magazine alt. #2 - hiver 2010

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Culture, lifestyle, mode & design Magazine gratuit - #2 Hiver 2010

www.magazine-alt.com art

Jeff Koons dossier

Génération 8-biT musique

Tricky scènes

Cirque Eloize livres

sofi oksanen mode

Andrea Crews design

philippe starck

ERWIN OLAF

Belles de cRéPUscUle


© Pierre Dominique Brunet. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.


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Magazine gratuit et 100% indépendant, accessible et curieux, culturel et lifestyle, alt. pose un regard différent sur la création contemporaine incontournable, émergente et décalée. Pour décrypter les idées, les mots, les images et les sons de notre époque, nous vous proposons d’aller à la rencontre de ceux - artistes, créateurs, designers, blogueurs influents et leaders d’opinion - qui aujourd’hui, imaginent demain. En 2011, retrouvez-nous tous les deux mois gratuitement chez l’ensemble de nos diffuseurs à Paris et en Province et d’ici là sur notre site internet www.magazine-alt.com. En espérant vous compter de plus en plus nombreux à nos côtés, bonne lecture Christine Sanchez Gaspard Directrice de publication Remerciements : Benjamin Kaempf, Lou Mollgaard, Marc Bothorel, Matthias Negrello & Alexis Czornomaz @ The Twelve, Christophe Moracin & Matthieu Bourrit @ Domino, Guillaume Petit, Guillaume Salmon @ Colette, Laurianne Witwicki, Lyor Amar, Virginie Gondoui, Nora Daoud, Vincent Varache, Clémence Madet & Zmirov Team, Jil Knezevic & Poulain et Proust team, Catherine Miran, Joséphine Bréjat, Hélène Romer, Agathe Vernazobres, Valentine Gillard, Jean-Albert Herman, Laure Namur, Gwénaëlle Marsillac, Ségolène Dangleterre, Charlotte Rivier, Martin Vigren, Dominique Berolatti, Élodie Dufour, Émilie Imbert, Michael Karg- The interview People GbR, Cécile Revenu & Baptiste Vadon @ Les inrockuptibles, Laurent Didailler, Laetitia Rocca, Séverin Mérad, Valérie Talagas @ Pias, Clémentine Jacquot & Phunk team, Anne-Lucie Bonniel, Solveig de Plunkett, Vanessa Fresney, Magda Danysz, Clémence Wolff, Fiona van Schendel, Anaïs Guignier, Marine Lebris, Christelle de Bernède, Julie Dejode, Thierry & Carol Solal, Jean-Philippe Duroux, Grégory Ferrante, Leslie Perilhou, Michèle Bussi, Coline Faraut, l’ensemble de nos partenaires et annonceurs, ainsi que tous ceux qui ont rendu cette aventure possible, avec une pensée particulière pour Yannis Gaspard et Edgar Sanchez. Ce numéro est dédié à la mémoire de Pierre Bagarry

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Motif de la carrosserie du BMW Art-car imaginé par Jeff Koons Interview exclusive en page 82

Une : Hotel Paris, Féline Portrait © Erwin Olaf, courtesy Flatland gallery - Magda Danysz


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13 ALBUMS & 1 BEST OF REMASTÉRISÉS + LE DVD ET BLU-RAY “LIVE AT THE MAX” * C’est juste du rock ‘n’ roll mais j’aime ça ! (1) Offre soumise à conditions et valable en France métropolitaine jusqu’au 30/11/2010, dans la limite de 50 000 cartes disponibles (au 01/12/2009) : voir conditions sur somusic.fr. Services Musicaux édités par la Société Universal Music On Line – RCS Paris B 403 323 496. So Music Rolling Stones est une option payante associée à votre carte bancaire. En plus de votre cotisation carte ou package, elle coûte 2 € par mois – Tarifs en vigueur au 01/10/2010, hors coûts éventuels liés aux prestations fournies par Universal Music. (2) Offre de remboursement jusqu’au 30/11/2010, réservée aux détenteurs de la carte So Music Rolling Stones et limitée à un remboursement par foyer (même nom, même adresse) sur la sélection d’albums remastérisés 2009 suivants : Sticky Fingers, Goats Head Soup, It’s Only Rock ‘N’ Roll, Black And Blue, Some Girls, Emotional Rescue, Tattoo You, Undercover, Dirty Work, Steel Wheels, Voodoo Lounge, Bridges To Babylon, A Bigger Bang, Jump Back – The Best Of The Rolling Stones ’71-’93 + le DVD ou Blu-ray « Live at the Max » achetés après la souscription de la carte. Remboursement par virement de l’album le moins cher. Voir conditions de remboursement sur le site somusic.fr. Société Générale, SA au capital de 933 027 038,75 € – 552 120 222 RCS Paris – Siège social : 29 bd Haussmann 75009 Paris – 10/10.

+ d’infos sur somusic.fr


Numéro #2 HIVER 2010

12 BUZZ vanités high tech, klaxons, supermarket sarah, damien hirst 16 NOUVELLE VAGUE alex prager, crystal castles, rehab, james joyce, dima logimoff 24 À LA UNE erwin olaf

MAGAZINE 32 DOSSIER génération 8-bit 38 REPORTAGE god went surfing with the devil 44 MÉDIAS jon stewart 50 PORTFOLIO diego gravinese 54 PORTFOLIO dina goldstein

LIFESTYLE 58 MODE andrea crews 64 TENDANCES 70 DESIGN philippe starck 72 FOCUS DESIGN diesel by moroso, jean-paul gaultier pour roche bobois 74 VITRINE sélection design 76 VITRINE objets collectors & high-tech 78 ADRESSES & ABONNEMENT

ACTUALITÉS 80 CULTE larry clark 82 RENCONTRE jeff koons 86 MUSIQUE tricky 88 LITTÉRATURE sofi oksanen 90 ART valérie belin 92 EXPOSITION brune, blonde 94 CINÉMA le guépard 96 SCÈNES angelin preljocaj 98 SCÈNES cirque eloize 100 SCÈNES funérailles d’hiver, la grande magie, out of context, öper öpis 102 ART rehab, l’art de refaire 104 ART let’s dance - nevermore, mois du graphisme, kaws-pivi-meyerson, gabriel orozco 106 CINÉMA prick up your ears, lenny, not quite hollywood, zombieland,the lodger 108 littérature philip roth, david vann, umberto saba 110 MUSIQUE aaron, arcade fire, les transmusicales de rennes, agnes obel,the bellrays 112 MUSIQUE chroniques cds 114 portrait m.i.a

Tricky Mixed Race (Domino / Pias) © Jack Dante - Interview exclusive en page 86



directrice de la publication

// Christine Sanchez Gaspard christinesanchez@magazine-alt.com rédacteur en chef

// Hugo Gaspard hugogaspard@magazine-alt.com direction artistique

contact@agencegrigri.com www.agencegrigri.com ont collaboré à ce numéro : // Damien Grimbert, Janice Turner Diffusion : Galeries, musées, centres d’art contemporain, lieux de vie (bars, clubs, restaurants), boutiques trendy, magasins spécialisés, salles de concerts et de spectacles, théâtres, cinémas d’art et essai, festivals en France métropolitaine et sur abonnement Le magazine alt. est une publication de l’agence alt. 47, boulevard de Clichy 75009 Paris Téléphone / Fax : +33(0)1 42 81 52 47 Mobile : +33 (0) 674 329 667 Merci d’envoyer vos informations à la rédaction avant le 20 du mois à : contact@magazine-alt.com Dépôt légal à parution : Novembre 2010 Tous droits réservés Toute reproduction même partielle du contenu est interdite sans l’accord express de l’éditeur quel que soit le support physique ou numérique. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos publiées qui engagent la seule responsabilité de leur auteur. Les documents envoyés ne seront pas retournés.

publicité a.m.c régie Carol Solal carolsolal@regieamc.fr Téléphone : +33 (0)143 770 108 Mobile : +33 (0) 663 197 416

Merci de nous contacter pour toute demande d’information complémentaire sur le magazine et sa diffusion. Site internet : www.magazine-alt.com Retrouvez alt. sur Facebook et sur twitter http://twitter.com/magazinealt

© e-boy - Dossier Génération 8-Bit page 32



buzz

Vanités high tech

L’art de “crâner“ ou comment tenir son propre crâne dans les mains et se confronter à l’image de sa propre mort... c’est cette expérience - jusqu’alors interdite, et pour le moins atypique - que le duo de créateurs industriels et de designers Antoine Fenoglio et Frédéric Lecourt a récemment rendu possible avec l’invention d’une intrigante machine à produire des Vanités. Présenté pour la toute première fois au public de la Chic Art Fair qui se tenait à la Cité de la mode et du design de Paris en octobre dernier, ce processus appelé Vanités High Tech fait littéralement tourner les têtes. Dispositif moins morbide ou dérangeant que révolutionnaire et génial imaginé par l’agence d’innovation par le design Sismo, le concept permet l’impression en 3D, à l’échelle et à l’identique de son propre crâne. Soit l’extraction – heureusement totalement indolore car numérique - puis la fabrication sur mesure d’une vanité, représentation à l’identique de votre boîte crânienne en trois dimensions. Si la photographie a permis de figer le reflet de l’homme sous forme de portrait, cette technologie numérique de reproduction spécifique rend désormais possible la représentation modélisée de l’intérieur de votre tête. Dans la droite ligne de Montaigne qui écrivait que « Philosopher, c’est apprendre à mourir », les inventeurs affirment que « Mieux se représenter la mort permet de mieux profiter de la vie ! ». Et légitime avec optimisme, cette invitation finalement toute Shakespearienne à soliloquer face à face avec son propre crâne. Pour regarder sa mort d’un peu plus près, repousser le narcissisme un peu plus loin, ou tout simplement, pour l’amour de l’art et de la technologie. www.sismodesign.com www.biennale2010.citedudesign.com //


buzz

Klaxons

- twin flames - Arrivés sur le devant de la scène sans tambour ni trompette il y a bientôt trois ans, les Klaxons avaient déjà fait beaucoup de bruit sur la toile avant même d’être signés en maison de disques, portés par une armée de singles telluriques (Atlantis to Interzone, Gravity’s Rainbow, Golden Skans…). Entre Odyssée d’Homer (Simpson) et guerre de Troy (es, dans l’Aube, pour le côté prolo), l’incontournable Myths of the near future rejetait le réalisme social ambiant pour mieux évoquer Ballard, Brautigan ou le Futurisme de Marinetti en prônant l’amour du danger, l’audace et la révolte. Et sonnait comme le manifeste improbable d’une génération d’enfants du Rock, nés sous X, mais privés de Rave, et touchés par la grâce le week-end à l’idée d’onduler leur corps moite sur un Dancefloor miteux. Produit par Ross Robinson (At the Drive-in et The Cure mais aussi Slipknot, Sepultura ou Korn), le très attendu deuxième album des sales gosses londoniens s’inscrit, passé l’inaugural et bien-nommé Echoes, dans une veine et un son volontairement plus rough, quoique toujours aussi déconcertant dans cette capacité hors-norme à assembler les constructions gigognes. Dans la lignée du premier single Flashover, Surfing the Void révèle la face sombre de ces trois mousquetaires fluos ( ils sont désormais 4) entre volonté rageuse d’en découdre et réalité désabusée. Leur dernier clip en date, Twin flames, réalisé par Saam Farahmand pour Partizan, illustre d’ailleurs magnifiquement cette généreuse partouze sonore dont le groupe s’est fait le chantre, en décrivant les ébats hybrides et surréalistes d’une bande de boys & girls entremêlés. Album : Surfing the Void (Because) En tournée : le 18 /01 à Toulouse (Bikini), le 19/01 à Nantes (Olympic), le 20/01 à Paris (Bataclan), le 21/01 à Caen (Cargo) //


buzz

Supermarket Sarah

Située au coin de la rue du marché de Portobello, à l’Ouest de Londres, la maison de Sarah déborde de trésors en tous genres, de cadeaux pour soi ou pour offrir. La jeune femme y accueille ses visiteurs avec convivialité et leur permet de découvrir son intrigante boutique à domicile tout en dégustant du thé et des gâteaux. Supermarketsarah. com prolonge ce concept store inédit sur le web. Et donne à ses visiteurs, le sentiment plaisant de pénétrer à distance dans le joli petit monde de Sarah, en leur proposant une gamme hétéroclite de pièces signées de jeunes designers et créateurs. Sur de vrais murs apparaissent les objets et vêtements choisis, sur lesquels l’internaute peut cliquer s’il désire en savoir plus ou acheter. Dans ces joyeuses vitrines au design résolument vintage - qui sont dorénavant le fruit de collaborations (cf. la vitrine d’Andy Mc Gregor en photo ) - on peut rencontrer des vêtements déjantés comme de simples services en porcelaine de Chine, des bijoux fantaisistes, des chapeaux, des accessoires pour cheveux, etc. Bourré d’audace et de bonnes idées, l’innovant supermarché de Sarah réussit par une approche ludique, chaleureuse et qualitative de l’achat en ligne, à répondre à notre besoin de petits plaisirs inspirés et inspirants. www.supermarketsarah.com


buzz

Damien Hirst

- the souls - À l’occasion de la nouvelle exposition de Damien Hirst, la Paul Stolper Gallery de Londres était entièrement recouverte de magnifiques papillons virevoltants et majestueux. Soient 120 pièces de la star et autant de variations autour de quatre espèces de papillons, irradiants de nuances vibrantes et de couleurs chatoyantes rouge, jaune, vert, bleu roy ou fuchsia. Confiant qu’il «aime les papillons parce qu’ils semblent vivants lorsqu’ils sont morts», l’artiste inscrit son projet dans la droite ligne de ses précédents, tous empreints d’une fascination manifeste pour la mort en jouant de l’effroi qu’elle suscite chez le vivant. Moins provocateur et moins macabre, Damien Hirst aborde ici la mort avec une grande douceur, l’évoquant dans le prisme allégorique, irisé et fragile de la vie de papillons éphémères, symboles de l’âme humaine et de la métamorphose. Et de ce travail propice à la contemplation comme à la méditation semble finalement résider la quintessence d’une oeuvre davantage tournée vers la recherche d’une éternelle beauté et d’une esthétique allant au-delà de la vie, que sur la mort elle-même.

www.paulstolper.com www.damienhirst.com


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nouvelle vague

ALeX PRAGeR

Entre fantasme et réalité étrange, les clichés hypnotiques et cinématiques d’Alex Prager décrivent un monde en Technicolor mais teinté d’humour noir, dans lequel se perd une galerie de personnages féminins idéalisés et fantomatiques. TEXTE : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIE : Extrait de Despair © Alex Prager

Avec des séries intitulées The Big Valley ou Polyester, cette jeune photographe autodidacte d’à peine trente ans, nous ouvre les portes d’un univers parallèle obscurément espiègle, uniquement peuplé de femmes, de paysages californiens et de voitures anciennes. Naïves et colorées, ses compositions savamment orchestrées, véritables fragments elliptiques de petites histoires bizarres, décalées ou inquiétantes, lorgnent autant du côté de Guy Bourdin – pour la mise en scène - que de William Eggleston ou Cindy Sherman – pour les couleurs. Au cœur de scènes de vie souvent familières mais à l’étrangeté revendiquée, de mystérieuses héroïnes au teint cireux et au regard perdu, affublées de perruques synthétiques ou de costumes rétros, squattent l’intérieur ou le capot de vieilles Américaines, partagent en groupe l’intimité de salles obscures, explorent les interdits dans des soirées entre filles ou hantent l’intérieur confiné de bibliothèques universitaires. En optant pour des angles de vue inhabituels et inattendus, des cadrages serrés et subjectifs, et une lumière nimbée de mystère, Alex Prager nous place plus comme voyeur que comme spectateur, d’une fantasmagorie intemporelle citant les classiques hollywoodiens d’Hitchcock à Douglas Sirk, une version féminine de la série télé le Prisonnier, les beautés “plastiques“ de Valérie Belin et l’univers adolescent barré de Daniel Clowes. Pour la première incartade (réussie) de l’artiste derrière la caméra, c’est une Bryce Dallas Howard (en photo) à la rousseau incandescente qui incarne le personnage épleuré de Despair. Simplement magique. www.alexprager.com www.parisphoto.fr



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nouvelle vague

CRYSTAL CASTLES POWER UP !

Partagé entre électro rageuse dopée aux sonorités 8 bits et digital pop férocement mélancolique, le duo de Toronto Crystal Castles n’avait qu’à moitié convaincu à la sortie de son premier album en 2008. Qu’à cela ne tienne, les voilà de retour avec un deuxième opus toujours éponyme, mais infiniment plus réussi. TEXTE : Damien Grimbert PHOTOGRAPHIE : Crystal Castles © DR

Il existe une véritable fragilité au sein de Crystal Castles. Un trop-plein d’émotion difficile à qualifier, mais dont on sent indubitablement qu’il n’a rien de feint. Une fragilité qu’on perçoit en dépit des déluges de basses, de décibels et de bleeps furibards déversés, en dépit également, des postures d’ados tête à claque que le groupe aime adopter en interview. Cette singularité mal assumée, qui donne au groupe toute sa puissance mélodique et transforme chacun de ses lives en grand-messe cathartique, on la perçoit dès leurs premiers essais discographiques, une série de maxis sortis entre 2006 et 2007 (Alice Practice,

Air War, Crimewave…) sur une poignée de labels encore méconnus (Merok, Trouble, Last Gang…). Rapidement promus nouveaux héros de la révolution digitale, les Crystal Castles font tourner la tête de tous les blogs musicaux, et fédèrent un public croissant de fans sur Internet. Fin 2007, leur prestation live dans un épisode de la série télé anglaise Skins booste encore d’un cran leur notoriété. Très (trop?) attendue, la sortie de leur premier album au printemps 2008 fait pourtant l’effet d’une douche froide. Non pas que tout soit à jeter, loin de là, mais si la grâce des quelques morceaux déjà connus subsiste encore, le reste

de l’album semble passablement peu inspiré, voire franchement superflu. Essai non performé, donc : de groupe à suivre, les Castles passent au statut de “one-hit wonder“ incapables de retrouver la grâce d’antan… Jusqu’à la sortie en mai dernier de ce deuxième album inespéré, véritable électrochoc sonique incroyablement maîtrisé, où pour le coup, rien, absolument rien n’est à jeter. Violent, lyrique, mélodique, exalté, partagé entre tension rémanente et apaisement momentané Crystal Castles (II) met enfin la fragilité du duo à nu, tout en dévoilant de nouvelles facettes de son univers. Confrontant sons 8 bits, synth

pop, ambient, trance, et noise punk dans un maelström sonore inspiré, Ethan Kath embarque l’auditeur dans un véritable trip émotionnel, changeant et volatile, où la voix perchée d’Alice Glass, désormais utilisée comme un instrument à part entière, fait figure de seul repère familier. Porte-paroles faussement crâneurs d’une génération Atari qui réclame elle aussi son droit à l’émotion, les Crystal Castles ont enfin conçu un album à la hauteur de leur talent. Il suffisait d’être patient… Crystal Castles (II) (Polydor) www.myspace.com/crystalcastles www.crystalcastles.com


An Introduction to...

Elliott Smith sortie le 02/11

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wyatt /atzmon /stephen ‘..........for the ghosts within’ DISPONIBLE La collaboration exceptionnelle entre Robert Wyatt, le saxophoniste Gilad Atzmon et la violoniste Ros Stephen. “Un tour de force qui souligne la place unique de Robert Wyatt et son appétit insatiable de création”

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MODERN RITUALS DISpONIbLE “Avec Modern Rituals, disque rivalisant de mélancolie avec ceux des beach boys, Chief décroche le pactole” LES INROCkS

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RehAB mise au vert

À l’espace Fondation EDF, l’exposition REHAB, l’art de re-faire, joue sans agressivité ou présomption, avec la notion de déchet, réhabilitée par une sélection de sculptures, vidéos, photos et installations d’une quinzaine d’artistes émergents. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Douglas White Icarus Palm (2010) © Laurent Lecat

En utilisant des matériaux aux propriétés physiques ambitieuses, tout en considérant leur historicité et leur potentiel narratif, les artistes invités ont en effet relevé le pari de détourner pour les réhabiliter, des objets familiers, domestiques ou usuels, rebut et composites cheap dont on croyait pourtant avoir fait le tour, du meuble en formica au carton d’emballage en

passant pas les pneus de voiture. Parmi les oeuvres présentées, on s’attardera sur les réalités trompeuses et recomposées de Steve Lyons, la forêt en carton recyclée d’Eva Jospin, les trompes l’oeil de Marjan Teeuwen ou la sculpture en P.E.T de Tue Greenfort qui révèle le paradoxe et l’ambiguité des processus de transformation écologiquement responsables. Une distance et un

questionnement que l’on retrouve la pièce maîtresse de l’exposition signée Douglas White. Alors qu’il vivait en Amérique du Sud, ce dernier découvre que les palmiers malades de la forêt sont spontanément brûlés pour éviter tout risque de contagion. En utilisant le pneu éclaté et brûlé, à la fois moteur et symbole du commerce mondialisé, comme base de cette sculpture

monumentale réalisée in-situ, il redonne à l’arbre sa luxuriance perdue, en utilisant les caractéristiques d’un matériau polluant, produit en masse et donc fragile, et en fustigeant par là-même l’absurdité d’une économie mondialisée. Rehab, l’art de re-faire, jusqu’au 20 février 2011 à l’Espace Fondation EDF 6, rue Récamier Paris VIIe.


Anne Brégeaut, Anniversaire, 2006. Bougies ; 6,5 x 5,5 cm. Courtesy Semiose galerie, Paris. Photo P.Y. Gaulard. © Adagp, Paris 2010.

Le MAC/VAL a 5 ans!

Exposition du 22 octobre 2010 au 16 janvier 2011

Place de la Libération, 94 Vitry-sur-Seine, www.macval.fr


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JAMES JOYCE

HEUREUX QUI COMME…

Entre readymade et graphisme oldschool, les univers colorés et ludiques du jeune designer anglais James Joyce enchantent avec le même bonheur, galeries d’art contemporain et magazines avantgardistes. TEXTE : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIE : James Joyce

En mélangeant dessin et infographie, l’anglais James Joyce a développé son propre univers “phantasmagraphique“ (d)étonnant et immédiatement reconnaissable, à la fois géométrique, hyper coloré et très ludique. Des travaux graphiques vraiment accessibles qui incluent logotypes et typographie, mais aussi des installations gigognes, signifiantes et fédératrices que l’on pourra appréhender à de multiples (quoique toujours positifs) degrés, mettant en

exergue leur part d’étrangeté et de mystère. Après un parcours scolaire classique et des premières expériences en agence, James Joyce fonde son propre studio de design, One fine day, il y a cinq ans. Depuis, ce jeune londonien n’a cessé d’enchaîner les collaborations avec des grandes marques (Nike, Levi’s, Penguin Books, Orange ou Kiehl’s) et les expositions personnelles et/ ou collectives incontournables (comme récemment à la Stolen Space Gallery, aux côtés de

Banksy, D*Face, Shepard “Obey“ Fairey, Pure Evil ou Mr Jago pour célébrer les dix ans de la création des posters Don’t Panic). Influencé par le Pop-art et Andy Warhol – qu’il considère très vite comme le pont évident entre la publicité commerciale et l’art - puis Jeff Koons, Joyce revendique une démarche créative iconoclaste, basée sur le détournement, la logofication et la simplification à l’extrême du message pour en augmenter l’impact. Ses travaux à destination du

grand public (des posters, des flyers, des illustrations presse pour The New York Times, Wallpaper* ou Blackpool) s’inspirent directement des pères du graphisme d’ avantgarde contemporain, affichant une filiation naturelle mais définitivement ancrée dans les années 2000 avec Milton Glazer ou Saul Bass (dont on sent l’influence prégnante sur les travaux d’affichage). ww.jamesjoyce.co.uk


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nouvelle vague

DIMA LOGIMOFF

ÉTOILE MONTANTE Faisant

de chacune de ses créations un ovni aux lignes exquises, le trentenaire russe Dima Loginoff se pose comme une des talents de l’architecture d’intérieur et du design de demain. TEXTE : Christine Sanchez PHOTOGRAPHIE : © Dima Logimoff

En 2008, Dima Loginoff qui avait jusqu’alors évolué dans le secteur de la coiffure et du stylisme, inaugurait sa reconversion dans le milieu du design avec le dévoilement de sa lampe Curly My Lights aux contours et à la géométrie basiques, dont le trait métallique et lisse s’enroule élégamment dans l’air, induisant d’étonnants jeux d’ombre, à la fois subtiles et sophistiqués. Depuis, l’homme s’est mu en

créateur glouton qui innove en finesse et raflant tous les prix avec des pièces dont le design riche, hétéroclite, puissant, chic et conceptuel ne peut laisser indifférent. De son amusante et surprenante suspension Male, éloge à la masculinité à la forme on ne peut plus suggestive, à son système d’éclairage minimaliste Bless You, entre détournement et sublimation du symbole le plus fort de la chrétienté, Dima

Loginoff n’hésite pas à bousculer les genres et déranger les codes pour les magnifier. Récemment, il présentait Cage Lamp, version ultra-minimaliste et conceptuelle de sa Curly My Lights, ainsi qu’une chaise aux courbes féminines Wild Etiquette Lounge, dont la formule témoignait de sa faculté à s’imprégner d’un style ancien, classique et rococo, pour le détourner de la pointe d’un tracé résolument futuriste. Sa chaise

Dounyasha enfin, qui lui aurait été inspirée par le corps du danseur du Bolchoï, Alex Torgunakov, n’a pas fini de faire parler d’elle, avec son allure inimitable de trône enrobant et cosy au galbe robuste, soutenu par des pieds dont la grâce rappelle des jambes de femme, ou de danseur.

www.dimaloginoff.com


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Master H. Photographed by ARNO BANI


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Belles de cRéPUscUle ERWIN OLAF

Avec un oeil aussi avisé qu’élégant et provocant et un sens de la mise en scène qui donne sens et puissance au moindre détail, le photographe néerlandais Erwin Olaf dépeint la solitude d’un quotidien atemporel du crépuscule à l’aube, dans Des hôtels de Moscou, Milan ou Paris. Textes : Christine Sanchez Gaspard Photographies : © Erwin Olaf , courtesy Flatland gallery - Magda Danysz


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Des couvre-lits aux rideaux en passant par de sobres luminaires, la décoration des chambres d’Hotel rappelle dans des tonalités pastelles, brunes et rougeâtres, l’austérité de sixties dépourvues de paillettes. A l’intérieur, de beaux modèles dénudés, au regard hagard ou désoeuvré, incarnent avec érotisme et lassitude la profonde mélancolie que l’objectif capture. Erwin Olaf appuie à bon escient sur une valise ouverte, une chaussette à même le sol, une paire de chaussures négligemment ôtées, la touche d’un répondeur allumé signalant un message, un verre de jus de fruit meublant d’une note de couleur un espace terne et froid... Autant de détails qui, s’ils témoignent de mises en scène élaborées au millimètre, apportent surtout vie et réalisme à ces images d’un quotidien dévoilé fascinant de tristesse et de beauté.


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Quant aux photographies de Dusk et Dawn, elles montrent des intérieurs début XXème spacieux et intimistes, dans le filtre de monochromes noirs ou blancs à glacer le sang. La tension atteint son paroxysme dans l’écho que se font ces deux séries agissant comme les deux faces d’une seule et même pièce, dont il émane une douleur suffocante qui pèse autant qu’elle aspire. Dusk nous montre une famille afro-américaine bourgeoise apparemment en proie à une crise insupportablement silencieuse. A l’opposé de cette noirceur, la blancheur, immaculée et gelée de l’univers dans lequel apparait la famille de Dawn, pénètre pourtant des mises en scène similaires. Et la mère de famille noire de Dusk d’apparaître comme le pendant sombre de la mère blanche de Dawn. L’exposition programmée à la galerie de Magda Danysz permet aux images réalistes d’Hotel de côtoyer les images plus surréalistes de Dusk et Dawn, donnant une vision d’ensemble du travail d’Erwin Olaf. Toute en émotion retenue, les photographies d’Erwin Olaf mettent en exergue la sensibilité, la justesse et la précision de ce photographe, portraitiste hors pair capable d’exalter toute la solitude d’une société humaine à travers des images sophistiquées mais sans emphase.

Double page précédente : Hotel Winston Salem, Room 304 (2009) Ci-dessus à gauche : Hotel Kyoto, Room 211 (2009) Ci-dessus de haut en bas : Hotel Winston Salem, Sarah portrait (2009) Hotel Milan, Juul portrait (2009) Hotel Moscow, Emily portrait (2009)


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mAgdA DANYSZ Entre Shanghai et Paris, Magda Danysz expose les oeuvres d’artistes confirmés qu’elle aime suivre, comme celles de talents émergents prometteurs, mue par la même volonté, immuable depuis ses débuts, de faire exister les artistes en lesquels elle croit. Rencontre avec cette brillante trentenaire qui compte parmi les galeristes les plus en vogue de la capitale, pour nous parler du travail d’Erwin Olaf.

Depuis 2004, vous avez régulièrement exposé Erwin Olaf dans votre galerie parisienne. En quoi est-il selon vous, un artiste majeur ? Magda Danysz : Reprogrammer un artiste fait partie intégrante

de la mission d’une galerie, pour le faire découvrir à ceux qui ne le connaissent pas encore et pour permettre à ceux qui ont déjà pu apprécier son travail d’en suivre l’évolution. Chaque exposition apporte un nouvel éclairage sur l’artiste et il se trouve que celui-ci est particulièrement riche. Erwin Olaf est sans conteste un très grand photographe, doué d’un oeil et d’une technique étonnante. C’est un artiste aux multiples facettes, à la frontière de plusieurs disciplines, que je suis et qui m’étonne avec chacune de ses nouvelles séries. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans son travail ?

Ses photographies possèdent plusieurs niveaux de lecture et sont chargées de non-dits. S’il orientait clairement vers l’émotion avec sa série Grief, il touche également à l’intime et suscite des émotions réelles derrière un intitulé a priori neutre comme celui de sa série Hotel. J’aime que son travail ne soit pas exclusivement contemplatif, qu’il laisse une grande part à la relation avec le regardant. On s’attend d’ailleurs parfois à ce que ses photographies s’animent, comme des vidéos. Outre Hotel, vous exposez également pour la première fois en France quelques photographies tirées de Dusk et Dawn. Quelles correspondances existent entre ces trois séries ?

Hotel est bien évidemment différente des deux autres, mais il y a néanmoins une certaine continuité dans le travail d’Erwin Olaf. Les séries se répondent en clins d’oeil. Elles se déroulent comme un grand film, film qu’il rêve d’ailleurs de réaliser. Une impression présente dans une série va se retrouver développée dans une autre, à la manière d’un zoom sur un moment, ou plutôt une émotion. Avec Dusk et Dawn, le travail de mise en scène est considérable. Ce qui est particulièrement impressionnant, c’est que ce sont des monochromes, blancs ou noirs. Avec cette contrainte, son travail se rapproche beaucoup de celui d’un peintre.

Page de gauche, ci-contre : Dusk, portrait 02 (2009) Ci-dessus : Dawn, portrait 02 (2009) Ci-dessous : Dawn, The mother (2009) Double page suivante : Dusk, The mother (2009)


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Hotel, Dusk & Dawn, exposition de Erwin Olaf jusqu’à fin novembre à la Galerie Magda Danysz 78, rue Amelot, Paris 11 www.magda-gallery.com www.erwinolaf.com


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GéNéRATION 8-BIT CHIPTUNE MUSIC - PIXEL ART - RETROGAMING

Ringardisées dès le milieu des années 90 par le développement de la 3D et l’arrivée de la Playstation, les premières générations de jeux vidéo n’en ont pas moins influencé toute une vague d’artistes, de graphistes et de musiciens, qui se sont emparés de leurs codes esthétiques puissants pour mieux les recycler dans leur travail. Des adeptes du retrogaming à la scène chiptune music, panorama des activistes de la culture 8-bit. Textes : Damien Grimbert Photographies : © DR


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Ci-contre : Nullsleep at Blip festival, New-York (2008) © Marjorie Becker Ci-dessus : Blip Festival New-York (2007) © unknown photographer Ci-dessous : DAT Politics © Lisa Holzer

Au regard des prouesses techniques et de la sophistication des jeux vidéos modernes, il semble a priori difficile de comprendre comment quelques agrégats de pixels à l’animation sommaire (les fameux “sprites“) s’agitant dans des décors simplistes en deux dimensions, ont pu avoir un tel impact sur l’inconscient collectif de plusieurs générations. Et pourtant… Par leur statut défricheur (tout restait à inventer...), leur dimension encore underground (nombre de pratiquants, médiatisation, et budgets de développement limités…), et surtout leur cadre de pratique radicalement différent (puisque avant d’envahir les foyers domestiques, elles restèrent longtemps l’apanage des seules salles d’arcade et bars de quartier), les premières vagues de jeux vidéo ont créé un véritable culte à leur égard. Il faut dire que les beat’em all,

shoot’em up, et autres platform games de l’époque disposaient d’atouts intrinsèques non négligeables : simplicité d’accès, prise en main intuitive, moyens techniques limités boostant la créativité de leurs concepteurs. Au réalisme extrême et à la puissance d’immersion proposée par les jeux contemporains, les jeux vidéos oldschool opposaient surtout une puissance d’évocation inégalée, portée par une imagination sans crin, une esthétique extrêmement forte, et une absence totale d’obédience au politiquement correct. Autant de facteurs qui ont entraîné l’apparition, depuis une quinzaine d’années, d’une scène de joueurs entièrement dédiés à leur pratique : les retrogamers.

Insert coin Rendu possible par le prix désormais dérisoire des jeux vidéos et anciennes consoles, et surtout par le développement de logiciels gratuits comme MAME (Multiple Arcade Machine Emulator), permettant d’émuler sur son ordinateur les consoles et bornes d’arcade de l’époque, le phénomène retrogaming est ainsi en pleine explosion. Regroupant sites spécialisés, salons et conventions, et même une maison d’édition française entièrement dédiée au sujet (Pix’n’Love, qui, au-delà d’éditer ou de traduire de nombreux ouvrages de référence sur le sujet, est également à l’origine d’une luxueuse revue périodique du même nom), cette pratique encore méconnue dépasse d’ailleurs souvent le simple cadre ludique. Collection d’affiches publicitaires et d’extraits des bandes-son,


37 Ci-contre (de haut en bas) Piranha Plant / Canal Street, New York - February 25, 2004 by Nullsleep 8-bit trip © Rymdreglage Ci-dessous : Extrait du clip Trucker’s Delight de Flairs, réalisé par Jérémie Périn

LES CINQ MEILLEURES VIDÉOS DE PIXEL ART PIXELS de Patrick Jean Une armée de créatures pixellisées envahit la ville de New York. Un court-métrage ouvertement poétique, à la maîtrise technique franchement bluffante www.dailymotion.com/video/xcv6dv_pixels-by-patrick-jean_creation

8-Bit Trip de Rymdreglage Chapeau bas aux Suédois de Rymdreglage, pour avoir reconstitué en logo tout l’univers des jeux vidéos old-school. 1500 heures de travail nécessaires ! www.youtube.com/watch?v=4qsWFFuYZYI

Pirate Baby’s Cabana Battle Street Fight 2006 de Paul Robertson Ultra-violente, l’épique vidéo du génie subversif du Pixel Art Paul Robertson n’a pas pris une ride en 4 ans. Pour les âmes sensibles, privilégiez son vidéoclip très kawaï pour Architecture in Helsinki, Do The Whirlwind. www.dailymotion.com/video/x54my_paul-robertson-pirate-baby-s-cabana_music www.youtube.com/watch?v=9MJYsvg7zMM

Trucker’s Delight de Flairs de Jérémie Périn La classe totale ! Ce vidéoclip de Jérémie Périn cristallise à la perfection tous les gimmicks des jeux d’arcade des années 90, en y rajoutant une bonne dose de sexe, de gore et de scatologie… Un futur classique. www.dailymotion.com/video/xb6m1d_flairs-truckers-delight_music

Pixel – a Pixel Art Documentary de Simon Cottee Tout savoir sur le Pixel Art, ses origines, son impact, ses tenants et ses aboutissants en 11 minutes chrono. Un mini documentaire passionnant. www.youtube.com/watch?v=7mqAZ06dwKU

interviews d’acteurs historiques du jeu vidéo, reconstitution de bornes d’arcades d’époque… Les retrogamers effectuent pour les plus passionnés d’entre eux un véritable travail d’archivage patrimonial. Quelquesuns ont même réussi à transformer leur passion en gagne-pain comme les Parisiens de Neo-Legend, créateurs d’une boutique d’arcade destinée aux particuliers. Au programme, vente de jeux et de bornes vintage, importation de goodies collectors, location d’espace de jeu, organisation de soirées sur demande… De simples geeks officiant dans l’ombre, les retrogamers se sont avec les années transformés en véritable minorité visible, flirtant occasionnellement avec la hype. Rien à voir cependant avec l’ampleur prise par la lame de fond chiptune…

Symphonie pour Gameboy Nostalgiques des sonorités lo-fi synthétiques et stridentes des jeux vidéos de leur enfance, toute une gamme d’artistes musicaux s’est en effet réapproprié les sons vintage bas de gammes des consoles et ordinateurs des années 80 pour créer leurs propres compositions. Rassemblés sous l’intitulé chiptune ou 8-bit music, ces artistes musicaux d’un genre nouveau composent depuis plus d’une dizaine d’années des mélodies et rythmiques aussi simplistes qu’envoûtantes, les limites technologiques de leurs programmes les contraignant de fait à une créativité hors norme. Rassemblés sur le net au sein de communautés artistiques aux noms évocateurs (MicroMusic, 8-Bit Peoples, 8-Bit Collective, 8-Bit Operators…) et aux frontières souvent solubles (les collaborations entre les uns et les autres

étant monnaie courante), les musiciens de la scène chiptune officient pour la plupart dans un anonymat presque total, et mettent le plus souvent leurs compositions en libre téléchargement. Bousculant les registres musicaux sans souci des convenances, ils enchaînent compositions électro, synthpop, breakbeat, electronica, hip-hop,

noise, punk, disco, breakcore et new wave avec une belle frénésie, sans oublier de maltraiter à leur sauce low-tech les classiques de The Cure, New Order, Kraftwerk, The Stooges, Samantha Fox, ou encore Iron Maiden, pour un résultat souvent fracassant.


38 1/ DAT Politics - Sous Hit - TIGERBEAT6 «Une influence majeure pour moi ! Un album entre les expérimentations click’n’cuts du départ et les bombes électro pop des derniers opus»

2/ FELIX KUBIN - Jetlag Disco - A-MUSIK «Le maître de tout un pan de la scène 8-bit. Cet EP est un parfait mélange de son savoir-faire : sublimes mélodies mélancoliques et gimmicks imparables»

3/ PUYO PUYO - The Love and Furry EP - EGO TWISTER «Il fait quasi office de vétéran du 8-bit en France. Un disque sorti sur EgoTwister (LE label français de référence) truffé de petites perles électro pop catchy à souhait»

4/ ECHOKRANK - s/t - KLANGKRIEG «Un excellent album électro lo-fi noisy composé de titres crades et ludiques, qui sentent bon la sueur de l’underground »

5/ GAMEBOYZZ ORCHESTRA - Mcrobe - MIK.MUSIK! «Plus punk que les punks de Teamtendo, Gameboyzz Orchestra mélange 8-bit, techno et noise sans vergogne, pour un résultat qui décoiffe ! »

Dj Rescue

PLAYLIST Ci-dessous (de gauche à droite) live gear - international Chiptune resistance world Tour (2006) Amersfoort NL Micromusic’s Carl and Superbacon operating the qfs (quality filter system) © by KOMA, HJ.F.Walter

Around the world Véritable bordel musical, chaotique et bourré d’énergie, la chiptune music se concrétise parfois sur scène, sous formes de happenings bruyants aux frontières du terrorisme sonore. On citera à titre d’exemple le génial combo lillois Dat Politics, en activité depuis 1999, les désormais dissolus Teamtendo, duo parisien déguisé en peluches, le néo-zélandais Disaster Radio, aux petits pas de danse irrésistibles, ou encore les flamboyants poulains du label Da ! Heard It Records (Ben et Béné, Computer Truck, Eat Rabbit, Puyo Puyo, Sidabitball…) dont l’intégralité du catalogue est disponible en libre téléchargement. Figure historique du genre, enfin, le gigantesque collectif MicroMusic, créé en 1998 par les Suisses Gino Esposto et Michael Burkhardt, et regroupant aujourd’hui près de 3000

DJ éclectique aux sets incendiaires, animatrice radio et organisatrice de soirées, la cofondatrice du crew Chica-Chic DJ Rescue est également une passionnée de longue date de la scène chiptune. www.chica-chic.com www.myspace.com/adropofrescue

6/ V.L.A.D. - Calculette - WARP «Une mélodie qu’on entend une fois et qu’on n’oublie pas extraite du EP Motion Institute du premier Français signé chez Warp»

7/ TRACKY BIRTHDAY feat. DRAGAN - Websiiite UPITUP «L’un des meilleurs tracks électro rap 8-bit jamais entendu extrait de l’excellente compile en téléchargement gratuit Greatest It »

8/ TODOSANTOS - Acid Girlzzz EP - FLAMIN’ HOTZ «Un mélange réussi de ghetto music, d’acid techno et de 8-bit par une bande d’hurluberlus sortis de nulle part»

artistes. Pour autant, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’est né le plus important rassemblement du genre, l’incontournable Blip Festival de New York, qui propose 3 jours durant les lives de plusieurs dizaines d’artistes chiptune, accompagnés d’ateliers, de projections de films et de lives vidéo. Créé en 2006 par le collectif 8-Bit Peoples, le Blip Festival a connu un tel succès qu’il a désormais essaimé en Europe et au Japon, où des éditions connexes se sont mis en place respectivement en 2009 et 2010.

Game is (not) over Encore relativement méconnue du grand public, la chiptune music n’en est pas moins devenue l’une des références les plus éclatantes de la production musicale des années 2000. Des premiers albums grime de Dizzee Rascal à la scène crunk d’Atlanta,

du R’n’B synthétique de Timbaland et Will I Am aux figures de proue de la scène dubstep anglaise (Zomby, Ikonika…), en passant par la big room house de la Swedish Mafia, pas un seul courant musical qui n’ait assimilé, digéré et restitué à sa manière les influences de la musique 8-bit. Quitte à la réduire parfois à un simple gimmick sonore sans grand intérêt. Il faut compter enfin, depuis quelques années, avec l’arrivée en force d’une nouvelle vague électro-clash haute en couleur (Hadouken!, Crystal Castles, HeartsRevolution, We Are Enfant Terrible…) criant haut et fort son appartenance à la constellation chiptune. Un premier pas vers la postérité ?


EN SAVOIR PLUS :

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Retrogaming

www.arcadehits.net www.editionspixnlove.fr www.neo-legend.fr

Chiptune Music

www.micromusic.net www.datpolitics.com www.teamtendo.com www.disasteradio.org www.daheardit-records.net www.blipfestival.org www.8bitpeoples.com

Pixel Art

http://hcsoftware.sourceforge.net/ passage/ Un jeu vidéo métaphysique très émouvant, signé par l’artiste Jason Rohrer www.visublog.mechafetus.com L’excellent blog visual art de Paul Robertson et ses complices. Il y dévoile une bonne dose de son travail. www.ilbm.info Le site du talentueux Otromatic alias Julien Ducourthial, un des meilleurs représentants français du Pixel Art www.nullsleep.com A la fois musicien chiptune et pixel artiste, Jeremiah Johnson est l’un des cofondateurs du célèbre collectif 8 Bit People www.armyoftrolls.co.uk Le site de l’Anglais Gary J. Lucken, un des grands noms du Pixel Art www.eboy.com Le site des superstars suédoises

Ci-contre : Untitled ©Otromatic

À LIRE

À VOIR

JAPAN ARCADE MANIA

THE KING OF KONG : A FISTFULL OF QUARTERS

Quasiment portées disparues sur le reste de la surface du globe, les salles d’arcade ont acquis au Japon le statut de véritables lieux de culte, accueillant les gamers pèlerins dans des gigantesques “game centers“ de 8 étages ou plus, ouverts du petit matin jusqu’à tard le soir. Au programme, néons, décibels, et volutes de tabac... C’est à cet univers de passionnés interlopes, privilégiant les montées d’adrénaline en public au confort domestique, que s’est intéressé le blogger/journaliste basé à Osaka Brian Ashcraft, dans Japan Arcade Mania, petite perle de bouquin superbement iconographié et intelligemment construit. Rassemblant photos, rappels historiques, interviews de gamers, encadrés spécifiques et anecdotes diverses, le livre recense par chapitre l’intégralité des styles de bornes disponibles (grues mécaniques, sticker-pictures, rythm games, shoot’em up, beat’em all, patchinko…), dressant au final un panorama ultra-complet de cet univers hors norme.

Long-métrage documentaire réalisé en 2007 par Seth Gordon, The King of Kong, retrace la lutte féroce entre deux geeks trentenaires passablement obsessionnels, pour la détention du meilleur score à Donkey Kong, borne d’arcade mythique du début des années 80. De compétition en compétition, de record en record, se dévoile progressivement une galerie de freaks vouant au retrogaming un véritable culte, prêts à sacrifier toute vie sociale pour rentrer dans le Guinness Book. Plus qu’aux jeux eux-mêmes, évoqués en filigrane, c’est ainsi avant tout aux personnalités “à part“ de ses deux principaux protagonistes que s’attache le film : Billy Mitchell, détenteur du titre depuis 1982, pauvre type imbu de luimême jusqu’au pathétique et Steve Wiebe, éternel perdant, qui va tenter une ultime fois de renverser le destin sans trop y croire. The King of Kong, ou comment transformer quelques mouvements de joystick en tragédie antique…

www.editionspixnlove.fr

www.billyvssteve.com



VAGUeS D’eSPOIR GOD WENT SURFING WITH THE DEVIL

En plein cœur de Gaza, une poignée de jeunes palestiniens s’adonne depuis plusieus années aux joies du surf, partageant quelques planches en piteux état récupérées avant le début du siège.En 2007, ayant eu vent de la situation, un groupe mixte composé de surfeurs israéliens et américains décide, en dépit du renforcement du blocus et de l’aggravation du conflit, d’approvisionner en planches neuves les jeunes membres du Gaza Surf Club. De cette initiative risquée, mais courageuse, le réalisateur Alexander Klein a tiré un fabuleux documentaire, God Went Surfing With The Devil. Textes : Damien Grimbert Photographies : God went surfing with the Devil © Alexandre Klein & Bryan Derballa



43 Qu’avez-vous appris de tout cette expérience? Quel est l’objectif de ce documentaire ? Alexander Klein : God Went Surfing With The Devil parle des difficultés et des dangers rencontrés par les surfeurs dans la région. Au cours du tournage, nous avons donné la parole à des Israéliens, des Arabes-Israéliens, et des Palestiniens affectés par la violence, et filmé leur combat quotidien pour supplanter l’horreur du conflit par les joies du surf. C’est votre première expérience en tant que réalisateur. Que faisiez-vous auparavant ?

Essentiellement du skate. J’étais sponsorisé par la marque City Skateboards, ce qui m’a amené à pas mal voyager à travers le monde, et à filmer quelques vidéos pour eux. En parallèle, je me suis entraîné à écrire des scripts, pour rester actif intellectuellement. Comment avez-vous eu vent de ce projet ?

Lors d’un skateboard trip en Israël. Par la suite, j’ai passé pas mal de temps avec Arthur Rashkovan, le fondateur de Surfing 4 Peace. C’est un projet dénué de dimension politique, leur but est de nouer une relation amicale avec les surfeurs palestiniens, et de les aider autant qu’ils peuvent, d’une manière ou d’une autre. L’objectif global du projet est de construire une amitié solide entre les surfeurs des deux côtés de la frontière. Quelle était votre expérience du conflit israélo-palestinien avant le tournage ?

J’avais quelques connaissances sur le sujet, mais aucune expérience de première main. Ma plus grande surprise a eu lieu le lendemain de notre arrivée en Israël. Il y a eu une attaque à la frontière, des Israéliens se sont fait tuer, et l’armée a répliqué en envoyant des tanks dans Gaza. Tout ça à 90 minutes de voiture de là où nous résidions. C’est là qu’on a réalisé à quel point la zone de combat était proche…. Comment avez-vous réussi à livrer les planches neuves aux palestiniens en dépit du blocus ?

Ça a été carrément problématique. Je suis encore surpris qu’on ait réussi à se rendre à Gaza nous-mêmes, tellement le conflit était intense à l’époque. Il y avait des lancers de roquettes suivis de contre-attaques au quotidien. On nous a refusé le passage un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce qu’un ancien Général, un Juif Libanais arabophone, décide de nous aider et passe une série de coups de fils. Deux jours plus tard, nous avions en notre possession des visas de 6 mois pour Gaza. Quelle fut votre plus grosse surprise sur place ?

L’extrême gentillesse de tout le monde à notre égard. Les gens avaient un très bon niveau d’instruction et étaient extrêmement enthousiastes à l’idée de pouvoir discuter avec nous. On était sans cesse invités à venir prendre le thé. Les surfeurs, tout particulièrement, étaient ultra cools et décontractés. Même les types du Hamas étaient assez sympas avec nous… Jusqu’au tout dernier jour, où l’on a été arrêté pour suspicion d’espionnage. Ça a été assez horrible. Ils nous ont emmené dans ce poste militaire insensé avec des muraux du Jihad, des posters de martyrs, et des types avec des AK-47s partout dans la pièce, et ont commencé à nous interroger. On sentait que ça craignait. Je n’étais pas sûr de ce que je devais dire, donc en gros, je me suis lancé dans une imitation assez épique de Spicoli (un des personnages emblématiques du film pour ados des années 80 Fast Times at Ridgemont High, très populaire aux Etats-Unis. Spicoli, interprété par Sean Penn, est le stéréotype du surfeur complètement abruti incapable d’aligner des phrases de plus de trois mots, ndlr). J’ai joué le rôle du surfeur complètement crétin et inconscient des enjeux, et je ne sais pas trop comment, mais ça a fonctionné et ils nous ont laissé partir.

La principale leçon, c’est que la situation est bien plus compliquée que la plupart des gens ne se l’imaginent. Il y a toujours cette idée qui revient que les uns ont raison et les autres ont tort. En réalité, les gouvernements des deux côtés ont géré la situation avec des degrés variables d’incompétence, et se disputer sur les torts des uns ou des autres ne va pas améliorer quoi que ce soit. Je cherche plutôt à regarder en direction du futur, et à trouver des moyens d’unir ces deux nations économiquement, ainsi qu’au travers d’intérêts communs, comme le surf. Le film a t-il été projeté à Gaza et en Israël ?

Il n’y a eu aucune projection sur place. J’ai proposé le film à plusieurs festivals en Israël, mais aucun ne l’a accepté. Je pense que la plupart des Israéliens refusent de reconnaître la réalité de la situation à Gaza. En ce qui concerne Gaza, j’aimerais organiser une projection plus tard dans l’année à destination des surfeurs. Je pense que ça serait cool aussi de projeter le film sur le mur qui sépare les deux zones. Pour l’instant, il a uniquement été projeté dans quelques festivals spécialisés à travers le monde. Mais il est désormais entre les mains de Cinéma Libre Studio, qui va s’occuper de sa distribution. Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je conçois actuellement un modèle de chaussures God Went Surfing pour la marque de skate DVS. L’idée est de promouvoir le film et d’utiliser les recettes au bénéfice du Surf Club de Gaza. C’est assez cool. Sinon, je travaille avec Johannes Gamble sur un film de zombies. J’ai eu ma dose de vrais carnages, je suis prêt pour les faux maintenant.


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BRYAN DERBALLA AU CŒUR DU MONDE

Bryan Derballa est un talentueux photographe documentaire indépendant installé à New York dans le quartier de Brooklyn. Passionné de cultures urbaines et de voyages lointains, on peut le trouver à l’œuvre aussi bien dans les bidonvilles de Colombie et du Venezuela qu’à un festival de skate et de heavy-metal dans une forêt du Maine. Ou encore au côté d’Alexander Klein sur le tournage de God Went Surfing With The Devil, dont outre les photos de tournage, il a également assuré la coordination photo et le mixage du son. Contributeur pour The Fader, Vbs.tv, Wired.com, Nike, en passant par le Wall Street Journal et le Financial Times, Bryan n’en dégage pas moins une partie non négligeable de son temps pour se consacrer à son propre travail photographique. Qu’il diffuse, aux côtés de celui de sept de ses confrères, sur le photoblog LoveBryan, dont il est à la fois le fondateur et le curateur. Partagé entre dimension documentaire, recherche esthétique, et simple captation du quotidien, Lovebryan témoigne d’une véritable frénésie de découverte, non dénuée d’exigence pour autant. Au jour le jour, on y retrouve aussi bien un reportage sur la construction d’une école en Ouganda, qu’une série de portraits de marginaux et petits criminels saisis dans leur intimité, ou encore le compte-rendu d’un trip à motos entre la Californie et le Mexique. Et dans chaque cas, c’est le regard porté sur le sujet qui prime, bien avant toute considération technique. « Ce n’est pas un blog consacré à la photographie, c’est un blog consacré à la vie» résume l’intéressé. On ne saurait dire mieux. http://www.bryanderballa.com - http://lovebryan.com En savoir plus sur Surfing 4 Peace et ses partenaires : www.surfing4peace.org // www.gazasurfrelief.com // www.explorecorps.org sur le documentaire : http://www.godwentsurfing.com // http://godwentsurfing.tumblr.com/


« Les gens disent qu’il y a un certain cynisme dans l’humour, mais je pense le contraire : Il y a une sorte d’idéalisme infantile dans ce que nous faisons » Jon Stewart


lA VALSe des PANTINS JON STEWART

The Daily Show, l’édition internationale chaque samedi sur Canal Plus à 7h35 et à 17h55 sur Canal Plus Décalé Il a remis Tony Blair en place et réglé ses comptes avec Bill Clinton en l’espace d’une semaine. Maintenant, avec son Rassemblement pour rétablir la Santé mentale, la voix de la raison devient plus radicale. TEXTE : « How Jon Stewart became the most powerful man on TV » Janice Turner / The Times / The Interview People PHOTOGRAPHIE : Jon Stewart © Norman Jean Roy / Comedy Central


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Jon Stewart écarte le store derrière son bureau. « Vous savez, dit-il en pointant du doigt un entrepôt délabré, des chevaux vivent dans cet immeuble... » Vraiment ? Mais pourquoi ? « Pour le loyer, je suppose. Comme vous pouvez le voir, on est un peu à l’écart du coeur de New-york. Ici, c’est le coin des héroïnomanes... et des chevaux ! ». Ainsi, tandis que les chaînes de télévision américaines essaiment dans des gratte-ciels impérieux du centre ville clinquant, leur critique le plus virulent est mis en soute sur le bord Ouest de Manhattan dans un quartier si déprimant que même les agents immobiliers de New York ne lui donnent pas de nom. Autour du studio du Daily Show, on ne trouve que des commerces de proximité, des garages, un Hustler Club, et aucun autre endroit pour manger qu’un Subway. Le quartier n’est ni embourgeoisé, ni confortable et il y règne l’odeur bien identifiable du crottin de cheval. L’endroit idéal pour la satire...

ont plein de choses à faire. Donc, malheureusement, on se repose sur les médias pour quelque chose qui est essentiel : digérer se qui se passe chaque jour. Au lieu de cela, il se crée une sorte de soufflerie, comme un mur de son. Notre frustration s’explique par le fait qu’il n’y ait pas d’organisme médiatique qui oeuvre de manière tenace pour notre bien, en taillant dans le vif pour clarifier les choses ». Les américains désirant ardemment des analyses digestibles mais nutritives - et relevées de satire piquante - se sont donc tournés vers une émission d’humour nocturne de 22 minutes. Le premier livre du Daily show, l’Amérique (le Livre) : le Guide du Citoyen à l’Inaction démocratique a été en tête de la liste des best-sellers du New-York Times pendant 18 semaines. Un nouveau volume, Terre (le Livre) : le Guide du Visiteur du Genre humain, persiflant le monde entier, ses politiques et son histoire, pourrait bien faire de même.

En Grande-Bretagne, Le Daily Show avec Jon Stewart est Stewart, 47 ans, a l’allure conventionnelle utile à son personnage passionnément suivi par près de 100 000 âmes, geeks de comédie et parodique, quoique son petit mètre 70 le fasse ressembler à une drogués de politique américaine, qui le traquent sur More4 (Canal+ marionnette derrière son célèbre bureau. Sorti de son costume en France, ndlr). Malgré Mock the week, Have I got news for you, le Now strict usuel, en traillis et T-shirt, il en impose étonnamment. Et je Show de Radio 4 (qui libelle les événements politiques), l’émission suis frappé qu’il soit plus New Jersey que New York. Son intelligence de Chris Morris The day today ou le Newswipe de Charlie Brooker vive s’exprime en un élan cru de col bleu - peu d’Américains jurent (qui persifle les excès surréalistes des journaux d’infos 24h/24)... avec un tel goût. Chaque nuit, avant le début des hostilités, l’habitué rien de comparable au Daily Show tant sur le des restaurants Dean & Deluca monte en régime plan de l’allure que de l’impact. Quatre nuits par avec Born to Run de Springsteen. Juste avant semaine, 42 semaines par an, ce divertissement que l’enregistrement ne commence, Stewart présente l’Amérique en contrepoint des provoque les questions du public dans le studio. événements du jour. Et compense son manque «Vous pouvez me demander ce que vous voudrez. Je d’affluence Audimat- un show moyen sur sa vous répondrai facétieusement !». Dans la peau de station du câble, Comedy Central, rassemble 1.8 l’interviewé, il répond en effet d’abord drôlement, millions de téléspectateurs - par une influence puis plus sérieusement, presque gêné de ne pas disproportionnée. Son public a entre 18 et 34 enchaîner les gags à la minute « À Guantánamo, ils ans, instruit, diplômé, plutôt urbain... Bref, de ont montré aux prisonniers nos vidéos où nous nous l’excellente nourriture pour annonceurs ! Mais moquions de Guantánamo ! » le plus crucial, c’est qu’il est aussi et surtout Quand Stewart a repris le Daily Show en 1999, il a suivi par les politiciens, les prescripteurs et les transformé ce qui n’était alors qu’un programme journalistes – ceux-là même qu’il critique – qui s’y satirique inégal qui se perdait dans des satires de précipitent pour y promouvoir leur livre, leur film célébrités, pour concentrer vraiment ses tirs sur ou leur candidature. Ce que Newsweek a appelé la politique, bien avant que cela ne soit la mode. « l’arrêt mécanique le plus frais de la télévision ». Cela a coïncidé avec le début de la présidence À 18 heures, alors que les chevaux fatigués des Bush, dont les excès et les absurdités ont fait les calèches de Central Park rentrent à l’écurie d’à choux gras de Stewart et de son équipe, réjouis de côté, de grosses berlines remontent la rue. La leur donner un coup de projecteur comique. Un semaine où je leur rends visite, Ben Affleck, Tony peu comme Spitting image avait prospéré dans les Blair, Jon Hamm, le beau gosse de Madmen et Bill années Thatcher. La Guerre d’Irak est devenue Clinton sont invités du Daily Show «Que du beau “le Mess O’Potamia“ (Mess signifie gâchis). Les « Nous prenons les linge» confirme Jon Stewart, en fixant leurs noms horreurs de Guantánamo ont été dénoncées par informations et nous sur son tableau. une poupée barbue appelée Gitmo que Stewart a waterboardé. Pendant ce temps, son protégé Stephen les mettons dans un En une décennie de Daily Show, Stewart a acquis une Colbert inventait le mot “truthiness“ (qu’on pourrait processus digestif autorité culturelle unique pour un comique. Quand traduire par “véritude“) pour décrire ce qu’il a vu de satirique, l’expérimenté journaliste Walter Cronkite est mort la tendance de Bush à agir viscéralement sans tenir avec bon espoir l’année dernière, Time magazine a posé la question compte de la logique ou des faits. qu’il produise des de savoir quel présentateur pourrait lui succéder au titre d’homme en qui on peut avoir le plus confiance en merdes de sagesse ! » L’intro faussement pompeuse du Daily Show «En Amérique. Stewart a gagné avec 44 pour cent des voix. direct du nouveau siège mondial de Comedy Central «Vous savez» insiste-t-il, «c’était un sondage Internet. Il à New York !» - contient elle aussi plus que de la aurait pu tout aussi bien être remporté par un godemichet à paillettes !» “véritude“... Le programme repose sur le principe d’une salle de D’instinct, il évite toute forme de solennité et minimise son statut. rédaction. «Nous prenons des informations et le mettons dans un Mais le 30 octobre à Washington, il sera à la tête de ce qu’il appelle processus digestif satirique avec bon espoir qu’il produise des merdes de La marche du million de modérés, un rassemblement pour restaurer la sagesse ! » dit Stewart. «Nous prenons de grandes douleurs auxquelles Santé mentale, parodiant les démagogiques Tea Partys organisés le contexte donne du sens. Les plaisanteries marchent seulement si par les Républicains dans la capitale. Il clame que ce sera «très drôle, elles sonnent juste. Ce n’est pas une question de savoir si c’est du bon ou une bonne parodie», mais on sent bien que le sérieux point derrière du mauvais journalisme, mais si c’est bien de la putain de comédie ! ». la farce. Stewart affirme que la télé américaine - une profusion de L’équipe, énorme, comprend dix auteurs qui zappent constamment chaînes qui lutte pour sa part de marché - est devenue une succursale sur Fox, CNN et les autres chaînes d’infos. John Oliver, un comique du showbiz, non seulement partisane, mais aussi conflictuelle, britannique depuis quatre ans au Daily Show éteint rarement sa TV à tournant au trivial des questions de politique complexes - la guerre la maison. Avant qu’il ne vive avec sa petite amie, un vétéran féminin en Irak, la réforme de santé, la mosquée de Ground Zero - dans un de la Guerre d’Irak, il la gardait allumée toute la nuit. «J’étais arrivé tintamarre abrutissant. Entrainant confusion et polarisation. «J’ai au stade où je ne pouvais dormir qu’en entendant le bourdonnement du tendance à penser que dans ce pays et dans le monde, la majorité des poste. Cela vous donne des rêves très étranges. Vous ne savez pas si vous gens est raisonnable» dit Stewart « Mais aussi vraiment occupé. Ils avez entendu une histoire sur l’écran ou dans votre subconscient».


Pour tous ses Emmys (11 en 10 ans) et son énorme salaire (14 millions de dollars par saison, selon Forbes), on croit à moitié Stewart quand il dit qu’il ferait la même chose même si personne ne le regardait. Je lui demande s’il connait son public britannique « Oui, je connais bien nos téléspectateurs... du Shropshire ! Non, en réalité, nous nous soucions à peine de savoir qui nous observe, y compris ici. Si je ne faisais pas ça, je gueulerai devant ma télé. Certains matins quand on voit les dépêches, c’est tout sauf être dans la lumière. Quoique ce soit, on montre les vitamines et les sels minéraux qui s’écoulent de votre corps. Quand la journée avance, nous tournons ce que nous voyions en quelque chose de drôle et amusant. C’est cathartique et énergisant. Mais c’est quelque chose que nous faisons pour nous. Si d’autres qui ressentent la même chose mais ne peuvent l’exprimer; s’amusent qu’on leur présente entre deux publicités pour de la bière, alors c’est merveilleux ! ». Si d’autres hôtes nocturnes lisent paresseusement des blagues préparées à l’avance par d’autres, Stewart se pose en rédacteur en chef, approuvant chaque mot pour donner au show sa voix cohérente. Le matin à 9h, il mène la réunion des auteurs dans laquelle les dépêches sont observées puis autour desquelles les idées sont jetées. Dans la mâtinée, un scénario prend forme. Souvent déchiré pour englober les dernières nouvelles, il sert de notes. Premier jet à 15h avec des répétitions à 16h15 agrémentées de réécritures impromptues. Ensuite, à 18h, il est tourné sans public (les deux enregistrements auxquels j’ai assisté n’ont eu besoin que d’une seule prise) puis on air à 23h. Comme nous nous rencontrons à 14h30, je m’attends à ce que Stewart soit distrait. «J’ai l’air d’une boule de nerfs ? » Non. «Si j’avais été coincé comme un manche à balai, vous m’auriez chopé la tignasse ! ».

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d’une école à l’autre, cassant le contact avec son père - qui ne l’a jamais vu à l’écran - il y a pas mal d’années. Cette colère résiduelle, c’est la raison principale pour avoir laissé tomber Leibowitz pour Stewart, son deuxième prénom. « Personne n’a d’esprit à 11 ans. Vous êtes très désagréable. Vous n’apprenez pas à faire preuve du moindre esprit jusqu’à ce que vous soyez beaucoup plus vieux. Alors, cela peut être destructif ou constructif, c’est selon. Et j’ai pris suffisamment de coups de pieds au cul pour ne pas connaître la différence». Il s’est chamaillé avec quelques professeurs et fut célèbre dans son annuaire de lycée pour faire rire ses camarades de classe, sans pour autant être vraiment sociable «J’ai toujours été plus à l’aise derrière que devant le bar. Comme en sport (il a joué au football à l’université), j’ai aimé porter mon uniforme, cela vous différencie. Vous êtes toujours seuls sur scène et c’est confortable pour moi.»

Après l’Université, il enchaîne trois ans de petits boulots : aideserveur, clerc de collectivité locale, marionnettiste pour enfants handicapés. Il aimait George Carlin, Steve Martin, Allen Boisé et les Monty Python sans jamais imaginer qu’il pourrait un jour leur ressembler. À 23 ans, il entend «comme l’appel d’une sirène, un leurre subconscient. L’humour vous déplace. En regardant des comédies, je pensais “voilà comment marche mon cerveau“. J’étais comme quelqu’un qui jouait d’un instrument dans sa tête sans avoir aucune idée qu’il pouvait réellement en jouer». Il s’envola pour New York, se produisit dans des cabarets de Downtown, en fût éjecté, essaya de nouveau, jusqu’à obtenir une autre chance. Au bout de cinq ans, il atterrit dans une équipe d’auteurs à la télé, et fait son trou jusqu’à ce qu’il obtienne son propre show en 1993. Il a bien essayé de percer au cinéma – à la manière de l’ancien habitué du « L’humour vous Daily Show Steve Carell - mais après son dernier déplace. En regardant fiasco, Crève, Smoochy, crève, il semble résigné « Malheureusement, même si ce truc me trotte toujours des comédies, je me dans la tête - c’est comme ça, j’aime ça - ce show utilise disais “voilà comment chaque partie de moi. Les seules choses que je sache marche mon cerveau“. faire, c’est ici que je peux les faire ».

Avec les années, ses amis ont certifié son addiction au boulot et sa névrose : il a toujours l’énergie nerveuse et le jeu de stylo maniaque, d’un ancien fumeur d’Olympias griffonnant ses notes. Dans son bureau, un luxueux lit pour chien où l’un de ses deux pitbulls peut traîner et un tapis roulant «essentiellement pour que je n’ai jamais à quitter cet endroit.» Mais il ajoute « J’étais comme quelqu’un Quand je suis à fond, je suis à fond. Ma tête est en jeu. Dans les bureaux du Daily show règne une atmosphère qui jouait d’un Mais j’ai travaillé très durement pour ne pas ramener instrument dans sa tête de start-up Internet : décontractée, conviviale, cette mentalité à la maison. Je ne suis pas sur l’ordinateur sans avoir aucune idée amicale, avec un golden retriever somnolant dans toute la nuit à vérifier les infos. J’ai essayé très durement un couloir. Une boite en bonne santé mais à petit qu’il pouvait réellement budget. Stewart a clairement une relation virile de restructurer ma vie privée. Combien d’insomnies en jouer. » pensez-vous qu’on puisse tolérer ? ». En tout cas, si le avec le personnel, les cameramen lui checke le poing calendrier est exigeant physiquement, il pardonne avant que l’enregistrement ne commence. Lorsque également peu psychologiquement. « Il y a des nuits où le robinet le magazine Internet américain Jezebel a récemment suggéré drôle est coupé, il y a une bulle d’air sur la ligne. Après le show, vous êtes que les femmes auteurs ou interprètes du programme n’étaient déprimés. Alors vous vous retrouvez à faire les cent pas en coulisses en pas forcément appréciées, le personnel féminin de l’émission a disant “Putain, qu’est-ce qu’on va faire demain ?“ » publié une défense passionnée de son patron «généreux, humble, authentique, compatissant, juste, moral…». «Oh, on a écrit ça à leur Jon Stewart, né Jon Leibowitz – est un enfant juif de la classe place» raille Stewart. Apparemment, si les femmes - qui représentent moyenne qui a grandi dans la ville non-juive de Lawrenceville 40% des téléspectateurs aiment bien cette satire- peu combinent le dans le New Jersey. Sa mère était enseignante, son père niveau de “geekery“ politique requis avec le côté cancre nécessaire professeur de physique. Il est allé au lycée local – «pas très motivant pour le faire. Un seul chroniqueur régulier - Samantha Bee - est intellectuellement» - plutôt que dans la classe préparatoire voisine. une femme. Et Stewart admet que l’émission est «un organisme Il se décrit comme gauchiste « mais dans le NewJersey, cela signifie subjectif et bizarrement égoïste. Ce n’est pas du sexisme, c’est une que j’ai cru que Reagan ne devrait avoir que deux statues de lui.» Qu’est- question de partager ou non le même point de vue. Tu vois les choses ce qui a forgé son opinion ? «Les camps d’endoctrinement» dit-il, comme moi ? Non ? Bien, tu risques de ne pas t’éclater ici. Jezebel a évidemment pince sans rire «chez les Khmers Rouges». Il a dévoré parlé à quelques femmes qui ne se sont pas bien amusées ici. Je vous la science-fiction, Kurt Vonnegut et Aldous Huxley. «J’étais fasciné garantie que je pourrais trouver dix fois plus d’hommes qui estiment que par l’idée que les tentatives d’utopies se soldaient toujours en dystopies. leurs contributions n’ont pas été estimées - et ils auraient raison ! » Je J’ai toujours ressenti que ce qui est défini comme gauchiste me semblait suggère que beaucoup de femmes aiment l’émission parce qu’il est relativement raisonnable. Le capitalisme est un bon système, mais il plutôt rare de trouver un beau type drôle – les comiques masculins y a quelques dommages collatéraux. Ne serait-ce pas agréable si nous sont d’ordinaire plutôt patibulaires. Il se dissout dans un fou rire pouvions atténuer la chute de certains ? » nerveux aigu «ça, c’est vraiment ce qui’il y a de plus sexiste ! Je vais appeler Jizzabel. Il y a un Jizzabel dans la salle ? Non, alors, je vais À neuf ans, des événements politiques et personnels ont sur lui financer ce nom de domaine et faire fortune ». l’effet d’une profonde tempête. «J’ai atteint la majorité pendant le Watergate et le Viet-Nam. En étant élevé dans une telle époque, vous Il n’est pas, il l’admet « un animal particulièrement social », dédaignant êtes comme infusés d’un scepticisme sain face aux rapports officiels. Vos les pinces-fesses en costard/cravate de New York. Il n’est même pas parents divorcent, votre président est mis en accusation, votre pays perd allé récupérer son dernier Emmy et ne copine pas avec les politiciens une guerre. Tout ça en deux, trois ans. Cela laisse une marque. Une petite qu’il interviewe. Je note qu’on le décrit comme « un vrai ermite ». Cela croûte.» Le divorce de ses parents laisse un Stewart fâché, bourlingué provoque un nouveau un fou rire « Je n’ai pas de chambre hyperbare,


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je ne compte pas les germes quand nous parlons. Je me considère comme Le secrétaire de Stewart entre pour dire qu’il n’y a plus qu’une un peu ermite; votre description est trop généreuse ». Après l’émission, demi-heure avant la répétition. Je lui demande ce qu’il pense il file toujours à Tribeca pour dîner avec sa femme depuis dix ans, de Tony Blair, son invité de demain, qui fait le tour des sofas des Tracey ou voir ses enfants, Nathan, 6 ans et Maggie, 4 ans. Papa émissions de télé américaine pour essayer de ressentir un peu de dévoué, les photos de la famille occupent un pan entier de mur cet amour dont il jouit rarement chez lui. « Je pense quelque part dans son bureau. « Dans une fête, les gens n’ont pas besoin de vous pour qu’il est l’antithèse de Bush, en cela qu’il se soucie toujours ce que ch... ou les aider à mettre leur pantalon. Donc, ils ne vous sont jamais nous pensons de lui» dit Stewart. « Bush essaye toujours de dire à ses aussi agréables ! ». Il a été père sur le tard malgré ses efforts. «j’avais partisans “Le mal devait partir“. Blair a toujours un désir d’expliquer». essayé, cela n’avait pas marché». Son côté monsieur tout le monde un Je fais remarquer que quelques critiques regrettent que certaines peu péquenaud, buveur de bière et totalement hors du complexe de ses interviews dérivent vers la promo et la bonhomie, et qu’il politico-médiatique, renforce d’autant sa crédibilité. Au regard du ne tire jamais sur ses invités politiques, quand ils sont à ses côtés. profond soupçon que l’Amérique porte aux intellectuels publics, Stewart passe alors cinq minutes à disserter sur l’insatisfaction sa capacité à être aussi imbécile que cérébral, l’aide, illustrant les liée à un créneau de six minutes. Comme quand vous «beurrez la railleries politiques du show par des grimaces en gros plan. Et il dinde, mais que vous n’avez pas le temps de la coller dans le four ! ». aime toujours les plaisanteries bien grasses. Après dix ans, il n’a Plus tard, comme je discutais avec John Oliver, Stewart vient me aucune intention de partir « mais viendra un temps où je retiendrai dire « Si vous avez quoi que ce soit que vous voulez que je dise à Blair, l’équipe en arrière. Je cesserai d’être sarcastique quand je ne pourrais pour lui rentrer dedans, je serai assis directement là. » Je ne le fais pas, plus le faire aussi agilement que j’en ai besoin. Ce qui m’aide, c’est qu’en bien sûr. Mais j’attends l’enregistrement devant le public habituel un claquement de doigt, je peux toujours entrer dans ma tête et le retirer. et une grande part de personnel d’ambassade britannique lisse et Ce qui m’apaise, c’est que j’exprime ce que j’ai toujours voulu exprimer. jeune. Blair apparaît dans un costume bleu curieusement brillant Mais cela ne durera pas toujours. Quand je partirai, je partirai. On «Oui, on m’a bien jeté quelques oeufs» admet-il, le sourire cartoon de n’est pas dans Seinfeld. Ce n’est pas juste un débouché rigueur. «Mais le livre se vend». Stewart - qui dira par créatif pour moi, mais le principe d’organisation de toute la suite, qu’il n’a pas lu au-delà de la couverture – fait « Si Palin est élue, ma vie. Ma biologie entière fonctionne sur le calendrier le lancement le plus habile dont j’ai pu être témoin sera-ce la fin de la du Daily Show. Lorsque ce sera fini, ce sera un énorme sur la logique de Blair en Irak et son affirmation que République? Non, changement. Comme ma ménopause ! » l’Ouest devrait employer la force contre l’Iran. «Je vis regardez, nous avons à New York, commence Stewart. Nous avons des cafards. asservi un peuple, fait Je suis riche. J’embauche des gens pour entrer chez moi Stewart ne tire aucun intérêt personnel de ce sanctuaire du showbiz américain qu’est la causerie et fumiger. Aussi longtemps que je vivrais à New York, une guerre civile, des télévisée nocturne. Il dit qu’il ne posera jamais soulèvements violents. je ne pourrais jamais être totalement débarrassé des sa candidature à une fonction officielle. Mais le On n’a pas permis aux cafards. Maintenant, je pourrais aussi sceller mon Rassemblement pour Rétablir la Santé mentale appartement, utiliser des bombes jusqu’à ce qu’il ne Stephen Colbert tiendra comme canular simultané femmes de voter ou aux soit plus supportable et réduire le nombre de cafards. noirs de manger dans Mais quel genre de vie serait-ce pour moi ? [rires] Vous l’événement Républicain extrême, le Rassemblement certains endroits. pour Garder la Crainte vivace - a commencé comme comprenez ? Notre stratégie semble idéaliste et naïve un raillerie du Daily show. Mais pourrait cependant dans une certaine mesure». Nous avons surmonté se conclure en une expression politique sérieuse, beaucoup de luttes. déclenchant les levées de boucliers avec les slogans Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le flux Le bateau de l’état de ses affiches suggérant «Je ne suis pas d’accord ininterrompu de Stewart. Il semble concilier deux avance. » avec vous, mais je suis assez sûr que vous n’êtes pas processus mentaux contradictoires, à l’instar d’un Hitler». Au moment où sont écrites ces lignes, 140 clown en monocycle sur une corde raide lisant le 000 personnes ont confirmé leur présence au Mémorial de Lincoln New-York Times. Il interroge Blair, mais cependant quand l’humeur et des rassemblements satellites sont prévus dans d’autres villes devient lourde, sort de nulle part un rire crevant le plafond. « Nos américaines. Avec la bénédiction d’Oprah, qui après l’interview de ressources ne sont pas illimitées, continue-t-il. Nous ne pouvons pas Stewart a dit sur son compte Twitter «Je pense que Jon Stewart va continuer à entrer dans des pays, renverser n’importe quel régime que faire quelque chose», il semble promis à aller au-delà. On a dit que nous trouvons désagréable, occuper ce pays à la mesure que nous pouvons la comédie était le nouveau Rock ‘n’ roll, mais pourrait-il être la reconstruire son infrastructure, regagner les coeurs et les esprits. Voici nouvelle politique ? Pendant les années Bush, Stewart a dit qu’il mon avis : En fin de compte, il pourrait bien toujours y avoir une poche représentait «le centre privé de droits civils». Après la victoire d’Obama, d’extrémisme dans ce pays. Malgré tous nos efforts, pour avoir l’avantage on a pu spéculer que sa satire serait en trop. «Oui, dans un monde de et la sécurité dont nous avons besoin. En Angleterre, les attaques ont été sucettes et licornes. Pendant une semaine entière, les chevaux ont sucé perpétrées par des extrémistes qui ont grandi dans le pays. Ne devraitdes caramels aux fraises». Au lieu de cela, comme le volume politique on pas repenser notre manière de voir les choses et être beaucoup plus américain a augmenté, il s’est levé comme une force d’apaisement, intelligents dans la manière de les traiter ? ». Blair, qui, pour être juste, appelant au sens et la raison « Baisse d’un cran, Amérique ! ». obtient à peine un mot, peut seulement réitérer sa ligne d’urgence quant à la menace d’émergence d’un extrémisme mondial. Mais cela Je rencontre Stewart avant que le rassemblement ait été confirmé, semble creux. Il part avec un regard qui dit en substance « Mince alors, mais il couve clairement dans sa tête. «Je ne peux pas croire que les je suis heureux que ce soit fini». A la fin de l’enregistrement, Stewart minorités ou des éléments extrémistes peuvent dominer le discours.» fait mine de trébucher dans le public en feignant son soulagement Quand je demande si Sarah Palin pourrait être le futur président et comme je suis assise dans sa ligne de mire dans le petit studio - il ou si les élections de mi-mandat sont cruciales, Stewart soupire me lance un « Qu’est que tu en penses ? ». Je peux seulement lever le «J’essaye de ne pas pronostiquer, nos médias sont devenus experts de ça. pouce. Cette dinde-là a vraiment senti la chaleur du four ! Et comme Tout est crucial et tout ne l’est pas. Si Palin est élue, sera-ce la fin de la il quitte le plateau pour préparer l’émission du lendemain, je me république ? Non, regardez, nous avons asservi un peuple, fait une guerre rappelle ce que Stewart disait plus tôt. «Les gens disent qu’il y a un civile, des soulèvements violents. On n’a pas permis aux femmes de voter certain cynisme dans l’humour, mais je pense le contraire : Il y a une sorte ou aux noirs de manger dans certains endroits. Nous avons surmonté d’idéalisme infantile dans ce que nous faisons ». beaucoup de luttes. Le bateau de l’état avance ». Les Tea Partys de Palin et du Fox news de Glenn Beck n’ont pas d’assise politique. « C’est la confusion entre la défaite et la tyrannie. J’ai l’habitude de voter pour des gens qui perdent. Je connais ce goût dégueulasse. Mais si vous vous estimez en droit de gouverner, ce goût est inacceptable et vous êtes convaincus de la nécessité d’un processus révolutionnaire ».


VERBATIM

Dans Terre (le Livre) : le Guide du Visiteur du Genre humain, l’équipe du Daily Show dissèque l’humanité pour le bien des visiteurs extraterrestres. Morceaux choisis. les sociétés « Tandis que les marchandises et les services relativement simples étaient fournies par des individus, des plus complexes exigeaient un effort de groupe coordonné. On leur a donné le nom de société - une entité juridique indépendante construite par et avec des gens auxquels on a accordé certains droits intrinsèques, sans les déchoir de leurs responsabilités ou de leur sens moral. Bien sûr, n’importe quelle société qui s’était vraiment mal comporté aurait immédiatement été disciplinée par les forces du marché. Dans le cas où une telle société aurait voulu continuer en dehors des clous, elle serait bannie et mise au ban de la famille des hommes. Ces deux dernières phrases vous ont été offertes - et ne peuvent être reproduites sans leur consentement écrit express- par la société Sarcasme™, gage de (fausse) sincérité depuis 1936 ». la guerre « Une fois les humains organisés en société, nous avons immédiatement remarqué que d’autres humains s’étaient organisés dans des sociétés complètement différentes, et nous avons été contraints de les attaquer. Ce conflit violent entre sociétés a été appelé guerre et fut une des rares constantes universelles de l’existence humaine. Nous avons fait la guerre pour acquérir les terres ou les biens des autres, exercer des représailles pour leurs tentatives d’acquérir nos terres ou nos biens, ou parce que c’était mardi... La plupart des religions mondiales ont dénoncé la guerre comme une perte barbare de vie humaine. Nous avons prisé les enseignements de ces religions si chèrement que nous devions fréquemment faire la guerre pour les imposer aux autres personnes... ».

L’équipe du Daily Show (de gauche à droite) : Wyatt Cenac, Jason Jones, Jon Stewart, John Oliver, Samantha Bee, Aasif Mandvi

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l’économie « L’économie a surgi comme une manière d’expliquer le comportement des marchés. On l’a appelé “la science morne“ parce qu’elle ne pouvait rivaliser avec la pure joie de vivre de la physique des particules ou de la métallurgie. Au début du XXIe siècle, nous étions devenus si bons en économie que les nations les plus avancées ne subissaient que deux écroulements financiers majeurs par décennie... ou à peu près ». la mode « Les gens transformaient constamment les premières nécessités en forme d’expression artistique et culturelle. La nourriture est ainsi devenue la cuisine, les abris de l’architecture et l’eau... le safari vers la forêt enchantée de l’eau feat. la rivière paresseuse la plus sauvage du monde ! Le meilleur exemple de ce phénomène était la mode, qui a transformé les vêtements en une manière d’exprimer notre moi intérieur authentique, et ce pendant au moins deux ou trois mois, jusqu’à ce que notre for moi intérieur authentique ait été “dehors“. Certains ont soutenu que c’était un effort superficiel ne reflétant rien de plus que notre capacité infinie pour la vanité. Ces gens-là, on les appelait les mal fagotés ». l’altruisme « En tant qu’êtres sociaux, nous étions souvent enclins à exécuter des actes qui profitaient aux autres sans en tirer aucune récompense. Ce respect désintéressé pour notre semblable a été appelé l’altruisme et nous a permis de construire de grandes sociétés... tout en faisant de nous des proies faciles pour les escrocs ! L’altruisme s’est ainsi manifesté dans les œuvres de bienfaisance, c’est-à-dire donner quelque chose qui a une très petite valeur pour nous, mais beaucoup de valeur pour le destinataire. Faire œuvre de charité de manière professionnelle a été appelée philanthropie, c’est-à-dire donner quelque chose qui a beaucoup de valeur en échange d’une image positive pour sa marque et quelques déductions fiscales... ».


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portfolio

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diego gravinese

les lois de l’attraction

Dans un foisonnement de détails, de couleurs et d’angles de vue, les toiles photo-réalistes de l’argentin Diego Gravinese offrent une vision recomposée de la réalité, mettant en scène sexualité fantasmée et étrangeté du quotidien. TEXTES : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIES : Ci-contre : The offering (2007-2008) Ci-dessous : Cometa (2008) - Pages suivantes : Coloso (2008)

«Je pense que la peinture photo-réaliste est un mensonge, un mensonge qui dit la vérité. En tant que peintre, Je sais que je dois composer avec beaucoup d’éléments soit-disants obsolètes. Chacun sait qu’on peut enseigner l’histoire de l’art contemporain de telle manière à dénigrer voire complètement éliminer la peinture comme médium d’expression artistique. Beaucoup de critiques ont regretté ce qu’ils ont dit il y a quinze ans lorsque la peinture a effectué son grand come-back. Je n’ai jamais douté du pouvoir de la peinture, et je suis heureux qu’elle ait repris sa place dans notre culture. Ce que je veux dire, c’est que la peinture n’est qu’un des nombreux langages qu’un artiste peut choisir. Et la peinture hyper-réaliste ou photo-réaliste n’est qu’un seul des nombreux langages que le peintre peut choisir».

C’est celui en tous cas que cet artiste iconoclaste né à Buenos-Aires dans les années 70 a choisi pour faire vivre ces saynètes du quotidien teintés d’érotisme et de fantasmes féminins, livrés à travers à travers le prisme de collages de clichés enchevêtrés, redessinés puis peints. Un résultat à la fois complexe et limpide, mélancolique et explicite, complètement frénétique mais curieusement apaisé et apaisant. «Je suis passé d’une vision punk des choses dans les années 90, où je critiquais le monde et la société autour de moi avec beaucoup d’acidité, un peu à la manière de Bret Easton Ellis, à une version plus optimiste des choses, en essayant de me convaincre de l’utilité de symboles signifiants, et du pouvoir insoupçonné de l’anecdotique ». www.diegogravinese.com


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dina goldstein

CONTES DEFAITS

Au royaume de la photographe canadienne Dina Goldstein, les princesses des contes de fées sont en proie aux sévères conflits intérieurs ou extérieurs qui agitent le monde actuel. Focus sur ces images coup de poing, inquiétantes voire carrément cauchemardesques de princesses désillusionnées, loin des visions édulcorées des productions Disney. TEXTES : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIES : Ci-contre : Belle (2009) Ci-dessous : Raiponce (2009) - Pages suivantes : Cinderella (2009)

Ils vécurent malheureux et eurent beaucoup... d’emmerdes ! Jasmine en plein Jihad ; Raiponce en chimiothérapie, sa chevelure perdue dans une main, une perfusion dans l’autre ; Cendrillon picolant dans un pub pourri comme si elle venait de se faire lourder par son prince charmant ; Une Princesse au petit pois perchée sur ses matelas au milieu d’une décharge ; Une Petite Sirène coincée comme un vulgaire poisson dans un Aquarium ; Belle allongée sur la table d’opération pour un ravalement de façade ; La Belle au bois dormant attendant son prince dans une maison de retraite ; Blanche Neige, desperate housewife mal dégrossie en plein cauchemar domestique, une ribambelle de mioches infernaux en bas âges, un clebs bouffant des chips tombées sur la moquette et un mari vautré devant un programme télévisé d’équitation... Les princesses déchues de Dina Goldstein ressemblent à des jeunes femmes d’aujourd’hui. Exception faite des versions ultra-édulcorées de chez Disney, les contes de Perrault, d’Andersen ou des frères Grimm n’ont jamais rien eu de naïf, en dépit de dénouements heureux. Derrière l’apparente volonté de vouloir endormir nos enfants, ces petites histoires sont en réalité le plus souvent sordides, ayant pour fonction originelle d’alerter et d’éveiller les enfants aux aspects les plus vils et noirs de la nature humaine. Ainsi, l’originalité des photographies de

Dina Goldstein réside moins dans le traitement justement obscur du sujet, que dans la transposition des héroïnes de conte dans un univers contemporain, avec une scénarisation actualisée proposant une issue d’un tragique ordinaire. Et conséquemment terriblement réaliste. Inspirée par le regard fasciné de sa petite fille sur les princesses des contes de fée, Dina Goldstein qui n’aurait pas été confrontée aux contes lors de sa propre enfance, s’est heurtée aux illusions que les dessins animés de Disney pouvaient véhiculer avant de se pencher sur la littérature qui les a inspirés. C’est alors que cette photographe plus habituée à couvrir l’actualité ou à réaliser de simples portraits, a décidé de capturer des mises en scène visant à tourner en dérision l’image de ces princesses en les replaçant au coeur de l’actualité et en réécrivant la fin de leur histoire, comme pour redonner corps et vie aux messages plus profonds globalement délivrés par les Contes traditionnels. Le résultat est tout simplement bluffant, car cette série de photographies très élaborées est empreinte d’autant d’humour et de beauté que de violence, de profondeur et de cynisme. www.fallenprincesses.com www.dinagoldstein.com


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everybody is...

ANDREA CREWS

À la Frontière de l’art et de la mode, Andrea Crews est un collectiF protéiforme emmené par sa créatrice Maroussia Rebecq. Outre son investissement pour un stylisme aussi déjanté qu’habillé, la marque signe des perFormances, des vidéos clips et des installations d’artistes, ouvrant un véritable espace de résistance et de liberté dans le milieu de la création. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIES : Andrea Crews © Giovanni Cittadini

Plus qu’une marque, Andrea Crews est un concept original et inédit qui déploie un modèle de production fédérateur et équitable s’inscrivant dans une démarche de développement durable. Depuis cinq ans, cette plateforme de création active détourne et recycle des vêtements, créant au jour le jour des pièces uniques et modulables aux formes inédites et aux couleurs énergiques, à partir de chutes de tissu et de vêtements de seconde main. Atemporelles, à taille unique et unisexes, les collections d’Andrea Crews invitent à la réappropriation du corps dans une logique dynamique de construction identitaire. Et le vêtement devient un médium expérimental et ludique, qui prend toute son ampleur dans un superbe workshop situé à Pigalle. Un lieu de création, de production et d’exposition devenu un des hot spots de la culture émergente dans la capitale. Rencontre avec Maroussia Rebecq, jeune créatrice de ce collectif dont les enjeux sociaux et artistiques sont au moins aussi importants que les enjeux stylistiques. Qui est à l’origine d’Andrea Crews ? Comment fonctionne ce collectif ? Maroussia Rebecq : J’en suis à l’origine, mais dès le départ, je voulais qu’on soit plusieurs. Je voulais trouver des gens que j’aime pour former un collectif familial. Aujourd’hui, je suis la directrice artistique de la marque et je travaille en collaboration avec d’autres stylistes qui appartiennent au collectif, outre les collaborations d’Andrea Crews avec des artistes extérieurs. Les défilés sont inhérents à la fashion week et nous nous efforçons d’en faire de vrais événements, même si nous organisons également des performances tout au long de l’année. D’où vous est venu cette idée de recycler les vêtements ? Est-ce d’abord une démarche écologique et idéologique, ou est-ce que cela nourrit votre inspiration de travailler à partir de vêtements préexistants ? Je crois qu’il y a des deux. Au départ, c’est un choix à la fois idéologique et pratique. Ce qui me touche plus particulièrement et plus que la notion

d’écologie prise isolément, ce sont les enjeux sociaux. Je ne conçois pas d’imaginer et de créer sans penser aux gens auxquels je m’intéresse avant tout. Je veux dire que si je vais acheter des légumes au marché bio, c’est un plaisir mais ce n’est pas un combat... Je pense que quoique l’on décide de faire, il faut le faire bien et que l’écologie est une notion qui doit être naturellement intégrée à toutes nos actions. Ce que je propose, c’est donc un dispositif plus fondamentalement social qu’écologique. Car Andrea Crews n’est pas une marque mais un dispositif. Je fais du Recycl’Art et je ne veux pas être cataloguée dans une catégorie recyclage, comme je ne souhaite pas me servir d’un discours marketing Green qui me déplaît. Comment dénichez-vous vos modèles ? Vos mannequins ne correspondent pas franchement aux canons habituels... C’est une évidence qu’on ne veut pas s’enfermer dans une logique où il n’y aurait que des mannequins classiques. On préfère faire appel à des artistes ou des personnalités qui nous plaisent. On est à la recherche de gens qui ont une attitude et un certain caractère. Et puis l’idée du collectif, c’est que n’importe qui peut être Andrea Crews. Nous avons d’ailleurs prévu d’organiser des castings à Bruxelles et à Bogota pour dénicher la gueule belge et le visage colombien qui représenteront Andrea Crews. Et tout le monde peut s’inscrire à ces castings que l’on a véritablement imaginé comme des performances. C’est assez proche de l’idée de Nouvelle Star ! Vos vêtements sont en taille unique et unisexes. Est-ce essentiel pour vous qu’un même vêtement puisse coller à des corps différents ? Bien sûr, mais il faut préciser que c’est un choix très contraignant. Génial, mais contraignant ! On crée des pièces uniques et étranges que tout le monde ne peut évidemment pas porter en raison de leur style et surtout de la force de leur forme. Mais on veut aussi qu’il y en ait pour tous le monde, que tout le monde puisse porter Andrea Crews. On a donc des tailles pour ce qui est des petites séries de basiques que l’on distribue dans de belles boutiques à l’image de Colette à Paris.

La démarche d’Andrea Crews est particulièrement marginale et vos collections sont à la fois décalées, colorées et ludiques d’aspect... à vos débuts, aviez-vous des stylistes modèles ou références ? Pas vraiment car initialement, ma démarche n’était pas forcément orientée vers la mode. Elle était avant tout artistique. Le projet artistique est entré dans la sphère de la mode parce que le vêtement est un excellent médium, pratique et ludique pour faire partager l’art. À la base, je n’avais ni maître ni notion et c’est lorsqu’Andrea Crews a pris sens en direction de la mode que je me suis plongée dans l’Histoire de la mode, et que je m’en suis inspirée. Je ne recherche absolument pas la marginalité lorsque je crée. En tant qu’entrepreneur, j’essaie d’être le plus simple possible et d’entraîner les gens dans mon aventure. Mais je me laisse sans doute rattraper par mon grain de folie. Ce sont des créations débridées qui parlent de la liberté de porter des formes, de l’énergie des couleurs et de leur puissance. Il y a un aspect très expérimental dans mon mode de création. Et la notion d’énergie est essentielle dans mon travail et dans ma vie. Votre travail est aujourd’hui largement plébiscité par la presse comme par le public. Avez-vous de nouveaux projets en tête quant à votre développement et votre avenir? Oui, complètement! Tout le temps et c’est cela qui me plaît. On se structure au maximum comme toute marque de créateur afin de pouvoir en faire le plus possible. Pour imaginer encore et encore de nouveaux projets et de nouvelles perspectives de développement. C’est en continuant à bien vivre et à voyager que les idées viennent. Ce qui nous intéresse, c’est de faire de nouvelles rencontres qui amèneront de nouveaux projets et c’est pourquoi nous collaborons avec bon nombre d’artistes. Andrea Crews est un dispositif fondé sur les collaborations. On vient par exemple de lancer une ligne de foulards avec Leslie David.

www.andreacrews.com


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Arielle de pinto

Originaire de Toronto, la canadienne Arielle de Pinto déploie un univers unique fait de lignes de bijoux et d’accessoires métalliques intégralement réalisés au crochet. Création de masques distordus, de mitaines froides et inattendues, de bijoux faisant office de débardeurs, de colliers et de bracelets étonnants par leur aspect résolument brut... Entre l’a rt, la joaillerie et la mode, il n’y a qu’un pas que la jeune styliste de 25 ans semble faire et refaire au crochet pour aboutir à d’intrigantes séries métalliques tissées de surfaces irrégulières et de mailles changeantes. Si certaines de ces oeuvres littéralement hors du commun peuvent parfois rebuter, on imagine, voire rêve, sans mal ses mitaines dorées, pièce maîtresse de sa dernière collection, en parure pour habiller les tenues les plus cools comme les plus élégantes d’un élément inédit, fascinant et bizarrement très sensuel. www.arielledepinto.com

Repetto

Votre histoire avec Repetto a peut-être commencé avec vos premiers chaussons de danse et le souvenir - toujours vivace ? - des premières pointes qu’il vous a fallu casser. Celle de la marque débute quant à elle en 1947, dans un minuscule atelier de l’Opéra National de Paris, lorsque Rose Repetto fabrique ses premiers chaussons de danse pour son fils alors âgé de 14 ans, le futur grand danseur et chorégraphe Roland Petit. Une belle histoire et une promesse de grâce – dont le savoir-faire est jalousement gardé depuis 60 ans dans un atelier de Dordogne – qui s’est étendue hors des ballets de danse classique dès 1956, et à la demande de Brigitte Bardot, à la conception de ballerines de ville réalisées avec le même “cousu retourné“ (propre à la marque) que les pointes. Après les petits rats et les étoiles, Repetto chausse donc désormais les fashionatas branchés avec des collections de ballerines, escarpins, bottines et bottes atemporelles car résolument modernes et ancestrales comme la danse classique. À la fois très habillées, confortables et aussi faciles à porter avec une belle robe qu’avec un jean, les chaussures de ville griffées Repetto sont un gage de raffinement pour toutes celles qui souhaitent exalter leur féminité avec sobriété. Coup de coeur sur leur nouvelle bottine à talon et col retourné appelée Mandarin, dont le style Louis XV étonne autant qu’il séduit. www.repetto.com

Jérôme Dreyfuss

Véritable phénomène de (la) mode, Jérôme Dreyfuss s’est fait (re)connaître à seulement 23 ans, avec la présentation de sa première collection Couture à Porter. Les éditions de prêt-à-porter féminin qu’il signe entre 1998 et 2002 le font passer maître dans l’a rt de revêtir les femmes d’une élégance décalée, drôle et imprévisible. Son succès, devenu mondial - notamment grâce aux sollicitations de Michael Jackson ou Britney Spears pour le stylisme entourant les lancements de leurs derniers album -, ne l’empêche pas d’emprunter un tournant radical en 2002, afin de se consacrer exclusivement à la création d’accessoires de modes. Imaginant alors des sacs aux volumes souvent généreux, aux détails toujours astucieux et aux couleurs sourdes, tendres, ou vibrantes, Jérôme Dreyfuss ne tarde pas à reconquérir les femmes avec ses belles peaux de reptiles et ses cuirs souples. Depuis le 15 mars 2010, c’est en plein coeur du quartier new-yorkais de Soho que ce créateur hors pair a choisi d’installer son univers Roots de Luxe, dans une boutique de 250 mètres carrés au milieu de laquelle une intrigante cabane en bois, destinée à accueillir des artistes. www.jerome-dreyfuss.com

roba

Fondé à Zagreb par Branka Scepanovic et Maja Simunovic, deux jeunes passionnées d’a rt et de mode, le label Roba retient l’attention avec une intrigante seconde ligne de prêt-à-porter baptisée SS.10 où chaque modèle semble défini par sa dualité et ses contradictions. D’avant-garde malgré quelques détails rétro, classiques, fantaisistes et branchées, les coupes griffées Roba osent d’inattendus mélanges de styles, de couleurs et de matières. Ainsi, des tissus et coloris glacés -voire métalliques- se mêlent à de chaleureuses touches de gaîté. Et l’a ffirmation de lignes strictes et épurées n’interdit pas la présence surprenante d’une fermeture éclair voyante ou d’un froufrou extravagant. Inspirées par leurs voyages mais surtout par leur quotidien - par les endroits qu’elles fréquentent et les rencontrent qu’elles peuvent faire -, ces deux stylistes Croates aboutissent sur des créations inimitables, alliant avec subtilité la dureté d’une modernité hyper minimaliste à la douceur d’une sensibilité qui perce contre toute attente. Qu’ils séduisent par leur rigoureuse beauté ou dérangent par leur bipolarité prononcée, il reste que les vêtements de chez Roba exercent un pouvoir de fascination qui les place nettement au-dessus du lot. www.roba.com


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Guilty Brotherhood

Inspiré par les mouvements de la rue, la photographie, le cinéma et la musique, Kevork Kiledjian crée sa propre marque de prêt-àporter de luxe en 2008. Les modèles signés Guilty Brotherhood, mélanges d’élégance et de provocation, allient classicisme et sensualité dans un style qui sublime la féminité. Tiraillé par les extrêmes, le designer parisien propose des lignes de vêtements pour femme au croisement du luxe, de l’urbain et de l’érotisme. Après avoir débuté en créant la marque de streetwear, Triiad, il décide d’exprimer sa propre vision du luxe contemporain et son amour pour la femme moderne avec une approche aussi radicalement visionnaire et sensuelle qu’extrêmement classique et sophistiquée. Le résultat ? Des Smokings à tomber, du cuir noir -ou rouge - en abondance, des bottes qui n’en finissent plus de monter le long des jambes, des jeux de transparence à tous les étages et des robes, moulantes, droites ou volantes, toujours ultra chic et terriblement sexy... www.guiltybrotherhood.com


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The Kooples

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Entre élégance et impertinence, les lignes de prêt-à-porter de la jeune marque The Kooples n’ont pas fini de plaire. Et les boutiques de se multiplier, gagnant du terrain dans le paysage français d’un style urbain chic et choc assumé, affranchi de toute pudibonderie. Silhouettes élancées de dandys d’aujourd’hui, barbe de trois jours et lunettes de créateur, Alexandre, Laurent et Raphaël Elicha forment l’audacieux trio à l’origine de The Kooples et de sa fulgurante ascension en moins de trois ans. Un style inimitable, atemporel et aguicheur qui conjugue les inventions brillantes de la mode d’hier à celles d’aujourd’hui pour imaginer la garde-robe de demain. Dans leur vestiaire, les tonalités rock sont assumées et revisitées à travers la création de costumes cintrés, de manteaux noirs croisés et prêts du corps, de vestes dark navy courtes et de vêtements à manches marqués par un twist contemporain dont les coupes ont été travaillées dans les ateliers de Savile Crow, véritable épicentre de l’élégance britannique depuis 1821. Pour les filles que cette marque d’hommes n’a pas voulu oublier, la féminité s’exprime dans des tops brodés et des jupes ou robes glamours en cuir, à côté de pièces plus androgynes. Incarnée par de vrais couples qui possèdent une histoire - à l’image de Nick Kent et Laurence Romance - la marque révèle ses multiples facettes et une forte personnalité, en choisissant des ambassadeurs dont on sent qu’ils portent des modèles qui ont une place de choix dans leurs placards. La collection automne / hiver 2010 associe l’aspect délicieusement suranné d’imprimés fleuris et dentelles à celui charnel du cuir et de la fourrure. Jouant sur une pluralité de matières nobles, la ligne femme réveille la douceur de la soie en tranchant avec la rudesse d’une maille irlandaise, comme celle du cachemire avec le cuir matelassé et clouté qui marque la taille des shorts. Côté messieurs, le duffle coat revient en force dans une version urbaine du gentleman farmer. Et les manteaux et trenchs se militarisent à coups de pattes au niveau des épaules et systèmes de double boutonnage. Comme toujours, la marque pointe la moindre de ses pièces d’une attention méticuleuse, affichant un souci permanent du détail, des surpiqures au délavage du jean, en passant par les jeux sur les doublures, les poignets de veste boutonnés, l’ajout de rivets, les empiècements de cuir sur blousons ou les skulls discrètement gravés sur des boutons. Pour sa gamme accessoires, la marque a fait appel à la créatrice Bliss Lau pour imaginer une ligne de bijoux dédiés, dans un esprit résolument dark et franchement rock. Véritables ornements pour le corps, ces bijoux qui ont du noir à l’âme se posent entre apparat et souvenirs de guerre : la body chain s’endosse comme un gilet contre les omoplates par un passant de cuir, un bracelet-bague arachnéen relie le poignet au doigt et une manchette en cuir noir, mailles et maillons d’argent recouvre la totalité de l’avant-bras. Un jusqu’au boutisme qui résonne comme la promesse d’un look furieusement total. www.thekooples.com


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Cop-Copine

Cop-Copine séduit depuis vingt-cinq ans en transcendant les codes d’un prêtà-porter féminin classique auquel la marque apporte masculinité, fantaisie et romantisme. Comme s’il lui fallait donner aux différentes facettes d’une mystérieuse femme multiple. Pour cet hiver, Cop-Copine a décidé de creuser le sillon de l’élégance dans cinq directions incarnées par cinq héroïnes type d’aujourd’hui. Avec une première thématique intitulée Sur la lune, la marque anticipe le futur grâce à l’utilisation de matières mats ou brillantes avant-gardistes sur des modèles aux formes atypiques, tranchant avec les imprimés fleuris -dans un camaïeux de prune, vieux rose, gris et taupe - et formes rétro, voire hippie chic, de son thème romantique Mythique et Enchanteur. Cabaret Circus amène son lot de frous-frous, de transparence, de dentelles et de liens qui se nouent et se délient à plaisir sur des vêtements glamours aux tonalités marron châtaigne, chocolat, moka et évidemment rouge, dont le touché inspire laine, poils, fourrures et suggère des rendezvous galants au pied d’une cheminée. Cop-Copine réaffirme sa modernité à travers son thème Factory qui permet d’habiller de clous et rivets des bleus de travail alléchants et chemises Collège en bleu Roy, indigo et velours lavés. Persévérant par ailleurs avec son leitmotiv Masculin / Féminin, la gamme revisite toujours certaines pièces du vestiaire des hommes pour les faire pénétrer dans une sphère féminine – en gris, blanc et noir charbonneux - faite de veste de smoking détournée en version courte et zippée, de low-boots et de cuissardes rock. Et avec tout ça, la working girl parisienne ne sachant comment composer entre son côté rock’n roll, ses effluves romantiques ou glamour et sa volonté d’être résolument tournée vers l’avenir, peut enfin réconcilier tous les aspects de sa personnalité dans une armoire à son image. À choix multiple. Modèle présenté : gilet Erizo, t-shirt Olivia, pantalon Diodera, low-boots Zoe www.copcopine.com

Diesel x Uffie

Après avoir eu le rappeur Common pour ambassadeur, la marque Diesel s’est lancée dans une collaboration avec la chanteuse d’électro-pop Uffie. Disponible en boutique dès novembre, cette collection capsule éditée en série limitée allie naturellement esprit rock et tendances glamours. Jouant sur le mélange des matières, la gamme se compose de douze pièces au design à la fois simple et sophistiqué, parmi lesquelles une mini robe bustier noire, un perfecto, un combi-pantalon, un boyfriend jeans et quelques accessoires aguicheurs.

www.diesel.com

Lilibon

Adorablement rétro, hypocritement pudique et terriblement sensuelle avec de petits noeuds discrets et ajouts de dentelle en Lycra, la “Collection Dentelle“ by Lilibon se compose de modèles de maillots en une ou deux pièces parmi lesquels piocher à plaisir pour parvenir à l’ensemble idéal car, chose rare dans le secteur des maillots de bain haut de gamme, le haut et le bas sont vendus séparément - Choisir encore dans une palette de couleurs pastelles, allant de l’ivoire au Khôl noir en passant pas un gris clair et cendré, un doux violet lavande et un rose tendre. Du dessin aux détails, avec des bas parfois franchement enrobant qui ramène dans une époque ante-bikini et un assortiment de camaïeux suaves, cette édition été 2010 d’Emilie Bon affiche une affinité marquée pour une lingerie fine glamour dépourvue de fioritures. Le résultat, bluffant, devrait faire le bonheur de plus d’une demoiselle pour aborder la plage en douceur. Dans un maillot dont la formule ambiguë semble vouloir faire mentir la femme quant à son pouvoir d’attraction...

www.lilibon.com


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Melissa

Eastpak

Le célèbre label de bagagerie de VF. Corporation continue d’innover et de surprendre en collaborant pour la seconde fois consécutive avec le génial Christopher Shannon, pour une gamme de modèles uniques en édition spéciale. Pour l’automne / hiver 2010 – 2011, le jeune designer star - dont la première collection éponyme fut présentée et applaudie à la London Fashion Week de septembre 2008 - a revisité les standards de la marque pour leur conférer davantage de style, de couleur et de relief. Estampillés d’imprimés ton sur ton et en relief, les sacs qu’il signe reprennent les modèles iconiques d’Eastpak (Padded, Pinnacle, Station...) tout en amenant un panel de camaïeux toniques et rafraîchissants, fushia, violet, marine et jaune. Un must-have !

En 25 ans, plus de 50 millions de paires de Mélissa ont été fabriquées, dont 20 millions ont été exportées vers quelques 80 autres pays... Un best-seller de l’accessoire féminin entré dans le coeur de toutes les adeptes de pompes extraordinaires. Les propriétaires de Mélissa - originellement en possession d’une usine brésilienne de bouchons en plastique -, ont basculé dans la mode de manière parfaitement anecdotique avec la découverte du modèle de la fameuse “méduse“ lors d’un séjour à Marseille en 1979. Et depuis, Mélissa a connu un développement original et effarant pour le plus grand bonheur de toutes les amatrices de mode et de design, collaborant notamment avec des couturiers tels que Jean-Paul Gauthier et Vivienne Westwood pour des modèles à la séduction plastique inégalée. Utilisé pour la réalisation des Mélissa, le Melflex -plastique à la fois recyclable, souple, élastique, imperméable, résistant et hypoallergénique - est une technologie exclusive de la marque. Audacieuse avec ses ballerines, sandales et escarpins qui apportent un renouveau d’un genre inédit dans le monde de la chaussure, Melissa attire les amoureux du design, comme ici Gaetano Pesce qui signe une bottine futuriste et très décalée. Particulièrement confortables avec leur forme très ajustée et légèrement montante à la cheville, ces boots recouvertes de pastilles sont empreintes d’une allure végétale et aérienne. Leur créateur qui avait pour principal moteur le désir de développer des chaussures innovantes, en recherchant la possibilité d’une post-personnalisation de la chaussure, a permis une évolution radicale de la marque avec ce modèle en six coloris (noir, rouge, blanc cassé, transparent, perle, orange, bleu et translucide) dont on peut composer soi-même les contours, en le découpant afin de lui donner la forme souhaitée. Melissa n’est donc plus vraiment une chaussure, mais bien un accessoire de mode et de décoration, dorénavant personnalisable à l’infini. www.melissa.com

www.eastpak.com

Converse x hirst

Chef de file des Young British Artists portés par Saatchi dans les années 90, pionnier anglais et star mondiale de l’art contemporain, Damien Hirst a été invité par Converse à créer en 2008 un modèle haut de gamme unique à partir de l’iconique Chuck taylor. Imprimés au laser sur la toile, les motifs de papillons bleus sur fond rouge d’All You Need Is Love s’inspirent trait pour trait de la toile de l’artiste adjugée chez Sotheby pour 2 420 000 de dollars au bénéfice du Fond Global de lutte contre le Sida en Afrique. Vendu en exclusivité chez Colette, ce modèle également caractérisé par un empiècement en caoutchouc montant au niveau du talon, est une version artiste montante de la Chuck Taylor All Star originellement destinée à l’armée américaine dans les années soixante – qui permettra également de lever des fonds pour la cause. Des impressions où la beauté inerte des papillons est soulignée, comme une évocation virevoltante de la fragilité de la vie, pour une Converse exaltant cette tension entre vie et mort que l’on retrouve dans toutes les oeuvres de Hirst. www.converse.com - www.colette.fr

Hermès x Colette

Si précieux dans la célèbre boîte orange qui lui sert d'écrin, le carré de soie d'Hermès est l'accessoire de luxe atemporel qui semble ne jamais vouloir tomber en désuétude. Lancée mi-juillet, l'opération J'aime mon carré initiée par la directrice artistique soie de la marque, Balie Barret, attise la ferveur éveillée par ces fameux carrés en leur assurant une place dans les garde-robes les plus jeunes et les plus rock'n roll. Pour la réalisation de ce projet, le photographe Matt Irwin a voyagé dans les capitales de New York, Londres, Paris et Tokyo, pour créer un ingénieux fanzine mettant en scène avec fraîcheur la vie de quatre jeunes filles parées de carrés Hermès dont elles montrent qu'ils peuvent se porter de mille et une façons. Sur le site dédié, on donne à découvrir en images les aventures de ces demoiselles et l'on met à disposition des cartes à nouer signées Hermès, pour apprendre à plier son carré afin d'adopter un look sixties, une allure de cow-boy, etc. En édition limitée, une gamme passionnante Hermès pour Colette de ces légendaires carrés et losanges de soie est disponible dans le cadre de l'opération J'aime mon carré.

www.jaimemoncarre.com



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Après avoir révolutionné le XXème siècle avec le concept de design démocratique ( soit essayer de donner le mieux au maximum de gens en payant moins - en opposition avec le design cynique - ce qui est laid ne se vend pas- et le design narcissique - le beau pour le beau), le visionnaire et rebelle Philippe Starck invente l’écologie démocratique en créateur humaniste, subversif mais réellement politique. TEXTE : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIE : Philippe Starck © Jean-Baptiste Mondino

Cela fait vingt-cinq ans que vous avez inventé et que vous appliquez le concept de Design démocratique. En gros, le design démocratique, c’est donner plus en payant moins. C’était déjà révolutionnaire à l’époque. En quoi cela est-il aussi essentiel et d’actualité aujourd’hui ? Philippe Starck : il y a vingt-cinq ans, le design, c’était de très bons créateurs italiens, qui faisaient des objets très beaux, très chers et introuvables, réservés à une petite élite. Ce qui me semblait être le contraire de la modernité. L’élégance de la modernité, c’est d’essayer de la partager avec le maximum de gens. L’élégance moderne, c’est la multiplication à contrario de la rareté préméditée - genre série limitée ou one-off - qui est d’une vulgarité structurelle puisqu’on va priver ses congénères - les gens de sa tribu culturelle - de quelque chose, en les sélectionnant par l’argent. C’est quelque chose qui, pour moi, est inacceptable. Donc, j’ai eu cette petite idée du design démocratique, qui est en effet de monter la qualité – car mon idée secrète était qu’en descendant le prix, en industrialisant plus, on pourrait monter la qualité - de descendre le prix et de donner au maximum. Cela a été fait et réussi. On va dire qu’une chaise design de qualité, faite il y a vingt ou trente ans coûtait 1000 euros. Aujourd’hui, elle en vaut 100. Quand on a enlevé un zéro, si ce n’est deux à un concept, on l’a complètement changé, jusqu’à son nom. Comment en êtes-vous venu au concept d’écologie démocratique ? On sait que votre conscience écologique ne date pas d’hier... Heureusement ! Sinon on me traiterait d’opportuniste et cela m’énerverait. Pourquoi maintenant ? Parce que l’urgence est réelle et quand l’urgence est réelle, le marché commence à exister et les industriels sont prêts à entendre et à investir. C’est simple, lorsque je lançais le catalogue Good goods, la maison par correspondance en bois, ma compagnie de nourriture organique Waouh ! ou ma chaîne de restaurants Bon, qui était déjà organique et végétarien... il était clairement trop tôt. Aujourd’hui, à contrario, on vous supplie de faire des produits comme ça, alors qu’à l’époque, on me traitait de fou ! Il ne faut être ni en retard, ni trop en avance. Moi, j’ai passé ma vie en avance. Et c’est vrai que quand j’ai sorti quelque chose en avance, sans parler d’échec, je n’ai pas eu les résultats escomptés dans mes rêves. Etant en avance, je croyais que tout le monde l’était. Enfin, il vaut mieux prendre le risque d’être trop en avance que trop en retard. Être en retard, c’est l’inutilité absolue ! Le design écologique, c’est exactement la même structure mentale et la même stratégie que le design démocratique. C’est constater le fait que tout le monde, heureusement, est concerné ou va l’être, et qu’aujourd’hui, tout le monde, ou à peu près, sait comment sauver de l’énergie. Mais personne ne sait en produire. L’idée, c’est de produire des objets qui produisent de l’énergie, avec de très beaux dessins, qui donnent envie – c’est très important que cela donne envie d’acheter, qu’on l’achète avec plaisir, que ce ne soit pas une punition – en l’industrialisant, en utilisant des méthodes jamais employées comme l’injection monobloc… Donc, monter la qualité et baisser le prix pour pouvoir le donner à des millions de gens. Quels sont les premiers projets basés sur ce concept ? Le premier projet, c’est une éolienne invisible - c’est très important pour le coup d’après, car si l’on réussit, les gens diront qu’il y en a trop – qui va coûter plus ou moins 400 euros, et que vous trouverez aussi bien dans les boutiques de design, que chez Colette et dans les supermarchés. Vous repartirez avec en la mettant vous-même dans le coffre de votre voiture, et en la pluguant vous-même sur le toit... La suite, c’est l’architecture éco-démocratique qui part de la constatation que les gens ont aujourd’hui besoin de maison et que la maison est beaucoup trop chère comparée à la qualité de ce qu’ils donnent. Si vous comparez le prix d’une automobile et ce qu’ils donnent pour et le prix d’une maison et ce qu’ils donnent, c’est ridicule. Baisser le prix est possible en s’alliant avec des gens capables d’industrialiser les procédés. On propose une collection très importante distribuée mondialement, de maisons préfabriquées de grand dessin, de très belle qualité et d’extraordinaire qualité matérielle avec une extraordinaire multiplicité de solutions. Comme une automobile, on a les structures de base et ensuite on a des catalogues d’accessoires qui vont faire que la maison ne sera plus après la nourriture, la seconde dépense de la vie ce qui est complètement honteux et ridicule.

En même temps, vous faites le constat qu’écologie ne rime pas avec altruisme. Ce constat est amer ou plutôt optimiste, dans le sens où c’est un premier pas vers une prise de conscience plus large ? Cela fait partie de ma stratégie. N’ayant pas grande confiance en l’altruisme, en effet, je leur dis, non content de servir la terre - mais ça vous, vous en foutez un petit peu - et d’élargir un peu votre vision parce qu’il y a une urgence, vous allez non seulement économiser de l’argent, mais vous allez aussi en gagner. Car quand vous allez partir en vacances, vous allez produire de l’électricité, que vous allez vendre. Je me base un peu sur les bas instincts et surtout le mot qui gère toute notre civilisation : l’avidité ! Alors si on ne peut pas faire marcher les gens aux bons sentiments, on va les faire marcher aux mauvais sentiments. C’est le résultat qui est important. Le zéro impact écologique, c’est une utopie ou une finalité ? C’est une finalité faisable et obligatoire. Il y a tellement de choses faisables depuis tellement longtemps que le dommage avant tout, c’est que dans une société dite créative, moderne et d’imagination, les médias et les publicitaires nous disent chaque minute ce qu’il faut faire et ce qu’il faut acheter. Mais sous ces apparences de créativité, nous sommes dans une société qui n’a jamais eu aussi peu de projets ou d’utopies. Si nos ancêtres avaient eu aussi peu de regard sur l’avenir, on ne sait pas où l’on serait aujourd’hui. C’est étonnant. Le manque de compréhension de notre mutation permanente est le principal problème de notre société. On ne se rappelle plus d’où l’on vient, on n’a aucune idée de où l’on va, alors comment voulez-vous que l’on se sente bien. Et tous nos actes modernes qui s’inscrivent dans la grande histoire de la mutation, depuis 8 milliards d’années, de la bactérie à ce que nous serons quand le soleil va imploser, tous ces actes sont fait à reculons. Et quand on va à reculons, très souvent on trébuche et on tombe. Notre société est totalement inconsciente - au vrai sens, qui a un peu d’inconscient dans l’ADN- nous permet doucement et sûrement avec des hauts et des bas, de progresser. Mais il suffirait que l’on soit conscient dans cette opération majeure qu’est notre mutation pour que tout d’un coup, tout devienne fluide. Imaginons que l’on prenne tous les problèmes écologiques de front, intelligents et ensemble, les problèmes économiques, l’abandon du capitalisme sauvage, pour la réinvention de partis basés sur le partage comme ont été la chrétienté ou le communisme, tout devient facile. On préfère s’intéresser aux gadgets de demain matin, plutôt qu’à l’extrême beauté, et la poésie de notre histoire et de notre futur. A définir ainsi d’autres priorités, d’autres urgences, finalement d’autres défis à relever que le design, est-ce à dire que selon vous, notre époque marque la fin du design, qui ne serait aujourd’hui qu’une futilité ? Non, l’époque ne marque pas la fin du design, le design doit marquer une pause. À chaque époque correspond ses actions et à chaque action correspond son époque. Aujourd’hui, cela ne semble pas être le moment de s’occuper de la beauté d’une chaise. On peut encore à la limite, quand on est de mauvaise foi, continuer à produire une chaise, parce qu’elle va montrer une voie de la disparition avec la transparence, on va encore baisser le prix, offrir un nouveau service... mais en parler en termes esthétiques est quasiment une obscénité aujourd’hui, puisque pendant le temps de cette interview, des gens vont mourir tués, torturés, de faim, par manque d’eau, parce que leur territoire est en train de couler, d’être submergé... bref, il y a quarante mille raisons qui font que cela devient ridicule et amènent l’idée que si chaque génération a toujours pensé qu’elle était à un moment clé, décisif et ultra important, là, je crois qu’on y est ! On a abandonné le monde auto-stable, un éco-système stable pour un éco-système instable complètement issu et cohérent avec l’histoire de notre intelligence. Nous serons un jour capable de gérer un monde instable comme les avions instables par rapport aux avions stables, mais on n’y est pas encore. On apprend à conduire et il faut simplement limiter les dégâts pendant la leçon de conduite. Donc, si on travaille bien aujourd’hui, dans 15 ans, on pourra revenir à se poser des questions assez tertiaires sur l’esthétique d’une brosse à dents. www.starck.com


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diesel by moroso

Pour la deuxième année consécutive, Diesel s’associe à Morosso pour apposer sa griffe pop, rock et graphique sur un mobilier au look à la fois sombre, underground, énigmatique et linéaire. En 2009, la collection capsule Design with Moroso était comme passée aux rayons X, puisant dans une musique électronique projetée sur le mobilier avec un esprit vintage. Dans des tonalités nocturnes allant d’un bleu électrique à un noir profond, les produits de la gamme se singularisaient par leurs lignes douces et par leurs formes décontractées, qui contrebalançaient avec le déploiement de couleurs et d’ornements relevant d’une esthétique à ascendant rock’n roll. Les pièces les plus fortes issues de cette première collaboration étaient sans doute le somptueux paravent Xraydio 3 Natura Morta et les tables basses en verre Xraydio 1 razza et Xraydio 2 Disc dont les motifs radiographiques représentaient respectivement une nature morte, une raie et une console de dj. Renouvelant cette année l’expérience en jouant avec le graphisme d’une autre manière, Diesel a eu l’idée ludique de créer des surfaces à envisager comme des pages vierges sur lesquelles exprimer ses pensées. Sont alors apparues les tables Pylon Chain Glam et Pylon Prismic, constituées d’un obscur et élégant plateau de verre reposant sur une structure métallique ou chromée noire, dont les lignes feraient écho à celles des pylônes électriques de notre ère. Siège en polyuréthane semi-rigide modelé soutenu par de fins et longs pieds en bois peint, dos noir travaillé tranchant, le design inspiré de la structure géométrique complexe et élaborée des cristaux et minéraux naturels - de la Rock Chair made in Diesel 2010 est inoubliable et décapant. www.moroso.it - www.diesel.com


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JEan-PAUL GAULTIER pour ROCHE BOBOIS L’enfant terrible de la

mode gratifie Roche Bobois d’un souffle de haute couture à son image. Poétique et sophistiquée, la collection reprend les symboles et codes chers au couturier, tels que les rayures marines, les corsets satinés et glamours à lacets et les tatouages. Comprenant un étonnant miroir diable, un fauteuil Ben Hur sur deux roues et des malles Trunks, la gamme Jean-Paul Gaultier pour Roche Bobois est partiellement composée de meubles mobiles que le créateur avait présenté au V.I.A en 1992, mais qui n’avaient jamais été édités. Cette collaboration lui a donc donné l’opportunité de retravailler cette collection imaginée il y a presque vingt ans, sur la thématique du voyage et du déplacement, et de la compléter de nouvelles pièces dont certaines sont éditées en série limitée à 250 exemplaires - parmi lesquelles un canapé composite, un grand tapis rayé marine et blanc, un lit de princesse et une panoplie d’accessoires habillés de matières sensuelles, délicates et subtiles (coussins en satin, dentelle...). Sur roulettes, son armoire dite Paravent réalisée en profilés d’aluminium anodisé argent, séduit particulièrement avec ses motifs de tatouage imprimés en numérique. Du design et du style, du corps et de l’érotisme, de l’élégance et de la complexité, de la couleur et de la vie... Tout y est pour un intérieur d’exception. www.roche-bobois.com / www.jeanpaulgaultier.com


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vitrine design

Canapé Ruché - Design Inga Sempé - Ligne Roset

Table basse Max & Moritz, acier phosphaté noir - design Maurizio Peregalli - Zeus Disponible chez www.madeindesign.com

Rockchair - Diesel by Moroso Monster Armchair with embroidery Design Marcel Wanders, Moooi

Bibliothèque lines - Design Peter Maly, Ligne Roset

Lampadaire Trinitas - Dögg Design, Cinna


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vitrine design

Bureau - inspiré par Chaland, Leblon Delienne

Liseuse Paranoid 2 - Design Swann Bourotte, Cinna

Chandelier Raw Candelabra - Design Jens Fager, Muuto Disponible chez www.madeindesign.com

y-

Fauteuil Mademoiselle Moschino - design Philip Stark et Franco Moschino - Kartell Disponible chez www.madeindesign.com Iggi Iguana - design Nuove Forme - Habitat Wanders’ Tulip Armchair - design Marcel Wanders Cappellini

Canapé Grand plié - design Ludovica & Roberto Palomba - Driade Disponible chez www.madeindesign.com


objets collectors

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Sixties Téléphone fixe design Olivier Scala Sagemcom www.sagemcom.com Disponible chez Orange Major - Écouteurs - Marshall www.marshallheadphones.com

Lunettes PO714 SM signature Steve MacQueenPersol www.persol.com

Montre Phantom BR03-94 - Bell & Ross www.bellross.com Surface to Air x Scott Campbell Blouson de cuir - Surface to Air www.surfacetoair.com www.scottcampbelltatoo.com Disponible chez Colette dans le cadre du Cabinet des Curiosités de Thomas Erber, jusqu’au 31 décembre

Furtivo couteau - design Ora-ïto laguiole www.laguiole.com

Coffret hommage Andy Warhol design laboratory Central Saint Martin School of design Dom Perignon www.domperignon.com


high-tech

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Apple TV II - Apple www.apple.fr

Kinect pour console X-Box 360 - Microsoft www.xbox.com

Xperia X10 Sony Ericsson www.sonyericsson.com

Viera, Téléviseur 3D écran NeoPDP 600Hz avec lecteur Blu-ray et lunettes - Panasonic www.panasonic.fr

Galaxy Tab - Samsung www.samsung.com

Disque de stockage Starck mobile - design Philippe Starck - LaCie www.lacie.com

HP ENVY14 beats™ Edition - Hewlett Packard www8.hp.com/fr


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NOS ADRESSES Gucci - 01 44 94 14 70 Guilty Brotherhood - 01 48 04 06 48 Havaianas - 01 42 74 87 40 H&M - www.hm.com Hermès - 01 49 92 38 92 Heschung - 03 88 91 41 37 Hugo Boss - 01 44 17 16 70 IKKS - 02 41 75 21 21 Insight - 05 59 23 87 19 Jean Paul Gaultier - 01 72 75 83 14 Jérôme Dreyfuss - 01 43 44 48 44 Jimmy Choo - 01 58 62 50 40 John Galliano - www.johngalliano.com Kenzo - 01 40 39 72 03 Kiliwatch - 01 42 21 17 37 Lacoste - 01 53 30 86 70 Le Bon Marché - 01 44 39 80 00 Les Petites - www.lespetites.fr Les Prairies de Paris - 01 47 00 49 19 Levi’s - 01 45 08 40 32 Lilibon - www.lilibonnyc.com Louis Vuitton - 0810 810 010 Magarderobe - www.magarderobe.com Maje - 01 42 71 12 37 Marc Ecko montre - www.marceckotime.com Marc Jacobs - 01 55 35 02 60 Mélissa - www.melissa.com Moncler - 01 47 70 50 40 Moroso - www.moroso.it Moschino - 01 45 44 96 96 Muuto - www.muuto.com Nike - 01 34 30 11 10 Notify - 01 40 41 60 66 Onitsuka Tiger - 04 67 15 40 00 Paul & Joe - 01 42 22 47 01 Paul & Joe Sister - 01 42 22 34 10 Paule Ka - 01 42 97 57 06 Pierre Hardy - 01 42 60 59 75 Prada - 01 53 23 99 40 Princess Tam-Tam - 01 49 59 02 02 Pull-in - 05 58 43 69 11

Adidas - 0800 01 10 01 Adidas Eyewear - 01 42 43 30 48 Agent Provocateur - www.agentprovocateur.com Agatha - 01 53 56 72 00 American Apparel - 01 42 49 50 01 American Vintage - www.am-vintage.com American Retro - 01 42 33 50 01 Andrea Crews - www.andreacrews.com Apple - 0800 046 046 Arielle De Pinto - www.arielledepinto.com Balmain - 01 47 20 35 34 Barbara Bui - 01 53 01 88 01 Ben Sherman - 01 53 25 13 30 Bonobo - www.bonobojeans.com Burberry - 01 40 07 77 77 Calvin Klein - 01 42 82 34 56 Casio - www.casio.fr Céline - 01 56 89 07 91 Chanel - 0820 002 005 Charles Jourdan - 02 99 94 82 87 Chloé - 01 44 94 33 33 Comme Des Garçons Parfum - 01 47 03 15 03 Comptoir Des Cotonniers - 01 58 80 80 80 Converse - 02 99 94 69 85 Cop-copine - 01 41 60 41 00 Diamant-Unique.com - 08 10 00 54 55 Diesel - 01 42 36 55 55 www.diesel.com Dinh Van - 01 42 61 74 49 Dior - 01 40 73 73 73 Dior Homme - 01 40 73 53 01 Dsquared2 - 01 47 03 16 70 Eastpak - 00 377 92 05 35 85 Ela Stone - 01 42 60 90 99 Emilio Pucci - 01 47 20 04 45 Emporio Armani - www.emporioarmani.com Fendi - 01 49 52 84 52 Franklin & Marshall - www.franklinmarshall.com Fred Perry - 01 53 25 13 30 G-Star - 01 53 40 76 10 Gap - 01 53 89 23 00 Giorgio Armani - 01 42 61 55 09

Puma - www.puma.com Quiksilver - 05 59 51 57 57 Ralph Loren - 01 44 77 53 50 Ray-Ban - www.rayban.com Repetto - 01 44 71 83 10 Roba - www.roba.com.hr Roche Bobois - www.roche-bobois.com Roger Vivier - 01 53 43 00 00 Royalcheese - 01 78 56 53 56 Sandro - 01 40 39 90 21 Sinéquanone - 01 42 77 80 80 Sonia Rykiel - 01 49 54 60 00 Stella Mc Cartney - www.stellamccartney.com The Kooples - 01 44 77 99 77 The Lazy Dog - 01 49 29 97 93 Tom Ford - www.tomford.com Tommy Hilfiger - 01 40 15 04 00 Uniqlo - www.uniqlo.com/fr Yves Saint Laurent - 01 42 65 88 88 Zadig & Voltaire - 01 42 21 88 88

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©Tim Burton « C’est quelque chose de très régénérant et de très énergisant que de regarder en arrière. Cela vous permet de vous reconnecter avec le monde et avec vous-même, avec ce que vous êtes, ce que vous avez fait et ce que vous voulez faire » Tim Burton rencontré en novembre 2009 au Moma de New-york à l’occasion de son exposition rétrospective The Art of Tim Burton, désormais visible au Bell Lightbox de Toronto dans le cadre du Tiff dès le 26 novembre 2010. Entretien exclusif à lire sur www.magazine-alt.com


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culte - exposition larry clark

CLARK eN PLeINe FACe LARRY CLARK Kiss the past hello

Sexe, drogue, rock’n roll et armes à feu... La Ville de Paris accueille la première rétrospective en France du travail du photographe et réalisateur américain Larry Clark. Une exposition choc sur la perte de repères de l’adolescence à coup de clichés percutants, dévoilant une vérité violente et nue. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIES : Ci-contre Untitled, 1971, Courtesy of the artist, Luhring Augustine, New York & Simon Lee Gallery, London Ci-dessous : Untitled, 1968, Courtesy of the artist, Luhring Augustine, New York and Simon Lee Gallery, London

Conçue en étroite collaboration avec Larry Clark, Kiss the past hello réunit quelques deux cents tirages d’origine, embrassant l’ensemble d’une oeuvre qui court sur une cinquantaine d’années. Le parcours s’ouvre sur la présentation de portraits de nouveaux nés et mises en scène d’animaux domestiques réalisés par la mère photographe de l’artiste (qu’il assistait, adolescent, dans le studio familial, comme amuseur de bébés auxquels il fallait décrocher un sourire le temps d’une photo). Et l’on comprend ainsi que lorsque Larry Clark choisit d’emprunter à son tour la voie de la photographie, c’est de la vision artificielle du métier dans laquelle il a grandi qu’il s’écarte radicalement, pour

partir en quêtes de vérités peu conventionnelles qu’il va tâcher de révéler toutes crues. De ses premiers clichés en noir et blanc du début des sixties à ceux dont il a bombardé le jeune latino de Los Angeles Jonathan Velasquez au début des années 2000, en passant par ses séries Tulsa (1971) et Teenage Lust (1983), ses longs métrages Kids (1995), Bully (2001) et Ken Park (2002), sans oublier ses séries rock 1992 et The Perfect Childhood (1993), ainsi que son installation composite PunkPicasso (2003), tout y est pour une immersion dans les dédales d’une oeuvre totale, entièrement consacrée aux problématiques touchant la fin de l’adolescence. Autant d’images souvent à la lisière du supportable, non pas à cause

d’un traitement dramatique ou esthétisant du vice dont elles sont dépourvues, mais parce qu’elles forcent à contempler les expérimentations risquées auxquelles s’adonnent une jeunesse en mal de points d’ancrage, que l’objectif capture toujours à fleur de peau. Tout en permettant au spectateur de déambuler à la rencontre d’adolescents d’origine et de génération diverses, cette exposition le poste, sinon comme voyeur, tout le moins en témoin intrus d’un passage à l’âge adulte dont les bouleversements intimes engendrent de multiples dérives (sexualité franchement débridée, possession d’armes à feu, usage de drogues que l’on retient plus dures que douces…).

Pas question, donc, de jouer ici les vierges effarouchées face à l’interdiction aux moins de 18 ans qui frappe l’exposition. On pourra néanmoins juger paradoxal que les clichés de cette adolescence décadente - dont la législation prévoit de protéger les yeux innocents - seront donc ici laissés à la seule appréciation d’adultes moins “fragiles“ mais plus éloignés d’une réalité qui n’est pas la leur. Reste ce qui doit rester, l’inoubliable travail de Larry Clark, qui retourne et séduit comme un violent éclat de réalités aiguës. Kiss the past hello, exposition de Larry Clark, jusqu’au 2 janvier 2011 à l’ARC / Musée d’A rt Moderne de la Ville de Paris, avenue du Président Wilson, Paris XVIe www.mam.paris.fr



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rencontre - jeff KOONS

i AM WHAT I AM JEFF KOONS Popeye

Symbole de la rencontre spectaculaire entre l’univers conceptuel des readymade de Duchamp, le pop art d’Andy Warhol et tout un pan de la culture populaire mondiale, il est aujourd’hui un des artistes contemporains les plus reconnus au monde, mais aussi un des plus controversés. Avec une forme de démesure pleinement revendiquée et des installations autant inspirées par le style Rococo que par l’iconographie publicitaire ou la contre culture, jeff koons réussit mieux que quiconque le grand écart, entre reconnaissance par le grand public et célébration sur le marché. TEXTE : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIES : Acrobat (2003 - 2009), aluminium polychrome, acier galvanisé, bois et paille, 228,9x148x65,8 cm édition à 3 exemplaires et 1 épreuve d’artiste All © courstesy of the artist & Galerie Jérôme de Noirmont Pages suivantes : Moustache (2003), aluminium polychrome, acier monochromé, acier et vinyl, 260,4 x 53,3x191,8 cm - édition à 3 exemplaires et 1 épreuve d’artiste

Comment est née cette série, Popeye ? Jeff Koons : J’ai démarré cette série de vingt et une sculptures

en 2003. Au moment de sa première présentation à la galerie Sonnabend de New-York, les pièces n’étaient pas toutes terminées. Cela a pris plusieurs années avant de pouvoir les rassembler toutes. J’ai toujours aimé travailler avec des bouées gonflables, car elles interrogent totalement la notion d’intériorité. Si on scrute notre propre intérieur, on va y trouver de la densité, une idée de soi-même et de sa destinée. Le monde extérieur n’est fait que d’air. À l’inverse, si on regarde ces bouées, c’est juste de l’air à l’intérieur, la densité est au dehors. Ces bouées sont là pour sauver des vies. Si vous êtes dans l’eau, elles peuvent vous sauver. L’art aussi sauve des vies. Il est vital et nous aide à nous sentir plus rassurés pour appréhender l’abstraction et apprécier le processus créatif. Pourquoi avoir choisi la figure populaire de Popeye ?

Une de ses devises - « I am what I am », Je suis ce que je suis – montre qu’il accepte de s’assumer et qu’il traverse la vie sans que celle-ci ne l’affecte. C’est une figure populaire, mais pour moi, c’est aussi le symbole de la grande Dépression du début du XXème siècle. À cette période, le Dadaïsme ou le Surréalisme étaient des mouvements qui traitaient de l’acception de soi. L’acception de soi est une chose majeure. Les boites d’épinards que Popeye ouvre pour se donner de la force sont un moyen pour lui de se transcender. Comme l’art permet de se transcender. Je crois au pouvoir de l’art. C’est pour cela que je travaille à créer des connexions avec d’autres artistes, pour mettre en commun d’autres aspects de notre histoire que l’actualité et la contemporanéité, la mienne comme celle de ceux qui regardent les œuvres. Ce n’est qu’une fois que vous êtes parvenus à accepter ce que vous êtes que vous pouvez vous tourner vers les autres. L’art est un excellent connecteur. Et les liens qu’il créé constituent notre background. La référence au Processus créatif de Duchamp est très prégnante dans votre œuvre.

Je crois aux traditions qui mènent aux archétypes. Mêler le féminin et le masculin créé des archétypes dynamiques. Pour moi, Seal Walrus Trashcans forme un couple. Ce sont deux identités, l’une masculine, l’autre féminine, unies dans quelque chose en même temps. Comme dans un acte sexuel. Ces structures gonflables sont parfois associées à d’autres objets, mais elles ne sont jamais détournées ou dépossédées de leur sens premier. Ces diptyques sont également des références au modernisme, on est proche de Calder ou de Miró.

D’autres pièces comme Acrobat ou Moustache renvoient évidemment implicitement à Dali. Comment l’avez-vous rencontré ?

La fille du photographe Philip Hausmann a bien connu Dali quand elle était jeune, a dit à son propos quelque chose de magnifique: Dali s’habillait chaque jour, comme s’il se préparait pour un des moments les plus importants de sa vie. Quelle belle phrase et quelle belle manière de mener sa vie. J’ai rencontré Dali. Il a été vraiment généreux avec moi. J’avais 17 ans. Je savais qu’il séjournait à l’hôtel St. Régis. Je l’ai appelé au téléphone. Je lui ai dit que j’étais un jeune étudiant en école d’Art de Pennsylvanie, que j’aimais son travail et que je voulais le rencontrer. Il a accepté que nous nous retrouvions dans le hall de l’hôtel et que nous allions ensemble à la galerie le samedi midi. Et samedi à midi précises, il était là, habillé comme si c’était le moment le plus important de sa vie. Il portait un magnifique manteau de fourrure, une très belle cravate en soie avec des épingles en diamant, une canne en argent et il avait les moustaches bien redressées. Il faisait en sorte que pour vous, ce soit une occasion importante. Bien sûr, il n’y avait pas grand chose à se dire, juste bonjour et le rencontrer. Il s’est prêté de bonne grâce, en posant pour une photo devant une immense oeuvre, Fifty Abstract Paintings Which as Seen from Two Yards Change into Three Lenins Masquerading as Chinese and as Seen from Six Yards Appear as the Head of a Royal Bengal Tiger. J’étais nerveux et j’étais maladroit avec mon appareil que je n’arrivais pas à régler. Pendant ce temps, il se touchait les moustaches en disant «Allons jeune homme, je ne vais tout de même pas garder la pose indéfiniment !». Depuis, j’ai acquis deux des études préparatoires à la gouache de cette œuvre. Chaque jour que je les vois accrochées dans ma chambre, je repense à cette histoire. Au delà de cette anecdote, aujourd’hui, on ne peut penser le pop art sans Dali. Vous êtes vous-même collectionneur ?

Oui. Ma dernière acquisition est une toile de John Wesley. C’est un fantastique artiste pop contemporain de Warhol ou de Lichtenstein qui a aujourd’hui 82 ans. J’ai réalisé combien j’aimais son travail en achetant ses sculptures, les plus belles qui soient. Sinon, je possède également quelques Vénus antiques de Praxitèle. Comment vous positionnez-vous par rapport au marché ?

La crise est mondiale et elle touche tout le monde. L’art a toujours reflété les préoccupations de l’époque. Le système change perpétuellement et les artistes en font partie. Selon les époques et les cas, ils sont soutenus par l’Etat ou par le marché. Le système évolue, les artistes s’adaptent. Si on accepte ces règles du jeu, il faut également en accepter les conséquences et y mettre toute son énergie. J’accepte les conséquences. J’accepte d’être un acteur de ce milieu et d’en assumer le leadership. J’ai appris que celà entraîne non seulement de savoir dépasser ses limites, mais aussi une certaine responsabilité et des engagements.


85 Aujourd’hui, qui est votre principal soutien ? Les galeries ou les collectionneurs ?

Ma famille. Avoir le soutien de mes enfants est ce qui me motive le plus. Ils me donnent beaucoup d’énergie. La dynamique individuelle est la plus importante. Le marché suit toujours. Quand je suis venu à New-York, beaucoup de mes amis artistes voulaient être exposés, mais ils se créaient toujours de fausses bonnes raisons de ne pas le faire. Personnellement, j’ai toujours voulu créer un dialogue avec d’autres artistes contemporains, avec Dali, avec Warhol… C’est une question de désir et aussi un moyen de combattre ses peurs. Dialoguer avec les gens, c’est très important. J’aime l’art, je crois en l’art et je crois que ce que j’essaie de faire, c’est communiquer, partager et d’être le plus généreux possible avec ce que l’art m’a donné pour le faire partager aux gens. Ma récompense dans l’art, passe avant tout par mon développement personnel et le fait que je me sente bien. Comment vivez-vous votre notoriété ?

Une des plus belles choses qui soit à propos de l’art, c’est que les artistes peuvent rester anonymes, à la différence d’une rock star ou des acteurs quand ils sont connus. Vous disposez d’une fantastique plateforme politique tout en restant dans l’ombre, en pouvant faire ce que vous voulez chez vous, en ayant une vie privée et en pouvant aller où bon vous semble. Vous êtes totalement libre. J’ai appris à prendre soin de moi. Lorsque vous prenez soin de vous, vous prenez automatiquement soin des autres. Tout le processus artistique se résume au passage d’une sphère subjective, votre intérieur, à une sphère objective, le monde extérieur. Je travaille les readymade comme des métaphores de cette acceptation du monde extérieur.

« J’aime l’art, je crois en l’art et je crois que ce que j’essaie de faire, c’est de communiquer et d’être le plus généreux possible avec ce que l’art m’a donné pour le faire partager aux gens » Jeff Koons

Quand avez-vous décidé de devenir artiste ?

Vers quatre ans. Je crois pour attirer l’attention de ma famille. J’avais une grande sœur et c’était une occasion d’entrer en compétition avec elle. Mon père avait une boutique de décoration. J’ai donc grandi au milieu d’objets dont j’ai vite intégré l’influence qu’il pouvaient avoir sur nous. C’est en entrant à l’école d’art que j’ai rééllement compris ce que l’art pouvait être. Et cette relation à l’art change chaque jour. C’est un processus constant pour combattre l’angoisse. Qu’est ce qui vous rend inquiet ?

Tout le monde a ses anxiétés. Pour moi, c’est un sentiment primaire, la peur qu’il arrive quelque chose à mes enfants par exemple. Non, je ne suis pas inquiet, plutôt heureux d’être là. Jérôme et Emmanuelle de Noirmont m’ont invité dans leur galerie. Nous sommes très amis. Je me souviens, alors que nous visitions le château de Versailles un jour , il y a presque deux décennies, Jérôme m’a regardé et m’a dit que ce serait formidable de faire quelque chose là-bas. J’ai répondu «Génial, faisons-le ! ». Et on a fait cette formidable rétrospective l’an passé. Cette exposition est aussi la célébration de notre amitié. Quel bilan justement, tirez-vous de votre exposition à Versailles ?

Cela ressemblait beaucoup à un rêve, C’était comme être dans la peau d’un artiste invité à la cour de Louis XIV pour réaliser une commande. Vous travaillez avec beaucoup d’assistants. Comment fonctionne votre studio ?

J’ai un grand studio parce que j’ai beaucoup d’idées et que j’aime par dessus tout travailler dessus. En tant qu’artiste, j’ai envie d’avoir une existence productive. Pourtant, je ne réalise qu’une dizaine de sculptures et une dizaine de peintures par an, chaque pièce étant éditée en trois exemplaires, plus un tirage d’artiste. Réaliser une oeuvre prend beaucoup de temps. Chaque peinture demande environ un an, les sculptures deux. Chaque chose est une extension de moi. Si je suis seul dans mon studio, que je prends un pinceau et que mon esprit me dit de le mettre précisément là puis de faire ce geste circulaire en particulier, c’est la même chose avec les artistes qui travaillent dans le studio. J’ai créé tous ces différents systèmes pour qu’ils les suivent et chaque marque qui est faite est vraiment exactement comme si je l’avais faite moimême. Je suis constamment dans le studio pour tout regarder, tout manager. Vous avez designé l’Art Cart BMW qui a participé aux dernières 24 heures du Mans. On a l’impression que tout pour vous, prend l’allure d’un challenge...

C’est toujours un challenge. Travailler pour BMW et côtoyer les ingénieurs était fantastique. J’étais très honoré. J’ai imaginé une voiture qui créé un dialogue avec les autres Art cars. À la nuit tombée, près du musée, j’imaginais ma voiture discuter avec la celle de Lichtenstein, Warhol, Calder... On a montré la voiture au centre Pompidou. J’étais très déçu qu’elle ne gagne pas la course. Je travaille actuellement sur une sculpture monumentale pour la ville de Los Angeles, un train suspendu à 10 mètres de hauteur par une grue au dessus d’une petite place, face du MoCa. Deux fois par jour, il se mettra à fonctionner et à cracher de la fumée, comme une respiration. Je travaille aussi sur un projet de série autour des Antiquités, des figures populaires et des ballerines. Quelle est votre ambition aujourd’hui?

Être le meilleur artiste que je puisse être. J’ai vraiment l’opportunité de pouvoir essayer des choses différentes. me tourne de en plus vers quelque chose de plus classique en essayant d’être le plus libre et le plus ouvert possible. Popeye Sculpture, exposition de Jeff Koons jusqu’au 20 novembre, galerie Jérôme de Noirmont 36-38 avenue Matignon, Paris 8 www.jeffkoons.com




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MUSIQUE - TRICKY

fighting sPIRIT TRICKY Mixed Race

Vingt ans après ses débuts aux côtés de Massive Attack, chaque nouvel album de Tricky apporte une pièce à la compréhension de l’univers musical, à la fois complexe et éclectique de cet artiste inclassable. Enregistré à Paris, Mixed Race, deuxième opus signé chez Domino après Knowle West Boy, confirme cette règle et le retour en forme du bad-boy de Bristol, qui parvient à établir de salutaires passerelles entre l’Europe, la Jamaïque, les Etats-Unis et le Magreb. TEXTE : Hugo Gaspard PHOTOGRAPHIES : © Jack Dante

Le titre de ce dernier album, Mixed race, fait référence à l’ histoire de ta famille. Tricky : Complètement. Je suis le

fruit d’un très étrange mélange. Ma grand-mère est blanche, ma mère à moitié blanche et à moitié noire africaine et mon père, jamaïcain. Ce métissage entre ces extrêmes explique ce que je suis et ce qu’est ma musique. Une musique qui n’est ni féminine ni masculine, ni noire ni blanche. Et en même temps, un peu tout ça à la fois.

ce chapitre sera terminé, je démarrerais le troisième. Je ne refais jamais la même chose. Je ne vois pas l’intérêt. Tu lis un journal parce qu’il est différent chaque jour. Si c’est pour faire tous les jours la même chose, la vie est chiante. Pourquoi avoir fait le choix d’un album résolument uptempo ?

Que tu les aimes ou non, on a besoin de temps pour entrer dans certains de mes albums. Là, je voulais quelque chose de plus direct, d’instantané. Peut-être parce qu’aujourd’hui, je suis moins timide qu’avant. Je manquais cruellement d’expérience et de confiance en moi à mes débuts. Sur scène, je restais volontairement dans l’ombre. Et puis, j’avais le sentiment que les gens ne m’aimaient pas, qu’ils me voyaient comme un clown et qu’ils n’attendaient qu’une chose, c’était que je me plante. Maintenant, c’est fini. Je sens que les gens me soutiennent, qu’ils sont derrière moi pour que je fasse un bon concert. Ils sont venus pour ça, et non pour me juger. Avant, j’avais peur de réagir avec le public, maintenant je vais carrément dans le public. En quelque sorte, j’ai appris mon métier à la manière d’un artisan. Et j’apprends toujours pour me perfectionner.

plein de potes, mais je ne suis pas très bon dans les relations humaines. La scène ou le studio sont les seuls endroits où je peux être comme ça. Sans cette part de ma vie, je n’existerai simplement pas. Avec le recul et les années, pourquoi continuer toujours à cultiver de l’indépendance, voire une certaine méfiance, vis à vis du marché et des radios notamment ?

En fait, cette indépendance m’a permis de faire une carrière. J’ai Le précédent s’appelait Knowle vu de grands artistes entrer en West Boy, du nom du quartier où tu studio, enregistrer huit titres, as grandi. C’est important pour toi puis une fois terminé, se rendre de revendiquer tes origines, de ne compte qu’ils n’avaient pas de pas oublier d’où tu viens ? single. Et là, panique. Ils avaient Oui. Parce que j’en suis très fier. écrit leur album en un mois et Ma famille vit dans ce quartier ils allaient devoir en mettre six depuis cinq générations. Nous pour tenter d’écrire un single! sommes tous allés à la même Voilà comment tu deviens école. Ma grand-mère vit dans esclave de ton succès. Je m’en la même rue que mon arrière fous complètement de vendre grand-mère et ma tante vit des disques ou non. Je sais que juste au coin de la rue. On n’est cela n’a rien à voir avec le fait pas censé être fiers de venir de que je sois artiste. Je n’aijamais Knowle West. Quand tu viens de cherché le hit. En disant ça, je ne ce quartier, tu n’es pas supposé manque pas de respect aux gens réussir. Si tu vas à un entretien qui le font, parce que c’est un d’embauche, ils ne te recruteront vrai métier. J’ai bien essayé de pas parce que, précisément, tu faire des trucs calibrés pour les viens de là-bas. Mon institutrice radios, une fois, pendant deux disait toujours : « Si vous cherchez semaines avec un producteur. un boulot et que vous dites que vous Ce n’est vraiment pas mon truc. venez d’ici, vous ne l’aurez pas ». Savoir qui tu es comme artiste La vie y est dure et beaucoup t’aide considérablement. Si tu finissent en prison. Alors je suis veux écrire des singles tous les fier d’être arrivé là où j’en suis Justement, tu fais de la musique deux mois, fais-le mais ne fais aujourd’hui, grâce à tous les depuis vingt ans. Qu’est ce que pas d’album. Personnellement, gens, bons ou mauvais, que j’ai cela t’a appris sur toi ? je ne suis pas un sprinter, rencontrés là-bas. Cela m’a appris qu’avec la mais un coureur de fond. Je musique, ma vie est belle et me connais. Et les autres aussi Cet album est aussi de ta que sans elle, je ne pourrais pas me connaissent. Il n’y a pas de perpétuelle remise en question vivre dans un monde si dur. Sans tromperie sur la marchandise. artistique. cette autre réalité, je ne pourrais Les maisons de disques savent Si tu ne regardes pas en arrière, pas continuer. Je n’aime pas qui elles embauchent avec comment savoir où tu vas ? Je toujours ce que je vis ou ce que moi. Elles peuvent peut être ne parle pas artistiquement ou je suis. La musique est un besoin décrocher un hit, mais ce n’est musicalement, l’idée n’est pas de vital pour moi. Tu sais, les gens pas sûr et ce n’est surtout pas refaire Maxinquaye ou Blowback, croient que j’ai confiance en mon but. Avoir conscience de mais de regarder vers le passé moi, voire que je suis suffisant, cela évite à tout le monde de se pour ammener dans le présent, et un peu rustre parfois quand tromper. en puisant dans ma jeunesse, et ils m’accostent dans la rue, alors dans ce que j’ai appris dans ma que c’est le contraire, je suis Comment te positionnes-tu vie. C’est un peu comme écrire vraiment timide. J’aimerai être par rapport à ton public ? Tu te un journal, un livre. Knowle West aussi confiant et épanoui dans la demandes comment il reçoit tes Boy serait le premier chapitre, vraie vie, pouvoir aller partout albums, s’il aime les nouvelles Mixed Race le second. Et quand sans problème et me faire directions que tu prends ?

J’ai testé mon public, il y a longtemps. Ils m’ont soutenu dans des moments difficiles, et m’ont toujours accompagné. Maintenant, je ne vais pas me prendre la tronche. Si je suis honnête dans ce que je fais, les gens qui m’écoutent depuis des années vont m’écouter. C’est un peu «Qui m’aime, me suive», mais j’assume. Et cela ne veut pas dire que je suis coupé d’eux. Au contraire. Je suis resté normal. Et cela me permet de ressentir des choses. Partout où je vais, je veux ressentir la culture du pays. Je suis curieux. J’ai faim. Je me nourris des gens que je rencontre. Je fais ce que font les gens du cru. Je parle avec eux à la fin des concerts. Ici, à Paris, on m’a donné la liberté. On m’accepte comme je suis, bon ou mauvais. On me compare à Gainsbourg, pas musicalement mais pour ce côté “lost soul“ que l’on partage. En Angleterre, la célébrité te dessert. Ton secret, c’est le travail ?

Si je ne tourne pas ou si je ne suis pas en studio, j’ai des problèmes. Je bois, je fume, je glande. Mon boulot, c’est tout ce que j’ai. C’est le travail qui structure ma vie. Si je ne bosse pas pendant trop longtemps, je deviens dingue. Et je retombe instantanément dans des travers qui sont néfastes pour moi. Je peux m’entraîner physiquement très dur pendant des semaines, mais si je suis confronté à une absence d’échéance dans le boulot, je peux très vite partir en couille. Album : Mixed Race (Domino / Pias) En concert le 16/11 à Lyon, le 20/11 à Strasbourg, le 26/11 à Marseille, le 27/ 11 à Montpellier, le 29/11 à Toulouse, le 30/11 à Paris (Trianon)



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littérature - sofi oksanen

le mOnde de sOfi SOFI OKSANEN Purge (seuil)

Immersion dans l’Histoire douloureuse et changeante de l’Estonie du vingtième siècle à travers les destinées tragiques, brutales et rageuses de deux femmes, Aliide et Zara. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Toni Härkönen

Tout commence en 1992 lorsqu’Aliide, vieille estonienne recluse dans sa forêt natale, aperçoit “un ballot“, une très jeune femme échouée sous les bouleaux de sa cour. De cette rencontre inattendue naît un huit-clos à mots tendus, entre une paysanne qui a subi intrinsèquement toutes les violences de l’Estonie depuis sa première République et Zara. Une petite putain russe traquée par les bourreaux de proxénètes sous le joug desquels elle est naïvement tombée pour avoir désiré faire fortune à l’Ouest. Dans Purge, il est aussi question d’amour entre Hans un beau paysan estonien, sa délicieuse femme Ingel et leur fille Linda, mais aussi et de celui de Liide pour ce même Hans qui ne la regardera jamais. D’une photographie revenue du passé, de l’art de faire des conserves, des déportations massives vers la Sibérie sous le régime soviétique, du carnage de Tchernobyl et des champignons qu’il semblerait qu’il ne faille

plus manger...Progressivement dévoilées dans le prisme de la grande Histoire, les secrets et les peurs qui hantent les corps de Zara et d’Aliide sont l’occasion d’habiles va-et-vient dans l’espace et dans le temps, comme pour palier à tout ce qui ne peut être naturellement révélé par ces bouches bâillonnées par le traumatisme. Les yeux fuyants de Zara réveillent la culpabilité ensevelie de la vieille Aliide, qui lit dans les attitudes de cette jeune fille comme dans un livre ouvert pour y déceler avec répugnance, les symptômes de la femme violentée. Peu à peu, avec juste ce qu’il faut de conviction, de termes crus et de pudeur, Purge permet aux lourdes destinées des deux femmes de se rejoindre au-delà même de leur évident point de convergence, dessinant avec force les similitudes de leur caractère, de leurs instincts et de leur rage de survivre en dépit de la honte silencieuse qui les dévore. Née d’un père finlandais et d’une mère estonienne, Sofi

Oksanen signe, à seulement 33 ans, un troisième roman d’une grande richesse, aussi fascinant que dérangeant, qui témoigne d’une réelle maturité littéraire. Dans ses deux premiers romans, Les Vaches de Staline et Baby Jane, l’auteure avait abordé la problématique de la boulimie sur fond d’histoire soviétique, puis celle des crises d’angoisse de la génération prozac. Son intérêt marqué pour l’histoire et pour les drames profondément individuels et muets, est porté à son comble avec Purge (en finlandais Puhdistus désigne tout ce qui a trait à l’action de nettoyer) , en mettant à nu les stigmates d’une Estonie occupée par les allemands et les russes, qu’elle décrit à l’image d’une femme trop de fois violée par l’évocation des drames de Zara et d’Aliide. Et si, à quelques respirations près, le dégoût et la peur dégoulinent sans complaisance à chaque page du roman, c’est pour mieux servir l’expiation et nettoyer d’un même

élan, les maux historiques des petites gens de la Baltique comme ceux individuels et universels de toutes les femmes salies. Une consistance et un étalement dans le temps qui rappellent Une vie de Maupassant; Une architecture rendue complexe par un télescopage des temps et des lieux menée de manière limpide et très contemporaine; Une écriture cinglante qui se permet de longues descriptions et des figures de style... Au final, Purge se pose comme un roman à part, un ovni décapant dans le paysage littéraire d’aujourd’hui. Purge de Sofi Oksanen, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli (Stock)



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art - valérie belin

les fleuRs du mAL valérie belin Black-eyed Susan

Véritables explorations du vivant, les images énigmatiques et fantasmagoriques de Valérie Belin capturent des figures très présentes mais lissées, paradoxalement oniriques et réalistes à la fois. Exposée à la Galerie Jérôme de Noirmont, Black-eyed Susan sa nouvelle série se situe au croisement de l’organique et du sublime. Et témoigne de la faculté d’adaptation d’une artiste qui questionne perpétuellement l’essence (et le sens) même de son art. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Choisya mexican orange blossom © Valéire Belin, courtesy of the artist & galeie Jérôme de Noirmont, Paris

Sur le fil, le travail de Valérie Belin ressemble à une tentative obsessionnelle d’appropriation du réel. Sous son objectif, le naturel tend à devenir artificiel, l’artificiel naturel, et les figures humaines, quasi fantomatiques, semblent célébrer la rencontre évanescente de la réalité et de l’illusion. Cette photographe française est aujourd’hui au cœur d’une actualité particulièrement dense, certaines de ses oeuvres ayant été intégrées à plusieurs évènements, parmi lesquels les expositions Autour de l’extrême à la Maison Européenne de la Photographie, De leur temps, 10 ans de création en France, le Prix Marcel Duchamp au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg, et Elles@ Centre Pompidou à Beaubourg. Qu’ils prennent pour modèle un sosie de Michael Jackson ou un mannequin, ses clichés allient traitement spectaculaire voire surnaturel

de l’image - qui métamorphose les visages des modèles en figures d’inaccessibles icônes - à une volonté de profond dépouillement, affirmé par l’absence d’éléments contextualisants. De ce parti pris, entre radicalité de l’approche et frontalité du point de vue, émerge le sentiment d’un vide béant, qui altère toute possibilité d’interprétation narrative ou documentaire. Et confère à l’ensemble, un caractère aussi impénétrable qu’hypnotique. Etonnamment colorée, fleurie et baroque, Black-eyed Susan permet à l’artiste de toujours plus s’affranchir de la représentation du réel, avec des séries de plus en plus abstraites, irréelles et magiques. Parce qu’elle a fait le constat que la période traversée par la photographie depuis l’arrivée du numérique est aussi critique que celle qu’à dû dépasser la peinture au

XIXème siècle avec l’avènement de la photographie, Valérie Belin opte désormais pour un questionnement indirect du réel à travers la notion d’illusion, et en recourant aux nouvelles technologies. Les modèles de Black-eyed Susan, choisis pour leur beauté plastique très fifties, sont maquillés, coiffés et parés de bijoux pour mieux fusionner avec une trame végétale tissée de fleurs aux contours simples et précis. La femme tend donc à devenir aussi décorative que la fleur et l’âme du sujet finit pas se dérober sous la quantité d’effets de style. À dominante orange, rose ou verte, ces récents portraits fleuris sont de délicieuses hybridations photographiques qui inscrivent le travail de l’artiste dans une démarche surréaliste pour évoquer l’absence de frontière entre le réel et le virtuel.

Renseignements : Expositions Valérie Belin Black-eyed Susan, du 1 décembre au 27 janvier 2011, Galerie Jérôme de Noirmont 36-38 avenue Matignon, Paris 8 www. Autour de l’extrême, jusqu’au 30 janvier 2011, Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy Paris 4 www.mep-fr.org Steidl. Quand la photographie devient livre, de Robert Frank à Karl Lagerfeld, jusqu’au 19 décembre à la Monnaie de Paris, 11, quai de Conti Paris 6 www.monnaiedeparis.fr. De leur temps, 10 ans de création en France - le prix Marcel Duchamp, du 6 novembre 2010 au 13 février 2011 Musée d’A rt Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg, Strasbourg www. Elles @ Centre Pompidou, jusqu’au 21 février 2011, MNAM Centre Georges Pompidou, Place Georges Pompidou Paris 4 www.centrepompidou.fr



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exposition - brune, blonde

lA cheVelURe BRUNE, BLONDE

À La Cinémathèque, l’exposition Brune / Blonde orchestrée par Alain Bergala, est un véritable éloge à la chevelure féminine, rassemblant extraits de films, archives télévisuelles, photographies, tableaux et courts métrages inédits réalisés pour l’occasion, qui tous témoignent de son rôle fondamental dans l’histoire de l’art et du cinéma. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Kim Novak, héroîne du Vertigo d’Alfred Hitchcock © D.R

«Laisse-moi respirer longemps, longtemps, l’odeur de tes cbeveux...» Divisée en cinq parties - Le Mythe, Histoire et Géographie de la chevelure, Les Gestes de la chevelure, La Chevelure au coeur de la fiction et Vers l’abstraction - l’exposition permet une immersion dans un univers peuplé d’actrices légendaires et d’oeuvres phares du cinéma. Des chevelures brunes, blondes ou rousses, des nuques fragiles, des coupes courtes ou longues, des cheveux ramassés en chignon, sauvagement libres et détachés, camouflés par le port d’un voile ou d’un foulard... Confrontant des approches cinématographiques d’hier comme d’aujourd’hui et d’occident comme d’Orient, Brune / Blonde offre une vision d’ensemble de l’histoire de ces chevelures emblématiques

qui sont presque passées dans la mémoire collective. Signée Nathalie Crinière, la scénographie tresse des liens harmonieux entre peinture, sculpture, photographie, art vidéo et cinéma, permettant une déambulation cohérente dans les dédales d’une profusion organisée d’images mobiles ou immobiles, que les apparitions récurrentes d’un extrait de Millennium Mambo d’Hou Hsiao Hsien rythment à la perfection. Ces images, quelques soient leurs origines, sont toutes à la gloire du pouvoir de fascination de la chevelure. Et pour cause, car se focaliser sur ce prolongement de la féminité et la gestuelle chargée d’émanations sensuelles qui en est le corollaire revient à zoomer sur un élément de la beauté féminine qui même lorsqu’il est

apparent, demeure dégringolant de mystères. Sur ce thème, une gouache préraphaélite de Dante Gabriel Rossetti peut donc coexister avec une peinture pop signée McDermott & Mc Gouth, un bronze de Rodin, des extraits de films mythiques allant de Gilda à Étreintes brisées en passant par Belle de jour ou Le Mépris, ainsi que six court-métrages inédits d’Abbas Kiarostami, Isild Le Besco, Pablo Trapero, Yousri Nasrallah, Nobuhiro Suwa, Abderrahmane Sissako. L’exposition raconte le façonnage d’actrices par des cinéastes sensibles aux effluves de la chevelure, mais encore l’histoire de ces nouvelles icônes ; femmes aux chevelures platinées dans les années 30, d’un roux flamboyant à la Rita Hayworth dans les années quarante,

sensuellement relâchées façon Brigitte Bardot dans les années cinquante, raccourcies à la mode androgyne relayée par Jean Seberg dans les années soixante, blondes majestueuses à l’image de celle de Catherine Deneuve... Autant de styles capillaires qui ont pu et pourront encore se réincarner sur les femmes de générations entières. Brune / Blonde, une exposition Arts et Cinéma jusqu’au 16 janvier 2011 à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris www.cinematheque.fr Brunes et Blondes, La chevelure féminine au cinéma, un documentaire d’Alain Bergala, diffusion sur Arte le 28 novembre à 22h10 Brune / Blonde, La chevelure féminine dans l’art et le cinéma (Skira Flammarion et la Cinémathèque française) Coffret DVD Brune / Blonde (StudioCanal et la Cinémathèque française)



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cinémA - le guépard

lA fiN de l’innOcence il gattopaRdo - le guépard

Fresque cinématographique élégiaque sur une aristocratie en déliquescence, Le Guépard de Luciano Visconti, Palme d’or en 1963, ressort en salles le 1er décembre, ainsi qu’en dvd et Bluray, dans une version remasterisée par la Film Foundation créée par Martin Scorsese. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Le Guépard © Pathé Production – Titanus (Photographies attribuées à GB Poletto 1972 – Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé)

Adapté du roman d’aprèsguerre de Giuseppe Tomasi de Lampedusa publié à titre posthume en 1959, Le Guépard commence en mai 1960, lorsque Garibaldi débarque en Sicile. Réfugié dans sa villa de Palerme, le Prince Salina interprété par le séduisant Burt Lancaster, assiste de loin et du haut de toute sa dignité aux bouleversements politiques qui conduiront inexorablement à l’extinction de son aristocratie et à l’unification de l’Italie. Malgré la conjoncture, il décide de ne pas se détourner d’un futur

avec lequel il comprend qu’il doit composer, en arrangeant le mariage de son neveu désargenté Tancrède Falconeri avec la fille d’un propriétaire foncier dont le pouvoir va croissant, la douce, plantureuse et fortunée roturière Angelica. Incarné par Alain Delon et Claudia Cardinale, ce couple d’une beauté éclatante symbolise un bonheur d’une autre ère, une alliance d’avenir qui ne fait que mieux ressortir la douleur des aristocrates de la famille du Prince, dont on sent bien qu’ils laisseront toujours leur esprit vagabonder dans un

passé fastueux, à jamais regretté révolu. Le film touche à sa fin avec le bal de Ponteleone qui permet l’introduction d’Angelica auprès de la haute société sicilienne. Au cours de cette longue séquence tournée dans le Palais Gangi de Palerme, tout l’art de Luciano Visconti atteint son paroxysme, là où chaque détail, chaque geste, chaque visage et chaque déception sont filmés avec une attention et une lenteur particulière dont il émane une très profonde nostalgie. Ce bal de vaincus revêt finalement un aspect macabre et

infiniment désespéré de dernière fête, célébrant la disparition d’un monde et de ses illusions. L’occasion rêvée de découvrir ou (re)découvrir en salle ce film qui s’admire et se déploie comme une grande peinture historique, servie par la griffe virtuose, éminemment mélancolique, romantique et quasi opératique de Visconti. Il Gattopardo / Le Guépard de Luciano Visconti (Italie, 1963 - 3h05) avec Burt Lancaster, Claudia Cardinale, Alain Delon, Serge Reggiani…Sortie en salles, DVD et Blu-ray le 1/12



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SCÈNES - angelin preljocaj

ANGELIN PRELJOCAJ Suivront mille ans de calme...

Ballet obsédant et angoissant, Suivront mille ans de calme tranche avec les précédentes créations d’Angelin Preljocaj par sa dominante éminemment obscure, tout en portant les heureux stigmates de la patte du chorégraphe. Rencontre à l’occasion de la première française à la Biennale de la Danse à Lyon. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : © JC Carbone


99 Comment est née cette création Bolchoï, ou inversement. Il me avec le Bolchoï ? semble que c’est comme ça que

Angelin Preljocaj : Il y a environ deux ans et demi lorsque j’ai rencontré leur directeur, Anatoly Iksanov. Il voulait que je donne une de mes pièces pour la faire entrer au répertoire du Bolchoï. Je me suis rendu sur place pendant trois jours pour trouver celle qui conviendrait le mieux à cette institution et à ses danseurs. Lors des répétitions, j’ai pu découvrir des danseurs vraiment spéciaux. L’idée d’une création faite pour eux m’est donc venue. L’enthousiasme a été immédiat du côté du Bolchoï. Ensuite, tout est allé très vite. Le projet devait voir le jour en 2011 mais il y a eu l’Année France Russie à laquelle on nous a demandé d’intégrer notre projet. Ça m’a fait un peu peur car j’avais d’autres choses en cours qu’il me fallait gérer mais nous avons finalement réussi dans un laps de temps raccourci. Dans quelles dispositions étaient les danseurs ?

Ce sont des danseurs classiques qui évoluent dans une forme d’académisme, mais ils m’ont fait l’effet qu’a dû faire Noureev en arrivant à Paris. Ils ont un côté très instinctif et une manière à la fois naturelle et puissante de prendre le mouvement. J’avais posé une sorte de règle de départ à notre collaboration. Je voulais que dix danseurs du Pavillon Noir et dix autres du Théâtre du Bolchoï participent ensemble à ce ballet. Les danseurs du Bolchoï sont venus travailler deux mois à Aix-en-Provence et nous sommes ensuite allés passer deux mois avec eux à Moscou pour l’achèvement de la création. Je pense que c’était une très bonne chose que l’échange se déroule dans ce sens. Les danseurs du Bolchoï ont vraiment pu se déconnecter de leurs habitudes. Leur séjour en France leur a offert une réelle coupure et a permis leur immersion dans le travail. Les bases étaient donc jetées et il ne restait qu’à tout partager. Mes danseurs ont réservé un accueil formidable aux danseurs russes. À bras ouvert. Ça a été une expérience véritablement forte et très fraternelle. J’ai par ailleurs été très rigoureux dans ma méthode de travail, en veillant à faire danser un russe avec un français, même lors des exercices d’improvisation. Il ne fallait pas que les danseurs de la même compagnie dansent ensemble et tous les couples formés pendant le spectacle sont composés d’un danseur du Pavillon et d’une danseuse du

l’énergie a pu aussi bien circuler entre les deux groupes de danseurs. Il y a eu un véritable échange et mes danseurs se sont également véritablement nourris de cette expérience.

Comment est née l’idée d’une collaboration avec Subodh Gupta et Laurent Garnier ?

Comme je voulais travailler sur le thème de l’Apocalypse, je cherchais des gens qui soient impliqués dans des formes de rituels, qu’ils soient religieux ou païens. Pour ce qui est de Subodh Gupta, il détourne des objets du quotidien dont il fait des idoles. Il dit d’ailleurs qu’il est un voleur d’idole. La nourriture et les rituels païens sont très présents dans son travail. Et j’aime beaucoup cette idée de détournement perpétuel d’objets appartenant aux rituels du quotidien. Quant à Laurent Garnier, c’est un maître de cérémonie qui lorsqu’il mixe, déclenche une sorte de transe, initiant une forme de rituel. Il arrive à faire ça et je crois que c’est pour cette raison et pour le côté pulsionnel de sa musique que je suis allé le chercher. En quoi la scénographie et la musique ont-elles influencé votre chorégraphie ?

L’idée et les textes de l’Apocalypse étaient notre point de convergence à tous les trois. Pour pouvoir travailler avec Subodh Gupta, je suis parti en Inde pendant une dizaine de jours et c’est ensemble que nous avons pensé la scénographie de la pièce. Peu à peu, les éléments de la scénographie tels que les chaînes, les murs de fer ou les drapeaux nous sont apparus. On a passé des journées entières à imaginer les objets et lorsque j’ai pensé les chorégraphies, j’avais déjà connaissance de ces objets que j’ai pu y intégrer. Avec Laurent, cela s’est passé d’une façon particulièrement fluide. Ça a été un échange permanent. Comme il n’habite pas loin d’Aix-en-Provence, il venait régulièrement au Pavillon Noir et pouvait assister aux répétitions. Il m’envoyait de la matière et nous la testions. Je lui disais qu’il faudrait plus de ceci ou de cela et c’est petit à petit qu’on a élaboré de concert la structure musicale de la création.

Pourquoi l’Apocalypse ?

Je l’ai choisie de façon très instinctive. J’ai compris ensuite ce qui avait pu motiver ce choix. L’apocalypse est un style d’écriture qui dénonçait les

choses de manière métaphorique. Le mot apocalypse vient du grec “apo“ qui signifie ôter, et de “kalyptein“, le voile. Je suis donc parti de l’étymologie d’Apocalypse qui signifie “dévoiler“. Lorsqu’il est question de faire tomber Babylone dans l’Apocalypse, on parle en réalité de faire tomber l’Empire Romain pour instaurer le royaume céleste. Cela m’a amené à penser à l’Apocalypse comme a un texte fondamentalement révolutionnaire, un texte qui voulait faire table rase du passé. Or la France et la Russie sont deux pays qui ont en commun d’avoir mené de grandes et violentes révolutions. J’ai voulu partir de ce lien là entre nos pays et appréhender l’Apocalypse de manière abstraite et métaphorique.

et je n’ai pas le sentiment qu’il en était ainsi dans ma jeunesse. C’est dans les années 90 qu’il me semble que les choses ont changé. Tout s’est durci après une période d’ouverture, une période où l’on développait des systèmes en faveur de la tolérance. Il me semble qu’à présent les intégrismes se sont durcis et les politiques aussi. Ce constat explique la présence des murs dans la pièce, de ces murs qui entravent la liberté de mouvement de certains. L’idée c’est que si on veut aller vers un monde meilleur, il faut se laver de tout. Se désentacher de ses actes. Mais je crois que tout cela est beaucoup plus limpide sur la scène que lorsqu’on en parle avec des mots.

C’est que dans l’Apocalypse, on parle de la Grande Prostituée de manière métaphorique, pour évoquer Rome et sa corruption en évitant la répression. Ce n’est pas forcément à appréhender au sens littéral bien que le terme soit délibérément fort, puisque la putain est celle qui fait commerce du sexe et de sa chair. C’est quelqu’un qui détourne les autres. Donc en représentant la grande prostituée, il y a davantage l’idée de représenter la corruption engendrée. Et puis la sexualité nous ramène à notre réalité d’êtres humains écartelés, entre nos pulsions animales visant à assurer la pérennité de l’espèce et nos désirs intellectuels. Le corps est là, debout, vertical, traversé de ses pulsions vitales.

lorsqu’on est dans une création. Je pense que l’on fait ce dont on a besoin au moment où on en a besoin. J’avais besoin de l’abstraction de cette pièce, surtout après BlancheNeige qui était une création davantage liée à la narration et qui restait un conte de fée. Là, c’est effectivement tranchant. Je voulais pour cette création un univers à la fois sombre, moderne et atemporel. Et pour ce qui est de changer, chaque nouvelle pièce est un motif pour une évolution.

Au risque de dérouter, vous opérez un tournant radical pour arriver à Vos danseurs déploient parfois une forme de beauté anxiogène... des visions orgiaques voire Je crois qu’il ne faut pas trop brutales de la sexualité... penser à ce que l’on va provoquer

Au fur et à mesure de la pièce, vos chorégraphies s’approchent de plus en plus de la mort et se dessinent comme une descente vers l’obscurité, avant un final réconfortant.

Il s’agit au final d’une sorte de renaissance. Le texte de l’Apocalypse est effectivement ouvert. Souvent les gens assimilent l’Apocalypse à la catastrophe, mais il n’y a pas que cela. Dans l’Apocalypse, il s’agit surtout de dévoiler des choses qui sont déjà là mais qu’on ne voit pas. Il me semble que s’il y a une Apocalypse, elle se répand très lentement. Je pense d’ailleurs que l’on est dans une phase comme ça, dans une phase qui nous ramène doucement vers la barbarie. Il y a aujourd’hui comme un durcissement des peuples et des nations. J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de tolérance

Par certains de ses aspects et notamment sa couleur instinctive, ce spectacle rappelle Near Life Experience (2003) dont il serait le pendant sombre

On peut le voir comme ça. Il y a d’ailleurs peut-être un peu de cela. Quand on travaillait avec Air, on évoquait beaucoup quelque chose lié à la lumière alors qu’avec Suivront 1000 ans de calme, on descend vers l’obscurité. Et c’est une pièce finalement très sombre qui parle également d’instinct.

Suivront mille ans de calme de Angelin Preljocaj, Ballet Preljocal / Théâtre du Bolchoï, du 17 au 24 novembre à Aixen-Provence (13), du 9 au 11 décembre à St Quentin-en-Yvelines (78), du 14 au 18 décembre à la MC2: Grenoble (38), du 21 au 23 décembre à Caen (14), du 27 au 30 décembre à l’Opéra RoyalChâteau de Versailles (78). Renseignements : www.preljocaj.org


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scènes - rencontre daniele finzi pasca

mystiques rêveurs cirque eloize rain, comme une pluie dans tes yeux

Mystique, authentique et touchant, Rain, comme une pluie dans tes yeux, est le deuxième volet de la Trilogie du Ciel. À dominante circassienne, cette création allie avec délice la sensibilité du théâtre et la nostalgie de l’image aux performances époustouflantes de la troupe du Cirque Eloize. Rencontre avec le metteur en scène, Daniele finzi Pasca. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Cirque Eloize © Valérie Remise

À la manière d’un album photo, Rain progresse en une succession de tableaux animés, sortes d’instantanés de fresques vivantes dans lesquelles la tendresse d’un souvenir d’enfance vient se fixer sans se figer. Si l’écriture morcelée de Daniele Finzi Pasca permet de naviguer aux quatre coins de ce vaste univers, c’est la mélancolie souriante et onirique omnioprésente qui agit en émotion conductrice pour relier toutes ces images entre elles et assurer cohérence et unité à l’ensemble. Entre délicatesse et éclats de rire, Rain écrit une poétique du burlesque, en grande partie grâce à cette plume qui mélange d’évidence les tonalités, mais surtout au talent modeste mais triomphant des acrobates, funambules et contorsionnistes de la troupe Eloize, dont la virtuosité ne s’exprime jamais pour épater, mais toujours au bénéfice d’une esthétique et d’une émotion d’ensemble. Un cirque généreux dans lequel les interprètes s’expriment avec une légèreté et une luminosité qui les dessinent évanescents. Sur un fil tendu entre réel et merveilleux, Rain émerveille de nuances et émeut de sensibilité. Chaque sourire, chaque larme, chaque geste, du plus complexe au plus anodin se nappe de la poésie la plus humaine qui soit. Au point culminant du spectacle, la pluie apparaît. Une pluie vécue en joie et reçue comme un miracle. Le miracle finalement, c’est peutêtre tout simplement Rain qui nous le fait toucher des yeux au firmament de la grâce.

Comment votre histoire avec le Cirque Eloize a-t-elle débuté ? Danièle Finzi Pasca : Je suis

avant tout l’un des fondateurs du Teatro Sunil. Il y a dix ans, le Cirque Eloize m’a sollicité suite à la découverte de l’une de mes mises en scènes à Montréal. Je crois qu’ils m’ont proposé d’écrire parce qu’ils étaient demandeurs de mon style. Ils voulaient que je les influence et que je leur apporte une identité. Pourquoi cette construction en tryptique Nomade, Rain, Nebbia?

Nous n’avions pas prémédité la trilogie. L’idée a surgi le soir de la première de Nomade. Il nous fallait continuer et décliner ce thème du ciel. Au final, il me semble que les spectacles apparaissent liés entre eux, comme par un lien de parenté. Le parent en commun, c’est le ciel et l’expression des émotions ou questions qui peuvent nous submerger lorsqu’on lève les yeux vers ce ciel. Et puis, j’avoue que la trilogie a également été une bonne excuse pour faire durer notre propre plaisir…. Nebbia vient clore l’ensemble avec intensité. Il est à la fois le plus nostalgique et le plus théâtral des trois. Le langage acrobatique y est davantage lié à une narration qui l’éclaire. Cette Trilogie, comme son nom l’indique, regarde vers le ciel...

Il est certain que le ciel est au centre de cette trilogie. Mais c’est parce que de manière plus générale, le ciel est ma source première d’inspiration. Je ne sais pas d’où me vient cette fascination pour le ciel et pour tout ce qui peut tomber du ciel

mais elle est bien là. Cela doit venir de mon inconscient… J’imagine que c’est un plaisir pour moi de voir la pluie tomber, et que c’est pour cette raison que je transpose cette image sur la scène. Le ciel ! C’est si inspirant pour moi… Vos créations mêlent le cirque, le théâtre, la danse et la musique. Par où commence-t-on quand on écrit un spectacle qui emprunte à tous les arts ?

Par tout à la fois ! Généralement, je pars du final pour bâtir. Le point de départ de mon écriture est paradoxalement dans le dénouement du spectacle. Le final, c’est un peu comme une clé qui me permet d’entrer dans un processus cohérent de création. Tout me vient ensuite spontanément et je ne sépare pas les disciplines artistiques pour construire. Je pense au contraire à l’ensemble des arts convoqués sur scène, et j’y pense en même temps. Après, j’aime aussi raconter des histoires même si je ne les raconte pas de manière linéaire. En fait, mon père était dans la photo et je n’ai pas oublié puisque j’aime superposer les images comme des histoires. Je conçois mes spectacles comme des albums d’images vivantes. L’émotion est au cœur de vos spectacles mais les larmes ne naissent pas d’un trop plein de douleur ou de détresse. Comme si vous cherchiez à émouvoir sans peser sur le spectateur…

En effet. J’avance dans mes créations muni de cette volonté là. Il me semble que je suis comme un cuisinier. Un cuisinier doit faire très

attention, doser en permanence et précisément. Il me faut donc allier mes saveurs dans de justes proportions pour n’être ni trop léger, ni trop pesant. Je me situe dans la recherche du juste équilibre entre nostalgie et légèreté. Et puis je suis un clown, un clown qui aime émouvoir les gens et les faire délicatement pleurer. À force de légèreté, vos spectacles embarquent les spectateurs pour un univers très onirique. Vous désirez faire rêver ?

Je m’intéresse moins au rêve qu’à l’évocation du rêve. J’ai la crainte qu’en basculant dans une forme de traduction scénique du rêve, le spectacle devienne trop peu léger ou trop peu profond. J’essaie davantage d’amener l’image du rêve et sa part d’intrigue. Les rêves ont une forte valeur énigmatique et c’est sur ces nœuds sans doute venus de l’inconscient que je tiens à m’arrêter. Non, je ne crois pas vouloir faire rêver. Ce que je propose, c’est un voyage. Une immersion dans un monde intérieur chargé de bien des mystères.

Rain-Comme une pluie dans tes yeux, écrit et mis en scène par Daniele Finzi Pasca avec le Cirque Eloize, du 8 au 12 décembre 2010 à La Comédie de Clermont-Ferrand (63), du 16 décembre 2010 au 15 janvier 2011 au Théâtre du Rond-Point 2bis, av. Franklin D. Roosevelt, Paris 8, les 28 et 29 janvier 2011 à l’espace Jaques Prévert d’Aulnay-sousBois (93), du 2 au 6 février 2011 au Théâtre de St-Quentin-en-Yvelynes (78), les 9 et 10 février 2011 au Théâtre Anne de Bretagne à Vannes (56) www.cirque-eloize.com www.theatredurondpoint.fr



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scènes - critiques spectacles Crédits photographiques : De gauche à droite et de haut en bas : Funérailles d’hiver © Brigitte Enguerand - La grande Magie © Cosimo Mirco Magliocca, - Öper Opis © Mario de Curto / strates - Out of Context © Chris van der Burght

la grande magie THÉÂTRE À L’ITALIENNE

funérailles d’hiver un mariage et un enterrement Après Talking Heads, Laurent Pelly revient au Rond-point avec Funérailles d’hiver, une comédie au vitriol, cruelle et truculente où l’on s’amuse d’une nature humaine qui touche au paroxysme de l’égoïsme, de la mesquinerie et de la bêtise.

Farce féroce et burlesque en huit tableaux écrite par le poète, prosateur et dramaturge israélien Hanokh Levin, Funérailles d’hiver raconte l’incroyable journée d’une famille juive censée assister en même temps à deux évènements majeurs : le mariage de Vélvétsia et Popotshenko et l’enterrement de la grande tante. Au moment du choix, la vieille dame fera-telle le poids face à 400 invités et 800 poulets rôtis ? Latshek Bobitchek, le fils de la défunte, veut le croire, et va chercher à honorer la promesse faite à sa mère sur son lit de mort, d’amener toute la famille à l’enterrement annoncé pluvieux plutôt qu’à la noce. Tandis qu’il sonne en pleine nuit à la porte de sa cousine Shratzia, mère de la future mariée, pour lui annoncer la nouvelle du décès, cette dernière rallie les mariés et la future belle-famille à son projet de fuir l’annonce de la funèbre nouvelle, afin de ne pas avoir à annuler le mariage. Commence alors l’épopée rocambolesque et fantastique de cette famille en fuite, poursuivie par Bobitchek qui veut proclamer le deuil tandis qu’un étrange ange de la mort veille, disposé à cueillir d’autres âmes. Une histoire folle, drôle et sombre, servi par une langue vive, délirante,

lapidaire et régulièrement triviale... Cela avait a priori de quoi séduire le directeur du Théâtre National de Toulouse, Laurent Pelly dont les mises en scène - au théâtre comme à l’opéra – brillent d’un profond cynisme. Hilarante comédie humaine, exaltation franche de l’individualisme et de la bêtise ambiante au sein d’une cellule familiale, Funérailles d’Hiver est à voir comme un petit bijou où le rire naît de la cruauté. Chez Pelly, chaque tableau est pensé comme un plan-séquence, d’un polar, d’un film fantastique ou d’un road-movie. Collant avec intelligence au caractère débridé de l’écriture d’Hanokh Levin, il s’offre de fines échappées décalées. Comme avec cette scène irréelle du voyage de retour en Israël depuis les hauteurs tibétaines, où il dirige des marionnettes suspendues au bout d’un fil, qui incarnent les doublons miniatures des différents protagonistes flottant ainsi dans les airs. À cette mise en scène véritablement réussie, vient s’ajouter le jeu d’acteurs époustouflant dont Pelly a su s’entourer, parmi lesquels des fidèles comme Patrick Zimmermann et Eddy Letexier, mais encore Christiane Millet, sublime en belle-mère acariâtre. Coup de coeur enfin pour la comédienne Christine Murillo, dont la bonhommie rivalise avec le caractère éhonté de la Shratzia qu’elle incarne et finit par assumer son choix de fuir la réalité funeste qui vient bousculer son emploi du temps.

L’an passé, entre rires et gravité, Dan Jemmett faisait entrer la pièce tragi-comique d’Eduardo De Filipo au répertoire de la Comédie Française. Un spectacle truculent de nouveau à l’affiche.

Avec son lot d’illusions et de désillusions, La Grande Magie est une des oeuvres majeures d’Eduardo de Filippo, dramaturge transalpin longtemps négligé par une France qui ne connaît de l’Italie du XXème siècle que les œuvres de Luigi Pirandello, puis de Dario Fo. Avec lui, c’est pourtant toute la fulgurance du théâtre populaire napolitain qui peut prendre corps sur les planches du théâtre de la République. Très psychologique, cette pièce datant de 1948 doit être reçue à la lumière de l’aprèsguerre et des lendemains du fascisme, soit d’une période aussi joyeuse et affairée que coupable et mourante. C’est un texte qui retranscrit toute la gravité de l’illusion, rappelant que quelque puisse être la force du désarroi éprouvé, tout homme a la faculté de choisir entre le réconfort de l’illusion et une réalité plus aiguë. Dan Jemmett – grand metteur en scène britannique qui avait déjà su briller à la Comédie Française il y a deux ans avec une mise en scène rock’n roll et seventies des Précieuses ridicules - , a su rendre une atmosphère évidemment fausse mais encore féérique, optant pour un décor populaire et fantaisiste qui rappelle les affects des néo-réalistes de l’après-guerre. Le théâtre est dans le théâtre et si cela peut ennuyer que cela soit devenu une habitude dans les mises en scènes contemporaines, cette mise en exergue des Funérailles d’hiver de Hanokh Levin, mise secrets de l’illusion prend en scène Laurent Pelly jusqu’au 11/12 tout son sens dans La Grande au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Magie qui se nourrit justement Franklin D. Roosevelt, Paris 8e d’une grossièreté des artifices. www.theatredurondpoint.fr

Et en particulier de celle du prestidigitateur bonimenteur Otto Marvuglia. Des effets apparents et morceaux de décor pareils à des trompel’oeil ajoutent à la poésie de la mise en scène, tout comme ces costumes choisis d’antan où l’après-guerre revit à force d’hommes en bretelles et de femmes en robes Marylin. Denis Podalydès campe un Calogero Di Spelta tout en finesse qui gagne en esprit à mesure qu’il gagne en folie, consent à se prêter à un jeu diabolique et à le prolonger indéfiniment face au magicien raté. Haut en couleur, empruntant à un humour caustique et détaché à la Fernandel, ce second protagoniste (Hervé Pierre, admirable) réjouit de bout en bout. Il incarne la face sournoise d’un duo masculin percutant auquel se mêlent à plaisir des portraits de petites gens dont les préoccupations, loin d’être surannées, viennent s’ajouter en mode majeur, apportant en réalisme comme pour contrebalancer la teneur presque merveilleuse d’une farce sur le cocufiage poussée à son paroxysme. Si l’artifice scénique résidait pour Eduardo De Filippo dans la «division nette entre farce et tragédie», La Grande Magie telle que nous l’offre ici Dan Jemmett réside heureusement dans la réunion de la farce et de la tragédie. Pour une comédie noire d’une richesse inouïe que ce metteur en scène génial livre amplement digne de perdurer au panthéon des oeuvres théâtrales. La Grande Magie d’Eduardo De Filipo, mise en scène Dan Jemmett, jusqu’au 19 décembre place Colette, Paris 1er www.comedie-française.fr


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out of context REQUIEM FOR PINA

Alain Platel dédie sa dernière création à Pina Bausch, instigatrice et icône du Tanztheatre ou de la DanseThéâtre.Et signe une pièce magistrale et jubilatoire.

Sur scène, aucun orchestre, aucun musicien, aucun chanteur... rien de tout ce qui épatait dans les mises en scènes magistrales, fracassantes et opératiques de Wolf (2003), vsprs (2006) ou Pitié ! (2008). Rien, à l’exception d’une pile de couvertures couleur corail et de deux micros. Les interprètes prennent alors un à un possession du plateau, en se déshabillant à l’arrière-plan comme s’ils étaient dans un vestiaire, se délestant du poids de leur quotidien avant un entraînement ou une répétition. En sous-vêtements, ils se saisissent des couvertures - de survie ? - dans lesquelles ils se lovent. Le spectacle peut alors commencer. Heureux, angoissés ou comme fous, empruntant tour à tour aux attitudes d’un rapace ou d’un félin, les danseurs ainsi mis à nu semblent avoir perdu leurs repères d’êtres humains. Ils se reniflent, se meuvent et s’appréhendent avec une inquiétude manifeste et une agilité animale. Lorsque leur humanité rejaillit, c’est pour révéler des personnages à fleur de peau, instables, mus par une ingérable énergie du désespoir et animés d’une inintelligible joie intérieure. La gestuelle exaltée des corps oscille alors entre douceur minimaliste et hystérie violente et joyeuse, sous la forme de spasmes épileptiques ou orgasmiques. Incandescents et imposants, les danseurs

d’Alain Platel sont comme toujours au sommet, propulsés au bout d’eux-mêmes et de leurs possibilités physiques et intérieures. Riche en émotions contraires, Out of Context se déploie avec humour et cynisme à la frontière de la folie. Placé au coeur du projet, le corps est l’origine, le moyen et la fin d’un ballet qui y rend véritablement grâce. Alain Platel réussit donc encore une fois à en faire ce medium vivant idéal, capable de dire en gestes les émotions les plus intimes et d’évoquer ces désordres intérieurs, indéfinissables et mutants que les mots ne suffisent à décrire. Il émane finalement une tendresse ordinaire de cette chorégraphie qui raconte ce que peut la danse. Avec intensité. Out of Context – for Pina, conception et mise en scène Alain Platel avec les ballets C. de la B. les 30/11 et 1/12 à Annecy (Bonlieu Scène nationale), les 7 et 8 /12 à Reims (Manège), les 14 et 15 /12 à Nantes (Lieu Unique) www.lesballetscdela.be

öper öpis BARNUM CÉLESTE

Théâtre burlesque, numéro de cirque, pièce dansée ou partition musicale, Öper Öpis est tout à la fois et tout à merveille. Un ovni rassérénant.

Le génie d’Öper Öpis est déjà présent dans la vie d’un décor, plateau à bascule qui bouge, oscille, chavire parfois, et depuis lequel tout peut prendre corps avec incertitude, dans un sens, puis son contresens. Ce plateau essentiel, enrichi de son manque d’équilibre et de ses multiples cachettes, sert de base aux platines mouvantes derrière lesquelles Dimitri de Perrot s’agite pour livrer en live, un mix de frottements électroniques et de mélopées joyeuses ou songeuses, qui se fondent en un dialogue avec l’ensemble des éléments de la pièce. Quant aux corps qui donnent la réplique à ce singulier DJ, ils ont ceci de délicieux qu’ils sont à la fois communs et extraordinaires, do és de leurs forces et de leurs fragilités, comme obligés de composer avec leurs imperfections pour donner dans la perfection. Qu’elles soient

en pause ou en mouvement, ces silhouettes - plus ou moins graciles mais bien vivantes occupent complètement l’espace scénique et charment absolument. Envoûtants et capables de s’offrir dans une dynamique très contemporaine de vie puisqu’ils vont vite, voire très vite, les danseurs, comédiens et acrobates d’Öper Öpis vacillent, s’essaient et nous étonnent à force de

déambulations qui sonnent comme autant de tentatives de s’équilibrer, donc d’exister. Ils s’articulent avec et en dépit des autres, et continuent de se mouvoir, toujours, malgré les chutes et les rechutes, seuls puis ensembles, puis seuls encore. En rose, bleu, gris, vert, doré… Hauts en couleurs et merveilleusement vifs, les personnages agissent sans jamais prononcer un mot, en symbiose jusque dans l’absurde, jusque dans leurs décalages, aboutis au millimètre mais sans épate. Une occasion rare d’embarquer pour un divertissement profond, drôle et éminemment poétique. Où l’émotion prend toujours le pas sur des performances pourtant fulgurantes. Öper öpis, conception, mise en scène et décors de Martin Zimmermann & Dimitri de Perrot, en tournée le 7/12 à Douai (Hippodrome), du 11 au 15/1 au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, du 25 au 29/1 à Nantes (Lieu Unique), du 8 au 12/2 à Strasbourg (Le-Maillon) www.zimmermanndeperrot.com


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art - expositions

Kaws / PAOLA PIVI / JIN MEYERSON

De haut en bas : Aesthetic Appartus , Minneapolis (Minnesota)

TRIPLE ENTENTE En l’exposant aux côtés des installations de Paola Pivi et des fresques monumentales de Jin Meyerson, la galerie parisienne Emmanuel Perrotin invite à pénétrer l’univers ludique et ironique du peintre et sculpteur américain Kaws, une des figures les plus représentatives du Pop Art Contemporain.

Avec Pay the Debt to Nature - un homme capturé et malmené par une Nature reprenant ses droits – l’artiste new-yorkais KAWS dévoile dans la célèbre galerie Parisienne plus d’une quinzaines d’oeuvres récentes, peintures, grisailles abstraites et sculptures monumentales en fibre de verre de ses personnages fétiches. Issu du mouvement Street-art, KAWS s’est fait connaître par ses interventions impromptues sur les affiches publicitaires des abribus ou des cabines téléphoniques dans les rues de New York à la fin des années 90, avant de multiplier les collaborations prestigieuses avec le monde de la mode (Marc Jacobs, BAPE, Comme des Garçons, Colette) et la musique (Pharrell Williams, Kanye West). Adepte du détournement, il s’est construit un véritable bestiaire de personnages récurrents comme Skully (un crâne de pirate avec les yeux en forme de croix) Bendy (un spermatozoïde surmonté d’une tête de pirate) Companion (une tête de pirate sur un corps de Mickey) Accomplice (et sa tête de lapin), mais aussi Kimpson, inspirés des Simpson ou Chum, dont le corps rappelle le bibendum Michelin. Avec Original Fake, la marque de merchandising qu’il a créé il y a bientôt dix ans, il oeuvre à la démocratisation du geste artistique en diffusant des figurines et des objets dérivés en série limitées à la manière de Claes Oldenburg, Keith Haring, Andy Warhol ou Takashi Murakami. Une oeuvre résolument ancrée dans notre époque que la galerie parisienne a décidé de mettre en parallèle avec deux autres univers contemporains : d’un côté, les compositions monumentales, symétriques

Child Bite, affiche 48 x 63, 5 cm (2008) Daniel Johnston, affiche 48, 2 x 63, 5 cm (2008)

et hyper-réalistes du coréen Jin Meyerson qui décrivent des paysages de désolation et des mouvements de foule ; et de l’autre, les installations de Paola Pivi. L’artiste italienne ne cesse de questionner et de détourner les conventions du design, comme avec ses suspensions lumineuses faites d’accumulations de chaises ou de vases, cet immense dessin évoquant les entrailles d’un avion transformé en terrain de jeu ou encore ces dizaines de peaux d’ours recouvrant intégralement le sol d’un espace entier de la galerie.

MOIS DU GRAPHISME Pay the debt to Nature de Kaws / What goes round – art comes round de Paola Pivi / Carpal Fatigue de Jin Meyerson à la galerie Perrotin, 76 Rue de Turenne, Paris III jusqu’au 23 décembre. www.galerieperrotin.com De haut en bas : Paola Pivi - Untitled (2010) - 24 fausses peaux d’ours KAWS - Pay the Debt to Nature (2010), Acrylique sur toile KAWS - Crush (2010), Acrylique sur toile KAWS - Give up the ghost (2010), Acrylique sur toile All courtesy of the artists & galerie Perrotin, Paris

20 ANS de graphisme Depuis vingt ans, Échirolles se pose comme le rendezvous incontournable pour se confronter à un spectre inouï de nouvelles images. Sous l’égide du commissaire d’exposition Michel Bouvet, l’édition 2010 du festival isérois interrogera le rôle du graphisme et son évolution à travers un voyage temporel et géopolitique entre les Etats-Unis, le Japon et la Russie. À la une, les expositions monographiques des artistes Carin Goldberg, Mitsuo Katsui et Yuri Gulitov, dont les ateliers de New-York, Tokyo ou Moscou, ont été partiellement reconstitués pour l’occasion. Parallèlement, on y découvrira la série Woodstock 69 The Spirit of a Generation du photographe américain des sixties Elliott Landy, le documentaire Live in Tokyo de Carla Sonia, le quartier de Brooklyn vu dans le prisme d’une projection de photographies de Matthieu Raffard, ainsi que 150 affiches underground et contemporaines de l’exposition collective Gig Posters, témoignage d’un impressionnant vivier de graphistes américains. Autant de visions contrastées, qui entreront en résonance le temps de l’évènement. Le Mois du Graphisme à Echirolles (38), du 19 novembre 2010 au 31 janvier 2011 www.graphisme-echirolles.com


ota)

2008)

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gabriel orozco L’ATELIER

D’une grande richesse, l’oeuvre protéiforme de Gabriel Orozco se découvre et se parcourt en toute simplicité dans le cadre de la première exposition – soient plus de quatrevingt pièces - que lui consacre le Centre Pompidou en cette fin d’année.

Révélé sur la scène internationale au début des années 90 comme l’un des artistes majeurs de sa génération, Gabriel Orozco est certes officiellement né au Mexique en 1962, mais refuse catégoriquement – c’est une des caractéristiques de son oeuvre à géométrie variable - toute identification territoriale. Sans atelier fixe, c’est donc au gré de voyages et de déplacements constants, entre New-York, Paris et Mexico, qu’il puise une inspiration qui prend corps sur différents médiums. La sobriété de la scénographie réalisée à Beaubourg par le commissaire Christine Marcel avec le concours de l’artiste, fait place nette à la valeur intrinsèque

de ces oeuvres. Comme pour recréer l’atmosphère d’un atelier où chaque oeuvre viendrait tout juste d’être achevée, les pièces sont exposées sur trois lignes, sans cimaise, dénomination ou commentaire. Toutes différentes mais semblables par la liberté manifeste qu’elles expriment, les oeuvres ainsi rassemblées forment un tout cohérent qui régale les yeux et l’esprit d’une créativité toute en finesse. Aux murs, ses dessins dont la main est à la fois le motif et l’outil, quelques peintures géométriques abstraites réalisées depuis 2004 et une sélection de photographies datées du début des années 90, qui résultent d’une intervention de l’artiste manipulant des objets pour en faire des assemblages poétiques, ou de la simple découverte d’éléments dans l’espace public. Comme pour Les Atomists (1996), sa série qui rassemble des clichés de sportifs en action découpés dans les journaux. Disposés sur

des tables de marché en bois usé, son fameux échiquier agrandi et altéré Horses Running Endlessly (1995), un coeur en argile ayant gardé l’empreinte de son créateur intitulé My Hands Are My Heart (1991), et des pièces évoquant la notion de déplacement à l’image de la paire de chaussure aux semelles collées ensemble, Shoes (1993). Conçue pour cette exposition, French Flies (2010) est une collection d’insectes volants “tamponnés“ durant l’été dernier, alors que l’artiste séjournait à la campagne. On y découvre également la maquette d’architecture de son Observatory House (2006) inspirée de l’observatoire Jantar Mantar de New Delhi et réalisée sur la Côte Pacifique du Mexique. Ou encore les Working Tables (1990-2000), collection d’objets trouvés, modelés et maquettes d’oeuvres – témoignages de dix années d’expérimentations menant au véritable coeur de son processus de création. À même le sol enfin, ses sculptures en terre cuite noircie - Head, Pelvis, Torso et Three Arms -, ses récentes sculptures végétales Drops on Trunk (2009) et Eyes under Elephant Foot (2009), son Elevator (1993), sa célèbre DS (1997). Et son ready-made Empty Shoe Box (1993), par lequel il rejette toute notion de monumentalité et de permanence de la sculpture, pour englober l’espace ordinaire du quotidien. Gabriel Orozco au Centre Pompidou (Galerie Sud) jusqu’au 3 janvier www.centrepompidou.fr

NEVERMORE / LET’S DANCE célébrations en série(s) À l’occasion de son 5ème anniversaire, le MAC/VAL, fait le point sur ses jeunes années d’existence, avec deux expositions qui interrogent la thématique même de la célébration du souvenir. Proposée par le conservateur en chef du musée Alexia Fabre, Nevermore réunit les pièces maîtresses et nouvelles acquisitions emblématiques du musée, inédites pour certaines. Let’s dance questionne quant à elle la notion de commémoration anniversaire et témoigne d’un usage artiste des symboliques festives qui y sont associées, à travers l’exposition d’une cinquantaine d’oeuvres. MAC / VAL, Musée d’art contemporain du val-de-Marne (94) , place de la Libération, Vitry-sur-Seine Jusqu’au 16 janvier 2011 www.macval.fr Ci-dessus : Michel de Broin Black Whole Conference (2005) - 72 chaises en plastique et métal, système d’attache, 4 m de diamètre. Collection MAC/VAL, musée d’art contemporain du Val-de- Marne - DR. Claude Closky Feu d’artifice (2001) Installation vidéo, ordinateur, projecteur, muet, durée illimitée. Vue d’exposition au Domaine de Kerguéhennec, Centre d’Art Contemporain, Bignan, 2003. Courtesy galerie Laurent Godin, Paris © Joséphine de Bère. Ther will be no miracles here (2006) échafaudage et texte lumineux. Vue d’installation a Mount Stuart, ile de Bute, Ecosse. Courtesy doggerfisher, Edimbourg.


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cinémA - salles & dvd

the lodger Succès considérable à sa sortie en 1927, ce thriller silencieux inspiré de l’histoire de Jack l’éventreur résonne comme un incipit à l’immense carrière d’Hitchcock, posant les jalons d’un style fait d’élégance et de parfaite maîtrise.

prick up your ears Vingt-trois ans après son succès controversé sous Thatcher, Prick Up Your Ears ressort en salles et crève toujours autant l’écran. Signée Stephen Frears, cette oeuvre culte du cinéma britannique contemporain prend pour point d’orgue la destinée scandaleuse et tragique d’un couple homosexuel des sixties

Écrit par le dramaturge anglais Alan Bennett - d’après la biographie Prick Up Your Ears de John Lahr-, la matrice du film est une évocation brûlante et cynique de la vie de Joe Orton, autre grand dramaturge britannique tristement célèbre pour avoir été assassiné par son amant Kenneth Halliwell. Construit en flashbacks, Prick Up Your Ears commence véritablement lorsque quelques années après le décès de Joe et Kenneth, un écrivain américain se rend chez Peggy Ramsay pour recueillir les éléments nécessaires à l’écriture d’une biographie sur Orton. Peggy, qui était l’agent littéraire et l’amie de l’auteur, partage donc ses souvenirs et confie le journal intime de Joe Orton, qu’elle avait jusqu’alors jalousement gardé. Projeté dans l’histoire violente de ce couple d’hommes, on découvre qu’à leur rencontre, ils étaient assoiffés de pouvoir et cherchaient ensemble les moyens de leur réussite artistique, en partageant leur temps entre l’écriture et la multiplication de furtives aventures

sexuelles. Peu à peu, l’écart va cruellement se creuser entre Joe Orton et Kenneth Halliwell, respectivement incarnés par Gary Oldman et Alfred Molina. Le séduisant charisme du premier croît à mesure que l’intrigue avance, jusqu’à ce qu’il perce avec assurance en tant que dramaturge. À l’inverse, Kenneth affiche une mine défaite et boudeuse, subissant avec aigreur son propre échec et plongeant dans un état grave de dépression. Sa jalousie alimente une détresse grandissante, face à l’ascension et la beauté persistante d’un compagnon qui le méprise de plus en plus, ne le touche plus, et dont il sent bien qu’il finira par ne plus du tout vouloir de lui. Emporté dans une tourmente infernale, le couple s’enfonce progressivement vers son irrémédiable déchéance. En fil rouge, les excursions sexuelles interdites et conséquemment souterraines des jeunes gays londoniens de l’époque, confèrent à Prick Up Your Ears son caractère angoissant et sordide, tout en affirmant son opposition à une interdiction qui était injustement liberticide. Encore aujourd’hui, ce film d’une profonde noirceur choque, amuse et percute, avec ses dialogues aussi subtilement cinglants que savoureusement désopilants. Et fonctionne comme un immense cri en faveur de la liberté sexuelle. Prick Up Your Ears (GB, 1987) de Stephen Frears avec Gary Oldman, Alfred Molina, Vanessa Redgrave, Wallace Shawn, Lindsay Duncan, Julie Walters - en salles et en DVD (interdit - de 12 ans)

Londres est en proie à la terreur, littéralement paralysée par un serial killer dont les meurtres atroces perpétrés le mardi soir sur de jeunes et jolies blondes se retrouvent largement relayés dans la presse. Sur les scènes de crime, aucun indice, mais une signature triangulaire à l’intérieur de laquelle on peut lire “Le Vengeur“. La description donnée par les rares témoins oculaires accuse un homme se calfeutrant le bas du visage. Plus encore que l’histoire de cette terrifiante vague de crimes, l’intrigue de The Lodger focalise sur l’impénétrable locataire de Mrs Bunting, incarné par le chanteur et acteur britannique Ivor Novello. Son visage pâle, ses regards hallucinés, ses sorties nocturnes et son cache-nez ont tôt fait d’éveiller les soupçons de la maisonnée. Sauf chez Miss Daisy, la jeune fille blonde des Bunting qui tombe immédiatement sous le charme de ce charmant étranger aux yeux sombres, suscitant la jalousie de son fiancé, un policier justement en charge de l’affaire. “Vraiment, on pourrait dire que The Loger fut mon premier film“ (en réalité le dixième déjà) déclara

Hitchcock, tant ce film nimbé du brouillard londonien réunit tous les ingrédients nécessaires à un thriller insoutenable. On y retrouve le goût du maître pour les ambiances lugubres, lieux clos et cages d’escaliers, son penchant pour les femmes blondes et son aversion pour les policiers, la finesse de son humour et... son tout premier caméo (de dos). Quatre-vingt ans plus tard, The Lodger demeure un film fort, d’une maléfique noirceur, où l’amour et la tendresse naissent et cohabitent sur fond de polar macabre et angoissant. The lodger : a story of the London Fog de Alfred Hitchcock (GB, 73 min, N&B, 1927) - en salles et en DVD (Carlotta) Rétrospective intégrale Hitchcock à la Rétrospective intégrale Alfred Hitchcock, du 5 janvier au 28 février 2011 à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris www.cinematheque.fr


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not quite hollywood Oubliez kangourous, koalas et plages ensoleillées. Réalisé par Mark Hartley, Not Quite Hollywood revient sur le cinéma déviant explosif et déjanté des drivein australiens. Au programme, sexe, violence, et cascades motorisées !

Désormais regardé avec déférence par toute une nouvelle génération de cinéphiles, le cinéma de genre regorge encore de nombreuses pépites vintage des quatre coins du monde à (re-)découvrir, avec leur lot de réalisateurs aventureux, d’acteurs de seconde zone et de moments de grâce inespérés. C’est dans celles du cinéma d’exploitation australien des 70’s & 80’s que nous propose de plonger cette petite perle de long-métrage documentaire. Au programme, une enquête en profondeur sur toute la frange “honteuse“ du cinéma aussie, véritable constellation de films étranges, cheaps et improbables, plus volontiers sortis sur les écrans des drive-in locaux que dans les salles d’art et d’essai européennes : starlettes dénudées, bikers furibards, sangliers tueur d’hommes, meurtriers à la machette, courses-poursuites démentielles, kung-fu approximatif, érotisme de pacotille… De ses premiers pas timides avec l’apparition des premiers nudies dans les années 60, au déferlement de violence et à la radicalité aventureuse des 70’s, en passant par toute la phase bis des 80’s, c’est tout un pan d’une filmographie méconnue qui se dévoile progressivement, avec ses nanars incurables (BMX Bandits, Les Traqués de l’an 2000), ses grands classiques (Mad Max, Patrick…) mais aussi ses nombreux coups de génie oubliés (Long Weekend, Stone, Wake In Fright…). Au-delà

d’un montage extrêmement cut, enchaînant sans temps mort entretiens, extraits de films et séquences d’archives, la grande force de Not Quite Hollywood tient avant tout à la richesse de ses intervenants. En rappelant le contexte économique, culturel, politique et social dans lequel cet “autre“ cinéma s’est épanoui, et en lui donnant vie à travers d’innombrables comptes-rendus de tournage et anecdotes divers, ils donnent au final au documentaire de Mark Hartley une profondeur inattendue, à même de captiver un public bien plus large que celui des simples amateurs de séries B et Z. Mention spéciale à l’enthousiasme farouchement communicatif de Quentin Tarantino qui intervient de façon épisodique pour défendre bec et ongles ses métrages préférés.

bienvenue à zombieland Cocktail détonnant de comédie sentimentale, de buddy-movie et de films de zombie, Bienvenue à Zombieland, réalisé par le nouveau venu Ruben Fleischer, est bien plus qu’un simple ersatz US de Shaun Of The Dead.

Son principal point fort tient en un postulat de départ simple mais payant : en cas d’invasion soudaine de zombies, les personnes les plus aptes à survivre seraient les inadaptés sociaux. En l’occurrence, un geek solitaire (Jesse Eisenberg, le Mark Zuckerberg du Social Network de David Fincher, révélé dans Adventureland et Les Berkman se séparent) et une brutasse survoltée (Woody Harrelsson, excellent), rapidement rejoints Not Quite Hollywood, documentaire de par deux sœurs arnaqueuses. Bienvenue à Zombiland de Ruben Fleischer, Mark Hartley (MK2) Drôle, émouvant, intelligent, 2008 (Sony Pictures Home Entertainment) www.notquitehollywood.com.au mais également bourrin comme il faut lors des scènes d’action (le grand final au cœur d’une fête foraine), Bienvenue à Zombieland est un petit bijou de film sans prétention, à même de combler aussi bien l’amateur de films de zombie que le néophyte complet.


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livres

lA MORT AUX TROUSSes

Véritable roman d’apprentissage, Indignation peint le portrait bouleversant d’un jeune étudiant juif américain dont les révoltes et les émois se heurtent aux codes et conventions de l’Amérique des années 50. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Nancy Crampton / Opale / Editions Gallimard

En décidant en 1951 de poursuivre ses brillantes études dans un lycée traditionnaliste de l’Ohio, le jeune Marcus Messner choisit de quitter la communauté juive de Newark dans laquelle il a grandi, mais aussi un cocon familial devenu maladivement étouffant, avec un père paranoïaque qui craint que la mort de son unique enfant puisse être au bout du moindre de ses mouvements. Isolé et studieux, Marcus évolue au gré des rencontres rares et anecdotiques, à l’exception d’Olivia, reine de la fellation et dépressive chronique qui le marquera à jamais. De fil en aiguille, ce roman initiatique va raconter « (...) la façon terrible, incompréhensible dont nos décisions les plus banales, fortuites, voire comiques, ont les conséquences les plus totalement disproportionnées», le personnage se remémorant en Corée et Sous morphine (le titre de la premère partie) cette année d’éveil à l’âge adulte dont le cours a finalement réduit son existence à néant. À 77 ans, Philip Roth a considérablement marqué la littérature du XXème

siècle depuis la parution de son premier roman Goodbye, Colombus en 1959, mais ne connaîtra le succès en France que 40 ans plus tard avec La Pastorale américaine, puis l’impressionnant et fleuve, La Tâche (2002), adapté à l’écran avec Nicole Kidman et Anthony Hopkins. Maitrisant parfaitement les codes romanesques qu’il bouscule dans des romans à la lisière de l’autofiction, Philip Roth est un observateur lucide féroce et sarcastique de ses contemporains. Un style aussi sulfureux que subversif. Et profondément caustique, comme s’il s’amusait à déranger cette pudibonderie qu’il décrit dégoulinante, en mettant en exergue le ridicule et les travers de la société américaine, les moeurs de la bourgeoisie juive et sa propension au communautarisme, ou une sexualité questionnée crument. L’une des grandes singularités de Roth réside dans la récurrence de certains de ces personnages qui vont et viennent au gré de ses romans, à l’image de Nathan Zuckerman, véritable alter ego

écrivain juif américain, newyorkais d’adoption et originaire de Newark, New Jersey. Ces dernières années, avec La bête qui meurt, Un homme (écrit au lendemain des funérailles de son ami Saul Bellow) ou Exit le fantôme (où il achève le cycle Nathan Zuckerman en tuant son double), Philip Roth abordait avec une écriture moins descriptive et plus épurée des réflexions intimes et poignantes sur la vieillesse et son cortège de maux, l’amour, la jalousie, la maladie, la mort et les regrets qui pointent face à l’inéluctable. Pour Indignation, Philip Roth adopte la même sobriété stylistique. La peur et l’odeur de la mort rôdent toujours en force mais d’une manière nouvelle, entre les lignes, puisqu’il s’agit cette fois de la mort d’un jeune homme à l’aube et non au crépuscule de sa vie. Et choisir un fils de boucher kasher permet à Roth d’imprégner ce roman de la couleur du sang, en filant la comparaison entre la boucherie familiale et la guerre de Corée. Comme dans Un homme, la construction de ce vingt-

neuvième roman fait de la mort un enjeu ultime, en donnant la parole et l’occasion d’un retour sur son passé à un homme qui meurt. Dessinant les contours et les profondeurs d’un personnage attachant, rempli de fougue, de candeur et d’impétuosité intellectuelle, l’écrivain tient le lecteur en haleine, malgré l’issue tragique connue. Une histoire courte et dense, remplie d’audaces, de petites et de grandes indignations, de frustrations, d’émois postadolescents, d’amour, de sexe, de folie et d’analyses sur les tabous de l’Amérique des années 50 sur fond de grande Histoire. Indignation se dévore comme un roman puissant, à la fois initiatique, historique et psychologique, porté par une griffe cynique, manipulatrice et virtuose. Indignation de Philip Roth traduit de l’anglais (Etats-Unis) par MarieClaire Pasquier (Gallimard)


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David Vann

Sukkwan island (Gallmeister) Récent Prix Médicis du roman étranger, Sukkwan Island est un roman dont on ne ressort pas indemne. Dévorant, prodigieux de noirceur, de suspens et de limpidité, il révèle un nouveau grand écrivain américain, David Vann. Jim est dentiste, aime (trop ?) les femmes et est confronté entre autres échecs personnels à un deuxième divorce dont il ne parvient pas à se remettre. Complètement désemparé, il décide de partir en Alaska, dans une cabane isolée située sur le rivage d’une île déserte, que cet homme désemparé a choisi de poser les jalons d’une nouvelle vie, imaginée idéale pour prendre du recul, mais encore pour renouer avec Roy, ce fils né d’un premier mariage qu’il n’a pas vu grandir et connaît très mal. Ensemble mais inexorablement désunis, profondément démunis face à leur inaptitude à s’aimer, ils vont faire l’expérimentation d’une survie sauvage et solitaire. Ils vont assurer leurs arrières, apprendre sur le tas et progresser dans l’art de la débrouille, jusqu’à ce que le désespoir manifeste d’un père plus irresponsable et maladivement dépressif qu’aventurier ou romantique, ne vienne broyer littéralement son fils, scellant de manière irrémédiable le cours tragique de leur destinée. Si cet ouvrage prend corps dans les décors austères et glacés de l’Alaska, c’est parce que l’auteur connaît bien cette région bout du monde dans laquelle il a passé son enfance, avant de s’installer comme Roy et suite au divorce de ses parents, avec sa mère et sa soeur en Californie. Dédié à son père James -dont Jim est le diminutif-, Sukkwan Island ne cache pas son pendant autobiographique. Après que James Vann ait invité son fils de treize ans à le rejoindre en Alaska pour une année, et quinze jours après avoir essuyé son refus,

celui-ci s’était tiré une balle dans la tête. Amoureux de la mer et de l’écriture, David Vann gagne sa vie en naviguant et met longtemps, avant d’accoucher sur son voilier, de cette autofiction violente et sombre directement inspirée par sa propre tragédie. Il a dû attendre encore pour que son manuscrit, que les agents auxquels il s’adressait jugeaient trop noir pour être soumis à un éditeur, soit publié après qu’il l’ait adressé dans un dernier élan de foi, à un concours de nouvelles -le Grace Paley Prize- qu’il a bien évidemment remporté. Commence alors l’histoire du succès naturel et triomphal de Sukkwan Island depuis une première critique élogieuse parut dans le New York Times. Si la force de conviction de ce roman tient sans doute pour beaucoup à sa part autobiographique et à son caractère éminemment exutoire, elle tient davantage encore à la faculté de dépasser son propre drame dont David Vann a fait preuve, au bénéfice de la littérature, ou tout simplement de la beauté. Car si l’intrigue de Sukkwan Island a clairement été écrite à la lumière de son vécu, il n’a pas opté pour une banale transposition de son histoire personnelle. Au contraire, il

s’en est dégagé pour écrire une autre histoire, dont il a certes pu imaginer qu’elle aurait pu être la sienne, mais qu’il affirme comme ne l’étant pas, depuis l’usage d’un autre prénom que le sien pour incarner l’adolescent. Et si l’on ne saurait juger et dire laquelle, de l’histoire vraie ou de l’histoire romancée, est la pire en matière de sordide, on sait que celle qui nous est contée dans Sukkwan Island est d’autant plus puissante qu’elle est servie par une esthétique littéraire réelle, par un style dont le dépouillement renforce l’efficacité. Inclassable, entre roman d’aventure, roman psychologique ou polar magistral, Sukkwan Island est un ovni terrassant qui invite à une plongée sans retour dans les profondeurs abyssales de l’âme humaine. C’est un roman coup de poing d’une incandescence glaciale, à la cadence infernale, terrifiante et carnassière.

UmbertO Saba Ernesto (Seuil)

Entre roman autobiographique et roman initiatique, l’Ernesto posthume d’Umberto Saba a révélé des aspects méconnus de la personnalité de ce poète triestin jusqu’alors reconnu de l’Italie du Xxème siècle pour ses écrits pudiques et chastes. Dans une prose simple et crue , mais infiniment délicate, ce roman raconte les expérimentations, les tâtonnements et les indéterminations d’un adolescent de seize ans, décrivant avec humanité cette période charnière de la vie où l’inquiétude et la candeur se confondent avec l’insolence et la hardiesse. Un regret seulement en refermant Ernesto, qu’après avoir eu le temps de peindre à merveille la naissance du désir, de l’érotisme et de la sexualité à travers les rencontres d’un manoeuvre expérimenté et d’une prostituée, Umberto Saba n’ait eu le temps d’achever l’exposition de la naissance du sentiment amoureux chez son double Ernesto, à l’égard d’un violoniste à peine plus jeune que lui.


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musiques - concerts ou une mélodie... Et cela change vraiment d’une chanson à l’autre. Par contre, cela doit être très rapide car pour ce qui est de la base, on voit immédiatement si cela peut coller ou non et si l’on peut enregistrer. Nous ne sommes pas du tout dans la logique de composer une quarantaine de chansons pour n’en garder finalement qu’une dizaine.

ma part, j’aime les voix fragiles et j’écoute beaucoup les chansons de ceux qui sont morts comme Nina Simone par exemple. Personnellement, j’ai besoin de la scène car il me semble que c’est là que tout se passe, que nous pouvons donner une évolution aux morceaux. Ça recharge et ça excite. Je comprends aujourd’hui que je ressens comme une forme d’attirance / répulsion pour la scène. C’est quelque chose que En quoi le titre Birds in the Storm j’ai appris sur le terrain. est-il autobiographique ?

AARON

oiseaux de mélancolie Trois ans après Artificials Animals Riding on Neverland, Aaron revient sur les terres de sa pop mystique. Rencontre avec Simon Buret, chanteur à la voix pure, intense et fragile. TEXTE : Christine Sanchez Gaspard PHOTOGRAPHIE : Vanessa Filh

Comment fait-on pour gérer le succès d’un premier album disque de platine (300 000 exemplaires) ? Simon Buret : On a toujours été

dans le travail, donc on ne s’est pas toujours rendu compte de ce qui se passait autour de nous. On a été très surpris, mais c’était à la fois étrange et plaisant. Je pense qu’on ne peut pas s’habituer à un tel succès mais la perpective du deuxième album et le travail à fournir pour celui-ci nous a permis de nous projeter dans une autre étape. Nous en avons donc profité, mais nous sommes rapidement remis au travail. La pression que nous avions pour composer le deuxième album était agréable et non dévorante, car nous étions plongés dans notre travail, sans se dire qu’il fallait faire un deuxième album. Nous avons recommencé à composer avec notre envie et en fonctionnant à l’instinct. En ce moment, nous n’avons pas le temps d’angoisser sur la sortie de l’album car nous sommes en train de penser à la tournée. On sait déjà qu’il va y avoir du monde. C’est un sentiment à double tranchant, génial mais stressant.

Comment s’est déroulé l’enregistrement de cet album ?

L’album a été composé entre septembre et janvier. Il y a eu un temps où nous avons ressenti le besoin de prendre du recul. L’envie de composer à nouveau ensemble est venue naturellement. Nous avons choisi de nous retrouver tous les deux. On ne voulait pas rentrer dans le système en passant par une grosse production. On voulait rester libre et faire ça chez nous, certes avec un peu plus de matériel qu’avant. Je crois que c’était effectivement une manière de conserver notre indépendance et notre liberté. Et de ne pas succomber à la pression. Avez-vous cherché à vous inscrire dans une certaine continuité ou au contraire à prendre une autre direction ?

Des envies se sont évidemment créées au fil de notre précédente tournée, mais nous avons juste suivi notre instinct. En ce sens, nous avons oeuvré dans la continuité du premier album car notre façon de travailler était la même. Nous avons fait en sorte que chaque musique soit fusionnelle avec le texte. Ce qui a surtout changé depuis Artificial Animals Riding on Neverland c’est que j’ai pris conscience de ma voix en tant qu’instrument et l’ai peut-être davantage utilisé. J’ai joué avec. Comment envisagez-vous la composition et l’écriture avec Olivier Coursier ?

Il n’y a pas vraiment d’école. C’est à l’instinct. L’un de nous arrive avec un refrain, un texte

Ce titre est pour moi la sensation de ce que nous sommes. La métaphore évoque la fragilité, et plus particulièrement la notre dans le tourbillon. Sur la pochette, c’est une photographie de reportage absolument pas trafiquée à laquelle je trouve beaucoup de poésie. Elle vient en cohérence avec le titre et le contenu de l’album qui parle justement de ça, des réalités oniriques. Je voulais que nous trouvions cette poésie du quotidien qui est bien là, mais qu’on ne voit plus forcément. Comment définiriez-vous cet album ?

Il me semble qu’il est plus lumineux que le précédent, fort d’une énergie que je crois très présente. Notre musique est encore plus organique, plus brûlante et plus transpirante. Les chansons racontent le quotidien, parlent de ce qui me traverse et me passe dans la tête. De mes obsessions aussi, qu’elles soient positives ou négatives. Il y a donc un peu de moi dans cet album. Un peu de la vie d’un jeune homme d’aujourd’hui. Quelle est votre relation à la scène ?

Je plane complètement quand je chante. La musique est pour moi libératrice. Je me laisse aller. Mon idée de la musique, c’est d’emporter les gens avec moi. Je trouve génial qu’un son puisse donner la chair de poule. Pour

Aaron en concert 25/11 à Lyon, 27/11 à Montpellier, 1/12 à Toulouse, 2/12 à Mérignac, 3/12 à Limoges, 9/12 à Nancy, 10/12 à Strasbourg, 14 et 15/12 au Casino de Paris, 25 et 26/3 au Trianon, 4/04 au Zénith de Paris www.aaronwebsite.com www.casinodeparis.fr

arcade fire incendies

Sans discussion possible, Arcade Fire signe un nouveau bail en tête du rock mondial, trois ans après Neon Bible et six après le cataclysme Funeral. Apaisé et moins sombre, mais toujours aussi dense, beau et mélancolique, The suburbs convoque les thèmes de prédilection du groupe avec une énergie nouvelle, sans jamais succomber à la facilité ou la redite. Entre ritournelles pop (Modern Man), new wave épique (No Celebration), hymnes punks (Month of May) et balades luxuriantes (Suburban War), la troupe de Win Butler enchaîne les morceaux de bravoure, libre de toute contrainte et de formatage, dans une éclatante démonstration de ses multiples talents. Album : The suburbs (Barclay/universal) Arcade Fire en concert le 24 novembre à Marseille, le 26 à Lyon www. arcadefire.com

Arcade Fire © Anton Corbijn


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TRANSMUSICALES

Gonjasufi © DR

défrichage

Événement phare des musiques actuelles, les Transmusicales de Rennes révèlent chaque hiver depuis 30 ans les tendances musicales de demain. Les groupes viennent y faire leur derniers pas anonymes avant de recevoir les louanges d’une critique unanime. Mention spéciale pour le duo déjanté the Pack A.D, les excellents Gonjasufi (en photo ci-dessus) et Matthew Dear ou Visage énigmatique d’héroïne encore la star M.I.A (portrait en Hitchcockienne, voix pure, page 114) élégante et sensuelle... la pop Les Transmusicales de Rennes (35) crépusculaire de cette jeune du 8 au 12 décembre , lieux divers Programmation Jeudi 9/12 : Audrey Katz danoise de 29 ans exilée à Berlin, (Fr) - Lars & The Hands of Light (Dan) - ne devrait pas rester longtemps Egyptian Hip Hop (Gb) - Funeral Party dans l’ombre. Portée par les seuls (USA) -The Toxic Avenger (Fr) - The Pack accords décharnés d’un piano A.D (Canada) - The Phenomenal Handclap Band (USA)-Donso (Mali-Fr) - Beataucue(Fr) délicat, Agnès Caroline Thaarup Obel - qui cite évidemment - Magnetic Man (Gb) Vendredi 10/12 : Dj Sambal (Fr) - Paris Erik Satie et Debussy, mais Suit Yourself (Gb-Fr) - Oy (Guana-Suisse) - aussi Sonic Youth, Bob Dylan Witty Crew(Fr) - Is Tropical(Gb) - Concrete ou PJ Harvey comme sources Knives (Fr) - Eat My Beat Mr Lensky (Russie) - Madensuyu (Belg) - Salem (USA) - d’inspiration - déroule avec une Shogun Kunitoki (Finl) - Alex Metric (Gb) - Dj aisance déconcertante, le fil de Morpheus (Bel) - DJ Ordoeuvre (Fr) - Raph douces mélodies atemporelles Dumas & The Primaveras & Cobla - la Mil. et belles à chialer (Falling, Lenària- Janelle Monae (USA) - Matmon Catching, Just so), se permettant Jazz by Ordoeuvre (Fr) - M.I.A (Gb) - Fake au passage plusieurs intermèdes Blood (Gb), Systema Solar (Colombie). Samedi 11/12 : Crocodiles (USA) - Roky instrumentaux de haute-volée Erickson (USA) - The Inspector Cluzo & Mates et une reprise fantastique de (Fr) - Mama Rosin(Suisse) - Wooden Shjips retenue du Close Watch de John (USA) - Kosmo Pilot (Fr) - Dominique Young Unique (USA-Gb) - Filewile (Suisse) - Blitz Cale.

AGNES OBEL

The Ambassador (USA) - Gonjasufi (USA) - Bomba Estereo(Col) - Théo Gravil(Fr) Matthew Dear (USA) - The Gaslamp Killer (USA), Pnau (Aust) - A-Trak (Canada)Teenage Bad Girl (Fr) - Renaissance Man (Finlande) www.lestrans.com

Album : Philharmonics (Pias) Agnès Obel en concert le 2/2 à Tourcoing, le 3/2 à Reims, le 5/2 à Nantes, le 6/2 au Havre, le 8/2 à Rennes, le 9/2 à Macon, le 10/2 à Feyzin, le 11/2 à Paris (Cigale), le 13/2 à Strasbourg.

The Bellrays © DR

THE BELLRAYS rock’n’roll

20 ans d’existence, 10 albums, des centaines de concerts au compteur… The Bellrays est considéré comme un des meilleurs groupes de rock actuel. Rencontre avec Bob Vennum, tête pensante du groupe, incarnation vivante du Rock’n’roll et mari de la volcanique Lisa Kekaula.

Tous ceux qui vous ont vu sur scène sont unanimes et se demandent où vous trouvez toute cette énergie ? Bob Vennum : On fait juste ce que

l’on a envie de faire. La plupart des gens se lèvent le matin pour aller bosser, en ayant parfois à peine deux semaines de congés payés par an. Nous, on sillonne le monde pour jouer notre musique. Ce n’est pas si “dur”... La scène, c’est notre moment pour faire impression sur un public. Si les gens ont déjà entendu tes albums, c’est le moment de dépasser leurs attentes. S’ils n’ont jamais entendu parler de toi, c’est ta chance de leur donner envie d’en avoir plus. On prend ça très au sérieux, mais on s’éclate...

tout autre couple marié. Quant à Bob & Lisa, on a toujours fait ça, mais on vient juste de décider de tourner sous cette forme. C’est vraiment souple : nous deux et une guitare acoustique. J’ai toujours écrit des chansons, seul, avant de les amener au groupe pour qu’on les bosse et qu’on les fasse tourner. Plus tard, Lisa et moi nous sommes mis à composer davantage ensemble, mais toujours à la maison. En tournée, entre les plages de repos et les balances, on n’a jamais beaucoup le temps pour ça... Quelle est ta définition du Rock ?

De l’énergie, de la créativité et du talent. Le rock existera toujours. C’est l’industrie du disque qui doit s’inquiéter. Rien ne peut continuer comme cela se passe actuellement. Les musiciens comme les autres artistes, sont “flexibles”. On sera créatifs quel que soit le moyen. Et en particulier, grâce à Internet.

Album : Black Lightning (Fargo) The Bellrays en concert le 21/11 à BretignyAvec Lisa, vous vivez et vous sur-Orge , le 24/11 à Besançon, le 26/11 à Tarbes, le 27/11 à Auch, le 28/11 à tournez ensemble au sein du Montpellier, le 29/11 à Villeurbanne, le groupe, mais aussi en duo. Vous ne 30/11 à Strasbourg, le 4/12 à Istres.

vous fâchez jamais ?

On s’est connus alors qu’on était cuistos dans un bar de campus en 1986. À l’époque, j’avais déjà un groupe où je chantais et jouais de la guitare. Je lui ai demandé de chanter avec nous et ça a été un véritable désastre. On n’a pas lâché l’affaire et on a trouvé la bonne combinaison pour que cela marche. On ne s’est plus quitté depuis... Je ne pense pas que cela soit plus difficile que pour

www.thebellrays.com


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musique - chroniques albums

Onra N*E*R*D Maximum Balloon

Maximum Balloon (Cooperative / Pias) Projet solo du guitariste de TV On The Radio, producteur inspiré du Anywhere I lay my head de Scarlett Johansson, mais aussi du Antidotes des Foals et du Dance Mother de Telepathe, Dave Sitek s’inscrit dans la même logique avant-gardiste et jubilatoire, combinant énergie pure, pop et électro pour signer une musique mutante et extrêmement jouissive servie par un casting prestigieux avec ses compères Tunde Adebimpe et Kyp Malone (évidemment), Karen O, David Byrne, Holly Miranda, Theophilus London ou Yukimi Nagano (Little Dragon). DG

Nothing (Universal) Depuis ses débuts il y a une décennie, le groupe de Pharrell Williams, Chad Hugo et Shay Haley n’a cessé de questionner dans un étonnant grand écart, tout le spectre des musiques actuelles populaire, mélangeant allègrement hip-hop, soul, funk et rock psyché dans le même shaker d’une production inspirée et novatrice. Fortement ancré dans les années 70, ce nouvel album renoue avec les constructions hybrides qui ont fait la force et la renommée du groupe, sur la foi d’une première bombe de single produit par Daft Punk (l’entêtant Hypnotise U). HG

ennio morRicone

Le clan des Siciliens (Vadim music) On ne dira jamais assez ici tout le bien que l’on pense ici du remarquable travail de réhabilitation des classiques et d’exégèse de pépites, orchestré par l’excellent label grenoblois Vadim Music (www.vadimmusic. com). Dernière livraison en date, la réédition classieuse en vinyle du chef d’oeuvre des chefs d’oeuvre de la musique de film. De toutes les contributions musicales d’Ennio Morricone aux films d’Henri Verneuil, Le Clan des Siciliens est sans conteste la plus aboutie et la plus farouchement belle. Un score lumineux et dense, incarnation de la classe absolue du génial maestro italien, grand adepte des compositions savantes et des orchestrations insolites. Une série de thèmes inoubliables bâtis sur des architectures musicales et des structures mélodiques tellement évidentes et idéales telles que l’on se demande quelle autre partition aurait pu cristalliser aussi parfaitement les images du trio sacré Delon / Gabin / Ventura. L’immense disque d’un immense compositeur. HG

Zombie Zombie

plays John Carpenter (Versatile) Nourri aux bandes originales des films d’horreur et de séries Z auquel le nom du groupe fait implicitement référence, le duo parisien composé d’Etienne Jaumet et Cosmic Neman rend un vibrant hommage à l’oeuvre du génial John Carpenter. Des relectures audacieuses quoique respectueuses des thèmes de The Thing, Assaut sur Central 13, Hallowenn ou du diptyque Escape from New york/ Escape from LA, qui rendent non seulement grâce au talent de compositeur du cinéaste, qui signa la majeure partie des scores de ses films, mais montrent le potentiel culte de compositions que l’on (re)découvre sous un jour nouveau, comme autant de tubes dancefloor en puissance. HG

Long istance (All City) En 5 ans est apparue une nouvelle vague de beatmakers français biberonnés à Jay Dee, méconnus ici mais déjà courtisés par les plus grands labels étrangers. Ils s’appellent Fulgeance, Powell, Débruit, ou… Onra, qui après un excellent premier opus mélangeant hip-hop et pop vietnamienne (Chinoiseries, en 2007), signe un deuxième long format sur le label dublinois All City Records. Changement d’ambiance radical : Revisitant P-funk soul synthétique, et autres influences 80’s dans un électro hip-hop new school porté par d’énormes basses west-coast, Long Distance impressionne par sa production extrêmement maîtrisée, comme sa liste de featurings triés sur le volet. (T3 de Slum Village, Olivier DaySoul, Reggie B, Buddy Sativa, Walter Mecca…). DG

Flore Grinderman

II (Mute) Bien plus qu’un side project, Grinderman est un peu comme l’expression à vif, dissonante et bruitiste du groupe de Nick Cave. Entouré de ses complices des Bad Seeds, Warren Ellis, Jim Sclavunos et Martin Casey, l’australien improvise sur le fil du rasoir et avec une rage tout juste contenue, le récit halluciné de compositions affranchies de toute contrainte, enchaînant les morceaux de bravoure entre groove halluciné et rock garage bouillonnant. HG

Antony & the johnsons

Swanlights (Beggars / Naïve) Mystique, peuplé d’esprits et de fantômes, Swanlights dessine un univers beaucoup moins pop, mais plus aérien, psychédélique et immatériel que celui qui se dégageait des précédents albums d’Antony and the Johnsons. Plus engagé également, avec l’écho d’une préoccupation pour la préservation de la nature qui perce ça et là. De ces mélodies évanescentes, la voix innocente et damnée d’Antony Hegarty s’affirme toujours en profonde inadéquation avec le monde qui l’entoure, pour se déployer forte d’une mélancolie poussée à son paroxysme. Un ovni terriblement troublant. HG

Raw (Botchit & Scarper) Pionnière lyonnaise des sonorités drum’n’bass et breakbeat, Flore a évolué avec le temps vers un éventail de sonorités plus large (électro, dubstep, dancehall, UK funky, kuduro…) tout en gardant la même ferveur derrière les platines ou à la production. Après une série de singles très remarqués de l’autre côté de la Manche, son premier album sort sur le label anglais de référence Botchit & Scarper. On y retrouve aussi bien Rodney P que Shunda K de Yo!Majesty, Joyce Muniz, Les Gourmets ou Scalde. Pour être honnêtes, on ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais le résultat est franchement euphorisant. À mi-chemin entre les scènes club et sound-system, Flore varie en permanence rythmiques et couleurs musicales, tout en construisant une véritable évolution tout au long de l’album. Bluffant. DG


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Kode9

Lorn

Nothing Else (Brainfeeder) Jeune prodige de 23 ans originaire d’un coin perdu de l’Illinois, et désormais installé à Brooklyn, Lorn est le seul artiste du crew Brainfeeder à n’entretenir aucun lien avec Los Angeles. À l’écoute de son inaugural Nothing Else, sa filiation avec le son crade, sombre et urbain du label fondé par Flying Lotus ne fait pourtant aucun doute.Infrabassesomniprésentes, rythmiques alambiquées, froides et mécaniques servant d’écrin à de somptueuses mélodies spectrales… À mi-chemin entre électro, glitch-hop, dubstep et réminiscences abstract hip-hop, les compositions instrumentales de Lorn embarquent l’auditeur dans un trip violemment émotionnel, où la virtuosité des productions ne fait que renforcer l’impact d’une mélancolie aussi dark qu’envoûtante. DG

GUILTY Simpson

OJ Simpson (Stones Throw) Sept ans après le fabuleux Champion Sound de Jaylib (soient le génie du beatmaking Jay Dee et Madlib), Stones Throw relance l’axe musical Detroit/L.A. avec le 2ème album du rappeur de la Motor City Guilty Simpson, intégralement produit par le surprolifique Californien Madlib. Ce dernier s’en donne ici à cœur joie, composant une flopée de bijous flamboyants entre soulfunk 70’s, musiques ethniques, hip-hop vintage et rock psychédélique, embrasées avec brio par le flow charismatique de Guilty Simpson. Basé sur une Ratatat construction “à la Madlib“ (24 LP4 (XL) Issu des mêmes sessions que morceaux dépassant rarement 2 le précédent opus LP3, sorti il minutes 30), OJ Simpson est une y a bientôt deux ans, ce nouvel pièce supplémentaire à ajouter à album du combo électro-rock l’édifice bâti par le “most blunted new-yorkais Ratatat sonne producer“. DG logiquement plus comme un prolongement de leurs travaux James Holden antérieurs qu’un véritable DJ-Kicks (!K7) renouvellement. Pour autant, il Fondateur de l’excellent label n’en recèle pas moins une richesse électronique Border Community d’arrangements et une vitalité (Nathan Fake, Extrawelt, Luke mélodique que nombre de leurs Abbott…), le DJ/producteur confrères ne manqueront pas de britannique James Holden signe leur envier. Parti d’un background ici un mix assez fabuleux et quasirock expérimental pour évoluer intemporel, à l’exacte image des progressivement vers une électro- sonorités qu’il cherche à défendre pop teinté d’influences hip-hop, en tant qu’artiste. Psychédélique, le duo composé d’Evan Mast onirique, atmosphérique… et de Mike Stroud n’a en effet mais jamais désincarné, le pas son pareil pour composer voyage sonore ici conçu survole de pures perles instrumentales allègrement techno, post-rock, et qui sonnent comme autant électronica planante, sans perdre d’ébauches de tubes en devenir, le dancefloor de vue pour autant. comme en témoignent les Un véritable travail d’orfèvre, ébouriffants Drugs, Mandy ou d’autant que les morceaux Grape Juice City. DG s’enchaînent ici à une fréquence assez exceptionnelle pour ce type de mix. Exception faite du tétanisant remix inédit de The Sun Smells Too Loud de Mogwai réalisé par Holden lui-même, qu’il diffuse ici dans son intégralité. DG

DJ-Kicks (!K7) S’il est de loin l’une des figures les plus marquantes à avoir émergé de la scène dubstep britannique, le producteur londonien Kode9, fondateur de l’acclamé label Hyperdub, semble pourtant fermement déterminé à ne pas se laisser enfermer en son sein ad vitam aeternam. Comme en témoigne le tracklisting de son ce DJ-Kicks largement ouvert aux différents sous-courants de la bass music mondiale. De la pitori house du Sud-Africain Mujava aux productions grime instrumentales de Terror Danjah, en passant par le son postdubstep de Zomby et Ikonika et le crossover UK funky/dancehall de Sticky & Natalie Storm (le tube incendiaire Look Pon Me), la diversité la plus totale est ici de mise, sans jamais nuire pour autant à la cohérence globale. DG

HURTS

Happiness (RCA / Sony music) Il y a quelques mois, c’est au détour de la dernière compile Kitsuné Maison en date, que l’on découvrait le premier single de Hurts, Wonderful life (remixé par Arthur Baker), relecture sublimée de tout un pan d’influences new wave. Depuis la pop sombre et subtile du duo mancunien formé par Théo Hutchcraft and Adam Anderson, cartonne partout en Europe, porté par le nouveau single Better than love qui célèbre l’union parfaite de l’élégance synthétique de Depeche mode à la sensibilité inquiète de Joy Division. HG

DISCOLETTE Playdoe

African Arcade (Jarring Effects) Duo composé de deux valeurs sûres de la scène locale sudafricaine, le producteur de Cape Town Sibot et le rappeur de Johannesburg Spoek Mathambo, Playdoe avait défrayé la chronique en 2008 avec un incroyable EP inaugural sur Jarring Effects associant rap synthétique, électro funk old-school, et ghetto music. S’il est loin d’égaler en fraîcheur et en explosivité ce formidable coup d’essai, African Arcade ne démérite pas pour autant. Parfois proche de sa propre caricature (le surproduit Choon, un peu trop flagrant pour être honnête), Playdoe n’a néanmoins toujours pas son pareil pour réconcilier old et new-school (167), mêler dénonciation cinglante et grosse artillerie dancefloor (The Bombs), et inonder l’auditeur d’une flopée de percussions portée par quelques simples notes de synthés (Game Drive). DG

v/a compiled by Michel Gaubert & Marie Branellec (Colette) Faire revivre l’ambiance des lieux où est né le disco, à la fin des années 70, comme le Studio 54, le Palace, l’Area, le Mudd Club ou le Paradise Garage... Telle est l’ambition de cette nouvelle galette Colette à l’artwork signé Arthur King. Pour y parvenir, les sélecteurs Michel Gaubert et Marie Branellec signent un tracklisting comme toujours édifiant, enchaînant incunables (Superchic génial du non moins génial Michel Magne) et standards de la cause disco, remixés pour l’occasion (le You make me feel de Sylvester par Bobby Vetiriti ou le Just an illusion d’Imagination par Lindstrom vs Todd Terje), agrémentés d’une sélection d’ovnis (A Dance Fantasy de Montana, du thème de Rencontres du troisième type de Spielberg) d’inédits ( le Synchronize feat. Jarvis Cocker de Discodeine) et de nouveautés (Gonzales ou Kim Ann Foxman, égérie de Hercules & Love Affair). HG


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portrait - M.I.A

RetOUR De FlAmme Intronisée star suite au succès surprise de son morceau Paper Planes, M.I.A., l’ex-réfugiée sri lankaise issue des ruelles cosmopolites de Londres, n’a pas rentré ses griffes pour autant. Et le prouve avec /\/\/\Y/\, troisième album bruyant, chaotique et controversé, qui sonne comme une vindicative mise au point. TEXTE : Damien Grimbert PHOTOGRAPHIE : M.I.A © D.R

Mathangi Maya Arulpragasam a.k.a M.I.A. fait partie de ces artistes dont la musique est indissociable du parcours personnel. Un père contraint à la clandestinité en raison de son activisme politique en faveur de la cause tamoule, une enfance nomade et mouvementée dans un Sri Lanka en prise avec la guerre civile, un exil forcé dans une cité londonienne à l’age de 8 ans… Autant de facteurs qui vont donner aux premiers tubes de la chanteuse une dimension pour le moins singulière. Mashup d’influences caribéennes, club et bass music, Arular, son premier album sorti en 2005, inclut ainsi également son lot de pamphlets cinglants et acerbes envers l’évolution de la politique mondiale. Une combinaison détonante, qui va permettre à M.I.A. de voir sa carrière grimper en flèche. Désormais

installée à Brooklyn, l’artiste est cependant rapidement rattrapée par son passé. Confrontée à des problèmes de visas liés à l’activisme de son père, elle enregistre la majeure partie de son second album en exil entre l’Inde, Trinidad, le Liberia, la Jamaïque, l’Australie et le Japon. Sorti au cours de l’été 2007, Kala fait l’effet d’un véritable bombe à fragmentation. Novateur, atypique, et parcouru d’influences incroyablement diverses, il transforme M.I.A en véritable célébrité, une tribune qu’elle décide d’investir pour exposer son opposition aux exactions du gouvernement Sri Lankais…Superstar refusant le jeu de la poupée pop formatée, M.I.A. commence à agacer. On lui reproche son mariage avec Benjamin Zachary Bronfman, le fils d’une des plus grosses fortunes américaines, son

embourgeoisement à Los Angeles, bref, son manque de crédibilité. La réponse de M.I.A. ne se fait pas attendre. Enregistré dans sa villa de Los Angeles, en compagnie d’une dream team de producteurs qui en ferait pâlir plus d’un (les versatiles Diplo et Switch, la méga star du dubstep Rusko, le prodige de Baltimore Blaqstarr, le guitariste Derek E Miller, moitié de la sensation noise Sleigh Bells…), /\/\/\Y/\ est sans doute l’album le plus déconcertant de l’artiste, mais pas le moins passionnant pour autant. Alternant brûlots noisy aux frontières de l’indus (Steppin Up, Meds and Feds, ou encore le street single Born Free construit sur une boucle de Suicide, clippé par Romain Gavras), et perles pop synthétiques aériennes (XXXO, It takes a muscle, Tell Me Why, Space…), ce nouvel

opus reflète à la perfection la schizophrénie artistique de M.I.A., partagée entre tentation mainstream et refus de courber l’échine. S’il ne manque sans doute pas de diviser les auditeurs, /\/\/\Y/\ démontre en tout cas une nouvelle fois la capacité de la chanteuse à se renouveler intégralement à chaque nouvel opus. En ces heures de formatage musical forcené, combien peuvent seulement en dire autant ? Album : /\/\/\Y/\ (XL Recordings) En concert aux Transmusicales de Rennes, vendredi 10 décembre. Renseignements www.lestrans.com




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