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TOKÉNISATION

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POST-BREXIT

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L’avenir sera-t-il aux cryptoactifs ?

La révolution crypto est en marche, même si elle s’exprime encore timidement en Europe et au Luxembourg. Derrière l’attrait grandissant des cryptomonnaies et les nouvelles possibilités qu’offre la tokénisation des actifs, c’est toute une industrie qui est appelée à se redessiner.

C’est en 2009 qu’est apparu le bitcoin. Le premier cryptoasset et la technologie sur laquelle il se fonde, la blockchain, ouvraient une nouvelle ère. Celle-ci s’accompagnait de nombreuses promesses de transformation pour l’industrie financière. La principale résidait dans l’idée de voir émerger un système financier décentralisé, qui puisse notamment se passer des nombreux intermédiaires de confiance nécessaires au bon fonctionnement de l’écosystème global. Une dizaine d’années plus tard, malgré de nombreux détracteurs, le bitcoin est toujours bien présent. Ces derniers mois, son cours s’est même envolé pour atteindre un sommet à 53.000 euros en avril dernier, suscitant un réel emballement auprès des investisseurs, autant que de craintes dans le chef des régulateurs et de certains acteurs du secteur financier.

Ruée vers le bitcoin Au cours de la dernière décennie, de nombreuses autres cryptomonnaies ont vu le jour à côté du bitcoin. Parmi les milliers de cryptomonnaies aujourd’hui recensées, on peut citer l’Ether, le Ripple, le Litecoin, le Dogecoin (pour la version parodique). Ces actifs d’un genre nouveau stimulent l’appétit de nombreux spéculateurs, désireux de pouvoir miser sur

un nouveau bitcoin et de profiter d’énormes plus-values. En un an, la valeur du bitcoin a été multipliée par un facteur de l’ordre de 8 à 9. Quel altcoin (comme on appelle ces cryptomonnaies alternatives) affichera la meilleure performance ?

« On assiste à un vaste mouvement de popularisation de la crypto. De plus en plus de gens investissent aujourd’hui dans les cryptomonnaies. Pas mal d’investisseurs ont profité de réelles plus-values qui leur sont associées », constate en effet Fabrice Croiseaux, CEO d’InTech, très impliqué sur les questions liées à l’utilisation de la blockchain au Luxembourg. Le dirigeant occupe notamment la fonction du président du conseil d’administration

Salomé Jottreau Illustration

Jan Hanrion (archives) Photo LAURENT KRATZ Cofondateur, Scorechain

Rien n’empêche « les acteurs de la Place de créer leur propre stablecoin, adossé à l’euro. »

d’Infrachain, initiative visant à encourager l’adoption de la blockchain, la technologie qui sous-tend les cryptomonnaies, et ce en partageant l’expertise, en participant à des projets, en diffusant des informations sur les cas d’utilisation opérationnels de la blockchain et en créant un écosystème international.

« On ne peut plus parler d’un épiphénomène. Un changement profond s’opère. Et les investisseurs, y compris institutionnels, de plus en plus, souhaitent pouvoir y prendre part en accédant à ces nouvelles classes d’actifs. Un exemple significatif est l’obligation de 100 millions d’euros émise par la Banque européenne d’investissement sur Ethereum le 28 avril dernier », poursuit-il.

L’idée de profiter d’une plus-value importante, rapidement, participe certainement à cette actuelle ruée vers le bitcoin. Toutefois, le mouvement n’est pas uniquement motivé par l’appât d’un gain facile, d’autant que les risques sont conséquents. La tokénisation des actifs, par ailleurs, ouvre d’autres perspectives nouvelles et très larges pour le secteur financier. Le sujet, en tout cas, ne laisse personne indifférent, avec des prises de position parfois diamétralement opposées, entre attitude réfractaire et optimisme débridé.

Couvrir le risque inflationniste « Les raisons qui poussent les personnes à investir dans ces actifs sont diverses. On a par exemple vu des entreprises utiliser une partie de leur trésorerie disponible pour constituer une réserve de bitcoins », poursuit Fabrice Croiseaux. En février, Tesla a en effet annoncé avoir acheté 1,5 milliard de dollars de bitcoins. « La démarche ne vise toutefois pas uniquement le buzz qui l’accompagne. Dans l’environnement économique actuel, propice à l’inflation, beaucoup d’acteurs cherchent à sécuriser leur trésorerie. L’investissement dans une crypto comme le bitcoin est un moyen de le faire », continue Fabrice Croiseaux. « Pour faire face à la crise, la planche à billets fonctionne comme jamais, complète Laurent Kratz, cofondateur de Scorechain, société qui accompagne les institutions financières dans une utilisation des cryptoactifs conforme à la réglementation. « Avec le bitcoin ou d’autres cryptomonnaies, on est assuré que l’émission de la monnaie, par la nature de celle-ci, est limitée. Il est impossible de produire des bitcoins à l’envie. En s’exposant aux cryptomonnaies, il ne s’agit donc pas uniquement de spéculer, mais de couvrir un risque de dévaluation des devises traditionnelles. » Le bitcoin, en particulier, est donc désormais considéré, par les entreprises comme par les particuliers, comme une valeur refuge au même titre que l’or.

Nouvelle concurrence Pour les acteurs traditionnels de la finance, cette tendance n’a rien d’anodin et doit être prise en considération. « Si une banque ou un gestionnaire d’actifs n’est pas en capacité d’offrir la possibilité d’investir dans ces nouveaux actifs, le risque est de voir les clients se tourner vers des plateformes qui leur permettront de le faire, poursuit le CEO d’InTech. Des acteurs émergent dans le monde de la crypto et n’hésitent pas à développer aujourd’hui de nombreux services entrant en concurrence directe avec ceux proposés par les acteurs traditionnels, comme des cartes de paiement, des solutions de trading. »

Face à cette nouvelle concurrence, la finance traditionnelle est de plus en plus invitée à se positionner. La question principale que ses représentants doivent se poser aujourd’hui réside dans leur volonté ou non d’intégrer les cryptoactifs dans les portefeuilles d’investissement proposés ou gérés.

Les grands gestionnaires d’actifs américains n’hésitent pas à s’exposer aux cryptoactifs. En Europe, le mouvement est nettement plus timoré. Et le régulateur, s’il a pu se montrer ouvert à ces évolutions, reste souvent prudent. « On ne voit cependant pas vraiment ce qui empêche les banques de la Place d’avancer dans cette voie, du moins en proposant des services à leurs clients liés aux cryptoactifs, poursuit Fabrice Croiseaux. Si l’on ne parle pas encore de développer des produits d’investissement en crypto, une banque peut pourtant faire tout ce qu’une plateforme d’échange propose, à l’instar de Bitstamp, acteur crypto jouissant d’une licence luxembourgeoise. » De cette manière, l’acteur bancaire peut éviter que des clients se détournent de lui pour privilégier des plateformes tierces.

Tokéniser les actifs Cette démarche serait en outre une première étape, amenant les acteurs à envisager de nouvelles formes d’actifs en s’appuyant sur la crypto. On parle en effet de plus en plus de « tokénisation des actifs ». Plus que les cryptomonnaies, le concept pourrait considérablement redessiner l’industrie financière dans son ensemble. Mais que recouvre-t-il ?

Tout cryptoactif est représenté par un jeton (token en anglais). Il existe des jetons de diverses natures. À côté des cryptomonnaies, on peut distinguer d’autres tokens, par exemple les utility tokens ou encore les security tokens. « Les utility tokens, ou ‘jetons utilitaires’, ont pour fonction de permettre l’accès à un service ou à un produit proposé par une entreprise ou une organisation décentralisée, explique Luc Falempin, CEO de Tokeny Solutions. Ils sont par exemple émis par un acteur qui souhaite préfinancer son projet, dans une opération appelée ICO (initial coin offering, ndlr). Grâce au token, l’investisseur aura la possibilité de s’offrir ou d’utiliser le service qui sera proposé. Le security token, d’autre part, définit un titre ou actif numérique. Il peut être considéré comme un véritable investissement ou un pur actif financier avec, pour son détenteur, des objectifs de profits à plus ou moins long terme. Il représente l’équivalent numérique d’une part dans le capital d’une entreprise, dans un immeuble ou de tout autre objet. »

Tout peut être tokénisé : un fonds, un immeuble, un grand cru, une œuvre d’art… Avec la tokénisation, de nombreux actifs qu’il était jusqu’alors difficile de fractionner peuvent être facilement partagés entre de nombreux investisseurs.

Les règles qui régissent l’émission des jetons et leur transmission, qui définissent leur fonction, sont établies par un smart contract. Ce dernier est déployé au niveau de la blockchain. Pour tenter une comparaison avec l’industrie financière établie, la blockchain constitue l’infrastructure sur laquelle on s’appuie et qui permet d’automatiser un grand nombre de fonctions. Le smart contract serait le fonds. Il détermine le type d’actif, les règles qui le régissent en matière d’émission, d’échange, de rémunération. Enfin, le token est la part de l’actif à laquelle on peut souscrire.

Un marché à redéfinir Quelles sont les opportunités liées à l’utilisation de la blockchain et au recours à des cryptoactifs plutôt qu’à des actifs traditionnels ? « La tokénisation des actifs au départ de la blockchain doit amener plus de flexibilité et d’efficacité au cœur de l’industrie des fonds », répond Luc Falempin. La société qu’il dirige, Tokeny Solutions, permet justement aux acteurs financiers opérant sur des marchés privés d’émettre, de transférer et de gérer des titres de manière conforme en utilisant la technologie du registre distribué. À travers elle, les acteurs peuvent entrevoir comment améliorer la liquidité des actifs.

Prenons par exemple un fonds d’investissement immobilier, dont les sous-jacents, à savoir les immeubles investis, sont peu liquides. L’investisseur ne peut pas y entrer ni en sortir quand il le souhaite, sous peine de lourdes pénalités. L’accès à ces actifs, en outre, est limité aux seuls investisseurs institutionnels

ou disposant d’un patrimoine extrêmement confortable. « La déclinaison de l’actif sous forme de jetons permet de fractionner un actif beaucoup plus facilement, pour le rendre accessible à des cibles d’investisseurs beaucoup plus larges. Elle offre la possibilité d’effectuer des échanges de jetons directement entre investisseurs à tout moment, sans contraintes liées à la vente effective de l’immeuble par exemple, précise le CEO de Tokeny Solutions. La technologie ouvre la voie à la création d’un marché secondaire entre investisseurs. Toute l’information sur les échanges et les détenteurs est consignée automatiquement dans le registre. »

Conformité embarquée « L’autre grand avantage de la technologie, c’est que la compliance est embarquée au niveau du smart contract  », explique Luc Falempin. Tout émetteur d’actif financier est en effet tenu d’appliquer la réglementation, et notamment de déterminer à quels investisseurs est destiné son produit, de vérifier l’identité de tout acquéreur d’un ou de plusieurs jetons directement entre investisseurs, sans devoir passer par l’émetteur ou d’autres intermédiaires, et ce même si l’échange se fait au niveau du marché secondaire. « Les règles sont donc définies au départ. Un investisseur qui souhaite acquérir un jeton devra par exemple prouver qu’il est qualifié pour, en s’identifiant auprès de l’émetteur, qui pourra procéder aux vérifications nécessaires, avant d’autoriser une transaction, poursuit le fondateur de la fintech. Toutes les démarches peuvent être largement numérisées et automatisées. L’émetteur dispose d’une vue sur l’ensemble des détenteurs de parts à tout moment, il peut bloquer des positions,

EMILIE ALLAERT Project lead, Luxembourg Blockchain Lab

Il est important, pour la place financière, de se positionner clairement visàvis de ces évolutions pour préserver sa compétitivité face à d’autres centres financiers. »

TOKÉNISER DES ACTIFS ?

La vraie révolution liée à la blockchain dans le domaine de l’industrie financière tient à la possibilité qu’elle offre de tokéniser des actifs. La tokénisation d’un actif consiste à convertir les droits qui sont attachés à chacun d’eux en un jeton numérique. Le processus est similaire à celui de la titrisation d’actifs, à la différence que les jetons numériques, et les informations qui lui sont associées, sont enregistrés au niveau d’un registre distribué : la blockchain. La technologie permet une plus grande transparence et favorise la traçabilité des transactions, puisque chacune est enregistrée et stockée simultanément sur un grand nombre de nœuds. À ce titre, la DLT (distributed ledger technology) est plus sûre que les moyens traditionnels de tenue de registre. En effet, les transactions doivent être validées avant d’être enregistrées et ne peuvent ensuite plus être modifiées.

autoriser des transferts, créer de nouveaux titres ou en détruire. Pour l’émetteur, gérer 10, 100, 10.000 ou 10 millions d’investisseurs devient beaucoup plus aisé. »

On peut comprendre tout le potentiel disruptif de la technologie. Elle automatise aujourd’hui de nombreuses fonctions de back-office, menées dans la finance traditionnelle par des tiers de confiance chargés de vérifier les transferts, de réconcilier les opérations menées à divers endroits. « On peut construire, au départ de la blockchain, tout un système financier décentralisé. Il est aujourd’hui tout à fait possible d’y reproduire l’ensemble des mécanismes existants, de développer des produits purement crypto qu’il sera possible d’échanger sans ces intermédiaires de confiance que sont les banques et les fonds, assure Fabrice Croiseaux. La blockchain s’apparente alors à une infrastructure commune, qui permet de diminuer les coûts, d’accélérer les opérations, d’accroître la transparence. »

Effectuer un transfert d’argent associé à un ordre, dans le monde traditionnel de la finance, peut aujourd’hui encore prendre plusieurs jours. Ces délais impliquent de réaliser des opérations de settlement (impliquant parfois un grand nombre d’intermédiaires), qui sont lourdes et coûteuses. Dans le monde de la crypto, en revanche, le transfert de cash est directement associé à l’ordre et exécuté instantanément. « Considérant les évolutions technologiques en présence, on comprend que les modèles actuels sont appelés à évoluer. Aujourd’hui, nous disposons de l’ensemble des outils, de l’accès à la blockchain publique, des logiciels, d’une série de smart contracts standards permettant à nos utilisateurs de s’engager dans la transition, assure Luc Falempin. Pour le régulateur, il est important de s’assurer des responsabilités de chacun. Le modèle que nous proposons permet à un émetteur d’établir des règles et autorisations dès l’émission et de s’assurer qu’elles seront respectées tout au long du cycle de vie du fonds. »

Confiance et transparence On comprend qu’il puisse être difficile, pour de nombreux acteurs de la finance, de se projeter, tant le changement est conséquent. De nombreuses fonctions et activités actuelles pourraient être rendues obsolètes. « Si les rôles des acteurs sont appelés à évoluer, je pense que l’ensemble des acteurs dont la fonction sera d’amener de la confiance aura toujours une place au cœur de l’écosystème financier. Toutefois, la manière avec laquelle ils mènent leurs opérations va changer pour contribuer autrement au bon fonctionnement d’un système financier plus efficient », poursuit Luc Falempin. Par exemple, l’obligation de mener un KYC (know your customer, ndlr) ne disparaîtra pas avec le recours à la blockchain et aux cryptoactifs. Il sera toujours nécessaire d’identifier les investisseurs, de chercher à repérer des transactions douteuses, dans une perspective de lutte contre le blanchiment, le financement d’activités illégales ou encore le terrorisme. « Les acteurs, que l’on parle de ceux chargés de réaliser le KYC ou de contrôler les transferts, sont donc appelés à s’inscrire dans ce nouvel écosystème, en profitant des possibilités que leur offre la technologie pour renforcer plus encore la confiance tout en permettant des gains d’efficience importants », poursuit le CEO de Tokeny Solutions.

Stablecoin, le chaînon manquant Aborder une telle transition, en outre, n’a rien d’aisé. À l’avenir, et encore pendant un temps, un monde financier crypto coexistera avec l’écosystème traditionnel. L’avenir de l’industrie des fonds s’inscrit-il forcément dans la blockchain ? Pour Laurent Kratz, la réponse n’est en rien évidente. « Aujourd’hui, réaliser des investissements dans la sphère des crypto implique forcément des transferts de devises traditionnelles contre des cryptomonnaies ou des cryptoactifs », explique-t-il. Dès lors, le back-office associé à la finance traditionnelle, celui dont on cherche à se passer à l’aide de la blockchain, s’impose encore et toujours. « Il n’y a donc pas de business case valable, poursuit le dirigeant de Scorechain. Tant que des devises traditionnelles entreront dans la boucle, on constatera des décalages entre le passage d’ordre et le transfert de cash. On passe à côté du principal intérêt de recourir à la blockchain. On essaie de faire entrer des carrés dans des ronds. Les vrais bénéfices ne pourront se révéler que lorsque l’ensemble des opérations pourra s’envisager au départ de la blockchain. En Europe, cela passera donc par la mise en œuvre d’un stablecoin lié à l’euro. Sans quoi cela n’a pas de sens. »

Marion Dessard (archives) Photo

Une devise numérique surveillée Un stablecoin est une monnaie digitale conçue pour que sa valeur soit indexée sur une cryptomonnaie, de la monnaie fiduciaire ou des matières premières négociées en bourse. Il existe déjà de nombreux stablecoins. L’USD Coin, lancé en 2018, est par exemple adossé au dollar et facilite des opérations crypto au départ de la devise américaine. Aujourd’hui, de nombreuses banques centrales étudient la possibilité de lancer leur devise numérique, notamment pour contrer la popularité des cryptomonnaies et garantir leur souveraineté durablement. L’Union européenne s’est engagée dans le projet de mettre en œuvre un cryptoeuro. Toutefois, selon les récents propos de Christiane Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, il faudra encore quatre ans pour que ce projet se réalise. À l’ère du numérique, c’est une éternité, et cela révèle avant tout un faible engouement des autorités pour ces changements.

Anticiper le changement Les acteurs luxembourgeois de l’industrie des fonds, s’ils veulent s’engager dans la voie de la crypto, pourraient faire preuve de proactivité et ne pas forcément attendre la naissance d’un cryptoeuro. « Rien n’empêche les acteurs de la Place de créer leur propre stablecoin, adossé à l’euro, commente Laurent Kratz. Pour cela, il faut qu’un consortium s’accorde pour émettre des jetons dont la valeur est indexée sur notre devise, en séquestrant un euro dans une réserve pour chaque unité de stablecoin émis. En créant ensemble un liquidity pool, une réserve partagée d’euros digitaux, les acteurs peuvent apprendre, envisager le développement d’un écosystème financier entièrement basé sur

PEUT-ON PIRATER LA BLOCKCHAIN ?

La technologie blockchain, sur laquelle s’appuient les cryptomonnaies et les cryptoactifs, réside dans un registre distribué, permettant de procéder à la vérification de l’information de manière décentralisée. À ce titre, elle permet de se passer des tiers de confiance comme il en existe pour garantir le bon fonctionnement du secteur financier. La question de la possibilité de pirater la blockchain se pose alors inévitablement… si l’on veut avoir la confiance des investisseurs. Pirater la blockchain est théoriquement possible, mais cela implique qu’une seule personne ou un consortium d’organisations parvienne à contrôler plus de la moitié (51 %) de la puissance de calcul nécessaire aux vérifications. L’effort de coordination nécessaire est conséquent, et les coûts peuvent rapidement être exorbitants. S’il est difficile de pirater la blockchain, ce n’est pas forcément le cas des plateformes d’échange de cryptomonnaies. Mieux vaut, dès lors, s’assurer de bien sécuriser son portefeuille.

LUC FALEMPIN CEO, Tokeny Solutions

« La tokénisation des actifs au départ de la blockchain doit amener plus de flexibilité et d’efficacité au cœur de l’industrie des fonds. »

la blockchain et se préparer pour demain. C’est à partir de ce moment que la technologie devient vraiment intéressante. »

Pour la place financière luxembourgeoise, il s’agit de continuer à bien appréhender tout éventuel changement majeur à l’échelle de l’industrie, de faire évoluer son écosystème en fonction, de rester innovant. Pour beaucoup, la révolution crypto est aujourd’hui inéluctable. Elle s’opère déjà en dollars américains. En euros, elle s’envisage encore à des échéances plus ou moins éloignées.

Pour les acteurs traditionnels, la course s’annonce rude et les menaces nombreuses. De nombreuses autres initiatives crypto doivent les inviter à agir. Nous avons évoqué Bitstamp, mais nous aurions aussi pu parler de Coinbase, dont on retiendra la flamboyante entrée en bourse. Comment ignorer, aussi, la volonté du consortium emmené par Facebook de créer la cryptomonnaie Diem (ex-Libra).

Si les acteurs de la finance traditionnelle veulent continuer à peser dans l’écosystème financier international du futur, il n’est sans doute pas trop tôt pour investir dans des projets crypto. L’enjeu pour l’industrie des fonds luxembourgeois est de ne pas se faire doubler par une autre Place, qui aurait eu l’audace d’avancer plus proactivement sur ces questions. Or, le débat sur les cryptoactifs, parfois encore mal compris, demeure sulfureux. Et Luxembourg, connue pour être le centre de gestion administrative des Ucits et, depuis peu, des fonds alternatifs, a tendance à se montrer timorée, craignant de mettre à mal sa réputation.

Bien se positionner Le Luxembourg n’ignore toutefois pas les enjeux liés au développement des cryptoactifs. Plusieurs initiatives ont d’ailleurs été prises autour de la technologie blockchain. Le Luxembourg Blockchain Lab, créé en décembre 2019, et qui regroupe Infrachain, la Lhoft, LetzBlock, le List et l’Uni avec le SnT, entend accompagner cette transformation. « Jusqu’à aujourd’hui, on constate un grand intérêt pour la technologie. Toutefois, l’écosystème financier a encore des difficultés à s’engager dans cette transformation. Une de nos missions est de fédérer les acteurs autour d’idées ou de projets pour appréhender proactivement ces défis, commente Emilie Allaert, project lead au sein du Luxembourg Blockchain Lab. Nous pensons qu’il est important, pour la place financière, de se positionner clairement vis-àvis de ces évolutions pour préserver sa compétitivité face à d’autres centres financiers. »

La France, avec sa loi Pacte, qui instaure un cadre pour les levées de fonds par émission de jetons (ICO) et les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), ne dissimule pas ses ambitions dans le domaine. « Dans ce contexte, pour préserver notre position à l’échelle européenne, il nous faut donc nous préparer, en faisant évoluer l’écosystème réglementaire, en procédant à l’analyse du cadre européen actuel et futur afin de pouvoir en tirer parti, poursuit Emilie Allaert. La technologie blockchain permet d’envisager d’importantes transformations de la sphère financière, réduisant les barrières à l’entrée pour certains actifs, permettant d’aller à la rencontre de nouveaux investisseurs, plus jeunes. C’est toute la logique de l’offre et de la demande liées à l’industrie qui pourrait évoluer. »

S’ouvrir de nouvelles perspectives La place financière luxembourgeoise a construit son succès sur une bonne anticipation des changements majeurs qui ont marqué l’industrie des fonds. Après Ucits, Luxembourg a admirablement négocié le tournant des fonds alternatifs avant de s’engager dans la promotion de la finance durable bien avant que le concept soit largement popularisé.

« La prochaine grande rupture sera peutêtre celle de la crypto. Si l’on veut garder une longueur d’avance, il nous faut considérer les opportunités sérieusement. Au-delà de la prise de conscience, il faut agir, dans l’intérêt du Luxembourg, dans le respect des réglementations et en veillant à préserver la réputation de la place financière, poursuit Emilie Allaert. Si une technologie s’impose, faisant craindre des changements majeurs, il est préférable de chercher à bien l’appréhender plutôt que de la repousser. Il faut pouvoir s’en servir, pour s’ouvrir de nouvelles perspectives. Dans cette optique, il faut se mobiliser, en premier lieu pour apprécier et comprendre les enjeux, travailler à la définition des actifs numériques de demain, adapter la réglementation en fonction. »

Andrés Lejona (archives) Photo

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