Histoire
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain inaugure en page départementale, une rubrique qui vous invitera, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
B IO E X P R E S S Pierre Aguettant, écrivain, est né le 27 avril 1890 à Guéreins (Ain) - et mourrut le 14 juin 1940 à Orléans (Loiret). Poète et écrivain, auteur de romans sentimentaux, il habita Mâcon (en Saône-et-Loire). Mme Daudet, Anna de Noailles et la duchesse de Rohan lui apportèrent leurs soutiens. Camille Saint-Saëns, le compositeur, fut l’un de ses proches. Il ne se remit jamais de la mort de son frère Charles. Son père, et père de Charles, fut maire d'Ambérieu-en-Bugey pendant 16 ans. Une rue d'Ambérieu porte son nom.
A SUIVRE Le Tour de France 2014 Le service des sports de France Télévisions proposera, tout au long du Tour 2014, des reportages quotidiens sur l’édition 1914 de la Grande Boucle, qui se déroula pendant les trois semaines qui précédèrent la déclaration de guerre qui devait emporter de nombreux champions cyclistes et sportifs. Départ ce samedi 5 juillet.
Pierre Aguettant
La plume et l’épée : Pierre et Charles Aguettant « Dites : ils sont tués ! Mais ne dites pas qu’ils sont morts, car ils vivent plus forts que la vie. Et ils hantent nos journées humaines comme tout ce qui est immortel… ». Pierre ne se remit jamais de la disparition prématurée de son frère cadet. Son chagrin se réfugia dans la poésie, à le noyer dans une interminable prose. Long comme un jour sans pain, Les morts immortels rappelle Ève de Charles Péguy avec ses quelques vers prémonitoires,
« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre. Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés » , exaltation de l’esprit de sacrifice pour la juste cause de la revanche contre l’Empire allemand. Quand des plumitifs sont des chantres du courage d’autrui, Péguy paya au prix fort ses convictions. Lieutenant de réserve, il partagea le sort de ses hommes dans l’errance des combats de la Marne en septembre 14. Ordre lui fut donné de contreattaquer sans se soucier des pertes, des ombres s’évanouirent sous la mitraille, un bref répit et le lieutenant se dressa pour commander le tir de riposte, son lorgnon vacilla sous le choc d’une balle lui percutant le front, Charles Péguy huma une dernière fois l’avoine fraîchement coupée. Pierre Aguettant prit son relais pour perpétuer le
souvenir des morts dans un mélange d’encre et de larmes séchées.
sa fine moustache, il a dû faire tourner les têtes d’une ribambelle de demoiselles !
Ses poèmes, pièces de théâtre et romans lui valurent une belle renommée couronnée par une distinction de l’Académie française. Il devint à moins de vingt ans le protégé d’une princesse roumaine, Hélène Vacaresco, qui l’introduisit dans les salons artistiques où il se forgea de solides amitiés et en premier lieu d’indéfectibles liens avec le compositeur Camille Saint-Saëns pourtant notoirement connu pour son caractère de cochon. Celui qui fut maire de Lyon durant un demi-siècle, Édouard Herriot, fit partie du cercle de ses amis fidèles, il officia pour son mariage avec Marie-Louise Pascalin. C’était en 1918, année de toutes les victoires, la paix avant tout, ses premiers prix littéraires et Les morts immortels qu’il déclama le 14 juillet à la Comédie française.
En août 14, Charles a près de deux ans de service dans les brodequins. Il entra dans la guerre de manière fulgurante avec le 23e RI et relata notamment dans ses carnets de campagne la retraite de la bataille d’Alsace. Le 10 août, posté en réserve dans le cimetière de Lutterbach, « les obus éclatèrent sur nos têtes et les balles venaient s’écraser contre les croix en pierre avec un bruit formidable ». À 23 heures, sonna le cor allemand du cessez-lefeu avant la nouvelle attaque du lendemain. Dans ce calme précaire, « nous enten-
« Nous entendions les râles des mourants et les cris des blessés appelant à leur secours » La pièce dorée eut aussi son revers, le décès de son père, le souvenir tenace de son unique frère et le sentiment de culpabilité d’en avoir été le survivant. On imagine leur enfance paisible couvée par une cohorte de domestiques dans une confortable maison. Fils du notaire et maire d’Ambérieu, leur destinée n’aurait pas dû trop souffrir des difficultés et aléas de la vie. Tous deux suivirent la voie d’excellence scolaire des familles notabiliaires, en intégrant le lycée Lalande à Bourg. Deux frères, si proches et différents. Quand Pierre était d’une santé fragile et d’un tempérament empreint de mélancolie, Charles pétillait de vitalité. Il présidait l’Avant-Garde du lycée qui participa à la finale du championnat de France de football rugby. Un BG, comme diraient les jeunes d’aujourd’hui, plutôt grand pour l’époque avec son mètre soixante-dix, des yeux d’un bleu profond, des cheveux châtain clair sur un teint pâle, les traits du visage soulignés par son menton à fossette et
dions les râles des mourants et les cris des blessés appelant à leur secours » . Plier et ne pas rompre, l’ordre de repli fut donné. Encore une marche de nuit pendant qu’à l’horizon semblait se refléter sur la terre la lueur de la lune, mais ce n’était que Mulhouse consumée par les flammes, punie par le feu allemand de son éphémère libération de la veille. Le bilan fut lourd, 139 tués, en comptant les disparus, blessés et prisonniers, les pertes étaient estimées à 750 hommes en trois jours. Le JMO du régiment constatait encore un mois plus tard l’état de délabrement des troupes, mal ravitaillées, épuisées moralement et physiquement, malgré l’arrivée du dépôt de Bourg d’un détachement de 500 hommes pour combler les vides dans les rangs. L’armée diligenta une enquête sur l’échec de la bataille d’Alsace, les vieux généraux en prirent pour leur grade et furent poussés à battre définitivement en retraite !
«… l’air se mit à siffler : une balle en plein front, comme Peguy » Changement de têtes mais entêtement de la doctrine militaire consistant à charger baïonnette au canon sous les coups d’assommoir de l’artillerie et la pluie de balles des mitrailleuses. 30 décembre 1914, le 23e RI a été placé en première ligne dans un secteur agité des Vosges. Finies les batailles rangées dans la plaine, mais la mort rôdait et
Voix de l’Ain • 6 • Vendredi 4 juillet 2014
Charles Aguettant frappait quotidiennement à La Fontenelle, au col d’Hermanpère et au Bois d’Ormont. En cinq mois de campagne, le sergent Charles Aguettant avait fait ses preuves de meneur d’hommes. Ses chefs louaient sa belle attitude au feu, son entrain et son sang-froid, ils l’inscrivirent au tableau d’avancement du 1er janvier pour porter les épaulettes de sous-lieutenant. Donner l’exemple n’était pas sans risque. Ayant franchi dans l’après-midi le parapet de sa tranchée et s’appliquant à la renforcer de fils de fer, l’air se mit à siffler : une balle en plein front, comme Péguy. Pour Pierre, un point final malgré l’attribution à titre posthume de la croix de guerre avec palme, maigre consolation. Le grand frère fut exempté de service militaire au motif de « faiblesse générale » à cause de ses palpitations au cœur. Mais les hommes en bonne santé se faisant rares, il fut mobilisé en 1917 pour servir dans une usine mâconnaise de carton bitumé, un revêtement destiné à l’aménagement des baraquements et des tranchées. Pierre Aguettant décéda à son tour sur un pont à Orléans pendant l’exode de juin 1940, une autre guerre mais toujours la même histoire. LUC VOGEL • Sources principales : Rémi Riche « Destins brisés », Journal de Marche et des Opérations du 23e RI
N A DÉCOUVRIR
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19 1 4 - 1 9 1 8 : Lyon, sur tous les fronts Expo à la bibliothèque municipale de Lyon, du 15 septembre au 31 décembre 2014. Cette exposition, accompagnée d’un programme culturel, s’est construite à partir du fonds de la guerre 14-18, constitué à partir de 1915 par Edouard Herriot, maire de Lyon, à l’intention des générations futures à la bibliothèque municipale. Elle met en avant le rôle particulier joué par Lyon : carrefour, lieu d’échanges, de circulation des prisonniers, des réfugiés, des blessés, lieu de production des armes. Elle permet de découvrir la vie sur le front, grâce à une documentation internationale, et de mettre en scène le front arrière, en renouant également avec l’histoire de familles lyonnaises.
& A LIRE « Ce que j’ai vu de la Grande Guerre » est un livre de photographies de Frantz Adam, médecin combattant de la Première Guerre mondiale au sein de 23e régiment d’infanterie. Ces photos sont commentées et mises en perspective par l’historien André Loez, avec une postface d’Alain Navarro sur la photographie de guerre. Médecin psychiatre, Frantz Adam a suivi le 23e régiment sur tous les principaux théâtres de la Grande Guerre, photographiant de manière à la fois saisissante et intimiste la vie et les combats de cette unité. Ces photos, retrouvées récemment, ont été confiées à l’Agence France Presse, qui en assure le stockage et la diffusion. > Ce que j’ai vu de la Grande Guerre, photographies de Frantz Adam, André Loez et Alain Navarro, éd. La Découverte.
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain inaugure en page départementale, une rubrique qui vous invitera, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
A SUIVRE Un 1 4 j u i l l e t a u x c o u l eu r s d u c en t en a i r e d e la Gr an d e Gu er r e A l’occasion de la fête nationale du 14 juillet 2014, soixantedouze pays belligérants de la Première Guerre mondiale sont symboliquement réunis à Paris à l’invitation de la France afin de participer au défilé des ChampsElysées. Cette manifestation exceptionnelle marque le lancement du cycle international des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale.
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Pour consulter des documents d’archives, l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique (APA), rendez-vous sur http://autobiographie.sitapa.org
Une femme à la ferme : Césarine Gras épouse Pachoux ien ne la prédestinait à une quelconque postérité. Jeune fille, elle filassait le chanvre dans une entreprise de literie à Tenay, jusqu’à son mariage avec un cultivateur de Mézériat. Femme, sa place se cantonnait dans l’ombre d’un sexe dit fort. Elle était une épouse au début d’un siècle quand l’annuaire ignorait leur prénom les qualifiant de veuve affublée du nom de leur défunt mari. Citoyenne, elle était mineure au même titre qu’un jeune homme de moins de 21 ans. À l’issue des législatives et du changement de gouvernement au printemps 1914, naquit l’espoir du droit de vote des femmes aux élections locales. Le Courrier de l’Ain affirma ses convictions laïques et radicales. « Est-ce vraiment une réforme qui s’impose ? Les femmes qui songent à voter feraient mieux de veiller à ce que les chaussettes de leur mari et de leurs enfants n’aient pas de trous. Au point de vue politique, c’est courir au-devant d’un danger, car les trois quarts des femmes seront complètement dans les mains des curés, qui les feront voter comme ils voudront, sous la simple menace d’un refus d’absolution ». Une lectrice de la Dombes réagit par courrier sous couvert d’anonymat,
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« les femmes sont rangées avec les enfants, les criminels et les fous ». D’un point de vue pratique, plus de huit millions de femmes travaillant pour vivre, « comment obtenir des droits civiques et économiques, si nécessaires et si urgents, dans un pays où qui ne vote pas ne compte pas ». L’administration des écoles, l’installation d’un marché couvert, la construction
L’acte de naissance et la carte d’identité de Césarine
d’égouts, les secours à accorder aux familles nombreuses, tout cela ne les concernerait pas ? « Allons donc ! La commune est un grand ménage et la ménagère y a sa place ». Les femmes devraient s’occuper de leur intérieur ? « Déposer tous les quatre ans un bulletin dans une urne enlève-t-il le laboureur à sa charrue ? ». Les femmes seraient cléricales ? Argument contraire à l’idéal républicain, comme si le droit de vote ne pouvait pas être accordé à ceux qui pensent différemment, puis d’ajouter :
« L’église est la seule porte qui leur soit ouverte, c’est votre faute si elles y vont ! ». Août 14 fut le tombeau des revendications suffragistes, l’aspiration des femmes à la reconnaissance politique fut reléguée aux calendes grecques. La nation devait exclusivement se consacrer à gagner la guerre. Les hommes étaient dans le pétrin et les femmes avaient du pain sur la planche !
« J’ai souvent dans la nuit de grandes conversations avec toi et à mon réveil il faut que je réfléchisse où tu es » Loin de ces considérations émancipatrices, Césarine Pachoux devait faire face à des préoccupations bien plus terre à terre depuis le départ de Joseph pour Belfort avec son régiment de territoriaux. Césarine ne se rongeait pas les sangs, son homme avait trouvé une bonne gâche d’ordonnance au service de Valentin Blanc, un paysan de Confrançon, devenu sous-lieutenant. Mais elle se faisait des cheveux gris, pas simple de ne plus être à deux pour faire tourner la ferme : arracher les pommes de terre, cribler le blé pour faire les semences, défaire puis dépiler les maïs, faucher le trèfle, panser et étriller les vaches, labourer pour semer les pesettes et les fèves, abattre les noix, affourer en donnant le foin aux bêtes, couvrir les betteraves, rentrer la paille. Heureusement que subsistaient la solidarité familiale et les coups de main entre voisins. Elle s’en voyait surtout avec ses cochons et en informait régulièrement son mari et associé. « Il y a 15
jours, les cochons s’étaient bien vendus à la Foire de Bourg, à 50 francs. Je pensais que j’aurai meilleur compte d’engraisser les nôtres. J’ai donc acheté 100 kilos de farine de maïs et que ça ferait le plus d’abonde. Et je leur ferai manger les pommes de terre qui veulent pourrir, mais je n’ai pas réussi, mercredi, ils se sont vendus, les plus beaux, 36 francs. Je regrette d’avoir acheté pour 26 francs de farine ». Trois semaines plus tard, elle a failli les vendre, mais pas moyen d’en tirer plus de 40 francs. Sa persévérance finit par payer.
« Cette fois, j’ai vendu mes cochons, ils m’ont bien fait des misères ! On les a menés à pied, ils ont été bien sages, ils ont marché comme une vieille vache … je ne croyais pas qu’ils faisaient 100 kilos ». Fier de sa petite femme, Joseph lui fit savoir et Césarine en fut toute retournée, « je suis contente de tes compliments au sujet des porcs, chose qu’il ne m’était pas souvent d’en recevoir ». La distance entre les êtres crée parfois de l’intimité, « j’ai souvent dans la nuit de grandes conversations avec toi et à mon réveil il faut que je réfléchisse où tu es, je ne sais plus faire la cuisine, quand je les vois tous chez nous, je n’ai plus d’appétit, je vois tout de suite le grand vide que tu fais ». Elle fut contente d’apprendre qu’il avait diminué sa consommation de vin,
« la guerre aura fait de toi un homme modèle, comme je vais être heureuse à ton retour ! ». Coquine, elle mit un jour son plus beau corsage pour aller au marché, « je n’ai pas fait caprice au coquetier, je n’ai pas
Voix de l’Ain • 5 • Vendredi 11 juillet 2014
pu vendre mes poulets plus de 2,50 francs ». Câline, « je compte sur toi à mon retour pour me payer et je ne serai pas trop exigeante, je demanderai ton amitié et tes caresses ». Attentionnée, elle lui envoyait des colis de deux kilos maxi composés d’effets utiles (mouchoir, foulard, cache-nez, tricot, chaussette chaude …) et y glissait quelques friandises, un petit saucisson ou des fromages de chèvre, juste de quoi avoir le goût du pays dans la bouche et lui ouvrir l’appétit pour ingurgiter plus facilement la tambouille des troupiers.
« Je compte sur toi à mon retour pour me payer et je ne serai pas trop exigeante, je demanderai ton amitié et tes caresses » Césarine lui écrivait presque chaque jour vers 19 heures, elle profitait de quelques instants de répit pour lui raconter ses journées et donner des nouvelles du village, la pluie, le gel et le beau temps, ou la mère Matthieu noyée dans la rivière en rinçant son vase de nuit. 1914 touchait à sa fin, Césarine prit sa plume dès 5 heures du matin, le moral dans les chaussettes,
« je souhaite que la guerre finisse mais je crois qu’on parlera de la fin quand tout le monde sera tué ». Joseph est décédé le 12 février 1956, Césarine l’a vite rejoint le 23 février de la même année.
LUC VOGEL • Sources principales : « Correspondance de guerre entre Césarine et Joseph Pachoux », Le Courrier de l’Ain
MÉZÉRIAT
N A DÉCOUVRIR
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“Mobilisation générale“ : exposition du musée des troupes de montagne, du 18 juillet au 17 août. Des témoignages immergent le visiteur dans l’atmosphère des Alpes à la veille et au lendemain de la proclamation de la mobilisation générale, prélude à quatre ans de guerre. Une exposition à découvrir au Musée des troupes de montagnes de Grenoble.
& A LIRE “Mémoire de verre“ de Patrick Bard et Marie-Berthe Ferrer. Dix-huit portraits en couleur de Poilus tués au combat enchâssés dans un vitrail rarissime ont donné l’envie à tout un village et à deux auteurs. Le sauvetage et la restauration par un grand maître verrier de l’ensemble des vitraux de l’église de Préaux-duPerche consacrés à la Grande Guerre permettent de dévoiler une partie de l’histoire de ces soldats morts en France et en Belgique. > Mémoire de verre, de Patrick Bard et Marie-Berthe Ferrer, éditions La Martinière.
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain vous invite, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
> 1914 , de r ni è re s nouve ll e s ! Sur arte.tv (site web de la chaîne Arte), retrouvez une photo, un article… Chaque jour une parution pour raconter la montée vers la guerre. Cette plateforme internet raconte la vie dans les différents pays qui, peu de temps après, seront confrontés au premier grand conflit de l’ère moderne. “14, dernières nouvelles” se déploie autant sur les mobiles, les tablettes que les ordinateurs. Elle prend la forme d’une photographie quotidienne augmentée d’articles, de liens, de notes : un ensemble éditorial visant à renforcer l’immersion dans l’époque.
L’évadé de Donaueschingen : Pierre Cartellier
«
Pendant que la sentinelle se dirigeait vers le corps de garde dans son allée et venue perpétuelle, un premier groupe fit la courte échelle. Un, deux, trois… Les voici sur le toit, ils le montent en nous plaquant sur les tuiles. La sentinelle remonte et n’aperçoit rien. Quelques minutes d’angoisse, elle nous tourne le dos et redescend dans la nuit tombante. Alors la seconde équipe monte à son tour, un effort nouveau, nous voici sur le mur ; de l’autre côté le vide, on se laisse glisser en s’agrippant au mortier. Tous arrivent en bas, sains et saufs. Un coup d’œil dans le chemin de ronde, il est désert. Suivant le plan convenu, nous nous séparons et marchons les mains dans les poches. Il est sept heures, les ouvriers quittent leur travail, nous passons pour de bons Allemands qui vont manger leur soupe ». La traversée du Danube, des courses à travers bois, champs et montagne pour rejoindre la douane suisse avant l’aube, ils y arrivèrent après un périple nocturne de 47 kilomètres. Ce récit de la grande évasion de Pierre Cartellier fut relaté en novembre 1914, dans les colonnes du Journal de l’Ain. Il avait quitté le domicile familial de Saint-Didier-de-Formans pour s’amarrer à quelques encablures dans un des ateliers de Trévoux. Déjà spécialisée dans l’étirage des métaux précieux, la ville devint à la fin du XIXe, la capitale mondiale de la
filière en diamant, grâce à un outillage permettant de percer le matériau le plus dur qui soit. Ce savoir-faire industriel s’exportait, même chez les Allemands, Pierre partit ainsi travailler à Francfort, dans une percerie, succursale de la maison trévoltienne Genety. Il connut l’ambiance délétère du mois de juillet lorsque ses collègues allemands invectivaient, un peu plus chaque jour, les Franzosen. Le 31 juillet, un de ses camarades faillit se faire fusiller au motif qu’il aurait fomenté un complot pour transformer la poudrière de la ville en un grandiose feu d’artifice. Le 1er août, il subit le même sort que tous les Français, Anglais et Russes présents dans la ville, deux gendarmes l’arrêtèrent. Après un interrogatoire à la Kommandantur, direction Donaueschingen, située entre les duchés de Bade et du Wurtemberg. On lui octroya le statut de Kriegsgefangene, prisonnier de guerre, quoiqu’il fût un civilot. Les subtilités et les nuances sont des luxes des temps de paix, ouvrier, soldat ou paysan, c’était un ennemi, point barre ! Hébergement dans le casernement d’un régiment allemand parti au front, sous la garde d’une centaine de Landsturm, des territoriaux, avec à leur tête
« l’adjudant Schweizer, le type du sousofficier prussien, féroce, sournois et brute, faisant conduire à la boîte pour 24 ou 48 heures le malheureux qui ne répondait pas tout de suite à l’appel ou hasardait un sourire » . Il n’était pas trop mal loti, créchant dans une chambre avec des coussins en guise de literie, quand beaucoup de ses compagnons d’infortune étaient au mieux parqués par groupe de 250 dans des baraques en bois de 300 mètres carrés, des couchettes de paille ou de sciure faisant office de matelas.
« Réveil à l’aube, un café de glands, kartoffeln bouillies le midi, du pain et du thé au dîner » L’armée allemande n’avait pas prévu l’afflux en un mois de 125 000 prisonniers français et presque autant de russes, elle dut réquisitionner hangars et granges pour les entasser dans
des conditions précaires de promiscuité propices à la contagion du typhus et du choléra. Pierre s’ennuyait ferme durant ces longues journées uniquement rythmées par les interminables appels et de frugaux repas. Réveil à l’aube, un café de glands, kartoffeln bouillies le midi, du pain et du thé au dîner, extinction des feux à 21 heures.
« Pour accompagner ce régime de Chart r e u x , 18 0 g r a m m e s de commisbrod, un pain de gruau non levé, moitié orge, moitié seigle ou le plus souvent de fécule de pommes de terre » , agrémenté les mercredis et dimanches de 50 grammes de viande ou de saucisse. La faim et l’ennui motivèrent son envie de se faire la belle. De retour à la maison, il apprit que l’administration militaire française l’avait déclaré insoumis une semaine plus tôt, infamante sentence désignant les lâches voire les traîtres à la patrie. Appelé à l’activité au 1er septembre, il eut en effet quelques peines à respecter la ponctualité et ne se présenta que le 7 novembre devant la caserne du 23e RI ! En février 1915, départ de l’intérieur pour la zone des armées, une grosse année dans les Vosges, six jours de permission en janvier 1916, jusqu’à être jeté à son tour dans la bataille de la Somme, il s’y blessa en juillet près de Curlu,
« une plaie borgne par éclat d’obus sur la face dorsale du pied droit » , ç’aurait pu être une de ces fines blessures sans danger qui évacuaient du front, mauvaise pioche, une fois soigné sur place, on l’envoya guerroyer
Voix de l’Ain • 6 • Vendredi 18 juillet 2014
dans l’infanterie coloniale au 22e RIC, un des régiments d’assaut du Chemin des Dames en 1917… Laffaux, Craonne… Il s’en tira indemne avec une citation en prime de survie,
« bon et brave soldat, 2 8 m o i s d e fr o n t e t une blessure » - ce qui lui valut en 1928 l’attribution de la Croix de guerre avec étoile d’argent en même temps que la Médaille des Évadés, puis la Médaille militaire six ans plus tard – il fallut mettre un dernier coup de collier en 1918 lors de la troisième bataille de Champagne, enfin la démobilisation et la quille en septembre 1919, pas fâché de quitter vivant un régiment aux pertes abyssales, 1400 tués, 2600 disparus et 7000 blessés.
« De retour à la maison, il apprit que l’administration militaire française l’avait déclaré insoumis une semaine plus tôt » Pierre reprit une vie presque ordinaire, il épousa Marie Joséphine le 13 mai 1922 à la mairie de Trévoux, ils emménagèrent rue du Palais à proximité de l’ancien parlement de Dombes, de leur union naquirent trois enfants. Il reprit son métier de filiériste en diamant mais ne s’aventura plus à quitter Trévoux et ses alentours. Il s’en fut de peu qu’il y ait droit une seconde fois. Remobilisé en septembre 1939, il goûta à nouveau pendant plus d’un mois aux plaisirs de l’infanterie et fut définitivement libéré de ses obligations militaires. Âgé de 80 ans, il décéda d’une paisible mort le 4 mai 1964.
LUC VOGEL • Source principale : Journal de l’Ain
Camp de prisonniers en Allemagne
ST DIDIERDE-FORMANS
+ A DÉCOUVRIR
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> Michelin : guides des champs de bataille de la Première Guerre mondiale Michelin s’engage dans les commémorations de la Première Guerre mondiale par sa collection de six guides Michelin des champs de bataille de la Première Guerre mondiale (Marne et Champagne, Verdun, Alsace Moselle, Flandres et Artois déjà paru depuis 2011, Somme paru fin 2013 et Chemin des Dames, 2014). Des guides qui intègrent des contenus tant actuels qu’historiques, mais aussi des textes rédigés par des spécialistes de la Grande Guerre, sans oublier des itinéraires conseillés pour relier les différents sites de la Grande Guerre. Les guides initiaux réalisés à partir de 1917 et dont Michelin a publié plus de 2 millions d’exemplaires entre 1917 et la fin des années 20, sont réédités sous forme de 31 e-books qui contiennent des liens vers des photos et des contenus vidéo d’époque.
N A VOIR > Exposition sur la Grande Guerre à Trévoux La guerre de 1914-1918 vue d’une petite ville de province : Trévoux. Cette exposition qui prendra place au mois de septembre 1914 présentera la manière dont les habitants de la ville de Trévoux ont ressenti la guerre entre exaltation, inquiétude, tristesse et lassitude.
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N A VOIR
Jean-Julien Lemordant
> La Première Guerre mondiale vue par les peintres de la Bretagne Ce sont les vacances ! Pourquoi ne pas découvrir ce que d’autres régions de France font autour de la célébration du Centenaire. Cette semaine, nous vous emmenons en Bretagne et plus précisément dans le Morbihan. Peut-être y partirez-vous en août ? Originale et inédite, l’exposition que nous vous proposons de découvrir présente le regard de peintres sur la Première Guerre mondiale. Actifs en Bretagne au cours du XXe siècle, ces artistes nous livrent leur témoignage au sein d’un parcours scénographique retraçant les prémices du conflit, en passant par la guerre vue du front et vécue depuis l’arrière, pour terminer avec la fin de la guerre. L’exposition, complétée par une publication, relate cette période historique à travers le travail de peintres connus en Bretagne, comme JeanJulien Lemordant et Mathurin Méheut, et des signatures méconnues comme Fernand Daucho, Jean-Georges Cornélius ou encore Jean Bouchaud et bien d’autres. • À voir au Musée du Faouët, Quimper, Morbihan, jusqu’en novembre.
Douze pieds sur terre : les frères Saint Pierre lle les a pris dans ses filets pendant plus de quatre ans. Puis de guerre lasse, elle les relâcha un à un. Vingt ans séparaient l’aîné du petit dernier de la fratrie originaire de Nantua née d’un père qui aimait cultiver ses vignes dans le Bugey à Virieu-leGrand. Dans la famille Saint Pierre, il y eut Marin, le grand frère, médecin dans un cabinet de Belley et marié à une fille de général. Clément choisit la voie du droit. Avoué au tribunal de Belley, il épousa successivement aussi de bons partis. La fille d’un docteur d’abord puis celle d’un sénateur en secondes noces. Notaire à Yenne en Savoie, Armand convola en mai 1914, avec la sœur de la première épouse de Clément. Jean, lui, entra dans les ordres. Il venait à peine de commencer son office de curé à Douvres quand la guerre a éclaté. Docteur dans son cabinet de la rue NotreDame à Bourg, Joseph menait encore une vie de célibataire. Fraîchement bachelier depuis juillet 1914, Antoine était également destiné à des études de médecine. Tous furent mobilisés même si leur niveau d’instruction et leurs spécialités leur évitèrent pendant un temps les postes les plus exposés aux missions périlleuses. Marin et Armand se sont souvent croisés à Belfort, l’un servant dans une infirmerie militaire, l’autre chargé auprès d’un général de relations avec les autorités civiles et la population. Il fut ensuite secrétaire d’étatmajor d’une division, sergent dans une section colombophile et finit dans l’artillerie où sa vie ne tint qu’au fil d’une mine en décembre 1918. Mobilisé chez les sapeurs télégraphistes, Clément
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a été réformé en 1915, victime de la tuberculose. Initialement affecté à la section d’infirmiers de Dôle, Jean est devenu aumônier dans une batterie d’artilleurs. Antoine est parti en décembre 1914, il s’est distingué comme infirmier en allant chercher un blessé sous la mitraille. Il a ensuite rejoint les combattants, comme sergent puis sous-lieutenant et se distingua une nouvelle fois en commandant un coup de main dans les lignes allemandes. Médecin du 2e bataillon au 23e RI, Joseph suivait au plus près les fantassins sur la ligne de front. Il est à ce titre un incomparable témoin des premiers mois du conflit ; chroniqueur quotidien des combats compulsifs, des premiers soins d’urgence et des périodes d’accalmie quand la vie reprenait le dessus malgré tout. Il exprime aussi les sentiments et les doutes d’un acteur engagé. Méfiant, quand il doutait de la loyauté des civils alsaciens un peu trop “boches” à son goût. Joyeux, quand
Rares sont les mères qui ont eu six fils revenus de la guerre, vivants et entiers.
« n ou s pr i r e n t p ou r des Allemands, une section tira alors d’une distance de 20 mètres environ « les repas ne sont et nous manqua, qu’un feu roulant de toutes les balles blagues, plaisantepassant sur nos ries françaises et têtes ». gauloises » . Triste, quand il vit revenir le
Critique, quand il apprenait que ses blessés traînaient dans les gares et mourraient de gangrène à défaut d’une rapide évacuation. Bucolique, quand il dînait sous le feuillage d’un gros noyer ou couché sur la mousse dans le frêle abri d’une cabane en rotin. Mélancolique, face aux paysages de nature morte,
« tableau de la désolation ». Fataliste, quand il photographiait
« le fameux sapin de la Côme où deux hommes ont été, l’un tué décapité, l’autre amputé des deux jambes ». Rancunier, quand il regardait avec une pointe de contentement Saint-Dié en proie aux bombardements, en souvenir de l’accueil fait par la population aux soldats à la rue, quêtant quelques heures de sommeil devant des portes qui restaient closes. Contemplatif aussi : c’était beau la guerre de nuit, mais de loin. Revanchard, quand ce grand croyant espérait la destruction d’un clocher servant de poste d’observation à l’artillerie allemande. Moqueur quand des renforts
corps sans vie du plus dévoué de ses brancardiers. Observateur du bruit des balles qui font Pin-Pô. Râleur, quand il rencontrait des artilleurs français, jamais là quand il le fallait et surtout jugés bien trop arrogants. Fraternel, quand un soir de Noël, O Tannenbaum répondit en écho au Minuit chrétien. Joseph connut aussi les caprices qui font et défont les réputations. Il fut un héros en février 1915 quand il orchestra durant quatre nuits les opérations de récupération du corps du lieutenant-colonel Dayet, tué à la Fontenelle, à l’issue d’une attaque suicidaire, cela lui valut une citation à l’ordre de l’armée. Quelques mois plus tard, il se sentit
« déprimé et à bout d e fo r c e s » et prit quelques jours de repos la veille d’une offensive allemande. On le suspecta de lâcheté et de faiblesse au feu. Il ne réintégra pas son bataillon, puis continua à diriger des équipes d’infirmiers et de brancardiers chez les chasseurs d’Afrique et les chasseurs alpins. Deux blessures, six citations, la Croix de guerre avec palme et la Légion d’honneur, Joseph n’a pas
Voix de l’Ain • 4 • Vendredi 25 juillet 2014
donné sa part au chien pendant quatre ans et demi. Très pieuse, Marthe, la maman, a du beaucoup prier. Rares sont les mères qui ont eu six fils revenus de la guerre, vivants et entiers. Indemnes ? Rien n’est moins sûr. On sent monter l’amertume au fil du récit de Joseph. Il a partagé le soir à la popote des officiers, des instants de camaraderie avec tant de frères d’arme brutalement disparus le lendemain ! Il a visiblement été secoué par la perte en juin 1915 de son complice qui partageait sa chambre, le capitaine Gaillard, qui attaqua une fois de trop à la tête de ses hommes. Une balle en plein front brisa net son élan. À l’heure de la démobilisation, Jean retourna à ses chères paroisses, à Magnieu, puis Neuville-sur-Ain, mais il garda les séquelles de troubles post-commotionnels persistants. Atteint d’une sclérose pulmonaire, Clément toucha une pension d’invalidité. Médecin à Belleydoux, puis à Oyonnax, Antoine souffrait de difficultés respiratoires probablement dues à l’emploi courant des gaz toxiques suffocants. De 1932 à 1972, les frères Saint-Pierre décédèrent, un à un, presque naturellement. Joseph, aux oreilles de qui sifflèrent tant de balles et d’obus, n’entendit pas en 1965 la voiture qui le renversa sur une route de Péronnas.
LUC VOGEL • Source principale : Dominique Saint-Pierre, « La guerre entre les lignes »
NANTUA
+ A DÉCOUVRIR
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> Circuit des champs de bataille de la Marne Toujours dans l’idée d’agrémenter vos vacances de propositions culturelles, voici un circuit dans le pays de Meaux. En septembre 1914, Meaux et ses environs se retrouvent au cœur de la Grande Guerre. L’armée allemande occupe de nombreux villages : c’est le début de la 1ère bataille de la Marne qui vit les troupes alliées arrêter l’avancée allemande. Pour faire découvrir les lieux où s’est déroulée l’une des batailles les plus importantes de la 1ère Guerre mondiale, l’office de tourisme a mis en place un circui, fidèle à la chronologie des événements, dans le sens de l’avancée des troupes françaises. • Renseignements : www.tourismepaysdemeaux.fr
& A LIRE
> Maurice Genevoix et Paul Dupuy, a oû t 19 14 – av r i l 19 15 Maurice Genevoix passa les 9 premiers mois de la guerre sur le front. La Table Ronde publie les lettres qu’il échangea avec le secrétaire général de l’École normale supérieure, Paul Dupuy, pendant cette période. Grâce à lui, le premier livre de Ceux de 14 put paraître en mai 1916. Ces lettres sont aussi, par la qualité humaine des deux correspondants, leurs talents et le contexte dramatique de leurs échanges, le récit d’une amitié naissante. Genevoix restera toute sa vie fidèle à Paul Dupuy en qui il reconnaîtra, jusqu’à la fin, l’homme qui aura pour lui le plus compté. • Editions la Table Ronde, publication le 3 octobre 2013.
Histoire
ain
14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain vous invite, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
N ÉCLAIRAGE Mondement,mémoire de la bataille de la Marne Les plus hautes autorités politiques et militaires se rendent à Mondement, dès 1917, pour commémorer la première bataille de la Marne et les combats des marais de Saint-Gond de septembre 1914. Un gigantesque monument, haut de plus de 35 mètres, y est ensuite érigé. Restauré il y a vingt ans par le Conseil général de la Marne, il accueille chaque année une cérémonie officielle organisée par l’association Mondement 1914. En 2014, de nouveaux sentiers de mémoire permettront de mieux faire connaître ce site emblématique de la bataille de la Marne où se déroulera, le dimanche 7 septembre 2014, une cérémonie nationale associant l’ensemble des collèges du départ ment de la Marne.
L’âme de la foule Louis Burnod el fut le titre de son dernier article paru le 8 août 1914 dans l’ultime numéro de son journal hebdomadaire Le Carillon qu’il dirigeait de son bureau de la rue Neuve à Bourg. La semaine précédente, il publiait encore quatre pages dont la dernière exclusivement consacrée aux réclames pour le Grand Bazar Parisien rue Notre Dame et son rayon spécial de couronnes mortuaires, le Modern Garage rue Alphonse Baudin promouvant ses automobiles Rochet Schneider, les célèbres machines à coudre Singer invitant à
T
« se méfier des contrefaçons allemandes ». On y trouvait également les petites affiches bressanes, location d’une jolie chambre garnie avec cabinet de toilette et électricité, vente d’un fusil de chasse Hammerless et de belles merises à cueillir sur l’arbre, recherche d’ouvrières pour coudre les corsets de la maison Fongond, enchères publiques d’un café-restauranthôtel à La Valbonne près du camp (mise à prix de 6 000 francs) et surtout deux francs l’élixir de Bon Secours
« pour les mères de famille soucieuses de vaincre tout genre de malaise ». Le Carillon annonçait enfin l’avènement de sa nouvelle édition avec un supplément humoristique, mondain et littéraire, signe d’un temps conjuguant futilités et art de vivre. Mais l’imminence de la guerre mobilisait dorénavant toutes les colonnes, raison qui conduisit Louis Burnod à se déplacer à Lyon le lundi 3 août afin de s’enquérir des dernières dépêches et profiter de l’occasion pour faire quelques emplettes. Sortant d’un commerce de la rue de la République, il vit autour de sa voiture une foule hurlante
« À mort l’espion ! Sale Alboche ! Au Rhône ! ». Il avait entendu parler de la chasse impitoyable aux étrangers suspects mais
n’imaginait pas une seconde devenir une des victimes expiatoires du patriotisme exacerbé de la foule prédatrice excitée par l’odeur du sang. Deux malheureuses cartes touristiques des frontières de l’Est l’avaient confondu, sa nouvelle coupe de barbe fit croire qu’il était détenteur de faux papiers, il n’en fallait pas moins pour que tombèrent comme à Gravelotte des coups de poing et de cannes. La mésaventure se poursuivit
BOURG-EN-BRESSE
« au poste de Bellecour au moyen d’un passage à tabac pratiqué dans toutes les règles de l’art ». Alors qu’on le destinait à un expéditif emprisonnement, que la foule au dehors grossissait et réclamait sa tête sur l’échafaud, des confrères accoururent aux nouvelles et comprirent la méprise en leur reconnaissant. Il put ainsi sortir du poste sous les hourras
« ce n’est pas un Allemand, c’est un journaliste français, un bon patriote ». Il reprit la route dans sa voiture cabossée, après avoir décliné l’offre d’ouvriers pour en redresser la carrosserie à défaut de pouvoir redresser leurs torts. Il conclut son escapade lyonnaise avec une bonne dose de philosophie
« Un vétéran grimpe à mon côté et partage ma soudaine popularité. Nous traversons lentement la foule qui se met à chanter La Marseillaise. Je n’insiste pas. L’heure n’est pas aux essais de psychologie sur l’âme de la foule ». Victor Hugo avait raison en prédisant qu’une guerre entre Européens serait une guerre civile. Menace potentielle, toute circulation n’était pas sans danger. Quand les soldats de la territoriale surveillaient les voies ferrées et les passages à niveaux, une garde civile fut mise sur pied et se posta aux entrées de ville pour en contrôler l’accès de jour et l’interdire de nuit. Ainsi à Bourg sur la route de Lyon, une ombre suspecte s’avança d’un pas hésitant dans la brume, sourde aux avertissements réglementaires de la sentinelle inquiète. Une détonation et une brève lueur percèrent la nuit, l’om
COMMÉMORATION
bre fugitive s’évanouit et ce n’est qu’à l’aube que l’identité de la victime se dévoila sous la forme blessée d’un cheval réquisitionné. Il s’était détaché et n’avait pas emprunté le plus paisible des chemins de trait. Le pays ne respirait plus que pour la guerre, toute autre considération était définitivement dérisoire. Finies les chroniques légères sur les concertos en plein air, les boulistes en quadrette ou les gymnastes acrobates. La moindre notion de distraction était anéantie par le poids de la gravité du moment, ne restait que la rubrique des faits divers pour se divertir et s’extraire de la chape de plomb, le récit des petits malheurs pour oublier les grands. Pour Louis Burnod, friand de reportages acidulés, le revers de la médaille de l’union sacrée signifiait silence dans les rangs de l’information. Le Carillon avait vécu, le prix du papier n’allait pas tarder à flamber, pas évident de boucler avec un prix du numéro à 10 centimes, et puis les hommes étaient mobilisés dans tous les corps de métiers. Louis pouvait en réchapper, il avait été exempté de service en 1903 à cause de son astigmatisme prononcé. Le 13 août, il poussa pourtant les portes de la mairie de Bourg pour s’engager volontairement, fut affecté comme conducteur dans le Train des équipages et quitta son épouse Virginie née Puthod, direction le parc
Voix de l’Ain • 4 • Vendredi 8 août 2014
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> 12 septembre 1914/2014 : La Bataille de la Marne auto d’artillerie basé à Montluçon. Il s’improvisa en octobre correspondant de guerre pour le Journal de l’Ain, livra ses impressions sur les vestiges des combats de la Marne, vision de corps figés autour d’une meule de pailles ou sur un pont, odeur pestilentielle des dépouilles de chevaux en décomposition. Tringlot, comme on appelait les hommes du Train, il n’eut pas à faire le coup de feu, sa mission consistant à alimenter le brasier du front en munitions, nourriture et matériaux, parfois d’en ramener les blessés quand une voie ferrée avait été coupée.
Le pays ne respirait plus que pour la guerre, toute autre considération était définitivement dérisoire Fin 1915, il se porta volontaire dans l’armée d’Orient aux Dardanelles et dans les Balkans. Il fut bien heureux d’en revenir deux ans plus tard sans avoir contracter le typhus qui décima les Poilus autant que les balles et les obus. Démobilisé en avril 1919, l’expression consacrée de l’époque est qu’il se retira à Paris, fut décoré de la Médaille militaire en 1934 et décéda à Dunkerque en 1955 à l’âge de 84 ans.
LUC VOGEL • Sources principales : Le Carillon, Le Journal de l’Ain
L a p r e m i è r e b a ta il l e d e l a M a r n e e s t l ’ u n d e s é v é n e m e n t s m a rq u a n t s d e l a “ G r a n d e G u e r r e d e s F r a n ç a is ” Si l e C e n t e n a ir e e s t l’ oc c a s i o n d e r ap p el e r u n e n ou v e l l e fo i s l a g e s t e é p i q u e d u “ m i ra cle de la Marne”, la commémorat i o n d e l a b a t ai l l e d e l a M a r n e a s s o c i e r a l e s a u t r e s p a y s i m p l iq u é s d a n s l es c om b a ts d e s ep te m b r e 1 9 1 4 a fi n d ’ en é la r g i r l e s en s et l a p or t ée . Bataille décisive érigée au rang de mythe par la France, la bataille de la Marne marque également une rupture entre la guerre de mouvement de l’été 1914 et l’installation dans une longue et éprouvante guerre de position emblématique du premier conflit mondial. En associant l’ensemble des pays belligérants de la bataille de la Marne et d’autres partenaires ayant joué un rôle indirect dans l’issue de la bataille, la France souhaite renouveler, à l’occasion du Centenaire, la commémoration de cet épisode majeur de l’automne 1914. Le vendredi 12 septembre 2014, la France,l’Allemagne et la Grande-Bretagne honoreront leurs morts sur plusieurs lieux emblématiques de la bataille de la Marne. Ils se rendront ensuite à Reims afin de participer à une cérémonie commémorative à laquelle seront associés la Russie, en souvenir des offensives lancées à la fin du mois d’août à l’Est à la demande du général Joffre, ainsi que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, en hommage aux combattants de la division marocaine engagée sur la Marne. Un important dispositif pédagogique sera également mis en oeuvre afin d’associer des élèves français, britanniques et allemands aux différentes étapes de la journée commémorative. En complément de la journée du 12 septembre 2014, plusieurs événements commémoratifs seront organisés autour du thème du centenaire de la bataille de la Marne, durant la première quinzaine du mois : mort du poète Charles Péguy le 5 septembre 1914, prise du village et du château de Mondement, épisode des taxis de la Marne, etc.
Histoire
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain vous invite, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
N A VOIR Lucien Jacques, Jean Giono, Erich Maria Remarque : écrits pacifistes Cette exposition montre les relations entre trois romans considérés comme des écrits pacifistes dont les auteurs, Giono, Jacques et Remarque, ont fait la guerre. La mise en perspective critique des œuvres Carnets de Moleskine, de L. Jacques, Le grand troupeau de J. Giono et A l’ouest rien de nouveau de E. M. Remarque est illustrée par des lectures, des ateliers pédagogiques et artistiques, et des projections de films. > Centre Jean Giono, Manosque (Alpes-de-HauteProvence) D u 1 3 j u i n 2 0 14 a u 3 0 av r i l 2 01 5
Cartes postales en hommage au dévouement des infirmières
Les grandes muettes Camille, Marguerite, Florence et les autres…
L
a guerre est une affaire d’hommes. Apparemment. Un siècle plus tard, il suffit qu’un chroniqueur esquisse une série de portraits en quête de parité pour constater que les sources féminines sont taries. Dans L’Illustration des premiers mois de guerre, des photos du président Poincaré portant son chapeau mou, du généralissime Joffre orné de sa moustache ramasse-miettes, d’Albert le roi des Belges revêtu d’une sobre tenue d’officier, ou encore du général Pau à cheval montrant ostensiblement son avantbras perdu en 1870. Dans la presse locale, l’hommage public est rendu à titre posthume aux personnalités les plus en vue et entre autres Marcel Armand, polytechnicien et fils du conservateur des forêts, Pierre Peydière, gendre du général Logerot ancien ministre de la guerre décédé à Bourg un an plus tôt, René Sangi, un Corse chef de cabinet du préfet de l’Ain, Jean André Vautier, docteur renommé pour les maladies des yeux. Légion d’honneur, Médaille militaire et Croix de guerre récompensèrent les hommes tombés pour la France et les survivants jugés les plus méritants. Après-guerre, les civils eurent aussi leur breloque honorifique quand l’Etat créa la Médaille de la reconnaissance française. C’est ainsi qu’on retrouve aujourd’hui la trace de femmes engagées par quelques lignes dans le Journal Officiel des années 20, avec le vain espoir qu’un témoignage sur quelques unes les saluerait toutes. Camille de La Barge de Certeau s’était marié avec Léon Deminuid, inspecteur divisionnaire à la compagnie ferroviaire PLM, ce qui lui procura des facilités pour ouvrir dès le 2 août 14 une cantine à la gare de Bourg sous l’égide du comité local de la Croix Rouge ; avec l’assistance de sa fille Marie, elle servit pendant quatre ans et demi plus d’un demi-million de rations aux militaires et blessés de passage. Marie Elisabeth Henriette Descours était l’épouse de Paul Dugas un rentier à Neuville-lesDames, elle utilisa sa bonne fortune pour créer le poste de secours de la gare de Bourg et l’infirmerie-hôpi-
BOURG tal de Neuville, elle dirigea ensuite l’hôpital auxiliaire burgien du couvent de la Visitation qui accueillait les plus contagieux ; malade à son tour, elle cessa ses activités en 1917, perdit son plus jeune fils en 1918 dans les combats de la Somme, son aîné en revint entier mais gazé. Marguerite Georgette du Buisson de la Boulaye organisa le poste de secours de la gare, établit un service de chirurgie générale tout en exerçant des fonctions d’infirmière jour et nuit malgré ses 60 ans passés. Les infirmières incarnèrent et symbolisent toujours le dévouement des femmes de ses années de guerre, Pierre Aguetant leur consacra un poème,
« Toutes blanches et maternelles / Le long des fièvres et des lits / Elles vont doucement, sans bruit (…) Pour les souffrances altérées / Et le délire aux yeux hagards / Leurs sourires sont des rosées / Car ils apaisent les regards ». Fille d’un notaire burgien, Antoinette Alice Bailly se porta volontaire à 23 ans dans les hôpitaux de Bourg et se spécialisa au service de neurologie, tâche pénible et délicate que de soulager des hommes qui avaient perdu la boule au front ; elle se maria ensuite avec un officier artilleur et décéda en 1959 à Aixen-Provence. Fille d’un greffier et ancien infirmier pendant la guerre de 1870,
Marie-Louise Bailly prit sa relève en septembre 1914 dans le service ophtalmologie de l’hôpital auxiliaire n°6 au Couvent Saint-Joseph qu’elle quitta à sa fermeture en février 1919, exceptée une période de cinq mois où elle contracta une maladie au chevet de ses blessés ; native de Bourg en 1883, elle y vécut jusqu’à sa quatrevingt-dixième année. D’autres prirent le large, comme Dolly Ducret de Lange, fille d’un baron et ancien conseiller général de Thoissey ; infirmière dans le département, elle s’engagea sur un navirehôpital, débarqua sur l’île grecque de Corfou puis soigna des pestiférés du côté de Beyrouth. De nombreuses bénévoles étaient des épouses ou des filles de notables qui donnaient de leur temps. Un luxe pour des femmes d’origine plus modeste pour lesquels remplir la gamelle quotidienne exigeait un gagne-pain. Ainsi Marguerite Joséphine Chabert, fille d’un menuisier et d’une tailleuse, qui délaissa sa clientèle de couturière pour soigner gracieusement à l’hôpital auxiliaire 203 du lycée de jeunes filles géré par l’association des Dames Françaises ; elle se maria en 1920 avec un cheminot d’Ambérieu. Originaire de la même ville, Marie Louise Mozer prodigua également ses soins et en garda le souvenir d’une bronchite chronique ; elle épousa plus tard ancien combattant reconverti en cuisinier et toussa une dernière fois à Bourg en 1965. Il y eut enfin les religieuses qui exerçaient principalement à l’Hôtel Dieu, comme Sœur Florence (Flo-
Voix de l’Ain • 4 • Vendredi 15 août 2014
rence Renard de Montmerle), mère supérieure décorée en 1929 de la Légion d’honneur en présence du Ministre de la Guerre, Sœur Anne de Borgia (Eudoxie Rozay) qui lui succéda, Sœurs Léoncine (Philomène Lacorbière) et Séraphia (Marie Brunei) infirmières majors dans des salles de grands blessés, Sœur Louise Philomène (Gabrielle Marie Ganne) réputée pour son calme et sa fermeté, Sœur Marie Geneviève (Marie Germaine Laprevote) mère supérieure de la congrégation de la Visitation qui coucha par terre pour laisser son lit aux premiers blessés.
De nombreuses bénévoles étaient des épouses ou des filles de notables qui donnaient de leur temps. Encore plus silencieuses que les grandes muettes, il y avait la douleur ou la peur de toutes les mères. En ce mois d’août 14 dans une arrièreboutique du Faubourg de Mâcon, Laurence Tisserand pense à son aîné en poste aux frontières dans un régiment de dragons déjà prêts à se frotter aux lances des redoutables uhlans, elle sait que le tour du petit viendra avant Noël, alors, avec la seule compagnie de sa machine à coudre, des larmes coulent sur les vieilles chaussures qu’elle pique sans répit.
LUC VOGEL • Sources principales : Journal Officiel (1919 à 1921)
+ A DÉCOUVRIR Été 1914, Nancy et la Lorraine dans la guerre L’exposition décrypte le moment décisif du premier conflit mondial, l’été 1914, en s’intéressant au contexte du début de la guerre en Lorraine et notamment à la bataille du Grand Couronné. L’exposition s’accompagne d’une programmation culturelle variée à destination de tous les publics. > Musée Lorrain de Nancy (meurthe-et-moselle) > Jusqu’au 21 septembre 201 4
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain vous invite, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
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+ A DÉCOUVRIR
Algériens et Français au miroir de la Grande Guerre : Exposition & recherche Pluridimensionnel (recherche, collecte de documents, publications) et international, l’intérêt de ce projet réside d’abord en une exposition ayant pour objet la rencontre de deux champs relativement cloisonnés - 14-18 et Algérie coloniale - et l’ouverture à tous les publics (y compris scolaires) de l’espace de dialogue ainsi constitué. L’exposition marque l’ouverture de ce musée consacré à l’Histoire de la France et de l’Algérie. Cinq axes ont été définis : l’invention de la France républicaine et de l’Algérie coloniale ; les mobilisations de 1914 à 1918 ; les Algériens et Français d’Algérie en France (soldats & ouvriers) ; 1914-18 en Algérie ; l’après-guerre et les mémoires. Conférences publiques, catalogue d’exposition, colloque scientifique accompagnent l’exposition, de même qu’un programme de recherche en lien avec les partenaires universitaires du MHFA , confrontant les historiographies du fait guerrier et du fait colonial. > Musée d’Histoire de la France et de l’Alg érie (MHFA ), Montpellier (Hérault) > Du 1er décembre 2014 au 31 j u i l l e t 2 01 5
En passant par la Lorraine : Pierre Goujon Si nous partons pour l’Est nous irons probablement à Besançon mais au feu, je crois bien qu’on ira jamais car le ministre de la guerre est de l’Ain et M. Messimy n’enverra pas ses compatriotes pères de famille sur la ligne de feu. M. Goujon, député de Bourg, est sous-lieutenant à la 24e compagnie. Tu vois que nous sommes bien accompagnés »
«
écrivait le 17 août à son épouse Alfred Foray, charron à Saint-Jean-sur-Reyssouze. La belle affaire, un député en guise de paravent du régiment ! L’espoir fait vivre, il n’empêche pas le trépas. Les réservistes du 223e RI furent envoyés au début du mois à Aix-les-Bains. Accueil aux petits oignons en arrivant à la gare, des dames distribuaient cigarettes et cigares. Le séjour offrit d’appréciables agréments, Alexandre Béréziat - un autre bressan cultivateur à Cuet près de Montrevel - écrivit à sa Léontine :
« On loge dans une école et on couche sur la paille. On est bien nourris avec de la viande deux fois par jour. La guerre est douce pour le moment mais personne ne sait quand on partira ». Pierre Goujon les a rejoints tardivement, retenu au Palais Bourbon par la session parlementaire puis provisoirement affecté au dépôt du régiment. Il aurait pu passer la guerre bien au chaud, à parader en ville avec ses galons ménageant ainsi une carrière politique prometteuse. Conseiller général, il avait hérité du canton de Pont-d’Ain qui était le fief de son père Etienne, ancien sénateur et président du conseil général de l’Ain. Après sa mort en 1907, il traça son propre chemin et fut aisément élu à 35 ans député de la circonscription de Bourg. Il n’était pourtant pas d’ici. Sa vie et sa ville, c’était Paris. Il y était né, obtint ses licences de lettres et de droit, devint avocat et premier secrétaire à la cour d’appel, y épousa la fille de Joseph Reinach, personnalité en vue d’origine allemande, écrivain engagé dans la
défense de Louis Dreyfus et cofondateur de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen. L’avocat parisien avait donc su faire son trou dans les contrées de l’Ain auquel il était lié dès son enfance par ses vacances dans le château familial de Neuville-sur-Ain. Son père lui avait aussi transmis un attachement patriotique forgé en 1870 lorsqu’il était médecinmajor avec l’armée du Rhin pendant le siège de Metz. Le fils fut en 1913 un des promoteurs de la loi des trois ans. Elu de la gauche radicale, il avait rallié le camp de Clemenceau contre Jaurès. L’allongement d’un an du service militaire avait permis à l’armée française de disposer de 250 000 hommes supplémentaires face à la menace germanique ravivée en 1911 par la présence d’une canonnière dans la baie marocaine d’Agadir. Ce fut un des thèmes majeurs de la campagne des élections législatives au printemps 1914 et Pierre Goujon fut réélu plus difficilement. Il prit donc le parti d’aller au bout de ses idées et se porta volontaire pour partir aux frontières. L’heure n’était plus au boniments et aux éternelles querelles francofrançaises, il publia le 5 août une tribune dans la presse locale, un appel à l’union sacrée de tous les Français qu’il conclut ainsi :
« Est-il maintenant assez clair, quel que soit notre destin, le programme de notre école ? Enseigner la France dans tout le cours des siècles, dans toute son histoire, inaugurer le culte de ceux qui, aujourd’hui, gaiement, s’en vont et ne reviendront jamais. Vive la France ! ». Il boucla ensuite son testament en prévoyant notamment de léguer sa collection de tableaux aux musées nationaux, sans oublier 10 000 francs pour la commune des jours d’été de son enfance. Il boucla ensuite son testament en prévoyant 10 000 francs pour la commune des jours d’été de son enfance. Partageant avec son père un goût prononcé pour la peinture – Auguste Renoir lui fit son portrait de jeune garçon en costume marin – il légua sa collection de tableaux aux musées nationaux. Le 20 août direction la Lorraine, 22 heures de train et sans doute quelques regards embués en traversant le département. Làbas, çà sentait la poudre à pleins poumons, les lignes « pruscos » étaient invisibles, on les devinait à portée de canon. Alors pépères les paternels bressans ? Placés en
BOURG-EN-BRESSE réserve près de Lunéville, ils auraient du rester l’arme au pied à occuper leurs journées de soldats désoeuvrés, mais ce fut la débandade dans les troupes d’active trop tendres à l’épreuve du feu roulant des bombardements, tout un corps d’armée avait pris ses jambes à son cou ! Il a donc fallu stopper l’hémorragie, coûte que coûte, appliquer la doctrine d’état-major stipulant que l’attaque est la meilleure défense. Le mardi 25 août à Méhoncourt, Pierre Goujon était dans la tranchée avec ses hommes. La suite, Georges Loiseau le raconta en ouverture d’une séance du conseil municipal de Bourg-en-Bresse.
« À 9 heures du matin, le colonel Brouet ordonne l’offensive, il tombe frappé en pleine poitrine. Le 6e bataillon, dont Pierre Goujon fait partie, s’engage à son tour, la 24e compagnie qui est la sienne en avant. Notre ami est à la tête de sa section, derrière un léger abri de terre. À 10 heures et demi du matin, deux balles viennent le blesser au bras. Ses homme se tendent vers lui pour panser ses blessures et lui donner à boire. Il se soulève pour étancher sa soif quand une balle stupide l’atteint à la tête ».
Dans cette même tranchée du bois de Méhoncourt,
Voix de l’Ain • 4 • Vendredi 22 août 2014
tomba un sergent de sa section, Paul Truchon professeur agrégé d’histoire au lycée Lalande et militant socialiste qui avait espéré la paix. Les pertes du 223e RI furent en quelques heures de 327 blessés, 122 tués et disparus, soit 450 bonshommes sur le flanc, le quart du régiment ayant défilé sous une averse vers la gare de Bourg-enBresse trois semaines plus tôt. En hommage au premier parlementaire tombé au champ d’honneur, un cargo à vapeur fut baptisé de son nom puis torpillé par un sous-marin allemand en 1917 au large de Belle-Île. Un second cargo de type Marie Louise baptisé Député Pierre Goujon fut construit en 1920 dans l’arsenal de Cherbourg, il transporta du charbon allemand lors de son premier voyage, finit par être délibérément coulé en 1940 dans une baie au nord de l’Écosse afin de protéger des courants un port naturel de la Royal Navy. Une rue porte encore son nom à Neuville, Bourg lui donna une place face au monument aux morts, idéalement situé dans l’axe reliant l’avenue Alsace Lorraine aux avenues de la Victoire et des Anciens Combattants.
LUC VOGEL S o urc e s p ri n c i p a l e s : R é m i Riche « Destins brisés, les Poilus bressans », Annales de la Société d’Emulation, Courrier de l’Ain.
N EXPO Archives Nationales “Août 1914. Tous en guerre !” Du 19 septembre au 20 décembre 2014, le site de Pierrefitte-sur-Seine présente “Août 1914. Tous en guerre !”, qui aborde le premier mois de la guerre sous l’angle original des Français restés à l’arrière. Très connu dans son volet diplomatique et militaire, ce temps très court l’est beaucoup moins au plan de l’histoire sociale, économique et culturelle. Enrichie de colloques et d’actions pédagogiques, l’exposition évoque la vie quotidienne face aux départs massifs, au front et à l’arrière. > Hôtel de Soubise, Paris Du 19 septem bre au 20 décembre 20 1 4
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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE
NOUVEAU - Voix de l’Ain vous invite, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.
HOMMAGE AUX COMBATTANTS J’accuse, d’Abel Gance La version restaurée du premier chef-d’oeuvre d’Abel Gance, invisible depuis 1919 dans sa version non censurée, renaît de ses cendres. Le film testimonial de la Grande Guerre, oeuvre visionnaire d’une force incroyable, sera présenté le 8 novembre à la salle Pleyel, accompagné de la partition nouvelle de Philippe Schoeller, interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, avant une diffusion sur Arte le 11 novembre.
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Le père Noël est un abbé : Elie Cottard-Josserand
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ne naissance sous les sabots d’un cheval en 1875 chez son père maréchalferrand du faubourg de Châtillon à Saint-Trivier-sur-Moignans, des funérailles en grande pompe le 21 février 1935 dont la grande foule de fidèles rappela celles du curé d’Ars. Elie François Joseph Cottard-Josserand quitta sa famille précocement à l’âge de 12 ans pour intégrer le petit séminaire de Meximieux. Il persévéra dans cette voie devenue sa vocation et fut ordonné prêtre à 23 ans après quatre années d’étude au grand séminaire de Brou. Nommé en 1905 directeur des ?uvres du Diocèse, l’animait la conviction que l’exercice du culte ne suffisait plus à propager la foi, il fallait aussi gagner les coeurs. De son bureau burgien du 15 rue Bernard, il organisa des congrès cantonaux en sillonnant les paroisses par des rassemblements sous sa grande tente mobile de 400 mètres carré. Il multiplia les initiatives, pour les jeunes dans les cercles d’étude et les patronages, par les ?uvres sociales sous toutes leurs formes, écoles ménagères, colonies de vacances, jardins ouvriers et mutuelles, en diffusant ses idées via la presse paroissiale et l’imprimerie-librairie Jeanne d’Arc. Ces méthodes nouvelles suscitèrent des réticences chez les curés attachés à la prééminence des messes et de la parole de l’Evangile. Comme tous les passionnés, le Père COTTARD les balayait d’un revers de main
« l’heure n’est pas aux pessimistes, aux découragés, aux inactifs. Ceux-là ne sont plus à la page, ils ne l’ont d’ailleurs jamais été. En ce moment, il faut des travailleurs, des apôtres ».
L’exp osition s’in téres se à une vingtaine de c o n f l i t s c o m m e à a u t a n t d e t o u rn a n t s . P rè s d e 1 7 0 a r t i s t e s s o nt r e p r é s e nt é s , t o u s s u p p o r t s confondus : de Daumier à Goya, Léger, Méliès, Picass o, M ille r, V an Dongen, Capa, Grosz… > M us é e d u L o uv r e s - L e n s j u s qu ’ a u 6 o c t o br e 2014
Son action connut son apogée pendant les années de guerre, temps de l’histoire qui n’était plus à la contemplation. Dès septembre 14, l’abbé lança le Petit Paquet, ?uvre patriotique de l’ouvroir Jeanne d’Arc destinée à envoyer du linge aux soldats des six régiments de l’Ain. La presse locale relaya largement cet appel à la générosité patriotique, le pieux Journal de l’Ain bien évidemment, le laïcard Courrier de l’Ain également mais en n’omettant pas de citer le plus modeste ouvroir de l’amicale des anciennes élèves du lycée public Edgar Quinet. Il ne s’agissait pas de se débarrasser de ballots d’effets usagers, le linge devait être neuf ou en très bon état, rien n’étant aléatoire dans sa composition, chemise de flanelle en coton, tricot en laine de préférence, caleçon de couleur, ceinture de flanelle, paire de chaussettes de laine, serviette de toilette, deux mouchoirs et un morceau de savon. Minovembre, plus de mille cinq cents paquets avaient déjà été distribués, ce qui n’était visiblement pas du luxe quand Alfred FORAY demandait à son épouse Elisa que lui soit envoyé un caleçon,
« tu l’achèteras gris car çà craint moins le sale et il fera bien le reste de l’hiver ». A c?ur vaillant rien d’impossible, nouvel appel en faveur du Petit Cadeau de Noël avec la bénédiction du colonel LARGY commandant des dépôts d’infanterie,
« l’idée de rappeler Noël à nos soldats par un cadeau venu de leurs foyers et préparé surtout par des mains enfantines est de celles qu’on ne saurait trop encourager ». Et çà marcha au-delà de toutes espérances, comme si ce petit paquet avait eu le pouvoir d’abolir la séparation de toutes ces familles traditionnellement rassemblées le 25 décembre. En moins d’un mois, onze mille francs furent récoltés et l’ouvroir Jeanne d’Arc prépara dix-huit mille cadeaux. Rien d’extravagant, un cigare de premier choix, quelques cigarettes, du chocolat, un crayon, cinq feuilles de papier à lettres aux armes de Bourg, un calendrier 1915 avec des pensées patriotiques. Le tout glissé dans des étuis en bois fabriqués dans une tournerie du Jura puis décorés par des femmes de bonne volonté de
Thoissey, Bellegarde, SaintRambert-en-Bugey et Bourg au pensionnat Sacré Cœur, aux écoles Saint Louis et Carriat, au lycée de jeunes filles et à l’Ecole normale,
« ajoutez-y de charmantes lettres envoyées par 4 000 enfants ». Le 22 décembre, les caisses de cadeaux furent chargées à la gare de Bourg dans deux wagons. En bonus, des volailles de Bresse furent achetées la veille au Concours de Bourg, trois par compagnie, une pour les officiers, l’autre pour les sousofficiers, la troisième pour la troupe à tirer au sort entre les escouades, ce ne fut pas vraiment bombance, mais çà fit quand même pas mal de délicieux petits os à sucer ! L’abbé participa à ce voyage qui ne s’arrêta pas à sa destination,
« le trajet est long et les trains marchent à une lenteur exaspérante !». Il y fit des rencontres comme cette paysanne de Saint Just revenant d’une visite à son fils blessé, jusqu’à rejoindre les cimes enneigées des Vosges. Les traces de la guerre étaient partout, des maisons détruites
« les murs seuls restent debout, noircis par le feu (…) tout le long du parcours, à travers champs, d’énormes trous
Voix de l’Ain • 4 • Vendredi 29 août 2014
d’obus et puis des tombes de petits soldats (…) le paysage est d’une beauté sévère, empreint d’une véritable mélancolie ». Long périple qui s’acheva aux côtés des hommes des 23° et 133° RI pour assister à la messe dans l’église décoré de drapeaux et de branches de sapin, passer au cimetière comme si Noël était à la Toussaint, visiter les blessés à l’ambulance où les docteurs Saint-Pierre et Adamprodiguaient les premiers soins, se raconter des nouvelles du pays autour d’un vieux poêle de campagne et trinquer une coupe de champagne aux succès des armes. Originaire de Bourg et chef d’état major de la 1ère armée, le colonel Debeney n’en doutait pas tout en concédant que cette guerre semblait bien dure et longue. Avant d’entamer le périple du voyage retour pour Bourg, un soldat remercia l’abbé pour le Petit Paquet et lui prodigua un conseil amusé
« ce n’est plus du linge qu’il faut m’envoyer, c’est un petit âne pour le transbahuter ! ». LUC VOGEL • Sources : « Le Chanoine Cottard-Josserand, directeur des ?uvres du diocèse de Belley », « Souvenir du Petit Cadeau de Noël 1914 », Journal de l’Ain et Courrier de l’Ain
BOURG-EN-BRESSE
APOCALYPSE, LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE sur France 2
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Série documentaire (5 x 52 min) réalisée par Isabelle Clarke et Daniel Costelle (Production : CC&C Clarke Costelle & Co). Le récit, pas à pas et à hauteur d’hommes, de la Première Guerre mondiale. Une grande fresque en HD constituée à 100 % d’images d’archives le plus souvent inédites et mises en couleur. À l’occasion de la diffusion de cette série documentaire-événement, France Télévisions déploiera un dispositif numérique global avec notamment un site dédié, un programme transmédia d’un nouveau genre mêlant fiction, animation, BD et archives (« 10 destins ») et des concours pédagogiques organisés sur francetveducation et lesite.tv. > Le coffret DVD est édité par francetv distribution
VIE LOCALE Bresse - Revermont 2nd cahier du vendredi 1er août 2014 • N° 3614
BOURG-EN-BRESSE Révolution dans la boulangerie p. ??
VIRIAT Les souvenirs de guerre d’Hippolyte Radix
NOUVEAU - Voix de l’Ain ouvre cette semaine une nouvelle rubrique et apporte sa pierre à la commémoration du Centenaire 14-18. Chaque premier vendredi du mois, vous retrouverez à cet emplacement un épisode de la Première Guerre mondiale vu et/ou vécu par les habitants de l’Ain.
Août 1914 : les moissons d’acier ultivateur de 23 ans dans la ferme familiale dont il compte bien un jour hériter, Louis Joseph Eugène Bressoux est incorporé depuis 1912 au 60e RI de Besançon. Au grand matin de ce 7 août, accoutré de son pantalon garance et de sa capote d’un gris de fer bleuté, il avance dans la plaine d’Alsace et songe en traversant les champs qu’il serait bien mieux une faux à la main plutôt que de porter un barda de 35 kilos. Son bon vieux Lebel à l’épaule, la cartouchière à la taille, la baïonnette au ceinturon, il trimballe sa musette de vivres avec le bidon de vin attaché en sautoir et son sac « L’as de carreau ». Une trentaine de kilomètres plus au sud, Belfort se vide sur ordre de l’armée, le danger est proche à portée de canon, et cette cité fortifiée Même si on feint de se convaincre que la mobilisation n’est pas la guerre, un air grave constitue une base arrière fort approse lit sur les visages. priée pour ravitailler les soldats et accueillir les blessés dans un va-etvient permanent de viandes fraîches la force de l’âge, pas un n’a manqué mi-août au Vatican. Même si on feint et de corps suppliciés. Les habitants à l’appel, même ceux qui manifestè- de se convaincre que la mobilisation d’un de ses quartiers embarquent rent fin juillet aux cris de « À bas la n’est pas la guerre, un air grave se lit dans des wagons, 1 200 femmes, guerre ! ». À la mobilisation générale sur les visages. Le Courrier de l’Ain décrit la grande émotion qui saisit à enfants, vieillards et invalides portant fait écho l’union sacrée. Bourg les deux à trois mille personleurs baluchons, entassés à humer le nes présentes le long du défilé, musicrottin laissé la veille par les chevaux « Gott mit uns » montant à la bataille. Le train arrive L’évêque de Belley ne s’y trompe pas que en tête, « les officiers saluent et les à Bourg au milieu de la nuit, la lon- en écrivant à tous les fidèles de son soldats répondent de la tête, les femgue file des réfugiés encore assoupis diocèse qu’en 1870 « Dieu n’avait mes, les mères, les épouses qui sont là se dirige lentement vers la salle des frappé la fille aînée de son Eglise que pleurent et c’est un spectacle vraiment fêtes où les attend une collation, pour la ramener à lui (…) la justice impressionnant de voir toute cette autant de « bouches inutiles » à divine frappera à son tour ». Dieu a-t- foule de gens les plus divers acclamant répartir dans les communes du il choisi son camp quand la devise de toutes leurs forces nos soldats qui département. La ville clôt une « Gott mit uns » est gravée sur les s’en vont ». Le panache de fumée du semaine agitée comme elle en ceinturons des soldats prussiens ? dernier train flotte encore qu’ «un connut rarement. En quelques jours, Comme un signe d’indécision des clairon des pompiers soufflait la preelle s’est vidée de ses hommes dans cieux, il rappelle à lui Pie XII, décédé mière sonnerie de la Générale, ce sont
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p. ??
MONTREVEL La mairie va être agrandie p. ??
SAINT-SULPICE Huit jeunes au service du patrimoine p. ?? R 28195 – 3614 – F : 1,60¤
C’ÉTAIT IL Y A 100 ANS
Voix de l’Ain • ?? • Vendredi 1er août 2014
des minutes qu’on n’oublie pas » renchérit Le Carillon. Huit mille hommes quittent la ville en quelques jours, direction Remiremont dans les Vosges pour le 23°RI, la place forte de Belfort pour les territoriaux du 55° RIT, Aix-les-Bains pour les réservistes du 223° RI. Joseph SAINT PIERRE est du voyage, il entend la troupe hurler le chant du départ et songe aux nombreuses voix qui s’éteindront bientôt. Même temps mais autre lieu de rassemblement à Belley pour les hommes de l’autre moitié du département, les 133° RI, 333° RI et 56° RIT suivent leurs régiments frères burgiens aux mêmes destinations. Les plus anciens sont réquisitionnés pour garder les routes et les voies ferrées. On mobilise aussi les chevaux, l’armée en paye un bon prix sur le champ de foire de Nantua et les embarquent dès le lendemain à la gare de La Cluse où ils rejoignent les bœufs achetés 45 centimes la livre pour être prestement expédiés aux abattoirs. Le 7 août vers midi, Joseph BRESSOUX respire l’air de ses derniers instants. Il est un des 300 000 Pioupious, suivis de 110 000 chevaux, que la France engage dans la plus symbolique des batailles, un de ces innombrables paysans fauchés comme les blés qui retourneront à la terre, un des premiers petits gars du pays qui finira sur un monument aux morts, le premier d’une interminable liste de soldats méconnus.
LUC VOGEL > S o urc e s p ri n c i p a l e s : C o u rr i e r d e l’Ain, Le Carillon, L’Abeille du Bugey et du Pays de Gex
VIE LOCALE Bresse - Revermont 2nd cahier du vendredi 4 juillet 2014 • N° 3610
BOURG-EN-BRESSE Emmaüs abandonne le projet Pennessuy p. ??
PÉRONNAS Maternelle : les parents exigent une 6e classe p. ??
MONTREVEL Les balades gourmandes ont repris au Sougey p. ??
C’ÉTAIT IL Y A 100 ANS NOUVEAU - Voix de l’Ain ouvre cette semaine une nouvelle rubrique et apporte sa pierre à la commémoration du Centenaire 14-18. Chaque premier vendredi du mois, vous retrouverez à cet emplacement un épisode de la Première Guerre mondiale vu et/ou vécu par les habitants de l’Ain.
Juillet 1914, souvenirs d’un été en pente douce e fut une belle journée d’été. Le retour du soleil a atténué les effets d’un printemps pourri, la floraison des blés augure de bonnes moissons. La ville bruisse dès l’aube d’une agitation inaccoutumée pour un jour sans le marché hebdomadaire qui pompe comme un cœur l’énergie des campagnes environnantes. Pavoisées de guirlandes et de drapeaux tricolores entre des mâts qu’animent des lampions, les rues résonnent encore des pas de la grande retraite aux flambeaux de la veille au soir, parade militaire suivie de voyages avinés au bout de la nuit sur les terrasses des cafés. Au matin du 14 juillet de l’an 1914, Bourg a déplacé son centre de gravité sur la grande place du Champ de Mars. La troupe du 23e régiment d’infante-
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rie est harnachée de tout son équipement, prête à combattre un ennemi encore inconnu. L’alignement des baïonnettes scintille sous la lumière rasante avant qu’une chaleur accablante ne l’enveloppe de son halo. Faisant face à la piétaille figée au garde à vous, une estrade rassemble les autorités civiles et militaires, officiers à l’air grave et sabre au flanc. La foule semble plus dense que l’an passé, comme si une sourde inquiétude resserrait inconsciemment les rangs. Un petit groupe d’hommes est posté près de la tribune officielle, outre leur âge vénérable, ils se distinguent par un insigne vert et noir à la boutonnière. Ce sont les anciens combattants de 1870, les témoins de cette infamante défaite de Sedan dont on se
COLIGNY Tennis : qui pour reprendre la présidence du club ? p. ?? R 28195 – 3610 – F : 1,60¤ Les soldats au monument des Balmettes (photo archives médiathèque d’Ambérieu-en-Bugey)
Voix de l’Ain • ?? • Vendredi 4 juillet 2014
rappelle chaque jour les conséquences en arpentant l’avenue Alsace Lorraine entre l’hôtel de ville et la préfecture. Vivacité ou obsession du devoir de mémoire, la gare d’Ambérieu s’anime, elle comptait accueillir Adolphe Messimy, député de l’Ain récemment promu ministre de la guerre, mais il semble fort occupé et a délégué un général pour inaugurer le monument du centenaire des Balmettes commémorant la résistance d’une poignée de paysans et de gardes nationaux, face à une colonne d’envahisseurs autrichiens au crépuscule de l’Empire napoléonien : un vin d’honneur à Torcieu, un aigle sculpté par Alphonse Muscat, puis l’hommage du sénateur Alexandre Bérard aux « 300 » Thermopyles de 1814. Personne ne veut la guerre, mais plane dans les consciences un air de revanche. L’assassinat dans les rues de Sarajevo d’un archiduc autrichien par des nationalistes serbes a mis le feu aux poudres dans les turbulents pays balkans. Portant à la ceinture une large étoffe en flanelle rouge, défilent à Oyonnax les militants socialistes dénonçant la menace d’une guerre bourgeoise, ils se souviennent aussi de 1871 quand l’armée des Versaillais ne fit pas de quartier contre l’insurrection de la Commune de Paris, ils savent que les régiments de l’Ain continuent à mater les révoltes des mineurs du bassin houiller stéphanois. Le mois s’achève dans la fébrilité, la canicule de la mi-juillet s’est estompée, il est même tombé de la neige au col de la
Le monument du centenaire des Balmettes commémorant la résistance d’une poignée de paysans et de gardes nationaux face aux d’envahisseurs autrichiens Faucille ! La persistance du mauvais temps stoppe les moissons, pas moyen de rentrer le blé coupé, les paysans font grise mine. Le 31 juillet, de retour de sa tournée de médecin, Joseph Saint-Pierre consigne ses impressions, la guerre occupe toutes les conversations, l’anxiété se mêle au doute, lui s’y attend depuis longtemps, il s’y prépare, convaincu que le départ est inéluctable. Ce même jour, Jean Jaurès dîne dans un café de la rue Montmartre, il griffonne son article à paraître le lendemain, son infime et ultime chance d’éviter le pire. Bourg, il est 21 h 30, le facteur remet un pli à Joseph l’enjoignant à se présenter sans délai à la caserne Aubry. Sa tenue et sa cantine sont prêtes, même pas le temps de faire ses adieux à sa mère, ou plutôt pas envie pour s’épargner de déchirantes embrassades. Paris, 21 h 40, le bien nommé Raoul Villain lève le bras vers l’homme donnant son dos à une fenêtre du café du Croissant, deux coups de feu retentissent. Bien des années plus tard se posera encore cette question en chanson : pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
LUC VOGEL • Sources principales : François Tisserand « Le Linge, tombeau des chasseurs » , Dominique Saint-Pierre « La Grande Guerre entre les lignes » , Courrier de l’Ain
VIE LOCALE Bresse - Revermont 2nd cahier du vendredi 5 septembre 2014 • N° 3619
BOURG-EN-BRESSE Une nouvelle station de vélos en gare p. ??
C’ÉTAIT IL Y A 100 ANS
Septembre 1914 : Frères de sang≤ NOUVEAU Dans cette rubrique, Voix de l’Ain apporte sa pierre à la commémoration du Centenaire de 14-18. Revivez un épisode de la Première Guerre mondiale vu et/ou vécu par les habitants de l’Ain boches en moins de deux mois, mais ce sont eux qui foncent vers Paris depuis le 5 septembre. La menace est si sérieuse que le gouvernement s’est taillé en douce à Bordeaux ! Les 60e et 44e RI de Besançon et Lons-le-Saunier ont un fort recrutement de soldats de l’Ain.
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MONTREVEL L’école de musique fait aussi sa rentrée p. ??
COURMANGOUX Il y a 70 ans... revivez la Libération p. ??
CERTINES Roger Galland était une figurede la commune p. ?? R 28195 – 3619 – F : 1,60¤
ean Durhône écrit son journal de guerre depuis le premier jour. Le maire de Pont-de-Vaux a été à ce titre l’un des premiers mobilisés. Il a reçu des consignes dès le 28 juillet pour renvoyer dans leurs unités les soldats en permission ou fixer à 200 francs les retraits sur les livrets de la Caisse d’épargne pris d’assaut par ses administrés. Août est passé si vite : les premières réquisitions de blé et d’avoine pour l’armée, la réduction des horaires du tramway, les avis à donner sur les demandes d’allocations journalières pour les familles des mobilisés, l’accueil d’une vingtaine de malades évacués des hôpitaux de Paris. L’arrivée du tramway à Pont-de-Vaux Le 5 septembre, il est courroucé par l’acharnement de la commission de les frères Pitre sont portés disparus ravitaillement qui exige des livrai- dans les Vosges et en Lorraine. À sons de blé disproportionnées avec Malafretaz, ce sont les frères Brevet, la récolte de l’année. Il est pris en menuisier et maçon de 20 et 21 ans. étau entre les statistiques de la préfecture et les cultivateurs ponteval- De nombreuses fratries lois qui doivent préférer se garder décimées sous le coude quelques quintaux ! À Drom, les fils Cotton décèdent à Le 17, il emmène à Bourg en auto quatre jours d’intervalle. À Neyron, les 2 600 francs de la quête à domi- Alexandre et Louis Accary sont tués cile au bénéfice des hôpitaux tempo- au Bois des Faîtes avec le 23e RI. À raires de la Croix Rouge. Le 30, il Mézériat, les Evieux, l’un au combat, reçoit un télégramme annonçant l’autre rongé par la gangrène consél’arrivée d’une quarantaine de bles- cutive à sa blessure. Et aussi les sés en provenance de Toul. Des nou- Donguy à Sermoyer, Donjon à Piravelles des soldats du coin ? Il n’en a joux, Pochon à Marboz, Corran à point et ne s’en offusque pas, peu Pont-d’Ain, Anselme à Saint-Mauempressé de porter aux familles les rice-de-Gourdans, Bonnat à Grièges, avis de décès. Il ignore encore que Boulon à Sandrans, Voillat au Poizat, six d’entre eux manquent déjà à l’ap- Dravet à Saint-Trivier-sur-Moignans, pel. Même si les communiqués offi- Fontanel à Saint-André-d’Huiriat et ciels taisent le terrible décompte des tant d’autres fratries décimées subipertes, des villages perçoivent l’am- tement. Le pire est toujours à venir, pleur de l’hécatombe. À Villemotier, les frères Guy de Villereversure
Voix de l’Ain • 29 • Vendredi 22 août 2014
1600 soldats de l’Ain sont tués en moins de deux mois
furent incorporés en 1913 dans le même bataillon de chasseurs et décédèrent tous les deux, le 1er septembre, dans les Vosges. Le baptême du feu a été incandescent. Antoine Grezaud écrit dans son carnet. « C’est un spectacle terrifiant que cette guerre moderne. Les obus nous éclatent dessus, à droite, à gauche, en avant, en arrière, partout et font des trous effrayants. J’ai vu un mulet tout près de moi éventré par un obus à mitraille. Des quatre hommes qui étaient près de lui, un seul est sauvé ». Tombèrent aussi au 223e RI, le colonel Brouet et le député Goujon. La mort frappe, aveuglément, dans les deux camps. Il a vu des Bavarois dans un bosquet, figés en position de tirailleurs, l’un d’entre eux tenant encore son fusil dans ses deux mains crispées. C’était fin août à Méhoncourt en Lorraine : le général Joffre avait dit qu’il torcherait les
Un de leurs officiers écrit le 9 au soir. « Après cinq jours et cinq nuits de lutte, décimés, harassés, affamés, cernés de tous côtés, nous nous étions couchés sur la terre nue, n’ayant plus au fond de nos âmes que la résolution de nous faire tuer le lendemain matin afin d’accomplir l’ordre reçu : là où on ne pourra plus avancer, on se fera tuer sur place. Le 10 à l’aube, nous avons repris nos armes et, la bouche sèche, le cœur gros, nous sommes repartis vers l’ennemi. Il n’y avait plus d’ennemi, il était en retraite ». Laminés par la mitraille et volatilisés par le canon dans le chaos de la bataille de la Marne, ils ont tenu, animés de la peur de leur patrie envahie et de la crainte des gendarmes de la prévôté prêts à traquer les fuyards jusqu’aux lisières des bois. Septembre s’achève et cette miraculeuse victoire masque une tragédie. En moins de deux mois de conflit, près de mille six cents soldats de l’Ain y laissèrent leur vie, comme s’il ne s’était pas écoulé une heure sans qu’une famille ne fût saisie par l’effroi du deuil.
LUC VOGEL Sources principales : « Notes de Jean Durhône, Maire de Pont-de-Vaux », « Carnet de guerre du sergent Antoine Grezaud »