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LA VIE GASTRONOMIQUE

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LA VIE CARITATIVE

LA VIE CARITATIVE

« L’objectif de cette alliance est de préserver, dans la durée, le patrimoine culinaire lyonnais, son histoire, son identité, tout en respectant son ADN et en y associant et pérennisant des équipes solides. »

LÉON DE LYON

Opération de sauvetage orchestrée par Laurent Gerra et Jérôme Bocuse

La sérénité va-t-elle de nouveau imprégner les intemporels salons du Léon de Lyon ? Après 4 ans d’une croisière cauchemardesque, l’établissement mythique de la rue Pleney et ses annexes ont enfin trouvé un nouveau port d’attache.

En octobre 2018, Jean-Paul Lacombe annonçait la reprise de son restaurant Léon de Lyon par les restaurateurs Fabien Chalard et Julien Géliot ainsi que l’humoriste Laurent Gerra. Cette association contre-nature n’aura pas duré quatre ans. Après quelques mois d’état de grâce, les divergences de vue entre les associés se sont muées en franche hostilité. En cause, notamment, la stratégie expansionniste et la boulimie du couple Chalard-Geliot qui, depuis leur retour de Miami, multiplie les acquisitions aux quatre coins de la métropole, affichant ostensiblement leur volonté de posséder 50 affaires à l’horizon de leurs 50 ans ! Cette course à l’armement dans laquelle il veut rivaliser avec Benjamin Lavorel et Aurélien Liveneau connait de nombreux ratés, avec des promesses d’achat non honorées (Le Layon, 33 Cité) qui conduisent leurs deux auteurs devant les tribunaux... avec condamnations à l’arrivée. En parallèle, l’ambiance se dégrade chaque jour un peu plus au sein du Léon de Lyon, le vaisseau amiral du groupe Les Gastronomistes. Départs et démissions se succèdent. Laurent Gerra ne peut cautionner ces dérives et décide de se retirer, en réclamant au couple le montant investi en 2018, soit une somme à 7 chiffres.

ÉVITER LA FAILLITE ET LE DÉMANTÈLEMENT DU GROUPE

Mais le duo qui a, entre temps, embarqué dans l’aventure un couple de jurassiens pour renflouer la trésorerie du groupe (à hauteur de 600 000 euros) est incapable de le rembourser. C’est donc dans le cadre d’une procédure conflictuelle que Laurent Gerra obtient gain de cause fin juillet 2022 : à défaut de recevoir du cash, il récupère Léon de Lyon, Pléthore et Balthazar (rue Mercière - Lyon 2e), le Chanteclair à la Croix-Rousse, la Cave d’à côté et le Mamma (rue Pléney - Lyon 1er), sans oublier les trois boulangeries Pomponette. De leur côté, les Jurassiens se voient attribuer le Salmon Shop et la Mère Cottivet. Laurent Gerra, dont l’agenda d’humoriste et de show man est déjà bien rempli n’a pas l’intention de se prendre pour ce qu’il n’est pas, c’est-àdire restaurateur. Il ne compte pas non plus laisser tomber ces établissements auxquels sa femme Christelle et lui sont très attachés. D’où l’idée de se rapprocher de Jérôme Bocuse et Paul-Maurice Morel, patrons des Brasseries Bocuse. Après avoir échangé avec Jean-Paul Lacombe, le fils de Monsieur Paul accepte de relever ce nouveau challenge et d’épauler Laurent Gerra au quotidien dans la gestion des restaurants. Très attaché à sa ville natale, Jérôme Bocuse s’inscrit pleinement dans l’esprit de son père qui avait déjà tendu la main au Léon de Lyon, lors de sa reprise par Jean-Paul Lacombe suite au tragique décès de son père Paul. Les nouveaux partenaires ont du pain sur la planche pour redresser le groupe. Première priorité : stabiliser et rassurer les équipes encore présentes, puis assainir la comptabilité et renégocier les échéanciers des multiples prêts contractés avec les établissements bancaires, sans oublier l’URSSAF et les services fiscaux. MP

BROTTEAUX

Textes : Marco Polisson et Morgan Couturier - Photos © Fabrice Schiff Le ChooChoo s’efface au profit du SIX

Exclusif. Quatre ans après avoir allumé sa flamme au cœur de la gare des Brotteaux, le Choo Choo s’efface au profit d’une nouvelle enseigne… Un tel établissement se devait d’attirer la lumière, après s’être érigé en place forte de la nuit lyonnaise à l’aube de l’année 2019. C’est chose faite. Voilà le restaurant festif des Brotteaux créé par le quatuor Bruno Da Eira, Axel Bon-Chabert, Marc Chabert et Jean-Paul Donjon, prêt à repartir de plus belle. Non sans quelques travaux et une nouvelle appellation, « le Six » (à prononcer à l’anglaise, ndlr). Pour mener à bien cette mission, Mika Castaldo et Geoffrey Clavel ont confié les rênes de l’ancien Boudoir à une nouvelle équipe dirigée par les patrons du Bario : Bertrand Dalle et Cédric Bernard épaulés par le photographe… Stéphane Guiochon. Un équipage émoustillé à l’idée de redynamiser cette belle affaire, freinée par le Covid. Place à un nouveau récit, celui du « Six » en mode gastro festif du mercredi soir au samedi soir. MC

Le Six - 13, place Jules Ferry – Lyon 6e

Avec ses terrines, CATHERINE LYONNET pousse le bouchon (lyonnais) un peu plus loin

Depuis le rachat de la marque Good Bouchons Lyonnais en 2020, Catherine Lyonnet met en avant des recettes aux saveurs authentiques et 100% régionales. Retranscrites en pâté ou en terrine dans des verrines en verre, ces dernières s’évertuent à prolonger à la maison, le parfum singulier de la cuisine des mères lyonnaises et de leurs… bouchons.

Texte : Morgan Couturier - Photos © Saby Maviel

Si sur de tels sujets, la meilleure idée est encore de goûter, de vérifier la véracité de certains propos, alors que ceux-ci s’appuient parfois sur de précieux détails. À une part de hasard faisant bien les choses, comme s’il était écrit que toutes les étoiles devaient s’aligner. De jour comme de nuit. Au bord de la piscine, tant qu’à faire, à en juger du cadre choisi par Catherine Lyonnet pour promouvoir sa marque. Lyonnaise évidemment… Place à Good Bouchons Lyonnais donc et ses bocaux aux couleurs quadrillées, en référence aux nappes emblématiques. La seule différence tient alors à la théâtralisation du service. Car si au menu du jour, les convives peuvent déguster sur commande, têtes de cochon au Chardonnay, pot au feu, volailles de Bresse, boudin noir ou foie de cochon au porto, le service se résume à des verrines en verre de 180g, à l’intérieur desquelles sommeillent terrines et autres pâtés. Le goût des bonnes choses. Partout, et en toutes circonstances. Une combinaison gagnante à la logique implacable pour cette Lyonnaise, habituée à conseiller les meilleures stratégies commerciales dans le milieu de l’alimentaire. À une différence près : depuis 2020 et le rachat de la marque, Catherine Lyonnet s’évertue à conseiller ses propres produits à des épiceries fines, à des cavistes et dans quelques grandes surfaces, au point d’accrocher à son palmarès, quelque 250 points de vente. Le tout, sous couvert de Covid et « sans année complète d’exercice ». Reste qu’à l’instar de cette journée dégustation improvisée, le ciel semble se dégager peu à peu au-dessus de Good Bouchons Lyonnais. De quoi inviter à passer à table et à se laisser tenter par des produits ô combien atypiques.

« QUAND TU GOÛTES, TU DOIS RETROUVER LA CUISINE DE TA GRAND-MÈRE »

« Je cherchais des pépites. Et ce qui m’a plu, c’est ce côté authentique, le bien manger. Mais il y avait énormément de choses à faire, comme passer à une production 100% régionale (et sans gluten, ndlr). Il m’a fallu un an pour trouver les fournisseurs », glisse cette amoureuse du bon produit et de la gastronomie en général, qu’elle se plait à mettre en pot elle-même, épaulée d’un cuisinier, dans son atelier bâti à Mions. « Je cale les recettes, le goût. Car quand tu ouvres le couvercle, je veux que ça sente, que l’on respecte la texture des viandes, et qu’à la dégustation, il y ait un petit côté régressif, qui nous rappelle la cuisine de nos grandsmères », glisse Catherine Lyonnet. De nos mères lyonnaises pour être précis, dont la générosité des mets semble avoir inspiré le contenu des bocaux ciglés Good Bouchons Lyonnais. Une marque « à stabiliser », avant d’espérer l’agrandir. En effet, s’il est d’usage de glisser les petits plats dans les grands, Good Bouchons Lyonnais aspire d’abord à prendre son temps. À savourer, avant de tenter plus tard l’aventure de l’exportation. Mais demain est encore loin. D’autant que la faim d’entreprendre creuse l’appétit. De quoi justifier l’ajout prochain de trois nouvelles recettes, « dont de la cochonnaille de mâchon ». À l’instar de ces banquets ancestraux, le plus tôt sera le mieux. Une façon comme une autre de respecter cette expression de nos grandsmères : chaque pot à son couvercle !

> Plus d’infos sur www.good-bouchons.fr

MAISON ET DOMAINES LES ALEXANDRINS

Nicolas Jaboulet

“Faire revivre des terroirs oubliés mais magnifiques”

Fondateur associé de Maison et Domaines les Alexandrins depuis 2009, Nicolas Jaboulet tend à (re)donner des lettres de noblesse à des terroirs autrefois effacés. Le vigneron les remet ainsi aux goûts du jour avec talent et originalité, en atteste leur promotion sur les routes de France et de Navarre, autour de dégustations « décontractées et conviviales ».

Photo © DR

LP : Présentez-nous votre domaine en quelques mots.

NJ : En 2009, Maison et Domaines les Alexandrins est né de l’idée de mettre nos expériences et nos savoir-faire au service de notre passion pour nos terroirs du Nord de la Vallée du Rhône avec une philosophie : rechercher des trésors, très souvent des vignes oubliées ou de vieilles vignes sur des terroirs d’exception, pour obtenir la plus haute expression de l’appellation. Et nous sommes ainsi à Tain l’Hermitage depuis maintenant 12 ans. Aujourd’hui, nous possédons 24 hectares de vignes réparties sur les AOC Crozes Hermitage, Saint Joseph, Condrieu et prochainement Saint Péray et Côte Rôtie. Notre gamme est constituée des vins de nos propriétés mais aussi de vins issus d’achats de raisins rigoureusement sélectionnés que nous vinifions également. Nos vins « Domaines Les Alexandrins » jouent la carte du classicisme dans la pure tradition locale. Plus variés dans leur palette d’appellations, nos vins « Maison Les Alexandrins » offrent un regard plus contemporain où l’art de l’élevage et de l’assemblage prend tout son sens. Avec mon associé Alexandre Caso, nous nous attachons à développer quotidiennement notre Domaine.

Parlez-nous du Domaine de Bréseyme...

Bréseyme, c’est exactement le cœur de la philosophie des Alexandrins : faire renaître des terroirs un peu oubliés et pourtant magnifiques. Le Domaine de Bréseyme est une petite pépite qui a vocation à devenir un grand vin des Côtes du Rhône. Son terroir est exceptionnel, composé de calcaire sur des coteaux plein sud. La rivière de la Drôme qui descend du Vercors apporte une légère fraîcheur dans la nuit et offre ainsi des vins soyeux et très élégants. La syrah s’exprime parfaitement sur ce terroir, situé à mi-chemin entre Rhône nord et Rhône sud. Quant aux vins blancs, ils sont souvent le fruit de l’assemblage de Viognier, Marsanne et Roussanne. Après seulement trois millésimes, notre Domaine de Bréseyme rencontre déjà un joli succès. C’est notre plus grande fierté.

« PROPOSER DES VINS DE GRANDE QUALITÉ, DANS UN ESPRIT DE PARTAGE »

À côté de cela, vous semblez être très attaché à une démarche éco-responsable ?

L’impact carbone d’un domaine viticole concerne principalement l’usage de l’eau en vinification, les bouteilles en verre et le transport. Nous sommes particulièrement attentifs à ce sujet. Nous avons entrepris l’établissement de notre bilan carbone en avril dernier afin d’avoir un état des lieux précis. Concernant l’usage de l’eau, nous avons mis en place des procédures afin de limiter au strict nécessaire et d’éviter les moindres abus. Par ailleurs, nous travaillons sur l’utilisation de bouteilles allégées (que nous demandent de plus en plus nos clients) afin d’améliorer le poids et l’impact sur le transport. C’est déjà le cas pour notre gamme Cabanon des Alexandrins et nos Côtes du Rhône. Nous avons également décidé de supprimer les caisses en bois, source là aussi, de surpoids.

Concernant votre vignoble, quelle approche avez-vous ?

Nous sommes en phase de certification bio pour l’ensemble de nos vignes. Depuis le début des Alexandrins, travailler au plus près de la nature et dans son plus grand respect est au cœur de nos préoccupations. La certification bio vient donc tout naturellement. Nous cherchons sans cesse à améliorer nos pratiques, en s’adaptant aussi aux changements climatiques qui impactent notre gestion quotidienne dans les vignes, tout en gardant toujours à l’esprit de produire des vins de grande qualité, fidèle au terroir et à l’esprit du Domaine.

Vous parlez de l’esprit du Domaine. Comment s’inscrit l’idée du Wine Tour dans celui-ci ?

Pendant le Covid en 2020 et en anticipant la réouverture des restaurants, il nous semblait intéressant de trouver un autre moyen de faire découvrir nos vins. Une façon décontractée et conviviale d’aller à la rencontre de nos clients. L’idée était aussi de renforcer notre image et de soutenir nos distributeurs en France. Concrètement, le Wine Truck est un « stand ambulant », à l’instar d’un food truck, que nous mettons à la disposition de nos clients cavistes, restaurants, bar à vins, avec deux jeunes, formés à la dégustation. Dans chaque ville de France, la venue du Wine Truck est l’occasion d’organiser une soirée conviviale et d’attirer une clientèle plus jeune lors d’afterwork ou sur des lieux de vacances. Chacune des 16 soirées rassemble entre 70 et 150 personnes. Ce modèle d’événement reflète bien notre état d’esprit : proposer des vins de grande qualité, de façon décontractée, conviviale et dans un esprit de partage.

Arnaud Descombes (Agent Les Alexandrins), Victor Lafaye (Les Alexandrins), Fabrice Delperdange (Directeur Commercial Perrin/Alexandrins/Miraval) et Emmanuel Gaydon (EG- Formations)

DOMAINES LES ALEXANDRINS

Le Cabanon et le Brézème mis à l’honneur par les équipes de la Maison Barbet et des Alexandrins Victor Lafaye (Les Alexandrins), Félix Terrenoire, Claude Barbet, Lise Desboudard (Maison Barbet), Nicolas Jaboulet et son fils Edgar (Les Alexandrins)

TOP DÉPART DU WINE SUMMER TOUR

chez Claude Barbet Nicolas Jaboulet (Les Alexandrins) et Claude Barbet (Maison Barbet)

Céline Albet Meunier (ORPI Vienne) et Hervé Meunier (SNCF), frère et sœur

Le Wine Truck des Alexandrins lance son Summer Tour

Robin Delesques (Courtis), Clara Deolet, enseignante et Astrid Bourdouxhe

Pour son troisième tour de France des dégustations, le Wine Truck de la Maison & Domaines des Alexandrins s’est élancé depuis la Bamboche Academy à Vourles, le nouveau bar à vins aux allures de guinguette de Claude Barbet. Une initiative festive, vouée à faire découvrir ses grands crus sur près de 16 destinations. L’événement prend de la bouteille, au sens propre comme au figuré, depuis que le Wine truck des Alexandrins piloté par Victor Lafaye et Edgar Jaboulet, prend la route de l’Hexagone en direction des meilleurs bars à vins, cavistes et restaurants. Saint-Tropez, le Cap Ferret, l’Ile de Ré, Beaune et bien d’autres destinations ont ainsi exalté cette troisième escapade gustative, où se dégustent de manière festive, les quilles Cabanon, les crus Crozes-Hermitage et St Joseph ou le confidentiel Domaine de Bréseyme. Il en fut ainsi, sur les terres de Claude Barbet, où la Bamboche Academy, initia les hostilités, autour de grillades délicieuses. Une manière astucieuse « de renouveler la clientèle et de séduire de jeunes clients », avoua, ravi, le fondateur de la Maison et de l’événement, Nicolas Jaboulet. Pari réussi donc, avec 16 escales au programme, construit sur un air bien connu de Monsieur Paul : « bon appétit et large soif ». Texte : Morgan Couturier - Photos © Saby Maviel

Nicolas Jaboulet (Les Alexandrins), son épouse Patricia (ABD Conseil), Laurent et Alix de Longvilliers (La Maison de Blandine)

Sixtine Ginon, Léa Roche, William Von Tschammer, artiste musicien, Gulia Liucci et Elorri Althabe

Eric Pecoud (Cafés Folliet), Guillaume Uni (Groupe Blanchon), Jean-Philippe Niewenglowski (JP & C Partners) et Yannick Bainas (Maisons & Domaines) La Bamboche Academy lance sa saison d’été dans une ambiance « guinguette »

JÉRÔME BOCUSE

« Il me faut rétablir la vérité ! »

EXCLUSIF. Début juillet 2022 : l’homme discret qu’il a toujours été, est invité à sortir de sa réserve. La faute à la gouvernance de l’Institut Paul Bocuse, encline à médiatiser un conflit l’opposant à Jérôme Bocuse, quant au respect de l’utilisation du nom “Paul Bocuse”. Le cahier des charges est limpide : “Je souhaite dire les choses, simplement.” Sans acrimonie, mais non sans volonté de protéger coûte que coûte les volontés de son père. Ainsi s’exprime un fils : son père, son nom, sa bataille.

Propos recueillis par Christophe Magnette - Photos © Didier Michalet, Erick Saillet, Fabrice Schiff et Caroline Dupain

Lyon People : Avez-vous été surpris par l’offensive médiatique, orchestrée, fin juin, par l’Institut Paul Bocuse (IPB) ?

Jérôme Bocuse : (Il réfléchit) Après toutes ces années, j’ai été particulièrement déconcerté par les contrevérités de cette interview (ndlr : article publié dans Le Progrès de Lyon, le 29 juin 2022), qui m’obligent, à répondre et à prendre la parole. Pourquoi ? Car, j’ai toujours cherché à protéger mon nom et celui de mon père, tout en essayant de préserver de ce conflit, l’école, son statut d’association, ses élèves, ses anciens élèves ainsi que le corps enseignant – tous – si impliqués et passionnés par nos métiers. Aujourd’hui, il m’apparaît donc, nécessaire, de recadrer ces déclarations que je juge purement et simplement mensongères. Il me faut rétablir la vérité.

Concrètement, depuis quand ce conflit couve-t-il ?

Depuis plusieurs années, déjà : peu à peu, au fil du temps, la communication a commencé à se dégrader avec l’Institut Paul Bocuse. Nous avions eu quelques alertes auparavant, mais c’est bel et bien mon père qui m’a averti, surtout à l’arrivée de la nouvelle direction, en septembre 2015.

Revenons à la genèse des tensions : en filigrane, se pose la question de la propriété du nom Bocuse et de son usage ?

Début 2010, suite à ses premiers problèmes de santé, mon père a voulu me confier la gestion de la société (Produits Paul Bocuse), qu’il avait créée dans les années 1970 pour défendre son nom, ses créations et son image. C’était son souhait ! Je me suis donc porté acquéreur de cette entité pour de facto, devenir garant de la protection de notre nom. Je lui ai fait cette promesse de toujours être vigilant et de faire respecter son nom, de lui faire honneur.

Le château du Vivier, de facture néogothique, accueille depuis 1990 les étudiants de l’école d’art culinaire d’Ecully (aujourd’hui Institut Paul Bocuse). Les laboratoires de cuisine et les salles de cours sont logés dans un bâtiment contemporain à l’arrière de la bâtisse. L’histoire complète de la demeure de la famille Cottin est à retrouver dans notre magazine spécial consacré au patrimoine d’Ecully (204 pages - Juin 2011).

Vous êtes ainsi, sur un plan juridique, le seul et unique propriétaire du nom Paul Bocuse ?

Oui !

Partant de cet état de fait, quel contrat vous lie à l’Institut Paul Bocuse et quelles obligations en découlent pour ce dernier, vis-à-vis de vous ?

Très simplement : un contrat d’usage précaire — et gratuit — a été signé, entre mon père et l’Institut pour autoriser l’utilisation du nom « Paul Bocuse » dans la dénomination sociale de l’association, et pour son activité d’enseignement pédagogique, à Écully.

C’est tout ?

C’est tout ! En aucun cas, l’Institut Paul Bocuse n’est autorisé à faire un quelconque commerce avec le nom Bocuse, en dehors du cadre juridique, énoncé précédemment.

En conséquence, que demandez-vous à l’IPB ?

Une chose : qu’il respecte le contrat, voulu par mon père pour soutenir l’association qu’il a créée, il y a maintenant plus de trente ans. Que les règles établies à l’origine régissent nos liens.

Quelle a été la posture de l’IPB suite à vos requêtes ?

Depuis l’arrivée de la nouvelle gouvernance, et malgré de nombreux avertissements, force est de constater une escalade des dérives du contrat, une faculté déconcertante à dépasser allègrement la ligne jaune. Un exemple ? Dernièrement, nous avons découvert le dépôt de mon nom en Chine (!), dans plusieurs classes d’activités, sans aucune autorisation préalable et bien sûr, sans m’en informer. Vous voulez d’autres exemples ? Des recettes “Institut Paul Bocuse” en collaboration avec des multinationales de l’agroalimentaire, une collaboration avec Air France pour le service en cabine business, l’utilisation du nom dans le cadre de restaurants commerciaux etc.

“JE NE LEUR LAISSERAI PAS FAIRE N’IMPORTE QUOI, AVEC LE NOM PAUL BOCUSE !”

La nouvelle gouvernance agit donc, comme si elle était propriétaire de votre nom ?

Totalement : ils refusent que j’exerce le moindre contrôle sur mon nom ! Raison pour laquelle, j’ai décidé d’agir : je ne leur laisserai pas faire n’importe quoi, avec le nom Paul Bocuse !

Avec pour dessein de devancer une situation, que vous supposiez devenir tendue, vous avez tenu à rencontrer le tout nouveau président du conseil d’administration de l’IPB, Gilles Pélisson¹, dans ses bureaux de TF1 : pour quel résultat ?

En effet, j’ai effectué de nombreux déplacements — parfois même, de dernière minute — pour me rendre en France alors que je me trouvais aux États-Unis (ndlr : sportif de haut niveau, Jérôme Bocuse a poursuivi ses études aux Etats-Unis, à la demande de son père. Il y vit depuis plus de trente ans). Malgré les invectives et les excès toujours plus nombreux, j’ai cherché à maintenir le dialogue, apaiser nos relations et ai même tenté une médiation avec un tiers assermenté. Pour quel résultat ? Aucun ! Pendant ce temps-là, ils sont même allés jusqu’à s’opposer à l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) pour faire reconnaître leur prétendue propriété sur le nom ! Sans surprise, que ce soit en première instance puis en appel, ils ont été déboutés de toutes leurs requêtes mais ils continuent à faire ce qu’ils veulent de mon nom, sans me demander mon autorisation…

1 Président du conseil d’administration de l’Institut Paul Bocuse et actuel Président

Directeur Général du Groupe TF1.

Confirmez-vous n’avoir aucun droit de regard sur le fonctionnement et le devenir de l’Institut ?

Malheureusement, oui... les règles de gouvernance de l’Institut ont d’ailleurs été modifiées récemment, contre mon gré, supprimant mon statut juridique dans l’Association, et permettant à la nouvelle gouvernance de décider seule, à l’encontre de toute règle démocratique... J’ai été écarté et je crois — et le déplore —, ne pas être un cas isolé... Je n’affirme rien mais je ne peux que constater le nombre de départs et de démissions, en réaction à la nouvelle politique mise en place, peu à peu, par la nouvelle gouvernance.

Dans ce contexte, quel regard portezvous sur l’extension de l’Institut et le procédé utilisé pour les financer... ?

En 2016, alors que l’Institut Paul Bocuse ne disposait que du contrat d’usage précaire et très limité, signé par mon père pour l’usage du nom par l’association, Dominique Giraudier (ndlr : directeur général de l’IPB), qui devait lever des sommes très importantes pour financer de nouveaux bâtiments au sein du Château, m’a sollicité pour établir un nouveau contrat de licence classique afin de donner des garanties aux banques sur l’usage de mon nom. J’ai répondu favorablement à sa demande — jusqu’à la gratuité totale en contrepartie d’un engagement de respect des règles initialement fixées par mon père pour l’utilisation du nom. J’avais même accepté de faire prendre en charge le contrôle de l’usage du nom, par des collaborateurs dédiés au sein de l’Institut. Mais au final, la gouvernance a estimé que nous n’avions droit à aucun contrôle...

Dans le même esprit, quelle a été votre réaction quant à l’obtention d’une étoile Michelin par le restaurant d’application de l’IPB, Saisons ?

Bien qu’elle soit très certainement, pleinement méritée, je ne crois pas que cela soit le rôle d’une école, d’aller chercher ce type de distinction, réservée normalement, aux professionnels et chefs de cuisine accomplis. Or, il m’a été confirmé, en juin 2022, que des instructions avaient été passées pour, je cite “aller chercher une deuxième étoile.” Et ce, alors qu’il n’y a quasiment plus d’étudiants de l’Institut qui ne passent en pratique, au sein de ce restaurant d’application ! Ces choix obligent les équipes opérationnelles du restaurant d’application à recruter des professionnels ainsi que des apprentis dans d’autres écoles pour le faire tourner – voire le rentabiliser ! Comment expliquer un tel dévoiement ? L’IPB ne forme plus de chefs de cuisine manuels, « aux fourneaux ». Il est en décalage total avec l’ADN instillé par mon père.

Et la victoire de Davy Tissot, par ailleurs chef de cuisine du restaurant Saisons, au Bocuse d’Or ?

Là encore... En préambule, je tiens à souligner l’excellent travail de Davy, je ne veux pas de confusion dans l’esprit des gens. J’en profite pour rappeler que je suis président du Bocuse d’Or, aux côtés de mon ami Olivier Ginon, une manière pour moi de saluer l’implication des équipes de GL Events. Lorsque j’ai appris que l’IPB présentait Davy Tissot au concours, j’ai immédiatement émis des réserves : Davy Tissot était un professeur de l’Institut Paul Bocuse, or, Bocuse ne devrait pas pouvoir juger Bocuse, non ?

Quelle gêne avez-vous ressentie ?

Il y avait là un conflit d’intérêt évident qui me perturbait beaucoup : vous imaginez un

membre du Comité international olympique, participer aux JO ? Après avoir dû insister à de multiples reprises, j’ai obtenu que Davy Tissot puisse présenter une candidature “libre” et “indépendante”, sans aucune communication quant à son appartenance à l’IPB. Ainsi, il pouvait exprimer librement “BOCUSE NE DEVRAIT son grand talent qui l’a mené jusqu’à la victoire au

PAS POUVOIR Bocuse d’Or. Seulement, à partir de cet instant, malgré JUGER BOCUSE, NON ?” les garanties obtenues au préalable, nous ne parlions plus de la victoire de Davy mais de celle de l’Institut… Encore une fois, un choix répondant à une logique marketing, aux antipodes des objectifs de formation que devrait incarner et défendre l’IPB. Ce n’est pas dans l’esprit du concours international que mon père a créé pour récompenser, valoriser et fédérer les chefs de cuisine, originaires du monde entier.

Jérôme et Paul, main dans la main, le jour de l’inauguration du Hall Paul Bocuse à Eurexpo, le 26 janvier 2011. À leurs côtés, Jean-Jack Queyranne, président de la Région et Gérard Collomb, maire de Lyon

Parlons des mois à venir : à quoi faut-il s’attendre, avec la perspective d’un procès, prévu en début d’année prochaine ?

Nous sommes dans l’obligation de nous faire entendre pour faire respecter la volonté de mon père et cesser l’usage abusif du nom “Paul Bocuse”. Mon père a lui-même toujours considéré que “cette école devait garder une taille humaine et former les jeunes professionnels de nos métiers”. Mais je conserve toujours l’espoir de faire entendre raison aux nouveaux administrateurs pour trouver une solution.

Avec l’IPB, les relations sont-elles définitivement coupées ?

Avec ce style de gouvernance et les déclarations faites dans la presse, l’échange serein et ouvert — que j’ai pourtant toujours recherché — est compromis. Mon père m’a toujours appris à respecter sa parole ; une poignée de main a pour moi, la plus grande des valeurs. Je suis un homme de principes, je ne peux pas me laisser faire.

Parmi vos exigences, demandez-vous le départ de Dominique Giraudier ?

Ma seule exigence à ce stade réside dans le respect du contrat fondateur, donc de mon nom et de celui des étudiants qui le portent, à travers la valeur de leur diplôme.

Justement, les étudiants, anciens et actuels, sont-ils en droit de s’inquiéter ?

Ils sont, en effet, en droit de s’inquiéter, tant les vérités sont dévoyées. Mais l’ensemble des administrateurs devraient désormais, se poser les questions nécessaires pour préserver cette école qui s’appuie — encore — sur de solides fondations. Notamment, par la qualité du socle historique de professeurs passionnés qui œuvrent tous les jours. Je pense également aux alumni de talent et à certains de leurs représentants actifs qui m’ont fait part de leurs inquiétudes mais qui — j’en suis convaincu — resteront aux côtés des plus jeunes pour les soutenir.

Et le personnel pédagogique, que l’on dit pléthorique... ?

La fin ne justifie pas toujours les moyens, mon père disait que “le plus difficile est de rester simple...” Cependant, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, même si des professeurs se sont rapprochés de moi pour m’exprimer leur désarroi. Le plus important devrait être de maîtriser la qualité de l’enseignement, en limitant les coûts de scolarité déjà très significatifs…

Aspirez-vous à intervenir sur les programmes de formation distillés par l’école ?

Non, ce n’est pas mon rôle. Je le redis, je souhaite simplement que l’on respecte les fondamentaux et la volonté de mon père notamment, dans le cadre de l’usage de son nom. Quant à savoir si un cuisinier a besoin d’un Bachelor, d’un Master ou d’une spécialisation en management, je laisse aux experts le soin d’émettre un avis…

En 1966, votre père a dû également batailler pour récupérer son nom de famille² : l’histoire se répète-t-elle ?

Quelque part, oui, un peu... (il réfléchit) J’ai une mission... Je dois défendre mon nom, faire que personne ne l’abîme. Je le fais pour moi, pour les miens, la famille Bocuse, celles et ceux qui font briller ce patronyme, au quotidien…

2 En 1924, sur un coup de sang, Joseph Bocuse, grandpère paternel de Paul Bocuse, aurait vendu le nom de son “restaurant Bocuse” à un ressortissant russe, un dénommé Borissof. Il faudra attendre 1966 pour que Paul Bocuse rachète son nom.

Trêve automnale et instant de grâce autour du vainqueur du Bocuse d’Or, le 27 septembre 2021 à Gerland. De g à d : Dominique Giraudier, directeur de l’IPB, Jérôme Bocuse, Françoise Bernachon-Bocuse, le chef Davy Tissot, Olivier Ginon, président de GL Events et Marie-Odile Fondeur, directrice générale du SIRHA

“AUCUN COMMERÇANT DES HALLES N’A EU L’IDÉE DE DÉPOSER MON NOM EN CHINE !”

Paul Bocuse avait « gracieusement » offert son nom aux actuelles Halles de Lyon — Paul Bocuse : êtes-vous susceptible de revenir sur cet accord ?

Pas du tout ! Le contexte n’est pas le même : car, si l’usage du nom Paul Bocuse a, depuis, généré une hausse d’activité de 30%, aucun artisan-commerçant des Halles n’a eu l’idée de créer des “souslicence” aux quatre coins du monde et encore moins, de déposer mon nom en Chine, dans plusieurs classes d’activité... Bref, tant que je ne vois pas de rosettes ou de saucissons Bocuse... (il sourit).

“LORSQUE QUE J’ENTENDS DIRE QUE JE DEMANDE PLUSIEURS MILLIONS D’EUROS À L’INSTITUT... JE NE PEUX PAS LAISSER PASSER ÇA !”

Quels sont vos projets pour promouvoir « votre » nom ?

J’ai la chance d’avoir, autour de moi, une famille et des collaborateurs, à la fois soudés et très professionnels qui me permettent d’envisager un développement serein. D’ailleurs, nous sommes en discussions pour soutenir un grand artiste très investi dans le patrimoine culinaire français et lyonnais qui nous a sollicités en début d’année (ndlr : Laurent Gerra, l’annonce a été faite le 19 aout dernier ; voir page 32). Je souhaite également promouvoir à l’international, notre savoirfaire et mon expérience forte de plus de trente-cinq années aux États-Unis pour nous permettre d’avoir un nouveau pavillon à l’étranger.

Vous parliez de votre activité aux ÉtatsUnis, peut-on en dire deux mots ?

En 1996, j’ai rejoint le pôle restauration du pavillon français de l’Epcot³ que mon père avait lancé avec ses amis Roger Vergé et Gaston Lenôtre, en 1982. J’en assure la direction, seul, depuis 2006. Tous les jours, mes trois cents collaborateurs servent des milliers de clients, des Américains pour 90% d’entre eux, qui ne sont jamais sortis de leurs pays : je suis donc un ambassadeur, non pas du nom Bocuse qui demeure très peu présent sur place, mais de la gastronomie française. Pour preuve, nous nous apprêtons à servir, au sein du restaurant Monsieur Paul, le fameux “repas gastronomique des Français”, classé par l’UNESCO, comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une véritable expérience, une immersion dans la culture française que nous proposerons tant aux adultes, qu’aux enfants. Je représente donc, mon pays, outre-Atlantique. Il est important pour moi de le dire : et que les gens le sachent !

Plus que jamais, vous entendez incarner l’héritage de votre père ?

Il n’y a qu’un seul Paul Bocuse ! Je souhaite simplement poursuivre, en accord avec mon père, et comme j’essaie de le faire au mieux depuis des années, son histoire, transmettre ses valeurs, son héritage culinaire. Il a œuvré pour la gastronomie française, il a fait rayonner la France à l’étranger, c’est de mon devoir de poursuivre son travail et sa passion.

On vous sent de plus en plus présent, aux commandes de « l’univers Bocuse » : le conflit avec l’institut a-t-il opéré comme un déclic en vous ?

Pour être sincère, j’ai ressenti la nécessité de m’engager, lorsque mon père a commencé à se sentir affaibli…

Êtes-vous affecté par cette situation ?

Bien sûr, c’est déjà — à ce stade —, un véritable gâchis ! Les choses auraient pu très bien se passer mais là... J’ai tellement d’autres sujets à traiter, de beaux projets à réaliser. L’histoire Bocuse, celle de mon père ne peut pas se résumer à ce litige avec l’IPB : c’est une épine dont je me serais bien passé. Mais lorsque que j’entends dire que je demande plusieurs millions d’euros à l’Institut... Je ne peux pas laisser passer ça : je n’ai jamais eu pour ma part, la moindre idée de m’enrichir a travers l’association IPB. Malheureusement, je crains que ce conflit ne soit que la partie immergée de l’iceberg. Le ver est dans le fruit... Ce qui n’altèrera pas mon engagement : je m’oblige à envisager l’avenir avec sérénité, au nom de mon père ainsi que pour celles et ceux pour qui ce patronyme symbolise quelque chose.

³ Extension du Walt Disney World Resort, à Orlando (Floride), Experimental Prototype Community of Tomorrow est un parc à thème à vocation pédagogique qui accueille douze pavillons, représentant chacun, un pays.

Plus globalement, en vous inscrivant dans une logique de marque, quel rayonnement souhaitez-vous donner au nom Bocuse ?

Être les meilleurs possibles, en associant tradition et innovation. L’Homme, Paul Bocuse, n’est plus là, mais son savoir-faire et son savoir-être sont encore ancrés chez beaucoup de nos collaborateurs. Dans tous les cas, je souhaite un développement raisonné, qui ait du sens : ce nom est magique, je veux le préserver.

EVE & PHILIPPE GUIGAL

PRENNENT GOÛT À LA VIE DE CHÂTEAUX

Escapade provençale pour l’équipe de Lyon People invitée à découvrir les terroirs conquis par la famille Guigal, loin de leur fief septentrional : le Château de Nalys à Châteauneuf-du-Pape et le Château d’Aqueria sur la commune de Tavel.

Textes : Françoise Petit - Photos © Jean-Luc Mège pour Lyon People et Stéphane Chalaye pour Château de Nalys

LA STORY GUIGAL

Février 2004, Lyon People consacre sa couverture à Philippe Guigal. Le fils unique de Bernadette et Marcel est alors un célibataire modèle. Pour faire sa connaissance, les demoiselles de Vienne et alentours foulent un parquet où le gendre idéal danse comme un candidat de DALS en mode rumba, paso doble ou foxtrot. Illusions perdues… ses partenaires ne partageront pas son podium sentimental. Hors vallée du Rhône, sur l’Ile de beauté, c’est Eve qui ravira son cœur. Naissance d’une belle histoire d’amour, puis un mariage, des jumeaux, et une œuvre « guigalesque » à partager sans modération !

Juillet 2022 : rendez-vous à Châteauneufdu-Pape au milieu des vignes. L’acquisition, en 2017, du Domaine de Nalys ne relève pas d’un caprice de vigneron. Vingt ans que les Guigal rêvaient de vendanger ici malgré leur présence au titre de négociants depuis le millésime 1942. Philippe et Eve témoignent de cette véritable conquête de terres légendaires à moins de 2 heures d’Ampuis. Il aura fallu la pugnacité et le réseau de Marcel, l’expérience de Philippe et la complicité efficace de Bernadette et d’Eve pour finaliser ce projet rare et ambitieux. Ce joyau aux 13 cépages diffuse tous ses éclats depuis le XVIe siècle. Propriété de l’Archevêché d’Avignon, le domaine tenu par le fermier « Nalis » succombe sous la révolution française.

Sept générations natives du village — fréquenté par la papauté sous Clément — renoueront avec les origines jusqu’à ce qu’une héritière épousât Philippe Dufays, médecin, œnologiste et bienfaiteur de Châteauneuf-du-Pape. Personnalité forte, le fondateur de l’Echansonnerie des Papes jouera un rôle majeur jusqu’à sa mort en 1978. Les circonstances étancheront sa soif de transmettre son patrimoine. Après la mort brutale de son fils adoptif, le charismatique chef d’entreprise viticole atteint d’un cancer doit se résoudre à vendre le domaine de Nalys. En 1975, on ignore par quel appétit mégalomaniaque le Shah d’Iran se porte acquéreur. Jacques Chirac, premier ministre, met son véto, sachant que les relations entre VGE et l’empereur n’invitaient pas à partager le verre de l’amitié ! S’en suivent des rapprochements auprès d’assurances mutualistes et de propriétaires alentours. Négociations, accords et Cie, jusqu’à ce que la SAFER se tourne vers Groupama.

Le domaine de Nalys disparaît peu à peu de la scène viticole et entre alors dans plusieurs décennies de calme en l’absence de magiciens de la vinification. Et Philippe Guigal de tenter l’explication diplomatique : « Sans offenser les anciens propriétaires, on peut dire que les équipes en place n’avaient d’autre soucis que l’image véhiculée par cette AOC » Preuve en est, Parker himself dans le Wine Advocate parle « de vin de piquenique ». Depuis cinq ans, Nalys by Guigal redonne ses lettres de noblesse au domaine devenu Château. Quand Philippe et Marcel Guigal cherchent à renouveler l’équipe, ils se tournent vers Ralph Garcin qui adhère sans sourciller : « Comment résister à un tel projet lorsqu’on aime le vin, sa région et que cela est fait sous la houlette et l’expertise de la famille Guigal. Cela passe aussi par l’agrandissement du domaine en allant chercher d’autres terroirs complémentaires pour ajouter de la profondeur et de la complexité aux vins mais ceci toujours basé sur des

Les « galets roulés », ADN de nombreuses parcelles du Château de Nalys

Dans la « villa » du domaine de Nalys: conversation autour du châteauneuf-du-pape blanc signature Guigal

parcelles de vieilles vignes ». La propriété se divise en plusieurs îlots : “Nalys” aux sols de grès roux du Comtat et de saffres, « Bois Sénéchal » et le terroir de « La Crau » ; deux sols constitués des célèbres galets roulés, le fameux « Pied Long » dont le plateau argileux surplombe l’appellation et enfin les sables subtils des « Saintes Vierges ».

EVE ET PHILIPPE : UNE IDYLLE DE BEAUTÉ

Une haie de cyprès mène au bâtiment du domaine accueillant un public séduit par le degré de solennité contenu dans les bouteilles du Château de Nalys ! La cave aux généreux foudres de chêne est la pièce maîtresse de l’ancienne ferme. L’attraction du lieu, outre la mer de vignes, se trouve au point d’horizon côté Ventoux. Drapé de cette ambiance singulière, « Nalys » entre sobriété architecturale et ivresse panoramique vit au rythme des séances de travail de Philippe et Ève entrecoupées de réceptions à la « Villa ». Pour accéder à cette maison au style provençal prononcé, il faut emprunter un chemin fractionnant un champ d’oliviers occupé cet été par une nuée de cigales. Un endroit parenthèse pour ce couple solaire, travailleur infatigable marié à Ampuis le 19 juillet 2008 lors d’une cérémonie princière et âme corse avec calèches et chants polyphoniques.

Ève née à Bastia étudie sur le continent, à Nice : la communication en Faculté de lettres, puis les techniques de commercialisation à l’IUT, suivent une spécialisation en Management et Marketing du Luxe à l’EDHEC Business School et un Master en Ressources Humaines à l’IAE… des acquis essentiels pour intégrer le Groupe Barrière à Cannes et la SBM de Monaco. L’époque où la jolie jeune femme rencontre lors de ses vacances, les nouveaux voisins de ses parents à la Marine de Davia : les Guigal ; une famille d’inconnus à ses yeux ! Le vin n’était pas encore sa tasse de thé… Philippe aura le temps d’expliquer à sa promise pourquoi il se lève à 6 heures du matin et voyage autant. Lui aussi fut un brillant étudiant : biochimie à la Doua, diplôme d’œnologue en Bourgogne et stage à Bordeaux, MBA Gestion Economie Marketing Vins et Spiritueux à travers une vingtaine de pays !

L’arrivée de leurs jumeaux, le 17 décembre 2010, fait naître la quatrième génération. Charles et Etienne entourés de fortes personnalités adoptent déjà des postures en responsabilité. L’envie de se surpasser ou de surprendre s’exprime à travers leurs activités aussi diverses que le violon, la pétanque, le tennis, le solfège, la mythologie grecque, la cuisine, le jardinage, le bricolage, le piano, les collections, ou la danse de salon ! Charles porte le nom de son grand-père maternel, le docteur Charles Ryckewaert, médecin urgentiste qui créa l’antenne médicale d’urgence de Calvi devenue aujourd’hui hôpital de proximité de Balagne. Etienne, celui de son arrière-grand-père paternel dont il connait l’histoire la résumant avec ses mots : « il n’est jamais allé à l’école, autour de lui il y avait des abricotiers. Les vignes d’en face il les a rachetées par petits bouts et il a commencé à faire du vin ! »

La galerie des heures d’avant Guigal…

La cuverie de Nalys fait partie des projets de rénovation du domaine

TAVEL : LA VIE EN ROSÉ... LA VIE DE CHÂTEAU

Chez les Guigal, toute acquisition est arrimée à une aventure humaine et aux réservoirs de fertilité que sont les sols. Avant toute décision, une réflexion collégiale s’impose dans l’immuable bureau de la Maison Mère. Le choix récent de ravir le Château d’Aqueria va au-delà de la réputation du meilleur rosé de France. À fleur de vignes, ce château concentre tous les caractères espérés par la célèbre famille rhodanienne. Un jardin à la française déroule ses créations végétales devant le double perron aux façades XVIIIe . Persiennes vert tendre, buis et pins, poteries d’Anduze. Ève fourmille déjà d’idées pour faire vivre et réveiller de ses intentions ce beau fleuron architectural.

La propriété de 98 hectares dont 68 en vignoble maintient l’esprit apporté par Jean Olivier de Bez qui, dès 1919, se plait au « Royaume de Tavel » sur un terroir entrelacé de lauzes, de galets, de sable et de cailloutis. Un siècle plus tard, ses nombreux héritiers perpétuent la qualité de ces vins référencés dans de grands guides sans oublier les bonnes appréciations données au Lirac blanc (grenache blanc, bourboulenc, clairette, roussanne, viognier) et rouge (grenache noir, mourvède, syrah). Peut-on faire mieux ? Pour Ralph Garcin qui est aussi en charge de ce domaine : « l’ambition est simple : rester une des grandes références à Tavel mais le devenir à Lirac pour les rouges et les blancs. La première étape est la conversion en agriculture biologique et la mise en place de sélection parcellaire afin de pouvoir affiner notre travail et être plus précis sur les expressions des vins. Il nous faut prendre le temps d’appréhender la richesse et de la diversité du Château d’Aqueria afin de pouvoir imaginer son avenir ». Dont acte.

Au château d’Aqueria avec Etienne et Charles : une famille fraîchement entrée au « royaume de Tavel »

RALPH GARCIN

Profession œnologue Maison Guigal

« Petit-fils d’agriculteur du Luberon, je ne me destinais pas forcément à être œnologue ou vigneron mais il était certain que la nature, l’extérieur étaient et seraient des éléments prépondérants dans ma vie. Au-delà de mon environnement qui me façonnait sans que je m’en rende vraiment compte, une autre chose, insidieusement, était en train de s’installer en moi et serait, bien que je l’ignorasse, le moteur de ma future vie : le goût ! C’est la cuisine de ma mère et celle de ma grand-mère qui a forgé mon appétit pour les bonnes choses. C’est bien la cuisine qui m’a mené au vin et pas l’inverse.

MON SOLFÈGE ŒNOLOGIQUE

J’ai alors suivi un cursus scolaire agricole, école d’ingénieur agronome à Montpellier tout en complétant ma formation avec un diplôme d’œnologue. Divers stages et expériences m’ont mené à l’étranger (Oregon, Australie) mais je me suis rapidement refixé dans mon Rhône natal dans sa partie septentrionale. Le granit, les syrah en coteaux ont été « mon solfège » œnologique. Passé par plusieurs belles maisons historiques (Chapoutier, Paul Jaboulet Ainé), j’ai appris à appréhender les grands terroirs et les vins de grande expression. Mon cœur n’a jamais oublié mon sud natal et après presque 10 ans entre l’Hermitage et la Côte-Rôtie, j’ai voulu y revenir. La famille Richard, propriétaire du fameux Château de la Nerthe à Châteauneuf-du-Pape m’en a alors proposé la Direction avec le projet de réveiller « la Belle Endormie ». Cinq ans de refonte du vignoble, de « re-stylisation » des cuvées ; un travail intense mais gratifiant. Puis la famille Guigal qui achète en 2017 le Château de Nalys... Irrésistible... »

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