géopolitique du vin

Page 1

Coralie TAUZIN Master 1 de Géographie Mention Géopolitique

CONTRIBUTION A UNE GEOPOLITIQUE DU VIN (Une clé de lecture des vignobles du Bordelais et de Californie)

Sous la direction de M. SOPPELSA Jacques Session de juin 2010


REMERCIEMENTS

En premier lieu, je souhaite remercier M. Soppelsa qui a cru en ce sujet dès ma proposition. Il n’a cessé de m’encourager en étant présent à chaque étape d’élaboration de ce mémoire. Je le remercie de m’avoir reçue dès mon arrivée à Paris 1. Il aura été bien plus qu’un directeur de mémoire.

Ensuite, je voudrais profiter de cette page pour écrire combien je suis reconnaissante au-delà des mots à mes parents de m’avoir toujours encouragée et soutenue dans mes choix tout en restant à l’écoute de mes doutes. Je remercie également ma famille expatriée au Canada qui m’a accueillie très chaleureusement et qui a vécu la naissance de ce mémoire. Nous avons partagé ensemble des souvenirs inoubliables. Un immense merci aussi à Sylvie et Romu (sans oublier Alexandre) qui ont rendu ma vie parisienne des plus agréables. Ils ont été d’un soutien sans faille.

Toutes les personnes qui me sont proches et qui m’ont soutenue durant cette période sont ici remerciées mais plus particulièrement Charlotte et Rémy, vous avez tout partagé avec moi durant ces deux années, votre présence et votre écoute furent précieuses. Mél, qui est présente à mes côtés depuis toutes ces années, je te remercie pour tout. Toute la famille Dalsheimer est également chaleureusement remerciée : votre accueil et votre gentillesse ont été aux origines de ma découverte du vin.

Je remercie bien évidemment toutes les personnes rencontrées en France et au Canada qui ont accepté de m’accorder un peu de leur temps : M. Aubry, M. des Ligneris, M. Feredj, M. Lafenêtre, M. Dubourdieu, M. d’Ollone, M. de Raignac, M. Rousseau, M. Monchy, M. Dhalluin. Ces entretiens ont été vraiment essentiels à mon travail et ont souvent donné lieu à des discussions passionnantes.

Mais ce mémoire n’aurait sans nul doute pas vu le jour sans la rencontre déterminante avec un de mes professeurs du lycée Camille Jullian (Bordeaux), M. Legangneux, agrégé de Géographie. Il a été à l’origine de nombre de mes choix dont celui de venir faire de la géopolitique à Paris I. Je tenais à l’écrire ici.


GLOSSAIRE

Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) : Elle est créée en 1935, principalement pour lutter contre la fraude qui s’est largement développée suite à la crise du phylloxéra. Le principe est simple : une zone délimitée (en fonction de l’exposition, de la nature du sol, etc.) et des règles communes de production (encépagement, taille de la vigne, etc.). Le tout est strictement noté dans un cahier des charges soumis à l’INAO et à la Chambre d’Agriculture.

American Viticulture Area (AVA) : Une AVA est une labellisation américaine qui désigne une région viticole par ses caractéristiques géographiques délimitée par des frontières décidées par le Bureau des Impôts sur l’alcool et le tabac et les échanges (Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau -TTB). Les AVA sont définies à la suite de propositions émises par les wineries ou des citoyens lambda. En février 2009, il y a 193 AVA.

Cépage : Variété de plant de vigne. L’étude des cépages constitue une science : l’ampélographie. A ce jour, plus de 5 000 cépages sont répertoriés. Mais une centaine seulement présente un réel intérêt œnologique.

Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) : Fondé en 1945 et placé sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, le CIVB est un « établissement privé d’intérêt public » chargé de promouvoir les vins bordelais.

Institut National des Appellations d’Origine (INAO) : Cet institut doit, entre autre, approuver ou non les cahiers des charges qu’on lui soumet pour de nouvelles propositions d’AOC. Il doit également veiller au respect du cahier des charges. Il est devenu en 2006 l’Institut national de l’origine et de la qualité et gère aujourd’hui 474 appellations de vins soit 80% de la production française.

Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) : Unique organisation scientifique et technique mondiale de référence pour la vigne et pour tous les produits issus de la vigne. L’OIV, qui est une organisation intergouvernementale, regroupe 43 Etats Membres, et a pour mission d’harmoniser les normes vitivinicoles internationales, favoriser les


innovations scientifiques de la filière, relever et contribuer à résoudre, à travers ses recommandations et par le biais du consensus, toute problématique touchant le secteur vitivinicole international. M. Federico Castellucci est le Directeur Général de l’OIV.

Phylloxéra : Maladie attaquant les ceps de vignes. Elle se déclenche au XIXe siècle avec l’importation en France de cépages d’Amérique du Nord. Ces cépages étaient porteurs d’un parasite, le phylloxéra, desséchant les feuilles. L’arrivée de ce parasite dans les vignes françaises a provoqué des pertes immenses dans tout le pays. La solution trouvée pour éradiquer le problème (en plus des arrachages et de l’ennoiement des vignes) a été de greffer nos cépages sur des porte-greffes américains qui étaient immunisés.

Vin Délimité de Qualité Supérieure (VDQS) : On le situe généralement entre l’AOC et le Vin de Pays. Certains producteurs préfèrent rester dans cette appellation car les règles sont moins strictes qu’en AOC (notamment en ce qui concerne le choix des cépages). Aujourd’hui, il devient très difficile de dire qu’un VDQS est moins bon qu’un AOC. Il est simplement élaboré avec un cahier des charges différent et plus souple.

Vins d’assemblage : Ce sont des vins élaborés à partir de plusieurs cépages. Le viticulteur, aidé de l’œnologue, assemble ainsi différents vins de cépage (syrah, grenache, merlot par exemple) et tente de chercher le bon équilibre entre toutes ces saveurs. Il peut être aussi bien un vin de très grande qualité (grands Bordeaux par exemple) qu’un mauvais vin assemblé à partir de productions très hétéroclites (Kiravi élaboré avec le mélange de vins français et algériens).

Vins de Pays : Ce sont des vins produits en dehors des AOC et des VDQS. Leur aire de production est délimitée géographiquement. Ils peuvent être des vins de cépages ou des assemblages entre différents cépages de la même aire géographique. Ils sont devenus complexes à définir tant leur gamme s’est élargie. Ils peuvent tout aussi bien ressembler à certains Vins de Table qu’à certains excellents AOC. Leur typicité est leur principal argument de vente.

Vin de Table : Ce sont généralement des vins de qualité médiocre au prix peu élevé. Ils sont souvent réalisés à partir d’assemblages de vins provenant de régions plus ou moins éloignées.


Il existe en Europe les vins de "différents pays de la communauté européenne", mais la zone de fabrication n’est pas forcément toujours aussi étendue.


SOMMAIRE

INTRODUCTION 1. Est-il pertinent de parler de géopolitique du vin ? 2. Aperçu de l’évolution de la pensée géographique sur la vigne et le vin 3. Méthodologie 4. L’importance des représentations des différents acteurs 5. Questionnements

PREMIERE PARTIE : LE VIN, UN PRODUIT DE CIVILISATION

CHAPITRE 1 : La réputation prestigieuse des vins de Bordeaux aux Etats-Unis 1.1 Qu’est-ce que le vin ? Une définition qui évolue 1.2 Le vin : un produit d’essence géopolitique depuis ses origines

CHAPITRE 2 : La naissance des vins californiens 2.1 Un changement socio-culturel important 2.2 L’amélioration des techniques 2.3 La concentration du marché californien

CHAPITRE 3 : Deux modèles qui s’opposent dans un marché de plus en plus étroit 3.1 La Californie, l’efficacité américaine alliée maintenant au savoir-faire 3.2 Dans le Bordelais, un système unique au monde mais désorganisé 3.3 Aujourd’hui, quels échanges entre les deux pays en ce qui concerne le vin ?

DEUXIEME

PARTIE :

DES

FORCES

EN

PRESENCE

QUI

SEMBLENT

DESEQUILIBREES

CHAPITRE 1 : Le poids de l’histoire entre la France et les Etats-Unis 1.1 Des évènements politiques aux conséquences économiques pour la filière 1.2 AOC contre AVA : le choc culturel ?

CHAPITRE 2 : Deux territoires aux conditions naturelles particulières


2.1 La diversité californienne 2.2 La diversité du vignoble bordelais : l’importance des sols 2.3 Le concept de terroir signifie t-il encore quelque chose ?

CHAPITRE 3 : La diversité des acteurs 3.1 A Bordeaux, le « bazar viticole » 3.2 En Californie, le poids des géants vitivinicoles 3.3 Le rôle des nouveaux moyens de communication

TROISIEME PARTIE : VERS UN TOURNANT INELUCTABLE DE LA FILIERE VITIVINICOLE ?

CHAPITRE 1 : Une « crise » globale du secteur vitivinicole ? 1.1 Pourquoi parlons-nous de « crise » ? 1.2 Analyse de la crise vitivinicole à Bordeaux 1.3 Des alternatives à la crise

CHAPITRE 2 : Le poids de réglementations trop complexes 2.1 Réformer les AOC, une nécessité ? 2.2 Le rôle de l’Union Européenne 2.3 Le rôle de la loi Evin

CHAPITRE 3 : La parole aux professionnels 3.1 Des initiatives intéressantes existent : l’exemple de M. des Ligneris 3.2 « Opus-One », le vin californien élaboré d’après le savoir-faire bordelais : une synthèse parfaite entre les deux territoires ?

CONCLUSION GENERALE : LA GUERRE DES VINS AURA-T-ELLE LIEU ? BIBLIOGRAPHIE SITOGRAPHIE TABLE DES TABLEAUX TABLES DES FIGURES ANNEXES TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION

« Le vin est mort. Soyons clair, le vin est mort. » Tel est le cri lancé par Aimé Guibert, propriétaire du domaine Daumas-Gassac en Languedoc et immortalisé par Jonathan Nossiter dans le film Mondovino1. Il est certain qu’au regard de la quantité d’invendus présents dans les entrepôts de vin dans le bordelais, le vin semble mort dans l’économie actuelle. Cette dernière subit les conséquences de la plus grave crise économique que le monde ait connue depuis celle qui a suivi le krach boursier de 1929 et ce, dans tous les domaines. Le vin, comme tout produit agricole, doit faire face à une situation économique complexe et incertaine où les fluctuations sont nombreuses. La vigne meurt aussi peu à peu sous le coup d’arrachages décidés par l’Union Européenne. Pour autant, le vin est-il « mort » ? Cette situation de crise ne pourrait-elle pas aussi être l’occasion d’organiser les prémices d’une réorganisation de toute la filière vitivinicole dans un contexte mondialisé ? 1. Est-il pertinent de parler de géopolitique du vin ? Le thème de ce mémoire, « la géopolitique du vin », résulte d’un parcours personnel qui allie mes racines bordelaises auxquelles je reste attachée avec un modeste parcours universitaire durant lequel j’ai découvert et apprécié la géopolitique. La géopolitique est un moyen d’étudier l’espace en tant qu’enjeu. Est-il pertinent alors de parler de géopolitique du vin ? Il est remarquable que la viticulture apparaisse comme un outil de l’affirmation de la puissance qui génère de nombreux conflits directs ou indirects depuis ses origines. Vignes et vins confèrent richesse et considération à ceux qui les possèdent ou les produisent. Des parcelles plus ou moins importantes de pouvoir contribuent à favoriser l’influence publique à l’échelle locale mais également, parfois, à une échelle plus globale. Les vignobles ont toujours été intrinsèquement liés aux représentations des acteurs qui gravitaient autour. Ces représentations façonnent les vignobles depuis leurs origines. Par ailleurs, l’univers vitivinicole regroupe des disciplines variées qu’il est utile de convoquer afin d’en saisir tous les enjeux. Le vignoble bordelais est un terroir historiquement riche dont la réputation mondiale n’est plus à faire. C’est un terroir difficile à analyser, hétérogène, avec une forte empreinte 1

NOSSITER (Jonathan), Mondovino, Documentaire, USA/France, 2003, 2h15 min


territoriale malgré ce que pourrait laisser penser l’expression « le Bordelais », lorsque ces vignobles sont évoqués par les différents acteurs. Les tensions internes sont aujourd’hui très vives au sein de la filière vitivinicole et sont le résultat en partie de la concurrence des vins du Nouveau Monde. Cette expression énigmatique et admirative forgée par les pays du Vieux Continent met en exergue le fait que la vinification et l’élaboration du vin font preuve de modernisme grâce à l’industrialisation des techniques viticoles. Par conséquent, les coûts de production baissent et la compétitivité sur le marché international est renforcée. Aujourd’hui, Bordeaux n’est plus le seul à faire du très bon vin de très bonne qualité. La très grande majorité des viticulteurs bordelais ne se sont pas remis en question quand ils étaient encore considérés comme étant les rois de la viticulture mondiale et quand le contexte économique le permettait, c’est-à-dire dans les années 1990 jusqu’au début des années 2000. A peine 3 % des vins produits à Bordeaux parviennent à se vendre confortablement ; il s’agit des Grands Crus Classés. Pour les autres, la crise de la filière vitivinicole est beaucoup plus difficile à affronter. La complexité de cet espace est également due à la multiplicité des acteurs qui semble caractériser la filière. La Place de Bordeaux2 est une particularité bordelaise. La majorité des viticulteurs se plaignent de ne pas être suffisamment représentés au sein de l’organisation interprofessionnelle censée représenter les intérêts de toute la filière à savoir le Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB3). Par ailleurs, même si le nom de « Bordeaux » est toujours une valeur sûre à l’étranger, rien ne semble fait pour valoriser l’ensemble de la filière vitivinicole girondine pour le consommateur par rapport aux actions marketing ciblées de la part de châteaux prestigieux aux moyens économiques considérables. Quid de la marque « Bordeaux » ? Comment valoriser ce terroir historiquement célèbre ? Les enjeux sont aujourd’hui d’une importance grandissante. Quant au vignoble californien, les vins qui y sont produits appartiennent au groupe hétérogène des vignobles dits du « Nouveau Monde ». Il s’est développé considérablement dans les années 1970 grâce à l’importation du savoir-faire français et de certains cépages. Par conséquent, il n’a pas d’histoire pluriséculaire contrairement aux vignobles français et n’a pas, jusqu’à présent, de culture de terroir. C’est un espace très vaste dont la superficie représente le 4/5e de la France. Regroupant aujourd’hui près de 3 000 domaines viticoles, la Californie produit 90 % de la production totale américaine et est le 4e Etat producteur de vin après l’Italie, la France et l’Espagne. Les vins au Nord de San Francisco sont de grande 2

La Place de Bordeaux est une entité collective des négociants bordelais par lesquels transitent bon an mal an 70 à 80% des volumes produits dans le département. 3 Cf glossaire


qualité et sont reconnus mondialement. Le succès des vins californiens est le fruit de l’association du talent d’œnologues et des moyens financiers considérables. En près de 20 ans, les exportations de vins des Etats-Unis sont passées de 35 millions d’USD en 1985 à 808 millions d’USD en 20044. Mais depuis le début des années 2000, la Californie n’échappe pas, elle non plus, à la crise économique. Par ailleurs, il est à noter que comme dans le Bordelais, ce sont les vins les plus typés et les plus chers qui traversent le mieux la crise. Pour toutes ces raisons, il semble que le vin soit un objet de géopolitique. Saisir la complexité du monde vitivinicole grâce aux clés de lecture géopolitiques sera une de nos ambitions. 2. Aperçu de l’évolution de la pensée géographique sur la vigne et le vin La vigne a depuis longtemps intéressé les géographes dont le père de la géographie française, Paul Vidal de la Blache (1845-1918) mais aucun texte de géopolitique n’a été consacré au vin à notre connaissance. 2.1 Paul Vidal de la Blanche : la viticulture comme l’expression d’un degré de civilisation L’approche vidalienne est essentielle. Selon Vidal, la viticulture est une expression des liens qui agissent entre l’homme et le milieu naturel. Ainsi, l’homme serait un produit de son activité et du milieu naturel dans lequel se développe cette activité. Vidal nuance cette idée en montrant que la volonté humaine tient une place essentielle dans les interactions entre l’homme et la nature. Sa géographie est une sorte d’écologie de l’homme qui s’exprime totalement dans le « genre de vie » qu’adoptent les habitants de telle ou telle région. L’univers viticole est l’objet d’attentions marquées et se trouve particulièrement mis à l’honneur car ses paysages sont considérés comme exprimant plus que n’importe quels autres ces interférences profondes entre l’homme et la nature. Les vignerons eux-mêmes sont peints sous le jour le plus flatteur, tant la viticulture est considérée comme preuve du degré d’avancement d’une civilisation : ils sont devenus semblables aux plantes qu’ils cultivent. Leur bras « noueux comme les ceps5 », « les substances nutritives (des) terroirs […] communiquent aux plantes

4

Source : Head Office Wine Institute of California International Department Paul Vidal de la Blache, Tableau de la géographie de la France, Paris, Tallandier, 1979, p. 168 cité par Michel Réjalot.

5


une vigueur savoureuse qui passe aux animaux et aux hommes6 ». Cette géographie « est résolument possibiliste et non pas déterministe : la nature suggère et l’homme choisit7 ».

2.2 Roger Dion : la volonté humaine conditionne la viticulture Grâce aux travaux de Roger Dion (1896-1981), la pensée géographique sur la vigne et le vin évolue considérablement. En effet, ce dernier recherche les facteurs de localisation des vignobles et les raisons qui font que certains vignobles produisent de la « qualité » et d’autres non. Il ne trouve pas ses réponses dans des interactions immédiates entre l’homme et le milieu naturel et souligne l’importance de la volonté des hommes sur la qualité du vin. Il se méfie de l’idée selon laquelle la qualité est l’expression du milieu naturel. « Les vignobles sont des créations de l’homme plus encore que des expressions du milieu naturel8». Pour ces créations humaines, leur faculté ou non à produire un vin de qualité serait à son tour déterminée par le marché urbain. Roger Dion insiste comme personne avant lui sur le rôle de la demande, donc des facilités de transport. Il est à noter qu’avec Dion l’étude est pluridisciplinaire surtout par la dimension historique qui devient essentielle. L’investigation est menée dans la perspective d’un temps très long (2 000 ans) pour montrer la construction géographique du vignoble français, ses fluctuations spatiales, ses modifications qualitatives. Les sources se diversifient puisqu’il fait appel à la littérature, l’iconographie, la photographie, l’archéologie notamment.

2.3 Jean Robert Pitte : l’influence de la géographie culturelle Jean-Robert Pitte, né en 1949, apporte une vision originale du vin, produit auquel il a consacré de nombreux textes. En souhaitant « remonter aux sources mentales de la réalité spatiale9 », il met en exergue la dimension sociale du vin qui n’apparaissait pas auparavant. Selon lui, le vin peut être un « truchement du dialogue interculturel, du commerce des esprits entre les hommes de bonnes volontés10 ». Il souhaite « redonner une profondeur culturelle à l’art de boire du vin11 » et insiste sur la valorisation des terroirs, gardiens d’un vin de qualité qui racontent une histoire. Quant à la mondialisation du vin, il se bat contre l’uniformisation du goût des vins de marque à cépage unique et souligne l’importance d’une sensibilité propre à la connaissance de la qualité du vin. 6

Ibid., p. 118 Joël Bonnemaison, La géographie culturelle, Paris, editions du CTHS, 2000, p. 33 8 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Histoires, Paris, Flammarion, 1991, p. 37 9 In PITTE (Jean-Robert), Le désir du vin. A la conquête du monde, Paris Fayard, 2009, p. 15 10 Ibid 11 Ibid. p. 271 7


3. Méthodologie Ce mémoire a requis tout d’abord un travail de lecture préalable tout domaine confondu afin d’avoir un regard le plus riche qui soit dans le but de s’entretenir avec des acteurs très variés de la filière vitivinicole d’une part et de bâtir une réflexion personnelle et géopolitique d’autre part. Si la pluridisciplinarité de ce travail est importante et essentielle afin de saisir les enjeux complexes d’un tel sujet, elle est complétée autant que possible par un regard de géographe. Par ailleurs, les entretiens menés sur le terrain12 de janvier à mai 2010 ont été le moyen de rendre concrète une réalité décrite à travers des textes. La diversité des acteurs rencontrés est un choix qui permettait sans cesse de faire surgir de nouveaux questionnements et de confirmer ou au contraire, de remettre en cause des textes lus précédemment. Malheureusement je n’ai pu me rendre en Californie. Certains de ces acteurs qui connaissent très bien les vignobles californiens m’ont été d’une aide précieuse. Ces entretiens ont été semi-directifs grâce à des questions préalablement rédigées et suivaient un ordre logique, souvent celui du mémoire. Mais les questions étaient à chaque fois modifiées pour mieux correspondre à l’interlocuteur ce qui n’a pas permis la création d’un fichier de statistiques. Mais il est à souligner que la recherche entamée ici ne peut en définitive qu’être effectivement entamée. Il n’y a aucune ambition à avoir traité un sujet de fond en comble, de manière exhaustive, tant celui-ci est vaste, complexe et aurait exigé des connaissances préalables des plus solides, ce qui, dans le meilleur des cas, ne peut se construire en quelques mois. Chaque observation amène de nouvelles questions, chaque lecture en amène d’autres à l’image du remplissage du tonneau des Danaïdes. 4. L’importance des représentations des différents acteurs Si nous comparons les vignobles californiens et bordelais, il convient de prendre en compte l’importance du contexte économique et politique entre les deux pays. L’exemple le plus récent est le boycott des produits français aux Etats-Unis à la suite du discours du Premier Ministre Dominique de Villepin prononcé le 14 février 2003 à la tribune de l’Organisation des Nations Unis (ONU) lors de la crise irakienne. Des bouteilles de vins français ont été déversées dans les rues de New York et ces images ont fait le tour du monde, preuve que le vin est un des symboles de la France beaucoup plus que la baguette et le béret. 12

Ces entretiens sont joints en annexe.


En France, le vin possède une dimension religieuse. La religion catholique, conquérante, a fini par s'imposer moralement et civilement. Elle a conforté le souci romain de disposer de la culture de la vigne jusqu'à la limite naturelle possible puisque les besoins du culte sont prioritaires. Pierre Deffontaines le rappelle justement : « [...] ce sont surtout les progrès du Christianisme qui ont marqué les grandes étapes de l'histoire viticole ; la vigne est devenue, pour les Chrétiens, le moyen indispensable de célébrer la messe ; sans vin point de messe, et même, jusqu'au moment où, vers le XIIIe siècle, le calice fut réservé au prêtre, point de communion pour les fidèles. La vigne commença une immense conquête vers le Nord en relation avec l'Évangélisation de l'Europe ; vigne et évangélisation progressent ensemble ». A l’origine, le vin est le produit nécessaire à la célébration du culte, destiné à la consommation personnelle des évêques et à l’accomplissement du devoir d’hospitalité. C’est la raison pour laquelle les religieux plantaient des vignes à proximité de leurs églises ou de leurs abbayes. Le vin n’était pas un produit agricole marchand mais servait à la satisfaction d’un rite. Les Américains ne sont que de récents consommateurs de vins. En 1945, le vin est un produit d’importation de luxe et n’est pas intégré dans la culture nationale. Aujourd’hui, les vins blancs légers et sucrés sont les plus sollicités sur le marché américain. Les « coolers13 » conquièrent de plus en plus de part de marché. Quant aux vins rouges, ceux qui en boivent et qui démontrent leurs connaissances en matière d’œnologie, témoignent ainsi d’un haut niveau de vie. A New York, les bars à vin se développent de plus en plus et les jeunes newyorkais branchés s’y retrouvent. La consommation de vin aux Etats-Unis va de pair avec une sorte d’émancipation des mœurs et une sophistication des modes de vie. 5. Questionnements La France est concurrencée depuis trente ans par les vins du Nouveau Monde auxquels les vins californiens appartiennent. Il y a une vingtaine d’années, les producteurs français représentaient l’excellence du vin. Les viticulteurs bordelais allaient exporter leur savoir-faire en Californie. Aujourd’hui les vins d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) perdent des parts de marché à l’exportation et les Bordelais arrachent une partie de leurs vignes. Un certain nombre de professionnels qui se pensaient au centre de la planète vin ont l’impression d’avoir dérivé vers sa périphérie. La globalisation est perçue comme la montée en puissance d’un modèle concurrent de production du vin, qui met à mal l’attractivité du modèle français.

13

Les coolers sont des boissons rafraîchissantes faites à base de vin blanc et de jus de fruit.


Pour généraliser, le modèle californien est fondé sur la production de masse, à bas prix, dans des conditions climatiques adaptées, avec des coûts salariaux limités et des pratiques œnologiques très libres. Quant au modèle bordelais, il repose sur des productions plus faibles, avec des coûts de production nettement plus élevés et des pratiques œnologiques contraignantes. Ainsi, comment et pourquoi les représentations d’acteurs bordelais ou californiens aussi différents et variés soient-ils liés au monde viticole pèsent-elles lourdement sur la production, la mise en bouteille puis la vente du vin ? Le contexte politique est souvent mouvementé entre les deux pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quels avantages ou au contraire, quels inconvénients pour les échanges viticoles entre les deux ? Quelles en sont les répercussions ? Le monde vitivinicole est un monde dominé par des tensions. Quelles sont les marques de luttes de différentes natures pour influencer ou contrôler un territoire viticole ? Quelles en sont les particularités ? Si nous parlons de la crise de la filière vitivinicole, il convient d’évoquer la tendance à la globalisation (l’uniformisation, la standardisation ?) du marché du vin. Aujourd’hui, existe-t-il une culture mondiale du vin ? Dans un contexte aussi troublé où les règlementations qui s’appliquent au vin sont souvent décriées comme étant trop laxistes ou au contraire trop contraignantes, comment les acteurs peuvent-ils faire évoluer leur filière ? Pour tenter de répondre à cela, nous insisterons dans un premier temps sur les raisons qui nous font dire que le vin est un produit de civilisation en étudiant les particularités des modèles bordelais et californiens. Puis nous étudierons les différents acteurs de la filière vitivinicole dans les espaces choisis qu’ils soient politiques, climatiques ou socioculturels. Enfin nous soulignerons le fait que la filière vitivinicole semble être à un tournant de son histoire.


PREMIERE PARTIE : LE VIN, UN PRODUIT DE CIVILISATION

« Il y a une civilisation du vin, celle où les hommes cherchent à mieux se connaître pour moins se combattre. » Gabriel Delaunay

L’expansion des vignes grecques jusqu’en France (Source inconnue)


Dans cette première partie, nous verrons dans quelle mesure nous pouvons dire que le vin est un produit de civilisation. Pour cela, nous montrerons que les vins de Bordeaux bénéficient d’une solide réputation aux Etats-Unis, réputation liée aux valeurs véhiculées depuis des siècles par ces vins. Ensuite nous étudierons la naissance des vignobles californiens en nous attachant à montrer qu’elle est liée à une transformation du monde du vin aux Etats-Unis. Nous verrons enfin en quoi ces deux modèles de vente s’opposent en étudiant les particularités de chacun.

CHAPITRE 1 : LA REPUTATION ¨PRESTIGIEUSE DES VINS DE BORDEAUX AUX ETATS-UNIS

Le vin est un produit qui a toujours fasciné les hommes. Fruit d’une alchimie parfaite entre un fruit et un savoir humain acquis depuis plusieurs siècles, le Bordeaux est mondialement connu et reconnu. Pour le critique-œnologue américain Robert Parker, la France fait toujours office de pays de référence en matière de vin de qualité. La tradition, le savoir-faire, le terroir, la culture, le standing social, l’art de vivre, le luxe, le raffinement sont encore des caractéristiques liées au vin français14. Nous essaierons de dresser dans ce chapitre le contexte dans lequel ce mémoire se situe. C’est la raison pour laquelle nous définirons ce que nous entendons par « vin » puisque sa définition ne cesse d’évoluer. Nous verrons ensuite en quoi le vin est un objet éminemment géopolitique, et ce, depuis ses origines.

1.1 Qu’est-ce que le vin ? Une définition qui évolue La définition admise communément est que le vin est « une boisson obtenue par la fermentation naturelle du jus de raisin.15 » De manière plus scientifique, il s’agit d’une « solution aqueuse d’éthanol avec des traces plus ou moins grandes de sucres, d’acides, d’esters, d’acétates, de lactates et d’autres substances présentes dans le jus de raisin ou dérivées de sa fermentation.16 » Quand Jonathan Nossiter pose la question à Aimé Guibert17, ce dernier répond : « Qu’est-ce que c’est le vin ? Pendant des millénaires, c’est une relation presque religieuse entre l’homme, essentiellement autour de la méditerranée, avec les éléments naturels : le sol 14

In PARKER (Robert), Guide Parker des Vins de France, Solar, 2008, 1600 p. In JONHSON (Hugh), Une histoire mondiale du vin de l’Antiquité à nos jours, Paris, Hachette, 1990, p. 11 16 Ibid. 17 Dans le film Mondovino, 2004. 15


bien vivant sur lequel il n’y a jamais eu de molécules de synthèse et le climat. Les vins qui ont fait rêver sont toujours des vins qui traversent le temps et qui amènent la jeunesse. Le Bordeaux d’aujourd’hui je n’en parlerai pas ; on a tiré le rideau on est devant autre chose, le culte de l’argent. Un grand vin c’est beaucoup d’amour, beaucoup d’humilité, beaucoup de liens avec l’immatériel, le sol et le climat. C’est poétique de faire un grand vin. » Il souligne ainsi la dichotomie qu’il existe entre une vision traditionnelle du vin et une vision plus moderne. Trouver une définition du vin est une chose ardue selon la région considérée. Elle est sans cesse en évolution.

1.1.1 Une définition officielle, celle de l’Organisation Internationale de la vigne et 18

du Vin (OIV)… Dès 1928, l’OIV propose une définition du vin qui est valable encore aujourd’hui. Elle a été la première institution à avoir un rôle de normalisation dans le secteur du vin notamment en matière de production. Créée en 1924 par les huit producteurs principaux à savoir l’Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal, la Tunisie) elle compte en 2010, 43 membres qui représentent environ 95% de la production et de la consommation mondiales19. C’est ainsi que le vin est défini par l’OIV comme étant « exclusivement la boisson résultant de la fermentation alcoolique complète ou partielle du raisin frais, foulé ou non, ou du moût de raisin. » et stipule que « nul autre produit que celui qui provient de la fermentation alcoolique du jus de raisin frais ne puisse recevoir l’appellation de vin. » Il est précisé que son titre alcoométrique ne pourra être inférieur à 8,5 % en volume. Il est à souligner que derrière cette définition somme toute objective, est dissimulé deux autres caractéristiques. Il doit en effet exister une certaine proximité entre le lieu de fabrication du vin et le lieu de culture du raisin. Par ailleurs, le vin est lié à une appellation d’origine, qui doit être protégée et qui repose sur des facteurs naturels et humains responsables de la typicité des produits. Tout cela renvoie indirectement au modèle français des appellations d’origine. Cette définition est de plus en plus contestée, notamment par les pays du Nouveau Monde adhérant à l’OIV. Ils revendiquent un assouplissement des pratiques œnologiques. Mais aujourd’hui, l’OIV semble concurrencée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

18 19

Cf Glossaire Données consultables sur le site de l’OIV : http://oiv.int


1.1.2 … de plus en plus contestée L’OMC a adopté une définition plus libérale du vin qui correspond mieux aux pays du Nouveau Monde qui pourrait se résumer en disant que tout ce qui n’est pas dangereux pour la santé est autorisé. Des pratiques telles que le mouillage du vin pour faire baisser son taux d’alcool afin de ne pas payer de taxe comme c’est le cas en Californie20 ou bien son aromatisation artificielle pourraient être considérées comme légitimes, parce que sans conséquence en termes de santé publique, alors qu’elles sont condamnées par l’OIV. Trois caractéristiques du vin font aujourd’hui débat21 : l’interdiction de certaines pratiques œnologiques comme l’emploi des copeaux de chêne, la contrainte sur l’origine géographique de la matière première et l’interdiction d’utiliser d’autres matières que le raisin frais pour fabriquer du vin. Ces caractéristiques entraineraient un changement radical de la définition du vin. Il y a donc un changement radical dans la définition du vin. Si auparavant cette définition reposait sur une vision agricole du produit, elle devient de plus en plus fondée sur une conception industrielle qui tend à gommer les spécificités du vin en tant que produit alimentaire et qui est due à l’importance grandissante des producteurs du Nouveau Monde. Nous voyons déjà apparaître dans la définition même du mot « vin » la dichotomie entre les représentations bordelaises (de l’Ancien Monde) et californiennes (du Nouveau Monde).

1.2 Le vin : un produit d’essence géopolitique depuis ses origines De nombreux ouvrages passionnants ont été publiés sur l’histoire de la vigne et du vin mais aucun chercheur n’a, à notre connaissance, fait du vin un objet d’étude géopolitique. Pourtant, il semble que les espaces associés au vin, qu’ils soient réels ou imaginaires, ont fait office à de nombreuses reprises d’enjeux depuis ses origines. Voyons comment.

1.2.1 Viticulture et religion Il était écrit sur un diplôme de Charlemagne concernant un abbé, fondateur d’un monastère « Fecit ecclesias et plantavit vineas ». Vin et religion ont toujours été très liés. Si des vignes ont été plantées en France, cela est principalement dû à la propagation du christianisme. Le vin était nécessaire lors de la célébration de la messe. 20

Lors de son stage en Californie, M. Lafenêtre a surpris des ouvriers mexicains rajoutant de l’eau dans les cuves de vin afin de faire baisser leur teneur en alcool. En effet, un vin supérieur à 15° est soumis à une taxe supplémentaire. 21 In SMITH (Adam), DE MAILLARD (Jacques) et COSTA (Olivier), Vin et politique. Bordeaux, La France, la mondialisation, Presses de Sciences-Po Bordeaux, 2007, p. 133


Le vin allait de pair avec toute existence de haut rang car il est l’expression d’une certaine condition sociale. L’évêque était le premier personnage de la cité au Moyen Age mais aussi le premier et le plus grand viticulteur d’une cité. Il plantait les vignes, dirigeait l’exploitation et monnayait le produit. Le rôle du chef religieux à Bordeaux était prépondérant. L’archevêque produisait lui-même les deux types de vin qui ont fait principalement la renommée du vignoble bordelais, celui des graves et des côtes. Il était admis de tous que si une région ne possédait pas de vignes, cela s’apparentait à la colère de Dieu. La pratique de la viticulture est un devoir d’état pour l’évêque, personne en laquelle la ville s’incarne. En effet, l’exercice du culte est indissociable de la consommation de vin. Le vin était également cultivé par les moines qui se devaient de ne pas en manquer afin d’honorer leur devoir d’hospitalité. Le vin peut également faire office de monnaie d’échange et permet de soutenir l’honneur de la maison. Ne pas servir de vin à un hôte est une manière de lui manquer de respect. L’Eglise a placé la viticulture au sommet de la hiérarchie des symboles : « Les ormes au port majestueux, dit un clerc du XIe siècle, s’ils ne portent point de fruits, offrent au moins l’appui de leur tronc à la vigne et à ses grappes ; ils sont l’image des grands de ce monde, tenus par devoir de soutenir l’Eglise et ses œuvres spirituelles. » C’est ainsi qu’au fur et à mesure de leurs conquêtes, les chrétiens ont planté des vignes dans tous les espaces qu’ils conquéraient, signe de leur appropriation. Faire figurer au premier plan la vigne et le vin va de pair avec l’idée que le vin est un produit de civilisation. Dans ce cas précis, il est un produit de la civilisation chrétienne.

1.2.2 L’importance des voies navigables pour le commerce du vin au Moyen Age Un dicton médocain souligne l’importance des voies navigables : « Pour que le vin soit bon, il faut que la vigne voie rivière. » Les hommes du Moyen Age nourrissaient un intérêt très vif pour le vin car il s’agissait d’un produit monnayable de façon très avantageuse. Marchandise pondéreuse et fluide à la fois, le vin ne peut être transporté aisément en quantité importantes que par voie d’eau. Les communications fluviales étaient utilisées par l’Eglise pour distribuer des produits issus des possessions ecclésiastiques. Le vin était transporté dans des amphores de terre cuite vers Bordeaux notamment grâce à l’isthme gaulois. Mais elle a vite été abandonnée du fait de son poids et de son manque d’équilibre (les casses étaient nombreuses) au profit du fût en bois celtique. Sa maniabilité et sa légèreté relative permettent de contenir plusieurs centaines de litres. Mais si l’amphore se brise, le fût se disjoint. C’est la raison pour laquelle un charpentier pouvait accompagner le convoi pour surveiller les fûts le long du chemin. Les voies navigables


deviennent donc le moyen de transport idéal car une lourde cargaison de fûts n’est pas trop bousculée ce qui limite les risques de casse. Le vignoble bordelais est mis en place dès le Haut Empire romain grâce à un cépage qui s’acclimate bien aux bourrasques atlantiques puis survit à la chute de l’Empire. Au XIIIe siècle, Bordeaux prospère grâce à l’intensification des relations commerciales, à la multiplication des villes et à la richesse et à la puissance des bourgeois qui augmentent. Ils constituent une grande force de débit et les vins de qualité se vendent plus facilement. La possibilité de débit détermine les lieux où les vignes sont plantées c’est-à-dire à proximité des ports maritimes, des rivières navigables et des grandes routes aptes aux charriots lourds. Il est frappant de voir, comme l’a signalé Roger Dion, que le vignoble bordelais est au Moyen Age un vignoble d’exportation à la suite du mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt qui devient roi d’Angleterre en 1154. Ces vignobles d’exportation se développent à proximité des voies navigables qui permettent l’enlèvement aisé des vins que les rivières portent en coulant vers des centres de consommation ou vers les ports d’exportation. Le vignoble aquitain ne se développe que le long de la Garonne et de tous ses affluents. Les vins descendent les rivières jusqu'à Bordeaux ou Libourne, où ils sont chargés sur les navires de mer. Chaque année, deux flottes de deux cents voiles environ22 viennent chercher les vins, l’une aussitôt après la vendange, l’autre, après les tempêtes de l’hiver qui empêchent la navigation au printemps. Les comptes des douanes anglais permettent d’évaluer à près de 50 000 tonneaux par an en moyenne l’exportation des vins de Bordeaux en Angleterre.

Ainsi, le fait que le vignoble bordelais ait un passé chargé participe à l’admiration que les Américains ont pour ce vin puisque les vignobles californiens ne se sont développés que très récemment.

CHAPITRE 2 : LA NAISSANCE DES VINS CALIFORNIENS

L’économie viticole californienne s’est réellement développée ces trente dernières années bien que cette région bénéficiait de conditions environnementales idéales et d’une longue histoire. Il existait néanmoins quelques précurseurs. En 1769, un moine franciscain fonde un chapelet de mission en Baja puis en Alta Californie jusqu’à Sonoma. Le vignoble de 22

Cité dans RENOUARD (Yves), Histoire médiévale d’Aquitaine, Tome II “Vin et commerce du vin de Bordeaux”, Editions PyréMonde Princi Regue, 2005, p. 21


Santa Clara est créé par des Jésuites de Novitiate de los Santos et en 1782 est effectuée la première récolte de raisins à San Juan Capistrano23. George Hussmann, professeur d’horticulture à l’université du Missouri, souligne en 1866 la capacité de la Californie à devenir un acteur important de l’économie mondiale du vin : « Notre nation est en proie à la fièvre du raisin. Je pense vraiment que notre continent deviendra le plus grand producteur de vin dans le monde. De l’Atlantique au Pacifique, l’Amérique sera un Wineland riant et heureux24. » Et en 1881 il prononce cette phrase aux accents prophétiques : « Nous avons ici le meilleur climat qui soit au monde. Nous pouvons toujours faire un bon vin, même avec les pires saisons. Nous pouvons pratiquer les prix les plus bas. Nous avons la terre entière pour marché25. »

Figure 1 : Carte des vignobles de Californie (Source : Atlas mondial des vins) 23

Cité par SOPPELSA (Jacques), « Géopolitique des pays de vignoble, l’exemple du Nouveau Monde », Vignes, vins et vignerons de Saint-Emilion et d’ailleurs, Actes du congrès d’études régionales, Talence, Maison des Sciences de l’Homme et de l’Aquitaine, 1999, p. 30 24 Cité in PITTE (Jean-Robert), Le désir du vin. A la conquête du monde, Paris Fayard, 2009, p. 245 25 Ibid.


La Californie apparaît comme une personnification des Etats-Unis jeunes, dynamiques et qui réussissent. Par ailleurs, elle a toujours eu une économie riche et semble aujourd’hui tournée délibérément vers le Pacifique et l’Asie, une des économies phares du XXIe siècle. Nous verrons dans ce chapitre que le développement des vins californiens est intrinsèquement lié à deux changements : le premier est d’ordre socio-culturel, le second est d’ordre technique.

2.1 Un changement socio-culturel important Lors de la Seconde Guerre mondiale, des millions de jeunes Américains sont confrontés pour la première fois au vin et à la nourriture étrangère en Europe et en France notamment. Aux Etats-Unis, le vin était alors un produit d’importation de luxe qui n’était pas intégré dans la culture américaine. Si le vin est un produit culturel en France et représente la France à l’étranger, il ne représente pas, de prime abord, la culture américaine. Ainsi, Zelinsky26 résume la philosophie de vie américaine par quatre caractéristiques : un individualisme intense, une haute idée de la mobilité et du changement, une vision du monde messianique (« Les Etats-Unis ne sont pas une nation de plus, mais une nation avec une mission spéciale27 ») et l’importance du perfectionnisme. Par ailleurs, y est développée la croyance en une société qui garantit la liberté individuelle et un système légal. Selon Zelinsky, la Californie a une culture « moralistique » à savoir que le gouvernement a l’obligation morale de servir l’intérêt général des citoyens. Un conflit doit être avorté dès que possible et la culture du consensus domine. La culture américaine va de pair avec l’image d’une société dynamique où le développement personnel domine, où des masses de pauvres peuvent réussir leur rêve américain. Si le vin n’est pas intégré dans la culture américaine, il est même condamné plus ou moins ardemment par certains selon la période. Ainsi de 1919 à 1933 se développe aux EtatsUnis le mouvement de la Prohibition qui se caractérise par une moralisation de la vie des plus pauvres et des femmes soutenu par les pasteurs qui associaient les violences conjugales à l’alcool. L’alcool est en effet considéré comme le « subtil poison du diable28 ». Les partisans de ce mouvement institué par la loi de Renforcement de la Prohibition nationale en 1919 éliminent toute référence positive au vin et à l’alcool dans les manuels, les documents officiels et autres écrits. Jusqu’aux années 1970, il n’y avait rien dans les manuels qui rendait 26

In The cultural geography of the United States, Englewood Cliffs, New Jersey, 1973 Ibid, traduction personnelle 28 Adams, 1984 cité par EYSBERG (Cees D.), The Californian Wine Economy : natural opportunities and sociocultural constraints, a regional geographic analysis of its origins ans perspectives, University of Utrecht, 1990, p. 75 27


compte du secteur de la viticulture quand ils évoquaient les productions agricoles et industrielles de l’Etat. Ils ont même demandé que le mot « vin » soit exclu des œuvres classiques romaines et grecques. Le terme de « wine grapes » a été transformé en « juice grapes ». La Bible publiée par Scribner en 1924 fait référence au « gâteau de raisins » au lieu de parler de vin. Ainsi, les Protestants nés aux Etats-Unis voulaient lutter contre ce qu’ils considéraient comme étant une invasion des valeurs chrétiennes catholiques. Mais les Américains croient en leur rêve américain. Les masses d’émigrants pauvres ont établi une culture caractérisée par le travail motivé par le profit et par les valeurs de petit bourgeois auxquelles le vin appartient. Des hommes célèbres tels que Washington, Stanford ou Jefferson se sont prononcés en faveur de la production et de la consommation de vin. Ils pensaient que la consommation de vin devait faire baisser la surconsommation de gin et de whisky et avoir une influence sur toute la civilisation américaine. C’est tout le fossé quant aux représentations présentes dans l’esprit des Américains du début du XXe siècle entre des hommes de la classe supérieure cultivés et les idées du mouvement de la Prohibition portées par les ruraux, le plus souvent Protestants. Par conséquent, le vin a longtemps été méconnu et mal-aimé aux Etats-Unis. Les attitudes anti-alcool, qui atteignent leur paroxysme durant la Prohibition, ne font guère de différence entre le vin et les autres boissons alcoolisées.

2.2 L’amélioration des techniques Sur le continent américain poussait bien avant l’arrivée des premiers colons Vitis Labrusca, une vigne sauvage. Elle fut remplacée au milieu du XIXe siècle par des cépages européens appartenant à Vitis Vinifera dès 1850. Le développement de la viticulture s'est effectué dans un premier temps avec les moines franciscains qui élaboraient le vin pour célébrer la messe. Le père Junipero Serra a créé une première mission en 1769 à San Diego, la première d’une lignée de 21, étendues tout le long de la Californie. Ces moines élaboraient des vins sucrés et des Brandy (cognac, eau de vie...). La Ruée vers l’or a permis l’installation d’une industrie commerciale du vin en Californie et s’est transformée peu à peu en fièvre du vin. Mais comme en Europe, les Etats-Unis ont dû faire face aux épidémies de phylloxera au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle puis dans les années 1990. Aujourd’hui, c’est la maladie de Pierce, plus dévastatrice encore, qui menace les vignobles.


2.2.1 Un exemple de vinification en rouge au cœur de la Napa Valley : la Swason Winery29 L’exemple de vinification au sein de cette winery sera utilisé afin de montrer les techniques en œuvre au sein de la Napa Valley tout en sachant que chaque domaine a son « winemaker » qui vinifie différemment. La winery possède majoritairement des parcelles de merlot (+ de 54%) mais également du Cabernet-Sauvignon (1.7%) et de la Petite Syrah (2.9%). La vinification est parcellaire, chaque parcelle est encuvée séparément. Pour homogénéiser la vendange ainsi que le SO2 dans la cuve, un remontage sans aération est tout d’abord pratiqué. A la fin du remontage, un échantillon est prélevé pour mesurer la densité du pH et pour dosage de l’acidité totale (AT), de l’azote assimilable, de l’acide tartrique et malique en vue d’une correction du moût. Une macération préfermentaire est conduite sur chaque lot et dure entre 3 et 4 jours à une température idéalement située entre 12 et 14°C pour éviter le départ en fermentation alcoolique (FA). L’objectif de cette macération est de permettre la diffusion des anthocyanes et des tanins en phase aqueuse et d’obtenir des vins plus fruités. Avant le départ en FA, la teneur en sucre et l’AT du moût sont corrigées si besoin. Si à la récolte le taux d’alcool est supérieur à 16% vol., le moût est dilué. Ceci est le cas de la majorité des lots. De même, si l’AT et de pH du moût sont jugés trop bas, ils sont rectifiés par addition d’acide tartrique. Le levurage est ensuite systématique grâce à différentes souches selon le cépage. La macération fermentaire se déroule pendant la FA. Deux remontages quotidiens sont pratiqués afin de renouveler le jus concentré logé dans les interstices du chapeau par du moût moins concentré. Le moût est réparti à l’aide d’un tourniquet. Les lots sont dégustés régulièrement afin de juger l’extraction des tanins. Cette méthode de vinification est clairement bordelaise. Cet exemple de vinification bordelaise présente en Californie montre que les Californiens continuent d’admirer les pratiques toujours en œuvre à Bordeaux et souvent critiquées comme étant au mieux dépassées au pire archaïques. Néanmoins, certains Nouveaux Producteurs n’hésitent pas à utiliser les nouvelles technologies dont ils disposent ainsi que des connaissances toujours plus poussées sur la vigne et le vin, ce qui peut paraître comme étant de la fraude.

2.2.2 Une limite délicate entre fraude et amélioration 29

Cf TAISANT (Guillaume), Vinifications dans la Napa Valley à la Swanson Winery, Mémoire de DNO, Bordeaux 2, 2008, p. 41-49


Les améliorations techniques mises en œuvre en Californie peuvent paraître pour le moins surprenantes. Le plus souvent les consommateurs ignorent ce qu’ils ont dans leurs bouteilles. La plupart des jus sont dilués avec de l’eau filtrée ce qui permet de diminuer le taux d’alcool potentiel. Cette pratique est interdite en France. Les additions d’acides tartriques et d’eau donnent au winemaker la possibilité d’aller chercher des maturités polyphénoliques optimales. Cela entraîne une baisse de l’acidité, une hausse du taux de sucre et même une augmentation d’arômes de surmaturité tels que le pruneau. L’acide tartrique réajustera l’acidité tandis que l’eau diluera les autres paramètres. C’est une application œnologique parfaite mais qui va à l’encontre des équilibres initiaux de la vigne. De la même manière, l’utilisation de sciures qui sont plongées en sachet dans le vin à la manière d’une infusion permet d’obtenir le goût boisé à moindre frais. En France, les copeaux de bois peuvent être utilisés pour les Vins de Pays, mais sont prohibés pour produire une AOC. Tim Mondavi, souligne l’importance du savoir-faire allié aux nouvelles techniques dans le film Mondovino de Jonathan Nossiter (2004) : « En ce moment, Bordeaux est en pleine renaissance. Ils voient bien qu’on ne peut plus travailler dans la tradition. C’est bien beau la tradition mais il faut qu’elle soit entretenue par la technologie moderne. » Ils peuvent aussi utiliser des résines échangeuses d’ions pour désacidifier. Mais la pratique la plus courante est certainement celle qui consiste à faire baisser le degré d’alcoolémie du vin en y ajoutant de l’eau30. La limite n’est donc jamais claire entre amélioration des techniques et fraudes au regard de la législation en œuvre aux Etats-Unis beaucoup plus laxiste que la réglementation française. Mais il faut se garder de toute condamnation péremptoire qui nuirait à l’analyse que requiert ce travail. Néanmoins, nous pouvons penser que le vin est un travail qui rend hommage au travail des hommes et témoigne d’un terroir. Le faire sortir de tubes à essais semble artificiel.

2.3 La concentration du marché californien Il est à souligner qu’il n’y a pas de marché mondial du vin car il n’y a pas de marché boursier. Les importateurs sélectionnent leurs vins sur la base d’une comparaison de leurs cours sur les marchés nationaux respectifs. Par exemple, la fermeté du dollar dans les années 1970 a été un facteur déterminant pour la percée des vins européens sur le marché américain. En revanche, sa faiblesse lors des années 1980 a joué clairement en faveur des producteurs de

30

Ceci nous a été confirmé par M. Lafenêtre.


vins californiens sur le marché intérieur comme sur le marché extérieur. Le fait qu’il n’y ait pas un véritable marché mondial implique l’absence d’indicateur global des mouvements des prix des vins. Les prix des vins sont fixés pour une bonne part au regard de l’offre et de la demande puisqu’il n’y a pas d’accord international afin de les fixer. Les prix sont fixés par l’Etat ou par une instance semi-gouvernementale sur la base de prix indicatifs. 8% de la population achète 80% de la production. Le marché des vins est très fragmenté. Néanmoins aux Etats-Unis, la Californie produit 90% des vins nord-américains. La surface moyenne des vignes destinées à la production de vin est de 26 ha soit 17 fois plus importante que celle d’Europe. Les propriétaires sont le plus souvent des agriculteurs et rares sont ceux qui délivrent l’intégralité de leur récolte à une seule cave. Le vin de table représente 80% de la production mais seulement 55% des recettes, le reste étant constitué par les vins de qualité. Les Etats-Unis représentent le premier marché en valeurs.

Part de marché Part de marché (en volume)

(en valeur)

Italie

30%

29%

Australie

29%

21%

France

14%

29%

Chili

8%

4%

Espagne

5%

6%

Autres pays

14%

11%

Tableau 1 : Parts de marché des importations des Etats-Unis (Source : International Trade Administration, US Department of Commerce, 2006)

L’entreprise Gallo est un bon exemple de la concentration du marché américain puisqu’elle fournie à elle seule 30 % du vin américain, concentration quasi-inexistante en France. En effet, jusqu’à la fin des années 1970, le marché des vins américains était dominé par United Vintners et Ernest & Julio Gallo. Fondé en 1933, Gallo n’importe pas de vins. Si elle achète la plupart de ses raisins majoritairement produits dans la vallée de San Joaquin, ses caves de vinification et d’entreposage sont entièrement intégrées, comprenant fabriques de bouteilles et de capsules d’aluminium et sa propre compagnie de transport. En 1977, Gallo


devient la seule entreprise familiale parmi les quatre plus grands producteurs, et le marché, alors en forte croissance, s’en trouvait encore plus concentré. Plus récemment, en 2004, Constellation Brands, premier groupe viticole du monde, a acheté Robert Mondavi Corporation contre un milliard de dollars. Grâce à cette opération, Constellation Brands creuse son avance sur ses principaux concurrents avec 3.5% de part du marché mondial et contrôle un cinquième du marché américain. Mais les acteurs du secteur se demandent aujourd’hui si un tel rachat ne va pas lancer un nouveau mouvement de consolidation, notamment en raison de la structure même de l’industrie américaine. Une trentaine de gros acteurs représentent 95% des volumes.

Les vins californiens bénéficient donc de la culture américaine adaptée à un produit culturel. Tout semble mis en œuvre afin de l’améliorer et de le rendre toujours plus compétitif sur le marché.

CHAPITRE 3 : DEUX MODELES QUI S’OPPOSENT DANS UN MARCHE DE PLUS EN PLUS ETROIT

Il est certain que les vignobles californiens et bordelais s’opposent par leurs organisations qui leur sont propres A l’efficacité américaine fait face la désorganisation du système bordelais qui paraît à bien des égards opaque. Quelles sont alors les effets de ces différences d’organisation sur les échanges entre les deux pays ?

3.1 La Californie, l’efficacité américaine alliée maintenant au savoir-faire La découverte du vin par le public américain et l’expansion du marché du vin américain sont à l’origine du développement de la production du vin californien.


Figure 2 : Modèle d’interprétation socio-culturel du vignoble californien (Source : à partir de la thèse de Michel Réjalot)

Ce modèle montre l’existence d’une organisation structurelle autour du producteur américain, qui semble conditionné depuis son plus jeune âge. Si nous pouvons dire qu’il existe un modèle d’interprétation socio-culturel du vignoble californien, pouvons-nous dire pour autant qu’il existe une culture américaine du vin ?

3.1.1 Existe-t-il une culture américaine du vin ?


En observant l’augmentation de la consommation de vin par les Américains, quasi inexistante au sortir de la Seconde Guerre mondiale (2.6 litres contre presque 10 aujourd’hui), nous pouvons nous demander si une culture du vin s’est développée aux Etats-Unis. Toutefois, les consommateurs américains sont encore loin du consommateur français qui consomme 53 litres de vin par an.

Consommation totale de vin par résident

Total des vins de table Total des vins

2009

2.5

670 million

767 millions

2000

2.01

512 millions

574 millions

1990

2.05

423 millions

509 millions

1980

2.11

360 millions

480 millions

1970

1.32

133 millions

267 millions

1960

0.91

53 millions

163 millions

1950

0.93

36 millions

140 millions

1945

0.71

27 millions

94 millions

Tableau 2 : Consommation de vin aux Etats-Unis de 1945 à 2009 en gallons31 (Source : Wine Institute)

Il semble de prime abord que les Américains ont un mode de consommation différent de celui des Français. Les nouveaux consommateurs de vin préfèrent en effet les vins blancs sucrés et légers contrairement aux habitudes des consommateurs traditionnels de pays du vin. Le consommateur américain préfère les boissons fraîches et rafraîchissantes, comme le démontre le succès des « coolers », ces boissons fraîches et rafraîchissantes fabriquées à base de vin blanc et de jus de fruit, d’eau et du carbonate ce qui explique la part importante de vin blanc (presque la moitié) dans le volume total des vins de table consommés. Les plus jeunes d’entre eux apprécient les « pop’wines », pauvres en alcool, riches en saveurs exotiques et légèrement pétillants.

31

1 gallon américain = 3.785 litres


Type de vin

1991

1995

2008

2009

Rouge

17%

25%

44%

47%

Blanc

49%

41%

42%

40%

Rosé

34%

34%

14%

13%

Total :

100% 100% 100% 100%

Tableau 3 : Volume de vin de table par type de vin (Source : Wine Institute à partir de The Nielsen Company)

Si la part des vins de table augmente considérablement en volume en pratiquement 15 ans, celle des vins pétillants et des champagnes également. Les 33 millions de gallons de 2009 représentent une augmentation de 3% par rapport à l’année 2008 et constituent 4.3% du total des ventes de vin aux Etats-Unis.

Valeur Vin de

Vin de

Champagne/Vins

Total des

Table

dessert

pétillants

vins

totale de la vente au détail (en dollars)

2009

670

64

33

767

28.7 billion

2005

609

52

31

692

25.8 billion

2000

507

33

28

568

19.2 billion

1995

404

30

30

464

12.2 billion

Tableau 4 : Chiffre d’affaire engendré par le vin au Etats-Unis de 1995 à 2009 en millions de gallons (exportations exclues) (Source : Wine Institute, Département du Commerce)

Aujourd’hui, le consommateur de vin américain témoigne d’une certaine éducation et émancipation. Dans la ville la plus mondialisée des Etats-Unis à savoir New York, les bars à vins se développent rapidement et sont les nouveaux lieux de rendez-vous à la mode. Rien qu’à Manhattan, 75 bars à vins sont ouverts. Les Américains sont connus pour aimer les vins


rouges de cépages très boisés. Mais leur goût semble surtout déterminé par un marketing efficace, qui fait encore défaut en France.

3.1.2 Le poids du marketing S’il existe aujourd’hui une culture américaine du vin, elle se traduit notamment par les stratégies mises en œuvre pour rendre visible le produit puis le vendre.

3.1.2.1 Des étiquettes simplifiées qui gagnent en efficacité Les Américains ont depuis longtemps une approche différente de la production de vin puisque les producteurs partent du marché, du goût des consommateurs, d’une cible privilégiée afin de produire un vin qui leur corresponde là où les Bordelais ont une idée préconçue de ce qui fait un bon Bordeaux. Ils adaptent l’offre à la demande. Le goût des vins de cépages produit de manière quasi industrielle est régulier mais sans surprise. Sur le détail d’une étiquette de bouteille de vin californien ci-contre, le type de cépage est mis en avant : il s’agit du cabernet-sauvignon, information difficile à trouver sur une étiquette Figure 3 : Etiquette de Saint d’un vin français, qui plus est bordelais, noyée dans la masse des Supery (Source de l’image : informations. Les aléas climatiques sont dépassés grâce aux fidelesdebacchus.com) assemblages qui sont réalisées sur des surfaces immenses. En effet, la surface moyenne d’un domaine agricole en Californie s’élève à 128 hectares et le rendement dépasse souvent les 100 hl/ha.

3.1.2.2 Quand le vin devient une marque


L’autre force du marketing californien a été le développement de la marque, à l’image de la famille Mondavi. Tim Mondavi le souligne dans le film Mondovino de Jonathan Nossiter sorti en 2004 : « Robert Mondavi c’est une marque. C’est aussi une personne. La marque, le parent, c’est Robert Mondavi. J’étais sûr que nous pourrions réussir mais pas au point de concurrencer les grands bordeaux et les bourgognes à cause du marketing à la française. » Sur cette étiquette, la marque Mondavi est mise en avant, les cinq types de cépages Figure 4 : Etiquette d’un utilisés sont indiqués en bas à droite. La force de communication Mondavi (Source : des Mondavi est saluée ou décriée. Michel Rolland est admiratif

pastamanvibration.files.wordp ress.com)

devant la « force de communication exceptionnelle des Mondavi » alors que Aimé Guibert, du domaine Daumas Gassac dénonce cet esprit de marque : « La marque c’est la culture anglo-saxonne, Mondavi cultive la marque. Ici [en LanguedocRoussilon] on cultive l’appellation d’origine. On s’aperçoit au bout de 50 ans que c’est

l’appellation qui prime sur la marque parce que la marque, elle s’oublie. » Dans le Bordelais, il semble que seule la famille Rothschild, qui possède des premiers et seconds grands crus classés, utilise la marque de son nom afin de vendre son vin, une marque reconnue dans le monde entier32. Elle a su notamment développer un « vin de marque » comme il est présenté sur leur site officiel33, le Mouton-Cadet. Les cépages utilisés ne sont pas indiqués, seules la marque est mise en avant accompagnée d’un logo ainsi que la région d’origine. Xavier de Eizaguirre, directeur marketing de MoutonRothschild met en exergue le fait qu’ils se sont inspirés du modèle américain : « On est dans un marché mondial, donc à Bordeaux on a dû s’adapter au marché mondial34 ». Cette adaptation va de pair avec une modification, une évolution du goût du vin en fonction de la demande de ces nouveaux consommateurs : « ces dernières années, Bordeaux a évolué vers un vin plus facile à boire, plus boisé35. » Il est à noter que les Français peuvent difficilement rivaliser avec les Figure 5 : Etiquette d’un Mouton Cadet (Source :

Américains sur le plan publicitaire, non pas par manque de moyen idealwine.com) 32

Comme l’a souligné M. Rousseau, négociant, à la Conférence de Sciences-Po Bordeaux à laquelle il a participé le 10 mars 2010. 33 http://www.bpdr.com/default_fr.asp 34 Citation extraite du film Mondovino de Jonathan Nossiter (2004) 35 Ibid.


mais à cause des restrictions de la loi Evin36.

3.1.2.3 … mais une marque qu’il faut vendre Les Américains ont une approche marketing très agressive sur la cible choisie. Pour cela, ils utilisent des concepts. Par exemple, ils mettent en avant le côté familial de leur entreprise alors que leur vin est produit de manière que nous pourrions qualifier d’industrielle. Les Staglin, famille viticole californienne de la Napa, le répètent : « le vin Staglin, c’est les Staglin37 .» Ils emploient lors des vendanges des travailleurs mexicains mais leur offre à chacun une casquette et/ou un tee-shirt à l’effigie de la marque Staglin une fois le travail accompli. C’est la raison pour laquelle les Américains ont inventé les « wineries ». Il en existe plus de 2 400 recensées en Californie en 200738. Il s’agit de grandes propriétés qui produisent du vin. Mais elles possèdent non seulement les équipements nécessaires à la production de vin mais également des entrepôts, des laboratoires et des magasins afin de vendre leurs vins et les produits dérivés variés qui les accompagnent. Bien sûr, les carafes et autres instruments de dégustation sont proposés mais également des photos de la famille, des stylos, des tee-shirts, de la lingerie, chose plutôt inhabituelle en France. Dans certaines d’entre elles, seulement 10% du chiffre d’affaire est réalisé par la vente de vin. Beaucoup de wineries organisent des visites guidées à l’image de celles des Mondavi39 mais également des séances de dégustation dans des lieux somptueux conçus par des architectes.

Figure 6 : La Winery Merus, Napa Valley (Source : stylecrave.com)

Les photos ci-dessus représentent la winery Merus présente dans la Napa Valley. Elle a été conçue par Dutch Uxus Design afin de mettre en valeur l’extraordinaire paysage

36

Cf p. 82 sur la loi Evin. Ibid. 38 Source : Family Winemakers of California 39 Pascal Lafenêtre : « On se croirait à Disneyland » dit-il quand il nous raconta sa visite de la winery Mondavi. 37


californien. Cette winery, qui a ouvert au début de l’année 2009, allie un design minimaliste et une architecture moderne qui lui confèrent raffinement et originalité. Les chais ont été entièrement recréés.

3.1.3 Aujourd’hui, la Californie recherche son identité territoriale Mais la concurrence n’est pas seulement entre pays du Nouveau et de l’Ancien Monde, la concurrence s’accroit également entre producteurs du Nouveau Monde. C’est la raison pour laquelle les producteurs californiens tentent de plus en plus de valoriser un ancrage territorial longtemps délaissé. En effet, par définition, un vin de cépage peut être produit n’importe où, contrairement au vin de terroir. Une tension est alors perceptible dans la recherche de cet équilibre entre vin de cépage et vin de terroir. La Californie (appellation générique California) peut être divisée en grandes régions viticoles elles-mêmes subdivisées en comtés (appellation county), bien que chaque comté soit plus grand que la moyenne d’un département français40. Cette recherche d’identité territoriale à mettre en avant va de pair avec la création des American Viticulture Area (AVA) depuis les années 1980. Les AVA prennent en compte des critères purement géographiques : une aire viticole est définie comme une zone particulière par des caractéristiques physiques propres telles que le climat, le sol, l’altitude. S’il existe au moins 160 AVA aux Etats-Unis, plus de 90 sont californiennes. Pour obtenir la certification, il faut qu’au moins 75% du raisin utilisé pour le vin proposé proviennent de la zone indiquée. Mais au sein de chaque AVA, les vignerons restent libres de planter les cépages qu’ils jugent les plus aptes à un secteur donné, d’irriguer leur vignobles s’ils l’estiment nécessaire, de récolter leur raisin quand ils le souhaitent, de déterminer leur production par hectare (souvent très élevée, 100 hl/ha le plus souvent)41. Néanmoins, la multiplication des AVA en Californie souligne la volonté croissante d’insister sur la qualité des vins californiens. L’AVA permet en effet de valoriser le produit, puisqu’elle est, par nature, impossible à copier. Elle contribue donc à la sophistication de l’offre californienne. Elle permet également de se démarquer positivement de ses concurrents chiliens ou australiens, plus compétitifs le plus souvent en termes de prix.

3.2 Dans le Bordelais, un système unique au monde mais désorganisé

40 41

Cf Carte du vignoble californien p. 14 Cf Annexe p. VI


Face à la concurrence des producteurs du Nouveau Monde qui possède une grosse force de frappe en matière de marketing, les producteurs bordelais tentent de réagir afin de vendre leurs vins.

3.2.1 Vers un packaging plus épuré donc plus efficace 3.2.1.1 Une tentative marketing avortée : l’échec du nœud papillon Les acteurs de la filière vitivinicole bordelais sont tous d’accord pour reconnaître le manque de visibilité du Bordeaux sur les marchés extérieurs et ce, même si le Bordeaux reste célèbre à l’étranger. C’est la raison pour laquelle ils ont décidé de créer en 1983 un logo fédérateur capable de devenir un signe de reconnaissance pour l’ensemble des productions bordelaises. L’idée du verre au nœud papillon symbolise l’élégance, la distinction, le raffinement, ces caractéristiques étant associées inconsciemment au verre de Bordeaux. Le bordeaux bénéficie d’une très bonne image de marque à l’étranger et est associé au vin de qualité. En France, le vin fait partie du patrimoine culturel et est associé systématiquement à un imaginaire puissant structuré par des valeurs fortes et des rituels anciennement et profondément établis. Cet imaginaire semble s’inscrire dans deux cultures complémentaires à savoir une culture de production et une autre de consommation. Si la culture de production va de pair avec la terre, le terroir, les racines, la ruralité, les vignerons et la tradition, la culture de consommation est associée au repas gastronomique, à la convivialité. Si le vin est par définition un produit culturel, il le devient de plus en plus eu égard aux nombreux ouvrages, colloques qui lui sont consacrés. Si la production de vins blancs est importante en Californie laissant de plus en plus une part importante à la production de vins rouges, les bordeaux blancs souffrent d’un déficit d’image. Ils sont considérés comme étant un produit plus féminin qui demande moins de « connaissances » sur le vin qu’un bordeaux rouge plus complexe42. Mais ce logo a été trop critiqué. Il a eu comme effet pervers d’associer les vins de Bordeaux à une espèce de snobisme qui était intrinsèquement lié au nœud papillon, par exemple pour les exportations au Royaume-Uni.

3.2.1.2 Le succès de la marque « Bordeaux » 42

Heureusement que de plus en plus de femmes s’illustrent dans le monde du vin et ont une approche tout aussi intéressante et pertinente que peut être une interprétation féminine. Nous citerons comme exemple, car ils sont trop nombreux, la fondatrice de l’Ecole du Vin des Femmes et Présidente Vitempo,Véronique Dhuit-Aubry tout en nous demandant si une telle initiative n’a pas comme effet de pervers de conforté les préjugés masculins sur les femmes et le vin.


Depuis 1999, un accord interprofessionnel rend obligatoire sur toutes les étiquettes et dans toutes les AOC du vignoble la référence à la principale région de production « Bordeaux ». Cette création d’un nouveau logo rend l’étiquette du bordeaux plus simple, plus facilement identifiable dans le monde entier et va dans le sens d’une simplification des étiquettes tout en ne reniant pas la tradition française de « château » alors même que certains vins sont mis en bouteille hors du domaine viticole sur lequel il n’y a aucun bâtiment qui s’apparente à un château. Néanmoins, nous sommes encore loin de l’efficacité des étiquettes des vins du Nouveau Monde.

Classement éventuel du vin

Image du château Appellation d’origine contrôlée

Degré d’alcool

Marque

Année Contenance

Informations sur le producteur Indications sur la mise en bouteille

Diverses informations : cépages utilisés, robe, accompagnement de plats

Marque

Année Type de cépage utilisé Appellation région d’origine Degré d’alcool (>14°)

Figure 7 : Comparaison d’une étiquette d’un bordeaux et d’un vin californien (Source : chateaulaville.com et jesuiscultive.comIMG/jpg/vin_ca.jpg)


La comparaison à titre d’exemple de deux étiquettes, l’une bordelaise l’autre californienne, montre à quel point les producteurs bordelais doivent encore faire des efforts en matière de clarté et d’efficacité pour l’acheteur potentiel. Si nous trouvons des informations semblables à savoir la marque, l’année, l’appellation d’origine et le degré d’alcool, les cépages utilisés sont mis en avant sur l’étiquette américaine alors qu’ils sont noyés dans le flot d’informations de l’étiquette bordelaise. Si le dessin du château peut apporter une connotation artistique à l’étiquette, il semble surtout qu’il la charge inutilement, même si ce dessin va de pair avec la tradition de château présente dans le Bordelais. Quant aux informations sur un potentiel accord mets/vins, elles sont secondaires.

3.2.2 La vente en primeurs La logique bordelaise se traduit au plan des pratiques et techniques commerciales par quelques singularités notamment sur les grands crus. Le système commercial bordelais des grands vins se signale par l’originalité des critères de fixation des prix. C’est de plus en plus souvent le propriétaire qui fixe le prix et non le négociant. 6 000 invités se sont donc retrouvés fin mars 2010 afin de déguster et de noter ce que certain annoncent comme étant le « millésime du siècle », celui de 2009.

3.2.2.1 Une particularité commerciale bordelaise A Bordeaux, le terme primeur désigne un mode de vente à termes de crus, de la dernière vendange en cours d’élevage. La vente en primeur ne concerne seulement que les grands crus classés et quelques châteaux très « cotés » sur le marché. Leur nombre varie chaque année mais il est compris entre 200 et 300 châteaux. La réussite de la campagne des ventes en primeur est fonction de la notoriété générale du millésime et de la conjoncture économique mondiale. Fin mars, début avril, les viticulteurs réunissent les professionnels et les journalistes pour découvrir le dernier millésime grâce à des dégustations issues souvent des meilleures barriques. Ensuite les journalistes publient leurs commentaires de dégustations accompagnés de leurs notations. De mai à fin juin, les propriétaires proposent leur prix et mettent en vente leurs vins. Les négociants de la place de Bordeaux achètent « ces vins virtuels » à un prix inférieur à celui qui sera pratiqué après la mise en bouteille. Ces vins seront ensuite proposés aux acheteurs français et étrangers. Dix huit mois plus tard, les bouteilles sont livrées aux acheteurs. Pour les grands crus classés, l’attente est un peu plus longue.


3.2.2.2 Historique Les châteaux proposent un prix de vente aux négociants et cèdent virtuellement une partie de leur récolte à un prix préférentiel. Les négociants à leur tour vendent virtuellement ces caisses aux acheteurs. La confiance est alors un facteur clé. La pratique de la vente en primeur est très ancienne en Gironde. Elle remonte au XVIIIème siècle. A cette époque et jusqu’au milieu du XXème siècle, la majeure partie de la récolte des crus était mise en bouteille dans les chais du négoce. La propriété n’avait pas toujours les capacités techniques, ni l’entreposage nécessaire pour procéder elle-même à la mise en bouteilles au château. Cette dernière débute timidement au début des années 1920, à l’initiative du Baron Philippe de Rothschild qui décida que la mise en bouteille de Château Mouton Rothschild serait obligatoire au château pour la totalité de la récolte. Le principe est resté le même : vendre au négoce les vins de la dernière récolte dont la mise en bouteille au château s’effectuera 18 à 24 mois après sa naissance. Héritée d'une pratique séculaire établie entre le négoce et la propriété, la vente en primeur a été ouverte au grand public dans les années 1970. Sa médiatisation est plus récente et ne cesse de croître, depuis que l'Union des Grands Crus de Bordeaux propose chaque année une dégustation ouverte à la presse internationale.

3.2.2.3 Inconvénients Cette pratique va dans le sens des critiques à l’égard des bordeaux qui souligne le fait que son marché est « fermé » et réservé à une élite déjà « introduite dans la place » puisqu’il faut être convié aux dégustations. La vente en primeurs témoigne de surcroît d’une « logique d’amont » autrement dit d’une conception de la fixation d’un prix non pas par rapport au marché selon une adéquation d’offre et de demande banale, mais par rapport aux objectifs du producteur. Cette pratique est assez contradictoire avec tous les dogmes officiels de l’économie libérale qui veut qu’un prix corresponde à ce que le marché accepte de payer pour obtenir le produit. Par ailleurs ce système encourage la spéculation à haut risque et peut jouer un rôle dans les stocks d’invendus selon les critiques émises sur un cru. « La vente en primeur est devenue incontournable et elle a façonné l'image des vins de Bordeaux. Mais l'influence du marché et des critiques américains est trop hégémonique. Robert Parker a assassiné à tort le millésime 2004 et le monde entier a suivi ! Certains avis trop expéditifs et manichéens de gens qui restent deux ou trois jours dans la région ont des conséquences économiques bien


trop grandes. Cela renforce la notion de grand et de petit millésime et encourage ainsi la spéculation43... »

3.2.3 Vinexpo : un succès sans précédent 3.2.3.1 La vitrine du monde du vin à Bordeaux Le salon Vinexpo a été créé en 1981 par Jean-Paul Jauffret et la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux, contre l’avis des négociants bordelais, est devenu le rendez-vous incontournable de tous les professionnels de la filière vins et spiritueux. Il se réunit tous les deux ans aux Parc des Expositions de Bordeaux-lac et lors de l’année intermédiaire a lieu un Vinexpo régional depuis 1998 (Hong Kong en 1998, New York en 2002) et est aujourd’hui présidé par Xavier de Eizaguirre de chez Mouton-Rothschild. Cette année le Vinexpo Asia Pacific se tiendra à Hong Kong les 25, 26 et 27 mai 2010. En 2003 s’est produite une petite révolution quant à la présentation des Bordeaux au sein du salon. En effet, 57 syndicats d’AOC ont décidé de créer un stand unique « Bordeaux » sur une surface de 550 m² afin d’avoir un plus fort impact en ayant une meilleure visibilité pour des acheteurs potentiels. Le principe d’une représentation groupée a donc été arrêté pour toutes les grandes manifestations promotionnelles et commerciales. Cette décision s’inscrit logiquement dans la nouvelle stratégie d’identification du Bordeaux, qui doit faire mettre en avant par tous les représentants de la filière la marque référence Bordeaux. Malgré tout, certains acteurs décident de se démarquer. C’est le cas de la Maison Sichel, maison de négoce, qui a refusé de participer au Vinexpo de 2007. Ils ont préféré inviter à Beaune 40 de leurs distributeurs du monde entier pendant trois journées de travail sur des thèmes particuliers (cépages, qualité, capsules) : « nous avons préféré travailler sur notre réseau que sur la communication extérieure44. » Cette initiative démontre que la filière vitivinicole bordelaise se montre encore réticente à l’idée de se regrouper pour mieux conquérir les marchés internationaux. Pendant les 5 à 6 jours de manifestations fin juin, le vignoble bordelais se transforme en une gigantesque fête où l’art de recevoir à la française s’étale dans les propriétés : dîners de centaines de couverts où sont servis les crus les plus anciens et les plus rares, spectacles, concerts, animations en tout genre dans les chais et les parcs illuminés. Chaque Vinexpo est un prétexte à l’inauguration d’un nouveau chai, d’un nouveau cuvier. 43

Franck Dubourdieu, consultant et critique œnologique cité par Amélie Charnay sur http://www.01men.com/editorial/316471/vin-/ 44 In Histoiriens-Géographes n° 402 de mai 2008


Aujourd’hui, Vinexpo est devenu un exemple de coopération institutionnelle locale car il a su allier les professionnels du vin au monde politique local loin des tensions qui animaient sa création et est une chance extraordinaire pour la filière vitivinicole bordelaise de s’unir face aux régions qui sont en train de la concurrencer.

3.2.3.2 Le Vinexpo 2009 délibérément tourné vers l’international L’édition 2009 s’est déroulée du 20 au 25 juin et a attiré 46 621 visiteurs professionnels de la filière vin et spiritueux en provenance de 135 pays45. Le salon s’étendait sur 41 000 m² de

stands et 2 400 exposants représentaient 48 pays, ce qui constitue « un record d’internationalisation jamais encore atteint ». Même si le nombre de visiteurs est relativement en baisse (-7.56%), le nombre des visiteurs étrangers a augmenté (34% de la fréquentation globale), preuve que ce salon est devenu incontournable pour tous les acteurs de la filière présents dans le monde entier. Officiellement, « le léger retrait de la fréquentation s’explique essentiellement par une présence allégée des circuits Café-Hôtel-Restaurant (CHR), des détaillants essentiellement français et de certains pays qui subissent plus fortement la contraction de leur économie ». Vinexpo a également accueilli 1 367 journalistes venus de 54 pays. La tenue de ce salon à Bordeaux est symbolique : contrairement aux idées reçues qui expliqueraient une partie de la crise du secteur vitivinicole bordelais, Bordeaux essaie de se tourner vers le monde et plus particulièrement vers les pays du Nouveau Monde. Le fait que soit créé un stand unique « Bordeaux » va dans le sens d’une meilleure lisibilité à l’international et marque la force d’un secteur qui peine à se regrouper afin d’avoir un plus fort impact sur les consommateurs. Mais malgré ces efforts, force est de constater le volume d’invendus assez conséquent en 2006 et 2007 non parce que le vin était mauvais, mais parce que les prix des 2005 avaient explosé et que les viticulteurs ont surestimé les prix de vente pour leurs récoltes 2006 et 2007. Les consommateurs n'ont pas suivi. Les cavistes et les grossistes ont annulé leurs ordres d'achat tout comme des groupes tels que Diageo Chateau & Estate Wines. Les stocks sont donc bradés et des bouteilles de Château Lafite 2005 peuvent être vendues aux Etats-Unis pour 9.900 dollars (soit 6.674 euros) la caisse de 12 bouteilles.

3.3 Aujourd’hui quels échanges entre les deux pays en ce qui concerne le vin ?

45

Chiffres issus du site officiel de Vinexpo : www.vinexpo.com


Bordeaux a un passé d’échanges avec le Royaume-Uni ainsi qu’avec les deux autres pays producteurs traditionnels de vin à savoir l’Espagne et l’Italie. Mais grâce à la mondialisation de l’économie, il s’est peu à peu ouvert aux vins américains. Mais ces derniers souffrent d’un manque de reconnaissance et sont victimes d’une mauvaise réputation. Ce qui fait leur succès à l’étranger, à savoir un vin de cépage, sans épaisseur, sans surprise, assez léger, entre en contradiction avec la tradition viticole française.

Superficie (mha) Production de vins (mhl) Consommation (mhl) 1998 2004 1998 2004 1998 2004 11.8% 11.2% 20.6% 19.2% 15.7% 14% France 5% 7.5% 6.7% 9.3% 10.3% Etats-Unis 4.8%

Tableau 5 : Comparaison des superficies, productions, consommation en France et aux Etats-Unis (1998-2004) (Source : OIV et FAO)

Si la superficie des vignobles est légèrement en hausse aux Etats-Unis, elle est en baisse en France, résultat notamment de la politique européenne d’arrachage des vignes pour limiter les surplus46. Par conséquent, la production est légèrement moins importante et ceci va de pair avec la consommation bien qu’elle progresse aux Etats-Unis, tout comme la production. Ces données étant désormais connues, comment se caractérisent les importations et les exportations de vin de ces deux pays ?

3.3.1 Les importations Avec une progression des importations américaines de 16.9 % entre 1996 et 200747, il semble que la France soit moins réfractaire qu’auparavant aux vins de cépage et cette évolution ne cesse de se confirmer. Le vin de cépage semble plaire à de nouveaux consommateurs, souvent plus jeunes, pour lesquels le vin paraît être un produit difficilement accessible. Quant aux Etats-Unis, la France est en terme de valeur le pays ayant exporté le plus de vin avec une augmentation de 6% entre 2004 et 2005. Il est à noter que la France est le pays qui exporte le plus de vins pétillants vers les Etats-Unis, retenant une part de marché de 45% grâce au vignoble et au savoir-faire champenois. Si la qualité des vins français était connue depuis longtemps aux Etats-Unis, les Etats-Unis font confiance aux vins français et de 46 47

Cf p. 81 sur le rôle de l’UE Source : FranceAgriMer Stats 2008


plus en plus d’Américains deviennent amateurs de très bons vins, en témoigne l’exemple de Robert Parker dont le savoir est reconnu dans le monde entier.

3.3.2 Les exportations Les exportations françaises connaissent une embellie en 2006-2007 avec une hausse de 2,3% en volume et 7,7% en valeur. Si les importations se maintiennent en volume, elles augmentent de 40 millions d’euros en valeur. Les exportations de vin vers les Etats-Unis en 2007 représentent 7% du volume en parts de marché mais 13% en valeur48. Les Etats-Unis sont le cinquième client en volume de la France avec 7,6 % de nos ventes, mais le deuxième client en valeur. Les américains achètent principalement du Champagne, du Bordeaux et du Bourgogne. Les VQPRD représente 57 % en volume et 63% en valeur de leurs achats. Le Bordeaux représente 12% des volumes et 20% des valeurs exportés. Les exportations de vin américain ne cessent de progresser depuis 10 ans et sont constituées à 95% par des vins issus de la Californie. 60% des vins californiens ont pour destination l’Europe. Contrairement aux vins bordelais, les vins californiens bénéficient d’une qualité constante d’une année sur l’autre ce qui explique en partie les chiffres des exportations des vins américains en constante augmentation, jusqu’à la période de crise. (cf figure 8).

Figure 8 : Exportations des vins américains 1986-2005 (Source : Wine Institute, 2005)

Mais depuis 2004, les chiffres sont en baisse et sont liés au contexte économique global. En effet, des changements commerciaux

en Europe permettent aux producteurs

européens de transporter leur vin en gros par opposition aux produits déjà embouteillés avec 48

Source : Douanes françaises / UBI France


comme objectif une réduction des coûts et cette baisse est sans doute liée également à la remontée du dollar américain face à l’euro. Il est à noter de surcroît que l’accord sur le commerce du vin signé par l’Union Européenne (UE) et les Etats-Unis le 23 novembre 2005 favorise l’entente commerciale entre les deux pays. En effet, il fait office de compromis. L’UE reconnaît et autorise les pratiques œnologiques américaines interdites en France et les Etats-Unis s’engage à limiter les appellations semi-génériques telles que champagne ou chablis. Si cet accord comble un vide juridique, il ne satisfait pas certains producteurs de vins, français notamment, qui se battent contre les pratiques œnologiques américaines.

Les différences d’organisation de la filière vitivinicole des deux côtés de l’Atlantique n’ont donc pas d’effet sur les échanges entre les deux pays. Chacun tire profit des particularités qui leur sont propres en ne proposant pas sur le marché les mêmes produits et en mettant en exergue leurs atouts.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE « Les vins de France portent haut notre art de vivre, de bien vivre, un peu de douceur, de tendresse et de joie dans ce monde de brutes ». (J.Berthomeaux) Le vin est un produit de civilisation à la lumière du poids de l’histoire qui l’accompagne. Il a été importé du Moyen Orient, région située sur l’arc de crise de Mackinder, là où aujourd’hui-même les conflits sont les plus nombreux et le vin non consommé. Ironie de l’histoire. Il a été au centre des premières routes commerciales entre Bordeaux et le Royaume-Uni, qui perdurent encore de nos jours mais sous d’autres formes. Produit par les hommes, il est aujourd’hui le fruit de représentations des acteurs de la filière. C’est une des raisons qui fait que ces derniers ne se sont pas encore accordés sur une définition mondiale du vin. En effet, le vin est soumis aux représentations culturelles. Ceci est flagrant dans le changement des modes de consommation des Américains et dans la manière dont ils appréhendent ce nouveau produit. Nous sommes face à deux conceptions différentes de la filière vitivinicole : l’une ancrée depuis de longues années dans les représentations des acteurs dans le Bordelais, l’autre copiée sur le système libéral qui fait la force des Etats-Unis à l’étranger. Bien sûr, il faut se garder de toute opposition manichéenne car les nuances sont nombreuses. Néanmoins, les


conflits latents sont perceptibles notamment en termes de conquêtes des marchés. C’est la raison pour laquelle, il convient d’étudier les forces en présence sur les territoires considérés.


SECONDE PARTIE : DES FORCES EN PRESENCE QUI SEMBLENT DESEQUILIBREES

Quoi de mieux pour symboliser le déséquilibre des forces que le dieu du vin entouré de pauvres gens au sein d’un vignoble ? Toutefois, ils partagent tous le même vin.

Le triomphe de Bacchus Vélasquez, 1628 Musée du Prado, Madrid.


Si les vignobles californiens et bordelais concentrent les particularités culturelles relatives aux deux pays, ils s’inscrivent dans des tendances lourdes de la géopolitique à savoir le poids historique entre les deux pays et les conditions naturelles. Dans cette seconde partie, les représentations des acteurs seront mises en avant puisqu’elles façonnent le monde vitivinicole. Nous mettrons en exergue la diversité des acteurs dans le Bordelais. Au contraire, nous montrerons l’organisation de la filière californienne polarisée par des géants de l’industrie. Seront mis en avant ce que nous considérons comme étant de nouveaux acteurs de la filière, à savoir les nouveaux moyens de communication.

CHAPITRE 1 : LE POIDS DE L’HISTOIRE ENTRE LA FRANCE ET LES ETATSUNIS

L’histoire entre la France et les Etats-Unis a été jalonnée d’évènements politiques qui ont modifié les relations entre les deux pays. Il est intéressant d’étudier certains d’entre eux afin de montrer qu’ils ont eu un impact sur le monde vitivinicole. Nous avons fait un choix dans les évènements relatés ici. Nous n’avons considéré que ceux qui nous semblent avoir eu un impact sur la filière et nous les avons classés par ordre chronologique, du plus ancien au plus récent. Le vin est un des plus fervents représentants de la France à l’étranger. Il a donc pâti des crises politiques.

1.1 Des évènements politiques aux conséquences économiques pour la filière vitivinicole La géopolitique du vin se caractérise par des tendances lourdes telles que le poids d’évènement historiques entre les Etats-Unis et la France. Ces derniers peuvent avoir des conséquences sur le marché du vin. Voyons à travers quatre exemples classés les réactions engendrées par des décisions politiques.

1.1.1 Le rôle du plan Marshall à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les échanges de produits agricoles Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est ruinée. Une grande partie du nord de la France est détruite par les bombardements et les nazis ont pillé la plupart de nos richesses, dont les vins font partie49. La question du devenir économique des pays européens 49

Cf à ce propos l’excellent livre de Donald et Petie Kladstrup, La Guerre et le Vin, Tempus, Librairie académique, 2005, 247 p., qui relate une phase cachée de la Seconde Guerre mondiale en ayant fait un énorme travail de documentation. Des acteurs aux noms encore célèbres y figurent.


est au premier plan. Pour des questions de stabilité économique (et pour éviter que l’Europe de l’Ouest ne soit sous le jouc des communistes), les Etats-Unis décident de fournir un crédit aux Etats européens qui le désirent connu sous le nom de plan Marshall, du nom du secrétaire d’Etat des Etats-Unis sous la présidence Truman. C’est ainsi qu’entre 1947 et 1951, treize milliards de dollars de l’époque sont consacrés au rétablissement de seize pays européens. Les Américains ont donc participé aux prémisses de la construction européenne. Les crédits alloués par les Etats-Unis devaient servir à financer des importations en provenance de ce même pays. Les Etats européens encaissaient en monnaie locale le produit des ventes de ces importations sur son marché national, ainsi que des droits de douane afférents. Parallèlement, ils devaient octroyer des crédits destinés à des investissements d’un montant deux fois supérieur à celui qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Les Etats-Unis encourageaient ainsi un effort significatif d’équipement et d’épargne en Europe. L’économie américaine a évité une récession qui était fortement probable à la suite de l’arrêt de la guerre. Leur entrée en guerre a été décisive pour l’activité de leurs industries. Grâce au plan Marshall, la production agricole a augmenté de 11% dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Nous pouvons donc dire que le plan Marshall est à l’origine des échanges entre la France et les Etats-Unis jusqu’à aujourd’hui.

1.1.2 La dévaluation du dollar en 1985 : une condition nécessaire mais pas suffisante du développement des exportations américaines de vin Les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne sont les premiers importateurs et exportateurs mondiaux de produits agricoles et sont également ceux qui soutiennent le plus leur agriculture à l’aide de plans mis en place. Même si l’agriculture des Etats-Unis n’occupe que 1.7% de la population active et ne contribue qu’à 0.9% du PIB, les exportations de vins jouent un très grand rôle dans la dynamique de l’économie du pays du fait notamment du poids culturel lié au vin. Il ne faut pas oublier non plus que la filière vitivinicole génère des emplois et de la richesse dans d’autres secteurs de l’économie à l’image du tourisme par exemple. En 1985, le prix de soutien est fixé au-dessous du prix du marché mondial et des subventions aux exportations sont instaurées. Cela intervient à la suite d’une récession commencée dès le début des années 1980. Le marché mondial stagne, la concurrence se renforce pour les Etats-Unis qui perdent peu à peu leur domination des marchés au profit de l’Union Européenne et du Brésil notamment. Les Etats-Unis sont handicapés par un dollar


fort et par un taux d’emprunt élevé. La loi de 1985 permet d’abaisser ce taux en dessous du prix du marché mondial. Les exportations américaines deviennent plus compétitives ce qui permet de stabiliser le rôle des Etats-Unis sur le marché mondial. Cette dévaluation a des répercussions évidentes sur les exportations de vin puisque ces dernières augmentent sensiblement à partir de 1986 (cf figure 8).

1.1.3 Les essais nucléaires dans le Pacifique en 1995 : une provocation ? Récemment élu, le président Chirac décide le 13 juin 1995 de rompre le moratoire décidé par le président Mitterrand en 1992 et ordonne la réalisation d'une dernière campagne de six essais nucléaires dans le Pacifique. Cette ultime campagne a pour but de compléter les données scientifiques et techniques pour passer définitivement à la simulation. Cette décision est très contestée dans les pays géographiquement les plus concernés et dans les pays d’Europe du Nord à forte sensibilité écologique. Le vin étant un des symboles de la culture française, c’est toute une économie de la filière qui aurait pu être mise en cause. Des baisses importantes de vente de vins français sont déjà constatées en Australie et en Nouvelle-Zélande, deux pays où les exportations de vins français étaient orientées à la hausse depuis quelques années. Le risque vis-à-vis des échanges avec les Etats-Unis était réel même s’ils ne sont pas les plus fervents défenseurs de l’environnement. Mais la reprise des essais nucléaires n’aura eu qu’un faible impact global. Force est de constater que la progression de nos exportations en 1995 indique l'absence de réels effets nocifs de cette campagne sur les exportations françaises. Cette observation se vérifie surtout en termes de progression d'ensemble des exportations, puisqu'en 1995 celles-ci ont crû de 9,2 %. Il faut noter que le vin a connu une croissance à l'exportation de 10,4 %50. L’appel lancé pour boycotter les vins français ne s’est pas concrétisé malgré les réactions engendrées par la décision de reprendre les essais nucléaires.

1.1.4 Le discours de De Villepin à la tribune de l’ONU51 a-t-il engendré un boycott réel des vins français ? Alors que la France affirme son souhait de ne pas s’engager auprès des troupes américaines en Irak et déclare par la voie de son Ministre des Affaires Etrangères que « la

50 51

Cf Journal Officiel du Sénat du 03/08/1995, p.1521 et p. 1810 Cf Annexe p. II-V


guerre est toujours la sanction d’un échec52 », les Américains lancent une grosse campagne médiatique : ils appellent au boycott des produits français et du vin en particulier. C’est à la suite de cet appel que sont diffusées en France des images de New-Yorkais en train de déverser sur les trottoirs du vin français. Le vin constitue à bien des égards une cible optimale : il peut être remplacé par du vin américain (pour la plupart des Américains, il s’agit du même produit) et l’opinion publique était très motivée. Il semble au premier abord que ce boycott ait eu des répercussions sans précédent sur les ventes de vins français aux Etats-Unis. Par exemple, le patron de Monsieur Touton Selection a envoyé une lettre à Jean-Marc de La Sablière, le représentant permanent de la France à l'ONU. Son entreprise est installée à New York depuis plus de vingt ans : «Voici maintenant exactement un mois que la campagne antifrançaise a commencé aux Etats-Unis (...), écrit Guillaume Touton. Je peux maintenant dresser un premier bilan pour ce mois de mars. Nous avons perdu plus de 500 000 dollars de vente de vins français, à peu près 6 000 caisses de différentes appellations contrôlées (...). Durant ce mois de boycott, chaque semaine s'aggrave par rapport à la précédente. Où cela va-t-il s'arrêter ?53» Guillaume Touton parle d'une perte de chiffre d'affaires de 10 % durant le mois de mars, tandis que d'autres évoquent des reculs de 30 % liés à la francophobie galopante. Il a dû prendre des mesures «drastiques». N'ayant pas pu éviter des licenciements, il a lancé une nouvelle campagne de publicité pour Monsieur Touton Selection. Il y affirme être une «compagnie américaine» qui vend des vins du monde entier. Surtout, il précise que tous ses fournisseurs français ont décidé d'ouvrir un fonds spécial, afin de déposer 1 dollar à destination des troupes américaines en Irak par caisse de vin vendu. Et, dans sa lettre à l'ambassadeur français à l'ONU, il se demande si le Président français ne pourrait pas faire «un petit geste, une phrase bien placée, pour montrer un soutien, même petit, vis-à-vis des Américains». Un récent sondage réalisé par Fleishman-Hillard et Wirthlin Worldwide montre que 64% des Américains ont une «appréciation moins favorable» des entreprises françaises depuis le début de la guerre. 46 % des personnes interrogées se disent prêtes à remplacer les produits français par des produits «d'autres origines». «Nous sommes face à une réaction émotionnelle et individuelle de l'Américain moyen», confirme un chef d'entreprise française qui travaille à New York. Les professionnels du vin français sont particulièrement sensibles aux hoquets du marché américain, qui représentait en 2002 près de 150 millions de 52 53

Cf Annexe p. IV Libération, 15 avril 2004


bouteilles pour 938 millions d'euros. Une étude publiée par le Wine Market Report, indique une chute des ventes de vin français de 15,9 % au cours des quatre semaines s'achevant le 23 mars 2003, par rapport à la même période de 2002. Même si ces chiffres doivent également prendre en compte la hausse des cours de l'euro. Est-ce que pour autant un évènement politique majeur de la présidence de Chirac peutil avoir des conséquences sur le monde vitivinicole ? C’est le sujet abordé par Larry Chavis et Philippe Leslie de l’université de Stanford dans l’étude intitulée « Les boycotts des consommateurs : l’impact de la guerre en Irak sur les ventes de vins français aux EtatsUnis54 ». Ils donnent une idée de cet impact en estimant que la baisse représente 13% des ventes avec un pic à 26% neuf semaines après la première mention médiatique du boycott. Ils qualifient ces chiffres de non négligeables, mais comparables avec des fluctuations pour un produit agricole. D’autant plus qu’ils observent une accélération des ventes après le boycott par rapport à l’année précédente. Il semble que ce soit les extrêmes de la gamme des vins qui soient touchés à savoir les plus chers et les moins chers. Les New-Yorkais n’ont certainement pas déversé les meilleures bouteilles sur les trottoirs de Manhattan. Quel est le pouvoir des médias dans cet appel au boycott ? Leur rôle semble très puissant au Etats-Unis mais les données recueillies par les chercheurs n’abondent pas dans ce sens. En effet, lorsque Bill O’Reilly officie sur la très populaire Fox News et appelle très ardemment au boycott des produits français, il semble peu écouté puisqu’au contraire, les chiffres de vente remontaient certaines semaines. Mais il est certain que les consommateurs américains sont capables de se mobiliser de manière significative infligeant une baisse notable au chiffre d’affaire global des vins français vendus sur le sol américain. Les vrais enseignements de cette étude sont ailleurs. Même dans un contexte de nationalisme exacerbé accentué par une forte pression médiatique, les consommateurs font preuve d’une intelligence économique de la consommation. Nous pouvons donc dire que certains évènements politiques ont eu une influence non négligeable sur la filière. Nous voyons encore ici le poids des représentations des acteurs qui guident leurs actions qu’ils s’agissent d’hommes politiques ou de citoyen lambda. Mais plus qu’un produit de civilisation, le vin est un produit national qui représente toute une nation à l’étranger.

54

"Consumer Boycotts : the impact of the Iraq war on French wines sales in the US", NBER Working Paper No. 11981. Etude reprise sur le site www.telos-eu.com consulté le 1er février 2010.


1.2 AOC contre AVA : le choc culturel ?55 Les Appellations d’Origines Contrôlées sont créées en 1935, principalement pour lutter contre la fraude qui s’est largement développée suite à la crise du phylloxéra. Le principe est simple : une zone délimitée en fonction de l’exposition, de la nature du sol par exemple et des règles communes de production. Le tout est strictement noté dans un cahier des charges soumis à l’INAO et à la Chambre d’Agriculture. Aux Etats-Unis, tout ce qui n’est pas reconnu comme étant mauvais pour la santé est autorisé ce qui engendre des pratiques œnologiques assez libres56. Contrairement aux producteurs français, les Californiens n’ont pas peur de se considérer comme de vrais industriels : ils cherchent avant tout à satisfaire les goûts des consommateurs plutôt que de pérenniser un savoir-faire d’où le développement de produits adaptés à une cible. La photographie ci-dessous représente une canette de vin blanc rose. Ce produit est destiné en priorité aux femmes américaines qui préfèrent le vin blanc et qui est facilement transportable et donc buvable.

Figure 9 : Canette de vin blanc californien « Blanc de Blancs » (Source : www.franciscoppolawinery.com)

Les chiffres sont là malgré les critiques françaises: les bons résultats de vente des vins californiens démontrent que la qualité de ces vins est toujours constante. En France, les AOC ont été créées pour éviter un certains nombres de pratiques peu avouables qui étaient pourtant monnaie courante. Mais certaines de ces pratiques sont aujourd’hui autorisées aux Etats-Unis. De surcroît, les Américains n’ont pas hésité à récupérer certaines AOC françaises qui devenaient de simples appellations semi-génériques américaines qu’ils associaient à leurs vins 55 56

Cf carte des AVA en Annexe p. 6 Cf supra p. 17-18


telles que chablis ou champagne. Ceci reflète bien la culture américaine du vin qui, pendant longtemps, n’a attaché que peu d’importance à l’origine des raisins puisque l’assemblage était de mise, et à l’aide d’idées novatrices et d’un marketing efficace a réussi à imposer ses produits sur le marché américain mais également à l’extérieur. Si l’AVA est une zone géographique, elle ne prend pas en compte les critères de production du vin contrairement aux AOC. L’attribution d’une AOC se fait au regard d’ « usages locaux, loyaux et constants57 » considérant que « les conditions de production du produit sont également la résultante d’une culture et d’une histoire ». Contrairement à l’AVA, l’AOC met en exergue des savoir-faire humains qui eux seuls, révèlent le produit à la manière d’un alchimiste. Cette différenciation AOC/AVA semble donc être une différence de culture puisque la production industrielle de vin californien ne laisse que peu de place au savoir-faire des hommes. Néanmoins, il est évident que certains vins bordelais sont produits certes en quantité moindre mais d’une manière qui pourrait être qualifiée d’industrielle alors qu’au contraire, certains producteurs californiens confèrent une large part au savoir-faire.

1991-1995 Production (en millions d’hl)

262.3

1998

1999

2000

2001

236.7 281.4 274.9 267.6

2002 2005 2010 280

280

300

Tableau 6 : Evolution de la production mondiale de vin (1991-2010) (Source : OIV)

Par ailleurs, il semble que l’augmentation de la production mondiale et l’ouverture de nouveaux marchés notamment ceux de la Chine et de l’Inde, favorise l’essor de vins créatifs faciles à boire et qui attirent le consommateur grâce à un emballage intéressant et à une marque mémorisable (cf figure 9). Mais au regard de cette augmentation, il semble que la concurrence va s’accroître sur les marchés. Par conséquent l’ancrage territorial présent dans une AOC ou une AVA sera un atout à faire valoir pour de nouveaux consommateurs en quête de qualité. Ainsi, l’association des vignerons de la Napa Valley a opté pour un nouveau label, "100% Napa", destiné aux vins dont la totalité du raisin utilisé provient uniquement de cette vallée.

57

Loi du 6 mai 1919


Il semble donc que le choc annoncé AOC/AVA n’aura pas lieu puisque ces deux labellisations désignent des caractéristiques sensiblement différentes. Par ailleurs toutes les AVA ne répondent pas aux mêmes normes contrairement aux AOC. Ces deux labellisations témoignent de deux visions différentes de la filière de part et d’autre de l’Atlantique.

CHAPITRE

2:

DEUX

TERRITOIRES

AUX

CONDITIONS

NATURELLES

PARTICULIERES

Une autre des tendances lourdes de la géopolitique du vin est constituée par le poids des facteurs climatiques. En effet, le climat influence le sucre et l’acidité des grappes. La température minimale doit être de +10°C durant la période du mûrissement du raisin, la pluviométrie entre 400 et 600 mm/an, les vignobles ne doivent pas être plantés à une altitude trop élevée (500 mètres maximum) et doivent recevoir un ensoleillement de 1 400 à 2 500 heures de soleil par an. Il est bien évident que le déterminisme physique n’a plus sa place dans la création de nouveaux vignobles puisqu’il existe des vignobles en Ontario où les températures hivernales atteignent -30° et des vignobles argentins situés à 1 700 mètres d’altitude. De plus, la Californie et le Bordelais bénéficient tous deux de la présence de deux océans qui influent différemment sur les vignobles selon leur localisation.

2.1 La diversité californienne La géographie viticole de la Californie offre surprises et diversité. Le vignoble californien qui s’étend sur plus de 200 000 hectares (soit le double du vignoble bordelais) a des caractéristiques physiques complexes. Néanmoins, les riches terroirs sont nombreux.

2.1.1 Contexte : l’importance de l’océan Pacifique Le potentiel d’un vignoble dépend peu de sa latitude mais il est intimement lié à ce qui le sépare du Pacifique. Plus il y a de montagnes entre le vignoble et l’océan, moins les influences marines telles que les brises et le brouillard seront en mesure de tempérer son climat. L’océan est tellement froid sur ce littoral du Pacifique qu’il donne naissance en été à un banc de brouillard perpétuel jusqu’au large de la côte. Chaque fois que la température atteint les 32°C à l’intérieur des terres, l’air chaud en élévation attire la nappe de brouillard qui vient remplir le vide ainsi créé. Partout où les monts n’atteignent pas 460 mètres


d’altitude, le brouillard, si ce n’est pas l’air froid du Pacifique, s’infiltre et vient refroidir les terres. Les vents frais du Pacifique sont happés avec une telle efficacité au dessus de la baie de San Francisco qu’ils arrivent à influer sur le climat des contreforts de la Sierra, à quelques 240 kilomètres à l’est du littoral. La baie brumeuse de San Francisco est le principal régulateur de climat. La pluviométrie annuelle n’est pas exceptionnellement basse mais les pluies ont tendance à se concentrer dans les premiers mois de l’année. Elles remplissent les lacs de retenue qui sont utilisés pour l’irrigation durant l’été. Mais à l’automne, des pluies inattendues peuvent provoquer des ravages. En effet, la rareté des pluies en automne permet aux viticulteurs de laisser la vigne sur pied presque aussi longtemps qu’ils le désirent ou que le veulent les producteurs auxquels ils vendent le raisin.

2.1.2 Le relief : une composante originale du climat du vignoble californien Bordé à l’est et à l’ouest par des montagnes, le vignoble californien a un profil atypique. Sa diversité est étonnante. C’est la raison pour laquelle nous avons fait un choix dans les exemples cités. La Napa Valley est entourée par les montagnes. Le vignoble s’étend sur 50 km entre Carneros au sud et Calistoga au nord avec une orientation principale sud-est/nord-ouest. La topographie de la vallée évolue selon le cours de la rivière Napa. Au sud se trouve l’estuaire ; large de 8 km environ et ses collines. Au nord, la vallée se rétrécit et les montagnes sont de plus en plus présentes : le mont Saint Hélène à l’est et les montagnes Mayacamas à l’ouest. La Sonoma Valley, à l’est de la Napa Valley, est bordée à l’est par les montagnes Mayacamas et à l’ouest par les montagnes Sonoma. Le vignoble s’étend sur 30 km entre Carneros au sud et Kenwood au nord, avec une orientation principalement sud-est/nord-ouest comme pour la Napa Valley. Un air frais qui arrive de la baie de San Francisco permet de rafraîchir les hautes températures estivales. La pluviométrie annuelle varie entre 500 et 800 mm / an. L’appellation de Carneros, située juste au nord de la Napa Valley, bénéficie d’un climat océanique. Les vents marins venant de la baie de San Pablo limitent les températures estivales rarement au dessus de 27°C. La pluviométrie annuelle varie entre 450 et 600 mm/an. L’appellation de Yountville, bien plus au nord, bénéficie quant à elle d’un climat méditerranéen sous influence océanique. L’altitude des vignobles étant comprise entre 180 et 650 m, les parcelles sont généralement situées au dessus de la nappe de brouillard ce qui


permet des nuits plus chaudes. L’altitude permet également des jours plus frais. La pluviométrie varie entre 870 et 1270 mm/an. Le vignoble californien est donc situé à la limite occidentale de la vigne. Très varié, il est compliqué d’émettre des généralités géographiques.

2.2 La diversité du vignoble bordelais : l’importance des sols La structure et le type de sol présents dans le Bordelais sont très marqués et il est délicat d’identifier un type de sol précis à la qualité d’un premier cru. Dans une même partie du vignoble, et surtout dans le Médoc, il est communément admis que « le sol change à chaque pas ». Néanmoins, il est possible de déterminer des conditions naturelles présentes sur tout le vignoble. L’océan Atlantique joue un rôle de régulateur important : il permet au vignoble d’avoir des hivers assez doux et des étés chauds. Les fleuves, la Garonne ou la Dordogne, permettent de réguler la température de jour comme de nuit pour éviter les gelées, comme ce fut le cas en 1991. Les forêts, très nombreuses, permettent de protéger les vignobles des vents marins salés, cause de gelée par blocage de la circulation d’air. Les sols du vignoble bordelais se sont développés sur des dépôts datant du Ternaire ou du Quaternaire, les premiers cédant généralement la place à des sols calcaires ou argileux, tandis que les autres sont constitués de graviers sablonneux alluviaux que la fonte des glaciers du Massif Central et des Pyrénées a déposé sous la forme de monticules il y a des centaines de milliers d’années. Ces graviers sont particulièrement visibles dans les Graves, d’où le nom, à Sauternes et dans le Médoc. Le docteur Gérard Séguin, de l’université de Bordeaux, a été l’un des premiers à chercher à montrer le rapport entre le sol du Bordelais et la qualité du vin58. Il a étudié les sols graveleux du Médoc où les ceps bien enracinés produisent un grand vin parce que les graviers régulent parfaitement l’approvisionnement en eau. Il a découvert qu’un apport modéré d’eau avait plus d’importance que la composition des sols. Cornelis Van Leeuwen a quant à lui été plus loin en démontrant qu’il n’y a pas de corrélation absolue entre profondeur des racines et qualité du vin. Le facteur clé de la qualité semble être la régulation de l’apport en eau plutôt que la profondeur des acines très variable d’un site à l’autre : 7 mètres à Margaux mais 0.40 mètres sur le plateau à l’ouest de Saint-Emilion.

58

In JONHSON (Hugh) et JANCIS (Robinson), Atlas mondial du vin, Édition Robert Laffont [5e édition], p. 85


« La relation entre sol et qualité du vin permet de conclure que les meilleurs terroirs se distinguent surtout les années où la récolte est moindre et qu’ils peuvent ainsi assurer une qualité permanente59. » Evoquer les conditions naturelles présentes sur les deux vignobles considérés dans notre étude, permet de relativiser leur importance. Il est possible de produire un bon vin presque partout actuellement, au regard de l’importance croissante du savoir-faire humain. C’est en ce sens que nous pouvons nous interroger sur le concept de terroir.

2.3 Le concept de terroir signifie t-il encore quelque chose ? La notion de terroir pose aujourd’hui problème. Utilisé comme un argument de vente, le terroir semble perdre peu à peu en authenticité. Tous les viticulteurs souhaitent aujourd’hui mettre leur terroir en valeur même si cette notion a longtemps été moins reconnue hors d’Europe. Dans le dictionnaire agricole de Larrousse, le terroir est défini comme ayant « des aptitudes agricoles particulières dues à la nature du sol, au microclimat local, à l’exposition des coteaux60 ». Cette définition rend compte d’un point de vue strictement naturaliste. Hugh Johnson abonde dans ce sens61 : « le terroir est une notion qui englobe tout ce qui a trait à l’environnement physique d’un vin (la composition du sol, le climat, l’exposition au soleil, le choix du cépage etc.) » Quel est alors le rôle du terroir dans l’élaboration du vin ? Un terroir où tous les éléments semblent parfaitement optimisés et associés produira-t-il un vin exceptionnel ? Il semble qu’il n’en est rien. Roger Dion le rappelle : « le rôle du terrain dans l’élaboration d’un grand cru ne va guère au-delà de celui de la matière dans l’élaboration d’une œuvre d’art62. » En effet, ces caractéristiques physiques sont une condition nécessaire mais pas suffisante pour produire un bon vin. Dans le contenu d’un terroir viticole il ne faut surtout pas oublier l’importance « du savoir-faire paysan, perfectionné de génération en génération ou récent, mais révélant toujours une facette des potentialités de l’espace considéré63. » JeanRobert Pitte insiste sur cet aspect qu’il faudrait mettre plus en valeur en France : « Chaque terroir peut élaborer du très bon vin et doit le faire si ses exploitants veulent prospérer64. » « Chaque vigneron, chaque maître de chai est libre de ses choix et possède donc le pouvoir de 59

Ibid. In PITTE (Jean-Robert), Le désir du vin. A la conquête du monde, Paris Fayard, 2009, p. 285 61 In JONHSON (Hugh) et JANCIS (Robinson), Atlas mondial du vin, Édition Robert Laffont [5e édition], p. 26 62 In DION (Roger), « Querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de la qualité du vin », Annales de Géographie, LXI, nov.-déc, 1952. 63 In PITTE (Jean-Robert), Le désir du vin. A la conquête du monde, Paris Fayard, 2009, p. 288 64 Ibid., p. 285 60


tirer des accents personnalisés du sol, du climat du millésime, du matériel végétal et des raisins récoltés dont il a la charge65. » L’avenir des terroirs se dessine de manière ouverte. Pas besoin de les figer puisqu’ils sont évolutifs, l’essentiel est de les faire vivre et de les exploiter avec imagination. Notre époque confrontée à la mondialisation a besoin de reconnaître la différence des lieux et des hommes à tout instant. L’originalité et la qualité de la production sont le seul avenir de la viticulture, ce qui ne veut pas dire le luxe. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à devenir des amateurs éclairés savant faire la différence entre un vin technologique et un vin géographique qui ressemble à son environnement et porteur de la sensibilité des profondeurs. Contrairement à ce qui est proposé dans le rapport Pomel, le terroir n’est pas un luxe et doit être à la portée de tout le monde. Preuve en est, les viticulteurs californiens cherchent de plus en plus à valoriser leur terroir aujourd’hui. Ceci démontre le rôle clé du savoir-faire des hommes dans la notion de terroir.

CHAPITRE3 : LA DIVERSITE DES ACTEURS

La filière vitivinicole est une filière difficile à appréhender du fait notamment de la diversité des acteurs qui la composent. De surcroît, comme nous l’avons vu précédemment, la Californie et le Bordelais ont choisi deux modèles de développement différents qui vont de pair avec leur fonctionnement, qui fait appel à des acteurs différents, même si certains d’entre eux sont incontournables à l’image des viticulteurs.

3.1 A Bordeaux, le « bazar vitivinicole » Il n’est pas simple d’étudier l’ensemble de la filière bordelaise tant elle est hétérogène, disséminée voire même éclatée. L’influence des différents acteurs se modifie selon l’époque, l’étape de production ou de vente du vin. C’est en ce sens que nous pouvons parler de multipolarité. Pour faire simple, un seul acteur est sensé représenter toute la filière à savoir le Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) mais ce dernier est bien souvent décrié. Nous présenterons dans ce chapitre quelques acteurs de la filière, sachant que ce choix est loin d’être exhaustif, en partant de la base à savoir les viticulteurs et les vignerons en remontant jusqu’au CIVB.

65

Ibid., p. 283


CIVB

Fédération des Grands Vins de Bordeaux Fédération des Syndicats du Commerce en Gros Vins et Spiritueux de Bordeaux et de la Gironde Syndicat des Courtiers en vins et spiritueux du Sud Ouest

Organisme de Défense et de Gestion (ODG) Union des Maisons de Bordeaux 93 courtiers

+ Syndicat du Commerce en gros des Vins du Libournais

8 650 viticulteurs

300 maisons de négoce

Figure 10 : Schéma simplifié de l’organisation de la filière vitivinicole à Bordeaux (d’après les sources du CIVB)

Mais il convient de garder à l’esprit que ce que nous sommons « bazar viticole » est aussi visible sur une carte des différentes appellations de Bordeaux. Il est difficile de s’y retrouver sans être un connaisseur.


Figure 11 : Carte des différentes appellations de Bordeaux (Source : Atlas Mondial du Vin)

3.1.1 L’importance des viticulteurs et des vignerons Les viticulteurs et les vignerons sont les deux acteurs essentiels à la production de raisin. Dans la région bordelaise, ils sont 8 650 à se partager 120 000 ha de vignes soit une


moyenne de 13.9 ha par exploitation, ce qui est très peu par rapport aux grands domaines californiens. Si le viticulteur cultive uniquement la vigne, le vigneron, s’il peut également cultiver la vigne, peut produire son vin. Le viticulteur peut être soit propriétaire de l’exploitation soit un ouvrier-technicien, parfois même les trois à la fois selon la taille de l’exploitation66. Le vignoble demande un soin attentif et il n’y a pas de règles générales, il faut sans cesse actualiser le programme en fonction des aléas climatiques. Un orage de grêle peut détruire une récolte, des raisins qui mûrissent trop vite seront à l’origine d’un vin très fortement alcoolisé. De manière générale, il doit labourer la terre afin de l’aérer, mettre du fumier et de l’engrais. La vigne peut être plantée à la main ou à l’aide d’une machine. Il doit tailler la vigne suffisamment pour qu’elle repousse bien l’année d’après mais pas trop pour ne pas qu’elle mette trop de temps à repousser, la sulfater pour la protéger des maladies potentielles. Mais le viticulteur ou l’ouvrier viticole peut aussi participer à la fabrication du vin en pressurant ou foulant le raisin, en vinifiant, en chaptalisant et en surveillant les fermentations qui produisent l’alcool à partir du sucre contenu dans les raisins. C’est la raison pour laquelle il doit posséder des notions de pédologie, de climatologie mais également de biologie et de chimie. S’il est propriétaire, il doit avoir des notions d’économie, de comptabilité et de droit.

3.1.2 Le rôle des caves coopératives Elles peuvent être considérées comme étant l’équivalent des wineries en France même si le concept de coopérative est difficile à accepter dans la culture américaine. Elles contrôlent aujourd’hui environ 40% de la production bordelais67 et vinifient un volume équivalent à une bouteille sur quatre pour toute l’Aquitaine. La région bordelaise regroupe 45 caves coopératives et 3 500 producteurs. Une cave coopérative est une société de personnes qui a décidé de se regrouper autour d’un projet commun en respectant le principe de libre adhésion, d’acapitalisme68, de gestion démocratique, et d’exclusivité puisqu’une coopérative ne peut rendre service qu’à ses membres et sur un territoire précis. En adhérant à une cave coopérative, le viticulteur s’engage pour une durée déterminée à souscrire des parts sociales et à livrer tout ou une partie de sa récolte. 66

M. Lafenêtre et M. de Raignac font partie de ce cas tandis que M. des Ligneris est propriétaire et assemble son vin mais ne taille pas ses vignes. 67 Source : CIVB 68 C’est-à-dire que les résultats sont répartis en fonction de l’activité et non pas du capital


Les caves coopératives sont apparues dans le Midi au début du XXe siècle et regroupaient à l’époque des viticulteurs pauvres d’une même commune afin d’investir dans du matériel commun, matériel toujours très coûteux, et pour mettre sur le marché des quantités suffisantes pour faire pression sur les acheteurs. Il existe aujourd’hui le principe des Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole (CUMA) qui est une forme de société coopérative agricole permettant aux agriculteurs de mettre en commun leurs ressources afin d'acquérir du matériel agricole.

3.1.3 Une fonction de relais entre le négociant et le

Figure 12 : Le début des courtiers (d’après la « Chronique bordelaise » de 1566

vigneron : le courtier La fonction de courtier est très ancienne : elle fut codifiée pour la première fois à Paris par le Roi Philippe IV dit Le Bel, le 12 mars 1321. Aujourd’hui, le courtier rapproche le viticulteur du négociant grâce à une grande connaissance des vins. C’est en cela qui fait office d’interface entre vendeur et acheteur. Il est le garant moral d’une vente et suit à cet égard l’acheminement des vins du producteur au négociant. Ils sont aujourd’hui 93 à fixer la cote officielle des vins de la Place de Bordeaux et sont consultés à titre d’expert lors de la semaine des primeurs afin de fixer le prix des vins vendus. Le courtier prélève en général 2% de la transaction en rémunération de son service. Ils exercent dans un secteur précis et limité du vignoble dont ils connaissent tous les viticulteurs et le vin qu’ils produisent. Ils ne doivent jamais prendre partie pour le négociant ou le viticulteur 3.1.4 Les négociants vont-ils disparaître ? Acteur historique de la filière autrefois implanté au cœur de la ville de Bordeaux, le négociant doit sans cesse se renouveler afin de garder la confiance des acheteurs. Néanmoins, le rôle croissant de la grande distribution, la fixation de prix trop élevés, le fait de favoriser toujours les mêmes crus sont des critiques formulées à leur égard qui pourrait à termes, entraîner la disparition de la profession.

3.1.4.1 Historique Au XIe siècle, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenet, futur roi d’Angleterre, fait naître une nouvelle classe de marchands qui commercent avec l’Angleterre.


Au XVIIe siècle, ce sont les Hollandais qui s’installent à Bordeaux, complétés par les négociants d’origine germanique au XVIIIe siècle69. Ils s’installent dans un quartier situé hors de la cité, le long de la Garonne, dans un quartier appelé Chartrons en raison de l’existence d’un ancien monastère de Chartreux. C’est ainsi que les Chartrons sont le quartier historique des négociants bordelais.

N

500 m

Localisation du quartier des Chartrons à Bordeaux (Source : Carte personnelle faite à partir de Michel Réjalot)

69

Cf l’article p. 71 de P. Butel et C. Domblides « Le négoce des vins de Bordeaux dans la première moitié du XIXe siècle : l’exemple de la maison Cruse et Hirschfeld » in LE GARS et ROUDIE (dir.) Des vignobles et des vins à travers le monde, Collection « Grappes et Millésimes », Presses universitaires de Bordeaux, 1996.


3.1.4.2 Une spécificité bordelaise : la Place de Bordeaux La Place de Bordeaux est une entité collective des 300 négociants bordelais par lesquels transitent bon an mal an 70 à 80% des volumes produits dans le département. Elle travaille à l’export dans plus de 160 pays et est constituée par les syndicats de Libourne et de Bordeaux. « Elle s’apparente un peu à une place de la Bourse : par exemple, si une bouteille vaut 50 euros, elle est vendue au moins 60 euros. Si le négociant la garde elle vaudra entre 70 et 80 euros car il y a un phénomène unique d’intervenants qui travaillent sur les étiquettes. Le prix du vin augmente car chaque personne qui le détient veut faire une plus-value dessus. Ce système est unique à Bordeaux car le négoce travaille sur des exclusivités : propriétés ou négociants qui vendent directement» explique M. Rousseau, Négociant pour Diva Wine70.

3.1.4.3 Le rôle double du négociant Le négociant a une activité commerciale de vente des crus sélectionnés. Mais une importante part de son activité constitue à élever des vins commercialisés sous des noms de marque. Ainsi, des vins achetés en vrac sont assemblés et élevés puis proposés sous des marques commerciales qui apportent la garantie d’un savoir-faire pour les consommateurs et un approvisionnement régulier aux distributeurs. Le négociant est un acteur qui connaît parfaitement le marché et les nouvelles techniques. Il participe donc à la modernisation des pratiques en développant des partenariats avec des châteaux. Mais le grand rôle que jouent les négociants dans la filière vitivinicole à Bordeaux est à double tranchant. S’ils participent à la dynamique du marché, ils peuvent être décriés quand ils n’achètent pas un vin, ce qui met le viticulteur dans des difficultés financières évidentes, ou quand ils achètent volontairement un vin à un prix bas. Ainsi si les viticulteurs sont amenés à vendre leur vin par leurs propres moyens, cela signifie t-il la mort du négoce bordelais à termes ? M. Rousseau répond à cette question en disant que « pour les grands crus, j’en doute, pour les petites propriétés je ne le souhaite pas. Internet peut être une solution ou une aide», ce qui n’est pas très encourageant, surtout au regard des invendus de 2006 et 2007 après que les négociants ont gonflé à foison les prix des crus 2005. Par ailleurs, il faut souligner le rôle croissant de la grande distribution qui relègue le négociant au second plan. Ce problème est souligné par Allan Sichel, PDG de la Maison Sichel à Bordeaux71 : « La problématique de la

70

Cf Annexe p. XI Cité in « Trois interviews de négociants en Champagne, à Bordeaux et en Bourgogne : entre histoire personnelle, caractère du négoce et stratégies commerciales », Historiens et Géographes n° 402, mai 2008. 71


concentration de la grande distribution est réelle, car la valeur ajoutée pour le négociant dans ce canal est relativement faible. De plus en plus de ces grands distributeurs sont capables de traiter directement avec la propriété, en particulier les caves coopératives qui s’organisent pour ne plus passer par le négoce. Donc finalement, qu’apporte le négociant ? (Réflexion) On peut imaginer que l’avenir pour ces grands groupes de grande distribution aille vers des liens directs avec de grosses unités de production, style caves coopératives. Mais, d’un autre côté, ces grands distributeurs veulent aussi une gamme de vins de Bordeaux, j’imagine avec des modes de fonctionnement légèrement différents par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. »

3.1.5 Un acteur pivot de la filière : le Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) Le CIVB est organisme privé créé par une loi, celle du 18 août 1949. Il est placé sous la tutelle des ministères de l'Agriculture et des Finances et soumis au contrôle économique de l'État. C’est une sorte d’ « ovni juridique » comme il en existe pour les vins de Cognac et de Champagne. Il réunit en son sein toute la filière vitivinicole bordelaise autrement dit le négoce, le courtage et la viticulture. Le CIVB est chargé de trois missions à savoir une mission de promotion, une mission de marketing, et une mission qui concerne la recherche et la qualité.

ECONOMIE

Assurer la connaissance de la production, du marché et de la commercialisation des vins de Bordeaux dans le monde

RECHERCHE ET QUALITE Faire avancer les connaissances, préserver la qualité des vins de Bordeaux et anticiper les nouvelles exigences en matière d’environnement et de sécurité alimentaire

- Anticiper les évolutions et proposer des mesures de gestion économique - Assurer l’expertise des marchés et cerner l’environnement des vins de Bordeaux

MARKETING

Soutenir l’action des commercialisateurs et développer la notoriété des vins de Bordeaux dans le monde

- Campagnes nationales - Direction et financement d’une trentaine de contrats de recherche et d’expérimentation (2010-2013)

publicitaires - Promotion sur lieux de vente - Relations publiques et presse - Formation - Développement internet

Tableau 7 : Descriptif des différentes missions du CIVB (Source : www.bordeaux.com)


Le CIVB est un acteur pivot de la filière du fait des ressources dont il dispose. Par exemple, le budget marketing est passé de 1.1 million d’euros en 1971 à 20.8 millions d’euros en 2010. Au contraire des interprofessions alsacienne et champenoise, il semble que le CIVB ne joue pas son rôle de régulateur du marché72. Il facilite la circulation de l’information en matière économique mais n’est pas en mesure d’imposer des solutions contraignantes. En revanche, il entreprend de nombreuses actions de promotion. Elles constituent un enjeu central en termes de répartition des ressources entre les familles concurrentes. Mais il est à souligner que ces actions sont sous le regard permanent des élus ce qui limite son champ d’intervention. Malgré tout, le CIVB est un acteur pivot de la filière au regard de sa capacité d’action sur les acteurs publics, de son rôle en termes de circulation de l’information ou de sa politique de marketing. Le CIVB prépare l’après-crise. Pour cela, il a fait appel à une société de réflexion stratégique qui analyse les atouts et les faiblesses de la filière. Des propositions concrètes seront faites en juillet à propos de la compétitivité des entreprises, de la marque de « Bordeaux », du terroir. Néanmoins, depuis 2005, de nombreuses critiques sont émises à l’égard de la gestion de la crise vitivinicole par le CIVB73. La première concerne l’insuffisance de son soutien aux « véritables » (tout est dans l’adjectif…) politiques de promotion du vin de Bordeaux. Le CIVB aurait privilégié des campagnes de publicité élitistes et insuffisamment ciblées. Certains vont même jusqu’à dire que le CIVB ne soutient que les grands crus74. La deuxième critique émise concerne le rôle de la prévention et d’avertissement qu’aurait dû jouer le CIVB dans l’avant-crise. Il n’aurait pas informé les professionnels des risques de déséquilibre entre l’offre et la demande. Enfin le CIVB est accusé de ne pas définir une stratégie claire et globale. Mais il semble que le CIVB concentre surtout les tensions inhérentes à la filière car il semble qu’il soit vain de concilier les deux tensions principales qui sous-tendent la filière. La première oppose négociants et producteurs et la deuxième oppose parmi les producteurs les riches et les pauvres, pour le dire très simplement. L’organisation de la filière vitivinicole à Bordeaux est complexe car les différents acteurs peinent à se regrouper. L’individualisme paraît être encore de mise malgré quelques 72

HINNEWINKEL (Jean-Claude), Les Terroirs viticoles. Origines et devenirs, Bordeaux, Éditions Féret, 2004, p.150 73 SMITH (Adam), DE MAILLARD (Jacques) et COSTA (Olivier), Vin et politique. Bordeaux, La France, la mondialisation, Presses de Sciences-Po Bordeaux, 2007, p.188-197 74 Cette idée a été exprimée à de nombreuses reprises lors de nos rencontres avec des “petits” viticulteurs bordelaise selon lesquels le CIVB se désintéressent totalement de leur sort. M. Feredj nous a assurés du contraire…


timides initiatives. Ainsi, nous sommes face à plusieurs pôles d’influence et d’attraction, qu’ils soient politiques (les municipalités, les départements, la région) ou publiques (les associations). C’est en ce sens que nous pouvons parler de la multipolarité de la filière vitivinicole bordelaise.

3.2 En Californie, le poids des géants vitivinicoles Les acteurs californiens de la filière s’organisent dans un contexte de libéralisation de l’économie. Si la filière bordelaise semble désorganisée, les acteurs la filière californienne, bien que très variés, savent se regrouper afin d’accroître leur efficacité sur le marché national mais aussi international.

3.2.1 Mondavi ou comment devenir un géant vitivinicole Robert Mondavi, né en 1913 à Virginia (Minnesota) est la figure emblématique de la Californie car il a contribué très fortement à la renommée de ses vins. Après des études d’économies et de direction d’entreprise à Stanford, il rachète avec son frère en 1943 le vignoble Charles Krug, fondé en 1861 dans la Napa Valley. Cette exploitation est alors la première d’importance à s’établir en Californie depuis la levée de la Prohibition.

Figure 14 : Portrait de Robert Mondavi (Source : inconnue)

Dans les années 1960, il sillonne le monde à la recherche de ce qui se fait de mieux dans le monde du vin et en 1965 il créé son propre domaine « Robert Mondavi Winery » situé à Oakville au cœur de la Napa. Un an plus tard il crée avec le baron Philippe de Rothschild « Opus-One75 ». Aujourd’hui, le domaine, qui est coté au Nasdaq76 depuis 1993, représente 120 millions de bouteilles, 500 millions de chiffres d’affaire par an et 200 mille visiteurs. Robert Mondavi fait office de précurseur car il a fait découvrir au monde entier la qualité des vins californiens et a su développé les concepts de labellisation et de vins de cépage. Jean-Claude Boisset, négociant en vin, le reconnaît : « Le rôle de Mondavi dans la

75 76

Cf p. 88 Le Nasdaq est le deuxième marché d’actions américain juste derrière le New York Stock Exchange (NYSE).


réussite des vins californiens est essentiel. De toute évidence il raisonne en homme d’affaire, mais reconnaissons-lui la qualité d’être avant tout un passionné de vin et de qualité77 […] » Mondavi a toujours été convaincu que la mise en place d’une politique de la marque, déclinée à travers des marques ombrelles était la solution la plus pragmatique. A titre d’exemple, la société Mondavi a lancé en octobre 2000, soit bien avant le début de la crise, une campagne de publicité télévisuelle de 11 millions de dollars pour soutenir sa marque Woodbridge. En 2004, le groupe Constellation Brands a racheté la cave Mondavi pour près de 1.36 milliard de dollars. Mondavi était affecté par une surproduction de raisin dans le vignoble californien et avait annoncé son intention de vendre ses marques de luxe, qui ont contribué à façonner sa réputation, au profit de vins bon marché. Le siège historique à Oakville est néanmoins conservé.

3.2.2 Un exemple d’association californienne : « La Famille des Viticulteurs californiens78 » Présidée actuellement par Paul Kronenberg, cette association a été formée pour répondre au besoin des petits producteurs de faire entendre leurs voix dans les décisions de politique publique. Elle rassemble en 2007 740 membres et est structurée par une winery. Néanmoins, l’association n’empêche nullement ses membres de vendre indépendamment de la winery ses vins et ses dérivés. Elle a pour objectifs de faire que tous les points de vue soient pris en compte dans les politiques menées. L’association organise de surcroît trois dégustations par an. Comme la plupart des associations américaines, son influence est amplifiée en recourant au système du lobbying. Cette association est un bon exemple de la capacité des Californiens à se regrouper afin d’augmenter leur influence. Ils sont conscience qu’ils défendent les mêmes intérêts, ce qui fait encore cruellement défaut dans le Bordelais. L’organisation de la filière vitivinicole californienne semble être à l’image de l’organisation de toutes les autres industries américaines. Elle allie le regroupement à des stratégies de lobbying afin d’augmenter son influence et son poids dans le monde du vin ce qui explique en partie l’augmentation ces dernières années de ces exportations. 77

Cité dans BLANDIN (Pascale), TORRES (Olivier), « Un cas d’entrepreneuriat comparé France - Etats-Unis : l’affaire Mondavi », Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, 2006, p. 10 78 http://www.familywinemakers.org/


3.3 Le rôle des nouveaux moyens de communication Les nouveaux moyens de communication sont des acteurs à part entière de la filière vitivinicole car ils jouent un rôle croissant soit dans la vente, soit dans la consommation de vin voire même dans les décisions qui concernent sa production.

3.3.1 Le cinéma et la télévision sont devenus deux acteurs de la filière Deux films sortis en 2004 et réalisés tous deux par des Américains ont eu une importance non négligeable dans le monde du vin. Il s’agit de Mondovino réalisé par Jonathan Nossiter et de Sideways réalisé par Alexander Payne. Si Mondovino est un documentaire qui semble dresser de manière manichéenne des petits producteurs traditionnels contre des gros groupes mondialisés, Sideways est un film qui met en avant l’amour d’un homme pour les Pinots Noirs californiens. C’est une des raisons qui a contribué à la hausse des ventes de Pinots Noirs aux Etats-Unis en 2005 de plus de 70%. Mondovino a été accueilli de manière mitigée par la profession, notamment à Bordeaux. Le groupe Rothschid n’a pas aimé la manière dont le réalisateur l’a présenté, preuve que le film a de l’influence sur les consommateurs. Aux Etats-Unis a été créée une émission de téléréalité nommée « The Winemakers79 » et diffusée sur la chaîne Public Broadcasting Service (P.B.S.) dont le succès ne cesse de s’accroître depuis les premiers épisodes. Douze candidats s’affrontent autour de défis liés à la vigne et au vin et sont évalués par un jury de professionnels. Les épisodes ont des thèmes précis comme le terroir, l’accord des mets et vins, des thèmes surprenants et novateurs pour le consommateur américain, souvent novice en matière de vin. Ceci va de pair avec une tendance générale aux Etats-Unis : mettre en avant l’identité territoriale des vins pour ne plus se cantonner aux vins de cépage. Cette idée est renforcée par le fait que la deuxième saison se déroulera en France, dans la Vallée du Rhône. Mais cette émission met aussi en avant des thèmes que les Américains maîtrisent bien à savoir l’étiquetage des bouteilles, le commerce du vin, les marques. Elle semble être un bon compromis des tendances culturelles actuelles. En France, la création d’une chaîne de télévision consacrée au vin fait actuellement débat. Cette démarche vise à « réhabiliter la culture du vin80 » et à le présenter dans toute sa dimension culturelle et historique de manière pédagogique et ludique. « Ce sera un chaîne qui

79

Cf leur site officiel : http://the winemakers.tv/about Jean-Michel Peyronnet, ancien rédacteur en chef de la Revue viticole internationale et responsable éditorial de la future chaîne cité dans Terre de Vins n° 05, juin 2010.

80


montre les gens qui font le vin. Qui valorise la nouvelle génération et honore l’ancienne81. » Les émissions s’accompagneront de dégustations interactives destinées à guider le consommateur dans ses choix. C’est la raison pour laquelle la création de cette chaîne se heurte jusqu’à présent au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) puisque la loi Evin règlemente de manière drastique toute communication et toute publicité sur les boissons contenant de l’alcool. La chaîne prévoit alors d’émettre au Luxembourg pour ne rien changer à leur grille de programmes. Un autre projet de chaîne consacrée au vin a vu le jour, celui de Deo Vino qui, en revanche, respecte la loi Evin. Seront au programme des débats, des émissions d’information faites en collaboration avec le Ministère de la Santé. La création de supports audiovisuels va donc dans le sens d’une plus large diffusion du vin en tant que produit culturel de part et d’autre de l’Atlantique. Elle va de pair avec une démocratisation de ce produit considéré bien souvent comme élitiste. Le rôle du cinéma ou de la télévision dans le choix des consommateurs ou des professionnels qui ne cesse de s’accroître ces dernières années montre qu’ils sont devenus deux acteurs de la filière.

3.3.2 Internet et son rôle croissant dans la vente Internet peut être un bon moyen de faire connaître et de promouvoir son vin sans un budget marketing élevé. Au regard des nombreux sites développés sur des châteaux à Bordeaux ou des marques californiennes, il semble que les producteurs aient bien compris la plus-value qu’Internet pouvait avoir pour eux. La vente sur Internet prend de plus en plus d’importance. Un site peut être une plateforme de vente directe d’un gros producteur si celui-ci peut employer des personnes qualifiées afin de le mettre en place82. Mais il s’agit le plus souvent d’entreprises qui se sont créées pour acheter puis de revendre par le biais d’Internet leurs achats aux particuliers à la manière des négociants bordelais. C’est ainsi que s’est créé le site Findwine.com sous l’impulsion de deux jeunes Français. En plus de proposer de vendre plus de 115 000 bouteilles, le site a pour but de « mettre en lumière un marché opaque et rassembler une offre parfois très éparpillée83. » Le site compare les prix et les appréciations et donne aux consommateurs des outils indispensables à une consommation avertie. Mais, si les négociants ne vendent qu’à la profession et connaissent parfaitement leurs vins grâce à une relation 81

Ibid. Pour exemples les sites de vente de Mondavi (store.robertmondavi.com) et de Gallo (http://gallo.com/shop/ShopOnline.html) 83 Cité dans Terre de Vins n° 05, juin 2010, p. 9 82


privilégiée avec le producteur, il semble plus que douteux que ces plateformes mises à la disposition du consommateur ne soient dirigées par des personnes aussi proches de leurs terroirs que peuvent l’être les négociants. Internet est donc un bon moyen de rendre accessibles des vins du monde entier pour un consommateur averti, car force est de constater qu’il est difficile de se repérer parmi l’étendue de l’offre proposée sur un site et entre les sites. Mais la vente par Internet semble paradoxalement accroître les inégalités entre les producteurs dont le vin est présenté ou ceux qui peuvent employer du personnel compétent afin de développer une plateforme de vente virtuelle et ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Néanmoins, la vente par Internet peut s’avérer être un bon compromis pour vendre son vin car elle ne nécessite pas la construction de nouvelles infrastructures qui seraient très coûteuse à condition que le producteur décide soit d’employer une personne qualifiée soit de se former lui-même afin de s’en occuper.

3.3.3 Le poids des critiques-œnologues « star » Depuis ces vingt dernières années se sont développés de nouveaux acteurs au sein de la filière dont l’importance ne cesse de s’accroître. Il s’agit de personnes qui ont reçu une formation d’œnologues mais qui sont devenues de véritables stars dans l’univers du vin. Mais comme toute personne qui a une influence notable, ces critiques-œnologues sont souvent décriés. 3.3.3.1 Robert Parker Robert Parker, né en 1947 à Baltimore (Maryland) aux Etats-Unis, est un avocat de formation qui est devenu au fil des années le critique le plus redouté de la planète du vin. Il s’est fait connaître par la publication de ses dégustations du millésime 1982 de Bordeaux. Il a révolutionné le monde du vin à Bordeaux avec ses notes sur 100, qui sont facilement interprétables par les Américains. Il commente lui-même son parcours : « Si on dit que Robert Parker Figure 15 : Portrait de Robert a légué quelque chose au monde, c’est de mettre tout le monde au

Parker (Source : inconnue)

même niveau dans ce monde si stratifié, dans ce monde de castes soumis à des élitistes et des réactionnaires. Robert Parker aura apporté un point de vue américain et démocratique. Ça c’est révolutionnaire !84 »

84

In Mondovino, Jonathan Nossiter, 2004.


Il s’est souvent élevé contre des pratiques susceptibles de dénaturer les vins telles que l’acidification ou la filtration, allant à contre courant de ce qui se passe aux Etats-Unis. Par ailleurs il prône un faible rendement sur les parcelles ce qui permet une meilleure concentration des arômes. Il vante le fait qu’il soit totalement indépendant dans son travail (« Je n’ai jamais compromis mon indépendance, j’ai toujours écrit ce que je pensais85 ») même si sa connivence avec certains producteurs ne fait plus mystère. Son influence est telle que certains producteurs n’hésitent pas à modifier leur vin pour satisfaire les goûts de Parker. Marie Schÿler, cliente de M. Rolland, le reconnaît à demi-mots : « C’est quelqu’un de très honnête, simple. […] On n’adapte pas nos vins en fonction de lui mais c’est quand même important d’avoir une sorte de bénédiction86. » En effet, une bonne note dans le Guide Parker va de pair avec une augmentation des prix des bouteilles et garantit presque inéluctablement la vente de la totalité des bouteilles. Mais cette influence mondiale est décriée. Il lui est reproché de participer à la standardisation du goût du vin dans le monde en appréciant des vins élevés dans des fûts neufs par exemple. Aimé Guibert le condamne à cet égard : « Si un joueur de flûte passe dans votre village et vous enchante, vous aurez écouté une belle musique et vous aurez eu du bonheur. Moi j’admire. Parker a découvert la musique qui fait danser les Bordelais. C’est remarquable. Il dit « ce que j’aime est bon et ce que j’aime le plus est le meilleur87 ». Michel Rolland au contraire salue son influence : « Ceux qui sont mal notés par lui se disent à un moment donné il faudrait évoluer, il faudrait changer88.» Néanmoins, Robert Parker a le mérite de juger un vin pour ce qu’il est et non pas pour la marque qu’il représente. Il a eu par ailleurs le mérite de faire connaître les Bordeaux aux Etats-Unis.

3.3.3.2 Michel Rolland Michel Rolland est né la même année que Parker mais à Libourne. Il a reçu une formation d’œnologue et est aujourd’hui conseiller en vinification pour plus de 100 propriétés dans 12 pays (Hongrie, Italie, France, Espagne, Portugal, Maroc, Afrique du Sud, Argentine, Chili, Mexique, Etats-Unis). Il dit lui-même qu’il est Figure 16 : Portrait de Michel Rolland (Source : inconnue) 85

Ibid. Ibid. 87 Ibid. 88 Ibid. 86


devenu un « flying winemaker ». Il a comme objectif de toujours « faire mieux » où qu’il soit. Il est le plus fervent défenseur de la micro-oxygénation en France, technique dont il use dans toutes les propriétés dont il a la charge. Tout comme Robert Parker dont il est proche, il est décrié car accusé de participer à l’uniformisation des vins de la planète. Il ne se défend pas de faire des vins en conformité avec ses propres goûts : « Il y a obligatoirement une personnalité et un style. Le goût c’est très intuitif. Il y a une patte Michel Rolland89. » Mais le fait qu’il fabrique un vin en fonction de ses propres goûts est critiqué. Michael Broadbent, directeur des vins depuis 1967 chez Christie’s : « M. Rolland vient de Pomerol. Il veut convaincre d’utiliser des raisins bien mûrs. Il veut faire du Pomerol dans le Médoc, il veut faire du Pomerol partout dans le monde. Mais il ne l’admet pas90. » Même si sa grande ambition dérange (« je serai le premier à planter de la vigne sur la lune91 ! »), M. Rolland semble toujours très attaché à sa région d’origine dans laquelle il a investi en créant notamment un laboratoire à Pomerol.

Si les acteurs de la filière vitivinicole sont diversifiés et organisés différemment dans le Bordelais et en Californie, ils ne cessent d’évoluer. C’est la raison pour laquelle il est intéressant de les mettre en valeur. Ils sont les témoins directs de l’évolution de la filière et sont ancrés dans un contexte.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE Evoquer les conditions naturelles nous permet de relativiser leur importance à ce jour. En effet, les progrès techniques indéniables permettent de mieux saisir les conditions nécessaires à l’épanouissement des vignes. Ils permettent de surcroît de créer ces conditions si ces dernières ne sont pas présentes au sein du terroir. Tout ceci permet de mettre une fois de plus en valeur le rôle du savoir-faire des différents acteurs de la filière et l’importance de leurs représentations : certains préfèrent adapter leurs vignes aux conditions naturelles et travailler avec, d’autres créent tout un environnement favorable pour fabriquer le vin qu’ils ont imaginé a priori. Les acteurs étudiés dans cette seconde partie témoignent de différences inéluctables entre les deux vignobles étudiés. Les acteurs californiens de la filière paraissent organisés, hiérarchisés et donc efficaces. En revanche, les acteurs bordelais, si une hiérarchie est

89

Ibid. Ibid. 91 Ibid. 90


évidente, semblent moins organisés et agissant de manière beaucoup plus individuelle. Ainsi, il convient désormais de dresser un bilan de ces deux organisations. Il semble aujourd’hui que la filière vitivinicole doit faire un choix entre viticulture traditionnelle et viticulture industrielle.


TROISIEME PARTIE : VERS UN TOURNANT INELUCTABLE DE LA FILIERE VITIVINICOLE ?

Capsule contre bouchons en liège, symbole de ce tournant (Source : findawine.com)


Dans cette troisième et dernière partie, nous essaierons de mettre en avant des initiatives qui permettraient de palier la crise actuelle et ce, des deux côtés de l’Atlantique. Pour cela, nous nous attacherons à définir les caractéristiques de cette crise. Par la suite, nous insisterons sur des initiatives positives d’acteurs qui permettent d’être optimistes quant à l’avenir. Mais ces initiatives ne sont rien face à une règlementation mal adaptée à la situation actuelle. Nous aborderons donc l’importance de réformer certaines de ces réglementations, dans le Bordelais comme en Californie. Enfin, ce mémoire insiste sur les représentations d’acteurs de la filière. C’est la raison pour laquelle nous terminerons par mettre en exergue deux initiatives qui nous paraissent intéressantes et nous expliciterons les raisons de ce choix.

CHAPITRE 1 : UNE « CRISE » GLOBALE DU SECTEUR VITIVINICOLE ?

La crise du secteur vitivinicole ne fait plus mystère depuis quelques années et ce, partout dans le monde. Pourtant, c’est paradoxalement à Bordeaux où sont produits des vins connus dans le monde entier et réputés comme ayant les plus grands crus que les effets de la crise sont les plus remarquables. A cause de la crise économique, les expéditions de vins français à l'international ont baissé de 8,7% en 2009 par rapport à 2008. Les prix des grands millésimes chutent, chez les négociants comme à la bourse. Mais les vins du Nouveau-Monde, qui semblent pourtant en plein essor, sont eux aussi touchés par une crise globale du secteur. « Un grand nombre de wineries connaît des difficultés et devrait changer de mains cette année », a expliqué Micheal Mondavi lors du Congrès International des Vins Fins qui s’est déroulé en Espagne du 28 au 30 avril 2010. Il a également précisé que les acteurs dans la Napa Valley avaient dû réduire les prix de leurs vins très haut de gamme d’au moins 50 %. Il n’est pas inutile de rappeler ce que nous nommons « crise ». Le rapport de 2004 présenté par Joseph Guimet au Conseil Économique et Social (« Les conséquences économiques et sociales des crises agricoles ») souligne la difficulté de définir la notion de crise dans le secteur agricole du fait de ses nombreuses variabilités. L’auteur du rapport définit dans un premier temps la crise comme étant « une rupture d’équilibre entre l’offre et la demande, entre la production et la consommation, caractérisée par un effondrement des cours et des prix, voire une chute des revenus, pouvant se traduire par une augmentation du chômage et par une fragilisation des exploitations92. » Il rappelle ensuite que diverses 92

Cité dans GINTRAC (Alain), « La crise des vins de Bordeaux : une recherche d’explications », Market Management 2007/3, Volume 7, p. 64


typologies des crises ont été présentées (crise conjoncturelle et crise structurelle, crise de la demande versus crise de l’offre, crise superficielle et crise profonde ou encore crise de surface traduisant des péripéties accidentelles et crise de fond manifestant de véritables ruptures). Il semble alors que la situation des vins de Bordeaux peut être qualifiée de crise au regard de l’excédent de l’offre sur la demande, de la diminution de la demande, de la chute des prix et de la fragilisation réelle de certaines exploitations. L’augmentation des stocks est un indice important de la situation de déséquilibre.

1.1 Pourquoi parlons-nous de « crise » ? Le discours le plus répandu est celui qui met en cause depuis plusieurs années la concurrence déloyale des vins du Nouveau Monde.

N

Figure 17 : La production des quinze principaux Etats viticoles et son évolution (Source : geoconfluences.ens-lsh.fr consulté le 22 mars 2010)

Si la production américaine a longtemps augmenté elle tend aujourd’hui à se stabiliser alors que les viticulteurs français sont sommés pour certains d’arracher leurs vignes. La production a doublé en 10 ans en Californie pour atteindre 20 millions d’hectolitres (cf figure 17).

1986-1990 1991-1995 1996-2000 France

64 641

52 886

56 271

2000

2001

2003

2004

57 541 53 389 46 360 57 386


Etats-Unis

18 167

17 619

20 386

21 500 19 200 19 500 20 109

Tableau 8 : Production de vin de 1986 à 2004 (en milliers d’hl) (Source : OIV)

S’il est difficile de caractériser la crise actuelle des vins de Bordeaux, cela est principalement dû à la multiplicité des facteurs. Certes, la concurrence des pays producteurs du Nouveau Monde n’est pas à remettre en cause. Ceci entraîne une chute des productions dans les pays de l’Ancien Monde puisque ces nouveaux pays achètent désormais leurs propres vins. L’inflation des prix des vins français peut également faire partie des causes de cette crise. Si la France pensait avoir le monopole en matière de grands vins, elle a dû se rendre à l’évidence en découvrant que la Californie pouvait produire des vins de grande qualité. La baisse de la consommation du vin est significative en France et participe à ce constat de crise alors qu’elle ne cesse d’augmenter aux Etats-Unis, le vin séduisant de nouveaux consommateurs (cf tableau 9).

1969

1975

1983

2004

France

112.44

103.7

85

54.8

Etats-Unis

4.43

6.54

8.4

8.2

Tableau 9 : Consommation mondiale de vin de 1969 à 2004 (en L/hab) (Source : Atlas mondial du vin) En France, la tolérance zéro au volant, les campagnes publicitaires contre la consommation d’alcool se sont multipliées et ont contraint les consommateurs qui étaient des consommateurs réguliers de vin à devenir des consommateurs occasionnels. En revanche, de plus en plus d’Américains découvrent le vin, produit associé à un certain niveau de vie. Enfin, la complexité de l’offre française tend à effrayer un potentiel client étranger. A Bordeaux, les AOC représentent la moitié du vignoble. Conçues pour répondre à une demande générée dans les années 1990-2000 de Bordeaux AOC en vrac, elles ne correspondent plus à la demande actuelle. C’est la raison pour laquelle de nombreuses exploitations sont aujourd’hui en difficultés. Seulement 15% du volume de l’AOC Bordeaux rouge trouve preneur pour l’élaboration des vins de marque.


Ceci montre que l’origine principale de la crise des vins de Bordeaux ne peut être la mondialisation, souvent mise en cause par les viticulteurs. Quant à la crise ressentie jusqu’en Californie, elle semble être plutôt due à la crise économique globale qui touche tous les produits agricoles. 1.2 Analyse de la crise vitivinicole à Bordeaux Si les vins de Bordeaux sont si réputés à l’étranger, c’est notamment grâce au facteur qualité et à l’image traditionnelle qui sont intrinsèquement liés à eux. Mais cette image positive peut se transformer en handicap. Le secteur vitivinicole semble alors tourné vers le passé et incapable de réagir efficacement aux menaces actuelles. Mais il faut se garder de toute analyse manichéenne, au regard des nombreuses améliorations réalisées dans les investissements, dans l’aménagement des chais, des progrès techniques réalisés en viticulture.

1.2.1 Evolution des superficies des vignes et ses conséquences : le choix des AOC De 1964 à 1984, la superficie des vignes toutes natures baisse régulièrement à un rythme quasi constant d’un peu plus de 8% par décennie. En 1984, le vignoble bordelais connaît sa plus faible extension. Par la suite, les superficies augmentent, d’abord à un rythme élevé puis à un rythme plus lent. Ainsi, la superficie du vignoble en 2004 est légèrement supérieure à celle de 1964. Mais ce chiffre global masque des phénomènes plus spécifiques tels que la part des vignobles produisant des vins de table (VT) et ceux produisant des AOC (cf tableau 10). Années Superficies totales Variation % 1964

112 000

1974

102 900

-8.1

1984

94 300

-8.4

1994

117 500

+24.6

2004

124 200

+5.7

Tableau 10 : Evolution des superficies totales plantées en bordelais de 1964 à 200493 (Source : CIVB)

La distinction entre VT et vins d’AOC est fondamentales puisque Bordeaux est réputée pour la variété et la diversité des ses vins AOC. En 40 ans, les vignes produisant des 93

Cité dans GINTRAC (Alain), « La crise des vins de Bordeaux : une recherche d’explications », Market Management 2007/3, Volume 7, p. 74


VT ont quasiment disparu alors que les surfaces plantées en AOC ne cessent d’augmenter (cf tableau 11). La tendance s’est complètement renversée.

1964

2004

Variation

Superficies

%

Superficies

%

Totale

Annuelle

Surfaces totales

112 000

100

124 200

100

+10.9%

2.6‰

Surfaces VT

42 000

37.50

1 200

0.97

-91.5%

-8.5

Surfaces AOC

70 000

62.50

123 000

99.03 +75.7%

+1.4

Tableau 11 : Evolution des superficies selon la nature des cépages entre 1964 et 200494 (Source : CIVB)

Si les superficies augmentent, logiquement la production doit augmenter à condition que les rendements à l’hectare ne diminuent pas. Mais à Bordeaux, la production moyenne a augmenté ayant pour conséquence une baisse des prix de vente. Ce changement est le résultat de deux effets95. Gintrac parle d’un « effet quantité » tout d’abord qui se traduit par l’augmentation des volumes produits. Ceci engendre un excédent de l’offre sur la demande avec deux conséquences à savoir la baisse des prix et l’augmentation des stocks aussi bien en propriété que dans le négoce. Il évoque ensuite un effet qualité : une augmentation de la production mais de faible qualité qui revendique cependant l’appellation à laquelle leur donne droit leur situation géographique. Par conséquent, la filière bordelaise peine à tirer profit de son organisation.

1.2.2 Des stratégies mises en place discutables Nous avons vu que les acteurs de la filière bordelaise peinent à se regrouper pour trouver ensemble des solutions à leurs difficultés. Ils doivent se soumettre aux pouvoirs publics français mais le plus souvent européens. Ces derniers partent du constat simple qu’il y a un excédent de l’offre mondiale de vin et qu’il faut donc réduire la production. C’est ainsi qu’ils prônent une politique d’arrachages subventionnés. Ensuite ils observent que ce sont les vins de cépages vers lesquels vont de plus en plus de consommateurs. C’est la raison pour laquelle ils veulent limiter les appellations et les châteaux en créant des marques qui seraient à même de diffuser des volumes importants grâce à une communication adéquate. 94 95

Ibid. Ibid., p. 77


Néanmoins, si ce raisonnement paraît logique sur le papier, il ne semble pas traiter le fond du problème. Les acteurs bordelais de la filière ne semblent pas vouloir se regrouper autour d’un même projet à l’image des tensions internes présentes au sein du CIVB. Comment serait-il possible qu’ils renoncent chacun à leur identité propre pour se noyer au sein d’une marque générique ? De plus, il est clair que les coûts de production des vins dans le Nouveau Monde ne peuvent être atteints dans le Bordelais. Le gouvernement américain ferme les yeux sur la masse des travailleurs sans-papiers mexicains qui viennent travailler dans les vignes californiennes. Par conséquent, nous sommes à un tournant de la filière puisqu’un véritable choix de société s’offre aux acteurs : se tourner vers une viticulture industrielle à l’image de ce qui se fait majoritairement en Californie ou conserver une viticulture traditionnelle en sachant tous les défauts qu’elle comporte aujourd’hui.

1.3 Des alternatives à la crise Le Président du CIVB souligne que les ventes de l'année 2009 ont été « catastrophiques », avec des exportations en baisse de 14% en volume et de 23% en valeur, pour preuve que la crise n’est pas terminée. Il a cependant constaté que lors des trois derniers mois une reprise qui pourrait indiquer que le plus dur de la crise est passé et que les millésimes 2009 pourraient aider le secteur à récupérer à nouveau. De surcroît, des solutions semblent possibles afin de faire évoluer la filière.

1.3.1 Dans le Bordelais 1.3.1.1 Vers une organisation du tourisme vitivinicole dans le Bordelais ? Une opportunité à exploiter Il est étonnant que dans une des régions les plus attractives avec 22 millions de touristes par an sur les 82 millions qui viennent en France chaque année96, aucune structure ne gère l’activité œnotouristique dans le Bordelais. Les études de l’Agence française d’ingénierie touristique (AFIT) montrent que les touristes étrangers représentent 33 % des visiteurs des caves. 45 % des touristes étrangers citent la gastronomie et les vins comme un critère important de leur visite en France. 29 % disent même qu’ils ne viennent que pour la gastronomie et les vins97. 96

Chiffres issus de www.tourisme-aquitaine.fr et de www.tourisme.gouv.fr consultés le 17 mai 2010. Cité dans CESAR (Gérard), Rapport d’information de la Commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat sur l’avenir de la viticulture française, 2002.

97


L’Aquitaine a une offre formidable grâce à l’océan et aux Pyrénées mais quand les touristes arrivent soit à la gare Bordeaux-Saint Jean soit à l’aéroport de Mérignac, il n’y a aucune structure pour les renseigner. Certes, il est difficile de créer une véritable route du vin à l’image de ce qui existe déjà en Alsace par exemple du fait de l’étendue du vignoble bordelais et de la diversité des terroirs. Si la France est le premier pays en nombre de touristes par an, Bordeaux pourrait mieux structurer l’offre touristique liée au vin. Bordeaux attire grâce à son passé, ses vignobles, la réputation de son vin, ses évènements, ses paysages. La rencontre du consommateur en vacances avec le producteur semble primordiale. D’abord curieux, disponible, réceptif puis initié, il sera le meilleur ambassadeur du vignoble. Le développement de l’œnotourisme a une double finalité : offrir une source de revenu supplémentaire aux viticulteurs et développer la promotion du vin98. L’œnotourisme peut être un moyen de pallier les difficultés financières des viticulteurs en diversifiant leur activité. Mais il est à souligner que cette activité s’accompagne indubitablement de frais : il faut pouvoir accueillir les touristes grâce à des structures (bâtiments, parking, toilettes), il faut pouvoir les renseigner en engageant du personnel qui parle plusieurs langues notamment. Il faut également faire un choix entre tourisme de masse et tourisme culturel notamment ce qui entraîne des conséquences sur l’environnement au regard des infrastructures nécessaires. Néanmoins, la multitude des acteurs liés à l’activité touristique et l’absence de politique touristiques claire sont un frein à la visibilité des initiatives créées dans le Bordelais. De plus en plus de structures destinées à accueillir les touristes se sont créées ces dernières années mais ne sont regroupées autour d’aucune entité à l’image des centres de dégustation de plus en plus nombreux par exemple le long de la route menant rive droite à Pauillac. M. Feredj a souligné ce problème : « Il apparaît aujourd’hui qu’il soit nécessaire d’avoir une politique touristique. Mais le comité régional du tourisme se heurte aux comités départementaux. Il n’existe aucune coordination entre ces différents organismes. Une réforme des collectivités territoriales apparaît comme étant cruciale afin d’attribuer des compétences claires à chacun99. » Certains ont fait le choix clair du développement de l’œnotourisme à l’image du village de Saint-Emilion, (2 124 habitants en 2006 selon l’INSEE), classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. S’il semble que le village n’ait pas été dénaturé par de grosses structures modernes, les magasins présents en centre-ville sont principalement destinés à accueillir les touristes, majoritairement étrangers. Les devantures des magasins sont

98

Cf BASTIAN (Jean-Paul), La vigne, le vin : atout pour la France, rapport au Conseil économique et social, Paris, 2008, p. 23 99 Cf Annexe p. XXI


écrites en anglais, les cavistes proposent des envois à l’étranger gratuitement, un parking a été créé à l’entrée du village.

Figure 18 : Quelques exemples de l’activité œnotouristique à Saint-Emilion (Source : photographies personnelles)

L’œnotourisme semble être un bon moyen de valoriser la culture et le patrimoine viticoles. 1.3.1.2 Le projet du centre culturel et touristique dédié au vin à Bordeaux Le projet du centre culturel et touristique est un projet porté par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui vise 400 000 visiteurs par an. Son ouverture est prévue en 2014, sur une surface de 10 000 m² située près des Bassins à flots et à proximité du futur pont. Le projet est estimé à 55 millions d’euros. Le CIVB a promis 6 millions tout comme la CUB et la Ville. La région s’associera à hauteur de 18 millions alors que le département ne souhaite pas financer ce projet. Ce projet est né suite à l’extraordinaire engouement suscité par la candidature de la ville de Bordeaux au titre de capitale européenne de la culture en 2008. En effet, la ville pâtit de l’échec de la cité mondiale du vin à Bordeaux. Cette dernière devait se situer dans le quartier historique des Chartrons qui ne cessait de perdre de sa substance viticole. Elle aurait


dû être composée de 6 000 m² de cellules d’exposition pour les négociants, 15 000 m² de bureaux, un hôtel de 120 chambres, des bars à vins, des boutiques, des restaurants et un musée de la vigne et du vin. La cité mondiale de la vigne et du vin était fondée sur un concept, celui de vouloir représenter de manière permanente dans un même bâtiment un maximum d’acteurs de la filière. Mais ces derniers, concurrents, ont été franchement hostiles à se rassembler dans un même lieu. C’est la raison pour laquelle le projet du centre culturel et touristique est différent. Il s’agira d’un lieu de vie culturelle en tant que symbole identitaire d’une ville et d’un territoire où s’exprime la « civilisation du vin » dans sa dimension interculturelle. De plus, la capitale aquitaine aura un équipement structurant d’envergure internationale à destination du grand public pour soutenir deux des filières économiques majeures de la région à savoir le vin et le tourisme. Ce centre s’inscrira dans une démarche environnementale et durable à travers sa conception et sa réalisation architecturale aura pour objectif de remplir la fonction de hub oenotouristique à l’échelle du territoire. Mais les viticulteurs sont majoritairement contre ce projet et ne voit pas en quoi ce centre culturel dédié au vin améliorera leur quotidien ou aura une influence sur la filière vitivinicole. M. Feredj est convaincu que les investissements culturels sont porteurs et que la rationalité du choix de M. Juppé de créer ce centre apparaîtra rapidement. Il s’agit d’un véritable acte politique de la part du maire de Bordeaux, à l’image de ce que M. Rousset avait fait en portant le projet de l’ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin) malgré les désapprobations des universitaires.

1.3.1.3 Produire du vin bio Le vin bio pourrait être un moyen de faire évoluer les domaines viticoles et d’attirer le consommateur. Mais il faut souligner tout d’abord que le vin bio n’existe pas puisque la qualité « biologique » ne s’applique qu’à la partie viticulture c’est-à-dire jusqu’à la vendange. Les techniques de vinification ne sont pas prises en compte dans le label bio en France contrairement aux Etats-Unis. Donc en théorie, rien n’empêche un viticulteur bio d’utiliser une multitude de produits chimiques pour ensuite apposer sur les étiquettes le label bio. Les surfaces viticoles bio en France représentent 3.3% de la superficie totale des vignes et 2.43% aux Etats-Unis. Mais les domaines produisant du bio augmentent de 20% par an depuis 2006. 1.3.1.3.1 Agriculture biologique ou biodynamie


L’agriculture biologique rejette tout produit chimique, pesticide, fongicide ou fertilisant. Pour pouvoir être certifiés, les domaines doivent se soumettre à des contrôles réguliers par un organisme accrédité. Trois années sont nécessaires pour convertir un domaine à l’agrobiologie. La première récolte en bio certifié étant celle de la quatrième année après l’arrêt d’utilisation des produits chimiques. Les vignes sont traitées avec des produits d’origine naturelle pour aider la vigne à se défendre par elle-même et les apports sont des fumures organiques. La lutte contre la maladie reste la plus délicate et les fongicides autorisés sont à base de soufre ou de cuivre comme la fameuse bouillie bordelaise. . « Le bio est la solution à long terme. Mais je comprends que certains préfèrent continuer à faire du vin conventionnel. C’est plus simple, moins risqué, et le coût de la production est moindre », déclare Alain Moueix, gérant du domaine Fonroque100. La biodynamie va plus loin encore que ne le fait l’agriculture biologique. Elle s’appuie sur les travaux de Rudolph Steiner, fondateur dans les années 1920 de l’anthroposophie : la terre est vue comme un ensemble vivant et le viticulteur s’efforce de favoriser la vie des sols qui en retour lui donneront les meilleurs raisins possibles. La biodynamie appliquée à la vigne a été vulgarisée en France par Nicolas Joly qui a converti son domaine « La Coulée de Serrant » (Maine-et-Loire) au milieu des années 1980. Le nombre de domaines en biodynamie est extrêmement faible (< 10% des surfaces en bio) ; en revanche ce sont très souvent des domaines marquants en terme de qualité. Des préparations naturelles (les préparâts) sont pulvérisées à dose homéopathique pour traiter les vignes ou vivifier le sol. Les vignes sont labourées. Comme en bio classique, la bouillie bordelaise peut être utilisée contre le mildiou. 1.3.1.3.2 Un pari à prendre qui pourrait bien être payant Alors que la consommation de vin dit conventionnel est en baisse de 2% en France, une étude réalisée par le cabinet d’études de marchés économiques Xerfi indique que le marché du vin bio est lui en pleine expansion avec une croissance de 39%. La même progression s’observe aux Etats-Unis où la vente de vin bio augmente de 10 millions de dollars par an depuis 2005, passant la barre des 100 millions de dollars en 2008. Elle représente un peu plus de 3% de la vente totale de vin aux Etats-Unis. C’est ainsi qu’a ouvert il y a 4 ans, Appellation Wine & Spirits, le premier magasin à New York ne vendant que du vin bio. « Pour la défense de cette culture plutôt qu’une ambition marketing », affirme Scott

100

Cité dans la revue France-Amérique de janvier 2010.


Pactor, gérant de cette boutique unique. « Je ne pensais pas que ça marcherait si bien. Le vin bio est très à la mode, notamment à Chelsea, le quartier où l’on s’est installé101. » Mais le vin bio souffre d’un vrai problème de reconnaissance. « Il est facile de faire du mauvais vin bio parce qu’il faut beaucoup plus d’attention que pour un vin conventionnel où l’on peut toujours corriger le goût à coup de produits chimiques », constate Véronique Raskin, fondatrice de l’Organic Wine Company, une société qui importe des vins bio européens aux Etats-Unis. « Tous les autres produits bio ont une excellente image et sont en plein essor. Il n’y a que pour le vin où, au contraire, il faut sans cesse se justifier. » Le bio semble mis à l’honneur par les gouvernements : le plan « Agriculture bio, horizon 2012 », repris dans le Grenelle de l’environnement vise à tripler les surfaces consacrées à l’agriculture biologique en France. Le Grenelle prévoit aussi une baisse de l’utilisation des pesticides dans le vignoble français de 50%. Barak Obama a lui aussi promis des subventions avec une augmentation de 72% du budget destiné à l’agriculture biologique aux Etats-Unis. La production de vin bio peut donc être une solution dans la reconversion d’un petit vignoble peu attractif même si cela demande un investissement supplémentaire. Mais il est à noter que le vin bio souffre encore d’une mauvaise image auprès du public qui associe vin bio à un vin de moindre qualité.

1.3.2 En Californie Même si la Californie semble moins touchée que le Bordelais par la crise au regard de la hausse de ses superficies de vignes et de l’essor de ses parts de marché, fidèles à leur réputation, les Américains ne veulent pas se laisser distancer par d’autres producteurs du Nouveau Monde. Ils ont donc décidé de mettre en place au début des années 2000 un plan stratégique en direction de leur filière vitivinicole. Ce plan a pu voir le jour grâce au financement par contributions volontaires d’une soixantaine d’entreprises parmi lesquelles figuraient les plus importantes telles que Gallo ou Robert Mondavi. Il a été publié après dix-huit mois de réflexion et de consultations entre les entreprises, les organismes professionnels et les prescripteurs d’opinion. Ont été définis quatre grands objectifs102 à savoir devenir leader en matière de pratiques respectueuses de l’environnement, intégrer le vin dans la culture américaine, devenir le pays fournisseur

101

Ibid. Ces objectifs sont rappelés dans le rapport de 2001 fait par Jacques Berthomeau « Comment mieux positionner les vins français sur les marchés d’exportation » p. 19.

102


prééminent du marché mondial et renforcer la communication interentreprises et auprès du grand public. Pour cela, le plan préconise plusieurs actions imprécises comme la nécessité de créer une image du vin américain, la mise en œuvre de stratégies juridiques et politiques destinées à répondre à des discours anti-alcooliques renaissants, l’élimination des barrières nationales et internationales au commerce etc. Ainsi, malgré des objectifs clairs, les actions préconisées pour y parvenir sont pour le moins imprécises, toujours sans chiffre et sans moyen concret mis à disposition des acteurs. Néanmoins, la stratégie mise en place par les Etats-Unis met en exergue les défauts de la filière française incapable de se structurer autour d’un projet. Le plan intitulé « Nouvel Elan des Vins Français pour 2010 » est un échec. Il prévoyait en effet de devenir leader en matière de pratiques respectueuses de l’environnement alors même que la viticulture bio est toujours très marginale. Il prévoyait en outre de renforcer la communication auprès du grand public. Là aussi il semble que ces deux objectifs ne sont pas atteints, du fait notamment des restrictions engendrées par la loi Evin.

Ainsi, la crise est indiscutable. Mais loin d’être une période négative, la période de crise est aussi un moment crucial pour les acteurs. Ces derniers doivent se remettre en question afin de trouver des idées novatrices tout en dressant un bilan sans concession de la situation actuelle.

CHAPITRE 2 : LE POIDS DE REGLEMENTATIONS TROP COMPLEXES

Les diverses réglementations mises en place visent toutes un même but : instaurer un ordre. Mais il semble qu’en France nous soyons face à un paradoxe : celui d’une réglementation trop complexe qui semble désorganiser la filière. 2.1 Réformer les AOC103, une nécessité ? La réglementation des AOC est le produit d’une négociation entre professionnels et institutions politiques. L’objectif était de responsabiliser les producteurs en les associant à l’élaboration de la réglementation. Pendant longtemps les AOC ont été présentées comme une réussite française. Elles garantissaient l’origine et la qualité des vins, elles ont permis leur succès international. Initialement, les AOC ont été mises en place afin de lutter contre les

103

Cf Glossaire


fraudes et les usurpations de nom. Elles attestent une origine et des conditions de production spécifiques. La superficie des AOC dans le Bordelais était de 69 000 ha en 1975 contre 117 000 en 2000104. Cela était dû à une politique de la région du tout AOC. Cette augmentation est le résultat des décisions de la majorité des viticulteurs d’étendre leurs surfaces cultivables quand le vin se vendait très bien. Mais cette généralisation qui était au départ très positive pour la filière est devenue négative, de l’ordre de la banalisation. L’AOC identifie un produit agricole qui tire son authenticité et sa typicité de son origine géographique, possède une notoriété établie, et fait l’objet d’une procédure d’agrément. Pour les AOC, les règles actuelles constituent une protection contre les incertitudes des marchés. Produire en AOC, c’est produire selon le plus haut label de qualité dans les catégories françaises. Mais depuis plusieurs années les critiques se développent à son égard : les AOC ne permettraient plus de protéger le consommateur. Par ailleurs elles sont stigmatisées pour l’excès de réglementation qu’elles imposent. C’est la raison pour laquelle il est devenu essentiel de les réformer. Faire partie d’une appellation d’origine suppose l’observation d’un certain nombre de règles relatives aux rendements, à la densité de plantation, aux choix de cépage ou aux pratiques d’enrichissement afin d’assurer une garantie de qualité et d’origine. Le rôle des médias dans la critique des AOC a été très important105, particulièrement des médias internationaux : la France a trop d’appellations, les AOC sont trop réglementées et ses règles ne sont pas toujours respectées. Un argument récurrent est qu’une réglementation contraignante n’est pas une garantie de qualité : « Généralement considéré comme un gage de qualité, le label AOC garantit à peine le lieu où le vin a été produit. Les contrôles de qualité introduits en 1974 sont administrés par les producteurs eux-mêmes : 98% des vins passent le test106. » En effet, un Bordeaux AOC n’est plus associé par le consommateur à un Bordeaux de qualité puisque la grande majorité des Bordeaux est AOC. M. Lafenêtre a résumé la situation lors de notre entretien : « La grande aberration du système français c’est les AOC. Tout le monde est dans l’AOC. Mais certaines AOC sont vendues à des prix dérisoires alors que certains vins de pays sont vendus plus chers et sont meilleurs. Je me méfie d’un Pauillac médaillé ; je préfère acheter un vin de pays médaillé. Le gros souci en France c’est le label.

104

Chiffres cités dans BERTHOMEAU (Jacques), Comment mieux positionner les vins français sur les marchés d’exportation ?, rapport remis au ministre de l’Agriculture et de la Pêche, 2001, p.27 105 Ce qui souligne leur rôle en tant que nouveaux acteurs de la filière p. 61 106 Cité in SMITH (Adam), DE MAILLARD (Jacques) et COSTA (Olivier), Vin et politique. Bordeaux, La France, la mondialisation, Presses de Sciences-Po Bordeaux, 2007, p. 333


La dégustation est anonyme, ce qui est un bon principe, pour juger si un produit est représentatif de l’appellation ou non. 98 % des vins de Bordeaux sont labellisés. » Dans ces conditions, deux options ont été suggérées : l’option régulationniste tout d’abord et celle, au contraire, de la déréglementation. Pour les tenants de l’option régulationniste, les AOC n’obéissent pas à une réglementation assez sévère et cette réglementation n’est pas suffisamment appliquée. Au contraire, certains souhaitent dérèglementer suite à l’observation des difficultés de vente des vins français à l’exportation. Le président de la Fédération des exportateurs des vins et spiritueux de France résume cette idée en une formule au début des années 2000 : « Il faut faire le vin qui se vend. » Vins du Nouveau Monde sont devenus un modèle dont il faut s’inspirer, source de dynamisme et de conquête des marchés. Nous sommes donc face à deux conceptions très différentes de ce que doivent être les AOC dans un marché mondialisé. Certes, les AOC ne sont plus compétitives dans un marché du vin mondialisé. Si les grands crus attirent les consommateurs, les AOC sont un concept banalisé. Il semble que la proposition qui vise à complexifier encore l’offre ne soit pas la plus judicieuse. Certains proposent de créer des Appellations d’Origine Contrôlée d’Excellence (AOCE). Si le Bordelais tend au tout AOC, cela simplifie l’offre au niveau national mais ne signifie rien à l’échelle internationale. C’est la raison pour laquelle, plutôt que de changer des modes de production qui font la réputation des Bordeaux, les acteurs de la filière devraient se concentrer sur la simplification des étiquettes autant pour le consommateur français que pour le consommateur étranger. Cela permettrait d’accroître la visibilité des produits. Par conséquent, réformer les AOC devient une stratégie marketing.

2.2 Rôle de l’Union Européenne L’Union Européenne (UE) souffre de ne pas avoir de vraie politique viticole commune même si des tentatives existent par le biais de l’Organisations Communes de Marché (OCM). Elles visent à organiser et soutenir les marchés dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) depuis 1962. La crainte d’une surproduction a toujours été au centre des préoccupations de l’UE surtout après l’adhésion en 1986 de l’Espagne. Le premier des objectifs a été de limiter la production grâce à des aides à l’arrachage, des primes à l’abandon définitif. Le second a été de réguler le marché, de gérer les fluctuations pour diminuer les quantités mises en vente et assurer un revenu aux viticulteurs. Aujourd’hui, il semble que l’UE doit régionaliser sa politique afin d’accroître la compétitivité des vignobles : les exploitations viticoles doivent être profitables et participer à


la croissance. Mais cette compétitivité est actuellement menacée par les augmentations de coûts liées aux nouvelles et nécessaires exigences règlementaires et environnementales étrangères au marché et souvent pénalisantes107 dans un contexte économique fluctuant et de plus en plus concurrentiel. La nouvelle organisation commune du secteur vitivinicole entrée en vigueur le 1er août 2008 vise à « équilibrer le marché vitivinicole, éliminer les mesures d’intervention sur les marchés et leur cortège de coûteux gaspillages, et réorienter le budget au profit de mesures plus positives et plus proactives, de nature à renforcer la compétitivité des vins européens. La réforme prévoit une restructuration rapide du secteur vitivinicole. À cet effet, un régime d’arrachage volontaire sera mis en place sur une durée de trois ans afin d'offrir protection de l’environnement dans les régions viticoles

108

. » Madame Fischer Boel, membre de la

Commission chargé de l'agriculture et du développement rural, a déclaré à ce propos : «Les États membres et les producteurs ont la possibilité de tirer le meilleur parti du nouveau régime vitivinicole afin de renforcer la réputation internationale d'excellence de l'Europe. Je crois sincèrement que cette réforme marque un tournant dans l'histoire de notre secteur vitivinicole.» Cette seconde phase de la réforme comprend trois ensembles de règles concernant les appellations d'origine protégées (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP), les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation du vin, les pratiques œnologiques ainsi que le casier viticole, les déclarations obligatoires et l'établissement des informations pour le suivi du marché, les documents accompagnant les transports des produits, et les registres à tenir dans le secteur vitivinicole. Le règlement définit de nouvelles règles d'étiquetage et de présentation qui amélioreront la communication avec le consommateur. Il établit les règles relatives à la protection des AOP/IGP et des mentions traditionnelles et prévoit également les modalités applicables aux procédures d'examen, d'opposition, de modification ou d'annulation des demandes de protection. La législation garantit en outre la sauvegarde des politiques de qualité nationales bien établies. Par ailleurs, certaines mentions traditionnelles et formes spécifiques de bouteilles pourront conserver la protection dont elles bénéficient. Les vins dépourvus d'AOP/IGP pourront désormais porter la mention de l'année de récolte et du cépage. En matière de pratiques œnologiques, le règlement adopté garantit la sauvegarde des meilleures traditions vitivinicoles de l'Union européenne, tout en offrant une place de choix à l'innovation.

107 108

Tout ceci est rappelé dans le Plan 20/20 de M. ROUMEGOUX. Cf l’intégralité de la réforme sur europa.eu.


La première phase de la réforme vitivinicole a déjà été mise en œuvre. Elle concerne les programmes de soutien nationaux utilisant les enveloppes financières allouées aux États membres, le commerce avec les pays tiers, le potentiel de production, y compris un régime d'arrachage, et les contrôles dans le secteur vitivinicole. Le budget disponible pour les mesures de soutien augmente d'année en année. De 794 millions d’euros en 2009, il passera à 1,231 milliard d’euros en 2013. Un régime d'arrachage volontaire est prévu sur une période de trois ans pour une superficie totale indicative de 175 000 hectares. Les montants annuels alloués à la mesure d'arrachage pour la période de 2009 à 2011 sont de 464 millions d’euros, 334 millions d’euros et 276 millions d’euros, respectivement. En raison d'un nombre trop élevé de demandes, la priorité a été accordée cette année aux producteurs procédant à l'arrachage de la totalité de leur vignoble et à ceux qui sont âgés de plus de 55 ans. L’UE peine donc à valoriser son patrimoine viticole au regard de la compétitivité qui s’accroît dans les pays du Nouveau Monde. Elle pâtit de la grande variété de vignobles présents sur son territoire et peine à les organiser à coups de réformes qui paraissent inefficaces pour la majorité des viticulteurs.

2.3 Le rôle de la loi Evin Georges Clémenceau s’était exclamé devant des parlementaires : “La question posée par l’usage et l’abus de l’alcool n’est autre que le problème social tout entier”. Depuis longtemps donc les hommes politiques ne sont intéressés au problème de l’alcool dans nos sociétés. Néanmoins, est-il judicieux et pertinent d’associer un produit aussi culturel que le vin à d’autres alcools voire aux autres drogues ?

2.3.1 Le poids des représentations : le vin un alcool comme un autre ? “Car j’éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux109.” Ces quelques vers de Baudelaire illustrent toute la difficulté de faire la part des choses, en France, entre le vin, source d’un plaisir raffiné et la boisson à l’origine d’une part de l’alcoolisme.

109

In L’Ame du Vin de Baudelaire.


La question de la santé est aujourd’hui un des éléments clés de la réflexion sur l’avenir du secteur vitivinicole en France et dans le monde. Pendant longtemps, la filière française a été relativement épargnée par la politique de lutte contre l’alcoolisme, en vertu de la place singulière qu’occupe le vin en France. La situation a évolué sous l’effet de deux phénomènes110 : le premier est l’apparition de nouveaux savoirs relativement néfastes de l’alcool, le second est lié à l’assimilation depuis les années 1990 du vin aux autres drogues. C’est la raison pour laquelle s’est développée la nécessité d’avoir une politique de prévention et d’avertissements sanitaires plus ambitieuse. La loi Evin limite la possibilité de communiquer sur le vin depuis le 10 janvier 1991. Elle a été élaborée dans le cadre d’un réseau d’action publique où les partisans de la lutte contre l’alcoolisme étaient largement dominants et les représentants de l’industrie de l’alcool très marginaux. Depuis son adoption, elle suscite une intense mobilisation de la filière. Ce texte incarne aux yeux des professionnels du vin la remise en cause de la place spécifique qu’il occupe en France pour des motifs sociaux, culturels, économiques et historiques. Face aux nombreuses divisions de la filière, force est de constater que la loi Evin est un des rares thèmes qui suscitent un large consensus.

2.3.2 Vin et santé : accusé à tort ? Durant les années 1990 ont été publiés des travaux sur les vertus sanitaires du vin afin de corriger l’assimilation systématique du vin aux alcools nocifs. Cette tendance a été nommée french paradox. Le french paradox est devenu un outil marketing qui vante les vertus sanitaires d’une consommation modérée du vin. Certains mettent en avant le rôle du vin dans la prévention de maladies cardio-vasculaires ou de certains cancers. D’autres soulignent le plaisir attaché d’une consommation modérée de vin, en particulier, de vin de qualité. Le vin, comme tout autre alcool, reste considéré par la grande majorité des alcoologues et des spécialistes de santé publique comme un psychotrope, responsable d’importants dommages tant pour la santé que pour la société. Mais dans le rapport dirigé par Gérard César en 2005111 est proposé une modification de la loi Evin et une dissociation claire du vin des autres boissons alcoolisées. Il

110

Phénomènes détaillés dans SMITH (Adam), DE MAILLARD (Jacques) et COSTA (Olivier), Vin et politique. Bordeaux, La France, la mondialisation, Presses de Sciences-Po Bordeaux, 2007, p. 285 111 CESAR (Gérard), Actes du colloque Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités ? organisé par le Sénat le 28 octobre 2004, rapport d’information du Sénat n°169 fait au nom de la commission des Affaires économiques, 2 février 2005.


fait référence de manière explicite à l’Espagne. Ce pays a en effet fait voter une loi en juillet 2003 qui introduit la notion de « vin aliment ». Elle autorise de ce fait la promotion du vin sur fonds publics et fait échapper le vin aux contraintes qui pèsent sur les autres alcools en termes de communication. Peut-être serait-il judicieux de faire évoluer la loi en ce sens en France ? La loi Evin a déjà évolué fin 2005 : elle a élargi les possibilités de communication sur le vin. La publicité collective pour les vins d’une même zone géographique est désormais autorisée ce qui suggère une spécificité du vin. Par conséquent que faire des vins sans alcool ? Sont-ils considérés comme des vins ? Ou comme des boissons sans alcool qui ne seraient pas soumises à la loi Evin ? La législation européenne a fixé à huit degrés d’alcool le seuil minimal en deçà duquel nous quittons l’univers du vin pour celui de la boisson. Les possibles effets néfastes du vin ont été récemment suggérés par la Ministre de l’Enseignement Supérieur, Valérie Pécresse. Un rapport de Jean-Robert Pitte et Jean-Pierre Coffe rendu le 3 mars 2010, sur l’amélioration des restaurants universitaires, préconise, entre autre, une initiation à la dégustation du vin afin d’ « éduquer les étudiants au bien mangé ». Réponse sanglante de la Ministre : « Oui à l'éducation au goût, non au vin à midi pour les étudiants112. » Il est étonnant de voir qu’encore aujourd’hui nos hommes politiques soient autant réfractaires à une telle idée alors même que des beuveries sont organisées au sein d’université ou de grandes écoles parrainées par des grandes marques d’alcools forts.

Les débats concernant la loi Evin montrent le rôle des hommes politiques dans les tensions internes à la filière. Ils soulignent aussi les désaccords entre les professionnels de la filière. Nous pouvons conclure sur les liens entre vin et santé en citant une nouvelle fois Baudelaire, qui a écrit comme personne sur le vin : « Si le vin disparaissait de la production humaine, je crois qu’il se ferait dans la santé et dans l’intellect de la planète un vide, une absence, une défectuosité beaucoup plus affreuse que tous les excès et les déviations dont on rend le vin responsable113. »

CHAPITRE 3 : LA PAROLE AUX PROFESSIONNELS

112

Invitée sur Europe 1 le 3 mars 2010. BAUDELAIRE (Charles), Œuvres complètes I, Edition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, juin 2004, p.382

113


Les représentations des acteurs de la filière ont une importance prépondérante dans l’organisation de la filière vitivinicole. Il nous est apparu que pour contribuer à une géopolitique du vin, nous devions nous intéresser à ces représentations. C’est la raison pour laquelle, pour savoir ce qui caractérise cette période charnière de la filière, nous avons choisi de développer deux exemples.

3.1 Des initiatives intéressantes existent : l’exemple de M. des Ligneris Il nous semble au terme de notre étude que des intérêts trop divergents empêchent une coopération réelle entre « petit » et « gros » producteur dans le Bordelais tout en soulignant que cette dichotomie est moindre en Californie. Il est urgent pour les producteurs bordelais de trouver de nouvelles initiatives afin de rester visible sur un marché de plus en plus concentré. C’est le cas de M. des Ligneris.

3.1.1 Un parcours personnel original M. des Ligneris est né au château Soutard, à Saint-Emilion, ce qu’il nomme le « territoire de l’enfance ». Il effectue son service militaire dans la Marine puis lors de ses années d’études, il travaille au sein de la Croix Rouge internationale en tant qu’architecte. Des circonstances familiales l’obligent à « rentrer au service de la propriété ». Il commence alors un parcours d’ouvrier agricole qui dure 12 ans. Mais en 1994, sa famille veut vendre le château. Il propose alors un projet personnel qui témoigne d’une vision moderne de la filière : restructuration du commerce, approche identitaire sur le vignoble, chais à la pointe (barriques en silicone). Tout cela constitue une démarche totalement en marge du système bordelais. Il voulait garder la propriété à tout prix. M. des Ligneris est parti en 1980 et 1981 en Australie puis aux Etats-Unis. Il prévenait déjà que Bordeaux n’était pas le roi du monde en matière de vin. Il s’est inspiré des producteurs du Nouveau Monde en matière de questionnement sur tout le circuit de transfert du vin mais « c’était difficile de remettre en cause tout un héritage ». En 1987, il ouvre le restaurant « L’Envers du Décor » rue du Clocher en plein cœur de Saint-Emilion. Son projet pour Soutard le met en avant car auparavant il n’existait pas de « culture de la place de Bordeaux ». Le restaurant permet alors de tisser des relations et de rencontrer tout le monde du vin. Il souhaitait redonner une identité à Soutard. En 2006, la propriété est finalement vendue. M. des Ligneris a dès lors investi dans des œuvres d’art contemporains et a racheté 8 ha dans l’Entre-Deux-Mers afin de développer un nouveau projet.


3.1.2 Des idées novatrices Aujourd’hui, M. des Ligneris ne cesse d’innover et fait figure de pionnier dans bien des domaines. Il crée des concepts autour de son vin, ce qui est assez rare dans le Bordelais pour être souligné. Il a déposé des marques telles que "Le Vin des Promesses" ou le "Prince Sarment", "L'® de Rien" avec des idées, somme toute, assez simples mais auxquelles personne n’a pensé avant lui et sans budget. Il a également déposé la marque du « Vin du Coin ».

Figure 19 : © François des Ligneris, Le Vin des Promesses, L'® de Rien

Par exemple le Vin des Promesses est une promesse de la couleur rouge. Il s’est inspiré du rapport platonique entre la peau du raisin et le jus. Il fait macérer la peau ce qui confère à chaque cuvée une couleur différente. Par ailleurs, il est possible d’indiquer ses propres promesses sur l’étiquette. M. des Ligneris dessine lui-même ses étiquettes (12 pour un même vin). Il a crée des étiquettes autocollantes rondes sur lesquelles il est possible d’indiquer un message avant de l’offrir. Il a décidé également d’utiliser des capsules à vis. Il s’est décidé à se convertir au bio, même si l’appellation « bio » n’existe pas pour le vin. Il ne veut pas inquiéter le consommateur et être honnête d’où la création d’une charte de R.E.S.P.E.C.T (Répertoire Elémentaire de Simples Pratiques Environnementales Culturelles et Techniques)114, traduite en anglais. Il ne demande pas de labellisation pour son vin, mais cela lui importe peu. Il exporte en effet à Saint-Barthélemy, Malte, Danemark, Chine, Belgique, Hollande, Suisse, Irlande, Québec et un projet est en cours avec les Etats-Unis. Il possède un réseau d’une dizaine de 114

Cf annexe p. XXV


magasins. D’autres projets sont en cours d’élaboration : celui d’inviter des touristes à « casser la croûte » au bord de l’eau à côté de ses vignes en leur racontant des histoires. Il veut également créer un lieu à l’abri des regards à Saint-Emilion qui laisserait une place prépondérante à l’art contemporain. Il conclura notre entretien en disant que « sans L’Envers du Décor, rien n’aurait pu être fait ». Cela souligne l’importance de la diversification de l’activité de vigneron aujourd’hui. Les idées pertinentes et originales de M. des Ligneris témoignent surtout d’une ouverture au monde qui manque au système sclérosé bordelais.

3.2 « Opus-One » : le vin californien élaboré d’après le savoir-faire bordelais : une synthèse parfaite entre les deux territoires ? « Opus-One » a été créé dans les années 1970115 à l’initiative de deux hommes : le baron Philippe de Rothschild qui apporte son savoir-faire bordelais116 et Robert Mondavi, alors célèbre producteur de la Napa Valley, qui fourni le terroir. « C’est un concept novateur, un « château-concept » », souligne Philippe Dhalluin. L’importance de ces deux hommes est soulignée dans le logo présent sur toutes les étiquettes des bouteilles. En épousant les traditions et les innovations des deux familles, l’objectif des partenaires était de créer un vin d’exception au cœur de la Napa Valley. En 1979, le premier millésime est produit à la « Robert Mondavi Winery ». Aujourd’hui, « Opus-One » produit environ 300 000 bouteilles par an sur 68 ha de vignes dont 56 en production117. En 2004, Constellation Brands acquiert Robert Mondavi Corporation et assume la co-propriété d’Ous-One à 50%. Jusqu’à ce jour, les ventes d’Opus-One étaient soutenues par la force de vente de Robert Mondavi. Désormais, « Opus-One » a sa propre équipe de responsable des ventes qui attribuera directement le vin aux distributeurs sur le marché américain car 75% des ventes sont effectuées aux Etats-Unis.

115

Cf Annexe p. XIX-XX A Bordeaux, Château Mouton-Rothschild et son second vin « Le Petit Mouton de Mouton Rothschild », Château d’Armailhac, Château Clerc-Milon, Aile d’Argent sont les propriétés personnelles de la Baronne Philippine de Rothschild et de ses enfants. Sans en être propriétaire, la Société distribue dans le monde entier Château Coutet, Premier Cru Classé de Sauternes-Barsarc. 117 Tous les chiffres cités ici sont issus de la documentation fournie par M. Dhalluin. 116


« Opus-One » peut-il être pour autant qualifié de « grand cru » comme le nomme la baronne Philippine de Rothschild ? Certes, le prix d’une bouteille varie de 140 $ à plus de 400 $ pour les meilleurs crus, soit autant que les grands crus classés bordelais. Le prix sur le marché reste libre. Le vin est le plus souvent assemblé avec une large part laissée au cabernetsauvignon (77% pour le millésime 2006), cépage répandu dans la Napa Valley. Le vin est élevé en Figure

20 :

Opus

One

(Source :

www.wineandco.com)

barriques neuves de chêne français pour laisser ce goût boisé qui plaît tant au Américains. Mais il

peut être qualifié de « grand cru californien » (tout en sachant que cette appellation n’existe pas) au regard de la complexité des saveurs une fois mis en bouche. Par ailleurs, il s’agit d’un vin qui promet le plus souvent un vieillissement exceptionnel. « Opus-One » bénéficie de surcroît d’un important effort marketing pour mettre en avant sa marque. Depuis 1990, « Opus-One » possède sa propre winery.

Figure 21 : Opus-One Winery à Oakville (Source : www.lewentzco.com/showcase/hospitality/opusone.html)

Ainsi, cette première collaboration franco-américaine de producteurs de vins de qualité est une bonne synthèse de ce qui est possible de faire en matière de partage entre les deux vignobles de part et d’autre de l’Atlantique. Les Américains ont amené leur propre terroir et leur force de frappe marketing, les Bordelais ont partagé leur savoir-faire et leur concept du produit. « Opus-One est un vignoble californien qui fait du vin bordelais » résume M. Lafenêtre lors de notre entretien. Cette initiative révolutionnaire pour le début des années


1970 fait encore figure de coopération atypique mais néanmoins très intéressant à moult égards. Elle démontre qu’il est possible d’aller au-delà des simples tensions présentes au sein d’un terroir et de valoriser un vignoble en s’ouvrant à d’autres expériences.

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE Cette dernière partie permet d’être relativement optimiste quant à l’avenir. En effet, il est nécessaire que les acteurs se posent des questions cruciales, ce qui semble être plutôt rare pour les acteurs bordelais. La culture des acteurs américains permet d’innover plus facilement que les acteurs français. Néanmoins, il faut se garder de toute opposition manichéenne entre Français et Américains. Plus qu’un choix entre viticulture dite traditionnelle et viticulture dite industrielle, il semble qu’il s’agisse plus d’une réflexion sur la place de l’homme au sein de la filière. Si les représentations des acteurs conditionnent bien souvent les choix de ces derniers, il est essentiel qu’elles ne soient pas figées. Etant donné que la filière vitivinicole ne cesse de se mondialisée, il est indispensable que les acteurs observent ce qu’il se fait de mieux ailleurs à l’image de ce qu’ont fait les Californiens au début des années 1970 en s’inspirant du vignoble bordelais. Mais il est certain que le contexte actuel facilite le développement de tensions au sein de la filière. Il semble évident que les règlementations en application aux Etats-Unis et en France sont mal adaptées. Il manque une vision globale de la filière aux hommes politiques en fonction. Des décideurs plus compétents voire parfois plus courageux quant à aux décisions prises font aujourd’hui défaut.


CONCLUSION GENERALE : LA GUERRE DES VINS AURA-T-ELLE LIEU ?

« Le vin et l’homme me font l’effet de deux lutteurs amis sans cesse combattant, sans cesse réconciliés. Le vaincu embrasse toujours le vainqueur118. »

Contribuer à une géopolitique du vin, permet de mettre en avant les représentations des acteurs afin de mieux saisir les enjeux des vignobles de Californie et du Bordelais. Sources de tensions depuis les origines de ces vignobles, ces représentations peuvent se transformer dans un contexte de crise en conflit. Ces conflits peuvent être de différentes natures. Ils sont indirects quand ils concernent la conquête de nouveaux marchés, l’achat de nouvelles vignes, la construction de nouveaux bâtiments et peuvent se caractériser par des pressions exercées de différentes manières. Néanmoins, à l’heure où l’eau devient un des enjeux critiques du XXIe siècle, il est à craindre que ces conflits deviennent des conflits ouverts notamment en Californie où l’irrigation est une caractéristique fondamentale des vignobles.

La guerre des vins aura-t-elle lieu ? C’est la question que nous pouvons nous poser à la suite de cette étude. En effet, nous sommes à une période cruciale pour la filière vitivinicole qui oblige les acteurs à s’interroger sur son organisation. Au-delà de la simple organisation, les acteurs bordelais doivent réaliser un choix, qu’ils ont refusé de faire jusque là. Ils doivent s’interroger sur la place à accorder à l’homme dans leur production et dans la mise en valeur de leurs produits. Si d’aventure guerre il y a, deux camps s’affrontent : l’un partisan d’une viticulture industrielle et déshumanisée, l’autre qui met le savoir-faire de l’homme au centre de la production. Car ce qui est à craindre aujourd’hui c’est la globalisation des vins qui pourrait, à termes, amener à une uniformisation de l’offre. Cette uniformisation irait de pair avec la mort annoncée de ce produit culturel qu’est le vin.

Détaché de tout ancrage territorial, le vin devient un produit mondialisé facilement accessible. C’est le cas des vins uni-cépages californiens en vogue qui s’exportent de plus en 118

BAUDELAIRE (Charles), Œuvres complètes I, Edition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, juin 2004, p. 387


plus. Ces vins pourraient être à l’origine de la naissance d’une culture mondiale du vin dans laquelle les vins plus complexes, seraient invisibles. Le camp partisan des vins uni-cépages possède aujourd’hui plus de moyens matériels et financiers pour s’imposer mondialement ce qui pourrait conduire les vins complexes à disparaître. Pourtant, dans ce contexte de tensions, il semble aujourd’hui, que le savoir-faire humain soit mis au centre des préoccupations de tous les acteurs de la filière. Nous pouvons espérer que les acteurs décideurs à la tête des Etats émettent des propositions courageuses afin de restructurer un produit culturel français reconnu dans le monde entier. Quant à la Californie, si la filière est plus concentrée, les réglementations manquent bien souvent d’uniformité. Même si les tensions perdurent, une tendance se dégage : celle de la valorisation des terroirs. Cette dernière nous évite de parier sur une disparition des produits de terroir, auxquels appartiennent les vins de Bordeaux. Plus qu’une guerre des vins, les grands évènements mondiaux organisés autour de ce produit montrent la nécessité d’organiser un grand sommet afin de dresser un diagnostic sans concession de la filière vitivinicole, qui rencontre des difficultés dans le monde entier.

Par ailleurs, il est à souligner que « le vin est un excellent reflet des trois piliers du développement durable : une source de revenus et d’emplois, le respect de la nature et une grande part d’humanité… à condition de ne pas déraper dans le marketing à outrance, même s’il est indispensable désormais à notre réussite. » insiste Julie Campos, Directrice Générale de la Cave de Tain119. Le vin peut donc être le garant d’une mise en valeur d’un territoire à condition de ne pas tomber dans le piège des effets pervers de la libéralisation du système économique. Il est possible de mettre en avant un vin et de le vendre sans pour autant lui retirer son identité territoriale.

Pour résumer notre vision de cette contribution à une géopolitique du vin, nous dirons que « Le vin est semblable à l’homme : on ne saura jamais jusqu’à quel point on peut l’estimer et le mépriser, l’aimer et le haïr, ni de combien d’actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu’envers nous-mêmes, et traitons-le comme notre égal120. »

119 120

Source : Vinexpo Daily News / Numéro spécial RVI BAUDELAIRE (Charles), Œuvres complètes I, Edition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, juin 2004,

p.380


BIBLIOGRAPHIE

AUBIN (Gérard), LAVAUD (Sandrine) et ROUDIÉ (Philippe), Bordeaux, vignoble millénaire, Bordeaux, L’Horizon chimique, 1996.

BASTIAN (Jean-Paul), La vigne, le vin : atout pour la France, rapport au Conseil économique et social, Paris, 2008, 158 p.

BLANDIN (Pascale), TORRES (Olivier), « Un cas d’entrepreneuriat comparé France - EtatsUnis : l’affaire Mondavi », Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, 2006, 19 p.

BENSOUSSAN (Maurice), Vineland. Une histoire du vin aux Etats-Unis, Paris, l’Arganier, 2006, 175 p.

BERTHOMEAU (Jacques), Comment mieux positionner les vins français sur les marchés d’exportation ?, rapport remis au ministre de l’Agriculture et de la Pêche, 2001, 81 p.

BOULANGER (Sylvaine) et LEGOUY (François) (dir.), « Vins, vignes et vignerons en France et dans le monde », Historiens et Géographes n° 402, mai 2008

BRUGIERE (Françoise), AINGRAIN (Patrick) et BECHET (Benoît), Facteurs de compétitivité sur le marché de mondial du vin, Viniflhor, 2006.

CANDAU (Jacqueline), « Evolution et pluralité des modes de sociabilité à Saint-Émilion (1920-1986) », in Philippe Roudié et al., Saint-Émilion. Territoire viticole et espace de vie sociale, Bordeaux, MSHA, 1990.

CAP 2010, Le Défi des vins français, note d’orientation stratégique à l’attention du ministre de l’Agriculture, document multig., 2002.

CESAR (Gérard), Rapport d’information de la Commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat sur l’avenir de la viticulture française, 2002.


CESAR (Gérard), Actes du colloque Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités ? organisé par le Sénat le 28 octobre 2004, rapport d’information du Sénat n°169 fait au nom de la commission des Affaires économiques, 2 février 2005.

CHABAUD (Julie), « Les terroirs viticoles : représentations des viticulteurs du Bordelais », in Jean-Claude Hinnewinkel et Claudine Le Gars (dir.), Les Territoires de la vigne et du vin, Bordeaux, Éditions Féret, 2002.

CLAISSE (Guy), Entre-Deux-Mers, Paris, Jacques Legrand, 1991

CLAVEL (Jean), Mondialisation des vins. Vins INOQ ou vins OMC, Bordeaux, Féret, 2008, 187 p.

COELHO (Jesus-Oliveira) et RASTOIN (Jean-Louis), « Globalisation du marché du vin et stratégies d’entreprise », Économie rurale, 264-265, 2001.

COMITÉ NATIONAL DES CONSEILLERS DU COMMERCE EXTERIEUR DE LA FRANCE, Problématique des vins français à l’export. Analyses et recommandations, document multig., 2003, 2 p.

COMMISSION EUROPEENNE, PAC 2000 : documents de travail. Situation et perspectives du vin, Direction générale de l’Agriculture, juin 1998, 124 p.

COMMISSION EUROPEENNE, Documents de travail : Vin. Économie du secteur, Direction générale de l’Agriculture, février 2006, 156 p.

CONFEDERATION PAYSANNE, Quel avenir pour la viticulture française et européenne ? Contribution au débat national, document multig., 2002, 5 p.

CONFORT (Piero) et SARDONE (Roberta), « Assessing the Effectiveness of the EU Common Market Organization for Wine. A Research Agenda”, in Silvia Gatti, Éric GiraudHéraud et Samir Mili (eds), Wine in the Old World. New Risks ans Opportunities, Milan, FrancoAngeli, 2003, p. 85-98.


COSTA (Olivier) et SMITH (Andy), “Défendre le vin de Bordeaux : pluralité des modes de représentation et articulation des niveaux d’intervention”, dans Hélène Michel (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006.

DEDIEU (Olivier), « Raoul Bayou, député du vin », Pôle Sud, 9, 1998, p. 88-110.

DELFAU (Gérard) et CÉSAR (Gérard), L’Avenir de la viticulture française : entre tradition et défi du Nouveau Monde, rapport d’information du Sénat n°349 fait au nom de la commission des Affaires économiques, annexe au procès-verbal de la séance du 10 juillet 2002.

DE MAILLARD (Jacques), « La Commission, le vin et la réforme », Politique européenne, 5, 2001, p. 70-86.

DESTREMAU (Bernard), Le rôle des étrangers dans le succès international du vin de Bordeaux, du Champagne et de l’eau-de-vie de Cognac, (dir.) René Pijassou, Bordeaux-III, 1993.

DION (Roger), Grands traits d’une géographie viticole de la France, Bulletins de la Société de Lille de Géographie, 1944, 67 p.

DION (Roger), « Querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de la qualité du vin », Annales de Géographie, LXI, nov.-déc, 1952.

DION (Roger), Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Flammarion, 1977, 768 p.

DION (Roger), Le paysage et la vigne. Essais de géographie historique, Paris Payot, 1990, 294 p.

DOLNICK (Edward), « La paradoxe français », Health, 4 (3), mai-juin 1990.


DOUCET (Carole), Activités viticoles et développement régional, thèse de sciences économiques, Université de Bordeaux-IV, septembre 2002.

EYSBERG (Cees D.), The Californian Wine Economy : natural opportunities and sociocultural constraints, a regional geographic analysis of its origins ans perspectives, University of Utrecht, 1990, 266 p.

FEREDJ (Roland), OPA sur la viticulture. Entre fatalité et espoir, Bordeaux, Édition Féret, 2007.

GALLINATO-CONTINO (Bernard), « Le Conseil général de la Gironde et la crise viticole (1918-1930) », in Jean-Claude Hinnewinkel et Claudine Le Gars (dir.), Les Territoires de la vigne et du vin, Bordeaux, Éditions Féret, 2002.

GINTRAC (Alain), « La crise des vins de Bordeaux : une recherche d’explications », Market Management 2007/3, Volume 7, p. 63-87.

GIRAUD-HÉRAUD (Éric), SOLER (Louis-Georges) et TANGUY (Hervé), « Concurrence internationale dans le secteur viticole : quel avenir au modèle d’appellation d’origine contrôlée ? », Cahiers du LORIA, INRA, juin 2002.

GREEN (Raoul), RODRIGUEZ ZUNIGA (Manuel) et PIERBATTISTI (Leandro), « Global Market Changes and Buisiness Behaviour in the Wine Sector », in Silvia Gatti, Éric GiraudHéraud et Samir Mili (eds), Wine in the Old World. New Risks ans Opportunities, Milan, FrancoAngeli, 2003, p. 157-169.

GUYON (Jean-Raymond), Au service du vin de Bordeaux, Bordeaux, Imprimeries Delmas, 1956.

HANNIN (Hervé), CODRON (Jean-Marie) et THOYER (Sophie), « L’Office international de la vigne et du vin et l’Organisation mondiale du commerce : les enjeux de la normalisation dans le secteur vitivinicole », Cahiers d’économie et sociologie rurales, 55-56, 2000, p. 111138.


HAY (Colin), « Globalisation and the Institutional Re-Embedding of Markets : The Political Economy of Price-Formation in the Bordeaux En Primeur Market », New Political Economy, 12 (2), 2007, p. 185-209.

HINNEWINKEL (Jean-Claude) et ROUDIÉ (Philippe), Une Empreinte dans le vignoble, les vins d’Aquitaine d’origine coopérative, Bordeaux, LPDA Éditions, 2001.

HINNEWINKEL (Jean-Claude), Les Terroirs viticoles. Origines et devenirs, Bordeaux, Éditions Féret, 2004, p.150

HINNEWINKEL (Jean-Claude) et LE GARS (Claudine) (dir.), Les territoires du vin, Bordeaux, Féret, 2002, 256 p.

HINNEWINKEL (Jean-Claude) et LE GARS (Claudine) (dir), Les territoires de la vigne et du vin, Centre d'études et de recherches sur la vigne et le vin (CERVIN), Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, Editions Féret, 2002, 255 p.

HINNEWINKEL (Jean-Claude), « Mondovino » , Les Cahiers d’Outre-Mer, 231-232 , Juillet-Octobre 2005

JONHSON (Hugh), Une histoire mondiale du vin de l’Antiquité à nos jours, Paris, Hachette, 1990, 478 p. JONHSON (Hugh) et JANCIS (Robinson), Atlas mondial du vin, Édition Robert Laffont [5e édition], 352 p.

LABRUYÈRE (Aurélie), SCHIRMER (Raphaël) et SPURR (Marjorie), Les vins de France et du monde, Fernand Nathan, 2006, 159 p.

LEMAY (Marc-Henry) (ed.), Bordeaux and Its Wines, Bordeaux, Éditions Féret, 1998 [5e édition]

LOUBÈRE (Leo A.), The Wine Revolution in France, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 1990.


MANSHOLT (Sicco), La Crise - Conversations avec Janine Delaunay, Paris Stock, 1974

MARTIN (Philippe-Armand), La réforme du secteur viticole européen, Paris, Sénat, n° 3699

MORAN (Warren), The Wine Appellation as Territory in France and California, Annals of the Association of American Geographers, vol. 83, n°4, p. 694-717.

NOSSITER (Jonathan), Le Goût et le pouvoir, Paris, Grasset, 2007, 420 p.

ONIVINS, Vins de France : une culture en mouvement, colloque, Paris, Assemblée Nationale, 2003.

ORGOGOZO (Jean-Marc) et al., « Wine Consumption and Demetia in the Elderly : A Prospective Community in the Bordeaux Area », Revue Neurologique, 15 (3), 1997, p. 185192.

PARLEMENT EUROPEEN, La réforme du secteur vitivinicole, document de travail de la Direction générale des Études, W16, Luxembourg, 1994.

PITTE (Jean-Robert), Le désir du vin. A la conquête du monde, Paris Fayard, 2009, 332 p.

PITTE (Jean-Robert), « La nouvelle géographie des vins français » in Géographie Culturelle, Paris, Fayard, 2006, pp. 886-901.

PITTE (Jean-Robert) (dir.), « La nouvelle planète des vins », Annales de Géographie n° 614615, Paris, Armand Colin, juillet-octobre 2000, 220 p.

POMEL (Bernard), Réussir l’avenir de la viticulture en France, rapport remis au ministre de l’agriculture Dominique Bussereau, 2006, 40 p.

RÉJALOT (Michel), Le Modèle vitivinicole bordelais dans sa filière (1980-2003). Un idéal français dans la tourmente, thèse de géographie, Université de Bordeaux-III, 2003.


RENAUD (Serge) et DE LORGERIL (Michel), « Wine, Alcohol, Platelets and the French Paradox for Coronary Heart Disease”, The Lancet, 339, 1992, p. 1523-1526.

RENOUARD (Yves), Histoire mediévale d’Aquitaine, Tome II “Vin et commerce du vin de Bordeaux”, Editions PyréMonde Princi Regue, 2005, 184 p.

RIBEREAU-GAYON (Jean) (dir.), Les conditions naturelles et humaines de la qualité des vins, 3e symposium international d’œnologie, INRA, 1977, 439 p.

ROUDIÉ (Philippe), Vignobles et vignerons du Bordelais (1850-1990), Paris, Éditions du CNRS, 1988.

ROUDIÉ (Philippe), « Les viticulteurs de Saint-Émilion », in Philippe Roudié et al., SaintÉmilion. Territoire viticole et espace de vie sociale, Bordeaux, MSHA, 1990.

ROUDIÉ (Philippe), « Vin et mondialisation. Le point de vue d’un géographe », Archeology of Food, 3, 2004, 16 p.

ROUDIÉ (Philippe), LE GARS (Claudine) et VELASCO-GRACIET (Hélène), Bordeaux, le vin et l’historien, Éditions Féret Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, 119 p.

ROUDIÉ (Philippe) et LE GARS (Claudine) (dir.), Des vignobles et des vins à travers le monde : hommage à Alain Huetz de Lemps, colloque tenu à Bordeaux les 1, 2 et 3 octobre 1992 organisé par le Centre d’études et de recherche sur la vigne et le vin, Université de Bordeaux-III, Institut de Géographie, 1996, 655 p.

ROUMEGOUX (Michel), Plan stratégique de revalorisation de la filière vitivinicole française à l’horizon 2020. Sur la filière vitivinicole Française, la position des vins français à l’export (état des lieux et perspectives), les initiatives stratégiques souhaitables et les propositions de soutiens publics, décembre 2008, 94 p.

ROUSSET-ROUARD (Yves) et DESSEAUVE (Thierry) (dir.), La France face aux vins du Nouveau-Monde, Paris, Albin Michel, 2002.


SMITH (Adam), DE MAILLARD (Jacques) et COSTA (Olivier), Vin et politique. Bordeaux, La France, la mondialisation, Presses de Sciences-Po Bordeaux, 2007, 395 p.

SOPPELSA (Jacques), « Géopolitique des pays de vignoble, l’exemple du Nouveau Monde », Vignes, vins et vignerons de Saint-Emilion et d’ailleurs, Actes du congrès d’études régionales, Talence, Maison des Sciences de l’Homme et de l’Aquitaine, 1999, p. 27-37

SPAHNI (Philippe) et LABYS (Walter C.), Le vin, Paris Economica, 1992, 130 p.

TAISANT (Guillaume), Vinifications dans la Napa Valley à la Swanson Winery, Mémoire de DNO, Bordeaux 2, 2008, 60 p.

TENAGUILLO (Amancio) et CORTAZAR, "Présence du vin" (Avant-propos), Le vin dans ses oeuvres, Bordeaux, CEPDIVIN, (2004) 2006, p. 15-27.

TINLOT (Robert) et JUBAN (Yann), « Le commerce international du vin au IIIe millénaire. Rôle de la science, équivalence et déontologie », Bulletin OIV, 851-825, 2002, p. 28-55.

TORRÈS (Olivier), La Guerre des vins : l’affaire Mondavi, Paris, Dunod, 2005.

UNWIN (Tim), Wine and the Vine: an Historical Geography of Viticulture and the Wine Trade, London, Routledge, 1991

VIVAS DE GAUJELAC (Nathalie), Vin et santé : les bases scientifiques du French paradox, Bordeaux, Éditions Féret, 2001.

WINE & SPIRIT INTELLIGENCE SERVICE LTD, « L’avenir des vins du Nouveau Monde. La fin de l’âge d’or ? », rapport rendu à l’occasion du London International Wine & Spirits Fair, 21-23 mai 2002.


SITOGRAPHIE

Sites français : Office National Interprofessionnel des vins : onivins.fr Ministère de l’Agriculture : agriculture.gouv.fr Institut National de l’origine et de la qualité : inao.gouv.fr Établissement National Technique pour l’Amélioration de la viticulture : entav.fr A propos des caves coopératives : www.fcva.com Organisation Internationale de la Vigne et du Vin : www.oiv.org Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture : www.fao.org Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux : www.bordeaux.com Projet collectif d'étudiants de Sciences-Po sur les vins californiens : www.sciencespo.org/projets_collectifs/Site-Vins Site regroupant des articles de journalistes par aire viticole : www.wineatlas.net Site du Parlement européen : www.europarl.europa.eu Site de Bordeaux Vins Séléction : www.bvswine.com Le blog de Vinexpo : blog.vinexpo.com/fr

Sites américains : International Wine Institute pour les données de l’industrie, de l’export vers la France, de la consommation américaine et quelques illustrations : wineinstitute.org Code de la régulation fédérale sur les aires de viticultures américaines (AVA) : www.access.gpo.gov/nara/cfr/waisidx_01/27cfr9_01.html A propos du vin bio : theorganicwinecompany.com International Wine and Spirit Record pour leurs chiffres : www.iwsr.co.uk Head Office Wine Institute of California International Department pour le graphique des exportations de vin des États-Unis de 1986 à 2004 : www.californiawine.org/webfront/base.asp Une carte des AVA : www.california-wine.org/webfront/base.asp?pageid=21 Cartes des aires de production viticole aux Etats-Unis : www.vestra.com/documents/vitmaps/viticulturalmaps.htm


TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Parts de marché des importations des Etats-Unis Tableau 2 : Consommation de vin aux Etats-Unis de 1945 à 2009 en gallons Tableau 3 : Volume de vin de table par type de vin Tableau 4 : Chiffre d’affaire engendré par le vin au Etats-Unis de 1995 à 2009 en millions de gallons Tableau 5 : Comparaison des superficies, productions, consommation en France et aux EtatsUnis (1998-2004) Tableau 6 : Evolution de la production mondiale de vin (1991-2010) Tableau 7 : Descriptif des différentes missions du CIVB Tableau 8 : Production de vin en France et aux Etats-Unis de 1986 à 2004 Tableau 9 : Consommation mondiale de vin de 1969 à 2004 Tableau 10 : Evolution des superficies totales plantées en bordelais de 1964 à 2004 Tableau 11 : Evolution des superficies selon la nature des cépages entre 1964 et 2004


TABLE DES FIGURES

Figure 1 : Carte des vignobles de Californie Figure 2 : Modèle d’interprétation socio-culturel du vignoble californien Figure 3 : Etiquette de Saint Supery Figure 4 : Etiquette d’un Mondavi Figure 5 : Etiquette d’un Mouton Cadet Figure 6 : La Winery Merus, Napa Valley Figure 7 : Comparaison d’une étiquette d’un bordeaux et d’un vin californien Figure 8 : Exportations des vins américains 1986-2005 Figure 9 : Canette de vin blanc californien « Blanc de Blancs » Figure 10 : Schéma simplifié de l’organisation de la filière vitivinicole à Bordeaux Figure 11 : Carte des différentes appellations de Bordeaux Figure 12 : Le début des courtiers Figure 13 : Carte de localisation du quartier des Chartrons à Bordeaux Figure 14 : Portrait de Robert Mondavi Figure 15 : Portrait de Robert Parker Figure 16 : Portrait de Michel Rolland Figure 17 : Carte de la production des quinze principaux Etats viticoles et son évolution Figure 18 : Quelques exemples de l’activité œnotouristique à Saint-Emilion Figure 19 : © François des Ligneris, Le Vin des Promesses, L'® de Rien Figure 20 : Opus One Figure 21 : Opus-One Winery à Oakville


ANNEXES


1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Vins mousseux Vins en bouteille Vins en vrac Ensemble

38.44 25.14 36.61 27.46

43.84 26.94 47.16 31.81

42.12 25.70 44.48 28.73

43.67 23.45 33.18 26.40

44.62 22.09 37.29 24.37

42.71 20.17 29.60 21.95

43.68 18.22 14.37 19.78

42.93 14.53 15.58 16.45

43.67 13.17 6.13 14.73

44.03 12.05 8.37 13.80

43.57 13.07 16.30 15.37

41.14 12.51 19.27 15.04

Part des importations de vins français des Etats-Unis (1996-2007) (Source : statistiques de l’ONIVINS)

Années 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Unité : 1000 Hl 952 1414 1135 1054 1073 1029 1080 990 936 973 1187 1260

Importations de vins français par les Etats-Unis (Source : UBI France d’après les douanes américaines)


DISCOURS DE DOMINIQUE DE VILLEPIN (Tribune de l’ONU, 14 février 2003) "Je remercie MM. Blix et El Baradeï pour les indications qu'ils viennent de nous fournir sur la poursuite des inspections en Irak. Je tiens à nouveau à leur exprimer la confiance et le plein soutien de la France dans leur mission. Vous savez le prix que la France attache, depuis l'origine de la crise irakienne, à l'unité du Conseil de sécurité. Cette unité repose aujourd'hui sur deux éléments essentiels : Nous poursuivons ensemble l'objectif d'un désarmement effectif de l'Irak. Nous avons en ce domaine une obligation de résultat. Ne mettons pas en doute notre engagement commun en ce sens. Nous assumons collectivement cette lourde responsabilité qui ne doit laisser place ni aux arrière-pensées, ni aux procès d'intention. Soyons clairs : aucun d'entre nous n'éprouve la moindre complaisance à l'égard de Saddam Hussein et du régime irakien. En adoptant à l'unanimité la résolution 1441, nous avons collectivement marqué notre accord avec la démarche en deux temps proposée par la France : le choix du désarmement par la voie des inspections et, en cas d'échec de cette stratégie, l'examen par le Conseil de sécurité de toutes les options, y compris celle du recours à la force. C'est bien dans ce scénario d'échec des inspections, et dans ce cas seulement, que pourrait se justifier une seconde résolution. La question qui se pose aujourd'hui est simple: considérons-nous en conscience que le désarmement par les missions d'inspections est désormais une voie sans issue ? Ou bien, estimons-nous que les possibilités en matière d'inspection offertes par la résolution 1441 n'ont pas encore été toutes explorées ? En réponse à cette question, la France a deux convictions : la première, c'est que l'option des inspections n'a pas été conduite jusqu'à son terme et peut apporter une réponse efficace à l'impératif du désarmement de l'Irak ; la seconde, c'est qu'un usage de la force serait si lourd de conséquences pour les hommes, pour la région et pour la stabilité internationale qu'il ne saurait être envisagé qu'en dernière extrémité. Or que venons-nous d'entendre, à travers le rapport de MM. Blix et El Baradeï ? Nous venons d'entendre que les inspections donnent des résultats. Bien sûr, chacun d'entre nous veut davantage et nous continuerons ensemble à faire pression sur Bagdad pour obtenir plus. Mais les inspections donnent des résultats. Lors de leurs précédentes interventions au Conseil de sécurité, le 27 janvier, le président exécutif de la CCVINU et le directeur général de l'AIEA avaient identifié précisément les domaines dans lesquels des progrès étaient attendus. Sur plusieurs de ces points, des avancées significatives ont été obtenues: Dans les domaines chimiques et biologiques, les Irakiens ont remis de nouveaux documents aux inspecteurs. Ils ont aussi annoncé la création des commissions d'investigation, dirigées par les anciens responsables des programmes d'armements, conformément aux conclusions de M. Blix. Dans le domaine balistique, les informations fournies par l'Irak ont permis aux inspecteurs de progresser également. Nous détenons avec précision les capacités réelles du missile Al-Samoud. Maintenant, il convient de procéder au démantèlement des programmes non autorisés, conformémement aux conclusions de M. Blix. Dans le domaine nucléaire, des informations utiles ont été transmises à l'AIEA sur les points les plus importants évoqués par M. El Baradeï le 27 janvier : l'acquisition d'aimants susceptible de servir à l'enrichissement


d'uranium et la liste des contacts entre l'Irak et le pays susceptible de lui avoir fourni de l'uranium. Nous sommes là au coeur de la logique de la résolution 1441, qui doit assurer l'efficacité des inspections grâce à une identification précise des programmes prohibés, puis à leur élimination. Nous sommes tous conscients que le succès des inspections suppose que nous aboutissions à une coopération pleine et entière de l'Irak. La France n'a cessé de l'exiger. Des progrès réels commencent à apparaître : l'Irak a accepté le survol de son territoire par des appareils de reconnaissance aérienne ; il a permis que des scientifiques irakiens soient interrogés sans témoins par les inspecteurs ; un projet de loi prohibant toutes les activités liées aux programmes d'armes de destruction massive est en cours d'adoption, conformément à une demande ancienne des inspecteurs ; l'Irak doit fournir une liste détaillée des experts ayant assisté en 1991 aux destructions des programmes militaires. La France attend bien entendu que ces engagements soient durablement vérifiés. Au-delà, nous devons maintenir une forte pression sur l'Irak pour qu'il aille plus loin dans la voie de la coopération. Ces progrès nous confortent dans la conviction que la voie des inspections peut être efficace. Mais nous ne devons pas nous dissimuler l'ampleur du travail restant à accomplir : des questions doivent être élucidées, des vérifications doivent être conduites, des installations ou des matériels doivent sans doute encore être détruits. Pour ce faire, nous devons donner aux inspections toutes les chances de réussir. J'ai fait des propositions le 5 février devant le Conseil. Depuis lors, nous les avons précisées dans un document de travail adressé à MM. Blix et El Baradeï et communiquées aux membres du Conseil. Quel est leur esprit ? Il s'agit de propositions pratiques et concrètes, qui peuvent être mises en oeuvre rapidement et qui sont destinées à renforcer l'efficacité des opérations d'inspection. Elles s'inscrivent dans le cadre de la résolution 1441 et ne nécessitent par conséquent aucune nouvelle résolution du Conseil. Elles doivent venir à l'appui des efforts menés par MM. Blix et El Baradeï, qui sont naturellement les mieux à même de nous dire celles d'entre elles qu'ils souhaitent retenir pour assurer la meilleure efficacité de leurs travaux. Dans leur rapport, ils nous ont fait des commentaires utiles et opérationnels. La France a déjà annoncé qu'elle tenait des moyens supplémentaires à la disposition de MM. Blix et El Baradeï, à commencer par ses appareils de surveillance aérienne Mirage IV. Alors oui, j'entends bien les critiques : il y a ceux qui pensent que, dans leur principe, les inspections ne peuvent avoir aucune efficacité. Mais je rappelle que c'est le fondement même de la résolution 1441 et que les inspections donnent des résultats. On peut les juger insuffisants mais ils sont là. Il y a ceux qui croient que la poursuite du processus d'inspection serait une sorte de "manoeuvre de retardement" visant à empêcher une intervention militaire. Cela pose naturellement la question du temps imparti à l'Irak. Nous sommes là au centre des débats. Il y va de notre esprit de responsabilité. Ayons le courage de mettre les choses à plat. Il y a deux options : l'option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n'oublions pas qu'après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l'unité de l'Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l'intrusion de la force. Face à de telles perspectives, il y a une autre option offerte par les inspections, qui permet d'avancer de jour en jour dans la voie d'un désarmement efficace et pacifique de l'Irak. Au bout du compte, ce choix-là n'est-il pas le plus sûr et le plus rapide ?


Personne ne peut donc affirmer aujourd'hui que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut affirmer non plus qu'il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d'un échec. Serait-ce notre seul recours face aux nombreux défis actuels ? Donnons pas conséquent aux inspecteurs des Nations unies le temps nécessaire à la réussite de leur mission. Mais soyons ensemble vigilants et demandons à MM. Blix et El Baradeï de faire régulièrement rapport au Conseil. La France, pour sa part, propose un nouveau rendez-vous le 14 mars au niveau ministériel, pour évaluer la situation. Nous pourrons alors juger des progrès effectués et de ceux restant à accomplir. Dans ce contexte, l'usage de la force ne se justifie pas aujourd'hui. Il y a une alternative à la guerre : désarmer l'Irak par les inspections. De plus, un recours prématuré à l'option militaire serait lourd de conséquences. L'autorité de notre action repose aujourd'hui sur l'unité de la communauté internationale. Une intervention militaire prématurée remettrait en cause cette unité, ce qui lui enlèverait sa légitimité et, dans la durée, son efficacité. Elle pourrait avoir des conséquences incalculables pour la stabilité de cette région meurtrie et fragile. Elle renforcerait le sentiment d'injustice, aggraverait les tensions et risquerait d'ouvrir la voie à d'autres conflits.Nous partageons tous une même priorité, celle de combattre sans merci le terrorisme. Ce combat exige une détermination totale. C'est depuis la tragédie du 11 septembre, l'une de nos responsabilités premières devant nos peuples. Et la France, qui a été durement touchée à plusieurs reprises par ce terrible fléau, est entièrement mobilisée dans cette lutte qui nous concerne tous et que nous devons mener ensemble. C'est le sens de la réunion du Conseil de sécurité qui s'est tenue le 20 janvier, à l'initiative de la France. Il y a dix jours, le secrétaire d'Etat américain, M. Powell, a évoqué des liens supposés entre Al Quaïda et le régime de Bagdad. En l'état actuel de nos informations et recherches menées en liaison avec nos alliés, rien ne nous permet d'établir de tels liens. En revanche, nous devons prendre la mesure de l'impact qu'aurait sur ce plan une action militaire contestée actuellement. Une telle intervention ne risquerait-elle pas d'aggraver les fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le terrorisme ? La France l'a toujours dit : nous n'excluons pas la possibilité qu'un jour il faille recourir à la force, si les rapports des inspecteurs concluaient à l'impossibilité pour les inspections de se poursuivre. Le Conseil devrait alors se prononcer et ses membres auraient à prendre toutes leurs responsabilités. Et, dans une telle hypothèse, je veux rappeler ici les questions que j'avais soulignées lors de notre dernier débat le 4 février et auxquelles nous devrons bien répondre : en quoi la nature et l'ampleur de la menace justifient-elles le recours immédiat à la force ? Comment faire en sorte que les risques considérables d'une telle intervention puissent être réellement maîtrisés ? En tout état de cause, dans une telle éventualité, c'est bien l'unité de la communauté internationale qui serait la garantie de son efficacité. De même, ce sont bien les Nations unies qui resteront demain, quoi qu'il arrive, au coeur de la paix à construire. Monsieur le président, à ceux qui se demandent avec angoisse quand et comment nous allons céder à la guerre, je voudrais dire que rien, à aucun moment, au sein de ce Conseil de sécurité, ne sera le fait de la précipitation, de l'incompréhension, de la suspicion ou de la peur. Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'Occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux


combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèles à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur." Dominique de Villepin, Ministre des Affaires Etrangères (6 mai 2002 - 30 mars 2004)


CARTE DES AVA ET DES PRECIPITATIONS ANNUELLES EN CALIFORNIE (Source : www.california-wines.org)


RESOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN sur l'accord viticole entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique adoptée le 29 septembre 2005 Le Parlement européen, – vu l'accord bilatéral paraphé par l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique le 15 septembre 2005 sur le commerce de vin, – vu le chapitre agricole des négociations en cours de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), – vu le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune du marché vitivinicole121, – vu l'accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission du 26 mai 2005122, qui stipule que, dans le cadre des accords internationaux, y compris les accords commerciaux, la Commission informe le Parlement clairement et sans délai, tant pendant la phase de préparation des accords que pendant le déroulement et la conclusion des négociations internationales, des projets de directive de négociation, des directives de négociation adoptées ainsi que du déroulement et de la conclusion des négociations, –

vu l'article 103, paragraphe 4, de son règlement,

A. considérant que les relations politico-économiques constituent l'épine dorsale des relations entre l'Union européenne et les États-Unis, lesquelles couvrent un champ de plus en plus large, B. considérant que ce premier accord entre l'Union européenne et les États-Unis, conclu après deux décennies de négociations infructueuses, n'a qu'une portée minimale et ne traite pas d'une façon satisfaisante de l'ensemble des questions relatives au commerce bilatéral du vin, lesquelles feront l'objet d'une deuxième phase d'accords, C. considérant que cet accord bilatéral doit être encore ratifié, notamment par le Congrès des États-Unis, D. considérant les conséquences négatives de la reconnaissance mutuelle sans restriction des processus œnologiques pour l'industrie européenne du vin, E. considérant que l'usurpation des appellations géographiques de l'Union européenne par des pays tiers est contraire aux droits de propriété intellectuelle et cause un préjudice économique aux détenteurs légitimes de ces dénominations, en raison de la perte de parts de marché, F. considérant que les indications géographiques forment un cadre juridique qui est un élément essentiel de la politique communautaire en tant qu'il reconnaît l'importance de l'agriculture multifonctionnelle et l'impact social et environnemental de la production viticole dans les zones de montagne et les régions défavorisées,

121

122

JO L 179 du 14.7.1999, p. 1. Règlement modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1795/2003 de la Commission (JO L 262 du 14.10.2003 p. 13). Textes adoptés de cette date, P6_TA(2005)0194.


G. considérant que bien souvent les fausses appellations concurrencent fortement les vraies et que les États-Unis ne respectent pas la protection des vins bénéficiant d'une dénomination d'origine et les considèrent seulement comme produits semi génériques sur leurs marchés intérieurs, H. considérant que le secteur viticole européen constitue une source importante d'emplois et de revenus, qui provient de petites exploitations familiales et de petites entreprises viticoles et prend appui sur l'approche territoriale de la politique viticole européenne, I. considérant que l'on s'est écarté de l'approche précédente en ce qui concerne les accords bilatéraux et de l'idée d'une norme internationale pour le vin et la fabrication mise en avant par l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV); J. considérant que la plupart des vins bénéficiant d'une dénomination d'origine sont élaborés par des procédés traditionnels coûteux et suivant des paramètres de qualité et que ces procédés ne peuvent se comparer aux procédés industriels utilisés pour la fabrication des vins américains qui coexistent avec les vins portant des dénominations d'origine européennes, K. considérant que cet accord constituerait un précédent dans le cadre de la clause de la nation plus favorisée de l'OMC, L. considérant les inconvénients causés aux vins spéciaux par la définition du terme "vin" sur le marché du vin européen, 1. constate que cet accord bilatéral, intervenu après 20 ans de négociations, est nécessaire s'il contribue à sécuriser les exportations vers les États-Unis, qui constituent le premier marché pour les opérateurs viticoles européens, à rétablir un climat de confiance et à assurer la fluidité des échanges commerciaux; 2. souscrit à la nécessité d'un accord bilatéral entre l'Union européenne et les États-Unis sur le commerce viticole, et espère que la prochaine phase de négociations aboutira à des résultats satisfaisants pour la production traditionnelle, pour la viticulture familiale et pour la qualité de nos vins; souligne que cet accord constitue seulement un premier pas, tout insuffisant et inadapté qu'il est, dans la voie de la reconnaissance, au niveau international, des mentions traditionnelles protégées de l'Union européenne; 3. fait grief à la Commission d'avoir approuvé un accord bilatéral avec les États-Unis sans l'informer dans des délais suffisants pour lui permettre d'exprimer son point de vue et pour prendre dûment en compte ses vues, ainsi que le prévoit le point 19 de l'accord-cadre précité; 4. attire l'attention sur les répercussions que le nouvel accord pourrait avoir sur la politique de l'Union européenne en matière de commerce viticole et sur les conséquences qui pourraient en découler pour les modèles traditionnels de production, sur lesquels repose la reconnaissance de la politique communautaire de qualité; 5. déplore le fait que cet accord affaiblira considérablement la position de l'Union européenne dans les négociations sur l'agriculture au sein de l'OMC, dans la mesure où il porte atteinte à l'approche axée sur les territoires et la qualité qui prévaut dans une large partie du secteur viticole;


6. appelle la Commission à intensifier les pourparlers dans les négociations avec les États-Unis et d'autres partenaires au sein de l´OMC en vue d'établir un registre d´indications géographiques reconnues au niveau international et à inclure cet objectif parmi ses principales priorités dans les négociations agricoles multilatérales, de créer une commission mixte sur les questions relatives au vin et d'apporter des éclaircissements sur les processus d'élaboration du vin, la certification et l'utilisation de mentions traditionnelles dans la perspective d'une seconde phase de négociation; 7. demande à la Commission d'accélérer la mise en marche de la prochaine phase des négociations prévue dans l'accord avec les États-Unis, aux fins surtout de reconnaissance des dix-sept appellations comprises dans son annexe II pour que toutes les dénominations d'origine européenne pour le vin soient dûment protégées par les autorités américaines à l'intérieur de leur propre marché, dans les plus brefs délais; 8. considère nécessaire la signature d´un compromis définitif au plus tard dans le délai de deux ans indiqué dans l'accord bilatéral, en vue de mettre fin, une fois pour toutes, à l'utilisation illicite aux États-Unis des appellations communautaires protégées par la législation communautaire, étant donné la valeur ajoutée qu'elles représentent pour la viticulture européenne; 9. demande l'élaboration d'une liste positive de pratiques œnologiques admises dans le commerce avec les pays tiers, dans le cadre de l'OIV et dans le but de réaliser des évaluations préalables aux futures nouvelles autorisations; 10. prie instamment la Commission de promouvoir la négociation au niveau international d'une définition contraignante du vin qui freine le développement de certaines pratiques œnologiques afin de protéger les efforts de qualité réalisés au sein de l'Union européenne et d'éviter une concurrence déloyale envers les producteurs communautaires ainsi que des déséquilibres de marché; 11. reconnaît qu'un cadre est nécessaire à la poursuite des négociations dans le secteur du vin, notamment à la lumière de la prochaine réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole, laquelle est prévue pour 2006; 12. juge indispensable de renforcer les mesures communautaires pour l'amélioration et la promotion de la qualité des productions communautaires dans le cadre de la prochaine réforme de l'organisation commune du marché, en vue de faire face à la concurrence accrue des pays tiers; 13. estime qu'il serait utile de disposer d'un avis juridique sur la compatibilité de cet accord bilatéral avec la législation communautaire; 14. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements des États membres et au Congrès des États-Unis d'Amérique.


COMMENT LES VINS DE BORDEAUX FONT-ILS FACE À LA MONDIALISATION ? Conférence donnée à Sciences-Po Bordeaux 10 mars 2010 Intervenants - M. Denis Dubourdieu : Œnologue consultant, professeur, viticulteur et Directeur Général de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin. - M. Roland Feredj : Directeur du CIVB. - M. Gildas d’Ollone : Directeur Général de Pichon-Longueville Comtesse de Lalande (Grand Cru classé) - M. Arnaud de Raignac : Viticulteur exploitant dans l’Entre-deux-Mers (abbaye de SaintFerme et Château Launay). - M. Jean-Pierre Rousseau : Négociant, Diva Wine.

En guise d’introduction, l’étudiante de Sciences-Po qui mène la conférence rappelle qu’il n’y a pas un Bordeaux mais des Bordeaux. Il s’agit de vignobles divers par ses nombreux acteurs, par ses appellations d’où la diversité des situations face à la mondialisation. I - « Petits » et « Grands » viticulteurs : « un monde de squales » ? M. Dubourdieu, vous qui êtes spécialiste de la notion de terroir, pouvez-vous nous l’expliciter ? C’est la manifestation du terroir qui est importante. Un terroir c’est un cru, un goût qu’on reconnaît, qu’on aime et qu’on ne trouve pas ailleurs. Ses causes sont invérifiables mais il y a tout de même un air de famille dans les Bordeaux. Les grands et les bons Bordeaux sont faciles à distinguer. Ils ont également un style, une couleur éternellement jeune car il semble toujours plus jeune que son âge. Le Bordeaux est un vin de paradoxes. La fraîcheur domine une dégustation de bon Bordeaux. M. Feredj, pouvez-vous nous expliquer votre rôle au sein du CIVB ? Je dirige les différents services du CIVB, j’occupe un poste de directeur général. Il s’agit d’un gros dispositif juridique qui vise à mettre en place des régulations en matière qualitative ou économique. Il n’y a pas de domaine commercial mais c’est un moyen pour faire la promotion des Bordeaux dans le monde. En effet, sur les 540 L que boit un consommateur, 36 sont du vin. M. Ollone, quelle est la part de la promotion dans votre activité ? Pour promouvoir nos produits, nous faisons beaucoup de terrain. Nos vins sont proches du produit de luxe ce qui permet de tirer vers le haut l’ensemble des Bordeaux. Je m’appuie sur le monde du négoce et sur les distributeurs ainsi que sur les journalistes. Il y a trois types de vin à Pichon mais le grand vin est exporté à 90 voire 95% dans les pays émergents (majoritairement la Chine).


M. de Raignac, en tant que « petit » producteur comment faites-vous votre promotion ? Je fais ma propre promotion avec mes propres moyens mais il m’est difficile d’émerger. M. Feredj, nous voyons à travers ces deux viticulteurs des différences très importantes en terme de moyens, comment faites-vous pour concilier des intérêts si opposés ? Il s’agit d’intérêts complémentaires. Bordeaux, c’est la notoriété des grands mais aussi des petits. C’est le même bateau qui doit avancer. M. Feredj, le CIVB semble touché par la crise puisque les cotisations ont baissé et les vignerons indépendants se plaignent de n’être pas représentés. Existe-t-il un problème de communication interne au CIVB ? La crise frappe la viticulture au niveau mondial. Les échanges qui représentaient 90 millions hl sont tombés en un an à 70 millions hl. Pour Bordeaux, de 6 millions, nous sommes passés à 4,8 M hl. Ce n’est pas une crise du CIVB mais une crise globale. Il faut désormais réfléchir à l’après-crise et à ce que sera l’avenir de Bordeaux. En période de crise, comment agissez-vous puisque les cotisations ont baissé ? La baisse des cotisations est liée à une crise plus globale. Nous essayons de mieux les répartir en nous concentrons sur ce que nous pensons être essentiel à savoir la recherche et le contrôle qualité. On ne peut que rebondir. L’amélioration de la qualité est basée sur les investissements des professionnels.

II - Les vins de Bordeaux : un marché à part ? Rôle du négoce et situation des vins de Bordeaux sur la scène internationale M. Rousseau, pouvez-vous nous expliquer le concept de « place de Bordeaux » ? La Place de Bordeaux est un concept qui ne concerne que les grands vins. La notion de château y a toute son importance. A l’étranger, nous nous apercevons que seule une seule marque est connue, celle de Mouton-Cadet. Elle s’apparente un peu à une place de la Bourse : par exemple, si une bouteille vaut 50 euros, elle est vendue au moins 60 euros. Si le négociant la garde elle vaudra entre 70 et 80 euros car il y a un phénomène unique d’intervenants qui travaillent sur les étiquettes. Le prix du vin augmente car chaque personne qui le déteint veut faire une plus-value dessus. Ce système est unique à Bordeaux car le négoce travaille sur des exclusivités : propriétés ou négociants qui vendent directement. M. Rousseau, les primeurs 2009 vont commencer. Qu’attendre de cette année ? Bordeaux est la seule région au monde à avoir derrière elle autant de bons millésimes. 2009 sera une année de grande qualité et très médiatisée ce qui est une preuve que le système de Bordeaux continue à fonctionner. Mais le coût du tonneau stagne alors que


les coûts ne cessent d’augmenter. Beaucoup de propriétés ont des problèmes pour survivre. M. Rousseau, un discours est omniprésent à savoir celui qui rejette sur le monde du négoce les difficultés des petits producteurs. Existe-t-il un manque de solidarité de la part du négoce ? La principale difficulté du négociant est de ne pas avoir de fond propre, de marque propre. M. Feredj : M. Rousseau est un élu, un homme politique. Pour lui, cette crise révèle la nécessité d’organiser l’offre. Le marché est très ouvert d’où l’existence de rapports de force au détriment des acheteurs. L’une des pistes de réflexion est consacrée à ne pas laisser les producteurs inorganisés car aujourd’hui c’est la jungle. Il faut rétablir l’équilibre et penser au management de la filière. Le vin n’est pas un produit comme un autre. 80 % des actions financières sont des produits agricoles qui ne se concrétisent pas par un achat. Le prix de production d’un tonneau s’élève à 1 200 euros et n’est vendu qu’à 750. Mais il faut se garder de raisonner en moyenne sur une telle variété. M. Rousseau, si le négoce n’achète pas, les viticulteurs se débrouillent tous seuls. Cela signifie-t-il qu’à terme le monde viticole se passera des négociants ? Pour les grands crus, j’en doute, pour les petites propriétés je ne le souhaite pas. Internet peut être une solution ou une aide. La Place de Bordeaux évolue mais pas à l’image des grands crus. Le classement de 1855 serait-il désuet ? Sert-il à maintenir une forme de hiérarchie ? M. Ollone : Le classement de 1855 a été fait sur la valeur des vins pendant 100 ans. Il est basé sur la qualité et sur les prix. M. Dubourdieu : La notoriété des vins est très ancienne, antérieure au classement qui est le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande. Un vin peut être à un niveau de classement qui ne livre pas ce que l’on pourrait attende mais c’est une minorité car on assiste à une émulation des acteurs et à la concurrence mondiale. Je pense que le problème est ailleurs : pour des vins qui ne font pas partie de ce classement il est très difficile de faire valoir qu’ils sont aussi bons et acquérir une notoriété supérieure. M. Feredj : Je suis toujours plongé d’admiration devant ce classement car c’est un sujet de discussion inépuisable qui alimente un intérêt pour Bordeaux. Par rapport au thème de l’ouverture international, quels sont les nouveaux marchés qui se sont ouverts ? M. Rousseau : La Chine est une locomotive qui tire une bonne partie de Bordeaux. L’Inde est le marché de demain. M. Ollone : Hong-Kong est la porte d’entrée de la Chine car il n’y a aucune taxe entre les deux. Beaucoup de Chinois viennent à Hong Kong acheter du vin. Les opérateurs anglais s’installent à Hong Kong ce qui gêne le négoce bordelais. M. Feredj : Il faut souligner à cet effet les aspects de la réglementation française douanière parfois absurde. Le vin acheté est stocké à Londres où il peut être vendu partout plutôt qu’à Bordeaux.


M. de Raignac : Il ne faut pas oublier l’Amérique du Sud et le Mexique intéressés pour acheter du Bordeaux. Qui souffre de cette diversification des marchés ? M. Feredj : Il faut savoir que partout où l’on exporte du Bordeaux, il est souvent majoritaire en volume. Bordeaux est très bien placé sur le segment « art » mais quid du segment « basique » et « fun ». D’où la nécessité d’une organisation de l’offre. M. Dubourdieu, les Bordeaux sont majoritairement des vins d’assemblage. Existe-t-il une demande du consommateur pour mentionner sur l’étiquette les noms de cépages ? Mettre les noms des cépages est autorisé. Mais plus que cela, il faut faire du bon vin. Le cépage est une variable d’adaptation au millésime. Il existe une exception : le Sauvignon blanc qui possède de nombreux amateurs dans le monde. Il s’agit d’un cépage qui a une extraordinaire diversité de goût selon la région de production.

III - L’image de Bordeaux à l’étranger M. Dubourdieu, le Bordeaux est-il « has been » ? Pas du tout ! Est-il réservé à une clientèle élitiste, est-il trop cher ? Le Bordeaux est-il un produit de luxe ? M. Feredj : La notoriété de Bordeaux se fait par les grands crus ce qui valorise l’image de tous les Bordeaux. Il vaut mieux avoir cette image que rien n’avoir du tout. Il faut favoriser l’accessibilité des vins de Bordeaux. Les Bordeaux représentent 2% des volumes mondiaux mais 9% de leur valeur. Les consommateurs sont fascinés par Bordeaux qui représente l’excellence. M. Dubourdieu : Un Bordeaux doit se payer à un certain prix, entre 15 et 25 euros. L’oenotourisme qui se développe de plus en plus dans la région, représente-t-il la volonté de changer d’image ? M. Feredj : Le CIVB travaille avec l’Office de Tourisme de Bordeaux. Si la France attire toujours autant de touristes, l’Aquitaine n’est qu’à la 7e ou 8e place des régions touristiques. Mais il n’y a aucun pilotage de la part des collectivités territoriales. On assiste à une dispersion des moyens. L’attractivité est le seul fait des viticulteurs et des négociants. L’oenotourisme est une diversification de la viticulture et c’est une façon intelligente de faire sa propre promotion.

L’étudiante de Sciences-Po a conclu la conférence sur l’absence de personnalité charismatique auprès du pouvoir central et sur la nécessité d’avoir une approche du vin moderne.


CHRONOLOGIE OPUS-ONE 1970 : Robert Mondavi et le Baron Philippe de Rothschild se rencontrent pour la première fois à Hawaï. Le Baron propose un partenariat à part équitable 50-50. 1978 : Le Baron invite Robert Mondavi à Château Mouton Rothschild. Au bout d’une heure, ils ont déjà établi les bases de leur projet. 1979 : Lucien Sionneau, maître-œnologue à Château Mouton Rothschild, et Timothy Mondavi vinifient ensemble le premier millésime du nouveau vin du partenariat, à la « Robert Mondavi Winery » dans la Napa Valley. 1980 : Les deux partenaires annoncent officiellement leur association. 1981 : Robert Mondavi cède la parcelle « Q » (15 hectares) de son célèbre vignoble « ToKalon » à la joint-venture. La parcelle « Q » devient le premier vignoble appartenant à la nouvelle joint-venture. 1982 : Robert Mondavi et le Baron commencent à réfléchir sur le nom du vin et sur la conception de l’étiquette. 1983 : La joint-venture fait l’acquisition d’une nouvelle parcelle de 20 ha située à Oakville sur la route nationale 29, la Parcelle de la Rivière pour agrandir son domaine. Les partenaires décident de donner à leur vin un nom d’origine latine, facilement reconnaissable dans les deux langues. Le Baron fait part de son choix, « Opus », terme utilisé en musique pour répertorier chronologiquement l’œuvre d’un compositeur. Deux jours plus tard, ce dernier apporte la touche finale et le nom devient « Opus-One ». 1984 : Les deux premiers millésimes, 1979 et 1980, sont introduits en même temps. Le Baron, sa fille Philippine et Robert Mondavi choisissent l’architecte Scott Johnson, du Cabinet Johnson, Fain & Pereira, pour construire la winery d’ « Opus-One ». « Opus-One » fait l’acquisition de la parcelle « Ballestra » contiguë à la Parcelle de la Rivière d’une superficie de 20 ha. 1985 : Patrick Léon devient maître-œnologue à Château Mouton Rothschild, suite au départ de Lucien Sionneau. Timothy Mondavi et Patrick Léon forment dorénavant la nouvelle équipe d’œnologues à « Opus-One ». « Opus-One » est désormais considéré comme un « Premier Cru Californien » avec une valeur minimale de 50$ la bouteille. 1987 : Les ventes atteignent 11 000 caisses par an. 1988 : Mort du Baron à l’âge de 85 ans. Exportation d’une partie du millésime 1985 Winery Opus-One. 1991 : La Winery est accomplie. 1995 : « Opus-One » atteint sa pleine capacité de production soit 30 000 caisses par an.


2004 : Le conseil de surveillance d’Opus One nomme David Pearson, Directeur Général. Michael Silacci est désigné winemaker, l’unique responsable des secteurs viticulture et œnologie. Constellation Brands, Inc. acquiert Robert Mondavi Corporation et assume la copropriété d’Opus-One à 50%. 2005 : Madame Philippine de Rothschild et Robert Sands, le Président Directeur Général de Constellation Brands annocent l’accord d’Opus One entre Baron Philippe de Rothschild S.A. et Constellation Brands, Inc. Opus One gèrera de façon indépendante le vignoble, le marketing et les ventes, ainsi que l’administration. 2008 : Mort de Robert Mondavi.


ENTRETIEN DE ROLAND FEREDJ Directeur Général du CIVB Bordeaux, siège du CIVB 9 avril 2010 Son parcours Etudes à Poitiers puis à Bordeaux. Un an contractuel à l’ENA puis secrétaire général de l’IEP de Bordeaux. Fin 1988, il répond à une annonce pour devenir délégué général au CIVB. En 1998, il est désigné à la tête du CIVB. C’est un organisme privé créé par une loi (18 août 1949). Il est placé sous la tutelle des ministères de l'Agriculture et des Finances et soumis au contrôle économique de l'État. C’est une sorte d’ « ovni juridique » comme il en existe pour les vins de Cognac et de Champagne. Actualité du CIVB Après la crise des Grands Vins de Bordeaux en 1973-1974, développement continu jusqu’en 2001. De 2001 à 2003 crise conjoncturelle. 2004 : développement des exportations. Puis arrivée de la crise économique durant laquelle le CIVB a assisté à une perte de 15% de ses exportations. Une seule parade à cette crise : le redémarrage économique. Le CIVB prépare l’après-crise. Pour cela, il a fait appel à une société de réflexion stratégique qui analyse les atouts et les faiblesses de la filière. Des propositions concrètes seront faites en juillet à propos de la compétitivité des entreprises, de la marque de « Bordeaux », du terroir. Quid des vins de Bordeaux demain ? Mais ces problématiques sont aussi celles des collectivités locales. Une prise de conscience des élus qui tarde à venir… Les problèmes agricoles sont principalement de compétences communautaires. Mais la notoriété des vins de Bordeaux rejaillit sur tous les domaines tels que les universités. « Rien n’est possible sans un environnement positif. » L’Etat est aujourd’hui subordonné aux politiques communautaires. L’avenir des viticulteurs est surdéterminé par Bruxelles par des logiques assez libérales. En 20 ans, la surface des vins de qualité à été multiplié par 2. Mais aujourd’hui, les vins de Bordeaux doivent faire face à un contexte très concurrentiel. C’est la raison pour laquelle nous assistons à une rationalisation de la PAC. Pour de nombreux élus, le vin de Bordeaux fait partie d’une sorte de folklore. Le CIVB a le plus grand mal à intéresser le personnel politique qui ne possède pas de vision d’ensemble. Les élus sont concernés par les problématiques de transport, d’urbanisation, de gestion de l’espace. Le CIVB attaque des décisions publiques au tribunal administratif. Ce qui est important c’est la prise de conscience de « développement durable » de « protection de l’environnement ». Le CIVB défend un principe : une zone agricole est une zone AOC où l’on fait pousser des plantes. Il existe des procédures à respecter. Par exemple, le maire de Cadillac a transformé 55 ha viticoles en zone à urbaniser. Il existe de nombreuses interactions entre le politique et le vin. A propos de l’œnotourisme Il est impossible d’avoir une véritable politique touristique même si nous sommes une région attractive grâce à nos côtes et à la proximité des Pyrénées. Satisfaire une demande c’est mettre de l’argent sur la table. Mais cette demande doit surtout être structurée et les


viticulteurs n’ont pas les compétences nécessaires. Il faut ensuite s’interroger sur les formes à attribuer à cet œnotourisme (vacances à la ferme, circuit culturel, tourisme de masse) et développer les infrastructures adequat. L’Aquitaine a une offre formidable mais quand les touristes arrivent soit à la gare Bordeaux-Saint Jean soit à l’aéroport de Mérignac, il n’y a aucune structure pour les renseigner. Quant aux viticulteurs, le tourisme est un axe intéressant pendant cette période de crise mais ce n’est pas leur métier. Il apparaît aujourd’hui qu’il soit nécessaire d’avoir une politique touristique. Mais le comité régional du tourisme se heurte aux comités départementaux. Il n’existe aucune coordination entre ces différents organismes. Une réforme des collectivités territoriales apparaît comme étant cruciale afin d’attribuer des compétences claires à chacun. A propos du futur centre culturel dédié au vin Il y a 15 ans, un projet immobilier avait été envisagé à la suite de la destruction des chais aux Chartrons mais ce projet sera vite avorté face à la création de nombreuses associations contre ce projet. Le projet d’un espace culturel dédié au vin a été remis à l’ordre du jour peu après l’échec du précédent en 2006 par le maire, M. Alain Juppé, suite à l’engouement des Bordelais pour soutenir leur ville en tant que capitale européenne de la culture. Le budget s’élève à 59 millions d’euros sans le financement du département qui ne souhaite pas s’associer au projet. Le CIVB a promis 6 millions tout comme la CUB et la Ville. La région s’associera à hauteur de 18 millions. Il faut commencer le projet pour obtenir des aides européennes. Les viticulteurs sont majoritairement contre ce projet et ne voit pas en quoi ce centre culturel dédié au vin améliorera leur quotidien ou aura une influence sur la filière vitivinicole. M. Feredj est convaincu que les investissements culturels sont porteurs et que la rationalité du choix de M. Juppé apparaîtra rapidement. Il s’agit d’un véritable acte politique de la part du maire de Bordeaux, à l’image de ce que M. Rousset avait fait en portant le projet de l’ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin) bien que les universitaires désapprouvaient ce projet. Il salue à cet égard l’importance de l’intuition politique de ces deux hommes. L’ouverture du centre est prévue en 2014 et le budget sera voté courant 2010. A propos de la réforme des AOC M. Feredj tient à souligner que les AOC sont un concept extraordinairement moderne qui valorise un produit agricole tout en garantissant sa qualité et sa traçabilité. Globalement le concept est bon même si nous sommes dans une période d’ajustement qui est onéreux. Comment est-il possible de légitimer le vin de pays en termes d’AOC ? Les enjeux sont évidemment économiques et industriels mais aussi moraux et culturels.


ENTRETIEN JEAN AUBRY Montréal, Café Van Houtte, 20 février 2010 Son parcours Sa passion pour le vin naît en 1979. Membre actif de l’Académie du vin de Montréal tout en animant son club de dégustation ‘’Les écoliers du vin’’, Jean Aubry décide de faire du vin son métier. Il part pour la France en 1986, suit une formation de dégustateur professionnel à l’Institut d’œnologie de Bordeaux et obtient son diplôme d’aptitude à la dégustation (D.U.A.D.). Il devient ainsi l’un des premiers québécois à recevoir ce diplôme, complété par deux stages de vinifications aux établissements Moueix avec Jean-Claude Berrouet (Châteaux Pétrus & Lafleur-Gazin) et chez Taittinger, en Champagne. De retour au Québec, il commence activement sa nouvelle carrière devenant tour à tour Wine Coach pour la restauration et journaliste. Lauréat de prix journalistiques, Jean Aubry est aujourd’hui reconnu pour la poésie de sa plume et la maîtrise de son sujet. Il rédige une chronique dans le quotidien montréalais Le Devoir. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le vin et du guide annuel d’achat, le Guide Aubry des 100 meilleurs vins à moins de 25$. Par ailleurs, il est co-fondateur de la nouvelle méthode d’apprentissage Dawine® qui a été joué en première mondiale à Paris en 2006 à l’Ecole des femmes du vin, dont il anime les ateliers. Entretien Comment qualifieriez-vous la réputation des vins bordelais à l’étranger ? Sont-ils encore le symbole d’une « certaine idée de la France » ? Ce qui est sûr, c’est que Bordeaux est une véritable marque de commerce comme Cognac ou Champagne. La Californie ne peut se passer de faire des références constantes à Bordeaux. Aujourd’hui elle essaie de le battre sur son propre terrain, avec le Cabernet-Sauvignon. Les Américains admirent l’intelligentsia bordelaise, l’idée de château, de terroir qui ont plus de 400 ans. Tout ceci est en grande partie dû à un avocat, Robert Parker, qui a remis Bordeaux sur la carte géopolitique des États-Unis en 1982. Il a quantifié Bordeaux grâce à la création d’un système d’évaluation (de 0 à 100). Il a rendu au vin sa matière commerciale. Il privilégie des vins bordelais sucrés, bien charpentés, dont l’alcool est supérieur à 14° alors qu’au XVIIe siècle, les Bordeaux étaient très clairs. Selon vous, quelles sont les différences fondamentales entre ces deux terroirs ? Il y a beaucoup plus de finesse, de discernement à Bordeaux qui est devenu une marque exportable. Mais seulement 3% des vignerons tirent leur épingle du jeu alors que les autres sont en grandes difficultés. Les différences culturelles sont essentielles. Le sol n’est guère important contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est ce que les vignerons en font qui prime. Les axes de communication sont essentiels pour les échanges encore aujourd’hui et les cours d’eau expliquent en grande partie l’essor de Bordeaux. La Californie a la maîtrise de toutes les nouvelles techniques (par exemple trouver les bons clones). Elle assure la complexité du produit. Aujourd’hui on assiste à la folie des tables de tri. Mais il n’y a plus de décalage sur le plan de l’élaboration des bons vins. Les deux terroirs s’observent.


Pensez-vous que nous allons vers une « globalisation » du monde viticole ? Inexorablement la tendance est à l’uniformisation. Mais la France a la chance d’avoir différents terroirs donc l’homogénéité de ses vins n’est pas à craindre. Néanmoins, nous observons un contre-exemple à ceci à savoir que la Californie est en train de rechercher son identité viticole123. Elle veut trouver sa propre voie car 86% des vins produits aux Etats-Unis sont consommés aux Etats-Unis. Les vins californiens sont aujourd’hui des vins technologiques et certains winemakers sont de véritables stars. Robert Mondavi était un précurseur en la matière puisque dans les années 1970 il effectuait déjà des allers-retours entre Paris et la Napa. Pour les Américains, le vin est un des symboles de la France d’où leur réaction après le discours de Dominique de Villepin à la tribune de l’ONU le 7 mars 2003 qui affirmait la décision de la France de ne pas s’engager aux côté des Etats-Unis dans la guerre en Irak… (à savoir les bouteilles de vins français déversées dans les rues de New York) Les Américains sont tout simplement jaloux. Ils voudraient faire mieux que les Français mais ils ne font que les copier. Le procès sans fin pour l’appellation « Champagne » est un bon exemple. Ils sont fascinés, impressionnés par Bordeaux. Mais ils disposent de moyens de communication très importants pour s’imposer sur le marché et ceci fait gravement défaut à Bordeaux. Quel est véritablement le poids des acteurs qui gravitent autour du vin aux origines des exportations ? Les gros groupes implantés en Californie à l’image de Foster’s ont une force de frappe impressionnante pour faire connaître leurs vins. Le négoce était utile aux producteurs à l’époque où les bénéfices étaient difficiles à assurer. Les importateurs américains voudraient acheter directement aux producteurs et avoir un accès privilégiés aux vignerons. Ressentez-vous des tensions locales lors de vos déplacements ? Beaucoup ne dénigrent pas les vignerons directement mais c’est le monde du chacun pour soi. Les bons vignerons se connaissent et vont dans la même direction. Ils sont très méfiants vis-à-vis du CIVB et mettent en cause sa neutralité. Ceux qui font la promotion de leurs vins ratent leur cible. Certains se regroupent est font leur propre promotion pour défendre leurs propres intérêts. Les Américains sont beaucoup plus solidaires. Les gens échangent et se connaissent. Pensez-vous que les réglementations qui entourent la production de vin sont trop complexes ? Les AOC doivent-elles être réformées ?

123

Pour compléter ce sujet, cf l’article « Les vins californiens en quête d’une image territoriale » de Azedine Chaouch, Perrine Gros, Emmanuelle Leclercq et Marie-Gabrielle Leclair sous la direction de Raphaël Schirmer.


Les meilleurs éléments qui appartiennent aux AOC veulent en sortir et revenir aux Vins de pays. Bordeaux est une appellation. J’ai proposé d’indiquer sur l’étiquette de la bouteille « Vin de France » avec une contre-étiquette expliquant la région de production, le lieu de mise en bouteille, le cépage en un mot des informations essentielles pour le consommateur124. Le fait que les vins du Québec sont certifiés depuis mars 2009 ne va-t-il pas à terme dans le sens de la création d’AOC québécoise ? Je pense que cela va dans le bon sens pour la reconnaissance des vins québécois car l’appellation « Vin du Canada » est à mon sens une arnaque qui devrait être corrigée rapidement puisque seulement 40% du vin doit venir du Canada. Les vins québécois possèdent un raffinement à la française. Ils sont supérieurs en blancs, bien sûr, et sont aussi bons que n’importe quel Muscadet. Que pensez-vous du rôle des organisations gouvernementales, supra-nationales ou internationales ? (Union européenne, OMC, gouvernements nationaux) La zone euro est gonflée à l’hélium. Au Québec, les prix du vin se sont envolés ce qui met les vignerons en grandes difficultés. Les Américains qui veulent vendre en Europe ont également des difficultés. La régulation de l’arrachage n’est pas un mal. La production de vin est un peu supérieure à la demande. Mais ce repli doit être un repli intelligent et ciblé. 10% des 100 000 hectares bordelais devraient, à mon sens, être arrachés. Mais l’administration française ne s’occupe pas assez de ses vignerons. En Californie, les vignerons sont freinés par le prix du foncier. Le gouvernement américain ne leur met pas les bâtons dans les roues. Dans quelle mesure peut-on parler de crise globale du secteur viticole français ? Quelles sont les raisons de la crise que rencontrent actuellement les vins bordelais ? La crise du vin en France a plusieurs causes : l’Union européenne pour les nombreuses restrictions, le manque d’aide du Ministère de l’Agriculture qui traduit un manque d’intérêt envers les vignerons français alors qu’il s’agit d’un trésor national à préserver et à valoriser. Il y a peu d’initiatives même si l’oenotourisme commence à se développer. La loi Évin de 1991 a joué elle aussi un rôle. Que préconisez-vous alors ? Il faut prendre conscience du patrimoine que vous avez, le mettre en valeur et s’impliquer. Il faudrait aussi avoir des étiquettes plus claires pour le consommateur. L’appellation « Sud de France » est passée au Parlement ce qui permet de placer géographiquement le vin et ce, même à l’étranger.

124

Cf Revue des Vins de France de juin 2009


ENTRETIEN AVEC PASCAL LAFENETRE Viticulteur à Classun et Messanges (40) 6 avril 2010 Son parcours - Bac Pro polyculture-élevage puis BTS viticulture-œnologie dans le Médoc pour avoir une formation complète. Entre temps, il a pris goût à la viticulture. - Nombreux stages : à Bordeaux, dans la vallée du Rhône puis CDD dans le Marmandais. Mais pour avoir les aides financières de l’Etat avant de s’installer, il devait faire un stage de 6 mois. Il a en profité pour partir à l’étranger. 1. Chili (6 mois) : il était vu comme « le jeune œnologue de Bordeaux ». Exploitation moyennement grande pour le Chili soit 230 ha. 95 % du vin chilien est exporté. Les Chiliens consomment dans l’ensemble du vin de basse qualité. 2. Californie (6 mois) : Chez Allied Domecq dans la Sonoma. 3 000 ha. 180 chais. Organisation en trois 8. Spécialisation des postes, travail à la chaîne. Présence d’un directeur œnologue chef richissime et de 5 œnologues qui faisaient le lien entre le laboratoire et les chais. 70 000 barriques, 4 ha de chais à barriques sur 6 niveaux. Principale marque distribuée majoritairement aux Etats-Unis : « Le Clos du Bois ». Les travailleurs mexicains sans-papiers, à propos desquels les autorités ferment les yeux, constituaient l’essentiel de la main-d’œuvre. Vendanges même la nuit éclairées par des gros spots. Existence d’une taxe pour les vins de plus de 14° donc coupage avec de l’eau dans les cuves pour faire baisser la teneur en alcool. Magasin au sein de la winery avec son lot de produits dérivés tels que des blousons et teeshirts. 3. Nouvelle-Zélande (6 mois) : Exploitation de 35 ha. Vignoble semblable à ceux de Bourgogne de part le climat : le printemps est gélif. Une quinzaine d’hélicoptères pouvaient venir brasser l’air. Exportation du vin. Importance du Commonwealth pour la vente du vin vers les Etats-Unis. Pays encore plus libéral que les Etats-Unis : si ce n’est pas nocif pour la santé, ce n’est pas interdit. 4. Espagne, à côté de Barcelone : Approche différente car viticulture biologique au sein de la première exploitation espagnole à se reconvertir dans le bio qui avait comme avantage d’avoir déjà un nom, une marque connue et développée : « Torres ». « On peut faire partout du bio, seule la climatologie est importante. » A propos des vins du Nouveau Monde et de la Californie en particulier Ils s’inspirent de ce qu’on a fait de bien mais ne se préoccupent pas des histoires de terroir. Ils ciblent un marché et s’adaptent ensuite. On crée un vin en conséquence. Alors qu’en France, on a la démarche inverse : le Bordeaux c’est comme ça et on ne le changera pas. La réglementation est beaucoup plus souple. On fait du business avant tout. L’esprit anglo-saxon ne juge pas sur la jeunesse. Dans les années 1990-2000, les vins du Nouveau Monde ont capté de nouveaux marchés. Bordeaux qui exportait 80 % de sa production s’est fait dépasser. Opus-One est un vignoble californien qui fait du vin bordelais. En Californie, une petite cuvée est préservée et présentée à tous les concours mondiaux pour avoir la meilleure note possible ce qui permet de drainer toute la cuvée et de promouvoir le nom de la marque. A propos de son vignoble


Deux vignobles aux problématiques radicalement différentes : l’un de 5 ha à Messanges sur le littoral atlantique qui produit un « Vin de pays des sables de l’océan » et le reste à Classun qui produit des raisins qui servent à la fabrication du Tursan. L’air marin de Messanges n’est pas une contrainte. Le sol sableux est très filtrant donc les flaques d’eau sont impossibles et le développement de maladie est très difficile. Alors que dans le Tursan, dont le sol est constitué de galets rouleaux, à cause de l’humidité, il faut veiller à la prolifération des herbes et des maladies. A propos de l’organisation de la filière vitivinicole en France et plus particulièrement à Bordeaux La grande aberration du système français c’est les AOC. Tout le monde est dans l’AOC. Mais certaines AOC sont vendues à des prix dérisoires alors que certains vins de pays sont vendus plus chers et sont meilleurs. Je me méfie d’un Pauillac médaillé ; je préfère acheter un vin de pays médaillé. Le gros souci en France c’est le label. La dégustation est anonyme, ce qui est un bon principe, pour juger si un produit est représentatif de l’appellation ou non. 98 % des vins de Bordeaux sont labellisés. Le marché national est saturé ; c’est la raison pour laquelle on trouve du Bordeaux à 1,50 euro la bouteille. Il est semble essentiel d’avoir son propre débouché ou de faire appel à la grande distribution. Mais la grande distribution nous demande sans cesse de payer et de baisser nos prix. Il est peut être plus avantageux de se lier avec le hard discount car une fois que les prix sont fixés une fois pour toute pour l’année, il n’y a plus de marge arrières. Le CIVB est une interprofession qui a beaucoup de moyens mais qui ne les utilisent pas à bon escient. Bordeaux a un système unique au monde où le négoce contrôle tout et fixe les prix. Et ce dernier fait tout pour que les prix soient les plus bas possibles. Le vin de marque bien utilisé pourrait être utile à tout le monde. A propos des vins standardisés Si les gens apprécient les vins standardisés, ceux qui en produisent auraient tort de ne plus en produire puisque c’est rentable et que s’ils arrêtent, le voisin prendra la relève.


ENTRETIEN DE PHILIPPE DHALLUIN Directeur Général Directeur du Pôle d’activité Château chez Baron Philippe de Rothschild S.A Pauillac, Château d’Armailhac 12 mai 2010 Présentation Formation d’œnologue et études agroalimentaires. Employé chez Rothschild depuis 7 ans. Il est l’un des quatre directeurs généraux. Il pilote le groupe tout en étant considéré comme le winemaker. La crise est négligeable en ce qui concerne les grands crus. Qu’en est-il des exportations chez Rotschild ? La France est un marché important et représente 30 % du chiffre d’affaire. La marque Mouton-Cadet ne cesse de progresser. Les marchés les plus porteurs sont les pays traditionnels : Belgique, Suisse, Allemagne. L’Angleterre, bien sûr, qui est devenue une plaque tournante de la distribution internationale. Les Etats-Unis et le Canada selon les millésimes car les consommateurs de ces pays sont de plus en plus de fins connaisseurs. Et enfin, le Japon, Taïwan et la Corée. Quel est aujourd’hui l’impact de la marque Mouton puisque en plus de Mouton-Cadet, le nom de Rothschild est devenu une marque. La marque est-elle encore une priorité à développer au sein de la société ? L’idée des étiquettes décorées par des artistes était très novatrice pour le début des années 1920… Il faut savoir que la première étiquette de 1924 a fait un bide total. Cette idée d’étiquette qui change tous les jours est une idée forte qui est aujourd’hui bien ancrée à Mouton. Mouton est la seule marque française connue à l’étranger. Si vous allez au Burkina Faso, vous demandez du vin français ils vous donneront une bouteille de Mouton-Cadet. Elle est présente dans 150 pays du monde. Lorsque le baron a inventé la marque Mouton-Cadet en 1924 ce fut une idée géniale ! Il voulait vendre du Rothschild moins cher. Et dans les années 1930, il a été le premier à inventer la mise en bouteille au château. Aujourd’hui la marque nécessite un support marketing colossal car la marque représente 60% du chiffre d’affaire et un million de caisses. A propos des grands crus, pensez-vous que le classement de 1855 est aujourd’hui dépassé ? Ou est-ce pour vous un moyen de pression afin de perdurer la qualité reconnue par ce classement ? Ceux qui disent que le classement est dépassé sont ceux qui n’en font pas partie. Ceux qui ne le remettent pas en cause sont ceux qui y appartiennent. Le classement a été changé une seule fois, pour Mouton-Rothschild, en 1973. C’est un sujet de conversation inépuisable. C’est pour nous une très saine compétition entre grands crus. Il y a beaucoup d’émulation entre les concurrents. C’est toujours une référence, une valeur sûre. C’est la vraie force de Bordeaux d’avoir inventé ce classement.


Si je définis « Opus-One » comme étant un vin californien fait à partir du savoir-faire bordelais, est-ce fidèle à la réalité ? « Opus-One » représente 75% de ses ventes aux Etats-Unis. C’est un concept novateur, un « château-concept ». C’est un domaine attaché à un vignoble exceptionnel. « OpusOne » est née de l’idée de deux hommes : le baron Philippe de Rothschild a amené le savoir-faire bordelais et Robert Mondavi a amené le terroir. Les sols sont constitués de sable, de petits cailloux, d’argile et sont d’origine d’érosion volcanique. Il est situé près d’Oakville, sur le Q-bloc. Dès 1979, le vin est vinifié chez Mondavi et en 1990 est construite la winery Opus-One en même temps que sont achetées 4 parcelles ce qui représente en tout 68 ha. Vous qui avez à gérer aussi bien des vignobles californiens et bordelais, que pensez-vous des règlementations mises en œuvre de part et d’autre de l’Atlantique ? La réglementation française est infernale. C’est devenu une sorte de business assorti de technocratie. Les organisations interprofessionnelles essaient du mieux qu’elles le peuvent de défendre la profession. On souffre d’un manque cruel d’unité. Il n’y a pas d’esprit de corporation comme il y a en Californie. Ce qui est flagrant en France, c’est le grand autisme des politiques. Il est très compliqué de fédérer les paysans. L’Union des Grands Crus a réussi ce défi. Souvent les clochers prennent le pas sur le collectif. C’est comme ça… Alors qu’en Californie, on joue beaucoup plus le côté collectif, le côté nationaliste aussi. Il est à souligner que la Napa a une des règlementations américaines les plus strictes. Pensez-vous alors que le futur centre culturel dédié au vin voulu par M. Juppé soit un bon moyen de fédérer la profession ? J’en doute… Mais il est clair que si un tel centre devait ouvrir, il doit ouvrir à Bordeaux, capitale mondiale du vin. Un Chinois encore novice qui n’y connaît pas grand-chose, sait qu’à Bordeaux on fait des grands vins et sait ce que Bordeaux représente.


UNE INITIATIVE ORIGINALE : La Charte R.E.S.P.E.C.T. de M. des Ligneris


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.