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4. En prison

Personne ne peut servir deux maîtres.

Matthieu 6.24

Je me souviens que la police est revenue. Ils ont perquisitionné la maison parce que mon père avait été arrêté et transféré à la prison des Baumettes, à Marseille, ayant écopé de 18 mois pour braquage. Je revois ma mère assise, la police lui demandant: Comment allez-vous faire, pour vous et vos enfants?

Il était évident que nous ne pouvions pas rester dans cette loge du huitième arrondissement, avec mon père en prison et les scènes violentes auxquelles les voisins avaient assisté. Ma mère avait fait une tentative de suicide. J’ai vu comment ils lui ont bandé les poignets. Sachant qu’elle n’aurait pas l’aide et le soutien de son père et de sa mère et qu’ils ne pourraient donc pas nous accueillir, elle a dit à ma grand-mère algérienne: Je ne peux pas garder les enfants. Si vous ne les gardez pas, ils iront à l’assistance publique.

Alors ma grand-mère a répondu: Ce sont les enfants de mon fils, je ne les abandonnerai pas. Ils vont rester chez nous. (Merci, maman Zouzou…)

Ainsi, mon grand-père paternel est à nouveau intervenu pour nous aider. Il avait loué un logement dans un HLM de l’Essonne (91) pour ma grand-mère Fatima et mes deux tantes.

Mon oncle est resté à l’hôtel avec mon grand-père, qui passait ses journées là-bas à travailler et ne revenait que tard, après minuit, pour repartir à l’aube. Ma mère avait d’autres intentions… Elle nous a déposés, mon frère et moi, dans ce HLM, puis elle est partie. Je me souviens l’avoir entendue dire: Je ne peux pas m’occuper de vous, je quitte votre père. C’est moi qui vous recontacterai.

Et voilà comment elle est partie sans laisser d’adresse. J’ai su plus tard qu’elle était allée demander de l’aide à son frère aîné, René. Celui-ci a mis à sa disposition un logement appartenant à leurs grands-parents, à Paris. Ma mère a logé seule dans cet appartement, mais sans avoir d’emploi ni de revenu… Elle a accumulé les dettes auprès des commerçants du voisinage et aurait aussi signé des chèques en blanc. Floués, ils ont pris à partie mon oncle René. Ses parents, apprenant cela, ont refusé de laisser ma mère, leur propre fille, dans cet appartement. Toute autre forme d’aide lui a été refusée.

Mon oncle a peut-être eu, à un certain moment, l’intention de continuer à nous venir en aide, à mon frère et moi, et peutêtre bien aussi de nous recueillir, mais il s’est retrouvé devant une situation difficile, car il y avait un mur de séparation du côté des parents de ma mère depuis notre naissance. En outre, quand il a vu que ni mon père ni mon grand-père n’étaient prêts à nous lâcher, avec les risques de représailles que cela pouvait comporter pour lui, sa famille et ma mère, il a renoncé. C’est que mon père faisait peur, même depuis la prison!!

Peut-être aussi la famille de ma mère a-t-elle jugé qu’elle avait fait son choix, et qu’elle devait l’assumer. Nous, les enfants, devions aussi accepter cet état de fait et en subir les conséquences !!

Chassée de ce logement gratuit, ma mère est parvenue à se débrouiller tant bien que mal. Elle a un peu travaillé dans une clinique et s’est rapprochée du lieu où nous vivions, mon frère et moi. Mais sans vivre avec nous ni en exprimer le désir. Elle venait seulement nous rendre visite, de temps à autre. Une fois, elle nous a fait envoyer un cadeau de Noël. Une autre fois, elle m’a offert des boucles d’oreilles et m’a fait percer les oreilles. Nous y sommes allées ensemble, et je n’oublierai pas ces brefs moments de présence maternelle. Il y avait aussi quelque chose pour mon petit frère. Ce sont bien les seuls cadeaux que nous ayons jamais reçus d’elle. C’est dire à quel point nous les avons appréciés! Une énorme surprise qui nous a fait grand plaisir.

A une certaine époque (j’avais 6 ans, mon père était encore en prison), ma mère nous a invités quelques fois dans une chambre à la Bastille. Elle fréquentait alors un cuisinier qui travaillait dans un restaurant où elle était serveuse. Je me souviens de cet épisode. Elle fumait des Gauloises, et, quand je l’ai vue fumer, je suis allée m’enfermer dans les toilettes pour fumer moi aussi, comme une adulte. J’ai toussé. Je me déguisais en femme pour lui ressembler.

Plus tard, Eve a déménagé chez quelqu’un d’autre, dans un autre immeuble de la cité où nous vivions avec nos grands-parents. Quand je l’ai su, je suis allée la guetter et j’ai pu la voir. Elle m’a fait rentrer, et j’ai aussi vu le type qui l’hébergeait. Tout de suite après, ma mère est allée en prison pour ses chèques sans provision.

Mon père était encore en prison, à ce moment-là. Je me rappelle avoir été présente au procès, avec mes grands-parents. Mon père était menotté, dans une cage, comme une bête. Ça m’a brisé le cœur, et j’ai crié: «Papa, papa!»

Revenue dans mon lit, toute seule, j’ai prié pour lui en disant:

Mon Dieu, libère mon père de la prison.

Et j’ai fait le signe de croix, au nom du Père, du Fils et du SaintEsprit. Instinctivement. Sans connaître la signification des mots et du geste, ayant été élevée dans une famille musulmane.

Pendant cette période, ma grand-mère nous prenait dans son lit, mon frère et moi, et nous apprenait la prière musulmane en arabe. Quand nous faisions des bêtises, elle disait: Si tu jures que ce n’est pas toi, tu vas le jurer sur le livre de

Dieu.

Et elle sortait son Coran en nous menaçant de la punition divine qui attend le menteur. Elle jouait aussi du tambour et nous faisait danser et chanter en kabyle. Pour elle, c’était un moment de bonheur de se retrouver dans l’ambiance de son enfance. Ça mettait tout le monde en fête, et on chassait la tristesse avec Cherifa, chanteuse de Kabylie.

Puis, un jour où je jouais devant le magasin du HLM, une voiture est arrivée. Mon père en est descendu. Il sortait de prison. Là j’ai couru vers lui. Il m’a ouvert ses bras et il m’a serré fort contre lui. Nous sommes alors allés chez ma grand-mère, et il s’est installé avec nous. Il partait sur Paris et revenait régulièrement. Il est ensuite allé habiter dans une chambre de bonne, dans la capitale, seul. Pas chez mon grand-père. Dans sa chambre, il avait notre photo près de son lit. Quand il nous emmenait chez lui, nous dormions dans cette chambre avec lui, puis nous déjeunions chez «Huguette».

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