« AQMI, un groupe terroriste régional aux objectifs mondiaux » Par Dominique BANGOURA, Docteur d’Etat en Science politique Professeur à HEI-HEP
Introduction Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) est une organisation islamiste armée d’origine algérienne. Cette organisation, qui a été ainsi baptisée en janvier 2007, se dénommait auparavant « Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). Toutefois, si les racines d’AQMI se trouvent en Algérie, cette organisation a depuis élargi son champ d’action et d’influence à la zone maghrébine puis sahélo-saharienne et aux pays d’Afrique subsaharienne où les cibles sont de plus en plus des ressortissants européens ou occidentaux. Cette évolution pose la question de savoir si AQMI peut dorénavant agir directement en dehors de l’espace africain. I. A l’origine, un groupe d’implantation locale
1. Origines historiques (avant 2007)
Le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), créé en septembre 1998, est issu des Groupes Islamistes Armés (GIA) et a progressivement supplanté ces groupes sur la scène terroriste islamiste en Algérie. « D’abord cantonné dans une seule région du pays, la Kabylie, où il était relativement peu actif, il a acquis une notoriété internationale avec l’enlèvement d’une trentaine de touristes européens au Sahara au premier trimestre 20031 ». Depuis, il a multiplié les attentats et des actions armées dans le Nord du pays, ciblant en particulier les forces de sécurité, des civils et des étrangers, au point d’être vu en Europe comme une menace très sérieuse, plus encore avec les attentats meurtriers de Madrid (11 mars 2004) et de Londres (7 juillet 2005) revendiqués par Al-Qaïda.
Cette menace a été corroborée en septembre 2006 par le ralliement du GSPC à Al-Qaïda et par sa transformation en janvier 2007 en « Organisation d’Al-Qaïda au Pays du Maghreb islamique » (AQMI).
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François GEZE et Salima MELLAH : « Al-Qaïda au Maghreb » ou la très étrange histoire du GSPC algérien, Algeria Watch, 22 septembre 2007. Six groupes de touristes sont enlevés avec leurs véhicules dans le désert près d’Illizi : seize Allemands, dix Autrichiens, quatre Suisses, un Néérlandais et un Suédois. Les otages du GSPC à la tête duquel se trouve Abderrazak « El Para » seront libérés en deux fois à l’issue d’une épreuve qui coûtera la vie à une femme.
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A la même époque, fin décembre 2006, on constate une internationalisation du GSPC. Tandis qu’un groupe armé et les forces de sécurité s’affrontent près de Tunis faisant une vingtaine de morts, au Maroc, au printemps 2007, le régime politique fait usage de la répression contre « la menace terroriste islamiste ». Cet activisme du GSPC en dehors de sa base locale d’origine est affirmé par l’organisation elle-même et par Al-Qaïda.
2. La naissance d’AQMI et ses actes de terrorisme
Les premières actions d’AQMI en Algérie en 2007 sont les attentats du 11 avril qui sont minutieusement préparés et planifiés. La première cible visée est le Palais du Gouvernement à Alger. La deuxième cible est le siège d’Interpol à Alger et la troisième est le siège des forces spéciales de police à Alger. L’attentat a été perpétré par un kamikaze qui a foncé sur le bâtiment avec un véhicule rempli de 500 kg d’explosifs, faisant plus de 200 morts. Les cibles sont donc à la fois nationales et internationales. II. L’extension régionale d’AQMI
1. L’importance de la création d’AQMI pour les islamistes de la région
La création d’AQMI est un tournant important pour les islamistes en Afrique du Nord et dans la zone sahélo-saharienne. L’organisation n’est plus seulement le prolongement du GSPC algérien, elle peut devenir un élément fédérateur et une base-arrière des islamistes. L’unification des groupes djihadistes maghrébins sous la bannière d’Al-Qaïda, si elle prend corps, peut élargir l’action de Ben Laden. De même, pour les groupes locaux, l’utilisation du label d’Al-Qaïda peut faciliter leur recrutement et leur donner plus de poids.
2. Les actions d’AQMI au Maghreb, dans le Sahel et en Afrique subsaharienne
Un document de travail discutant des modalités d’union entre plusieurs groupes islamistes a été découvert en 2006 dans la cellule islamiste de Ceuta : ce texte prévoyait que le GSPC algérien, le Groupe Islamique Combattant au Maroc (GICM), le Groupe Islamique Combattant en Tunisie (GICT) et le Groupe Islamique Combattant en Libye (GICL) ainsi que d’autres groupuscules dans plusieurs pays du Sahel tels que la Mauritanie, le Mali et le Niger disposaient d’un rôle dans ce dispositif d’ensemble. Or, avec les attentats d’avril 2007 en Algérie et au Maroc, « la connexion opérationnelle entre les différents groupes maghrébins » semblait devenir une réalité2. Des vidéos et des publications montrent par ailleurs que l’ex-GSPC et AQMI sont devenus à partir de 2006 une plate-forme d’entraînement et de formation pour des combattants originaires de la région, d’abord pour la branche irakienne d’Al-Qaïda, et ensuite pour leur propre compte3 au Maghreb et dans la zone sahélo-saharienne.
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Mathieu GUIDERE : « La tentation internationale d’Al-Qaïda au Maghreb » IFRI, Focus stratégique n°12, décembre 2008, p. 15 3 Mathieu GUIDERE : op. cit. p. 18
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En février 2008, l’enlèvement de deux touristes autrichiens montre que l’action d’AQMI intègre désormais les connexions régionales et les dimensions transfrontalières dans son organisation. Les otages ont été enlevés dans le désert du Sud de la Tunisie et ont été libérés huit mois plus tard à des milliers de kilomètres au Nord du Mali. Les années 2009 et 2010 sont marquées par une recrudescence d’enlèvements de ressortissants occidentaux (français, britanniques, suisses, allemands, canadiens, américains, italiens, espagnols etc.) donnant lieu parfois au paiement de rançons.
III. Des visées à l’échelle internationale, voire mondiale ?
1. La France, l’Europe… dans le collimateur d’AQMI ?
Jusqu’à présent, la France, l’Europe et plus généralement l’Occident étaient visés à travers leurs ressortissants et leurs entreprises situés sur le continent africain. La menace d’AQMI est à nouveau d’actualité en 2011, comme on vient de le voir dès le mois de janvier avec les deux jeunes otages français enlevés au Niger et assassinés.
A l’avenir, l’Europe étant le continent le plus proche d’AQMI sur l’autre rive de la Méditerranée, pourrait-elle devenir directement la proie de ces terroristes ? L’hypothèse d’une intervention d’AQMI en dehors des frontières africaines dépend pour une bonne part de la capacité d’action et de déploiement d’AQMI à l’étranger. Les combattants ne semblent pas très nombreux. Leurs brigades dans le Sahel comptent quelques dizaines de personnes et AQMI, en tout, réunirait quelques centaines voire un millier d’hommes. C’est à la fois peu et beaucoup : peu au regard de l’immensité de l’espace concerné ; beaucoup par rapport à la capacité criminelle de ces groupes.
En effet, dans l’espace sahélo-saharien, AQMI se caractérise par sa mobilité et sa rapidité. Les combattants s’organisent par petits groupes, avec parfois un à trois véhicules, qui se déplacent et agissent de manière furtive à proximité des frontières. Certains groupes ne sont pas nombreux, mais ils n’en sont pas moins redoutables et efficaces. Ils savent également comment bénéficier de complicités locales et transfrontalières pour obtenir ce qui leur est nécessaire : les liaisons et communications (via des téléphones satellitaires, des GPS, des postes-radios et ordinateurs), les véhicules tous terrains et le carburant, le ravitaillement en armes et explosifs, en nourriture, en documents administratifs falsifiés… Ils reçoivent probablement des soutiens financiers de l’organisation-mère mais ils obtiennent également des propres fonds par le biais du paiement de rançons ainsi que par leur proximité avec des réseaux mafieux et criminels, avec des mouvements rebelles, pratiquant la contrebande et les trafics illicites en tous genres. 3
AQMI n’est pas une entité fortement structurée. Les « katiba » (groupes de combattants) qui la composent font preuve d’une certaine autonomie d’action et de financement ainsi que de souplesse. Toutefois, AQMI a eu des difficultés pour s’implanter au Maghreb alors que c’était son but initial. Qu’en serait-il en Europe ? A l’époque du GSPC et du GIA algériens, on se souvient qu’il y a eu des bases-arrières en Belgique, en Italie et en France. De nos jours, AQMI pourrait-elle agir directement en Europe ? Deux hypothèses peuvent être évoquées. L’organisation pourrait frapper soit par l’utilisation d’individus déjà présents pour monter une action sur le territoire d’un Etat ; soit par l’envoi d’un groupe mandaté pour une action spécifique et s’appuyant sur un support local dans l’un des pays de l’Union. Dans ce cas, un commando pourrait-il arriver sur le territoire européen ? Par une filière clandestine ? Dans tous les cas, pour pouvoir agir, il faudrait à AQMI des relais locaux et de la logistique4.
2. AQMI, bras armé d’Al-Qaïda en Occident ?
Cette question renvoie aux liens entre AQMI et Al-Qaïda. S’il est vrai qu’AQMI est l’un des quatre fronts d’Al-Qaïda5 répartis dans le monde, il reste à savoir quels sont les liens effectifs et le degré de confiance entre l’organisation mère et la branche maghrébine6. Selon Mathieu Guidère, sur le plan doctrinal, le changement de nom du GSPC en AQMI « correspond en réalité à un glissement de la doctrine salafiste (présente dans le nom Groupe Salafiste …) vers le jihadisme qui est la doctrine défendue par Al-Qaïda et qui stipule que l’Etat islamique tant espéré ne pourra être atteint que par les armes (jihad)7». Sur le plan opérationnel, le changement de nom du GSPC coïncide avec un changement dans le mode d’action. Désormais, les attentats simultanés qui ont lieu (comme à Alger et à Casablanca en avril 2007) montrent la signature d’Al-Qaïda. Enfin, selon l’auteur, le nom donné à AQMI est le résultat d’un rapprochement, d’une négociation avec Al-Qaïda et le signe d’une évolution doctrinale et idéologique. De plus, les déclarations répétées fin 2010 et en janvier 2011 du chef d’Al-Quaïda, Oussama Ben Laden, sont une indication supplémentaire du rôle de relais et de bras armé que joue AQMI en faveur de l’organisation mère. Oussama Ben Laden, si sa voix est authentifiée, a conditionné la libération des otages français en Afrique au retrait de la France d'Afghanistan et a averti que les positions du président Nicolas Sarkozy "coûteront cher" à la France, selon un enregistrement sonore diffusé le vendredi 21 janvier 2011 par la chaîne de télévision du Qatar, Al Jazeera. Il s'agit du deuxième message menaçant la France en moins de trois mois. "Nous vous répétons le même message : la libération de vos prisonniers des mains de nos 4
Interview de Dominique THOMAS par Mariane ENAULT, Le JDD.fr, mercredi 22 septembre 2010 : « AQMI n’est pas capable de s’implanter en Europe » 5 Jean-Pierre FILIU : « Les quatre fronts d’Al-Qaida », Etudes, 2010/10, tome 413. Les quatre fronts sont : AlQaida Central, Al-Qaida pour la Péninsule arabique, Al-Qaida en Irak, Al-Qaida au Maghreb Islamique. Selon l’auteur, le Maghreb et le Sahel ne constituent qu’un front secondaire pour Oussama Ben Laden engagée en Irak et au Yémen et dont la survie se joue essentiellement au Pakistan. 6 Lakhdar BENCHIBA : « Les mutations du terrorisme algérien », Politique étrangère, 2009/2. Lire également : Notes de l’IFRI (Paris), n°37, 2002 7 Mathieu GUIDERE: op. cit p. 29
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frères est liée au retrait de vos soldats de notre pays", a ajouté la voix attribuée à Ben Laden. S'adressant au peuple français, ce dernier a affirmé: "Le refus de votre président de se retirer d'Afghanistan est le résultat de son suivisme de l'Amérique et ce refus est un feu vert pour tuer vos prisonniers. Cette position de Nicolas Sarkozy "lui coûtera et vous coûtera cher sur différents fronts, à l'intérieur et à l'extérieur de la France". Conclusion AQMI a véritablement pris de l’ampleur depuis ses origines algériennes et sa création en 2007. Le groupe s’est étendu de sa sphère locale à la sphère nationale et régionale, d’abord maghrébine puis sahélo-saharienne et subsaharienne. Cette internationalisation s’est affirmée avec la prise pour cibles d’intérêts occidentaux et l’enlèvement d’otages. La menace d’extension d’AQMI à l’échelle européenne est très présente et doit être prise au sérieux, plus encore depuis les mises en garde répétées d’Oussama Ben Laden au Président français.
Source : Le Monde, 21 septembre 2010
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