marie theulot
MARIE THEULOT
Clémence s’apprête à prendre sa
mis ma confiance, je sais qui j’ai
choisi pour cheminer tout au
long de ma vie. » — MARIE THEULOT
retraite. A siffler la fin de sa dernière récréation. C’est l’occasion
pour elle de se rappeler quelques
épisodes marquants de sa car-
rière dans l’enseignement, entre remarques
cocasses
d’enfants,
drames familiaux et apprentissage du vivre ensemble.
Des souvenirs pleins de tendresse et, parfois, de questions sur la
place des convictions et croyances personnelles dans les classes, dans un contexte laïc. A savourer sans modération!
Avec une préface de Gabrielle Cadier-Rey (Université Paris IV-Sorbonne) Appréciée pour ses romans en lien avec la Shoah, Marie
Theulot est aussi une enseignante retraitée de l’éducation nationale en France. Elle est régulièrement sollicitée pour des conférences dans les écoles, collèges, associations et églises. Ici, elle puise dans ses propres souvenirs.
CHF 10.50 / 8.90 € ISBN 978-2-88913-032-0
Dernière récréation
« Je sais en qui j’ai
MARIE THEULOT
Marie Theulot
Dernière récréation
Dernière récréation © et édition : Ourania, 2021 Case postale 31 1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse Tous droits réservés. E-mail : info@ourania.ch Internet : http ://www.ourania.ch Sauf indication contraire, les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21 © 2007 Société Biblique de Genève http ://www.universdelabible.net Couverture : Visuall Communication, Genève Images couverture : c/o istock Ekaterina Senyutina (tableau noir et craies) ; Warchi (dessins sur tableau noir) ISBN édition imprimée 978-2-88913-032-0 ISBN format epub 978-2-88913-644-5 ISBN format pdf 978-2-88913-875-3 Imprimé en France par Sepec numérique
Table des matières
Préface – Gabrielle Cadier-Rey..................................... 9 Avant-propos..................................................................11 1. Dernière récréation.................................................21 2. Dessine-moi ma famille........................................ 27 3. A chacun son souvenir.......................................... 37 4. La petite fille du voyage......................................... 45 5. La blessure de Cédric, la blessure de Clémence.............................................................51 6. Carnaval.................................................................. 59 7. Les mille vies de Lapinou...................................... 67 8. Question existentielle............................................ 75 9. Un petit cadeau pour toi, maîtresse..................... 83 10. Les lolitas................................................................. 87 11. Mon cartable est un poète..................................... 93 12. Question embarrassante........................................ 99 13. Inscription de dernière minute...........................107 14. Une page se tourne................................................119 Remerciements............................................................ 127
Préface
Le grand géographe Elisée Reclus, à qui une jeune femme demandait conseil pour enseigner dans l’école de filles qu’elle avait créée, lui répondit : « La théorie de la marche, c’est de marcher. La théorie de la bonté, c’est d’être bon. Et vous, comment leur enseignerez-vous qu’il faut passer sa vie à aimer ? Aimez-les. Je sais que vous n’y manquerez pas. Nulle part elles ne pourraient être à meilleure école. » Lettre du 18 septembre 1881. Marie Theulot a aimé les centaines d’enfants que l’Education nationale lui a confiés pendant plus de trente ans. Et en retour, elle a été aimée d’eux. On comprend alors la nostalgie que représentent les derniers jours avant la retraite, la dernière récré, on comprend le « blues de l’instit’ ». Elle ne cache pas les difficultés du métier quand chaque matin lui arrivent des enfants qui reflètent la diversité de la société, des enfants cabossés par la vie, en manque d’amour. C’est alors qu’elle doit trouver « les mots-pansements », les mots qui calment, qui encouragent et faire de sa classe une unité. On peut remarquer, derrière les anecdotes racontées avec humour, des méthodes pédagogiques éprouvées, l’expérience du métier – du solide ! Elle dit aussi tenir sa force de sa lecture fréquente de la Bible et elle cite des versets sur lesquels elle s’appuie et qui éclairent sa route. Mais ce livre apporte autre chose 9
qu’une brassée de souvenirs lumineux. Pendant neuf ans, Marie Theulot a été directrice de l’école, en même temps que la maîtresse de CE2, avec ce que cela comporte de fatigue et d’écartèlement entre des impératifs qui s’excluaient. Mais cela lui a permis d’avoir une vision d’ensemble de l’enseignement. Dans l’avant- propos elle exprime son attachement à l’école, aux valeurs de la République, elle dit l’importance de la laïcité, pas celle sectaire des laïcards, mais celle qui respecte les croyances de chacun et qui permet le vivreensemble qu’elle applique dans sa classe. On comprend que les mots de Ferdinand Buisson à qui on doit ce qu’on appelle (avec nostalgie ?) l’école de Jules Ferry, soient pour elle « une vitamine à consommer pour le moral quand il est assailli par le doute ». Car pendant les trente-cinq ans qu’elle a enseigné, les élèves, la société, l’environnement économique, tout a changé et « la maîtresse » a dû s’adapter tout en restant fidèle à son idéal, l’école qui instruit et qui éduque. Marie a pris sa retraite. Mais son besoin de transmettre a été si fort qu’elle s’est mise à écrire des livres, réalisant ainsi le présage d’une de ses institutrices, qu’un jour Marie écrirait de belles histoires. Gabrielle Cadier-Rey Université Paris IV-Sorbonne
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1. Dernière récréation Clémence est là en ce dernier jour de classe, debout, immobile, comme statufiée derrière la vitre de ce long couloir qu’elle a tant et tant arpenté, de sa salle de classe à son bureau de directrice. Derrière elle, en fond d’écran, vingt-sept petits cartables de toutes les couleurs accrochés à leurs vingt-sept petits portemanteaux. Ce soir, après l’heure de la sortie pour les grandes vacances, le couloir sera vide et froid. Les cartables auront retrouvé leurs propriétaires qui, telle une volée de moineaux, s’éparpilleront. Elle fermera, elle aussi, son grand cartable en cuir noir, défraîchi par ses allers et retours permanents entre la maison et l’école. Or, drôle d’incident oblige, ce soir, elle le portera dans ses bras pour la première et la dernière fois, car, ce matin, et pas un autre, la poignée a lâché à l’instant même où elle a franchi le portail de l’école. « C’est un signe ! » lui a lancé, amusée, une de ses collègues. Et une autre d’enchaîner : « Ton cartable, c’est une horloge ! Il ne veut pas bosser une journée de plus. Après trente-cinq ans de bons et loyaux services, il veut lui aussi partir en retraite. » Eh oui ! C’est une journée qui ne sera pas comme les autres pour madame l’institutrice du CE2 et directrice de l’école Marie-Curie. Elle ne fera plus jamais 21
de rentrée en septembre. La roue tourne et son aiguille s’est arrêtée sur la case « retraite ». Elle part dans quelques heures pour de grandes, très grandes vacances. Une période de sa vie qu’il va falloir apprivoiser. Une page blanche à écrire où, en lettres capitales, MA RETRAITE se lit comme la une d’un quotidien. Tout à coup, elle a le vertige et une angoisse partie du creux de son ventre la traverse à la vitesse d’une marée galopante… Ce n’est vraiment pas le moment de se laisser submerger ! Mais, comme dans tous les événements de sa vie, heureux ou malheureux, elle utilise, comme une respiration, sa Bible plus souvent que son portable. Sur le champ, elle riposte à l’envahisseuse en se remémorant quelques bribes du Psaume 90 qu’elle a lu le matin même : « Mille ans sont à tes yeux comme la journée d’hier. Nous voyons nos années s’éteindre comme un soupir, car le temps passe vite et nous nous envolons. Enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que notre cœur parvienne à la sagesse. » Dans la pénombre du couloir, à l’abri des regards, elle se ressaisit : Savoure le moment présent comme on reçoit un cadeau unique, de grande valeur. Ce sera ton dernier souvenir d’école, point d’orgue de tous tes souvenirs d’hier… Regarde bien autour de toi ! Ecoute bien les cris des enfants dans la cour ! C’est ta dernière récréation qui bat son plein… Embué de larmes, le regard de Clémence balaie lentement, très lentement la cour. Devant elle, ça joue, ça crie, ça se bouscule, ça court, aïe, ça tombe ! Ça donne des ordres, ça obéit, ça s’insurge, ça se révolte, ça s’insulte, ça menace, ça se bagarre, ça boude et ça complote, 22
ça pleure et ça rigole ! Et peut-être le plus triste, le plus inquiétant de tout : ça reste dans sa bulle, seul dans son coin, à mijoter une vengeance après une humiliation. A se repasser en boucle le cauchemar de la veille, quand Papa et Maman se sont disputés si fort… Ou à s’inventer de belles histoires dans un monde imaginaire sans souffrances et sans larmes pour oublier le rejet d’un copain, d’une copine. Le monde de demain avec ses heureux, ses malheureux, ses décideurs, ses rêveurs, ses revanchards, ses gagnants, ses perdants, ses pessimistes, ses optimistes… Il est bien là en germe, ce monde de demain, dans la cour de récréation. Et voilà que l’espace et le temps s’entrechoquent. Elle revoit l’école de ses débuts en briques rouges, le long d’une plage de la mer du Nord, et d’autres encore dans les vignobles de Bourgogne… Enfants d’ici, enfants de là-bas, enfants des villes et des campagnes, tous s’invitent pour sa dernière récréation. Des centaines de silhouettes colorées ondulent à présent dans la cour à la recherche de l’âme sœur. C’est ainsi que Séverine lui rappelle Coralie, et Samira, c’est Leila, Amandine, c’est Mathilde, Romuald pourrait être Sébastien ou Laurent, Anthony, Kamel… Une constellation sans fin. Pas un ne manque à l’appel. Elle veut n’en oublier aucun. Sans qu’elle sollicite sa mémoire, des scènes de classe se succédant comme dans une galerie de tableaux, des paroles et des travaux d’enfants leur donnant vie comme une musique familière lui reviennent en cascade. Et c’est la timide Marion, au regard triste à pleurer, qui, la première de tous ses élèves, écrira les lignes d’un 23
livre souvenir que Clémence appellera Mon recueil de Sagesse enfantine. Elle l’avait lu et relu, elle avait savouré, Marion, le conte L’œil du loup1, où Loup Bleu, né dans un désert de glace en Alaska, perd un œil dans sa bataille contre les hommes le jour de sa capture pour finir dans un jardin zoologique… Qu‘elle est belle sa rencontre avec N’Bia, le petit Africain né dans un désert brûlant de sable qui, lui, a parcouru toute l’Afrique pour survivre. Tous deux, exilés loin de leur pays natal, se racontent leur vie, par-delà le grillage d’un enclos, sans se dire un mot, juste par le regard. – Ce conte me fait rire, pleurer, rêver avec les belles histoires du conteur N’Bia… On voyage beaucoup et, quand je serai grande, je m’en souviendrai toujours pour le raconter à mes enfants et quand je serai grandmère à mes petits-enfants… Depuis, elle ne cessait de se documenter sur le vrai loup en lisant tout ce qu’elle avait rapporté de la bibliothèque. Marion voulait tout savoir sur son mode de vie, son habitat, son comportement… Elle ne pouvait plus imaginer un monde sans loup. Tout l’intéressait et, quand elle a découvert que le loup, toute sa vie, aime et chérit une seule et même louve, que les louveteaux au moment de la chasse sont toujours gardés par un loup baby-sitter de service au sein de la meute attentive et protectrice, elle avait lancé avec le cri du cœur : – C’est vrai tout ce qui est écrit dans les livres, maîtresse, c’est vraiment comme ça que ça se passe chez les loups ? Eh ben ! C’est pas comme ça chez nous, les 1 L’œil du loup : roman pour la jeunesse de Daniel Pennac, 1984, édition PKJ.
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humains. Mes parents, ils s’aiment pas comme le loup et la louve… et nous, les enfants, on reste toujours tout seuls devant la télé. Il y a jamais personne de la famille pour nous garder. Les papas et les mamans devraient prendre modèle sur la famille loup. Quand je serai grande, je n’oublierai pas comment sont les loups, ils seront mon modèle ; je ne veux pas faire comme mes parents ! Le soir, Clémence a pensé à Marion au regard triste, à sa volonté de faire autrement plus tard, à son rêve d’avoir une famille bienveillante. Elle a prié pour que ses parents se rendent compte de la souffrance de leur petite fille et qu’ils changent de comportement pour qu’elle se sente moins seule. Une image biblique connue lui est venue à l’esprit : celle de la maison bâtie sur le roc et qui résiste à toutes les intempéries de la vie. Mais pour cela, il faut trouver le bon architecte, et on peut le rencontrer dans l’Evangile de Matthieu1…
1 Adresse de l’architecte : Matthieu 7.24-27.
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mis ma confiance, je sais qui j’ai
choisi pour cheminer tout au
long de ma vie. » — MARIE THEULOT
retraite. A siffler la fin de sa dernière récréation. C’est l’occasion
pour elle de se rappeler quelques
épisodes marquants de sa car-
rière dans l’enseignement, entre remarques
cocasses
d’enfants,
drames familiaux et apprentissage du vivre ensemble.
Des souvenirs pleins de tendresse et, parfois, de questions sur la
place des convictions et croyances personnelles dans les classes, dans un contexte laïc. A savourer sans modération!
Avec une préface de Gabrielle Cadier-Rey (Université Paris IV-Sorbonne) Appréciée pour ses romans en lien avec la Shoah, Marie
Theulot est aussi une enseignante retraitée de l’éducation nationale en France. Elle est régulièrement sollicitée pour des conférences dans les écoles, collèges, associations et églises. Ici, elle puise dans ses propres souvenirs.
CHF 10.50 / 8.90 € ISBN 978-2-88913-032-0
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« Je sais en qui j’ai
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