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La nasse à ouassous

Texte : Corinne Daunar LA NASSE À OUASSOUS Photos : © Julien Berhault - Pinterest

Très prisé pour sa chair dont la saveur est à mi-chemin entre la crevette et la langouste, le Ouassou, cribiche, z ’habitant ou queue rouge bouc, suivant que vous serez natif d’une île ou de l’autre, remporte depuis toujours la faveur des gourmets antillais. Mais pour pouvoir s’en régaler encore faut-il l’attraper… A la découverte de la petite nasse à Ouassou, à ne pas confondre avec sa grande sœur de pleine mer !

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De l’herbe à la nasse : une histoire de gourmand

Pour rendre l’histoire de cette traque millénaire, il faut remonter en avant de la colonisation ! C’est au creux des rivières, celles qui lèchent le pied des mornes et en ravinent les parois, que se pose le terrain de jeu. Les candidats à la chasse, eux, sont nombreux : les Caraïbes déjà, n’auraient pas laissé passer l’opportunité de déguster ces grosses crevettes. Et pour les débusquer, ils ont développé de bien efficaces techniques. La principale consistait à enivrer les petites bêtes à l’aide de feuilles de Zèb pwazon, (Tephrosia Cinerea) en coinçant les herbes entre deux roches au fond d’un bassin, à l’entrée même de leur cache supposée. Les ouassous, wassous, roi des sources ou roi soul (on ne sait trop) étourdis, remontaient à la surface pour finir cuisinés à la façon matété. Festin garanti ! Quelques encablures de temps plus loin, l’herbe à enivrer étant devenue aussi rare que les indiens Caraïbes et afin de perpétuer la pêche en eaux douces, il fallut s’adapter et trouver de nouveaux traquenards à cribiches. C’est ainsi que les nouveaux occupants des jeunes colonies inventèrent la nasse en bambou. Il était alors question d’un cylindre d’éclisses de bambou en forme d’entonnoir. À l’intérieur (un peu à la manière de la boite à crabes), l’on plaçait de menus morceaux de noix de coco ou d’orange, accompagnés de termites et autres appâts de même nature. Une pierre permettait de maintenir vers le fond le piège qui, relevé, arborait de véritables trésors protéinés. La technique, astucieuse, est acquise : elle ne souffrira que peu d’altérations dans le temps.

L’art et la manière

Preuve en est : des pans de siècles plus loin, assis sur son banc, Léandre installe le nécessaire pour monter sa nasse. Il dépose quelques tiges séchées à point et sélectionnées avec soins à la lune descendante, de la Siguine, cette liane que déjà utilisaient les amérindiens, son couteau dont il ne se sépare jamais et un bon sécateur. Considérant qu’il ne lui manque plus rien, il se saisit d’une baguette, ni trop grosse, ni trop tendre et se met à l’ouvrage. Commence alors le processus de fabrication. Après avoir décortiqué le bambou, il le coupe en lamelles plates et taillées en pointe.

Ce travail accompli, il entreprend de les nouer entre elles avec minutie pour fabriquer deux pièges en forme d’entonnoir : le plus large servira d’embouchure pour l’imprudent crustacé tandis que le second, plus petit, le retiendra prisonnier. En un tour de main il confectionne un opercule par lequel est introduit la pâture. Du bout des doigts, il ajuste le corps de la nasse à l’aide de liens serrés. Enfin, pour maintenir le tout, il utilise trois anneaux en bois de rose. Il en pose à chaque extrémité et un autre en son milieu. La porte est fixée et l’assemblage achevé. Après examen minutieux de son ouvrage, Léandre, une nouvelle brassée de bambou en main, se raconte…

« Tout enfant, j’allais pêcher les ouassous à la rivière avec un simple fil de pêche, un hameçon et quelques termites. Et puis, un peu plus vieux, C’est en « grenat » (mobylette) que je dévalais les pentes, chargé de nasses pour assurer de belles fricassées. Il m’arrivait de ramener jusqu’à trois kilos de cribiches, mais parfois, la nasse restait vide… c’était comme ça ».

Et de continuer : « Il n’y a pas spécifiquement de meilleur journée pour poser les nasses. C’est le matin, le soir tous les jours de l’année ! Quelle que soit la lune.

Le secret pour une belle pêche, comme pour fabriquer une belle nasse du reste, c’est de prendre son temps et de persévérer… »

Si aujourd’hui la nasse à ouassous se fait discrète au point de sembler s’évanouir sous le coup du temps, il est encore une poignée de passionnés et néanmoins gourmets pour se porter garant de ce savoir-faire séculaire. Et c’est tant mieux, tant les wassous sont un ravissement pour les palais, autant qu’une tradition profondément ancrée dans les creux de rivières des mornes les plus paisibles de nos îles.

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