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5. Cinéma et terrible scène d’adieu

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4. En prison

4. En prison

Papa nous emmenait au cinéma où il nous laissait seuls, mon frère et moi, pendant deux séances, ce qui lui permettait de filer ailleurs. Cet endroit était notre «baby-sitter». Il me disait juste avant de partir: Tu veilles sur ton frère.

C’était difficile: j’étais encore bien petite. J’avais remarqué que, dans les toilettes du cinéma, il y avait des trous par lesquels les gens regardaient, et je ne voulais plus que mon cadet y aille tout seul. C’était la première fois que j’étais confrontée au voyeurisme.

Quelques mois plus tard, ma mère est partie pour de bon. Nous jouions dans le bac à sable, mon frère et moi. Mon père était aussi là, parce que mes parents s’étaient donné rendezvous. Ma mère est arrivée avec un homme et un chien. J’ai vu que cet homme avait une arme sous sa veste. C’est alors que, de but en blanc, ma mère nous a dit de choisir, mon frère et moi (nous avions 6 et 7 ans!). Nous devions décider: partir avec elle ou rester avec notre père. Nous sommes restés sans voix, complètement dépassés par les événements!! Quel choix atroce!!

J’ai alors entendu mon père lui répondre (à notre place):

Casse-toi! Je garde mes gosses.

Nous n’avons même pas pu prendre de décision, mon petit frère et moi. Notre mère est donc repartie avec cet homme, sans rétorquer. Sans nous. En nous laissant là.

J’ai le souvenir d’avoir vu notre père pleurer, plus tard dans la journée, une fois qu’elle était partie. Il nous a pris dans ses bras et nous a dit: C’est fini.

Je me rappelle avoir vu ma mère partir, quelques jours plus tard, depuis une fenêtre. Et j’ai moi aussi pleuré, ce jour-là. Je lui en ai voulu de ne pas m’avoir emmenée. J’aimais mon père, mes grands-parents, mais j’aurais également voulu avoir ma mère près de moi. Je me suis sentie terriblement abandonnée, ce jour-là.

Puis le temps a passé. Eh oui, il passe, qu’on soit heureux ou malheureux. Et malheureuse, je l’étais. Je souffrais terriblement, ma mère me manquait. Cela ne m’a pas aidée à l’école… en plus d’être la fille d’un voyou.

Question scolarité, après deux ans de petite école dans le dix-neuvième arrondissement où se trouvait l’hôtel de mes grands-parents, puis une année de CP dans le huitième, que j’ai redoublée en 1971, je me suis retrouvée à l’école primaire de M… où nous habitions avec ma grand-mère.

A l’école, on m’a reléguée au fond de la classe. Les enseignants m’ignoraient. J’avais un petit nounours en plastique dans mon cartable, auquel je parlais pendant les cours. Pour me sentir moins seule. Là, au fond de la classe.

C’est que les mamans de mes camarades avertissaient l’enseignante: Je ne veux pas cette gamine à côté de nos enfants.

Disaient-elles cela à cause de mes origines algériennes ou à cause de la réputation de mon père? Aucune idée. Je ne comprenais pas.

Résultat: j’étais une paria. J’étais encore plus malheureuse et je ne me sentais pas du tout à ma place. Du coup, j’accumulais du retard sur le programme. Pour couronner le tout, il n’y avait personne à la maison pour m’aider… Ma grand-mère était analphabète, et mon grand-père ne savait ni lire ni écrire en français. Mes deux tantes, nées en 1959 et 1962, se sont retrouvées avec la charge que nous constituions, mon petit frère et moi. Elles ne pouvaient pas non plus nous aider à faire nos devoirs, puisqu’elles avaient, elles aussi, de la peine à suivre. D’autant plus que ma grand-mère était malade du cœur et leur laissait, par conséquent, le ménage à gérer, surtout à la plus grande, Sania. Une fois, j’ai voulu réciter un poème à mon père, qui était là, et il m’a dit: Non, je n’ai pas le temps.

Sans nous apporter aucun soutien, il attendait de mon frère et de moi que nous lui apportions de bons résultats scolaires. En somme: «Débrouillez-vous, mais sachez que je vous considérerai comme responsables de vos résultats.»

Maintenant, bien des années plus tard, je comprends mieux la soif d’attention qui me dévorait à l’époque et qui m’a dévorée pendant de nombreuses années. Elle m’a poussée à faire des choses que je n’aurais jamais dû accepter, mais n’allons pas trop vite. Donc, je disais que mes débuts scolaires n’étaient pas fameux.

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