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EDSUN

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La liste

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Comme beaucoup d’artistes mis en sourdine ces derniers mois sur fond de pandémie, Edsun peut à nouveau rêver d’exercer son art vocal en public.

« I take my broken heart and turn it into art »

Edsun prépare son grand rendez-vous : la présentation, le 6 mai prochain, du travail d’un an de résidence à la Rockhal. L’occasion d’évoquer le recours à la chanson comme moyen de partager son expérience de vie tout en défendant la cause de la communauté LGBTIQ.

Interview JULIEN CARETTE AVEC THIERRY RAIZER Photo ROMAIN GAMBA

Vous finissez une résidence dans les locaux du Rocklab, l’incubateur dédié aux musiques actuelles et à l’accompagnement d’artistes à la Rockhal. Qu’étiez-vous venu y chercher ? Du temps ! C’est clairement la première chose que cela m’a apportée. J’ai pu me consacrer une année entière à ma musique, répéter avec mes musiciens, des danseurs, dans d’excellentes conditions. Tout ce travail va me servir pour la suite. Cette résidence a été à la fois une remise en question et le prolongement de mon évolution. Cela m’a remis aussi dans un état de workaholic. Et il va en ressortir quelque chose de nouveau, de totalement différent. Mais je n’en dirai pas plus…

On nous dit que vous travaillez beaucoup l’écriture des chansons. Dans le but de réussir à sortir un tube qui vous ferait connaître en dehors du Luxembourg ? Ce n’est pas ce que j’ai le plus travaillé lors de ma résidence. Mais je le fais lorsque j’œuvre sur mes nouvelles chansons en studio. Sans pour autant penser à l’éventuel succès qui pourrait en résulter. Je me laisse guider librement par l’inspiration. Si je gardais dans un coin de ma tête cette idée que je dois écrire un hit, cela me freinerait dans le processus créatif. Par contre, je visualise déjà d’autres choses : un clip, la déclinaison en live… L’éventuel succès, cela vient après. Lorsque je rêve.

Et de quoi rêvez-vous ? De très grands concerts. D’arénas, de stades ! De pouvoir chanter toute ma vie aussi. De continuer à apprendre et évoluer.

Quand on regarde et écoute vos clips ou vos prestations live, on se dit que vous avez une belle voix, que vous évoluez dans un style musical qui marche à l’heure actuelle et que vous livrez un vrai show sur scène. Qu’est-ce qu’il vous manque pour vraiment percer ? Je ne sais pas si ce qui me manque est un hit. Quand j’y réfléchis, j’ai plutôt l’impression d’avoir besoin de ce petit quelque chose ou de cette personne qui me mettrait dans la lumière. Une plateforme qui parierait sur moi, par exemple, ou même simplement un booker qui m’ouvrirait les portes de salles de concert situées dans de grandes villes. Des lieux importants où je pourrais montrer ce dont je suis capable. Bref, ce petit coup de pouce qui me permettrait de faire rentrer ma musique dans la vie des gens à une plus grande échelle…

BIO EXPRESS

Sans âge « Je suis né le 18 avril 19… » Au moment d’évoquer son année de naissance, Edson Pires Domingos, dit Edsun, s’arrête d’un coup. « Parce qu’un artiste n’a pas d’âge », dit-il en souriant.

Citoyen du monde Si Edsun se dit « citoyen du monde », il est né à Luxembourg de parents cap-verdiens ayant émigré jeunes vers le GrandDuché, histoire de trouver une meilleure vie. « Je me sens davantage Luxembourgeois. Mais quand je me rends au CapVert, j’y retrouve un sentiment de communauté qui n’existe pas ici… »

Artiste de 2018 La première édition des Luxembourg Music Awards en 2018 avait couronné Edsun : Artiste de l’année et Meilleure vidéo musicale pour la chanson ‘Lisa’. Que pensez-vous des plateformes comme Spotify, Apple Music, Deezer, Tidal… ? À notre niveau, financièrement, elles ne rapportent rien et sont plutôt là pour la promotion. Pour gagner un peu d’argent, il faut plutôt regarder en direction des radios nationales qui jouent nos morceaux…

Avant, pour percer dans la musique, vous aviez besoin d’une grosse major ou d’un agent important. Désormais, avoir une chanson qui marche sur un réseau social peut suffire. Est-ce vraiment plus simple ? Je ne sais pas… En même temps, le nombre d’artistes potentiels a fortement grimpé. Ce qui rend la part du gâteau beaucoup plus petite… Mais c’est vrai qu’il est bien plus aisé d’accéder au monde et de pouvoir offrir sa musique aux autres. Parfois, il ne faut même plus avoir un label avec soi. Un bon booker peut suffire. Dans le monde musical actuel, chacun peut détenir sa petite niche. Il faut juste réussir à la trouver.

Et votre niche à vous, l’avez-vous trouvée ? Sur le plan national, je pense que oui. À plus grande échelle, non. Mais je sais qu’elle est là, quelque part. Quand j’écris, je le fais à la base pour moimême, en tant que personne noire et LGBTIQ. Mais je sais que, dans ma niche, on retrouve d’autres personnes dans la même situation. Des personnes qui ont besoin d’être encouragées, qui étaient ou sont, comme moi, peutêtre un peu marginalisées.

Vous partagez donc votre vécu dans vos textes. C’est un vrai besoin chez vous ? Oui. Cela me permet de me libérer. Or, la liberté est justement une chose que j’essaie d’atteindre via mon « art ». Parce qu’en tant que

personne homosexuelle, je n’ai pas l’impression d’avoir pu en bénéficier durant mon enfance et mon adolescence. Aujourd’hui, j’essaie justement de m’approcher de ce sentiment grâce à ma musique.

C’est pour ça que vous pouvez apparaître assez décomplexé dans vos clips ? On pense par exemple à celui de ‘Miss Me’, où vous portez une robe de mariée… J’essaie surtout de montrer des images que je n’avais encore jamais vues moimême avant. Et que j’aurais aimé voir. Je me dis que ce sont des visions du monde que j’aimerais montrer, par exemple, à mes nièces et neveux, afin de leur apporter ce sentiment de liberté qui m’a justement manqué. Qu’ils sachent ainsi qu’un homme a le droit de se maquiller ou de se mettre du vernis sur les ongles.

La question de l’identité du genre n’a donc pas de sens à vos yeux ? Je crois surtout en l’identité de chacun. Mais je sais que nous sommes fortement influencés dès notre plus jeune âge. Qu’on nous inculque que les filles portent du rose et les garçons du bleu. Parfois, cela me brise un peu le cœur qu’on se limite ainsi à certaines idées qui nous ont été en quelque sorte imposées. J’avoue que cela me travaille beaucoup intérieurement. Toutes ces images que l’on nous met dans la tête sont des barrières. Des barrières que j’essaie de renverser à ma façon. Et porter une robe de mariée en étant un homme, c’est un peu une manière de tenter de le faire.

Un univers comme celui des affaires est également très normé. Quel regard portez-vous sur lui ? Je ne suis pas très familier de celuici. Mais je travaille avec des gens qui le côtoient plus. Des personnes qui, elles, se laissent davantage de liberté. Pour en venir à votre question, j’espère qu’un univers comme celuilà s’ouvrira un peu plus à l’avenir. À mon sens, ce que les clients recherchent avant tout, c’est de l’humain, de l’authenticité. Et il faut avouer que le classique costardcravate peut clairement s’afficher comme un obstacle à ce niveaulà.

À quel moment avez-vous réussi à vous affranchir des codes qui régissent notre société et peuvent brider l’expression de qui on est vraiment ?

« XAVIER BETTEL, UN SYMBOLE DE RÉUSSITE »

« Qu’une personne homosexuelle puisse atteindre ces fonctions est vraiment très inspirant », explique Edsun, au moment d’évoquer le Premier ministre, Xavier Bettel. Et l’artiste de relier les milieux politique et artistique, du fait qu’on y est « plus vite jugé qu’ailleurs. Or, ces jugements peuvent freiner certains à s’engager dans une voie… Xavier Bettel représente un symbole de réussite. » Et, pour Edsun, sa réussite peut influencer et convaincre d’autres personnes à ne pas renoncer. « Des personnes qui, à leur tour, pourront encore davantage influencer le futur. »

Je situerais ça à la période où j’ai sorti le clip de la chanson ‘Lisa’ (octobre 2018 sur YouTube, ndlr). Une chanson qui était présente sur mon deuxième EP, ‘You are not just one thing’. Le premier avait été marqué par des morceaux très sombres. Avec celuici, j’ai commencé à davantage m’ouvrir, à accéder à cette tentation de la liberté.

Y a-t-il eu un événement déclencheur ? J’étais beaucoup à Londres à cette époquelà. Une ville où, comme à Berlin où j’ai également séjourné, je ressentais un autre sentiment de liberté lorsque je me promenais dans la rue. Peutêtre qu’indirectement, cela a joué. Cela coïncide aussi avec la période où j’ai effectué mon coming out de manière, disons, plus officielle, auprès des personnes avec qui je travaillais.

En 2022, est-il toujours aussi compliqué de faire son coming out ? Oui. Je le vois clairement dans mon entourage, avec des personnes qui évoquent leur situation avec moi, mais qui n’en ont pas encore parlé avec leurs parents ou leurs amis. On continue à vivre dans une humanité où les codes en vigueur vous font ressentir que l’hétérosexualité est la normalité. Et où, si vous êtes gay, lesbienne ou bisexuel, on vous enferme alors dans une autre case. Et vous vivez pendant des années avec cette vision du monde à l’arrière plan… Faire son coming out reste donc très compliqué, même si la société actuelle est beaucoup plus ouverte.

« Être au Luxembourg, c’est un job précaire. »

Et tout cela influence et enrichit donc votre musique ? Oui. Mais j’essaie que cela ait un véritable impact positif sur moi. Au travers de mes chansons, je souhaite dire bye bye à tous ces aspects négatifs que j’ai pu vivre. Comme je le chante dans mon morceau ‘Apologee’, « I take my broken heart and turn it into art ». Cela résume assez bien ma manière de voir les choses. Aujourd’hui, le côté dark que j’évoquais est derrière moi.

Vous vous sentez comme une sorte de porte-voix d’une communauté, ou bien exprimez-vous simplement votre vécu afin de tenter de rendre d’autres personnes moins seules ? Je ne pense pas en savoir assez, ni avoir assez vécu, pour pouvoir me considérer comme un portedrapeau. Donc, je penche plutôt pour votre deuxième option. La musique que je propose, je tente juste de l’inscrire dans un processus de partage. Avec l’espoir que cela puisse toucher certaines personnes et leur faire du bien, en leur permettant de se rendre compte qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ou avoir vécu certaines choses.

Aujourd’hui, vous parvenez à vivre à 100 % de votre musique ? Entre les cachets pour mes prestations live et les droits d’auteur, oui. Mais j’emploierais peutêtre plutôt le mot « survie ».

Si un artiste reconnu comme vous au Luxembourg parle de survie, cela en dit long sur ce que d’autres doivent connaître… Être artiste dans le monde musical d’un pays comme le Luxembourg, c’est un job précaire. Mais quand je vois une artiste comme Jana Bahrich de Francis of Delirium réussir à faire de vraies tournées en Angleterre ou actuellement aux ÉtatsUnis, cela me motive. J’ai déjà bossé un peu avec elle et c’est une jeune fille très talentueuse et hyper cool.

Vous êtes photogénique et télégénique comme on peut le voir dans vos vidéos. Tout en possédant une vraie personnalité. Vous n’avez pas d’autres envies artistiques ? Si. J’aimerais bien tourner au cinéma. Par le passé, j’ai fait un peu de théâtre. Et là, j’ai bien envie de me remettre un peu dans le bain. Je ne me sens pas encore totalement prêt, mais quand je le serai, je me positionnerai de manière à tenter d’attirer l’œil des producteurs et autres responsables de casting. Mais, pour l’heure, je n’ai les yeux tournés que vers une chose : le concert du 6 mai à la Rockhal. On a tellement bossé dessus. C’est un rendezvous à ne pas manquer.

Anthony Dehez (archives) Photo

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