La Genèse, berceau de l’histoire Edition augmentée de Science et foi: un conflit?
Francis A. Schaeffer
Francis A. Schaeffer
«Science et foi: un conflit?» a été écrit après «La Genèse, berceau de l’histoire». Ces deux ouvrages sont une réponse que Francis Schaeffer a apportée à ceux qui ont critiqué son refus de s’identifier à une vision plus étroite du récit biblique de la création. Extrait de la préface d’Udo Middelmann
Edition augmentée de Science et foi: un conflit? La Genèse, berceau de l’histoire
Pourquoi rééditer les textes d’un homme du 20e siècle? C’est qu’il ne s’agit pas de n’importe qui: né en 1912 aux Etats-Unis, Francis Schaeffer est décédé en 1984, après des années de rayonnement interdénominationnel et international. Auteur de plusieurs ouvrages dont la pertinence et la solidité intellectuelle sont aujourd’hui encore appréciées par beaucoup, il est aussi connu pour avoir fondé la communauté de L’Abri, un lieu d’accueil, de réflexion et d’étude important pour de nombreux jeunes et moins jeunes, au cours de son séjour en Europe. Sa méditation des premiers chapitres de la Genèse nous aide à découvrir dans ces textes fondateurs des richesses insoupçonnées, et son analyse du rapport entre la science et la foi fournit des points de repère utiles. Une pensée à laquelle il vaut la peine de se confronter au moins une fois dans la vie!
La Genèse, berceau de l’histoire
CHF 17.90 / 15.90 € ISBN 978-2-8260-3243-4
Francis A. Schaeffer
Francis A. Schaeffer
La Genèse, berceau de l’histoire
Edition augmentée de Science et foi: un conflit?
La Genèse, berceau de l’histoire Titre original en anglais: Genesis in Space and Time © 1972 by Francis Schaeffer Science et foi: un conflit? Titre original en anglais: No Final Conflict © 1975 by Francis Schaeffer © et édition (française): La Maison de la Bible, 2014 Chemin de Praz-Roussy 4bis 1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse Avec l’autorisation de The Francis A Schaeffer Foundation. Tous droits réservés. E-mail: info@bible.ch Internet: http://www.maisonbible.net Traduction de La Genèse, berceau de l’histoire: Christiane Pagot Traduction de No final conflict: Hélène Braunschweiger, revue par Jean-Marc Genet et Pierre Berthoud Sauf indication contraire, les textes bibliques sont tirés de la version Segond Nouvelle Edition de Genève © 1979 Société Biblique de Genève http://www.universdelabible.net Copyright des images de couverture: fond © vlntn - Fotolia.com première de couverture © pict rider - Fotolia.com ISBN édition imprimée 978-2-8260-3243-4 ISBN format epub 978-2-8260-0208-6 ISBN format pdf 978-2-8260-9933-8
Table des matières
Préface.................................................................................................. 7 La Genèse, berceau de l’histoire...............................................19 Avant-propos....................................................................................21 1. La création..................................................................................23 2. Différenciation et création de l’homme.......................... 47 3. Dieu et son univers..................................................................71 4. L’heure du choix........................................................................87 5. La chute et ses conséquences dans l’histoire.............107 6. Les deux humanités.............................................................. 127 7. Noé et le déluge.....................................................................147 8. De Noé à Abraham................................................................171 Science et foi: un conflit?...........................................................195 Introduction....................................................................................197 1. L’enjeu.........................................................................................201 2. L’unité du livre de la Genèse............................................. 205 3. Libertés et limites établies par la Bible ........................219 4. Sans conflit final......................................................................231 5. La ligne de démarcation du monde évangélique.....237 Annexes............................................................................................245 Courte biographie de l’auteur.................................................247 Du même auteur...........................................................................249
Préface
Nous avons le plaisir de publier, pour la première fois en langue française et en un seul volume, deux livres de Francis Schaeffer, La Genèse, berceau de l’histoire et Science et foi: un conflit?, qui abordent les questions métaphysiques et éthiques que chacun se pose. Schaeffer présente de précieux commentaires, des idées trouvées dans la nature et dans la théologie, qui sont au cœur de la discussion sur l’homme et son origine. La nature nous enseigne beaucoup de choses sur la forme physique des personnes, y compris leur cerveau; mais seule la théologie nous informe sur l’esprit humain et les capacités inhérentes à la pensée, à la langue, à l’amour et aux interrogations liées au sens de notre existence. La nature traite de ce qui est appelé la création; elle soulève la question de son origine, de ses caractéristiques et de ses formes. La théologie est concernée par la fondation morale des distinctions entre les gens; elle reconnaît le choix indépendant des pratiques habituelles, comme le discernement entre le bien et le mal, entre le normal et l’anormal, entre le mécanisme de la nature et les efforts de la culture. Les deux ouvrages nous offrent l’ouverture vers une vie pleinement humaine, à l’inverse d’une vision de l’homme enfermé dans l’esclavage d’un monde purement matériel, qui n’offre aucune liberté mais nous impose le fardeau du sort et de la futilité. Les hommes Udo Middelmann
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et les femmes sont responsables de bons et de mauvais choix, de la justice et de l’injustice, de la vérité et du mensonge. Ces deux livres sont basés sur la Bible et sur des observations tirées de l’histoire humaine. La Bible parle d’un monde réel et historique, d’événements au milieu desquels les humains existent en tant que personnes dotées d’un corps et d’un esprit. Cela soulève des questions auxquelles la Bible propose des explications philosophiquement cohérentes et réalistes dans le monde de tous les jours. L’enseignement des Ecritures offre à tous et à chacun, en commençant par les Juifs et les chrétiens, cette compréhension de la vie qui, toujours et partout, a émancipé l’homme par rapport aux autres religions ou points de vue philosophiques. Le fait d’être humain est compris, dans ces philosophies alternatives, comme étant le problème de base, puisque, en étant humain, on résiste à toute demande de soumission à la fatalité ou à un destin quelconque. On résiste tout autant à l’invitation à une démission de ce monde réel vécu dans nos corps bien matériels. Francis Schaeffer se réfère à des propos bibliques pour définir l’homme comme étant différent de l’univers de matière qui l’entoure. Seule la Bible affirme l’unité de la personne comme corps et esprit. La matière sourde et muette comme définition de l’homme, sans l’existence de l’esprit et de la pensée, nous est inconnue, puisqu’elle n’a rien à faire avec notre expérience. Nous n’avons jamais vu ni entendu des personnes sans corps. Les êtres humains sont, dès la conception et la naissance, des personnes qui 8
Préface
existent en relation avec l’histoire. Ils réfléchissent grâce à leur esprit et s’expriment avec leur corps. Lors de conférences placées sous le thème du commencement, voire de ce qui précède le commencement, Francis Schaeffer a souvent abordé la question fondamentale des origines, de ce qui explique le commencement de tout ce qui existe aujourd’hui. Le début n’est pas caché dans un mythe ou des suppositions; il fait partie d’une séquence d’événements nécessaires pour comprendre le monde connu. Si rien, dans notre univers, ne sort de nulle part (Francis Schaeffer parlait de «rien de rien»), la question se pose de savoir ce qui existait avant le commencement, ou éternellement. Le big-bang lui-même a suivi quelque chose qui existait déjà, comme l’énergie ou la matière. L’étude de ce qui existait avant le commencement se poursuit, à la recherche d’une définition de la réalité par des gens qui se présentent comme religieux ou non. L’évolution est incapable de répondre à cette question, puisque le changement par évolution présuppose que quelque chose existe déjà. L’origine et la définition de ce qui existe nécessitent une réponse métaphysique antérieure, que seule la Bible donne de façon satisfaisante. Francis Schaeffer montre dans ces deux ouvrages que la Bible, dès le premier verset de la Genèse, nous explique l’origine de tout, ainsi que «la différence de l’homme, et ce que cette différence implique»1. Au commencement, Dieu existe déjà. Depuis toujours, il est vivant: il réfléchit, 1 Référence à un livre du professeur Mortimer J. Adler, de l’Université de Chicago, The Difference of Man and the Difference It Makes, dont la première édition date de 1967.
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décide, débat et agit par activités, comme seules des personnes sont capables de le faire. Cette proposition donne le cadre pour comprendre tout ce qui suit de la vie humaine, toujours vécue dans une réalité de séquence, du temps et de l’espace. La Bible propose une réponse aux questions philosophiques de base sur la nature des choses et des personnes dans le contexte d’une réalité détectable. Il y a concordance entre la Bible et les découvertes anthropologiques. Il n’y a, en effet, «aucun conflit final»1. Quand, en tant qu’êtres humains, nous nous interrogeons sur nos origines, nous voulons connaître notre généalogie. Nous voulons ainsi expliquer notre être, notre personne unique, apte à faire des choix, à réfléchir, à éprouver des émotions, à aimer notre prochain par choix, capable de responsabilité morale, connaissant la différence entre le bien et le mal. L’énergie impersonnelle ou la causalité expliquent seulement l’existence de la diversité des choses matérielles. Mais ni l’esprit ni la liberté de penser, ni la capacité de faire la différence entre plusieurs idées du bien et du mal n’y sont expliqués. Nous ne trouvons ces caractéristiques que dans la personnalité humaine. En agissant en tant qu’individu, je surprends et je déçois toujours. Les gens sont des personnes qui expriment leur imagination, sont capables de parler et de choisir, de dire la vérité ou de mentir. 1 No Final Conflict, titre de l’édition originale de Science et foi: un conflit?, de Francis Schaeffer.
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Préface
4. L’heure du choix Revenons à l’époque de la création du monde, création désormais achevée. Chaque élément remplit sa fonction selon son propre cycle à l’intérieur d’un vaste système harmonieux et équilibré. L’homme, créature à l’image de Dieu, occupe dans cet univers une position particulière du fait qu’il se distingue radicalement de la machine, des plantes et des animaux.
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu Un certain jour, Jésus-Christ a clairement défini cette position singulière de l’homme dans les divers ordres de la création. A un pharisien qui lui demandait: «Maître, quel est le plus grand commandement?» il avait répondu: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement» (Matthieu 22.36-38). L’auteur du Deutéronome avait formulé le même concept quelque quinze siècles auparavant: «Ecoute, Israël! l’Eternel, notre Dieu, est le seul Eternel. Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de L’heure du choix
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tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton cœur» (Deutéronome 6.4-6). Ainsi, à l’époque de Moïse déjà, la relation de l’homme avec Dieu devait dépasser le niveau de la seule obéissance formelle aux commandements; l’homme était appelé à aimer Dieu de tout son cœur. Cet impératif de l’amour s’accompagne d’une autre exigence mise en évidence à la fois par l’Evangile de Matthieu et le Deutéronome. Il faut que l’homme ait une haute conscience de l’identité de celui qu’il est appelé à aimer. L’amour pour un être supérieur n’est pas du même ordre que l’amour pour quelqu’un de même rang. Prenons par exemple l’amour d’un enfant envers son père ou sa mère. Si l’enfant répète sans cesse «je t’aime» sans jamais obéir, son père lui dira: «Tu ne fais rien pour me prouver ton amour.» Il existe une hiérarchie dans la relation parentenfant – celui-ci étant sous tutelle – qui rend compte de la nature particulière de cet amour. De même, Israël ne devait pas se contenter, lorsqu’il entrait dans la présence de son Créateur, le Dieu d’amour, de prononcer un «je t’aime» d’ordre purement affectif. L’amour qui exprime la relation créature-Créateur implique l’obéissance sans laquelle cet amour n’aurait aucun sens. L’enseignement de Jésus dans Matthieu se fonde aussi, nous l’avons dit, sur ce principe qui par ailleurs donne tout leur sens aux relations d’Adam et Eve avec Dieu dans les premiers chapitres de la Genèse. Genèse 2.16-17 nous dit en effet: «L’Eternel Dieu donna cet ordre à l’homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; mais tu ne 88
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mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.» Cet ordre se retrouve sous une forme différente dans Deutéronome 6.4-6 et dans Matthieu 22.36-38, à savoir que l’amour, qui engage tout le cœur, toute l’âme et toute la pensée, doit prévaloir dans le cœur de l’homme. Ainsi l’obéissance exprime l’amour de la créature pour son Créateur. Mais cette soumission à la loi de Dieu a des prolongements inattendus, car l’obéissance est la véritable vocation de l’homme: elle fait de lui un être à part entière. Beaucoup, de nos jours, s’interrogent sur le sens de la vie. Dans certaines parties du monde, l’individu se voit proposer l’Etat comme seul modèle de référence; dans d’autres, la sexualité devient son unique moyen d’expression; ailleurs enfin, c’est son intégration à la société de consommation. Mais ces propositions sont comme du sable entre les doigts. La Bible nous présente une solution toute différente: le véritable sens de la vie humaine – le but même de l’existence – réside dans la relation d’amour entre la créature et son Créateur. Dans cette relation, l’homme agit en fonction d’une personnalité authentique, qui, formée à l’image de Dieu, lui permet d’exprimer l’amour sans aucune contrainte. La machine, par contre, est conçue pour obéir à Dieu selon les lois de la mécanique. Le système complexe de l’univers fonctionne ainsi dans sa plus grande partie, et cette finalité lui a été assignée par Dieu. L’homme, en revanche, est un élément non programmé de la création et il se situe à un niveau distinct. En conséquence, son amour ne découle pas d’une contrainte, mais de la L’heure du choix
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merveilleuse faculté de choisir en dehors de tout déterminisme chimique ou psychologique. Tel est donc le mystère de la personne humaine, mystère au sein d’un univers assujetti à la loi de la causalité. Son existence a une réalité historique, c’est-à-dire spatio-temporelle. Voici donc l’homme face à sa destinée: rencontrer Dieu à un moment précis de l’histoire en vue d’une relation marquée du sceau de l’amour.
Un arbre, un seul L’amour et l’obéissance dont traite Genèse 3 s’articulent autour d’un commandement à propos d’un arbre, l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’alternative proposée à Adam, il faut le noter, ne portait pas sur le choix entre deux arbres créés par Dieu dont l’un aurait été bon et l’autre mauvais. Dieu n’a rien créé de mauvais en soi. Si cela était, ou si Dieu avait programmé l’homme de manière à le contraindre à la désobéissance, nous serions en plein accord avec le concept hindou qui fait remonter à Dieu le bien et le mal, la violence et la paix, et leur attribue ainsi une valeur égale. Dieu n’a pas créé d’arbre mauvais; il a simplement créé un arbre, sans aucune différence intrinsèque. L’intention de Dieu était de placer l’homme devant un choix. Il aurait pu dire, tout aussi bien: «Ne traversez pas ce cours d’eau; ne montez pas sur cette montagne!» Son propos se résumait en fait à ceci: «Crois en moi et tiens-toi devant moi en 90
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qualité de créature, sans prétendre à l’autonomie. Crois en moi et aime-moi comme la créature doit aimer son Créateur, et tout sera parfait car telle est ta raison d’être sur la terre.» Avec la création de l’homme, Dieu, il est vrai, admettait l’éventualité du mal. Mais l’éventualité ne devient pas forcément réalité. En revanche, en prenant ce risque, Dieu valorisait et le choix et l’homme, considéré ici dans sa réalité historique. Car si tout avait été joué d’avance et le choix réduit à une simple parodie, nos discours à propos de la personnalité et de la finalité de l’homme feraient figure de joutes verbales autour de termes dépourvus de tout contenu. La faculté de choisir est l’apanage inaliénable de l’amour sous toutes ses formes, et elle donne au terme même toute sa consistance. La lente dégradation du concept de choix par suite du déterminisme ambiant a fait perdre à l’homme moderne la notion de l’amour. Dieu a donné à l’homme la possibilité du choix, mais il n’a pas créé le mal, car rien dans la création n’est contraire à la nature du Créateur. En Eden, il ne s’agissait pas de choisir entre un bon et un mauvais arbre – car il n’y en avait qu’un – mais de choisir entre les deux termes d’une alternative. Quelle est la nature exacte de cet arbre? Ce n’est pas l’arbre de la connaissance au sens le plus large du mot, mais l’arbre d’une connaissance spécifique, la connaissance du bien et du mal. Il n’y a là aucune condamnation du savoir. Une telle condamnation contredirait l’autorité de l’homme sur la création et le passage de Genèse 2.1920, où la connaissance, qui est constitutive de l’humain, L’heure du choix
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a rendu l’homme apte à identifier chaque être vivant au moyen d’un nom. Adam et Eve possédaient la notion du bien, concrétisée à la fois dans leur environnement, leur relation avec Dieu et leur relation mutuelle. Dieu leur avait aussi communiqué la notion du mal et de ses éventuelles conséquences, toutes inscrites dans le commandement: «Tu n’en mangeras point, car le jour où tu en mangeras, tu mourras» (cf. Genèse 2.17). Ce commandement souligne le contraste entre l’expérience pratique du mal et la connaissance que Dieu nous en donne. Adam et Eve sont des êtres humains, donc limités. Dieu, lui, est infini et par conséquent omniscient. La Bible illustre cet attribut divin, entre autres, dans le passage de 1 Samuel 23.9-13 où Dieu avertit David des conséquences d’un certain événement lors même que celui-ci, par suite d’un changement de la situation, ne devait pas se produire. Dieu, en effet, connaît tout l’éventail des situations réelles ou hypothétiques, passées ou futures. Bien que limités, Adam et Eve n’en avaient pas moins été instruits par Dieu des suites éventuelles de leur dés obéissance; celle-ci, une fois la révolte consommée, les amena à la connaissance concrète du mal et de son cortège de cruauté et de souffrance. Ce n’est pas le savoir qui est incriminé, mais bien le choix qui va à l’encontre du commandement et de l’avertissement du Dieu qui nous aime. Notons aussi la nature non arbitraire de ce commandement. Dieu avait eu soin de prévenir Adam et Eve des conséquences de leur révolte: ce serait la perte de leur bien 92
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le plus précieux. Ainsi le commandement était motivé et l’avertissement inscrit dans la ligne de l’amour de Dieu. Revenons au texte de Genèse 2.17: «Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras tu mourras.» Le texte hébreu donne un relief exceptionnel aux derniers mots du verset: «Tu mourras de mort.» La théologie réformée considérait ce commandement comme un contrat d’entreprise. Deux parties sont en présence: le Créateur d’une part et de l’autre la créature. Il y a égalité entre les deux parties au niveau de la personnalité, sans que disparaisse pour autant l’opposition entre le fini et l’infini, le créé et l’incréé qui caractérisent chacune d’elles. Ce contrat comporte, en outre, deux clauses: la première fait état de l’amour de la créature pour son Créateur dans les termes adéquats de l’obéissance. Cette obéissance s’assortit à son tour d’une promesse, la promesse de la vie qui est donc la seconde clause du contrat. Cette vie promise n’est certes pas la simple continuation de l’existence physique, mais la vie abondante en Jésus-Christ le Seigneur, dont les implications ne seront révélées à l’homme que beaucoup plus tard. Le premier homme n’a pas besoin d’un Sauveur car, à ce moment précis de son histoire, il est sans péché. La sotériologie (la doctrine du salut) est absente de ces premiers temps de la Genèse, et l’Agneau de Dieu n’apparaît pas encore. La sotériologie ne concerne en effet que l’homme déchu. La promesse de la vie implique la «plénitude de vie», tout comme la sanction implique la «plénitude de mort». L’heure du choix
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La sentence de mort n’a pas été exécutée le jour même – jour de vingt-quatre heures – où Adam a péché, car Adam n’est pas physiquement mort ce jour-là. Mais, selon le Nouveau Testament, il est réduit à l’état de «mort en sursis», à moins qu’il n’accepte Jésus-Christ comme Sauveur personnel. Sa séparation d’avec Dieu lui enlève toute signification et toute finalité. Ainsi, la mort d’Adam est survenue le jour même où il a mangé du fruit interdit. La sentence a été appliquée en trois étapes. D’abord, l’homme, séparé de Dieu, est privé de tout modèle personnel de référence, et sa vie de toute signification. Bien que vivant et capable – avec sa femme – de procréer, il n’en est pas moins «mort». Le chrétien rejoint ici l’existentialiste à l’autre extrémité du spectre idéologique, pour affirmer avec lui: «L’homme est mort, ainsi soit-il.» Cette affirmation est, dans une certaine mesure, mieux comprise que voilà cinquante ou cent ans. La mort d’Adam, c’est ensuite la mort physique. Pour avoir été plus longue que la nôtre, la vie physique du premier homme ne s’acheva pas moins dans la décomposition au tombeau, quelques années plus tard. Enfin, le châtiment entraîne la mort éternelle, ultime étape pour ceux qui, séparés de Dieu, «auront pour châtiment une ruine éternelle, loin de la face du Seigneur et de la gloire de sa force» (2 Thessaloniciens 1.9). Ainsi la désobéissance originelle engendre des conséquences qui vont au-delà de la situation présente, si horrible et anormale soit-elle, au-delà de la mort physique et du néant. La mort éternelle signifie l’ultime et définitive séparation d’avec Dieu. Comme le marcheur qui cherche en vain à atteindre 94
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l’horizon, l’homme se voit à jamais séparé de la grâce et de la gloire du Dieu qui est. Gardons-nous cependant d’ignorer la sollicitude et l’amour divins. Créé à l’image de Dieu et averti de l’éventualité du mal, l’homme était bon puisqu’il n’avait pas encore choisi le mal. Il jouissait d’une communion constante avec Dieu. «Ils entendirent la voix de l’Eternel Dieu, qui parcourait le jardin» (Genèse 3.8). Il vivait dans un site choisi par Dieu lui-même: «L’Eternel Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé» (Genèse 2.8). Adam était capable de se situer dans le temps et l’espace et d’identifier Eve, dont le nom signifie «vivant»: «Adam donna à sa femme le nom d’Eve; car elle a été la mère de tous les vivants» (Genèse 3.20). Le choix de ce nom prouvait qu’Adam était conscient de sa propre identité. Par ailleurs, il pouvait user de son libre arbitre face à une alternative réelle. Il était non programmé, et aucun déterminisme biologique ou psychologique ne pesait sur son pouvoir de décision. Allait-il obéir? ou allaitil transgresser le commandement? C’était un simple test dont ni les conditions ni les implications ne pouvaient le prendre au dépourvu.
Le serpent entre en scène… Nous voici devant un nouvel acte de l’histoire biblique. «Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Eternel Dieu avait faits» (Genèse 3.1). L’heure du choix
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4. Sans conflit final La méthodologie utilisée pour l’acquisition des connaissances de ce que Dieu dit dans la Bible peut différer de celle utilisée en matière de connaissances scientifiques, mais cela ne signifie pas une dichotomie quant aux faits étudiés. Dans la pratique, il n’est pas toujours possible de mettre en corrélation les deux études, en raison de la nature spécifique de ces deux démarches; toutefois, si les deux études sont correctement menées, il n’y aura pas de conflit final. Prenons, par exemple, la tour de Babel: que nos connaissances viennent de ce que nous dit la Bible ou que nous fassions une étude scientifique, nos recherches nous permettent finalement d’affirmer que la tour de Babel a existé ou n’a pas existé. Il en est de même pour Adam. Que nous utilisions les outils scientifiques de l’archéologie ou de l’anthropologie pour analyser les ossements d’Adam ‒ en admettant que cela soit possible scientifiquement ‒ ou que nous nous référions aux renseignements de la Bible, nous aurons des informations sur Adam ou sur les vestiges d’Adam. La science, de par ses limites naturelles, ne peut pas connaître tout ce que Dieu nous révèle dans la Bible; mais quand la science acquiert des connaissances, Sans conflit final
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les deux sources de connaissance, même si elles s’expriment différemment, parviennent au même résultat. En outre, il est important de le rappeler, il y a une grande différence entre le fait de dire la même chose au moyen de deux systèmes de symboles différents et d’affirmer deux choses qui s’excluent et sont incompatibles, tout en dissimulant la différence au moyen de deux systèmes de symboles. Il n’y a pas d’incompatibilité entre la Bible, lorsqu’elle parle de l’histoire et du cosmos, et la science. Certes, l’étude de la révélation générale (l’univers et sa forme, l’homme avec ses caractéristiques d’être humain) a sa place. C’est celle d’une science authentique. Mais il est primordial de comprendre qu’on ne doit pas sans autre accommoder la Bible à la science. Certains scientifiques chrétiens ont tendance à placer la révélation spéciale (l’enseignement de la Bible) sous le contrôle de la révélation générale et de la science. Ils pensent que l’enseignement de la Bible est vrai, au même titre que la science; en réalité, ils considèrent que la vérité scientifique est supérieure à la Bible.
Faits et faits bruts De nos jours, les mots ont tellement perdu de leur signification que nous devons souvent utiliser des termes maladroits pour exprimer ce que nous souhaitons faire comprendre. Que signifie véritablement le mot fait? Un fait peut être une vérité religieuse au «niveau supérieur» et 232
Science et foi: un conflit?
nous devons donc utiliser un terme maladroit, tel que faits bruts. Dans ce cas, par chance, les théologiens libéraux eux-mêmes ont parfois employé ce terme pour désigner ce qu’ils ne pouvaient pas exprimer par le mot fait, ce qui nous arrange bien. Par faits bruts, il ne s’agit pas d’un concept cartésien signifiant des faits éternels. Il n’y a pas davantage de faits en dehors de Dieu qu’il n’y a de valeurs morales en dehors de Dieu. Il n’existe pas de faits autonomes indépendamment de Dieu. Mais une fois que Dieu a créé, ce qu’il a créé a une réalité objective. Et comme Dieu a créé l’histoire, qui se déroule dans le temps et l’espace, les événements de l’histoire ont une valeur objective. L’historicité de la chute en est un parfait exemple. La chute historique ne constitue pas une interprétation des faits, en soi: il s’agit d’un fait brut. Si l’herméneutique nous permet de donner des explications qui annihilent le fait brut de la chute, elle n’a pas sa raison d’être. La chute n’est pas une affirmation au «niveau supérieur», elle n’est pas, en quelque sorte, une affirmation religieuse ou théologique. Il s’agit plutôt d’une vérité historique, d’un fait brut, exprimée sous forme de propositions, qui s’est déroulé dans le temps et l’espace. L’histoire existait dans le temps et dans l’espace avant la chute et, à un moment précis, l’homme a choisi de se détourner de son propre point d’intégration. De ce fait, il y a eu une rupture morale et l’homme est devenu anormal. En parlant de faits et de faits bruts, nous parlons de faits dans un sens spatio-temporel; ils se prêtent, selon les méthodes habituelles, à vérification et à falsification. Sans conflit final
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Cela ne signifie pas que ces faits doivent être considérés comme vides de sens. Ces faits bibliques ont eu lieu dans l’histoire passée, mais ils ont et devraient avoir un impact dans le déroulement de nos vies, maintenant. De surcroît, quand nous disons que les affirmations bibliques sont des vérités exprimées en forme de propositions, nous ne disons pas que toute communication doit se faire au moyen de formules mathématiques. Il peut y avoir d’autres types de langage, des figures de style, par exemple, ou le langage poétique, qui a un impact spécifique, mais il y a continuité – unité, non pas discontinuité – avec ces «autres types» et le flux de propositions qui utilise une syntaxe normale et les mots avec leurs définitions habituelles. Il s’agit d’une continuité que la raison peut gérer. Prenons un exemple en dehors de la Bible. La communication de Shakespeare, avec sa langue imagée, est beaucoup plus riche que de simples formules mathématiques. Les «autres types» (par exemple ses expressions imagées) enrichissent ses propos. Toutefois, comme c’est le cas avec la prose et la poésie d’avant-garde, qui ne s’expriment généralement que par images, sans se soucier de la cohérence syntaxique normale et des mots dans leur acception courante, personne ne saura vraiment ce qui a été dit. Il est connu que certains écrivains et artistes modernes travaillent délibérément de cette manière afin de susciter la perplexité. Leurs œuvres cherchent à provoquer des expériences subjectives dans l’esprit des lecteurs ou des spectateurs, qui sont appelés à interpréter ce qu’ils lisent et entendent. 234
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«Science et foi: un conflit?» a été écrit après «La Genèse, berceau de l’histoire». Ces deux ouvrages sont une réponse que Francis Schaeffer a apportée à ceux qui ont critiqué son refus de s’identifier à une vision plus étroite du récit biblique de la création. Extrait de la préface d’Udo Middelmann
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