D comme Débat - Cédric Orain | La Traversée

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Introduction 4 C comme Création Montbéliard

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C comme Culture

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Le projet

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Mandeure

Seloncourt Valdoie


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- Commencer un spectacle c’est pas évident. - Est-ce un spectacle ce qu’on fait ? - Oui mais c’est aussi une expérience de théâtre sur la philosophie et en particulier sur l’Abécédaire de Gilles Deleuze qui est l’un des plus grands philosophes français du 20ème siècle et qui est mort en 1995. On essaie modestement de tracer dans cet Abécédaire des lignes de fuites, en choisissant au hasard à chaque fois une lettre de l’alphabet... Qu’est-ce qu’il y a ? - De-leuze, de-leuze, j’étais en Norvège à Noël, et j’avais dit à des amis, bon, ils parlent norvégiens, De-leuze ? Quel nom ? Comment c’est possible ? Parce qu’en fait en norvégien « De » ça veut dire meurs ! Impératif ! Et « Leuze », ça veut dire lâché, donc meurs lâché ! - Merci pour cette étymologie norvégienne du mot Deleuze, et je pense qu’on pourra l’utiliser ultérieurement… mais pour revenir à l’Abécédaire, Claire Parnet en 1988 interviewe Gilles Deleuze (il a alors 63 ans) devant une caméra de télévision. La règle du jeu de cette interview suit la règle de l’abécédaire. Gilles Deleuze devant la caméra explique les grandes notions de sa philosophie avec le principe suivant, à chaque lettre de A jusqu’à Z on tire un concept, Deleuze ne connaît pas trop les questions que va lui poser son ancienne étudiante Claire Parnet, et il aborde oralement sa philosophie. Alors j’en reviens à l’étymologie norvégienne ; Deleuze accepte cette interview alors que de toute sa vie il a refusé cet exercice oratoire et toute médiatisation télévisuelle.


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Pourquoi il accepte cette fois, il accepte parce que la clause exceptionnelle de cette interview, de cet Abécédaire, c’est que cette interview ne sera diffusée qu’après sa mort. Après sa mort. Pourquoi ? Pourquoi Deleuze accepte que ce soit diffusé après sa mort ? Parce qu’il considère qu’après sa mort il sera mort, c’est-à-dire il sera considéré comme un pur esprit, une sorte de fantôme. - De-leuze, meurs lâché, de-leuze, meurs lâché. - Oui, oui Deleuze… et un pur esprit dit Deleuze, pour qui a déjà fait tourner des tables, on sait très bien qu’un pur esprit donne des réponses approximatives ou pas très intelligentes, donc ça lui va bien l’Abécédaire si c’est diffusé après sa mort. - Et si on commençait... Je fais défiler l’alphabet et tu m’arrêtes... - Tu vas trop vite là... J’arrive pas à choisir. - Bon je recommence : a, b, c...

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MontbĂŠliard


- Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire la création ? Alors, vous êtes d’accord avec moi que quand on crée quelque chose, si on crée vraiment, ça veut dire que y’a quelque chose de nouveau qui arrive, il y a une nouvelle idée qui est là. Mais la création c’est quoi ? Ben la création c’est différent de la reproduction. Reproduire c’est faire la même chose. Créer c’est apporter quelque chose de nouveau. Alors pour essayer de bien comprendre la création, prenons un exemple tiré du domaine de l’art. Ah certains d’entre vous peut-être sont passionnés par l’art, hein ? Dans le domaine de l’art, la création pure ça va être quoi ? Ça va être ce qu’on appelle la naissance du chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre… - Le chef-d’œuvre… - Oui, le chef-d’œuvre c’est un peu une notion qui vient du Moyen ge mais le chef-d’œuvre c’est quoi ? C’est l’œuvre totalement nouvelle qui arrive et tout d’un coup fait dire aux gens mais qu’est-ce que c’est que ça ? Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Alors, euh, mais qu’est-ce qu’il y a comme chefs-d’œuvre ? Est-ce que l’un ou l’une d’entre vous, a un chef-d’œuvre en tête, un chef-d’œuvre artistique ? -… - Pardon ? Un chef-d’œuvre artistique ? Ah, allez-y madame. Pardon ? Dites-le-moi, je vais le répéter. - La Joconde.

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- La Joconde. Ah oui, La Joconde de Léonard de Vinci, ça c’est un chef-d’œuvre, c’est vrai ! Qui a un autre chefd’œuvre en tête ? - Le Penseur de Rodin. - Voilà, Le Penseur de Rodin, ça tombe bien madame, bien choisi. Le Penseur de Rodin, ah oui, ça c’est un chefd’œuvre. Alors, y’aurait même dans un autre domaine artistique la littérature, il y aurait par exemple, À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, Don Juan de Molière, euh… - Ou alors en peinture Les Nymphéas de Monet. […] - Est-ce que comme le dit Deleuze, créer c’est pas résister  ? Est-ce que créer c’est résister ? Voilà une question, un peu, un peu vertigineuse. Nous avons déjà compris, un petit peu, ce qu’était créer. Mais nous ne savons pas encore vraiment ce qu’est résister. Interrogeons-nous sur… résister… Qu’est-ce que c’est que résister… (Erwan se lève et se dirige au centre du plateau. Il fait un équilibre sur les mains.) - ( voix basse) Il résiste là… - Pardon, c’est très intéressant ce que vous venez de dire. - Il résiste. - Voilà, madame dit : « Il résiste ». Alors pourquoi il résiste? Est-ce qu’il résiste, et si il résiste, pourquoi il résiste. Oui madame. - Ah je sais pas. - Madame ne sait pas. Madame ne sait pas, moi non plus.


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Monsieur… - Alors il est bien comme ça. - Alors il est bien comme ça, voilà ce que dit monsieur. Il est bien comme ça, il résiste parce qu’il est bien comme ça. Les résistants ont résisté parce qu’ils étaient bien comme ça. Ils ne pouvaient pas faire autrement, ils étaient bien en résistance. Qui, quoi, oui… Madame, oui, vous avez quelque chose à dire ? - ( voix basse) Il a la force… - Il a la force. Ah voilà, il résiste et donc il a la force. Est-ce que la force vient de la résistance ou est-ce que la résistance vient de la force. Est-ce que quand on résiste on trouve une nouvelle force ? - ( voix basse) L’un et l’autre. - L’un et l’autre dit la dame. C’est réciproque la résistance crée la force, la force crée la résistance. Exactement ! Oui, ah madame. (Olav commence à chanter.) Vous alliez dire quelque chose. - Il est canon. - Madame disait il est canon. Alors là on s’éloigne un peu du sujet. Madame… Ah, Erwan rigole. Donc Erwan est flatté, il risque de se casser la figure… Ah oui Erwan… - Alors moi je ne sais pas si c’est résister. - Ah Erwan ne sait pas si c’est résister… - Mais d’une certaine manière, ce qu’il se passe là maintenant, donc j’étais sur les mains avant. J’avais le sang qui descendait dans la tête et je sentais une petite pression derrière les yeux, mais très légère. Et puis je

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commençais à sentir quand même mes doigts qui se crispaient sur le sol. Et je sentais des petites douleurs, enfin pas des douleurs mais quand même des tensions au niveau des poignets, puis des épaules et je sentais quand même qu’il fallait que je garde tendu, d’une certaine manière, les muscles de mon dos et de mon bassin, pour ne pas tomber. Et puis à un moment donné, quand j’ai perdu les forces qui se mettaient en place pour trouver l’alignement nécessaire à l’équilibre, je me suis mis sur la tête. Alors sur la tête c’est plus facile ! Là je peux vous parler presque tranquillement. Je sens quand même une petite pression sur le dessus de la tête et je sens aussi mes poumons qui pourraient presque descendre dans la gorge. Et des petites gouttes de sueur sur mon front. Donc y’a tout qui descend là au niveau du sol ! - On va voir ce qu’il a mangé ce midi. - ( voix basse) Y’a plus de sang dans les talons. - Y’a plus de sang, monsieur… - Y’a plus de sang dans les talons. - Y’a plus de sang dans les talons, dis monsieur, quelle expression incroyable ! Là on est dans la poésie. Y’a plus de sang dans les talons. - Y’a pas que dans les pieds. - Ah pardon ? - Y’a pas que dans les pieds quoi. - Les pieds ? - Dans l’ensemble. - L’ensemble ! Oui, oui… le sang oui, oui, c’est ça.


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- Et alors si je pousse comme ça c’est comme si ma voix se transformait aussi. Comme si ma voix descendait dans ma tête aussi. Comme si je pouvais parler plus aigu, comme ça… (Erwan et Olav se mettent à chanter.) Ouais, voilà !

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tupes


- Deleuze dit je hais la culture, il dit je crois pas à la culture, je crois pas… - Oh mais moi je crois pas à la culture, ce que je crois, dit Deleuze, ce que je crois d’une certaine manière, c’est aux rencontres et les rencontres ça se fait pas avec des gens. Les gens, ils croient toujours que c’est avec des gens que ça se fait les rencontres, il dit que c’est terrible. L’art ça fait partie de la culture. Les intellectuels qui se rencontrent entre eux, cette saleté de colloque, toute cette infamie, les rencontres ça se fait pas avec des gens ça se fait avec des choses, ça se fait avec des œuvres, je rencontre un tableau là oui je rencontre une musique, je rencontre un air de musique, là oui je comprends ce que ça veut dire une rencontre, mais quand les gens ils veulent y joindre en plus une rencontre avec eux-mêmes, avec les gens, là ça va plus du tout, c’est pas de la rencontre ça, c’est pour ça que c’est tellement décevant les rencontres mais comme tu dis, moi je vais au cinéma le samedi ou le dimanche, alors je suis pas sûr de faire une rencontre, je pars, je suis aux aguets. Est-ce qu’il n’y a pas matière à faire une rencontre avec euh… une exposition, une peinture ou du cinéma. Je me dis toujours, au mieux je risque de faire la rencontre avec une idée mais c’est pas de la culture ça. - Ah c’est pas de la culture ça. Donc vous voyez en fait pour Deleuze, c’est intéressant, parce qu’au fond je dirais que pour Deleuze ce qui est le plus important c’est pas

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qu’un homme ou une femme ait lu plein de livres, ait vu plein de films et soit allé au cinéma. Le plus important, pour lui, c’est qu’une personne, même si elle n’a jamais rien lu auparavant, tout d’un coup lise un livre et qu’il y ait une rencontre avec ce livre. Et pour lui, c’est ça qui est le plus essentiel, c’est la rencontre. Mais qu’estce que ça veut dire rencontrer, rencontrer une œuvre, rencontrer un livre, rencontrer une musique. Par exemple toi tu disais que tu écoutais beaucoup la musique, est-ce que tu… justement dans ton expérience, euh… de… de… mélomane, de passionné de musique, ça veut dire quoi, tout d’un coup il y a une musique qui t’attire et une autre qui t’attire pas et comment tu peux comprendre ce que dit Deleuze sur rencontrer une musique, ça voudrait dire quoi pour toi ? - Bah rencontrer une musique pour moi ça va être plus sur le texte par exemple. Les mots, le son, les instruments qui peut y avoir, euh… euh… Ouais dans une chanson, dans une musique, après l’histoire qu’on peut y raconter. On peut par exemple, rencontrer une belle histoire en écoutant une chanson, donc c’est sur cet aspect-là que j’aime bien écouter. - Pour vous alors rencontrer ça voudrait dire quoi ? - Par exemple dans une musique on s’identifie à l’histoire et euh… On peut s’accrocher à l’histoire et s’identifier et bah j’sais pas. Par exemple dans un livre, un personnage, on peut, on peut voir des ressemblances avec nous. - Oui, oui, est-ce que vous avez déjà fait une rencontre,


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justement avec un film, avec une… Est-ce que vous pourriez citer, je sais pas un film, un livre, un tableau quoi que ce soit. Une rencontre non pas avec une personne, mais une rencontre avec autre chose qu’une personne, c’est-àdire vraiment une... oui une œuvre. - Shutter Island, Martin Scorsese… - Ça c’est une rencontre pour toi. - Ouais, ouais. - C’est intéressant. - La rencontre ça laisse des traces. - Oui… - Le choc… - Des traces et… et… une réflexion quoi… des rires. De se dire, voilà quoi… - Pour Deleuze rencontrer, c’est… y’a pas de rencontre s’il n’y a pas une transformation, un changement en soi. Euh, de ce qui nait de cette rencontre. Chez lui c’est aussi quelque chose d’inattendu, de nouveau. Et là visiblement après ce film… Enfin ce film a été pour toi quelque chose qui ne correspondait pas à ce que tu avais déjà vu auparavant. Y’avait quelque chose de totalement… - C’était plus une sensation, pour moi, de découverte, où je pouvais aller un peu plus loin, dans ce que je pouvais ressentir par rapport à un film, parce que bon regarder un film pour certains c’est juste regarder un film et puis derrière, ils en retirent pas grand-chose. Bah, je connais des personnes qui n’aiment pas du tout aller au cinéma parce que ça sert à rien d’aller regarder un film au cinéma

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et puis de rester deux heures devant un écran. Voilà, je connais d’autres personnes, bah… derrière le film, ils peuvent regarder un autre film ou rejouer un film. Voilà… […] - Moi j’aimerais bien qu’on s’attarde sur la notion de corps sans organes. - Pardon ? - Le gros pavé. - C’est quoi le corps sans organes. Tu veux dire sur le concept… - Sur le concept de corps sans organes. - Ah oui… - Dont parle Deleuze… - Parce que le corps sans organes, chez Deleuze c’est un concept qu’il invente. - Alors qu’est-ce que ça veut dire corps sans organes ? - C’est un petit peu difficile, là ce que tu me demandes, c’est un peu incompréhensible un corps sans organes. - Je crois qu’il y a un rapport avec la culture… - C’est un corps où y’a rien dedans ! - Et bah voilà ! - Ouais ça c’est une bonne réponse. - Bah voilà, ça c’est une réponse intéressante déjà. Grâce à ce jeune homme, on comprend un peu mieux le corps sans organes. Bon, alors on va essayer… Ouais effectivement t’as raison c’est un corps sans organes, bah y’ a pas de… Est-ce que le corps sans organes, c’est une momie, ça semble être momie. C’est ça une momie, c’est vidé de ses organes. Y’a pas de cœur, y’a pas de


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poumons, ça semble… - Ça parait bizarre ! - Ça parait bizarre, alors peut-être que pour mieux comprendre, alors effectivement on va remonter à l’origine de ce mot corps sans organes, on le trouve chez un autre poète, c’est pas Rimbaud, c’est un poète qui s’appelle Artaud, Antonin Artaud. Et Antonin Artaud il dit que notre civilisation, elle est malade, notre civilisation occidentale, elle est malade, parce qu’elle a oublié le corps. En fait, le corps n’est pas assez présent dans notre culture, notre civilisation. Et le corps, il est mal fabriqué, il dit, Antonin Artaud, qu’il faudrait refaire toute l’anatomie du corps, il faudrait refaire le corps quoi… euh… C’est intéressant parce que l’on voit dans la société d’aujourd’hui que... prenons un exemple… le rap c’est une autre manière de danser, ça semble être effectivement, une… une… une manière de refaire un peu l’anatomie du corps par exemple. On pourrait dire, d’une certaine manière. Alors chez Artaud, il euh… il écrit un texte assez célèbre où il parle d’un corps sans organes. Je vous propose de lire ce texte qui commence comme ça : « Car liez-moi si vous le voulez mais... (Olav se lève) mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organes. Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes, alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes et rendu à sa véritable liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le délire des bals musette et cet envers sera son véritable endroit. »

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Mandeure


- On va commencer et on a pensé à la lettre N. N comme Neurologie... - Oula ça ne vous fait pas rire ! C’est un peu grave. Alors voilà pourquoi on a choisi N comme Neurologie. Figurezvous que c’est parce que la neurologie s’occupe de soigner les gens qui sont malades du cerveau, qui ont des tumeurs cérébrales… mais aussi la neurologie et tout ce qui concerne le cerveau c’est une science un peu nouvelle qui se pose une question, avec des instruments scientifiques, qui est comment ça pense à l’intérieur de nous ? Qu’est-ce qui se passe quand on pense ? Vous êtes d’accord avec moi que la plupart du temps on ne sait pas ce que l’autre pense, à moins qu’il nous le dise. L’autre peut très bien cacher ses pensées, alors qu’est-ce que l’autre pense ? Ça c’est une vraie question que se pose Deleuze et Deleuze pense que ce que l’autre pense est très lié à son cerveau. […] - Est-ce que vous avez l’impression dans le rapport que vous avez aux autres, notamment avec les gens avec lesquels vous êtes amenés à travailler que justement il y a quelque chose qui est difficile dans la relation parce que vous ne savez pas trop comment ils pensent. Estce que la question de la pensée, de savoir ce que pense l’autre c’est une question que vous vous posez, que vous êtes amenés à vous poser ?

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- Oui par exemple lorsqu’on est face à une personne handicapée, on sait pas ce qu’elle pense, comment elle voit les choses. Du coup, on sait pas trop comment se mettre face à elle, comment réagir à ce qu’elle va faire, à ce qu’elle va dire. - Alors comment on agit ou réagit face à une personne dont la pensée est inaccessible ? - On apprend à connaître la personne, à connaître ses habitudes, son mode de vie puis faut du temps. - Faut du temps ! Les autres vous avez aussi eu cette expérience ? Est-ce que certains travaillent avec des personnes autistes ? C’est peut-être l’exemple le plus extrême. Non ? - Je sais pas si c’est plus extrême. Extrême par rapport à quoi ? - Non mais juste par rapport à la conscience de l’autre. Je veux dire qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de ces personnes-là. - Même nous on ne le sait pas. - Un coup ils peuvent être contents de faire une activité, par exemple je parle en école maternelle, le petit va être content parce qu’il fait son activité manuelle et d’un seul coup il va changer d’humeur et puis non je ne veux plus faire ça, je veux faire autre chose. C’est tout le temps comme ça, on sait pas ce qu’il se passe en fait. - C’est ça la philosophie, des questions sans réponse. - Je sais pas si c’est des questions sans réponse, c’est déjà se poser des questions.


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- Personnellement, j’aime pas me poser des questions là-dessus, de savoir comment pensent les gens. Ben ouais ça me fait peur, si on commence à se poser des questions là-dessus on aura jamais la réponse. C’est ce que je disais c’est des questions sans réponse et c’est horrible d’avoir des questions sans réponse. - Déjà je te dirai en bon logicien ou en philosophe qui embête les autres, tu as là une réponse sûre qu’il n’y a pas de réponses à tes questions. C’est-à-dire que tu dis une chose, finalement, qui est contradictoire. Tu dis on pose des questions sans réponse mais donc tu as une réponse. Tu as une réponse sur certaines questions où tu dis qu’il n’y a pas de réponses à ces questions. Tu comprends ce que je veux dire ou pas ? En fait ce que je trouve c’est que tu es très affirmative par rapport au sens de ce qu’il y a à poser. Tu dis y’a pas de réponses aux questions, du coup faut pas se poser de questions. On a envie de dire tu as une démonstration pour nous dire qu’il n’y a pas de réponses ? - J’ai la réponse. - Elle est où la réponse ? - Bah je sais pas comment dire. - Tu es mal barrée parce que tu es en train de dire qu’il ne faut pas se poser de question donc je dirais si tu ne te poses pas de questions tu peux pas avoir de réponses à cette question. mon avis, c’est plutôt accepter qu’il y ait des questions avec des réponses incertaines, avec des réponses à trouver, et quelquefois des questions sans

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réponses temporairement ou définitivement. Par exemple en philosophie, dans l’histoire de la philosophie il y a une question qui a évidemment travaillé les philosophes et a travaillé toute l’humanité c’est de savoir s’il y a une vie après la mort. - Ça c’est des choses perturbantes. - Voilà une question la vie après la mort où l’existence de Dieu c’est une question qui a été posée pendant des siècles et des siècles. Et puis au 18ème siècle y’a un philosophe allemand qui s’appelle Kant et qui a montré au fond qu’effectivement que certaines questions, et là Kant te rejoint, et a montré que ces questions métaphysiques de l’existence de Dieu, les limites du monde est-ce qu’il est fini ou infini, de l’existence de l’âme après la mort ce sont des questions auxquelles nous n’avons pas de réponses scientifiques ou objectives. Ensuite, il y a plein de questions dans la vie auxquelles on peut avoir des réponses qui ne sont pas définitives, d’ailleurs les scientifiques ne prétendent jamais avoir des réponses définitives sur les questions qu’ils posent mais justement ils avancent par correction des réponses qu’ils apportent. Un scientifique invente une théorie, il fait une expérience et l’expérience va être prolongée par un autre scientifique qui va corriger les réponses du scientifique en question. Et donc notre humanité c’est progresser dans les réponses que l’on donne aux questions. Les réponses ne sont alors pas définitives et généralement pas d’une certitude absolue


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mais nous progressons petit à petit parce que nous enrichissons nos réponses de nouvelles questions qui viennent du coup affiner les réponses que l’on donne. Je crois que ne pas se poser de questions dans la vie c’est un choix effectivement mais à mon avis la spécificité de l’homme c’est de se poser des questions. Donc ne pas se poser des questions c’est peut-être passer à côté d’une expérience humaine qui est… à quoi ça sert alors, pour moi, quel est le sens de la vie si on ne doit pas se poser de questions. C’est quand même très mystérieux de vivre, de naître et de mourir et entre les deux on vit, c’est quand même une chose absolument énigmatique. - Oui mais ça sera seulement des hypothèses, ça sera jamais la réalité. - Alors sur les grandes questions métaphysiques tu as raison, à moins d’avoir la foi, ou au moins d’avoir la croyance et la certitude qu’il n’y a rien, c’est l’athéisme. Ensuite, il y a plein d’autres questions qui ne sont pas si immenses et infinies que ça sur lesquelles on peut réfléchir. T’auras pas forcément des réponses mais au pire tu peux réfléchir. Moi, j’trouve très intéressant des quelques témoignages que l’on a eu, les gens qui ne donnent pas leurs pensées, qui ne les donnent pas verbalement, mais on peut par l’observation du corps par l’observation des expressions, par l’observation du rythme avec lequel les gens marchent, se déplacent, et bien on peut découvrir plein de choses. Il y a un accès non verbal aux pensées de l’autre. Ça par exemple c’est

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une hypothèse, une hypothèse de travail pour vous qui me semble intéressante comment le non verbal peut autant parler que le verbal et que dans certaines situations et même beaucoup de situations les gens sont empêchés de parler... - Je vois pas l’utilité de se poser des questions et de se perturber… - De se perturber mais on est perturbé… - Je trouve ça horrible de… - Mais notre vie est jalonnée d’évènements heureux et malheureux. On sera perturbé, je veux dire on va tous perdre un jour un proche, si ce n’est déjà fait. Un jour on sera quitté par celui ou celle qu’on aime. On sera de toute façon perturbé. La vie est une série d’équilibre et de déséquilibre. Le questionnement ou la philosophie si tu veux, c’est un moyen d’interroger nos équilibres et nos déséquilibres. C’est pas un moyen d’être plus déséquilibré, c’est un moyen d’être plus équilibriste. Il est sur son fil, l’équilibriste, et il doit aller d’un point A à un point B, être équilibriste c’est ne pas nier le déséquilibre mais s’approprier ce déséquilibre pour tenir toujours en équilibre. - J’interviens parce que je pense qu’ils ont peur. C’est la peur de l’équilibriste qui dit « oh je vais tomber, je vais pas tomber » on se rend compte que ça vient aussi, principalement, de l’éducation. Si on prend les jeunes qui sont dans la pièce, il y en a beaucoup qui vont être assez explosifs, qui vont dire tout ce qu’ils pensent et ils


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sont peut-être plus apaisés que ceux qui sont réservés, timides parce que justement on leur a pas appris à libérer la parole, donc on se protège, je préfère pas poser de questions parce que j’ai peur de la réponse. Je pense que c’est vraiment une question d’éducation et comment nous quand on est tout seul, on arrive à se dire « est-ce que je fais avec mes problèmes ou est-ce que je préfère les éviter. » - La question, elle est posée par rapport à un problème concret. Au départ, on se pose des questions par rapport à un problème qui nous est donné. Par exemple, comment pense cette personne quand j’ai face à moi le comportement d’une personne qui est étrange. Qu’estce qui se passe dans sa tête ? Si vous devez vous en occuper… C’est difficile de pas se poser la question « qu’est-ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui pense ? » c’est une question plus générale mais qui est rattachée concrètement à des problèmes qui vous sont donnés. Après y’a d’autres questions que l’on peut se poser mais les questions que l’on se pose c’est souvent des questions qui sont données par des problèmes que l’on rencontre. Et moi j’entendais, oui mais ça va nous gâcher notre jeunesse, mais les questions c’est pas de la douleur. - Pour certains si. - Mais si vous vous la posez c’est qu’elle est devant vous. C’est qu’elle vient d’un problème que vous avez sous les yeux.

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- C’est de la prise de tête ! - Mais c’est de la prise de tête, c’est pas de la prise de tête de rien du tout c’est… si tu te poses une question c’est parce que tu as un problème qui t’est donné… - Pas forcément ! - Bah sinon d’où vient la question ? - Bah d’où vient la question, c’est peut-être l’angoisse… - L’angoisse vient d’un problème qui t’est donné. Il arrive que des questions que l’on rencontre soient trop violentes ou trop angoissantes ou trop puissantes, alors on peut fermer les yeux et décider de pas répondre parce que la question est trop dure. - Et d’y répondre plus tard. - Ou de ne pas y répondre ou d’y répondre plus tard, très bien. On n’ est pas obligé de répondre à toutes les questions mais en tout cas les questions, ça tombe pas toujours du ciel, ça vient d’un problème qui nous est donné. - En fait je pense qu’il vaut mieux se poser des questions même si on a peur, c’est aussi découvrir ce qui nous fait peur. - En tout cas pour moi, ce n’était pas douloureux de vous poser des questions. - En fait je crois que le problème c’est pas que vous n’avez pas de réponses à vos questions c’est que vous avez du mal à vivre vos questions. Bah oui, parce que… c’est bien ça que vous dites tous, ça parait un peu bizarre ce que je dis mais votre problème c’est pas les questions, c’est


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surtout comment vivre avec ces questions. Vous avez du mal à vivre avec et vous faites comme si elles n’étaient pas là… mais il faut peut-être vivre avec non ?

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- Pour tout vous dire, on fait un spectacle autour d’un philosophe qui s’appelle Deleuze et qui est mort un peu avant votre naissance. Vous êtes nés quand ? - 2000 - Et bah voilà, lui, il est mort cinq ans avant votre naissance, en 1995. C’est un des philosophes français les plus importants, il a une pensée très singulière et très forte, et la raison de notre venue aujourd’hui, c’est qu’on croit que sa philosophie a quelque chose à vous dire, vous qui faites du foot et qui voulez devenir des champions, on croit qu’une rencontre est possible. - Alors pour suivre le jeu de Deleuze dans son Abécédaire, on va interroger la lettre S. S comme ? - S comme serpent. - Alors ça va pas être l’animal pour cette fois, on va faire S comme… - S comme Sport. - Voilà, S comme Sport, Deleuze s’intéresse au sport. - Il observe à travers l’histoire de certains sports, qu’il y a des attitudes de corps qui varient, évoluent, se transforment. - On saute pas les haies comme y’a 50 ans. - Maintenant dans le foot, on est plus technique que les générations d’avant. - On est mieux organisé, on sait mieux faire tourner le ballon.

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- Alors voilà, dans l’histoire du sport, ce qui est beau c’est comment il se renouvelle, si le sport intéresse Deleuze, c’est parce qu’il invente au cours de son histoire. Il y a de la création et certains champions sont des créateurs. Le sport a une puissance créatrice. - Et pour vous qui faites du sport, qui faites du foot, c’est intéressant de savoir que vous vous inscrivez dans une histoire, une histoire des inventions, des créations. - Et si les sportifs étaient par moment des créateurs ? Je pense à l’expression qu’on entend souvent chez les commentateurs, ou dans les journaux, on dit d’un footballeur que c’est un artiste… c’est très étrange de dire ça… ça veut dire quoi ? - C’est quand il joue différemment, quand il apporte quelque chose de plus. - Oui. C’est quoi un artiste ? - Artiste ça vient de art, le mot art avant le 16ème siècle, ça veut dire la technique, l’art c’est la technique, mais après le 16ème siècle, l’art ça devient plus que de la technique, ça devient l’invention, l’artiste c’est plus seulement celui qui maitrise la technique, ça devient celui qui invente, qui crée. - Quand on dit qu’un footballeur est un artiste, ça veut dire qu’il a plus que de la technique, ça veut dire qu’il invente, qu’il crée. - Y’a deux types de champions pour Deleuze. - Y’a ceux qui portent un style à une puissance jamais égalée, ils ne sont pas créateurs, mais ce sont tout de


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même des champions. Et puis y’a les créateurs, ceux qui inventent de nouveaux coups, qui introduisent de nouvelles tactiques, et là-dedans s’engouffrent toute sorte de suiveurs. Comme la Panenka. - C’est quoi la Panenka ? - C’est un penalty. C’est un piqué. - En finale de championnat d’Europe, le dernier tireur des tirs au but, Panenka, invente cette façon de tirer un penalty. - Comme Zidane en finale de coupe du monde. - Ou Landreau qui rate la Panenka en finale contre Sochaux, il la rate et on gagne grâce à ça. - C’est intéressant votre exemple, y’a dans le sport et dans le foot quelque chose qui a à voir avec l’histoire, j’ai envie de citer Machiavel. Machiavel c’est un philosophe du 16ème siècle qui s’intéresse au pouvoir… et il se pose cette question : qu’est-ce que c’est qu’un grand homme dans l’histoire ? Comment un grand personnage peut changer la face du monde ? Comme Napoléon, ou Jeanne d’Arc par exemple. Et on pourrait faire l’analogie avec le sport. Le grand homme ou la grande femme de l’histoire, c’est pas quelqu’un qui arrive comme ça et qui a le génie de changer la face du monde, non c’est quelqu’un qui saisit l’occasion. Si Napoléon était arrivé en 1789 avec le projet d’envahir l’Europe, il aurait fini en prison, si Napoléon est devenu un grand personnage historique c’est parce qu’il arrive après la Révolution française, il a su que c’était le bon moment, il a saisi son occasion.

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- Alors on peut presque faire le rapprochement, pour devenir un grand footballeur, il suffit pas d’être bon technicien, il suffit pas d’être un artiste, il faut avoir le sens de l’histoire. Il faut savoir saisir l’occasion, pendant un grand match… - Mais c’est quoi avoir du style en sport ? - Faire quelque chose que personne d’autre que nous peut faire. - Le style dans le domaine de la littérature, pour Deleuze, c’est à la fois transformer le langage, transformer la grammaire, par exemple Gherasim Luca qui fait bégayer le langage. Bégayer dans la langue, faire bafouiller la grammaire, faudrait voir ce que ça pourrait donner dans le foot ça non ? - Ils le font parfois sans le vouloir. (L’ entraîneur) - Ah ! Donc avoir du style, c’est faire subir à la langue un certain traitement… - Avez-vous en tête un footballeur qui opère sur son propre corps un tel traitement ? - Pogba avec ses coupes de cheveux ! - Moi je le prends pour une faiblesse, il compense un manque, y’a d’autres manières de marquer son style que par les coupes de cheveux. - C’est important pour lui, c’est sa personnalité, c’est important l’image pour un footballeur, ça reflète son style. - Toujours dans cette recherche du style, et pour revenir à ce qu’on disait, est-ce qu’il n’y a pas des sportifs qui font


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subir au corps un traitement ? - Comme Usain Bolt par exemple, il est trop grand pour courir le 100m, et c’est ça qui fait sa force et son originalité... il a dû travailler pour que son corps réponde aux contraintes du 100m, départ, explosivité, etc... - Comme Messi, il est trop petit, plus petit que la moyenne. - Ou Valbuena, Griezmann... - Valbuena il était au centre de formation de Bordeaux, j’ai joué avec lui, j’ai joué avec Mathieu, jusqu’ à 17 ans, il faisait toujours 1m55, c’était le meilleur des 17 ans, ils l’ont pas gardé parce qu’ils ont dû penser qu’il allait jamais devenir pro, ils l’ont viré, il s’est mis un an dans un club de CFA2 à côté, c’était le meilleur joueur de CFA2, après il est parti à Libourne Saint-Seurin en National, c’est là où j’ai joué avec lui, il a mis 30 buts dans la saison, et il a signé à Marseille. - L’autre caractéristique du style qui pourrait être présent dans le sport, c’est de pousser non plus le langage mais le corps sportif à la limite, à la limite du corps qui n’est plus un corps de sportif mais un corps... de danseur. - Celui qui a du style en sport, c’est celui qui se rapproche de la danse, il y a parfois chez le grand sportif, un mouvement qui fait penser à un mouvement de danseur. - Comme Ronaldinho, chez les footballeurs brésiliens. - Comme Pelé. - Y’a une rencontre improbable chez beaucoup de footballeurs brésiliens entre le football et la samba. - Ils ont intégré la danse dans leur manière de jouer.

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Valdoie


- Et si on commençait... A comme Animal. - Dans l’histoire de la philosophie, la question de l’animal est centrale… Comment distinguer l’homme de l’animal ? Chez le grec Aristote, l’homme est un animal qui pense, et en plus c’est un animal politique, il vit dans une cité il invente des lois. Après, y’a Descartes, au 17ème, lui va encore plus loin dans la distinction entre l’homme et l’animal. Selon lui, les animaux n’ont pas d’âme. Il dit que les animaux sont comme des machines, il appelle ça des animaux-machines. Alors tout ça pour quoi ? Pour dire que l’homme est supérieur à l’animal, et dans ce cas, on peut faire subir à l’animal des traitements… On voit bien avec les affaires qui sortent aujourd’hui, que ça peut conduire à des comportements barbares avec les animaux. Mais avec des études comme l’éthologie, qui étudie le comportement animal, on s’est rendu compte que les animaux avaient des affects moraux, de la compassion, de la pitié, qu’ils étaient affectés par la douleur, par la souffrance. On a réalisé que l’animal était un être sentant, et donc depuis quelques décennies, notre vision de l’animal en occident est en train de changer et… - Mais vous, c’est quoi votre rapport aux animaux ? - Euh bah… moi j’adore les animaux, tous les animaux de base. Euh… j’sais pas trop ce que vous voulez dire par rapport avec les animaux… - Si t’as un rapport particulier, toi ou tes camarades…

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- Est-ce que tu parles aux animaux ? - Aux animaux familiers, oui. C’est vrai y’a les animaux familiers et les animaux sauvages, voilà… Les animaux familiers, comme mon chien, par exemple quand il fait une connerie ou qu’il aboie, je fais « tais-toi Lucky .» Je lui dis « stop arrête tes conneries maintenant. » Sinon non, quand je croise une mésange, j’lui dis pas « ça va toi ? » C’est pas pareil, c’est en fonction des animaux… - Par exemple moi hier, j’ai entendu… Je pose juste cette question parce que je sais plus qui m’a dit qu’il s’intéresse aux serpents. Alors c’est intéressant parce que tu dis que t’aimes les serpents, depuis toute petite. C’est quand même étrange parce que c’est un animal qui fait peur, qui est un peu dangereux et c’est pas forcément un animal familier. On a pas tous un serpent chez soi. - C’est agréable quand on le prend, il est calme, après ça dépend du comportement du serpent. Enfin s’il est pas agressif. C’est un bel animal quand même ! - Tu sens qu’il réagit à ce que… à des choses… - Bah oui ! - Quand tu dis, que tu vois son comportement. - Bah, il cherche un peu, quand on le sort et que je le prends sur moi, il se balade un petit peu… il n’est pas non plus comme un chat qui va jouer et tout… mais… - Ça garde son instinct, ça reste un chat sauvage, il va pas se nourrir… Enfin je veux dire c’est pas pareil qu’un chat dans la maison alors que ça, ça reste sur le même truc, la même base. C’est juste qu’il est dans un terrarium, il est


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dans un grand truc en vitre. Qu’il soit dehors ou dans un truc en vitre bah… - C’est pareil ? - Non c’est pas pareil parce que s’il est dehors, il peut se barrer. Il peut aller partout. Dans le truc en vitre… - En fait il y a un rapport domestique avec des animaux non domestiques et un rapport domestique avec des animaux domesticables. Et... et… c’est quoi un rapport domestique avec les animaux non domestiques, c’est quoi la différence ? Parce qu’il y a bien une différence, quand même, entre avoir un rapport avec un chien et un rapport avec un serpent. C’est pas la même chose. Oui ? - Moi je pense que c’est… du moment qu’on apprécie ou aime l’animal, il y a un lien qui se fait entre les deux personnes. Enfin, entre… par exemple l’homme et l’animal et puis à la fin, il y a quelque chose qui fait… on ressent quelque chose des deux côtés. - Alors est-ce qu’on pourrait dire que l’animal domestique comme le chien est plus susceptible d’être transformé par la présence de l’homme que l’animal non domestique qui pourtant va avoir un rapport quotidien avec l’homme. Est-ce que c’est la capacité au fond de transformation vers des comportements un peu humains de l’animal qui différencie l’animal domestique de l’animal non domestique, donc en gros le serpent et le chien. Est-ce que le chien est domestique en ce sens qu’il va avoir vis-à-vis de l’homme un comportement un peu humain, là où le serpent aura jamais un comportement humain... Oui  ?

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- Je pense que pour avoir quelque chose de familier, il faudrait que l’animal soit sociable de base et qu’il comprenne l’intonation de la voix et les émotions. - Ce qui n’est pas le cas, selon toi, du serpent. - Non, je pense qu’il est solitaire. - Il est plus solitaire. - Ouais qu’un chat… - Est-ce que vous êtes d’accord avec ça, ceux et celles qui ont un serpent ? - Un serpent ça n’a pas de sentiments. (Rires) - Ah d’accord ! Je… je suis surpris par ce que tu dis. C’est bien à la fois tu t’attaches à un être qui n’a pas de sentiments. C’est-à-dire que tu donnes des sentiments, que tu as des sentiments pour un être qui n’en a pas, c’est intéressant. Ça veut dire que peut-être un animal domestique… Pourquoi on domestique certains animaux, parce qu’ils semblent renvoyer, nous renvoyer, sans doute, les sentiments qu’on leur donne. Hein ? Y’a une réciprocité des sentiments. Vous savez dans la relation amoureuse rien n’est pire que d’aimer une personne qui ne vous aime pas. Voyez, c’est pour ça que les animaux domestiques sont souvent le substitut, le remplacement d’êtres humains. Les animaux domestiques renvoient effectivement des affects. On peut s’attacher à des animaux qui ne renvoient pas d’affects, ça c’est intéressant. De même que l’on peut aimer une personne qui ne nous aime pas, ça peut arriver aussi. Et peut-être… je pense que dans les animaux non domestiques y’a


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un attachement qui est dû au fait que l’animal a un comportement, une forme, un être et produit chez vous des sensations. C’est peut-être qu’au fond, il ne vous procure pas des affects mais il vous procure des sensations très particulières parce que si on aime la sensation d’avoir un reptile qui glisse autour du bras, bah c’est une sensation étrange. Si on n’a pas, si on n’est pas phobique des serpents, cette sensation d’un reptile qui monte sur vous, qui rampe sur vous, sur votre bras, ça doit être quelque chose d’assez fort, j’imagine. Vous avez des expériences comme ça que vous pourriez décrire ou pas ? - Bah, après, à force ça fait plus rien, mais bon… C’est vrai qu’au début, c’est impressionnant de le voir monter sur le bras et puis c’est pas commun. C’est pas commun d’avoir un serpent… - Est-ce qu’ils ont du venin vos serpents ? - Non. -  Bah non, pour ça il faut avoir des capacités ou être expert là-dedans pour avoir des serpents avec du venin comme par exemple des grosses vipères. Nous, ici, personne n’a le droit d’avoir des serpents comme ça. - Alors revenons à Deleuze, a priori Deleuze n’aime pas les animaux, il déteste les animaux familiers. - Les animaux familiers c’est comme s’ils avaient besoin de nous pour être bien. - Ah oui c’est pénible… par exemple Deleuze déteste les chats qui n’arrêtent pas de se frotter, il déteste les chiens

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qui aboient, et l’aboiement dit Deleuze, c’est vraiment le cri le plus stupide de tout le règne animal. - Ah oui ça je l’ai vu, l’autre jour dans la rue, y’avait une femme qui promenait son chien à côté d’un marché, et le marché était fermé, on voyait que c’était fermé, mais le chien allait quand même vers la porte du marché, et la femme lui dit « mais tu vois bien que c’est fermé, t’es complètement con ou quoi ? » - Ah oui très philosophique cette blague. Et voilà comme avec l’exemple de cette dame, ce qu’il y a de terrible c’est quand on a un rapport humain avec l’animal, et non pas un rapport animal avec l’animal. - C’est pour ça que toi tu préfères avoir un serpent plutôt qu’un chat, ce que tu veux c’est avoir un rapport animal avec l’animal. - Oui et moi je vais pas parler avec mon serpent comme avec mon chien. - Tu fais une différence, t’as pas le même rapport, c’est exactement ce que dit Deleuze. - Bon mais la vraie question c’est quoi ? - La vraie question c’est pourquoi Deleuze réfléchit-il sur les animaux puisqu’il ne les aime pas. Enfin c’est pas qu’il ne les aime pas, c’est qu’il n’aime pas les animaux familiers. Mais c’est surtout qu’il s’intéresse à un concept, un concept assez étonnant, c’est le concept du devenir animal. - Devenir animal, ça veut pas dire devenir un animal, imiter l’animal et…


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- Mais avant de poser la question du devenir animal, j’ai l’impression qu’il faudrait poser une question plus simple qui serait : c’est quoi un animal ? - Un animal il vit grâce à ses instincts. - C’est un être pourvu d’instinct. Alors première définition de l’animal, c’est un être pourvu d’instinct. Donc ça veut dire que l’homme à moins d’instinct que l’animal. - Non tout autant. - D’accord donc tu distingues pas l’homme de l’animal, tu dis l’animal a autant d’instinct que l’homme et vice versa. Donc l’animal est un être pourvu d’instinct. Autre définition possible, c’est quoi l’animal ? Alors ? - On avait fait une définition de ce que c’est un animal en tout début d’année mais ça serait une définition, où je crois… c’était quelque chose à propos de l’anatomie montrant qu’on était tous des animaux ou je sais plus trop quoi. Mais euh… pour moi, un animal c’est quelque chose qu’a pas besoin, qu’a besoin de rien pour vivre. C’est… bah je veux dire, tu lâches, je sais pas moi, un renard dehors, là dans les bois, il aura pas besoin de toi pour se nourrir… - Mais il a quand même besoin de se nourrir… - Bah, il le fait tout seul, il se démerde. C’est pas comme le chat qui attend pour qu’on lui remplisse sa gamelle et qui miaule pendant une heure. - Donc là, toi tu distingues… donc là tu parles de l’animal non domestique. - Bah c’est ça un vrai animal… - Alors un faux animal c’est un animal qui a besoin de toi ?

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- Non, non, mais je veux dire un animal à l’état sauvage. - Oui ? - Moi je suis d’accord avec Clément sauf que je dirais que tous les animaux peuvent se débrouiller tout seul dans la nature. - Ah si je lâche mon chat dehors, il est crevé au bout de deux semaines. - Non mais au bout d’un moment son instinct va reprendre le dessus, s’il commence vraiment à manquer de nourriture, il va chercher tout seul. - Ouais, c’est pour ça que j’ai retrouvé mon chat mort… (Rires) - On est tous des animaux, j’pense mais nous on a moins d’instinct parce qu’on a tout ce qu’il nous faut sous la main. - Alors on perdrait nos instincts, c’est ta théorie qui n’est pas idiote du tout, on perdrait nos instincts en raison de notre manière de vivre. C’est intéressant ce que tu dis parce qu’un philosophe qui s’appelle Jean-Jacques Rousseau avait la même idée que toi, il pensait que l’homme à l’état de nature, c’est-à-dire l’homme d’avant, l’homme qui vivait vraiment dans la nature avait beaucoup plus d’instinct et il dit une chose à propos de l’animal que tu disais tout à l’heure, il dit que si l’homme civilisé, l’homme d’aujourd’hui, était à nouveau dans la nature, qu’on le jetait dans la nature, il ne vivrait pas, il ne survivrait pas plus de quelques jours car il serait incapable ayant perdu tous ses instincts de survivre dans


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cette nature. Effectivement l’animal c’est celui qui n’a pas perdu ses instincts. - C’est l’être aux aguets. - Tout le temps !

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D comme Débat… Une petite forme aux airs de conférence participative !

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Gilles Deleuze était très curieux et très ému des rencontres possibles entre son œuvre et ce qui sort de la philosophie, et en particulier des gens qui travaillent sur tout autre chose. Il cite comme exemple de ces rencontres possibles, des lettres de surfeurs ou de plieurs de papier qui réagissent à un de ses livres où il est question de la notion de pli. Alors pour rester dans l’idée de ces rencontres possibles et inattendues, j’ai eu envie de proposer une petite forme décentralisée du spectacle (un extrait de 20 ou 30 minutes), pouvant jouer dans différents contextes, devant toutes sortes de publics… par exemple devant des personnes âgées, des jeunes d’une maison de quartier, une classe de lycée agricole, de jeunes sportifs en formation, des élèves d’une Maison Familiale Rurale. la suite de cet extrait, j’ai mené un débat / rencontre sur A comme Animal, C comme Création, C comme Culture, N comme Neurologie ou S comme Sport. Nous avons travaillé l’extrait présenté spécifiquement pour chaque public constitué en fonction de la lettre et de la thématique choisies. Nous avons commencé notre petite conférence comme nous commençons le spectacle, alors comme dans une conférence un échange avec le public se fait, et cet échange nous a permis d’avancer en direct, sous les yeux du public, dans l’écriture théâtrale de la lettre choisie. Nous avons cherché à faire une vraie rencontre, pas seulement une rencontre avec les gens, mais surtout une rencontre avec le travail, l’expérience des gens. Et que cette rencontre aille jusqu’à influencer concrètement l’écriture d’un morceau de spectacle. Ce livret me permet aujourd’hui de garder une trace de ces rencontres, de constituer un petit abécédaire de ces échanges. Cédric Orain


Cédric Orain collabore depuis cinq années avec MA. Il est l’un des artistes résidents au sein de la Plateforme créative pour laquelle il a notamment mis en scène La Bibliothèque Humaine lors des Green Days. Il vient également régulièrement en résidence et présente ses créations aux Bains Douches et au Théâtre de Montbéliard. Ce premier cahier « D comme Débat » est une illustration du lien que l’artiste et la scène nationale ont tissé au fil du temps. Cédric souhaitait approfondir une première expérience vécue au Phénix, scène nationale de Valenciennes, autour de Deleuze en vue de créer un spectacle. C’est ensemble qu’a été imaginée une forme intermédiaire mais entière, celle d’une résidence itinérante où les artistes testeraient la forme future du spectacle, une conférence philosophique mouvementée. La consigne donnée était de chercher des publics et des lieux les plus éloignés possible de nos salles de spectacles et de préparer la venue de cette forme spectaculaire en gestation par des ateliers. C’est ainsi que les artistes sont allés d’une Maison Familiale Rurale à un Centre de Formation de jeunes footballeurs d’un illustre club, un lycée agricole ou auprès d’un centre de gérontologie. Le thème et la forme que Cédric a donné à ce spectacle, nous a convaincu de lancer une série de cahiers qui rendent compte de ces rencontres audacieuses, quelquefois improbables mais toujours intenses et joyeuses entre les habitants du territoire et les équipes artistiques qui nous accompagnent autant que nous tentons de les accompagner. Yannick Marzin

D comme Débat | Le projet

O comme Orain C comme Cahier

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D comme Débat en tournée sur l’Aire Urbaine en 16/17 Valdoie A comme Animal mercredi 15 mars

Haute-Saône Territoire de Belfort

Montbéliard C comme Création vendredi 10 mars

Pays de Montbéliard Agglomération

Étupes C comme Culture samedi 11 mars

Seloncourt S comme Sport mardi 14 mars

Mandeure N comme Neurologie lundi 13 mars

Doubs

SUISSE

La forme achevée du spectacle D comme Deleuze sera présentée aux Bains Douches les 19 et 20 octobre 2017 et du 31 octobre au 12 novembre 2017 au Théâtre L’Échangeur de Bagnolet Production : Compagnie La Traversée | Coproduction : Le Phénix - scène nationale de Valenciennes, MA scène nationale - Pays de Montbéliard Photos : Cédric Orain | Réalisation : MA scène nationale – Pays de Montbéliard | Impression : Estimprim | Directeur de la publication : Yannick Marzin | mascenenationale.com | © MA scène nationale – Pays de Montbéliard 2017 Tous droits de reproduction réservés pour tous pays MA scène nationale – Pays de Montbéliard est subventionnée par le ministère de la Culture – DRAC BourgogneFranche-Comté, Pays de Montbéliard Agglomération, la ville de Montbéliard, la ville de Bethoncourt, la ville de Sochaux, le Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté, le Conseil Départemental du Doubs et reçoit le soutien de la Caisse d’Allocations Familiales du Doubs




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