Les Questions de Lililou - 2 (trachéo)

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DU MÊME AUTEUR

Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade : Ogre de Millepertuis + la Sorcière et le Magicien

- Tome 1 : l'

Anniversaire du Prince Agil + l’Enlèvement du Père Noël

- Tome 2 : l'

- Tome 3 : la

Maison des Animaux + le Trésor du Pirate

- Tome 4 : le

Roi des Elfes + Fribouillon le Dragon

- Tome 5 : le

Voyage sur la Lune + le Mystère du Lac Bleu

- Hors série : les

Questions de Lililou ou l'amyotrophie spinale racontée aux enfants

Disponibles sur http://maruja.sener.free.fr/boutique/

ISBN : 978-2-917368-24-4 © Maruja Sener 2010 http://maruja.sener.free.fr/ Achevé d'imprimer le 30 avril 2010 dépôt légal : 2e trimestre 2010 Imprimé au Royaume-Uni par Lightning Source UK


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade *** HORS SÉRIE nº 2

Lililou, Yonis, Myriam et la trachéotomie

par Maruja "Macha" Sener



Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

AVANT-PROPOS

Je n'ai pas eu le temps d'écrire de livre à Amandine, ma fille aînée partie trop tôt des suites d'une amyotrophie spinale sévère. En pensant à elle, à son absence qui me déchire encore, à la détresse et l'impuissance qui m'avaient envahie quand j'ai appris qu'elle était gravement malade, j'ai créé en 1998 un site internet qui expose divers aspects de cette maladie : http://www.myonet.org. Quelques années après, j'ai eu deux autres enfants, jumeaux garçon et fille, atteints eux aussi d'une forme d'amyotrophie spinale (heureusement moins sévère), alors que les examens génétiques préliminaires avaient quasiment éliminé le risque que cela se reproduise. Ils grandissent, et moi avec eux. Nous parlons ensemble souvent de leur maladie, de leurs handicaps, de leurs limites physiques, mais aussi de la richesse de leurs vies, de leurs projets et de leur imagination. À eux, j'ai eu le temps d'écrire des livres. Des livres d'aventures dont ils sont les héros. Parce que je crois qu'il est important de savoir que, même en fauteuil roulant, on peut être le héros de quelqu'un, de soi-même, de sa propre vie, que l'on est maître de son histoire et de ses choix, même lorsque l'on n'est pas maître de ses mouvements... J'ai aussi écrit un livre plus technique, sur l'amyotrophie spinale, pour leur parler de cette maladie et de ses conséquences, à eux, ainsi qu'à leurs camarades... et à tous les autres enfants ; comme aussi aux parents, enseignants, soignants, entourage proche ou lointain de ces enfants.

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Hors série n° 2

Depuis juin 2009, mon fils est trachéotomisé. À l'occasion de cette intervention, j'ai pu mesurer l'épaisseur des résistances de la plupart des gens (concernés ou pas) vis-à-vis de cette opération. Alors j'ai eu envie – besoin même – d'expliquer la trachéotomie telle que je la perçois, telle qu'elle est perçue aussi par d'autres : patients, familles, soignants, médecins, psychologues... pour nourrir un dialogue difficile sur un sujet délicat, qui touche à nos peurs profondes, et provoque des réactions violentes, parfois irrationnelles. Sans jugement, sans polémique, juste raconter comment, pour qui et pourquoi. Ce livre ne vous présentera pas un état des lieux sur la trachéotomie telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui, il n'est pas le résultat de recherches universitaires ou scientifiques sur le sujet, il ne se substitue pas à un dialogue avec une équipe médicale, et ne présente pas l'exhaustivité des cas concernés... Il expose simplement le résultat de mes réflexions, basées sur mon expérience et des témoignages recueillis auprès de personnes touchées, personnellement ou professionnellement, par cette intervention, ses conditions et ses conséquences. J'ai structuré cet ouvrage en deux parties : 1/ Lililou, ou la trachéotomie racontée aux enfants, 2/ Yonis, ou l'accompagnement d'une famille qui doit prendre la décision d'accepter ou pas une trachéotomie (pour adultes). J'espère que ce livre vous permettra de mieux comprendre ou expliquer ce geste médical, qui n'est jamais vécu de façon anodine. Bonne lecture,

Macha Sener

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Lililou



Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

C'EST QUOI TOUS CES TUYAUX ?

P

hilibert, le cousin du prince Agil, revient un jour d'hiver chez ses amis le chevalier Timothée et la princesse Jade, accompagné

de sa petite sœur Lililou. Cette fois-ci, il ne peut pas rester très longtemps au château de Millepertuis, car il est attendu avec impatience au château du prince Agil pour y réparer la chaudière... et il fait vraiment froid ! Lililou est très contente de revoir ses amis. Depuis sa dernière visite, elle a beaucoup pensé au chevalier Timothée et à la princesse Jade, à leur maladie, à leur vie avec les appareils, à leurs contraintes. Elle n'est plus surprise par les fauteuils, ni par les corsets, par contre une chose a changé depuis la dernière fois : maintenant le chevalier Timothée est branché sur le cou à des tuyaux reliés à une machine. Cela l'intrigue beaucoup. Cette installation est vraiment étrange, et en plus ça fait du bruit ! Lililou, fidèle à son habitude, bombarde immédiatement ses amis de questions : — C'est quoi tous ces tuyaux ? Est-ce que ça te fait mal ? À quoi ça sert ? Pourquoi ça fait du bruit comme ça ? Pourquoi on t'a mis ça ? Est-ce que tu l'enlèves des fois ? Est-ce que ça te gêne pour parler ? 9


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Hors série n° 2

Le chevalier Timothée répond lui-même, directement, à la petite fille : — Holà ! Une question à la fois ! dit-il en riant. D'abord, ça s'appelle une trachéotomie, en général on dit seulement « trachéo ». C'est un moyen pour moi de mieux respirer. C'est la machine qui m'envoie de l'air parce que je n'ai pas assez de force pour respirer tout seul. Et comme tu l'entends, oui, je peux parler ! Les tuyaux sont branchés à la machine qui est derrière mon fauteuil. À travers eux, de l'air va de la machine à mes poumons dans un sens, et repart de mes poumons vers la machine dans l'autre sens. La machine « pompe » l'air ambiant, c'est-à-dire l'air de la pièce que tu respires aussi, et me l'envoie. Elle est réglée pour m'envoyer juste la bonne quantité d'air, avec la bonne force, et le bon rythme. Pas trop, pas trop peu, pas trop vite, pas trop lentement. Les réglages ont été faits par un docteur, il les vérifie régulièrement et les ajuste en fonction de mes besoins. Et non, ça ne me fait pas mal du tout. Au contraire, je me sens mieux quand je suis branché à la machine. On dit alors que je suis « ventilé ». Il y a des gens qui ont une trachéo comme moi et qui ne peuvent pas se passer de la machine du tout. Moi, je peux m'en passer de temps en temps et respirer un peu tout seul. Dans ce cas, on débranche les tuyaux et on éteint la machine, mais je garde un tout petit bout de tuyau dans ma gorge, on l'appelle la canule. Je préfère ne pas rester trop longtemps déventilé, parce qu'au bout d'un moment, j'ai mal à la tête et je me sens moins bien. *** 10


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À QUOI ÇA SERT ?

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n m'a fait une trachéotomie parce que je n'avais plus assez de force pour respirer correctement. J'étais tout le temps fatigué, je

n'avais plus d'appétit. Tout me coûtait trop d'efforts, même de manger. Je n'avais plus envie de rien, même pas de jouer. J'étais épuisé tout le temps, et je tombais très souvent malade. Chaque fois, il fallait m'emmener d'urgence à l'hôpital. Chaque fois, il était plus difficile de me soigner. Il fallait beaucoup de médicaments, de kiné respiratoire et de séances de percussionaire, pour lever les encombrements et arriver au bout des infections, et cela prenait beaucoup de temps pour que je récupère. Je perdais du poids, j'avais de moins en moins de force. — Oh la la ! Mais ça devait être terrible ! — Oui. C'était pénible, pour moi et pour ceux qui m'entourent. La princesse Jade s'inquiétait beaucoup pour moi, et ne me voyait qu'entre deux séjours à l'hôpital, mes copains d'école se demandaient pourquoi je n'étais pas là plus souvent, ma maîtresse avait du mal à me faire récupérer mes leçons entre deux absences... — Tout ça parce que tu avais du mal à respirer ? 11


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— Oui, tout ça parce que je n'avais pas assez de force pour respirer assez bien tout seul. Alors, avec ma famille et les docteurs, on a commencé à parler de la trachéotomie et de ce que cela pouvait m'apporter. — Et si tu n'avais pas eu de trachéo, qu'est-ce qui se serait passé ? — J'aurais sûrement continué d'être de plus en plus fatigué. À chaque encombrement le risque aurait été de plus en plus grand pour moi. Pour que je puisse continuer à vivre, peut-être qu'on aurait été obligé de me garder intubé, ou même de me faire une trachéo en urgence si l'on n'avait pas pu m'intuber. J'ai préféré avoir la trachéo avant, dans de meilleures conditions. — Ça veut dire quoi ? — Ça veut dire que quand on m'a fait ma trachéo, je n'étais pas malade. Je n'avais pas besoin de kiné respiratoire ni de percussionaire pour me désencombrer, j'ai donc pu récupérer de l'opération tranquillement, au calme, sans être secoué. — Et tu t'es tout de suite senti mieux ? — Oui, mais il a fallu récupérer quand même de l'opération, et comme j'avais été endormi, je ne me souviens plus vraiment comment c'était, tout de suite après. Ensuite, j'ai apprécié de ne plus avoir sur le visage le masque de ma VNI, mon appareil de ventilation précédent, que j'utilisais de plus en plus souvent, jusqu'à 20 heures par jour. Le masque me faisait des 12


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie marques, et même des blessures, j'en ai gardé longtemps des cicatrices. Je suis bien content que tout cela soit fini : les pansements sur le front, les rougeurs autour du nez, les blessures et la crème cicatrisante sur le visage ! Quelques jours après la trachéo, j'ai pu reprendre la parole. Je n'avais pas encore ma « vraie » voix, mais je pouvais parler. Au fil des semaines, puis des mois, je me suis rendu compte que j'avais plus d'énergie, et une voix plus forte qu'avant ! Pour la première fois, un jour, je me suis mis à chanter... Je n'avais jamais chanté avant ma trachéo. Bien sûr, au début j'ai dû apprendre à me débrouiller avec la machine, parce qu'elle me faisait inspirer alors que je ne m'y attendais pas et ça coupait mes mots. Mais j'ai vite appris comment faire pour m'adapter à son rythme, et comme la quantité d'air est supérieure à celle que je respirais avant, c'est plus facile au bout du compte de parler, et ça me fatigue moins. Maintenant, je n'ai plus besoin de faire autant de pauses entre les mots pour reprendre ma respiration quand je fais de longues phrases. J'ai plus d'appétit qu'avant, j'ai pris du poids, j'ai même beaucoup grandi. Je suis plus fort, plus résistant aux rhumes et aux infections, et on me désencombre plus facilement. Alors je ne vais presque plus à l'hôpital, et quand j'y vais, c'est pour des soucis beaucoup moins graves qu'avant. Et puis... j'ai plein d'envies : de découvrir de nouveaux jeux, d'apprendre de nouvelles activités, de faire de nouvelles rencontres, 13


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Hors série n° 2

de réaliser de nouveaux projets... Je rigole plus souvent, je suis plus détendu, et plus gai. Et tu vois, maintenant j'ai même la force de répondre moi-même à toutes tes questions, termine le chevalier Timothée en plaisantant.

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ET POUR MANGER, TU FAIS COMMENT ?

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ous les amis sont maintenant rentrés au château de Millepertuis et s'installent dans la grande salle pour y prendre un bon repas

ensemble. Pendant que chacun se met en place, aide à la cuisine ou pour mettre la table, Lililou reste auprès du chevalier Timothée. Elle le regarde attentivement, toujours très intriguée par cette machine qui l'aide à respirer. — Et comment tu vas faire pour manger ? Est-ce qu'on te passe à manger par les tuyaux ? Est-ce que ton collier n'empêche pas la nourriture de passer ? Le chevalier Timothée éclate de rire. — Non, mon « collier » comme tu dis, c'est juste un cordon de tissu qui tient la canule bien en place. La canule, c'est le petit bout de plastique qui est dans mon cou, et sur lequel on branche les tuyaux pour faire circuler l'air que je respire. Et non, on ne mélange pas l'air et la nourriture. D'ailleurs, ce ne sont pas les mêmes « tuyaux », à l'intérieur de nous, qui véhiculent l'air et la nourriture. Et non, la trachéo ne m'empêche pas non plus de manger ! Dans ta gorge, sous ton menton, il y a une sorte d'embranchement, 15


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avec d'un côté un tuyau pour la nourriture, qui va jusqu'à ton estomac – ce tuyau s'appelle l'œsophage – et de l'autre côté un tuyau pour l'air que tu respires par le nez et la bouche, et qui va jusqu'à tes poumons. Ce tuyau-là s'appelle la trachée. C'est, par chance, celui qui est le plus près, devant. C'est pour ça qu'on peut faire un petit trou dans le cou, directement dans la trachée. C'est ce petit trou qu'on appelle la trachéotomie. On y met une canule, qui est juste un tout petit tube de plastique, pour que le trou ne se referme pas. Sinon, il se refermerait, comme les petits trous qu'on t'a faits aux oreilles pour y mettre des boucles en or. Si tu enlevais tes jolies boucles pendant quelque temps, les trous qui ont été faits à tes oreilles se refermeraient. Comme on n'a pas envie de refaire une trachéotomie tous les jours, on met une canule en place pour que le petit trou ne se referme pas. Et aussi pour y brancher les tuyaux de la machine, bien sûr. Le passage de la nourriture dans l'autre tuyau, l'œsophage, n'est pas gêné par la trachéo, ni par la canule. Si on pouvait manger avant par la bouche, alors on peut manger par la bouche après.

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

ET L'ASPIRATEUR, ÇA SERT À QUOI ?

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ililou remarque aussi une sorte de grande boîte avec deux bouteilles en verre, que les grands appellent un « aspirateur », et

qui accompagne souvent le chevalier Timothée dans ses déplacements. Cette boîte est posée sur un chariot à roulettes, et on peut la déplacer dans toutes les pièces du château. Alors, Lililou demande : — C'est quoi cet aspirateur ? À quoi ça sert ? C'est un aspirateur pour ramasser des miettes ? — Non, il ne sert pas à faire le ménage dans la maison, répond la princesse Jade, mais à faire le ménage dans les poumons de Timothée. Comme Timothée n'a pas assez de force pour respirer, il n'a pas non plus assez de force pour tousser, éternuer, se moucher, ou cracher. Regarde, quand toi tu veux tousser... par exemple quand le docteur t'ausculte et qu'il te demande de tousser, comment fais-tu ?... Tu gonfles d'air tes poumons, puis tu bloques avec le haut de ton ventre, et tu tousses. Quand tu veux te moucher, comment fais-tu ?... Pareil, tu gonfles d'air tes poumons, tu bloques avec ton ventre, et tu souffles fort par ton nez pour mettre toutes les saletés dans un mouchoir. Et tu recommences, jusqu'à ce que tu aies terminé et que toutes les sécrétions qui te gênaient soient sur le mouchoir.

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— Beuêrk ! — Oui, c'est très sale, et c'est justement parce que c'est sale qu'il faut s'en débarrasser, de ces sécrétions ou mucosités. Quand tu tousses spontanément, ou quand tu éternues, c'est exactement pareil, sauf que ton corps ne te demande pas ton avis. C'est ce que l'on appelle un mouvement réflexe, dans ce cas ton corps utilise tes muscles sans que tu le fasses exprès, pour rejeter quelque chose de sale qui le gêne. Si l'on n'a pas de muscles assez forts pour gonfler les poumons, ni bloquer le ventre, ni souffler fort, alors il faut aller chercher tous ces crapouilloux avec un aspirateur. Il fonctionne comme un aspirateur qui fait le ménage, sauf qu'on le branche sur des sondes, qui sont de longs tuyaux très fins, assez flexibles. Ce n'est pas plus sale que lorsque tu te mouches, au contraire même, puisqu'on n'y met pas les doigts. C'est donc beaucoup plus propre qu'un mouchoir plein de morve qu'on met dans sa poche, en contact avec son goûter... bref, là, tout ce qui est sale est aspiré par les sondes, et reste enfermé dans les tuyaux ou dans le bocal. Avant sa trachéotomie, on aspirait Timothée après les séances de percussionaire ou de kiné respiratoire, quand on avait fait ce qu'il fallait pour faire remonter les sécrétions, en passant une sonde par son nez. Maintenant, on lui passe les sondes directement dans la canule de la trachéo. C'est beaucoup moins désagréable pour lui, parce que par le nez c'était souvent douloureux, et puis ça le faisait vomir quelquefois. Alors que par la gorge, ça le chatouille un peu, donc il fait une drôle de tête, et ça l'empêche de parler pendant, oh... au 18


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie moins quelques secondes ! Mais ce n'est pas douloureux, et ça ne le fait pas vomir. On peut l'aspirer n'importe quand : pendant le repas, après le repas, pendant ses jeux... et n'importe où : à la maison bien sûr, mais aussi à l'école, dans son véhicule de transport, dans la rue, au centre commercial... Chaque fois qu'il est longtemps ventilé en continu, la respiration profonde et régulière que lui donne le respirateur permet de drainer les sécrétions, s'il y en a, et de les faire remonter, sans avoir d'effort à faire pour ça. Alors on les aspire, et hop ! il en est débarrassé. L'aspiration par la trachée est beaucoup plus efficace que par le nez, parce qu'on est tout près de là où sont produites les sécrétions et des bronches, donc on en attrape un maximum, très facilement et très rapidement. Du coup, Timothée n'a plus autant besoin de kiné respiratoire pour faire remonter les sécrétions, il suffit d'un coup d'aspirateur, et elles sont déjà sorties ! C'est encore plus rapide que toi quand tu te mouches ! Il y a des moments où il a souvent besoin d'être aspiré : quand il est enrhumé ou encombré, et d'autres moments où il n'en a pas besoin souvent, mais comme on ne peut pas le savoir à l'avance, par précaution on prend l'aspirateur avec nous tout le temps.

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

COMMENT ÇA SE PRÉSENTE EN-DESSOUS ?

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a petite Lililou se rapproche encore de Timothée et se hausse sur la pointe des pieds, les yeux écarquillés. Le chevalier la regarde,

amusé et un peu intrigué. Mais que cherche-t-elle donc ? La petite fille essaie de voir ce qu'il y a au bout du tuyau qui touche le cou de Timothée, mais elle ne voit rien, alors elle demande : — Qu'est-ce qu'il y a en-dessous ? Pourquoi on ne voit pas le trou ? — Le tuyau est branché sur la canule, la canule est tenue en place par le cordon autour de mon cou, et il n'y a rien à voir de plus, en fait. Le petit trou de la trachéo est caché sous la canule et un pansement que l'on met au-dessous. — Pourquoi il y a un pansement ? Tu es blessé ? — Non, on met un pansement, en général une compresse, pour éviter le frottement du plastique de la canule sur le bord de la trachéo. Parce que ça pourrait faire mal si le plastique frottait directement sur la peau. Donc, on met cette compresse, ou bien un pansement plus épais qu'on appelle une metalline. Ça protège le petit trou du frottement du bord de la canule, ça évite aussi que des saletés se mettent dedans, et c'est plus agréable à regarder. 21


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Hors série n° 2

— Pourquoi, c'est moche, le trou ? — Ben non, c'est comme un nombril, sauf que c'est beaucoup plus petit, et ouvert au lieu d'être fermé. Est-ce que c'est moche un nombril d'après toi ? — Euh... non, ce n'est pas moche, enfin... je ne crois pas. Et Lililou soulève son t-shirt pour se regarder le nombril, ce qui fait éclater de rire toutes les personnes de l'assistance. Puis Philibert rappelle qu'il doit partir maintenant pour se rendre chez le prince Agil et lui réparer sa chaudière, sinon son cousin va mourir de froid ! Alors tout le monde s'embrasse, le chevalier Timothée et la princesse Jade souhaitent un très bon voyage à leurs amis, ils leur donnent des jolies cartes dessinées, et des gâteaux au miel et au chocolat, pour eux et pour le prince Agil, et ils se séparent en espérant se revoir très bientôt et passer plus de temps ensemble.

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Yonis



Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

COMMENT SE DÉCIDE-T-ON À FAIRE UNE TRACHÉO ?

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e lendemain de la visite de la jolie Lililou, le chevalier Timothée et la princesse Jade vont voir leur ami Yonis à l'hôpital. Yonis est

un petit garçon qui a beaucoup de soucis parce qu'il a du mal à respirer, comme Timothée avant sa trachéo. Yonis était lui aussi tout le temps fatigué, n'avait plus beaucoup d'appétit, s'était affaibli. Un jour, il a eu un gros encombrement qui s'est aggravé très vite, et maintenant il est dans un service de réanimation. Pour lui sauver la vie et lui permettre de respirer, on lui a mis un tube rigide dans le nez, branché sur un respirateur. On dit qu'il est intubé. Yonis passe tout son temps allongé sur un lit. Depuis qu'il est intubé, il ne peut plus parler, ni manger par la bouche, ni bouger la tête. On le nourrit par une sonde gastrique et une perfusion. Les docteurs ont parlé à ses parents de lui faire une trachéotomie, ils ont dit qu'il fallait y réfléchir rapidement. Alors, les parents de Yonis ont demandé à voir le chevalier Timothée, pour qu'il leur explique à tous les trois comment on vit avec une trachéotomie, comment ça s'est passé pour lui, ce qu'il en pense. La première chose qui les surprend quand le chevalier Timothée arrive 25


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dans la chambre d'hôpital, c'est de l'entendre parler aussi fort et aussi bien. Car ils avaient très peur que la trachéotomie empêche Yonis de parler si on lui en faisait une. Ils sont très étonnés aussi d'apprendre que Timothée n'est pas ventilé tout le temps, et qu'il passe tous les jours environ une heure sans être branché sur sa machine. Mais Timothée leur précise que tout le monde n'est pas dans le même cas, et parfois on doit faire face à une ventilation continue 24 heures sur 24, c'est d'ailleurs toujours vrai au début, pendant les premiers jours. Il vaut mieux essayer d'éviter de prolonger cette dépendance, pour retrouver une autonomie, plus pratique lors des débranchements pour les transferts, les soins, les bains, les manipulations comme l'habillage et le déshabillage, les changements de machine... Chaque cas est différent, et Timothée insiste en disant que c'est l'équipe médicale qui peut le mieux expliquer les avantages et inconvénients d'une trachéotomie dans son contexte, ses raisons d'être ou ses empêchements. Il y a des cas, et des conditions, pour lesquels les médecins estimeront que ce n'est pas une bonne idée. D'autres cas, et d'autres conditions, pour lesquelles ce sera la solution qu'ils préconiseront. Comme pour toutes les opérations, même la plus bénigne, il faut voir avec l'équipe médicale si le bienfait attendu est supérieur au risque encouru. Mais le dialogue avec les médecins n'est pas toujours facile, car chacune des parties a son langage. Les médecins ont celui de la technique, les parents ont celui de l'émotion. Les médecins 26


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie n'entendront pas toujours les peurs ou les sentiments d'une famille, les parents n'entendront pas toujours les explications ou les arguments des médecins. La princesse Jade intervient : — Les médecins ont peut-être l'impression que s'ils se mettaient tout le temps à l'écoute des sentiments des familles, ils ne seraient plus assez objectifs pour prendre les meilleures décisions, c'est à dire les plus rationnelles. Ils peuvent craindre d'être influencés par la douleur des familles, et même aussi qu'à force d'empathie, cette douleur les atteigne. Et ils ont probablement raison. Les familles ont peut-être l'impression qu'en absorbant tout le temps les explications rationnelles des médecins, elles pourraient devenir comme des techniciens déconnectés de leurs propres sentiments, incapables de protéger les « leurs » par manque d'émotion. Si on devient tous des médecins, qui verra la personne avant de voir un malade ? Les familles veulent recentrer les préoccupations de tous les intervenants sur le vécu de celui qui est hospitalisé, et sur le leur. Sur sa souffrance, et leur colère. Et elles ont probablement raison aussi, car la colère est nécessaire pour lutter contre la maladie, c'est la force qui permet de continuer de se battre contre soi-même, contre le désespoir et les difficultés quotidiennes. Mais cette colère est souvent aveugle et sourde. Alors, il arrive que chacun s'accroche à son domaine réservé, et refuse de se laisser entraîner dans celui de l'autre. Mais il est toujours possible de parvenir quand même à un dialogue, parce qu'au milieu de tout 27


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cela, il y a une vie en équilibre instable. Une vie qui va changer radicalement, en fonction de la décision qui sera prise. Et cette vie, aujourd'hui, c'est celle de Yonis.

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

POURQUOI MAINTENANT ?

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e petit garçon tend une main vers sa maman, qui s'empresse de la prendre dans les siennes et de la caresser. Il lui sourit et fait des

mouvements avec ses yeux pour réclamer des jouets. Il veut qu'elle lui raconte une histoire en animant des petites marionnettes en tissu, qu'elle s'occupe un peu plus de lui et un peu moins de ses visiteurs. Le papa de Yonis raconte à Timothée et Jade leur arrivée à l'hôpital, et l'intubation de leur fils : — Nous avons eu tellement peur ! Yonis était complètement paniqué, en grosse détresse respiratoire, il avait une couleur épouvantable, et nous n'en menions pas large non plus... On a essayé de le désencombrer avec de la kiné respiratoire et du percussionaire, mais ça ne suffisait pas. Les radios pulmonaires étaient toujours mauvaises, alors les médecins nous ont dit qu'il fallait l'intuber très vite. Yonis s'est accroché, on le voyait lutter pour trouver de l'air et survivre. Quand on lui a expliqué qu'on allait lui mettre un tube dans le nez pour respirer, il a hoché la tête, j'ai senti qu'il était déterminé. Il a très vite coopéré avec l'équipe médicale. Et dès qu'il a été intubé, il s'est détendu, on l'a vu retrouver une bonne couleur. Depuis il dort bien, paisiblement. Il s'est reposé. C'est sûr que la ventilation lui réussit. 29


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

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Alors on se demande pourquoi il faudrait faire autrement. Quand on pourra l'extuber, si tout se passe bien, pourquoi ferait-on autre chose ? Pourquoi maintenant ? Le chevalier Timothée répond : — Moi aussi j'ai été intubé, à cause d'une grave pneumonie. Et après mon état respiratoire était très instable : j'allais bien tant que je n'allais pas mal ! plaisante-t-il. Mais chaque fois que j'avais un problème, je perdais des forces. Si ça se passe comme pour moi, l'état de Yonis pourrait se dégrader aussi, en passant par des phases d'hospitalisation de plus en plus graves. Et plus son état respiratoire serait affaibli, plus il serait difficile de le reventiler, avec une trachéo ou pas. Cela ne sert à rien de faire une trachéo trop tôt – de toute façon les médecins n'en parlent pas et n'en font pas tant qu'on n'en a pas besoin – mais il vaut mieux la faire avant qu'il soit trop tard... — Mais on peut attendre encore ? — Les problèmes respiratoires de Yonis risquent de ne pas s'arranger avec le temps. Et les hospitalisations à répétition peuvent aussi avoir un impact moral important. S'il risque sa vie une fois, deux fois, dix fois... et qu'il expérimente trop souvent, trop longtemps, cette épouvantable sensation d'étouffement, Yonis pourrait avoir du mal ensuite à se sentir à nouveau en sécurité. La trachéo lui épargnerait beaucoup de souffrances. *** 30


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UNE MUTILATION ?

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ur le côté près de la fenêtre dans la chambre de Yonis, le chevalier Timothée voit le papa et la maman de Yonis qui

parlent tout bas. Ils sont très tristes, ils pleurent, et Timothée sent qu'ils sont très malheureux. Il les entend qui se demandent : — Est-ce qu'on peut faire ça à notre fils ? Est-ce qu'on doit accepter de le mutiler ? Cette opération va l'abîmer... Le chevalier Timothée, parce qu'il est très courageux, mais surtout parce qu'il est trop jeune pour savoir qu'il ne devrait pas intervenir dans une conversation qui ne le concerne pas, s'avance et répond aux parents de Yonis : — Ce n'est pas plus une mutilation que lorsqu'on met un pacemaker à une personne qui a des problèmes cardiaques, ou lorsqu'on fait une opération de l'appendicite. C'est même une opération beaucoup plus simple et moins grave. — Mais lorsqu'on met un stimulateur cardiaque ou qu'on enlève un appendice, il ne reste qu'une petite cicatrice, que l'on ne voit pas quand on est habillé ! Ce n'est pas la même chose avec une trachéotomie, que l'on voit et que l'on entend, tout le temps. 31


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— Oui, c'est vrai, on voit que j'ai une trachéo. On voit que je suis relié à une machine. Et on entend cette machine qui m'aide à respirer. Mais si je n'avais pas de trachéo, on ne me verrait pas et on ne m'entendrait pas du tout ! Soit parce que je serais mort, soit parce que je serais enfermé chez moi, tout le temps, relié quand même à une machine mais par l'intermédiaire d'un masque sur le nez, et ce masque m'empêcherait de parler, de manger, de jouer. Il me blesserait le front et le nez, au bout de trop longues heures d'utilisation quotidiennes. Je ne pourrais pas sortir de chez moi avec mon appareil de ventilation. Ou pire encore, je serais, comme Yonis, intubé, allongé sur un lit d'hôpital. Alors qu'avec ma trachéo, je vais à l'école, je me promène dans ma ville, je parle, je mange, je joue, je roule, je vis ! Et Timothée ajoute : — Je ne me sens pas mutilé. Je me sens aidé. Les parents de Yonis sont toujours malheureux. Timothée comprend qu'il y a d'autres choses encore qui leur font mal, ou qui leur font peur, à cause de cette trachéotomie. Alors, il leur demande ce qui ne va pas.

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

DERNIÈRE ÉTAPE AVANT... ?

I

ls lui répondent qu'il ne comprendrait pas ! Que c'est trop compliqué pour un enfant de son âge. Que ce sont des histoires

de grandes personnes. Mais Timothée demande doucement : — Expliquez-moi. — La trachéotomie, pour nous, c'était la dernière étape dans l'évolution de la maladie de Yonis, raconte le papa du petit garçon. Nous avons déjà dû nous adapter au corset, au fauteuil, à la VNI, alors nous préparer à la trachéo, d'une certaine façon c'était nous préparer au pire. Si c'est maintenant le pire, qu'est-ce qui nous attend après ? — On croit souvent qu'il n'y a rien après la trachéo, répond Timothée, rien d'autre que la mort, mais d'abord il y a toute une vie « avec » la trachéo. En plus, on peut parfois se retrouver dans une situation où on pourra revenir à une ventilation nasale ou buccale, quelques années après une trachéotomie. Dans certains cas, on pourra la fermer cette trachéo, quand elle aura permis d'acquérir une capacité respiratoire stable, et suffisante pour pouvoir s'en passer. La mort nous attend tous. Ceux qui sont malades comme les bienportants. La trachéo ne nous en rapproche pas. Au contraire. 33


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

La princesse Jade, qui aime beaucoup observer les gens et réfléchir au sens des choses intervient : — Je crois que ce qui fait peur, dans une décision à prendre comme la trachéotomie, ou l'acquisition d'un fauteuil, l'acceptation d'un corset ou le passage à une ventilation assistée, c'est que cela représente une étape cruciale dans l'évolution d'une maladie. On a parfois l'impression que de s'y adapter, ce serait comme de baisser les bras, de renoncer à se battre, de laisser la maladie gagner du terrain. Une petite voix intérieure nous fait croire que si on dit « Non ! » assez fort, assez longtemps, à tout ce qui la concerne, on arrivera à lui faire peur, à cette maladie, et qu'elle s'en ira, la méchante. Mais cette petite voix a tort, car même si on ne l'accepte pas, la maladie reste là quand même, et elle fait encore plus de dégâts ! Prenons le cas des adaptations orthopédiques : si on les refuse, les malformations seront beaucoup plus rapides et importantes, à terme elles pourront même engager un pronostic vital, comme dans le cas d'une scoliose par exemple. Si on refuse une ventilation assistée, rien d'autre ne pourra aider à respirer celui qui est malade, il s'affaiblira, il étouffera, et il sera emporté, plus ou moins vite, vers la mort... c'est là que la maladie gagnera ! Le vrai combat, il n'est pas dans le refus des soins, des thérapeutiques ou des adaptations. Le vrai combat contre la maladie, c'est d'essayer de trouver une vie meilleure, la plus complète et la plus confortable possible. La plus intégrée aussi dans une famille, dans des structures scolaires, dans une société. Et ça, c'est un vrai combat. 34


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie Malgré la qualité des soins qu'il reçoit à l'hôpital, Yonis serait beaucoup mieux chez lui, avec vous et avec ses amis ; et sa vie serait bien meilleure encore s'il pouvait retourner à l'école, même s'il devait changer d'établissement. Il vaudrait mieux pour lui qu'il retrouve des copains, continue ses apprentissages et rencontre des gens. La faiblesse respiratoire actuelle de Yonis l'empêche de vivre et de s'épanouir. Alors qu'avec une trachéotomie, il pourra retourner dans sa vie, une vie peut-être différente de celle d'avant, mais qui aura toutes ses dimensions : familiale, sociale, et relationnelle. Et il pourra y être heureux, surtout si vous parvenez à accepter l'opération et les soins quotidiens qu'elle entraîne, et que vous ne la percevez pas comme une torture permanente. Vous auriez évidemment souhaité une autre vie pour votre enfant, et c'est bien naturel. Jamais vous ne lui avez souhaité de devoir mettre un corset, de se déplacer en fauteuil roulant, ou de respirer par une canule. Mais la maladie de Yonis ne vous a pas donné ces choix-là. Elle vous oblige à réinventer la vie de Yonis au fur et à mesure, à vous adapter à de nouvelles contraintes. Alors, bien sûr, à un moment, vous bloquez. Tout le monde bloque. Et c'est normal de se demander si ça vaut la peine de continuer. C'est une question importante à se poser. À laquelle chacun répond à sa façon. — Est-ce que la vie de Yonis le satisfera s'il est dépendant à vie d'une machine ? interroge le papa du petit garçon. Est-ce qu'il aura les moyens d'être heureux quand même, malgré toutes les contraintes que cela représente ? 35


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

— Les gens valides aussi peuvent se poser la question : qu'est-ce qui donne un sens à ma vie ? Est-ce que c'est de marcher ? De pouvoir faire du sport ? De respirer de façon autonome ? répond Timothée. Qu'est-ce qui donne les moyens à quelqu'un d'être heureux ? Nous avons tous rencontré un jour ou l'autre une personne parfaitement valide, qui avait un logement, qui exerçait un métier ou faisait des études, qui fréquentait des amis... et qui pourtant a estimé que sa vie ne valait pas la peine d'être vécue. Sa vie lui a été trop pénible, sans qu'on comprenne pourquoi de l'extérieur. Elle avait forcément des raisons, qui lui appartenaient et que nous ne pouvions pas percevoir. Certaines souffrances sont insoutenables, et n'ont rien à voir avec un handicap physique. De la même façon, nous pouvons rencontrer, si nous nous en donnons la peine, des personnes lourdement handicapées physiquement, dépendantes d'une machine pour respirer, dépendantes d'autres machines pour se mouvoir et pour agir sur leur environnement, et qui pourtant sont très heureuses d'être en vie. Ce choix-là, on ne peut que très difficilement le faire à la place de quelqu'un d'autre. Et quand il y a des modes de communication possibles ce choix appartient, fondamentalement, à la personne concernée et à elle seule. Est-ce que notre rôle n'est pas de tout faire pour donner à chacun les moyens d'exprimer ce choix par lui-même ? De donner les moyens à Yonis de pouvoir dire un jour : « je veux vivre ». Ou pas. *** 36


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

COMMENT SE DÉROULE L'OPÉRATION ?

L

'infirmière de Yonis rentre dans la chambre. Elle s'appelle Myriam, elle est jolie, gaie et très dynamique. Hop, elle vérifie les

appareils. Vlouf, elle change les poches à perfusion. Ploum, ploum, elle traverse la pièce. Son stylo à la main, elle commence à remplir la feuille de transmission. Très gentiment, mais fermement, elle demande au chevalier Timothée et à la princesse Jade de sortir bientôt de la chambre, car on va faire ses soins à Yonis. Les parents de Yonis font de gros bisous à leur fils, puis ils sortent avec Timothée et Jade pour continuer de leur poser des questions dans le couloir, en attendant la fin des soins. Ils veulent savoir comment s'est passée l'opération de la trachéotomie, si Timothée se rappelle comment il se sentait, s'il a eu mal, quand est-ce qu'il a pu reparler... — À part de rester à jeun le matin, il n'y a pas eu de préparation particulière pour l'opération. Tout le matériel a été apporté dans la chambre, puisque dans ce service-là, dans cet hôpital, on ne descend même pas au bloc opératoire pour une trachéotomie. — Mais tu as été endormi, quand même ? — Oui, mais ce n'était pas une lourde anesthésie. Je n'ai rien senti, rien 37


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

vu, rien entendu, mais je n'ai pas été très profondément endormi, ni très longtemps, donc j'ai pu me réveiller facilement. — Ça a duré combien de temps ? — Deux heures seulement environ, en comptant le temps de tout installer et de tout désinstaller. Mais j'ai gardé la sonde d'intubation qui passait par mon nez pendant quelques jours, le temps de vérifier que tout se passait bien. — Tu étais ventilé par la sonde d'intubation ? — Non, j'ai tout de suite été ventilé par la trachéo. Au début, je ne pouvais pas reparler, parce que les ballonnets étaient gonflés. — Les « quoi » ? Je crois que les médecins ont parlé de ça aussi pour la sonde d'intubation de Yonis. — Les ballonnets. Ce sont des réservoirs d'air, de chaque côté de la canule, dans la trachée. La première canule, installée tout de suite pendant l'opération est munie de ces ballonnets, que l'on peut gonfler ou dégonfler. — Ah, oui, il y a des ballonnets aussi sur la sonde d'intubation de Yonis. — Voilà, c'est pareil ! Pendant les premiers temps, on gonfle les ballonnets pour bien maintenir la canule en place, car le risque principal à ce moment-là c'est que la canule soit spontanément « évacuée » de la trachée, alors les ballonnets maintiennent le tout en place, le temps que ça commence à bien cicatriser. L'inconvénient 38


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie c'est de ne pas pouvoir reparler tout de suite. La durée est variable, quelques heures, un jour, deux jours, selon la vitesse de cicatrisation. Après on peut dégonfler les ballonnets à certains moments, et donc recommencer à parler. Pour recommencer à manger, c'est variable aussi. Je crois que ça dépend surtout de ce que l'on pouvait faire avant l'opération. Si on en a besoin, une orthophoniste intervient, pour nous apprendre ou réapprendre les bons mouvements à faire, pour déglutir – c'est à dire avaler la salive et les aliments – ou pour reparler. Moi je n'en ai pas eu besoin. J'ai été nourri par sonde pendant quelques jours, et puis j'ai recommencé à manger normalement par la bouche sans difficulté. Un des avantages aussi de la trachéo, c'est qu'en cas de fausse-route salivaire ou alimentaire on peut très rapidement aspirer les aliments ou la salive qui ont emprunté le « mauvais chemin », nous épargnant ainsi les problèmes pulmonaires que cela pourrait entraîner. Pendant les jours qui suivent l'opération, on s'habitue très bien à respirer par la trachéo. Ce qui est le plus embêtant, ce sont les manipulations de canule. En effet, il faut changer la canule assez souvent, pour éviter qu'elle se bouche à cause des sécrétions. On a plus de sécrétions au début après la trachéotomie, à cause des réactions de la trachée au corps étranger qu'est cette canule, et à cause du passage de l'air qui vient de la machine, un passage très régulier, d'un air qui est plus (ou moins) sec qu'avant, même s'il y a des humidificateurs et des réservoirs d'eau sur les respirateurs. Comme il y a plus de sécrétions et que la canule reste un tube assez 39


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

étroit, pour éviter les bouchons on la change régulièrement. Et c'est ça qui est gênant. Surtout que les premiers changements de canule se font avec un « guide ». C'est un tuyau très fin que l'on glisse dans la canule, pour retirer l'ancienne et mettre la nouvelle, et ce guide irrite la gorge. Heureusement, ce sont des infirmières expérimentées qui font ces opérations, elles ont l'habitude et c'est assez rapide. Après quelques jours, on n'utilise plus ce guide-là mais un autre, qui n'est mis que dans la nouvelle canule, pas dans l'ancienne, et qui est plus court. Du coup, c'est beaucoup moins gênant. Et puis, à force, on prend l'habitude... Ensuite on fait des essais de différents respirateurs. En général on en a un pour la nuit (avec un réservoir d'eau pour humidifier l'air), et un autre pour le jour qui est plus facile à transporter sur un fauteuil. Celui qui se déplace est muni d'un « nez artificiel » qui filtre les impuretés de l'air. C'est rigolo de se former aux différentes machines, elles ont toutes des tuyaux qui s'adaptent les uns aux autres, et elles ont chacune leurs alarmes. Elles sont réglées par les médecins, qui font faire des tests pour vérifier si la ventilation est correcte, suivant les différents paramètres de fréquence, de volume et de pression. — C'est quoi une fréquence ? Et une pression ? — Euh... une fréquence, c'est la vitesse de respiration, en quelque sorte. Une fréquence rapide, ça veut dire que la machine me fait respirer beaucoup de fois en une seule minute, alors qu'une fréquence lente, ça veut dire que la machine me fait respirer moins souvent en une minute. Et la pression, c'est la force nécessaire pour envoyer l'air. 40


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie On peut raisonner en volume plutôt qu'en pression, c'est à dire en quantité d'air plutôt qu'en force pour l'envoyer, mais en gros ça revient au même. De toute façon ce sont les médecins qui expliqueront ça beaucoup mieux que moi, en fonction aussi des besoins de Yonis. — Et tu es rentré chez toi dès qu'on a trouvé la machine qui te convenait ? — Non. D'abord, il a fallu former à l'hôpital les gens qui devaient s'occuper de moi à la maison. En effet, avant de pouvoir rentrer chez soi il faut vérifier que l'entourage est bien entraîné aux gestes de soin quotidiens : aspiration, maintenance des machines et changement de canule principalement. Il y a aussi des explications données sur les procédures en cas d'urgence, par exemple en cas de décanulation ou de panne de respirateur, il faut les connaître même s'il est vraiment rare d'en avoir besoin.

***

41



Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

COMMENT SE FORMER AUX SOINS ?

À

cet instant, Myriam passe la tête par la porte de la chambre pour prévenir que les soins sont terminés. Tout le monde en profite alors

pour rejoindre le petit garçon et, puisque la jolie infirmière est toujours là, la maman de Yonis lui répète les questions qui viennent d'être posées sur les soins auxquels il faut se former après une trachéotomie.

aspiration trachéale — Le geste de base avec une trachéotomie, c'est l'aspiration trachéale, explique Myriam. On précise « trachéale » par rapport à l'aspiration nasale. En fait, c'est exactement la même chose, sauf qu'au lieu de passer par une narine, on passe par la canule de trachéotomie. Il faut avoir les mains bien propres, utiliser du matériel stérile, on prend en général des sondes assez rigides, et on les nettoie en remontant avec une compresse. Nous, les infirmières, nous sommes là pour vous montrer ce geste et vous entraîner à le faire, jusqu'à ce que vous soyez bien à l'aise pour le faire vous-mêmes. L'aspiration est très importante pour les patients trachéotomisés. D'abord pour éviter que la canule se bouche avec les sécrétions, ce qui les empêcherait de respirer, mais aussi parce que c'est un des principaux avantages de la trachéotomie, car grâce à ces aspirations 43


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Hors série n° 2

on va pouvoir très facilement les désencombrer. La fréquence est très variable. Au début, la trachéotomie provoque une augmentation des sécrétions, le temps que l'organisme s'habitue à la ventilation et à la canule. Donc en général il faut aspirer plusieurs fois par jour. Si le patient est encombré, c'est encore plus fréquent. Après, avec le temps, et quand il n'y a pas d'encombrement, on peut passer parfois des journées entières sans avoir besoin d'aspiration.

changement de canule L'autre geste à apprendre, c'est le changement de canule. C'est – de loin – le soin le plus impressionnant. Au début, ça fait peur à tout le monde, mais on s'y fait très bien ensuite. La canule se bouche toujours, petit à petit, avec le temps. Des sécrétions se collent, que l'on ne parvient pas à aspirer. Par hygiène et par sécurité, il faut donc en changer. Plus souvent au début, puis en moyenne deux fois par semaine pendant les premiers mois, ensuite les changements de canule sont moins fréquents. On ajuste, en fonction du type de canule et des sécrétions. — Pourquoi ça impressionne ? — Difficile à dire. Ça dépend des gens, bien sûr. Moi ce qui me faisait peur au début... — C'est de voir le trou ? C'est parce que c'est sale ? — Non, le trou n'est rien d'autre qu'un petit trou, comme un nombril ouvert. Et ce n'est pas particulièrement sale, surtout si on pense à 44


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie aspirer juste avant. — Alors c'est parce que c'est tout noir ? — Ah ben évidemment, ce n'est pas éclairé à l'intérieur ! répond Myriam en éclatant de rire. On ne peut pas mettre de lampe dans la trachée alors oui, il fait noir à l'intérieur... mais on ne risque pas de tomber dedans pour autant, c'est bien trop petit ! Le trou ne fait même pas un centimètre de diamètre, le plus souvent. — Alors qu'est-ce qui fait peur ? — Je crois que c'est d'être aussi près d'un centre vital, peut-être... Moi, c'était d'être responsable d'une si grande vulnérabilité de mon patient. Et de ne pas avoir beaucoup de temps pour agir, car il faut faire vite pour le reventiler. On sent qu'on fait un geste très important, sur quelqu'un de momentanément très vulnérable. En ce qui me concerne, je crois que c'est ça qui m'impressionnait le plus. Et puis... je dois vous avouer que j'avais peur que le trou se referme avant de pouvoir mettre la nouvelle canule, alors qu'on a quand même largement assez de temps ! — Et comment ça se passe, concrètement ? — On prépare tout, pour avoir sous la main ce qui est nécessaire pour : enlever l'ancienne canule, mettre la nouvelle, et faire un soin de trachéo dans la foulée. Puis, on respire profondément, on prend son élan, on enlève l'ancienne canule, on met la nouvelle, il faut encore le temps d'enlever le guide et de remettre la ventilation, avant de faire 45


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

le soin. Au début, je ne respirais que quand le patient respirait aussi, c'était étonnant ! J'étais en apnée pendant qu'il était déventilé... Mais une fois qu'on l'a fait plusieurs fois, on se rend compte que ce n'est pas si difficile, et avec le temps ça se banalise même, comme n'importe quel autre geste de soin.

soin de trachéo — Qu'est-ce que c'est qu'un soin de trachéo ? — Oh ça, c'est juste de passer une compresse avec un produit nettoyant, sur la trachéo, sous la canule, puis de remettre un pansement, c'est à dire une compresse ou une metalline propre, entre la peau et la canule. — Il faut le faire souvent ? — Au début oui, plusieurs fois par jour. Après, c'est comme les aspirations, on voit en fonction de la cicatrisation comment ça se passe. Quelquefois, il faut continuer d'en faire deux par jour pour que ce soit bien propre, à d'autres moments une seule fois suffira. L'essentiel c'est que la trachéo soit bien propre et le pansement aussi. On en fera toujours un après le bain, par exemple. — On peut prendre des bains avec une trachéo ? — Oui, bien sûr ! Soit on se débrouille pour ventiler le patient pendant le bain, mais ce n'est pas toujours facile, soit si le patient peut supporter de rester déventilé le temps du bain, on met un « bouchon » ou plutôt une valve sur sa canule, pour éviter que l'eau rentre dedans, 46


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie et on lui donne son bain comme avant sa trachéo. Ça ferait du bien à Yonis, d'ailleurs, parce qu'en étant intubé c'est beaucoup plus difficile de le baigner ! — Mais le cordon et tout ça ? — On ne laisse pas le pansement pour le bain. Le cordon, lui, sera mouillé, mais comme il est en tissu, c'est fait pour ça, ce n'est pas grave. Après le bain, on remplace le cordon mouillé par un cordon sec, on fait un soin de trachéo, pour mettre un pansement propre et sec, et puis c'est tout. — Qu'est-ce qu'on doit savoir d'autre avant de pouvoir rentrer à la maison ?

nettoyage et entretien du matériel — On doit savoir manipuler et entretenir le matériel. D'abord, il y a les respirateurs. Je dis « les » parce qu'il y a généralement deux modèles de machines : une pour la nuit, l'autre pour le jour, qui se déplacera, par exemple accrochée sur le fauteuil. — Il faut savoir les régler ? — Non, ça, ce sont les médecins qui s'en chargent. Mais il faut savoir plus ou moins comment ça marche, pour comprendre les différentes alarmes. Il y a par exemple les alarmes de « basse pression », qui vont indiquer qu'il y a une fuite dans le circuit. Ça peut être parce qu'un tuyau est débranché, ou que la machine n'est plus reliée au patient...

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Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

Et il y a les alarmes de « haute pression », qui vont indiquer au contraire qu'il y a une obstruction dans le circuit, par exemple si un des tuyaux est plié, ou si la canule est bouchée. Et puis il faut savoir changer les circuits, les remplacer régulièrement par des neufs. — C'est nous qui devons les acheter ? — Non, une association passera régulièrement à votre domicile pour vous fournir gratuitement tout le « consommable » neuf : sondes, canules, cordons, metalline et circuits pour la ou les machines... Mais les canules ne sont pas forcément fournies assez souvent, alors on vous apprendra quand même à bien les nettoyer, avec de l'eau et du savon, pour pouvoir les réutiliser. Comme ça vous en aurez facilement d'avance. Pareil pour les cordons, comme c'est du tissu ça se lave comme n'importe quel autre morceau de tissu, et on peut les réutiliser. Par contre, les sondes, les tuyaux et autres circuits (sauf les circuits du percussionaire) ne sont jamais lavés. Ils sont toujours intégralement renouvelés. Cette association sera à votre disposition aussi pour le renouvellement et la maintenance des machines (aspirateurs électriques et respirateurs). Elle interviendra en cas de panne, ou pour les pièces à changer (batteries, chargeurs...).

***

48


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

QU'EST-CE QUE ÇA VA CHANGER POUR NOUS ?

L

e papa de Yonis semble très abattu par toutes ces explications. Il regarde sa femme d'un air triste. Elle aussi semble avoir

beaucoup de peine à absorber tous ces éléments nouveaux. Alors le papa se tourne vers Myriam et lui murmure : — Qu'est-ce que ça va changer pour nous si Yonis a une trachéo ? — Ce qui va changer, déjà, c'est qu'à l'hôpital nous le verrons beaucoup moins souvent ! Il sera moins malade, et quand il sera malade ce sera beaucoup plus facile de le soigner, il restera à la maison, et vous pourrez le désencombrer facilement. Il va avoir plus de forces, d'énergie, y compris pour faire des bêtises, n'est-ce pas Timothée ? Il va aussi prendre du poids, et se sentir beaucoup mieux. Il faut savoir que les enfants qui luttent pour respirer choisissent, d'une certaine façon, entre respirer et manger. Ils n'ont pas assez de forces pour faire les deux ! Alors ils respirent, avant tout, et mangent de moins en moins parce que ça les épuise. Lorsque la respiration n'est plus un problème, ils peuvent enfin utiliser à nouveau leur énergie pour s'alimenter. Attendez-vous donc à devoir faire réadapter le corset de Yonis, pour suivre sa courbe de croissance qui va repartir dans le bon sens ! 49


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

— Oui, mais pour la vie de tous les jours... — La vie de tous les jours, vous ne la passerez plus à faire les allers et retours à l'hôpital, mais bon, c'est vrai aussi qu'il y aura d'autres contraintes. Le chevalier Timothée prend le relais de Myriam, et répond à son tour aux parents de Yonis : — Par exemple, il faut toujours quelqu'un près de moi qui sache m'aspirer et qui soit formé pour réagir si j'ai un problème avec ma canule. Donc je ne peux plus être sous la surveillance de « n'importe qui ». Il me faut des auxiliaires qui soient techniquement au point pour la trachéo. Et puis, c'est vrai que ça représente du matériel, et que ce matériel je dois l'avoir tout le temps avec moi. Donc quand je sors, à chaque fois il faut penser à prendre l'aspirateur, des sondes, des compresses, les batteries chargées, le matériel de secours..., le tout en bon état de marche, propre et stérile. C'est contraignant, et volumineux. À la maison aussi – enfin, dans mon château de Millepertuis – il a fallu faire de la place dans ma chambre, pour les machines et tout le consommable à avoir sous la main. Il faut penser aussi que quand je suis encombré, il n'y a que pour les transferts courts que je peux être déventilé. Il faut donc pouvoir aller avec mon fauteuil jusqu'à mon lit, on ne peut plus envisager de me porter dans les bras sur de longues distances par exemple... cela dit, avec le temps cela aurait été forcément vrai aussi. Quand on grandit, il arrive toujours un moment 50


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie où l'on ne peut plus être porté longtemps dans les bras. Bientôt Jade non plus ne pourra plus être portée longtemps dans les bras, par exemple pour monter des escaliers, alors qu'elle n'est pas trachéotomisée. Enfin bref, après une trachéo il faut réorganiser son espace, mais aussi son temps, parce que les soins spécifiques, ainsi que la gestion et la maintenance du matériel prennent du temps, d'une façon différente d'avant (il y a moins de stress et d'urgence, mais plus de routines et de procédures).

***

51



Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

SUPPORTER LES REGARDS EXTÉRIEURS

E

nfin, la dernière contrainte, et non la moindre, c'est d'accepter l'image de la trachéotomie, pour celui qui est concerné, pour

son entourage, et pour les autres, reprend Myriam. La réticence à accepter de s'adapter à une maladie qui évolue est d'autant plus forte que le changement est visible de l'extérieur. Un corset

c'est

déjà

visible,

un

fauteuil

encore

plus,

mais

une

trachéotomie beaucoup plus encore. L'image renvoyée est celle d'une personne qui est « plus » malade, « plus » handicapée... beaucoup plus malade et handicapée qu'avant. Accepter une plus grande visibilité de la maladie, un symbole flagrant de son aggravation parfois, demande un certain travail sur soi. Bien sûr ça dépend des situations et des maladies concernées, mais dans beaucoup de cas la trachéotomie entraîne aussi un changement dans la dépendance, quand on ne peut plus s'affranchir, au départ en tout cas, de la présence d'un tiers. Ce que la plupart des gens voient dans la trachéotomie, c'est donc le symbole d'une maladie grave, très invalidante, qui rend dépendant d'une machine et souvent d'une présence paramédicale. On devient donc, en tout cas visuellement, plus « gravement malade ». 53


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

En général, c'est beaucoup plus facile à vivre pour le patient luimême, parce que lui, ce qu'il ressent le plus, c'est le soulagement que lui apporte la ventilation assistée. Pour lui, ce qui compte avant tout, c'est de respirer. Il y voit son confort, et sa sécurité. Comparativement à cela, l'image renvoyée par la trachéo n'a pas beaucoup d'importance... jusqu'à l'adolescence. Pour les parents, il est beaucoup plus difficile de se libérer d'un certain sentiment de culpabilité à l'égard de ce geste, perçu parfois plus comme une mutilation que comme un soutien vital. Ce sentiment de culpabilité est général à l'égard de la maladie, parce qu'un parent se donne le devoir, avant tout, de protéger son enfant de tout ce qui peut lui nuire, or une maladie le met en échec en tant que parent dans cette tâche primordiale. La culpabilité est encore plus vive lorsque la maladie est « visible », et pire encore lorsqu'il y a un jugement négatif de la part des autres, du reste du monde. Or il y aura toujours des « autres » pour juger sans savoir, pour critiquer sans connaître. Ils oublieront que la trachéotomie est un geste vital, et vous reprocheront d'y avoir eu recours. Mais la trachéo, c'est d'abord et avant tout une nécessité vitale. Sans elle on étouffe, et on meurt. Alors, qu'est-ce qui est le plus grave ? De laisser quelqu'un étouffer et mourir, de le maintenir en vie, intubé, allongé en permanence sur un lit d'hôpital, les yeux rivés au plafond, ou de lui donner les moyens de retrouver une vie « entière » ?

*** 54


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

PEUT-ON REVENIR EN ARRIÈRE ?

L

a maman de Yonis demande alors à Myriam : « Si on accepte la trachéotomie pour Yonis, est-ce qu'il devra la garder pour

toujours ? » Cette question ne surprend pas la jeune infirmière, qui essaie d'y répondre le mieux possible : — Dans certains cas, et pour des maladies pourtant très différentes les unes des autres, comme la myopathie à bâtonnets ou l'amyotrophie spinale, il arrive que pour certains patients la trachéotomie ne soit pas définitive. On a recours à la trachéotomie pour passer un cap difficile, mais plus tard, lorsque ce cap est franchi, on peut parfois envisager de revenir à une ventilation non invasive. Tout dépend de la capacité respiratoire que l'on a pu acquérir, en grande partie grâce à la trachéo, de sa stabilité, de l'autonomie qu'on a pu reprendre vis-à-vis de la machine, et de la volonté aussi ! Car certains choisiront, par confort ou par sécurité, de garder la trachéotomie, alors que d'autres voudront absolument essayer de s'en passer, pour avoir plus de mobilité ou pour éviter le regard insistant ou gêné de certains copains et copines. Après l'adolescence, quand la croissance est terminée, et que les opérations lourdes comme l'arthrodèse pour l'amyotrophie spinale 55


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

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sont dépassées, alors on peut faire des essais. On ne va pas enlever la canule d'un coup et voir ce qui se passe ! Non, on va passer de plus en plus de temps déventilé, faire des examens pour voir si tout se passe bien, si la respiration par les voies supérieures suffit. Et au bout d'un moment, si vraiment il n'y a aucun problème, on va enlever la canule. Mais rien ne permet de savoir à l'avance si ce sera faisable ou pas. Le petit trou de la trachéotomie se referme très facilement, et ne laisse qu'une petite cicatrice sur le cou. Ensuite, on peut même cacher celle-ci sous un foulard ou un collier, ou s'habituer à la voir, peu importe mais en général la cicatrisation se fait très bien. La trachéotomie peut être vécue comme un soutien ponctuel, de même qu'une canne pour marcher, ou bien elle peut devenir permanente, comme pour un stimulateur cardiaque. Bien sûr, le retour à l'autonomie respiratoire est souhaitable, pour laisser derrière soi les contraintes et la visibilité du handicap, mais ce n'est pas toujours possible. En tout cas la technique est là, elle est bien connue, elle est simple et bien maîtrisée. C'est une aide pour respirer, comme on peut avoir besoin d'aide pour se déplacer, ni plus, ni moins. Parfois c'est définitif, parfois c'est provisoire.

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

ÉPILOGUE

Y

onis est fatigué par toutes ces discussions. Ses parents aussi. Alors, le chevalier Timothée et la princesse Jade prennent congé

rapidement. Ils disent au revoir à Myriam, à leur ami et à ses parents, avant de reprendre la route vers leur château de Millepertuis. Sur le chemin, ils s'interrogent sur la décision que vont prendre Yonis et ses parents. Ils savent tous les deux que pour bien vivre une trachéotomie, il faut que les personnes directement concernées soient d'accord pour aller vers cette nouvelle Vie. C'est une décision difficile, qui appartient à chacun. Ce serait sûrement plus facile si l'image de la trachéotomie était un peu moins négative pour la plupart des gens, si l'on n'y attachait pas une telle émotion dramatique et un tel symbole de souffrance et de gravité, mais si l'on n'y voyait simplement que ce que c'est : un geste, certes médical, mais seulement un geste de soin et d'assistance. Le chevalier Timothée se plaît à imaginer ce que cela donnerait si l'on pouvait « customiser » les tuyaux comme on peut décorer les fauteuils roulants. Il trouve bien dommage que les tuyaux soient changés si souvent, sinon on pourrait s'amuser à les rendre plus jolis et personnalisés, avec des étiquettes de couleur et des autocollants... Peut-être 57


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

aussi que les fabricants pourraient faire des tuyaux et des canules de toutes les couleurs ! Cette idée les fait bien rire tous les deux. Sur la route du château de Millepertuis, la princesse Jade voit par la fenêtre de leur carrosse apparaître les arbres de la forêt, leur forêt, plus belle que jamais. Plus on s'approche du château, et plus la nature apparaît dans toute sa splendeur. Alors, Jade se tourne vers son frère pour lui parler des arbres fleuris, et de l'odeur des roses, des animaux facétieux qui se cachent sur le bord du chemin et dans les bois, du bon repas qui les attend, du film qu'ils auront envie de voir, des projets qu'ils feront le lendemain, des jeux qu'ils inventeront, et des disputes qu'ils auront. Elle sait qu'elle va partager encore, avec lui, le plaisir de tout cela, de rentrer à la maison, d'être en vie, d'être ensemble, et elle le regarde de ses grands yeux bruns, avec beaucoup, beaucoup d'amour.

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Fin *


Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

CRÉDITS

Merci à mes enfants : Amandine, Jade et Timothée. Être leur mère est mon identité fondamentale, l'essentiel de ma vie, la meilleure justification de mon existence. Merci à eux pour leur tendresse, leur courage, et leur patience ;

Merci à Patricia et Alain Goussiaume, du Groupe d'Intérêt Amyotrophie Spinale de l'AFM1, qui ne cessent depuis 1998 de me soutenir dans tous mes projets destinés à apporter des informations à d'autres parents d'enfants malades ;

Merci au personnel des services de neuropédiatrie de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, en particulier Robert Rubinsztajn, pédiatre, Patricia Jouinot, psychologue, Brigitte Rul, cadre infirmier, Françoise Cieslik, diététicienne, et toutes les infirmières, aidessoignantes, kinés et auxiliaires de puériculture des soins intensifs et de réanimation ;

Merci à l'équipe du SESSAD APF2 d'Évry, en particulier Malika Redaouia, directrice, Carine Maraquin, psychologue, et Laurent Debord, médecin ;

1

Association Française contre les Myopathies - http://www.afm-telethon.fr/

2

Association des Paralysés de France - http://www.apf.asso.fr/ 59


Les aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade

Hors série n° 2

Merci à Patricia, la maman de Valentin, ainsi qu'aux parents de Quentin, à ceux de Yonis3 et bien sûr à leurs enfants pour leurs témoignages et leur soutien ;

Merci à Étienne Sénamaud pour son franc témoignage et son vif enthousiasme ;

Merci à Cécile Liégeois qui, depuis que je me suis mise à écrire des livres, m'encourage dans cette activité et m'apporte son aide dans la relecture, tâche pour laquelle elle apporte toute sa compétence d'une personne habituée à parler aux enfants des autres ;

Merci aussi pour leur perspicacité et leur patience de correcteurs à Stéphane Thomas & Michel Sener (mon père) ;

Merci à toi, lecteur ou lectrice, patient présent, passé ou à venir à cause d'une faiblesse respiratoire, parent, famille, ami, ou professionnel du monde de la santé, du handicap ou de l'éducation, qui a pris la peine d'ouvrir cet ouvrage ;

Merci à tous les enfants, valides ou pas, trachéotomisés ou pas, ceux qui souffrent et ceux qui jouent, ceux qui ont peur et ceux qui font les fous, ceux qui rient et ceux qui pleurent, qui sont souvent les mêmes, à des moments différents. Vous êtes chacun un univers tout entier, compliqué, passionnant, et aimant. Votre souffle est mon inspiration, et mon espoir. ***

3

Son blog : http://www.surlespasdeyonis.fr

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Lililou, Yonis, Myriam... et la trachéotomie

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS .........................................................................................5 C'EST QUOI TOUS CES TUYAUX ? ...............................................................9 À QUOI ÇA SERT ? ....................................................................................11 ET POUR MANGER, TU FAIS COMMENT ? ................................................15 ET L'ASPIRATEUR, ÇA SERT À QUOI ? .......................................................17 COMMENT ÇA SE PRÉSENTE EN-DESSOUS ? ...........................................21 COMMENT SE DÉCIDE-T-ON À FAIRE UNE TRACHÉO ? .........................25 POURQUOI MAINTENANT ? .....................................................................29 UNE MUTILATION ? ...................................................................................31 DERNIÈRE ÉTAPE AVANT... ? .....................................................................33 COMMENT SE DÉROULE L'OPÉRATION ? .................................................37 COMMENT SE FORMER AUX SOINS ? ......................................................43 QU'EST-CE QUE ÇA VA CHANGER POUR NOUS ? .................................49 SUPPORTER LES REGARDS EXTÉRIEURS ....................................................53 PEUT-ON REVENIR EN ARRIÈRE ? .............................................................55 ÉPILOGUE ..................................................................................................57 CRÉDITS .....................................................................................................59 61


Les aventures du Chevalier TimothĂŠe et de la Princesse Jade

http://maruja.sener.free.fr/boutique/


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