi, ne pro-
noms
d'ailleurs ont
père lui-même ne connaît pas
connaît,
il
ne saurait
le dire
:
les
se trouvent pas dans le dictionnaire.
—
Oh! malheur! s'écria Franz, le seul espoir qui m'a soutenu pendant toute cette lecture et qui m'a donné la force d aller jusqu'au bout, c'était de connaître au moins
nom
le
sieur
!
de celui qui a tué s'é<;ria-t-il
père! Monsieur,
que vous pourrez... arrivez,
du
ciel!
en
supp\ife, à m'indiquer,
faites ce
mon
Mon-
en se retournant vers Noirtier, au à
me
faire
nom
je ''ous
comprendre...
— Oui, répondit Noirtier.
—
Mademoiselle, Mademoiselle! s'écria Franz, votr«
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
264 père a
signe qu'il pouvait m'indiquer... cet homme...
fait
Aidez-moi... vous !e comprenez... prêtez-moi votre concours. Noirtier regarda le dictionnaire.
Franz
le prit
avec un tremblement nerveux,
et pro-
nonça successivement les lettres de l'alphabet jusqu'à l'M.
A
cette lettre, le vieillard
flt
signe que oui.
— M? répéta Franz. Le doigt du jeune
homme
glissa sur les
un
tous les mots, Noirtier répondait par
mots; mais, à
signe négatif.
Valentine cachait sa tête entre ses mains. Enfin Franz arriva au
— Oui, — ^<jas
P.'.îe
sur sa tête tué
mon
MOL cheveux se dressèrent
!
s'écria Franz, dont les
;
vous, monsieur Noirtier
père
— Oui,
mot
vieillard.
I
c'est
vous qui avez
?
répondit Noirtier, en fixant
sur
le
jeune
homme uu majestueux regard. Franz tomba sans force sur un fauteuil. Villefort ouvrit la porte et s'enfuit, car l'idée lui venait
d'étouffer ce
cœur
terrible
peu d'existence qui du vieillard.
restait
encore dans
le
XIX LE PROGRÈS DE CAVALCANTl
Cependant M. Cavalcanti père
FILS.
était parti
pour
aller re-
prendre son service, non pas dans l'armée de S. M. l'em-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
265
pereur d'Autriche, mais à la roulette des bains de Lucques, dont il était un des plus assidus courtisans. Il
va sans
dire qu'il avait
emporté avec
la plus scru-
puleuse exactitude jusqu'au dernier paul de
la
somme
qui lui avait été allouée pour son voyage, et pour la ré-
compense de quelle
il
la
façon majestueuse et solennelle avec
la-
avait joué son lôle de père.
M. Andréa
avait hérité à ce départ de tous les papiers
qni constataient qu'il avait bien l'honneur d'être
du marquis Bartolomeo
et
le fils
de ia marquise Leonora Cor-
sinari. lî é^dit
sienne,
donc à peu près ancré dans cette société pari-
si facile
à recevoir les étrangers, et à les traiter,
non pas d'après ce
qu'ils sont,
mais d'après ce
qu'ils
veulent être. D'ailleurs, ris?
De
que demande-t-on à un jeune
parler à
peu près sa langue,
venablement, d'être beau joueur Il
va sans
dire qu'on
est
et
moins
homme
à Pa-
d'être habillé con-
de payer en or. difficile
encore pour
un étranger que pour un Parisien. Andréa avait donc pris en une quinzaine de jours une assez belle position; on l'appelait monsieur le comte, on disait qu'il avait
parlait
cinquante mille livres de rentes,
des trésors immenses de monsieur son
et
on
père,
enfouis, disait-on, dans les carrières de Saravezza.
Un savant,
devant qui on mentionnait cette dernière
circonstance
comme un
rières dont
était question, ce
il
fait,
qui donna
à des assertions jusqu'alors flottantes à et
qui dès lors prirent la consistance de
On en
était là
vu les carun grand poidâ
déclara avoir
dans ce cercle de
l'état
de doute,
la réalite.
la société
parisienne
où nous avons introduit nos lecteurs, lorsque MouieCristo vint un soir faire visite à M. Danglars. AI. Dan
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
2«b
glars était sorti, mais
on proposa au comte de
l'introduire
près de la baronne, qui était visible, ce qu'il accepta. Ce n'était Jamais sans une espèce de tressaillement nerveux que, depuis le dîner d'Auteuil et les événements qui en avaient été la suite,
madame Danglars en de Monte-Cristo. Si la présence du comte ne suivait pas le bruit de son nom la sensation douloureuse devenait plus intense; si au îendait prononcer le
nom
contraire
comte paraissait, sa figure ouverte, ses yeux brillants son amabilité, sa galanterie même pour madame Dan-' le
glars chassaient bientôt jusqu'à la dernière impression il paraissait à la baronne
de crainte;
impossible qu'un charmant à la surface pût nourrir contre elle de mauvais desseins; d'ailleurs, les cœurs les plus corrompus ne peuvent croire au mal qu'en le faisant reposer sur un intérêt quelconque le mal inutile eê sans cause répugne comme une anomalie. Lorsque Monte-Cristo entra dans le boudoir où nous avons déjà une fois introduit nos lecteurs, et où la baronne suivait d'un œil assez inquiet des dessins que lui passait sa fille après les avoir regardés avec M. Caval-
homme
si
:
^
canti
fils, sa présence produisit son effet ordinaire, et ce en souriant qu'après avoir été quelque peu bouleversée par son nom la baronne reçut le comte. Celui-ci, de son côté, embrassa toute la scène d'un coup d'œil.
fut
Près de la baronne, à peu près couchée sur une causeuse, Eugénie se tenait assise, et Cavalcanti debout Cavalcanti, habillé de noir comme un héros de Goethe en souliers vernis et en bas de soie blancs à jour, pas-
sait une main assez blanche et assez soignée dans ses cheveux blonds, au milieu desquels sciniillait un diamant que. malgré les conseiis
de Monte-Cristo,
le
vani-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. teux jeune ser au
homme
n'avait
pu
résister
au désir de
se pas-
petit doigt.
Ce mouvement
était
accompagné de regards assassins
lancés sur mademoiselle Danglars,
à la
267
même
et
de soupirs envoyés
adresse que les regards.
Mademoiselle Danglars
toujours la
était
même,
c'est-
à-dire belle, froide et railleuse. Pas un de ces regards, ou pas un de ces soupirs d'Andréa ne lui échappaient;
sur la cuirasse de Minerve, cuiprétendent recouvrir philosophes quelques rasse que Sapho. de poitrine la parfois
eût
dit qu'ils glissaient
Eugénie salua froidement
comte,
le
et profita
des pre-
mières préoccupations de la conversation pour s'exhadans son salon d'études, d'où bientôt deux voix accords premiers aux lant rieuses et bruyantes, mêlées se retirer
d'un piano,
firent savoir
à Monte-Cristo que mademoi-
sienne et à celle de selle Danglars venait de préférer, à la Louise d'Armademoiselle de société M. Cavalcanti, la milly, sa maîtresse de chant.
Ce
en causant avec madame de la en paraissant absorbé par le charme AnM. de sollicitude comte remarqua la
fut alors surtout que, tout
Danglars
et
conversation, le
dréa Cavalcanti, sa manière
d'aller
écouter
la
musique
de manifester son à la porte qu'il n'osait franchir, et admiration. Bientôt le banquier rentra.
pour Monte-Cristo,
c'est vrai,
Son premier regard fut mais le second fut pour
Andréa.
Quant à sa femme,
il
la salua à la façon
dont certams
et dont les célibataires
ne
idée que lorsqu'on aura publié
un
maris saluent leur femme,
pourront se faire une code très-étendu de la conjugalité.
— Est-ce que ces demoiselles ne
vous ont pas
invité
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
J68 à
faire
de la musique avec elles
demanda Danglars à
î
Andréa.
—
Hélas non, Monsieur, répondit Andréa avec soupir plus remarquable encore que les autres. I
Danglars s'avança aussitôt vers
la porte
un
de communi-
cation et rouvrit.
On
vit alors les
siège, devant le
deux jeunes
même piano.
cune d'une main
filles
assises sur le
même
Elles accompagnaient cha-
exercice auquel elles s'étaient habi-
,
tuées par fantaisie
,
et
où
elles étaient
devenues d'une
force remarquable.
Mademoiselle d'Armilly, qu'en apercevait alors,
mant avec Eugénie, grâce au cadre de ces tableaux vivants
magne,
comme on
en
fait
la porte,
for.
un de
souvent en Alle-
d'une beauté assez remarquable, ou plutôt d'une gentillesse exquise. C'était une petite femme mince était
comme une fée, avec de grands cheveux boutombant sur son cou un peu .rop long, comme Pérugin en donne parfois à ses vierges, et des et
blonde
clés
yeux
par la fatigue. et
que,
rait
et
On
comme
voilés
disait qu'elle avait la poitrine faible,
Antonia du Violon de Crémone,
mour-
elle
un jour en chantant.
Monte-Cristo plongea dans ce gynécée un regard rapide curieux; c'était la première fois qu'il voyait
made-
moiselle parler
d'Armilly, dont
dMs
— Eh
la
si
souvent
il
avait entendu
maison.
demanda le banquier à sommes donc exclus, nous autres? Alors il mena le jeune homme dans le bien!
sa
fille,
nous
petit salon, et, adresse, derrière Andréa la porte fut repoussée de manière à ce que de l'endroit oft ils é'^ifcdi soit hasard, soit
assis, Monte-Cristo et la
voir; mais,
comme
le
baronne ne pussent plus rien banquier avait suiv\ Andréa, ma-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
269
dame Danglars ne parut pas même remarquer
cette cir-
constance. Bientôt après, le comte entendit la voix d'Andréa ré-
sonner aux accords du piano, accompagnant une chanson corse.
Pendant que son qui lui
madame
detto,
comte écoutait en souriant
le
le
milanaise, perdu trois ou quatre cent mille francs.
su par
la
de tout savoir,
eût pas dit
un mot.
— Boni pensa Monte perd
il
:
bien
la
comte ne
du baron ne
la figure
Cristo,
y a un mois
Puis tout haut
— Oh!
si le
baronne ou peut-être par un des moyens
qu'il avait
qu'il
la force
matin encore, avait, dans une
Et, en effet, l'éloge était mérité; car, l'eût
cette chan-
rappeler Bena-
lui
Danglars vantait à Monte-Cristo
d'âme de son mari, qui, faillite
Andréa pour
faisait oublier
il
il
en
est déjà à cacher ce
s'en vantait.
:
Madame,
dit le
comte, M. Danglars connaît
qu'il rattrapera toujours là
Bourse,
en
lui
si
ce qu'il pourra
nerdre ailleurs.
— Je vois que madame
— Et quelle — il
vous partagez
l'erreur
commune
,
dit
Danglars.
C'est
est cette
eneur?
dit
Monte-Cristo.
que M. Danglars joue, tandis qu'au contraire
ne joue jamais.
— Ahl oui,
c'est vrai,
M. Debray m'a M. Debray?
11
dit...
y a
A
trois
Madame,
je
me
rappelle
que
propos, mais que devient donc
ou quatre jours que
je ne
l'ai
aperçu.
— St moi aussi,
dit
madame
Danglars avec un aplomb
miraculeux. Mais vous avez commencé est restée inachevée.
— Laquelle
?
uj>e
çhias^qui
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Î70
— M. Debray vous a — Ah c'est vrai M. ;
qui sacrifiiez au
— dit
J'ai
Debray m'a
démon du
que
dit
vous
c'éta.t
jeu.
eu ce goût pendant quelque temps, je l'avoue, Danglars, mais je ne l'ai plus.
madame
— Et vous avez chauces de et
prétendiez- vous...
dit,
I
que
le
la
Madame. Ehl mon Dieu! les si j'étais femme,
tort,
fortune sont pi.écaires, et
hasard eût
de celte
fait
que
quier, quelque confiance
mon
femme
celle d'un
dans
j'aie
ban-
bonheur de
le
mari, car en spéculation, vous le savez, tout est
malheur; eh bien!
bonheur
et
que
dans
j'aie
le
quelque confiance
dis-je,
bonheur de mon mari,
je
commencerais
toujours par m'assurer une fortune indépendante, dussé-je acquérir cette fortune
en mettant mes
dans
intérêts
des mains qui lui seraient inconnues.
Madame Danglars
— Tenez,
dit
rougit malgré elle.
Monte-Cristo,
comme
on parle d'un beau coup qui a été
s'il
fait
n'avait rien vu,
hier sur les bons
de Naples.
— Je n'en même
ai
pas, dit
jamais eu
Hourse
comme
;
vivement la baronne,
mais
cela,
en
,
vérité
monsieur
le
,
et je
n'en ai
c'est assez
parler
comte, nous avons
l'air
de deux agents de change parlons un peu de ces pauvres ;
Villefort, si
— Que
tourmentés en ce moment par
leur arrive-t-il donc ?
la fatalité.
demanda Monte-Cristo
avec une parfaite naïveté.
— Mais, vous
le savez; après avoir perdu M. de Saintou quatre jours après son départ, ils viennent de perdre la marquise trois ou quatre jours après
Méran
trois
son arrivée.
— Ahl mais,
nature
c'est vrai, dit Monte-Cristo, j'ai appris cela;
comme :
dit
Clodius à Hamlet, c'est une
loi
leurs pères étaient morts avant eux, et
de la ils
les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. avaient pleures fils
;
ils
mourront avant leurs
271
fils
,
et leurs
les pleureront.
— Mais ce n'est pas — Comment ce pas tout — Non vous saviez — A M, Franz d'Épinay... Est-ce le tout.
n'est
le
I
ma/igr leur
qu'ils allaient
;
que
le
fi'le...
mariage
est
manqué?
—
Hier matin, à ce
qu'il paraît,
Franz leur a rendu
leur parole.
— Ahl
vraiment... Et connaît-on les causes de cette
rupture ?
— Non.
— Que m'annoncez-vous monsieur de
Villefort,
là,
bon Dieul Madame...
comment
et
accepte-t-il tous ces
malheurs ?
— Comme toujours, en philosophe. En
ce
moment, Dangiars
— Eh bien! avec votre
dit la
fille?
— Et mademoiselle qui la
rentra seul.
baronne, vous laissez M. Cavalcanti
d'Armilly, dit le banquier, poui
prenez-vous donc ?
Puis se retournant vers Monte-Cristo
— Charmant jeune homme, comte, que
le
;
n'est-ce pas,
monsieur
prince Cavalcanti?... Seulement,
le
est-il
bien prince?
— Je n'en réponds pas, senté son i^ère crois
comme
dit
Monte-Cristo.
marquis,
il
serait
On m'a
pré-
comte; mais
que lui-même n'a pas grande prétention à ce
je
titre.
—
Pourquoi? dit le banquier. S'il est prince, il a tort de ne pas se vanter. Chacun son droit. Je n'aime pas qu'on renie son origine, moi. Oh vous êtes un démocrate pur,
—
I
en souriant.
dit
Monte-Cristo
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. —' Mais, voyez, dit la baronne, à quoi vous vous
J7-2
sez;
M. de Morcerf venait par hasard,
si
M. Câvalcanti dans une chambre où n'a jamais
eu
— Vous que
faites
— cée,
fille,
Lui? oh
bert ne il
nous
dirait, tant
on
il
mon
I
fait
le
ban-
rarement,
le voit
hasard qui nous l'amène.
homme
pourrait être mécontent.
Dieu! vous vous trompez; M. Al-
pas l'honneur d'être jaloux de sa fian-
ne l'aime point assez pour
m'importe
d'Eugénie,
venait, et qu'il trouvât ce jeune
s'il
près de votre
lui, fiancé
bien de dire par hasard, reprit
c'est effectivement le
— Enfin,
trouverait
permission d'entrer.
la
en vérité, on
quier, car,
expo-
il
qu'il soit
cela. D'ailleurs,
que
mécontent ou non!
— Cependant, au point où nous en sommes... — Oui, au point où nous en sommes voulez-vous :
où nous en sommes? c'est qu'au bal a dansé une seule fois avec ma fille, que
le savoir, le point
de sa mère,
il
M, Câvalcanti a dansé
même
trois fois
avec
elle, et qu'il
ne
l'a
pas remarqué.
— M.
le
vicomte Albert de Morcerf! annonça
le valet
de chambre.
La baronne se leva vivement. Elle lon d'étude pour avertir sa
fille,
passer au sa-
allait
quand Danglars
l'arrêta
par le bras.
— Laissez,
dit-il.
Elle le regarda étonnée
Monte-Cristo feignit de ne pas avoir
vu ce jeu de
*C(-ne.
Albert entra,
il
était fort
beau
et fort gai. Il salua la
baronne avec aisance, Danglars avec familiarité, MonteCristo avec affection; puis se retournant vers la
— Voulez-vous me
permettre,
Madame,
baronne
lui dit-il,
vous demander comment se porte mademoiselle
:
de
Danglar.i ?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— /ort ello fait
"273
bien, Monsieur, répondit vivement Danglirs
en ce moment de
la
musique dans son
;
petit sa-
lon avec M. '^avalcanti.
Alberl conserva son air calme et indifférent éprouvait-il quelque dépit intérieur
regard de Monte-Cristo fixé sur
— M. Cavalcanti a une et
;
mais
il
:
peut-être sentait le
lui.
très-belle voix de ténor, dii-K
mademoiselle Eugénie un magnifique soprano, sans
compter qu'elle joue du piano comme Thalberg. Ce être
un charmant
—
Le
doit
concert.
fait est, dit
Danglars, qu'ils s'accordent à mer-
veille.
— Albert parut n'avoir pas remarqué si
grossière, cependant,
—
cette équivoque,
que madame Danglars en
rougit
homme, je suis musi cien, à ce que disent mes maîtres, du moins; eh bieni chose étrange, je n'ai jamais pu encore accorder ma voix Moi
aussi, continua le Jeune
avec aucune voix,
et
avec les voix de soprano surtout
encore moins qu'avec les autres.
Danglars Ot un
— Mais
petit sourire qui signifiait
:
fàche-toi donc! Aussi, dit-il, espérant sans
doute arriver au but
qu'il désirait, le
prince et
ma
fille
ont-ils fait hier radmiration générale. N'étiez-vous pas là hier,
monsieur de Morcerf?
— Quel prince? demanda Albert. — Le prince Cavalcanti, reprit Danglars, qui nait toujours à
— Ahl
donner ce
pardon,
titre
s'obsti-
au jeune homme.
dit Albert, j'ignorais qu'il fût prince.
Ahl
le prince Cavalcanti a chanté hier avec
selle
Eugénie? En
mademoi-
vérité, ce devait être ravissant, et je
regrette bien vivement de ne pas avoir entendu cela. Mais
pu me rendre à votre invitation, j'étais forcé d'ac compagner madame de Morcerf chez la baronne de Clà'
je n'ai
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
274
teau-Renaud tion de rien
—
Me
la
mère
un
silence, et
,
Puis, après
,
où chantaient
comme
s'il
Âllemandâ.
les
u'eûl été ques-
:
Morcerf, de présenter
sera-t-il permis, répéta
mes hommages à mademoiselle Danglars?
—
Ohl attendez, attendez,
banquier, en arrêtant la
délicieuse cavatine,
vissant, cela
va être
le
vous eu supplie,
je
jeune
ta, ta, ta,
ti,
ta,
ti,
ta, ta; c'est ra-
une seule seconde
fini...
dit le
homme; entendez-vous :
parfait
1
bravo! bravi! bravai El
banquier se mit à applaudir avec frénésie.
le
—
En
sible de
ne
le
elTet,
dit Albert,
c'est exquis, et
mieux comprendre
fait le
prince
la
Cavalcanti.
n'est-ce pas? D'ailleurs,
s'il
il
est
impos-
musique de son pays que
Vous avez
n'est pas prince,
dit prince,
on
le fera
prince, c'est facile en lialie. .Mais, pour en revenir à nos
adorables chanteurs, vous devriez nous faire un plaisir,
monsieur Danglars
:
sans la prévenir qu'il y a là un
étranger, vous devriez prier mademoiselle Danglars et
commencer un autre morceau. C'est que de jouir de la musique d'un peu lom, dans une pénombre, sans être vu, sans voir, .M.
(Cavalcanti de
une
cliose si délicieuse
par conséquent, sans gêner le musicien, qui peut
et,
ainsi se livrer à tout l'instinct l'élan
démonté par
Celte /ois, Danglars fat
jeune Il
de son génie ou à tout
de son cœnr. le
flegme du
homme.
prit
— Eh
Monte-Cristo à pari. bien! lui
dit-il,
que dites-rous de notre amou-
reux?
— Dame
!
il
me
que voulez-vous
—
?
Sans doule,
parait froid, c'est incontestable
vous êtes engagé je suis
;
mais
!
engagé, mais de donner
ca»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. fille
homme
à un
l'aime pas. Voyez celui-ci, froid
comme
gueilleux
son père
s'il
;
avait la fortune des Cavalcanti,
sus.
Ma
avait
bon
— Oh tié
pour
était riche
encore,
s'il
on passerait par là-des-
je n'ai pas consulté
foi,
275
un homme qui ne comme un ma\bre, or-
qui l'aime et non à
ma
fille;
mais
si
elle
goût...
I
dit
Monte-Cristo, je ne sais
si c'est
mon
ami-
qui m'aveugle, mais je vous assure, moi, que
lui
M. de Morcerf rendra votre
un jeune homme charmant, là, qui et qui arrivera tôt ou tard à
est
fille
heureuse
quelque chose; car enfin
la position
de son père est
excellente.
— Hum —
fit
1
Danglars.
Pourquoi ce doute?
— y a toujours passé... ce passé obscur. — Mais passé du père ne regarde pas — — Voyons, ne vous montez pas y a un mois, le
Il
le fils.
le
Si fait, si fait
!
la tête;
il
vous trouviez excellent de faire ce mariage... Vous comprenez, moi je suis désespéré c'est chez moi que vous avez vu ce jeune Cavalcanti, que je ne connais pas, je :
vous
le répèle.
— Je connais, moi, Danglars, cela — Vous connaissez? Avez-vous donc dit
ie
le
suffit.
pris des ren-
seignements sur lui? demanda Monte-Cristo.
— Est-il besoin de cela, oc pas à qui on a
affaire?
et
11
à la première vue ue
est riche d'anord.
— Je ne l'assure pas. — Vous répondez pour cependant — De cinquante mille livres, d'une misère. — a une éducation distinguée. — Hum à son tour Monie-Cristo. — U est musicien. lui,
Il
!
fit
?
soitr
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
J76
— Tous —
les Italiens le sont.
Tenez, comte, vous n'êtes pas juste pour ce jeune
homme. Eh
—
ainsi se jeter
en travers
Danglars se mit à
— Oh!
me,
bien! oui, je l'avoue, je vois avec peine
connaissant vos engagements avec les Morcerf, et
il
vienae
abuser de sa fortune.
rire.
que vous êtes puritain
I
mais cela se
dit-il,
fait
tous les jours dans le monde.
— Vous ne
pouvez cependant rompre
monsieur Danglars
:
ainsi,
mon
cher
Morcerf comptent sur ce ma-
les
riage.
— Y comptent — Positivement. — Alors s'expliquent. Vous devriez glisser deux ils?
qu'ils
mots de cela au père,
mon
cher comte, vous qui êtes
si
bien dans la maison.
— Moi! où diable avez-vous vu cela? — Mais à leur bal, ce me semble. Comment! et
tesse, la
la
com-
Gère iMercédès, la dédaigneuse Catalane, qui
daigne à peine ouvrir
la
bouche à ses plus
vieilles
con-
naissances, vous a pris par le bras, est sortie avec vous
dans
le jardin, a
pris leg petites allées,
et n'a
reparu
qu'une demi-heure après.
—
Ah! baron, baron,
d'entendre barie
—
:
dit Albert,
pour un mélomane
vous nous empêchez
comme
vous, quelle bar-
I
C'est bien,
'•'est
bien,
monsieur
le railleur,
drt
Danglars.
Puis se retournant vers Monte-Cristo
:
— Vous chargez-vous de lui dire cela, au pèref — Volontiers, vous désirez. — Mais que pour cette cela se fasse d'une manier* si
le
fois
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
fille,
une époque,
qu'il fixe
d'argent, enfin
que
me demande ma
surtout qu'il
et définitive;
explicite
277
condiUons
qu'il déclare ses
l'on s'entende
ou qu'on se
brouille
;
mais, vous comprenez, plus de délais.
— Eh bien la démarche sera — Je ne vous pas que je l'attends faite.
1
dvec
dirai
mais enfin
je l'attends
:
un banquier, vous
plaisir
savez, doil
le
être esclave de sa parole.
Et Danglars poussa un de ces soupirs que poussait Cavalcanti
—
fils
Bravi
banquier
et
1
une demi-heure auparavant.
bravo
I
brava
!
applaudissant la
cria fin
Morcerf
parodiant le
,
du morceau.
Danglars commençait à regarder Albert de travers, lorsqu'on vint lui dire deux mots tout bas.
— Je
reviens, dit le banquier à Monte-Cristo, atten-
dez-moi, j'aurai peut-être qpelque chose à vous dire tout
à
l'heure.
Et
sortit.
il
La baronne
profita
de l'absence de son mari pour re-
pousser la porte du salon d'étude de sa
devant
le
comme un
fille,
et l'on vit
M. Andréa, qui piano avec mademoiselle Eugénie.
se dresser,
ressort,
était assis
Albert salua en souriant mademoiselle Danglars, qui,
sans naraître aucunement troublée, lui rendit
un
salut
il
salua
anssi froid que d'habitude.
Cavalcanti parut évidemment embarrassé Morcerf, qui lui rendit son salut de tinent
;
plus imper-
du monde.
Alors Albert la
l'air le
commença de
se confondre
voix de mademoiselle Danglars,
et
sur
en éloges sur le
ngret
gii'il
éprouvait, d'après ce qu'il venait d'entendre, de n'avoir
pas assisté à la soirée de
la veille...
Cavalcanti, laissé à lui-même, prit à part Monte-Cristo.
TOHK
IV.
16
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
278
— Voyons, et
madame comme
dit
Danglars, assez de musiqae
de compliments
— Viens
Louise
,
dit
,
cela,
venez prendie
le thé.
mademoiselle Danglars à son
amie.
On était
passa dans
salon voisin,
le
où effectivement
le thé
préparé.
Au moment où l'on commençait
à laisser, à la manière
anglaise, les cuillers dans les lasses, la porte se rouvrit, el Danglars reparut visiblement fort agité.
Monte-Cristo surtout remarqua cette agitation et interrogea
—
le
banquier du regard.
Eh bien
!
Danglars, je viens de recevoir
dit
mon
courrier de Grèce.
— Ah!
ah!
fit
le
comte, c'est pour cela qu'on vous
avait appelé ?
— Oui. —
Comment
du ton
se porte le roi Othon?
demanda Albert
plus enjoué.
le
Danglars
le
regarda de travers sans lui répondre, el
Monte-Cristo se détourna pour cacher l'expression de pitié
qui venait de paraître sur son visage et qui s'effaça
presque aussitôt.
— Nous
nous
q irons
ensemble, n'est-ce pas
?
dit
Albert ne pouvais, rien comprendre à ce regard
du
e
Albert au comte.
— Oui,
si
vous voulez, répondit
celui-ci.
banquier; aussi, se retournant vers Monte-Cristo, qui avait parfaitement compris
— Avez-vous vu, — Oui, répondit
dit-il,
le
:
comme
il
m'a regardé?
comte; mais trouvez-vous quelque
chose de particulier dans son regard?
— Je
le
crois bien
nouvelles de Grèce?
;
mais que veut-il dire avec ses
,
LE COMTE DE MONTE-cuiSiu.
279
— Comment voulez-vous que je sache cela? — Parce qu'à ce que je présume, vous avez des
intel-
ligences dans le pays.
Monte-Cristo sourit
comme on
sourit toujours
quand
on veut se dispenser de répondre.
— Tenez,
dit Albert, le
voilà qui s'approche de
voas
compliment à mademoiselle Danglars sur pendant ce temps, le père aura le temps de
je vais faire
son camée
vous
—
;
parler.
vous
Si
ment sur
compliment,
lui faites
sa voix,
au moins,
— Non pas, ce que — Mon cher vicomte, c'est
dit
fatuité
dit
compli-
faites-lui
Monte-Cristo.
ferait tout le
monde.
Monte-Cristo, vous avez la
de l'impertinence. s'avança
Albert
vers Eugénie le
sourire
sur les
lèvres.
Pendant ce temps, Danglars se pencha à
l'oreille
du
comte.
— Vous m'avez donné un excellent il
y a toute
Fernand
une
!
avec
:
deux mots
'
et Janina.
— Ah bah — Oui, je vous homme
conseil, dit-il, et
histoire horrible sur ces
!
fit
Monte-Cristo. conterai cela
;
mais emmenez
le
jeune
je serais trop embarrassé de rester maintenant
lui.
— C'est ce que je faut-il
fais,
il
m'accompagne; mainlenzat,
toujours que je vous envoie le père?
— Plus que jamais. — Bien. Le comte fit un signe à Albert. Tous deux saluèren* les dames et sortirent Albert avec un air parfaitement indifférent pour les mépris de :
mademoiselle Danglars
;
Monte-Cristo
,
en réitérant à
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
580
Danglars ses conseils sur la prudence que
madame
dof'.
avoir une femme de banquier d'assurer son avenir. M. Cavalcanti demeura maître du champ de batail)^
XX DAYDÉE.
A peine
chevaux du comte
le?
avaient-ils tourné l'angle
du boulevard, qu'Albert se retourna vers éclatant d'un rire trop bruyant pour ne pas
comte en
le
être
un peu
forcé.
— Eh bien
lui dit-il, je vous demanderai, comme le IX demandait à Catherine de Médicis après la Saint-Barthélémy Comment trouvez-vous que j'ai joué I
roi Charles
:
mou
petit rôle"'
— A quel propos? demanda Monte-Cristo. — Mais à propos de de mon l'installation
rival
chez
M. Danglars...
— Quel rival — Pardieu quel ?
I
Cavalcanti
— Ohl
rival ?
votre protégé
,
M. Andréa
I
pas de mauvaises plaisanteries, vicomte; je
ne protège nullement M. Andréa, du moins près de
M. Danglars.
—
Et c'est
homme
reproche que je vous ferais
le
avait besoin de protection. Mais,
pour moi,
il
si
peut s'en passer.
— Comment
1
vous crovez
nu'il fait sa
le
jeune
heureusement cour?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Te vous en réponds et
:
il
roule des
module des sons d'amoureux
la rière
:
il
Eugénie. Tiens, je viens de
d'honnec/r, ce n'est pas de
pète
;
Il
aspire à la
— Qu'importe, — Ne dites
main de
si l'on
cela,
pa^-
ma
yeux de soupirant main de
aspire à la
un vers Parole
faire
I
faute. N'importe je le ré-
la fière
Eugénie.
ne pense qu'à vous
mon
281
cher comte
;
?
on
me
rudoie
des deux côtés.
— Comment, des deux côtés? — Sans doute mademoiselle Eugénie m'a répondu à :
peine, et mademoiselle d'Armilly, sa confidente, ne m'a
pas répondu du tout.
— Oui, mais — Lui mais ?
gnards dans il
le
le
père vous adore, dit Monte-Cristo.
au contraire,
il
cœur poignards ;
m'a enfoncé mille
rentrant dans le
est vrai, poignards de tragédie,
mais
poi-
manche,
qu'il croyait be'
et bien réels.
— La jalousie indique — Oui, mais je ne suis pas jaloux. — — De qui de Debray — Non, de vous. — De moi? je gage qu'avant huit jours l'affection.
Il l'est, lui.
?
la porte
?
il
m'a
fermtf
au nez.
— Vous vous trompez, mon cher vicomte. — Une preuve ?
— La voulez-vous? — Oui. — Je suis chargé de prier M. faire
une démarche
le
déflnitive près
— Par qui? — Par baron lui-même. — Ohl Albert avec toute la
comte de Morcerf
du baron.
le
dit
câlinerie dont
il
étal
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«82
mon
capable, vous ne ferez pas cela, n'est-ce pas,
comte
che,
?
— Vous vos
trompez, Albert, je
s
le ferai,
puisque j'ai
promis.
—
Allons, dit Albert avec un soupir, il parait que vous tenez absolument à me marier. Je liens à être bien avec tout le monde; mais, à pro-
—
pos de Debray, je ne
plus chez la baronne
le vois
— y a de la brouille. — Avec madame — Non, avec monsieur. — s'est donc aperçu de quelque chose? Il
?
11
— Ah bonne plaisanterie — Vous croyez s'endoutait? !
la
!
qu'il
fit
Monte-Cristo avec
une naïveté charmante.
— Ah çà mais, d'où venez-vous donc, mon cher comte? — Du Congo, vous voulez. — Ce n'est pas d'assez loin encore. — Est-ce que je connais vos maris parisiens — Eh mon cher comte, maris sont les mêmes !
si
?
les
!
du moment où vous avez étudié l'individu dans un pays quelconque, vous connaissez la race. Mais alors quelle cause a pu brouiller Dangiars et partout
;
—
Debray
?
Ils
— Ah! et je
paraissent
vous
initié.
lui
dit
demanderez dit
les
mystères d1sis, fils
sera de
cela.
Monte-Cristo
dii heures et demie, montez donc.
— Bien volontiers. — Ma voiture vous conduira.
Monte-
naïveté.
Quand M. Cavalcanti
La voiture s'arrêta. Nous voilà arrivés,
—
bien s'entendre,
nous rentrons dans
voilà!
ne suis pas
la famille,
si
un renouvellement de
Cristo avec
;
il
n'est
qu»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
283
— Non, merci, mon coupé a dû nous suivre. — En voilà Monte-Cristo en sautant à effet
,
le
dit
,
terre.
Tous deux entrèrent dans
—
la
y entrèrent. Vous allez nous faire du
éclairé,
maison;
le salon était
ils
thé, Baptistin, dit
Monte-
Cristo.
Baptistin sortit sans souffler le mot.
après,
il
comme sortir
les
de
Deux secondes
un
plateau tout servi, et qui,
collations des
pièces féeriques, semblait
reparut avec
terre.
— En vérité,
dit
Morcerf, ce que j'admire en vous,
mon
cher comte, ce n'est pas votre richesse, peut-être y a-t-il des gens plus riches que vous ; ce n'est pas votre esprit,
Beaumarchais n'en avait pas plus, mais
il
en avait
autant; c'est votre manière d'être servi, sans qu'on vous
réponde un mot, à l'on devinait, à la
désirez avoir, et
la
comme
minute, à la seconde,
si
manière dont vous sonnez, ce que vous
comme
si
ce que vous désirez avoir était
toujours tout prêt.
— Ce que vous dites est un peu vrai. On pas
faire
sait
mes
ha-
vous allez voir ne désirez-vous quelque chose en buvant votre thé?
bitudes. Par exemple,
:
— Pardieu, je désire fumer. Monte-Cristo s'approcha du timbre
Au
et
frappa
un coup.
bout d'une seconde, une porte particulière s'ou-
vrit, et Ali
parut avec deux chibouques toutes bourrées
d'excellent latakié.
— C'est merveilleux, —
dit
Morcerf.
Mais, non, c'est tout simple, reprit Monte-Cristo;
Ali sait qu'en prenant le thé
rement
:
il
sait
que
suis rentré avec vous,
ou
il
fume
le café je
demandé
j'ai
le thé
,
il
ordinai-
sait
que
entend que je l'appelle,
il
je
se
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
J84
doute de la cause,
et
s'exerce avec
talité
bouque,
mais
;
vous...
pays où l'hospi-
est d'un
il
pipe surtout, au lieu d'une chi-
en apporte deux.
il
— Certainement, autre
comme
la
une explication comme une
c'est
n'en est pas moins vrai qu'il n'y a que
il
Ohl mais, qu'est-ce que j'entends?
Et Morcerf s'inclina vers la porte
par laquelle en-
correspondants à ceux
des sons
traient effectivement
d'une guitare.
— Ma
mon
foi,
cher vicomte, vous êtes voué à la
sique ce soir; vous n'échappez au piano de selle
Danglars que pour tomber dans la guzla d'Haydée.
— Haydée
quel adorable
!
nom
qui s'appellent véritablement les
mu-
mademoi-
poèmes de
—
lord
!
Il
y a donc des
Haydée autre
France, mais assez
comme
si
deur, innocence
tous
commun
fort et
rare
en
en Épire
;
exemple, chasteté, pu-
une espèce de nom de baptême,
comme disent vos Parisiens. Oh que c'est charmant
—
nom
en Albanie
disiez, par
c'est
;
femmes
que dans
Byron?
Certainement; Haydée est un
c'est
part
I
I
dit
Albert
,
comme
je
voudrais voir nos Françaises s'appeler mademoiselle
Bonté
,
mademoiselle
chrétienne lieu
1
Silence
Dites donc,
si
,
mademoiselle Charité
mademoiselle Danglars, au
comme on la mademoiselle Chasteté-Pudeur-Inno-
de s'appeler Claire-Marie-Eugénie,
nomme,
s'appelait
cence Danglars, peste, quel blication de
— Fou! pourrait
bans
dit le
efTet cela ferait
dans une pu
I
comte, ne plaisantez pas
si
haut,
vous entendre.
— Et se fâcherait — Non pas, comte avec son hautain. — Elle est bonne personne? demanda Albert elle
?
dit le
air
Haydéb
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Ce n'est pas bonté,
c'est devoir
285
une esclave ne se
:
fâche pas contre son maître.
— Allons donc qu'il
ne plaisantez pas vous-même. Est-ce
1
y a encore des esclaves? Sans doute, puisque Haydée
— — En
comme un Cristo
I
vous ne
effet,
autre, vous. Esclave de
c'est
une
vous remuez
vous n'avez rien
M.
le
position en France.
l'or,
mienne.
est la
faites rien et
une place qui
c'est
comte de Monte-
A
la
façon dont
doit valoir cent
mille écus par an.
— Cent mille écus sors
!
pauvre enfant a possédé plus
la
venue au monde couchée sur des tréprès desquels ceux des Mille et une Nuits sont bien
que cela
:
elle est
peu de chose.
— C'est donc vraiment une princesse — Vous l'avez et même une des plus grandes ?
dit,
de
son pays.
—
Je m'en
[étais
douté. Mais
comment une grande
princesse est-elle devenue esclave?
— Comment Denys
Tyran
le
cole? Le hasard de la guerre,
est-il
mon
devenu maître
cher vicomte,
le
d'é-
ca-
price de la fortune.
— Et son nom est un sooret?
— Pour tout
le
monde oui mais pas pour vous, cher mes amis, et qui vous tairez, n'est;
vicomte, qui êtes de ce pas,
si
vous me promettez de vous
taire?
— Ohl parole d'honneur — Vous connai ssez du pacha de Janina? — D'Ali-Tebelin? sans doute, puisque à son ser!
l'histoire
c'est
vice que
mon
père a
fait
fortune.
— C'est vrai, je l'avais oublié. — Eh bieni qu'est Haydée à Ali-Tebelin^ — Sa tout simplement. fille,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«f.
— Comment d'Ali-Pacha? — El de belle Vasiliki. — Et est votre esclave? la fille
I
la
elle
— Oh mon '
Dieu, oui.
— Comment cela? — Damel un jour que Constantinople, je
— C'est splendide vit
I
je passais sur le
marché de
achetée.
l'ai
Avec vous, moucher comte, on ne
pas, on rêve. Maintenant, écoutez, c'est bien indis-
cret ce
que
vous demander
je vais
— Dites toujours. — Mais puisque vous
là.
sortez avec elle, puisque
vous
conduisez à l'Opéra...
— Après? — Je puis bien me risquer à vous demander cela?
— Vous pouvez vous risquer à tout me demander. — Eh
bien!
mon
cher comte, présentez-moi à votre
princesse.
— Volontiers mais à deux conditions. — Je accepte d'avance. — La première, que vous ne confierez jamais à ;
les
c'est
personne cette présentation.
— Très-bien (Morcerf étendit — La seconde, c'est que vous
la
votre père a servi
main). Je le jure.
ne
lui direz
pas que
le sien.
— Je jure encore. — A merveillo, vicomte, le
vous vous rappellerez ces
deux serments, n'est-ce pas"
— Oh
I
fit
Albert.
— Très bien. Je vous sais homme d'honneur — Le comte frappa de nouveau sur le timbre;
Ali
eparut.
— Préviens Haydée,
lui dit-il,
que je vais aller prendre
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le café la
chez
comprendre que
elle, et fais-lui
permission de
présenter
lui
287
je
demande
un de mes amis.
Ali s'inclina et sortit.
— Ainsi,
convenu, pas de questions directes
c'est
cher vicomte. Si vous désirez savoir quelque chose,
mandez-le à moi,
demanderai à
et je le
de-"
elle.
— C'est convenu. Ali reparut pour la troisième fois et tint la portière
soulevée, pour indiquer à son maître et à Albert qu'ils
pouvaient passer.
— Entrons,
Monte-Cristo.
dit
main dans
Albert passa une
moustache, et
le
comte
ses
cheveux
et frisa sa
son chapeau, mit ses gants,
reprit
précéda Albert dans l'appartement que gardait,
une
un
sentinelle avancée, Ali, et
poste, les trois
comme
que défendaieni, comme
femmes de chambre
com-
françaises
mandées par Myrtho.
Haydée
attendait dans la première pièce, qui était le
salon, avec de grands c'était
première
la
yeux
fois
dilatés par la surprise
qu'un autre
Cristo pénétrait jusqu'à elle
;
elle était assise
dans un angle, les jambes croisées sous
pour
fait,
ainsi dire,
un
;
car
homme que Monte-
nid, dans les
sur
un
sofa,
elle, et s'était
étoffes
de soie
rayées et brodées, les plus riches de l'Orient. Près d'elle
dont les sons l'avaient dénoncée
était rinstruraent
était
En ;
elle
ape'-cevant Monte-Cristo, elle se souleva avec ce
double sourire de elle
;
charmante amsi.
fille
et
d'amante qui n'appar«£uait qu'à
Monte-Cristo alla à elle et lui tendit sa main, sur
laquelle,
comme
d'habitude, elle
appuya ses
lèvres.
Ail)eri était resté près de la porte, sous l'empire de
cette
beauté étrange qu'il voyait pour
la
première
fois, Qt
dont on ne pouvait se faire aucune idée eu France.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
288
— Qui fille
m'amènes-tu? demanda en romaique
à Monte-Cristo
;
un
frère,
ieune
la
un ami, une simple con-
ou un ennemi?
naissance,
— Un ami, Monte-Cristo dans la même langue. — Son nom? — Le comte Albert; c'est même que dit
le
j'ai tiré
des
mains des bandits, à Rome.
— Dans quelle langue veux-tu que je lui parle? Monte-Crisio se retourna vers Albert
— Savez-vous
le
:
grec moderne? demanda-t-il au jeune
homme.
— Hélas pauvre, ^
et j'oserai
— Alors,
Taisait
pas
dit Albert,
I
cher comte; jamais
dit
Homère
même
le
grec ancien,
et Platon n'ont
mon
eu de plus
même dire de plus dédaigneux écolier.
Haydée, prouvant par
demande
la
elle-même qu'elle venait d'entendre
la
qu'elle
question de
Monte-Cristo et la réponse d'Albert, je parlerai en français
ou en
italien, si toutefois
mon
seigneur veut que je
parle.
Monte-Cristo réûcchit un instant
— Tu parleras en
;
italien, dit-il.
Puis se tournant vers Albert
:
— C'est fâcheux que vous n'entendiez derne ou
le
pas
le
grec mo-
grec ancien, qu'Haydée parle tous deux ad
mirablement
;
la
pauvre enfant va être forcée de vous
parler italien, ce qui
vous donnera peut-être une fausse
idée d'elle. 11 fit
un
signe à Haydée.
— Sois gneur
le
bienvenu
et maître, dit la
,
ami
,
jeune
qui viens avec fille
avec ce doux accent romain qui
fait la
\
sel
langue du Dante
aussi sonore que la langue d'Homère; Ali!
des pipes
mon
en excellent toscan
du café
el
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Et
Haydée
de
fit
la
289
main signe à Albert de s'approcher,
tandis qu'Ali se retirait
pour exécuter
les ordres
de sa
jeune maîtresse. Monte-Cristo montra à Albert deux pliants , et chacun chercher le sien pour l'approcher d'une espèce de guéridon, dont un narguIUet faisait le centre, et que charalla
geaient des fleurs naturelles, des dessins, des albums de
musique. Ali rentra, apportant le café et les
chibouques
;
quant
à M. Baptistin, cette partie de l'appartement lui était interdite.
Albert repoussa la pipe que lui présentait le Nubien.
— Oh
prenez prenez dit Monte-Cristo Haydée est presque aussi civilisée qu'une Parisienne le havane lui !
,
,
;
:
est désagréable
odeurs
;
mais
,
le
parce qu'elle n'aime pas les mauvaises tabac d'Orient est un parfum, vous le
savez.
Ah
sortit.
Les tasses de café étaient préparées seulement on avait, pour Albert, ajouté un sucrier. Monte-Cristo et ;
Haydée prenaient
la
liqueur arabe à la manière de^
Arabes, e'est-à-dire sans sucre.
Haydée allongea
la
main
et prit
du bout de
doigts roses ei effilés la tasse de porcelaine qu'elle porta à ses lèvres
avec
le naïf plaisir
mange une chose qu'il aime. En même temps deux femmes entrèrent,
ses petits
du Japon d'un enfani
qui boit ou
portant deul
autres plateaux chargés de glaces et de sorbets, qu'elles
déposèrent sur deux petites tables destinées à cet usage. Mon cher hôte, et vous, signora, dit Albert en ita-
—
lien,
excusez
ma
c'est assez naturel
rient véritable,
TOME
stupéfaction. Je suis tout étoui-di, et ;
voici
que
je retrouve l'Orient, l'O-
non point malheureusement
IV.
tel
que 17
je
l'ai
LE COMTE DE MOiNTE-CRiSTO.
Î90 VU, mais
tel
que je
rêvé aa sein de Pans
l'ai
l'heure j'entendais rouler les
omnibus
senora
marchands de limonade.
nettes des
;
loui
et tinter les
sais-je parler le grec, votre conversation, jointe
soa
que c à cet e»
1
m*
tourage féerique, rae composerait une soirée dont je souviendrais «oujours.
— Je parle assez bien Monsieur,
mieux, viez
si
dit
l'ilalieû
poar parler avec vou?
tranquillement llaydée
vous aimez
l'Orienî,
;
et je ferai
pour que vous
le
mon
de
retrou-
ici.
— De quoi puis-je parler? demanda tout bas Albert à Monte-Cristo.
— Mais de tout ce que vous voudrez
:
de son pays, de
sa jeunesse, de ses souvenirs; puis, si
vous l'aimez
mieux, de Rome, de Naples ou de Florence.
— Oh!
dit Albert,
Grecque devant parlerait à
soi
cène
serait pas la
pour
lui parier
peine d'avjirune
de tout ce dont on
une Parisienne; laissez-moi
lui parler
de
cher Albert, c'est la conversation
qm
rOrieni.
— Faites, mon
lui est la plus agréable.
Albert se retourna vers Haydée.
— A quel âge
la signera a-t-elle quitté la
Grèce
?
de-
uanda-t-il.
— A cinq ans, répondit Haydée. — Et vous vous rappelez votre
patrie?
deman
Albert.
— Quand je fercie les yeux, je revois vu.
11
y a deux regards
:
le
regard
tout ce
du corps
que
j'ai
et le regard
de l'âme. Le regard du corps peut oublier parfois, mais celui de l'âme se souvient toujours.
— Et quel est V
ous souvenir
?
le
temps
le
plus lom dont vous puissiez
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Je
marchais
peine
à
;
ma mère
Vasiliki (Vasiliki veut dire royale
,
,
que
29|
l'on appelle
ajouta la jeune
fille
en relevac* la tête), ma mère me prenait par la raain, et, toutes deux couvertes d'un voile, après avoir mis au fond de la bourse tout l'or que nous possédions, nous allions
demander l'aumône pour les prisonniers, en disant Celui qui donne aux pauvres prête à l'Éternel :
tt
'.
»
Puis, quand notre bourse était pleine, nous rentrions au
mon
palais, et, sans rien dire à
père,
tout cet argent qu'on nous avait donné
nous envoyions ,
nous prenant
pour de pauvres femmes, à l'égoumenos du couvent, qui le répartissait entre les prisonniers.
— Et à
époque quel âge aviez-vous î
cette
— Trois ans, — Alors vous
dit
Haydée.
vous souvenez de tout ce qui passé autour de vous depuis Tàge de trois ans ? ,
— De — Comte
s'est
tout. dit tout
,
bas Morcerf à Monte-Cristo
,
vous
devriez permettre à la signera de nous raconter quelque
chose de son histoire. Vous m'avez défendu de
mon
de
lui parler
père, mais peut-être m'en parlera-t-elle, et vous
n'avez pas idée combien je serais heureux d'entendre sortir
son
nom
d'une
si jolie
bouche.
Monte-Cristo se tourna vers Haydée, et par
de sourcil qui lui indiquait d'accorder attention à la dit
en grec
recommandation
un
signe
plus grande
qu'il allait lui faire,
ïi
lui
:
UxTpoç pdv axnVj tink
la
[lit
3s avorta, irpoSôrou xat itpoSoffia'j.,
tîfitv
* ProYerbe
m.
** Mot à mot
:
a
De ton père
le sort,
tredtre, ni la trahison^ racoate-nou*.
»
mais pas
1«
uom du
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
ii\>
Haydée poussa un long soupir, passa sur son front
— Que — Je
dites-vous? demanda tout bas Morcerf.
lui
que vous
répète
lui
un nuage sombre
et
pur.
si
êtes
un ami
,
et qu'elle n'a
point à se caclier vis-à-vis de vous.
— Ainsi,
dit Albert,
ce vieux pèlerinage pour les pri-
sonniers est votre premier souvenir
—
me
L'autre? je
près d'un lac dont j'aperçois encore lage, le miroir tremblant touffu,
mon
père
quel est l'autre?
;
vois sous l'ombre des sycomores,
;
était assis
que
faible enfant, tandis
à travers
,
le feuil-
contre le plus vieux et le plus
sur des coussins, et moi,
ma mère
était
couchée à ses
pieds, je jouais avec sa barbe blanche qui descendait sur
sa poitrine
et
,
avec
passé à sa ceinture
un Albanais qui faisais
— C'est
.
et
Tuezl ou
choses de
fiction. Et,
temps venait à
lui
quelques mots auxquels je ne auxquels il répondait du même
:
Faites grâce
!
;
étrange, dit Albert, d'entendre sortir de pa-
que sur un
si
:
cangiar à la poignée de diamant
le
puis, de temps en
lui disait
pas attention
son de voix
reilles
;
la
bouche d'une jeune
théâtre, et
en se disant
demanda Albert
,
:
fille,
autre part
Ceci n'est point une
comment avec ,
cet horizon
poétique, comment, avec ce lointain merveilleux,
trouvez- vous la France?
— Je
crois
je vois la
que
France
c'est
un beau pays,
telle qu'elle est,
dit
Haydée, mais
car je la vois avec des
yeux de femme, tandis qu'il me semble, au contraire, que mon pays que je n'ai vu qu'avec des yeux d'en,
faut, est toujours
enveloppé d'un brouillard lumineux ou
sombr^, selon que mes yeux
un heu d'amères
— Si jeune
,
le font
une douce
patrie
ou
souffrances,
signera, dit Albert cédant malgré lui à la
puissance de la banalité,
comment avez-vous pu
souffrir;
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
293
îlaydée tourna les yeux vers Monte-Cristo, qui, avec nn signe imperceptible, murmura
E»
'
— Rien ne
compose
le fond de l'âme comme les preà part les deux que je viens de vous dire, tous les souvenirs de ma jeunesse sont tristes.
miers souvenirs,
et,
— Parlez, parlez, signora,
dit Albert, je vous jure que vous écoute avec un inexprimable bonheur. Haydée sourit tristement,
je
— Vous voulez donc que je passe à mes autres souvenirs ? dit-elle.
— Je vous en supplie, Albert. — Eh bien! j'avais quatre ans quand, un dit
réveillée par elle
me
ma
prit sur les coussins
mes yeux,
vrant
soir, je fus
mère. Nous étions au palais de Janina
où
je reposais, et,
je vis les siens remplis
;
en ou-
de grosses
larmes. Elle
En
m'emporta sans rien dire. voyant pleurer, j'allais pleurer aussi.
la
— Silence! Souvent
,
enfant, dit-elle.
malgré
nuais de pleurer
;
comme
mais, cette
ma pauvre mère une telle me tus à l'instant même.
de je
ou
les consolations
ternelles, capricieuse
les
menaces ma-
tous les enfants fois,
il
,
je conti-
y avait dans la voix
intonation de terreur,
que
Elle m'emportait rapidement.
Je vis alors que nous descendions
devant nous, toutes les femmes de
un
ma
large escalier;
mère, fortant des
coffres, des sachets, des objets de parure, Ids bijoux,
des bourses d'or, descendaient tôt
se précipitaient.
• Raconte
le
même
escalier
ou plu-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Î94
Pcrnère
les
femmes venait une garde de vingt hommes,
de longs fusils et de pistolets, et revêtus de ce
arnié-'i
costume que vous connaissez en France depuis que
la
Grèce est redevenue une nation.
quelque chose de sinistre, croyez-moi,
avait
y
11
Haydée en secouant
ajouta
mémoire
seule
,
la tête et
dans cette longue
femmes à demi alourdies par je
me
le
en pâlissant à cette file
d'esclaves et de
sommeil, ou du moins
le
figurais ainsi, moi, qui peut-être croyais les
autres endormis parce que j'étais mal réveillée.
Dans
l'escalier couraient
les torches
—
des ombres gigantesques que
de sapin faisaient trembler aux voûtes.
Qu'on se hâtel
une voix au fond de
dit
la
ga-
lerie.
Cette voix
passant sur
fit
la
me
Moi, elle
courber tout
plaine fit
fait
le
marchait
le dernier,
tenant à la main avait
donnée
;
le
vent en
tressaillir.
mon
Cette voix, c'était celle de Il
monde, comme
courber un champ d'épis.
que votre empereur
sa carabine
et, 'appuyé sur
poussait devant lui
père.
revêtu de ses splendides habits,
comme un
son favori Sélim, pasteur
fait
il
lui
nous
d'un troupeau
éperdu.
Mon père, dit Haydée en relevant la tête, était un homme illustre que l'Europe a connu sous le nom d'Ali Tebelin, pacha de Janina
,
et
devant lequel
la
Turquie a
tremblé. Albert, sans savoir pourquoi, frissonna en entendant ces paroles prononcées avec
un
hauteur
sembla que quelque chose
et
de dignité
;
il
î-ai
indéfinissable accent de
de sombre et d'effrayant rayonnait dans les yeux de
jeune
fille,
lorsque, pareille à
un spectre,
elle réveilla le
ia
une pythonisse qui évoque
souvenir de cette sanglante
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. que sa mort
ligure
terrible
fit
295
apparaître gigantesque
aux
yeux de l'Europe contemporaine.
— Bientôt, étions
me
l'escalier et
au bord d'un
lac.
pressait contre sa poitrine bondissante
deux pas tés
continua Haydée, la marche s'arrêta ; nous
au bas de
derrière
nous mon père, qui
Ma mèrt
,
et je vis à
jetait
de tous cô-
des regards inquiets.
Devant nous s'étendaient quatre degrés de marbre,
et
au bas du dernier degré ondulait une barque.
D'où nous étions on voyait se dresser au milieu d'un une masse noire c'était le kiosque où nous nous ren-
lac
;
dions.
Ce kiosque
me
une distance
paraissait à
peut-être à cause de
considérable,
l'obscurité.
Nous descendîmes dans la barque. Je,me souviens que rames ne faisaient aucun bruit en touchant l'eau; je
les
me
penchai pour les regarder
avec Il
les ceintures
:
elles étaient
enveloppées
de nos Palicares.
n'y avait, outre les rameurs, dans la barque, que
des femmes,
mon
ma
père,
mère, Sélim
et
moi.
Les Palicares étaient restés au bord du lac, agenouillés sur le dernier degré, et se faisant, dans le cas où ils eussent été poursuivis,
Kolre barque
— Pourquoi ma
allait
un rempart des
comme
trois autres.
le vent.
la "barque va-t-elle si vite?
demandai-je à
mère.
— Chut! mon enfant,
dit-elle, c'est
Je ne compris pas. Pourquoi tout-puissant, lui
Ea
me
pour devise
haïssent, donc
effet, c'était
que nous fuyons.
père fuyait-il, lui
devant qui d'ordinaire fuyaient
autrss, lui qui avait pris Ils
mon
une
fuite
ils
le
les
:
me craigmiC.
que mon père opérait sur
le
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
296 lac.
m'a
Il
depuis que
dit
garnison du château de Ja-
la
nina, fatiguée d'un long service...
iïaydce arrêta son regard expressif sur Monte-
Ici
dont
Cristo,
ne quitta plus ses yeux. La jeune
l'œil
commo quelqu'un
continua donc lentement,
(ille
qui invente
ou qui supprime.
— Vous disiez,
signera, reprit Albert, qui accordait la
plus grande attention à ce récit,
que
la
garnison de Ja-
nina, fatiguée d'un long service...
- Avait le sultan
mon
traité
avec
le
séraskier Kourchid, envoyé par
mon
pour s'emparer de
père;
c'était alors
père avait pris la résolution de se retirer
avoir envoyé
au sultan un
officier franc,
toute confiance, dans l'asile
auquel
que lui-même
s'était
,
il
que
après avait
préparé
depuis longtemps, et qu'il appelait kataphygion, c'est-àdire son refuge.
— Et cet
ofiicier,
demanda
Albert,
vous rappelez-vous
son nom, signera?
Monte-Cristo échangea avec la jeune
comme un éclair,
rapide
et qui resta
— Non, dit-elle, je ne me me
être plus tard
Albert
lence
—
;
le
le rappelle
pas
;
mais peut-
le
nom
de son père
,
lorsque
leva doucement le doigt en signe de si-
jeune
homme
C'était vers ce
Un
un regard
le rappellerai-je, et je le dirai.
prononcer
allait
i<Ionte-Cristo
fille
inaperçu de Morcerf.
se rappela son
serment
rez-de-chaussée orné d'arabesques
terrasses dans l'eau, et le lac, voici tout
et se tut.
kiosque que nous voguions.
ce que
,
baignant ses
un premier étage donnant le palais offrait
de visible
sur a.\xx
yeux.
Mais au-dessous du rez-de-chaussée dans
l'ile,
conduisit,
était
ma
,
se prolongeant
un souterrain, vaste caverne où l'on nous mère, moi et nos femmes, et où gisaient,
m
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
formant un seul monceau, soixante mille bourses ueux cents tonneaux il y avait dans ces bourses
et
vingt-
;
cinq millions en or, et dans les barils trente mille
livr°es
de poudre. Près de ces barils se tenait Sélim, ce favori de père dont je vous
ai parlé
;
veilbn jour
il
lance au bout de laquelle brûlaii une ia
main
;
il
avait Tordre de
gardes, pacha
,
femmes
et or,
mon
une mèche allumée à et nuit,
faire tout t-auter,
kiosque,
au Dremier signe de
mon
père.
Je me rappelle que nos esclaves , connaissant ce redoutable voisinage, passaient les jours et les cuits à prier, à pleurer,
à gémir.
Quant à moi, je vois toujours
le
jeune soldat au
teint
pâle et à l'œil noir; et quand l'ange de la mort descendu! vers moi, je suis sikr que je reconnaîtrai Sélim.
Je ne pourrais dire combien de temps nous restâmes ainsi
à cette époque j'ignorais encore ce que c'était que temps; quelquefois, mais rarement, mon père nous faisait appeler, ma mère et moi, sur la terrasse du pa:
le
lais; c'étaient
mes heures de
dans
le souterrain
lance
enQammée
plaisir à moi qui ne voyais que des ombres gémissantes et la
de Sélim.
g:rande ouverture, attachait
•
Mon
père, assis devant
un regard sombre sur
une
les pro-
fondeurs de l'horizon, interrogeant chaque point noir qui apparaissait sur le lac, tandis que w.a. mère, à demi
couchée près de
que moi je
me
lui,
appuyait sa tète sur son épaule,
et
jouais à ses pieds, admirant, avec ces
éionnements de l'enfance qui grandissent encore les obescarpem ônts du Pinde, qui se dressait à l'hori-
jets, les
zon, les châteaux de Janina, sortant blancs et anguleux
aes eaux bleues du noires, attachées IV.
lac, les touffes
comme
immenses de verdure
des lichens aux rocs de la moa17.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
298
de loin semblaient des mousses, et qui de
lague, qui
près sont des sapins gigantesques et des myrtes im-
menses.
Un
mon
malin,
h
père nous envoya chercher; nous
trouvâmes assez calme, mais plus pâle que d'habitude.
— fini
;
Prends pavience, Vasiliki aujourd'hui arrive
le
,
aujourd'hui tout sera
tirman du maître, et
sera décidé. Si la grâce est entière
triomphants à Janina;
si la
,
mon
sort
nous retournerons
nouvelle est mauvaise, nous
fuirons cette nuit.
— Mais — Ohl sois
ne nous laissent pas fuir?
s'ils
et sa
tranquille, répondit Ali
me
lance allumée
répondent d'eux.
que je fusse mort, mais pas à
dit
ma
mère.
en souriant; Sélim Ils
la condition de
voudraient
mourir avec
moi.
Ma mère ne
répondit que par des soupirs à ces conso-
ne partaient pas du cœur de
lations, qui
mon
Elle lui prépara l'eau glacée qu'il buvait à
stant, car, depuis sa retraite
dans
le
père.
chaque
kiosque,
in-
était
il
parfuma sa barbe
brûlé par
une
blanche et
aHuma la chibou(]ue dont quelquefois, pendant
flèvre ardente; elle
des heures entières,
fumée se
il
volatilisant
Tout à coup
il fil
suivait distraitement des
dans
yeux
la
l'air.
un mouvement si brusque que je
fus
aisie de peur.
yeux du point qui demanda sa longue-vue.
Puis, sans détourner les illeniion,
il
Ma mère
la lui passa,
fixait
son
plus blanche que le stuc contre
lequel elle s'appuyait. Je vis la rnain de
— Une
mon
barque!...
père trembler
deux!...
trois!...
murmura mon
père; quatre!... Et
il
se leva saisissant ses armes
,
et versant, je
m'en
LE COMTE DE MONTE-CRISTO, souviens, de la poudre dans
—
bassinet de ses pistolets.
le
ma mère
Vasiliki, dit-il à
visible, voici l'instant qui
299
avec un tressaillement
va décider de nous; dans une
demi-he'Tre nous saurons la réponse du sublime empereur, retire-toi dans le souterrain avec Haydée.
— Je ne veux pas vous quitter,
dit Vasiliki
si
;
voas
mourez, D<on maître, je veux mourir avec vous.
— Aller près de Sélim, —
Adi(,u, seigneur
!
cria
mon
père.
murmura ma mère,
en deux comme par l'approche de
pliée
obéissante et
la mort.
— Emmenez Vasiliki, dit mon père à ses Palicares. Mais
Dioi,
qu'on oubliait, je courus à
mes mains de son moi,
il
Oh
mon
I
pressa
côté;
mon
me
lui et j'étendis
se penchant vers
vit, et,
front de ses lèvres.
ce baiser, ce fut le dernier, et
il
est là encore sur
front.
En descendant nous de
il
la terrasse les
distinguions à travers les treilles
barques qui grandissaient sur
le lac, et
qui, pareilles naguère à des points noirs, semblaient déjà
des oiseaux rasant la surface des ondes.
Pendant ce temps, dans
le
aux pieds de mon père
assis
épiaient d'un œil
kiosque, vingt Palicares, et
cachés par la boiserie,
sanglant l'arrivée de ces bateaux, et
tenaient prêts leurs longs fusils incrustés de nacre et d'ar-
gent
:
des cartouches en grand nombre étaient semées
sur le parquet
;
mon
père regardait à sa monti e
et se
promenait avec angoisse. Voilà ce qui le
me
mon
père après
le
souterrain,
frappa quand je quittai
dernier baiser que j'eus reçu de lui.
Nous traversâmes Sélim
était
,
ma mère
et
toujours à son poste;
moi il
,
nous
sourit triste-
ment. Nous allâmes chercher des coussins de
l'autre
e6té de la caverne, et nous vimies nous asseoir près de
LE COMTB DE MONTE-CRISTO.
3*10
Sélim
dans les giaads périls, les cœurs dévoués se
:
que
clierriient, et, tout enfant
j'étais, je sentais instincti-
vement qu'un grand malheur planait sur nos têtes Albert avait souvent entendu raconter, non point par qui n'en parlait jamais, mais par des étrangers,
sop. père,
moments du
les derniers
vizir
de Janina
;
il
avait lu dif-
féreuts récits de sa mort; mais cette histoire,
devenue
vivante dans la personne et par la voix de la jdune
accent vivant et cette lamentable élégie
i«t
traient tout à la fois d'un
charme
,
le
fille,
péné-
d'une horreur in-
et
exprimables.
Quant à [faydée, toute à ces avait cessé
un
terribles souvenirs, elle
instant de parler; son front,
comme une
penche un jour d'orage, i'éîait incliné sur sa ses yeux, perdus vaguement, semblaient voir
fleur qui se
main,
et
encore à l'horizon
du
le
Pinde verdoyant
de Janina, miroir magique qui
lac
et les
eaux bleues
reflétait le
sombre
tableau qu'elle esquissait.
Monte-Cristo
— Continue
,
avec une indéfinissable
regardait
la
expression d'intérêt et de
ma
fille
pitié. ,
dit
comte en langue ro-
le
maïque.
Haydée releva
le front,
venait de prononcer
rêve, et elle reprit
— fût
Il
pur
était
comme
mots sonores que
:
quatre heures du soir
et brillant
si les
Monte-Cristo l'eussent tirée d'un
;
mais L'en que
le
jour
au dehors, nous étions, nous, plongés,
ans l'ombre du souterrain.
Une étoile
de
seule lueur brillait dans la caverne, pareille à un;i
tremblant au fond d'un
Séli.'n.
iMa
mère
ciel
noir
:
c'était la
mèche
était chrétienne, et elle priait.
Sélim répétait de temps en temps ces paroles consacrées
:
T
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Dieu est
grandi
Cependant
ma mère
En descendant,
avait encore quelque espérance.
cru reconnaître
elle avait
envoyé à Constantinople,
avait été
père avait toute confiance, car
du
301
savait
il
Franc qui
le
mon
dans lequel
et
que
les soldats
sultan français sont d'ordinaire nobles et généreux.
Elle s'avança de quelques pas vers l'escalier et écoula.
—
approchent, dit-elle
Ils
pourvu
;
qu'ils apportent la
paix et la vie,
si
—Que
crains-tu, Vasiliki? répondit Sélim avec sa voix
suave
et si
Gère à
la fois; s'ils
nous leur donnerons Et
il
ravivait la
le faisait
la
n'apportent pas la paix,
mort.
flamme de sa lance avec un geste qui
ressembler au Dionysos de l'antique Crèle.
Mais moi, qui
m'effrayais de cette la
peur
étais si enfant et si naïve, j'avais
de ce courage que je trouvais féroce et insensé
mort épouvantable dans
et je
,
l'air et
dans
flamme.
Ma mère
éprouvait les
mômes
impressions
,
car je la
sentais frissonner.
— Mon Dieu que nous Et à
mon
!
maman
Dieu,
!
m'écriai-je
,
est-ce
allons moarit ?
ma
voix les pleurs
et les prières
des esclaves re
doublèrent.
—Enfant, à désirer
me
celte
dit Vasiliki,
Dieu
te
préserve d'en veni'
mort que tu crains aujourd'hui
Puis tout bas
!
:
— Sélim, quel est Tordre du maître — que sultan envoie son poignard, dit-elle,
c'est
S'il ffi
le
fuse de le rscevoir en grâce, et je mets le feu; Foie son anneau, c'est
que
le
s'il
re-
m'en-
sultan lui pardonne, et je
livre la poudrière.
— Ami,
reprit
ma
mère, lorsque l'ordre du maître ar-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
SOÎ rivera,
si c'est le
tendrons
te
— Oui,
poignard
deux de
luer tou'js
nous tueras avec ce poipuard.
comme
Sélim
de grands cris ^noug
c'étaient des cris de joie
:
de nous
et tu
Vasiliki, répondit tranquillement
Soudain nous entendîmes écoutâmes
lieu
mort qui nous épouvante, nous
gorge
la
au
qu'il envoie,
cette
le
;
nom du Franc
qui cVait été envoyé à Constantinople retentissait répété par nos Palicares;
était
il
évident qu'il rapportait la ré-
ponse du sublime empereur,
et
que
réponse
la
était fa-
vorable.
— Et vous ne vous rappelez pas ce nom? mémoire de
tout prêt à aider la
Monte-Cristo lui
— Je ne me
un
fit
dit
Morcerf^
la narratrice.
signe.
le rappelle pas,
répondit Ilaydée.
Le bruit redoublait; des pas plus rapprochés rent
on descendait
:
les
retenti-
marches du souterrain.
Sélim apprêta sa lance.
ombre apparut dans
Bientôt une
crépuscule bleuâtre
le
que formaient les rayons du jour pénétrant jusqu'à trée du souterrain.
— Qui es-tu? cria Sélim. Mais, qui que tu
sois,
l'en-
ne
fais
pas un pas de plus.
— Gloire
au sultan!
cordée au vizir Ali
;
et
dit
l'ombre. Toute grâce est ac
non-seulement
a la vie sauve,
il
mais on lui rend sa fortune et ses biens.
Ma mère poussa un
cri
de joie et
me
serra contre son
rœur.
— Arrête! pour
— C'est en
lui dit Sélim,
sortir; tu sais qu'il
me
juste, dit
le ciel,
Dieu pour moi,
lever vers lui.
faut l'anneau.
ma mère
soulevant vers
qu'elle priait
voyant qu'elle s'élançait déjà
me
;
et elle
comme
tomba à genoux
si,
elle voulait
en
même temps me sou-
encore
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
303
Et, pour la seconde fois,.Haydée s'arrêta vaincue par mie émotion telle que la sueur coulait de son front paii, et que sa voix étranglée semblait ne pouvoir franchir son
gosier aride.
Monte-Cristo versa un peu d'eau glacée dans
un
verre,
présenta en disant avec une douceur où perçait
et le kii
une nuance de commandement
— Du courage, ma Haydée essuya
ses
fille
:
I
yeux
son
et
front, et continua:
— Pendant ce temps, nos yeux, habitués à l'obscurité, du pacha
avaient reconnu l'envoyé
Sélim
l'avait
reconnu
savait qu'une chose
:
mais
;
le
:
c'était
un ami.
brave jeune
homme
ne
obéir!
— En quel nom viens-tu? — Je viens au nom de notre. maître, Ali-Tebelin. — tu viens au aoa) i'AM, tu sais ce que tu dois me dit-il.
Si
remettre?
—
Oui,
dit
l'envoyé, et je t'apporte son anneau.
En même temps mais
il
éleva sa main au-dessus de sa
était trop loin et
il
ne
il
que Sélim pût, d'où nous
faisait
tête;
pas assez clair pour
étions, distinguer et recon-
naître l'objet qu'il lui présentait.
— Je ne vois pas — Approche
ce que tu tiens, dit Sélim.
dit le
,
messager, ou je m'approcherai,
moi.
— Ni pose à i'objet l'aie
l'un ni l'autre, répondit ie jeune la place
que tu
me
et
,
montres,
soldat; dé-
sous ce rayon de lumière,
et retire-toi
jusqu'à ce que je
vu.
— Soit, Et
où tu es
il
dit le
messager.
se retira après avoir déposé le signe de recon-
aaissance à l'endroit indiqué.
Et notre cœur palpitait
;
car l'objet
nous paraissait cww
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
3(M
efîeclivement
mon
de
un
Seulement, était-ce l'anneau
.iniieau.
père
St'Iim. tenant toujours à la
main
mèche enflammée,
sa
l'ouverture, s'inclina radieux
vint à
ramassa
lumière et
— L'anneau du maître,
dit-il
mèche
Et renversant la
sous
le
rayoE de
le signe.
en
le
baisant, c'est bien
contre terre,
I
marcha dessus
il
et l'éleignit.
Le messager poussa un mains.
A
cri
de joie et frappa dans ses
du séraskier Kourchid
ce signal, quatre soldats
accoururent, et Sélim tomba percé de cinq coups de poignard.
Chacun
avait
Et cependant pales de peur,
chant partout
ils
s'il
donné
le sien.
ivres de leur crime
,
,
quoique encore
se ruèrent dans le souterrain
y avait du feu,
et se roulant
,
cher-
sur les
sacs d'or.
Pendant ce temps et, agile,
ma mère me
saisit entre ses
bras
bondissant par des sinuosités connues de nous
un
seules, elle arriva jusqu'à
escalier dérobé
du kiosque
dans lequel régnait un tumulte effrayant.
Les salles basses étaient entièrement peuplées par les Ichodoars de Kourchid, c'est-à-dire par nos ennemis.
Au moment où ma mère nous entendîmes
allait
pousser
retentir, terrible et
la petite porte,
menaçante,
la
voix
du pacha.
Ma mère
colla son œil
aux
fentes des planches
ouverture se trouva par hasard devant
la
œien,
;
une et je
regardai.
— Que voulez-vous? disait — le
mon
père à des gens qui
un papier avec des caractères d'or à la main. Ce qup nous voulons, répondit l'un d'eux, c'est commuiyquer la volonté de Sa Ilautesse. Vois-tu ce
tenaient
firmaji
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Je vois, — Eh bien le
dit
mon
305
père.
demande ta tête. iMon père poussa un éclat de rire plus effrayant que n'eût été une menace il n'avait pas encore cessé, que deux coups de pistolet étaient partis de ses mains et avaient tué deux hommes. !
lis
;
il
;
Les Palicares, qui étaient couchés tout autour de père la face contre feu
chambre se remplit de
la
;
mon
parquet, se levèrent alors et firent
le
bruit
,
de flamme et de
fumée.
A
l'instant
même
feu
le
commença de
et les balles vinrent trouer les
l'autre côté
planches tout autour de
nous.
Oh
beau,
qu'il était
!
mon
belin,
grand, le vizir Ali-Te-
qu'il était
au milieu des
père,
poing, le visage noir de poudre
fuyaient
—
Comme
ses
ennemis
criait-il,
gardien du feu,
ton
fais
!
— Sélim sortir
!
!
Séliml Sélim!
devoir
au
balles, le cimeterre
mort
est
1
répondit une voix qui semblait
dès profondeurs du kiosque, et
Ali, tu es
perdu
toi,
mon
seigneur
I
En même temps une
détonation sourde
se
en-
fit
tendre, et le plancher vo^a en éclats tout autour de
mon
père.
Les Tchodoars tiraient à travers
le parquet. Trois
ou
quatre Palicares tombèrent frappés de bas en haut par des blessures qui leur labouraient tout le corps.
Mon
père rugit, enfonça ses doigts par les trous des
balles et arracha
Mais en
même
une planche tout
entière.
temps, par cette ouverture, vingt coups
de feu éclatèrent, tère d'un volcan,
et la
gagna
flamme, sortant
comme du
les tentures, qu'elle dévora.
cra-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
S06
milieu de tout cet affreux tumulte, au milieu do
Au
ces cris terribles, deux coups plus distincts entre tous, deux cris plus déchirants par-dessus tous les cris, me glacèrent de terreur. Ces
mon
mortellement ces deux
cris.
Cependant
lui
;
il
Ma mère
nêtre.
deux explosions avaient frappé
père, et c'était lui qui avait poussé
mais
était resté
debout, cramponné à une
fe-
secouait la porte pour aller mourir avec
la porte était
fermée en dedans. dans
lui, les Palicares se tordaient
Tout autour de
convulsions de l'agonie
;
deux ou
les
qui étaient sans
trois,
blessures ou blessés légèrement, s'élancèrent par les fenêtres.
En même temps, le plancher tout entier craqua brisé Mon père tomba sur un genou en même
en dessons.
;
temps vingt bras s'allongèrent, armés de sabres, de pistolets,
seul
de poignards, vingt coups frappèrent à la fois un
homme,
et
mon
feu, attisé par ces fût
père disparut dans un tourbillon de démons rugissants comme si l'enfer se
ouvert sous ses pieds.
Je
me
sentis rouler à terre
c'était
:
ma mère
qui
s'a-
bîmait évanouie.
Haydée
tomber ses deux bras en poussant un
laissa
le comte comme pour lui demander s'il était satisfait de «on obéissance. Le comte se leva, vint à elle, lui prit la main et lui dit
gémissement
en romaïque
—
et
en regardant
:
Repose-toi
,
chère enfant
,
et
reprends courage en
songeant qu'il y a un Dieu qui punit les
— Voil? tout
une épouvantable
histoire,
traîtres.
comte,
effrayé de la pâleur d'Haydée, et je
maintenant d'avoir été
si
la tète
Albert
reproche
cruellement indiscret.
— Ce n'est rien, répondit Monte-Cristo. main sur
dit
me
de la jeune
fille
:
Puis
^sànt
sa
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Haydée,
est une femme courageuse, du soulagement dans le récit
continua-t-ii
quelquefois trouvé
elle a
307
,
de ses douleurs.
— Parce
que,
mon
seigneur, dit vivement la jeune
mes douleurs me
parce que
fille,
rappellent tes bien-
faits.
Albert la regarda avec curiosité, car elle n'avait point
encore raconté ce qu'il désirait
le
plus savoir, c'est-à-dire
comment elle était devenue l'esclave du comte. Haydée vit à la fois dans les regards du comte ceux d'Albert
même
le
Elle continua
—
dit-elle,
nous étions
le séraskier.
— Tuez-moi, veuve
dans
:
— Quand ma mère reprit ses sens, devant
et
désir exprimé.
dii-elle,
mais épargnez l'honneur de
la
d'Ali.
Ce
n'est point à
moi
qu'il faut t'adresser, dit
Kour-
chid,
— A qui donc? — C'est à ton nouveau maître. — Quel est-il? — Le voici. Et Kourchid nous montra
fille
un de ceux qui
mon
plus contribué à la mort de
avaient le
père, continua la jeune
avec une colère sombre.
— Alors, de cet
demanda
Albert,
vous devîntes
la propriété
homme ?
— Non,
répondit ïlaydée
;
il
n'osa nous garder,
il
nous
vendit à des marchands d'esclaves qui allaient à Constantiuople. Nous traversâmes la Grèce, et nous arrivâmes mourantes à la porte impériale, encombrée de curieux qui s'ouvraient pour nous laisser passer, quand tout à coup ma mère sui* des yeux la direction de leurs
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
308
regards, jette
un
tombe en
cri et
me
montrant une
tels
au-dessus de cette porte,
Au-dbssous de celte «
J'essayai,
morte
lit
en pleurant, de relever
menée au bazar
instruire,
treize ans
me
— Auquel, vous
où
mots
:
je
—
ma mère
:
elle était
I
Je fus '••
tète étaient écrits ces
Celle-ci est la tête d'Ali-Tebelin, paclia de Janina. »
l'ai dit,
I
un
riche
Arménien m'acheta,
des maîtres, et quand j'eus
vendit au sultan dit
Mahmoud.
Monte-Cristo, je la rachetai,
Albert, pour cette
mets mes
Oh
;
me donna
pastilles
émeraude
la
je
de hatchis.
tu es bon, tu es grand,
Haydée en baisant
comme
pareille à celle
mon
seigneur, dit
main de Monte-Cristo,
et je suis
bien heureuse de t'apparteniri Albert était resté tout étourdi de ce qu'il venait d'entendre.
— Achevez donc votre tasse de café,
lui dit le
l'histoire est finio.
FIN
Ob'
QOATRIEME VOLUME
comte
i
TABLE DU QUATRIÈME VOLUME
Pageft ï.
n.
— M. Noirtier de — Le testament.
Villefort
<
13
m.
—
Le télégraphe
IV.
—
Le moyen de délivrer un jardinier des qui
mangent
24
ses
loirs
37
pèches
— Les fantômes VI. — Le diner VII. — Le mendiant VIII. — Scène conjugale IX. — Projets de mariage X. — Le cabinet du procureur du H. — Un bal d'été XII. — Les informations XIII. — Le bal XIV. — Le pain XV. — Madame de Sainl-Méran XVI. — La promesse famille Villefort .... XVII. — Le caveau de XVIII. — Le procès-verbal XIX. — Les progrès de Cavalcanti XX. — Haydée V.
,
,
roi
.
et le sel
la
flls
ÉMlLIi COI.IN.
—
IWPEIMEKIE DE LàQNÏ.
51
63 77 90
10* <18 134
145 159 172 178
195
234 248 264 280
A
V
PQ 2226 Al 1889
Dumas, Alexandre Le comte de Monte-Cristo
t.
PLEASE
CARDS OR
DO NOT REMOVE
SLIPS
UNIVERSITY
FROM
THIS
OF TORONTO
1
LIBRARY
]__
.?
#\.
\
fe-
ÂŤ^