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Le ciment comme matière
Texte : Corinne Daunar Crédit photos Marie Anick Toula Le ciment comme matière
De sa vie elle ne nous dira que très peu. La femme est discrète, presque secrète. C’est en banlieue parisienne auprès de sa mère, qu’elle écoule sa jeunesse, au creux d’une culture antillaise portée là par le BUMIDOM : elle y suit le cursus classique, mais rêve de formes et de couleurs. Et si Marie Anick aurait aimé croquer des études d’arts plastiques, l’air du temps en décide autrement. Le grain est cependant planté : à la station des Arts-et-Métiers, l’ado un tantinet « baba cool » n’imagine pas qu’un jour elle en fera son métier. Marie Anick est artiste Plasticienne Designer. Rencontre.
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Une pratique plastique tout en méthode et en technique
Il lui faudra cependant encore attendre quelques années avant de voir son destin prendre forme. De retour en Martinique quelques décennies plus tard, elle retourne sur les bancs de l’école et se forme en sérigraphie, touche à la haute-couture, et, comme nous sommes tous des passeurs, elle suit une formation artistique à l’Institut Régional d’Arts visuels de la Martinique, qu’elle enseigne aujourd’hui. Forte de ses acquis et constatant le regain d’intérêt pour la décoration dans la société martiniquaise et l’ouverture
au monde, elle se lance à corps perdu dans son nouveau métier d’artiste designer. Et son projet est bien défini : enrichir son univers d’un style unique, que vient nourrir méthodiquement le patrimoine culturel, historique, géographique, de la Martinique, pour proposer des objets ouvrages d’art et de design : « Il ne s’agit pas de se distinguer idéologiquement, précise-t-elle, mais de produire un style à partir d’un lieu, de son imaginaire collectif, de son histoire et de l’existant (ici et maintenant). Par exemple, faire sortir du musée des éléments de décoration, les intégrer aux objets de la vie quotidienne, mettre en relation objets, murs, intérieur, extérieur, couleurs, sons, odeurs pour créer des espaces contemporains de vie quotidienne et de loisirs, intimes ou publics ; exotiques pour les gens de l’ailleurs ; sensibles et sujets à l’appropriation pour les gens d’ici. C’est pourquoi mes différents projets se fondent sur des études : formelles, chromatiques, anthropologiques en vue de proposer des objets du 21e siècle, utilitaires, décoratifs mis en scènes dans la création d’espaces... ». Et ainsi se définit le motif.
« L’art comme moyen d'expression de la liberté créatrice »
Commence alors la recherche du support créatif, où l’hétéroclite devient matériau : ici, la grenouille et le bœuf ou le trait d’horizon s’esquissent sur les lames d’une jalousie ou l’ondulé d’une tôle zinguée. Là une chaise en feuille de raisiniers en cuivre martelé et fer à béton forge la rencontre entre l’urbain intense de l’île et sa nature profonde. L’intime créole diffuse avec ce paravent « autoportrait », laminé de persiennes, contreplaqué, marqueterie, Spathe de palmier royal de techniques mixtes. Le bois et le ciment teinté dans la masse invitent au parcours temporel que la matière elle-même, au-delà du motif, propose.
Ce béton roi, justement, elle en fait son meilleur argument : à la manière des muralistes, elle en tire des objets de décoration, dont certains s’intègrent dans le gros œuvre et tend vers la conception des villes collectives. Bas-reliefs, mobilier extérieurs, fresques monumentales… Marie Anick, appuie sa pensée d’art sur le vivant du ciment. Son expression la plus puissante : le TOTEM, lien puissant, borne de sagesse dont la lucarne enserre le rocher du Diamant et l’Espace Muséographique Bernard David. Au creux du bourg de ville, le tronc rituel se zèbre de traits amérindiens, et organise autour de lui un espace originel et collectif entièrement repensé par Marie Anick Toula.
De ces marqueurs d’histoire et d’art, il est question partout sur l’île : notre mosaïste, toujours en quête de l’excellence, redessine l’espace public, en réaménageant l’amphithéâtre la forêt de Vatable ou la place amérindienne des Trois Ilets. Plusieurs tables d’orientation en céramique émaillée bornent l’île, la replacent dans son bassin et l’ouvrent au monde. Dans ce foisonnement créatif, l’art-design de Marie Anick Toula cimente les cœurs, les hommes et le temps.