Guillemette mansour, tunisie mémoire de l'humanité

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E D I T I O N S I M P R I M E R I E

Petit pays situé au croisement des plus grandes civilisations de Méditerranée et qui joua à plusieurs reprises, au long de son histoire, un rôle de premier plan, la Tunisie compte pas moins de sept sites et monuments inscrits sur la liste du patrimoine mondial établie par l’Unesco pour leur valeur historique et culturelle. Certains de ces sites ravivent par bribes le souvenir de civilisations en partie oubliées comme celle de Carthage et celle des Numides. Certains – ce sont souvent les mêmes – apportent des témoignages admirables et particulièrement vivants sur la réalité de l’empire romain. D’autres ont conservé des monuments intacts des tout premiers siècles de l’Islam, parfaitement inscrits dans la continuité d’un urbanisme arabo-musulman toujours en évolution. De Carthage à Kairouan, de Dougga à Tunis, ce livre vous invite à visiter ces sept sites comme un survol de trois millénaires d’une histoire mouvementée et parfois glorieuse.

Photo de couverture : Le théâtre de Dougga

Guillemette Mansour

Diplômée de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris) ainsi que du Conservatoire National de Musique de Versailles, Guillemette Mansour se consacre depuis une dizaine d’années à l’écriture et au journalisme. Passionnée par le patrimoine de la Tunisie, pays où elle vit, elle est l’auteur de nombreux articles dans la presse touristique et d’un livre sur le cinéaste et photographe tunisien Samama Chikly aux éditions Simpact.

Tunisie Mémoire de l’Humanité

Tunisie, mémoire de l’Humanité

L’AUTEUR

Guillemette Mansour

Sites inscrits sur la Liste du Patrimoine culturel mondial

I M P R I M E R I E

E D I T I O N S


Au bord du golfe de turquoise, face au Jebel Boukornine,

deux lagunes aux eaux dormantes : les vestiges des ports intérieurs de Carthage.

quais. Tout au long de ces quais, il y avait des loges faites

puissance militaire de Carthage ; ceux-là même dont

pour contenir 220 vaisseaux et, au-dessus des loges, des

les Puniques savaient faire une utilisation dynamique

vaient deux colonnes ioniques qui donnaient à la circonfé-

suprématie sur mer. On a retrouvé des vestiges des

magasins pour les agrès. En avant de chaque loge s’éle-

rence du port et de l’île l’aspect d’un portique. Sur l’île, on

avait construit pour l’amiral un pavillon d’où partaient les signaux des trompettes et les appel des hérauts et d’où

l’amiral exerçait sa surveillance. L’île était située en face de l’entrée et elle s’élevait fortement ; ainsi l’amiral voyait ce

qui se passait en mer tandis que ceux qui venaient du large ne pouvaient distinguer nettement l’intérieur du port.

Même aux marchands qui entraient sur leurs vaisseaux, les arsenaux restaient invisibles… »

Dans le bassin circulaire du Cothon se réfugiaient

donc en toute discrétion les vaisseaux qui firent la

dans les combats et qui leur assurèrent longtemps la cales sèches où les navires étaient mis à l’abri ou

subissaient des réparations ; entre l’île et le pourtour du bassin, le port pouvait bien en compter quelque

deux cents. Des traverses subsistent aussi ; en partie carbonisées, elles ont gardé la marque de l’incendie qui ravagea la cité en 146 avant J.-C.

L’autre bassin quant à lui accueillait l’incessant va-et-

vient des navires marchands, puniques et étrangers. Là arrivaient les cargaisons de métaux en provenance de

la lointaine péninsule ibérique – et les ateliers de métallurgie et d’orfèvrerie des Puniques étaient réputés.

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Carthage, depuis qu’elle était devenue romaine, s’était couverte de statues – souvent en marbre, qui abondait en Afrique.

A GAUCHE : Déméter, statue de marbre blanc. EN

HAUT

: La Victoire, bas-relief.

IIe s. ap. J.-C., Musée National de Carthage.

mique, fut implanté un second forum, à peine identi-

– des monuments gigantesques.

même de l’ancienne agora punique.

paraît aujourd’hui puisqu’une partie des gradins

fié aujourd’hui. Il semble avoir occupé l’emplacement Pour satisfaire les riches colons venus d’Italie, la ville se devait de posséder toutes les commodités et tous

les raffinements de la vie à Rome. Rome, donc, investit à Carthage. Celle-ci se vit rapidement doter de

Gigantesque, le théâtre – plus grand encore qu’il n’y supérieurs, ceux que soutenaient une structure en

arcades et qui s’ajoutaient aux gradins creusés dans la colline, ont disparu. Les nouveaux Carthaginois y

tous les monuments essentiels au mode de vie romain

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Les vestiges des Thermes d’Antonin, monument colossal face à la mer.

énormes colonnes remises en place donnent une idée

salles d’apparat pavées de mosaïque, successions de jardins, bassins et cascades ponctuées de statues de

marbre ; décor somptueux pour réceptions fastueuses, surplombant l’azur du golfe.

des dimensions colossales de ce monument qui s’éle-

Comme à Rome, les loisirs du peuple justifiaient des

15 mètres ; elle n’était que le départ de la voûte qui,

phithéâtre approchait, par ses

vait face à la mer. L’une de ces colonnes est haute de elle, culminait à trente mètres. Le chapiteau de

marbre blanc qu’elle supporte pèse pas moins de huit tonnes. Est-ce de celle-ci que l’Andalou Al Bekri écri-

vait, ébahi, au XI siècle : « Sur le chapiteau d’une de ces e

colonnes, douze hommes pourraient s’asseoir les jambes croisées » ?

Les riches Romains qui venaient fréquemment se délasser ou se réunir sous les voûtes des thermes

s’étaient bâti de superbes maisons. Celle dite de “la

Volière” a été en partie reconstituée. C’est une vaste demeure où alternent cours bordées de portiques et

équipements grandioses. A l’entrée de la ville, l'amdimensions, le Colisée.

L’hippodrome, surtout, s’étendant sur un demi-kilomètre, était le second par la taille dans tout

l’Empire après le Circus Maximus de la métropole ; il pouvait

accueillir de soixante à soixante-dix mille spectateurs.

Car s’ils se passionnaient, comme

tous les habitants de l’Empire, pour les chasses aux fauves organisées dans l’amphithéâtre, les gens de

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Annexée à l’Empire, la cité numide se mit progressivement à vivre à l’heure romaine.

Des monuments toujours plus grands, toujours plus beaux allaient peu à peu être édifiés.

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Hymne à la ligne courbe, à l’ellipse majestueuse, aux arcs et aux voûtes. Représentant d’un temps lointain qui ne daigne accorder au monde présent que le bref clin d’œil de ses arcades étroites…

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Transition entre ombre et lumière, une galerie longe la façade de la salle de prière.

A l’abri de ses murs, la Grande Mosquée est un espace préservé et harmonieux, un asile.

Un petit bassin central permet de recueillir les eaux

Cette tour de plus de trente mètres construite dès le

monieux) ensemble d’alvéoles étagées permet de

pyramide tronquée, est couronnée par deux étages de

de pluies pour les ablutions, qu’un ingénieux (et hardécanter et de filtrer. Un cadran solaire sert à calculer l’heure des cinq prières quotidiennes.

Tout autour, des portiques doubles prolongent la

galerie narthex ; mais toutes dimensions verticales

semblent ici écrasées par la masse austère du minaret.

VIIIe siècle, aux murs légèrement inclinés telle une

largeurs décroissantes et une coupole. Sa silhouette

n’est pas sans rappeler celle du phare d’Alexandrie. Construite en un temps de stabilité retrouvée, la

Grande Mosquée de Kairouan, vue de l’extérieur, semble avoir figé dans la pierre l’insécurité de

l’époque précédente : son minaret a des allures de

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Des Corans sur parchemin somptueusement calligraphiés.

indépendantes et instables. Prise dans la tourmente,

place d’armes, capitale économique, centre de créa-

« Perpétuer la gloire de l’islam jusqu’à la fin des temps »,

garder que cette dernière vocation. Devenue ville

Kairouan a bien failli disparaître à jamais.

avait dit Oqba. C’est sans doute pour remplir cette mission qui lui avait été assignée que Kairouan ne

disparut pas complètement. Après une longue paren-

thèse de deux siècles, elle commença à se relever,

tion intellectuelle et gardienne de la foi. Elle ne devait secondaire, ne trouvant d’abord sa subsistance que

dans des activités ingrates telles que le tannage des peaux et la maroquinerie, auxquelles elle s’adonna

petit à petit, de ses décombres.

Entre-temps, l’Ifriqiya s’était donné de nouveaux

maîtres, les Hafsides, et une nouvelle capitale : Tunis.

Kairouan, donc, se releva. Mais comme une ville tronquée. Amputée des trois quarts de sa superficie, elle

ne put ranimer qu’un quartier de l’ancienne agglomération. La Grande Mosquée s’en trouva décentrée, telle qu’on la voit aujourd’hui.

De sa naissance à son âge d’or, Kairouan avait été

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La zaouïa aux six coupoles de Sidi Amor Abada, un personnage hors du commun qui, pour protéger Kairouan de la tourmente, forgea des ancres colossales. Kairouan, cité où le mythe et l’histoire se confondent…

Mecque, Bir Zem-Zem ; le puits et la source, croit-on,

semblable aux anciennes coupoles kairouanaises,

C’est aussi l’eau de Bir Zem-Zem que l’on croit

Mosquée.

communiquaient.

puiser au Bir Ruta, le célèbre “Barruta” de

Kairouan où, de nos jours encore, un dromadaire

actionne inlassablement une noria. Un bey moura-

dite fit construire l’édifice qui l’abrite aujourd’hui.

Pour le surmonter, il choisit une coupole toute

dont le modèle était donné par la Grande

Dûment protégée par les pouvoirs qui se sont succédé, la ville a pu être préservée à travers les siècles dans ce qu’elle avait de plus sacré.

C’est ainsi que, jusqu’à aujourd’hui, l’eau de Bir ZemZem peut continuer de jaillir à Kairouan.

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EnglobĂŠe dans la Kasbah, la tour Khalef domine toute la MĂŠdina de sa silhouette hautaine.

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dans certains édifices almoravides du Maroc et en Algérie. Sans doute un mausolée à l’origine, la Qoubba présente d’autres décorations remar-

quables comme la coquille polylobée qui orne son porche, ou encore sa façade barrée d’une série de huit niches. Un caravansérail ajouté plusieurs

Le minaret de la médersa Ezzaqqaq, hommage ottoman à un saint homme du Moyen Age.

haut prisme octogonal orné de faïence et de frises de carreaux blancs et noirs.

siècles plus tard abrite aujourd’hui le musée des

Entre-temps, la ville n’avait guère gagné de monu-

Au Xe siècle s’était distingué aussi un homme

avait eu un destin en dents de scie. Gouvernée un

Arts et traditions populaires.

pieux dont le souvenir est célébré par un édifice qui porte son nom : la médersa Ezzaqqaq. Mais

celui-ci a été construit bien plus tard et se signale surtout par son minaret ottoman du XVIIIe siècle,

ments remarquables. Après le règne ziride, Sousse temps par un chef hilalien, elle avait été annexée

durant quinze ans par les rois normands de cette

Sicile dont elle avait jadis permis la conquête, jusqu’à l’avènement des Almohades en 1160.

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C’est en des temps incertains, dans un pays dévasté par les

invasions hilaliennes, que Tunis prend le premier rôle.

du Nord, au même titre que la Qarawiyine de Fès ou AlAzhar du Caire.

Bâtie sur un terrain en pente, la Zitouna surplombait jadis la

rue de douze marches du haut desquelles on pouvait aperce-

voir l’arsenal. Tunis à l’origine était une ville militaire. Mais elle devint vite, en même

temps qu’un foyer de pensée,

une cité vouée au commerce et à l’artisanat.

Centre vivant de la cité, la

Grande Mosquée est au cœur

d’un quartier où nul n’habite,

réseau serré de voies couvertes que trouent d’innombrables

échoppes : les souks centraux. Là se déroulaient autrefois

toutes les activités artisanales et commerçantes réputées nobles, que les Hafsides organisèrent rationnellement en

corporations : le souk des

Etoffes, où se vendaient les tissus fabriqués à Tunis réputés

Les Ottomans ajoutèrent plus tard de nouveaux

Parfumeurs, dont Léon l’Africain rapporte qu’il était

Bachamqiya et le souk at-Truk, où se confectionnaient

plus beaux que ceux de Bagdad ; le souk des

victime de son succès et que ses marchands étaient toujours les derniers à fermer boutique ; le souk des

Libraires d’où se répandait le savoir, stimulé par l’activité de l’université de la Zitouna…

souks correspondant à leurs besoins : le souk alpantoufles et vêtements à la mode turque.

Un peu plus tard ouvrit encore un souk dédié à la vente des chéchias, ces coiffes de laine rouge qui étaient écoulés dans tout l’empire ottoman ; leur

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Telle est la ville que découvrit, en 1881, le protecteur français. Une ville curieuse, fantasque parfois, fière

de son patrimoine accumulé. Trop sûre d’elle-même, peut-être, trop confiante dans les valeurs anciennes,

Des plafonds de bois peint dont le décor flamboyant s’inspire de plus en plus, au fil des siècles, du goût italien.

aveugle aux bouleversements du monde. Mais elle

vent de liberté. Alors, l’une après l’autre, les maisons

Les Français n’osèrent pas lui faire violence. C’est

La ville délaissée se mit à se négliger. Bien des palais

imposait le respect.

hors de ses murs, sur des terres remblayées prises au lac, qu’ils élevèrent leurs nouveaux quartiers. Des

quartiers qui ne devaient rien à la terre qui les portait, et tout à la lointaine Europe. Début d’une nouvelle épreuve pour la vieille cité.

Le regard des Tunisois changea. Subitement, ils

n’avaient plus d’yeux que pour la ville nouvelle qui sortait de terre, pour ses façades extraverties aux

larges baies vitrées, pour ses avenues où soufflait un

de la médina se vidèrent.

furent envahis par des familles des campagnes en

mal de logement ; bien des terrasses s’effondrèrent

faute d’entretien. La médina s’installait durablement dans la dépression.

Aujourd’hui pourtant, la vieille cité reprend courage. Le souvenir de ces années peu à peu s’estompe. Les Tunisois ont réappris à voir leurs quartiers histo-

riques ; ils en redécouvrent les beautés, se les réapproprient pour des usages nouveaux.

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Dar Othman


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Petit pays situé au croisement des plus grandes civilisations de Méditerranée et qui joua à plusieurs reprises, au long de son histoire, un rôle de premier plan, la Tunisie compte pas moins de sept sites et monuments inscrits sur la liste du patrimoine mondial établie par l’Unesco pour leur valeur historique et culturelle. Certains de ces sites ravivent par bribes le souvenir de civilisations en partie oubliées comme celle de Carthage et celle des Numides. Certains – ce sont souvent les mêmes – apportent des témoignages admirables et particulièrement vivants sur la réalité de l’empire romain. D’autres ont conservé des monuments intacts des tout premiers siècles de l’Islam, parfaitement inscrits dans la continuité d’un urbanisme arabo-musulman toujours en évolution. De Carthage à Kairouan, de Dougga à Tunis, ce livre vous invite à visiter ces sept sites comme un survol de trois millénaires d’une histoire mouvementée et parfois glorieuse.

Photo de couverture : Le théâtre de Dougga

Guillemette Mansour

Diplômée de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris) ainsi que du Conservatoire National de Musique de Versailles, Guillemette Mansour se consacre depuis une dizaine d’années à l’écriture et au journalisme. Passionnée par le patrimoine de la Tunisie, pays où elle vit, elle est l’auteur de nombreux articles dans la presse touristique et d’un livre sur le cinéaste et photographe tunisien Samama Chikly aux éditions Simpact.

Tunisie Mémoire de l’Humanité

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