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Les Marrons, de Louis Timagène Houat

Texte : Corine Tellier Lithographies de Antoine Louis Roussi Les Marrons, de Louis Timagène Houat

La réalité rejoint la fiction

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A l’occasion de la réédition aux Presses Universitaires Indianocéaniques du roman de Louis-Timagène Houat, « Les Marrons », intéressons-nous à ce phénomène qui a marqué la période esclavagiste et continue d’être un marqueur fort contre la répression à tout type d’asservissement.

Cet ouvrage qui est considéré comme le premier roman réunionnais a été publié la première fois en 1844, soit 4 ans avant la proclamation de l’abolition de l’esclavage pour les colonies détenues par l’Empire français. Mulâtre, son auteur n’est pas esclave mais il est sensible à leur condition. On peut même le considérer comme un anti-esclavagiste : professeur de musique voulant créer des écoles et des journaux, il est arrêté pour incitation lors d’une révolte d’esclaves à Saint-André. Même s’il a été blanchi, ce neveu du célèbre Jean-Baptiste Lislet Geoffroy, a dû faire de la prison et a réchappé de peu à l’enfermement à perpétuité sa peine ayant été commuée en exil politique en 1836. La suite de la vie de ce Réunionnais encore trop méconnu, devenu médecin sous Napoléon III, sera toute aussi rocambolesque qu’exemplaire, voir fascinante. « Les Marrons » est bien une œuvre de fiction mais on pourrait y déceler des accents de manifeste ou tout au moins en écho à la situation des esclaves. Sans trop vous en dévoiler (nous vous laissons le plaisir de la lecture), en voici l’argument : on y suit les aventures et mésaventures de Frême, un esclave natif qui se retrouve à partager la vie et le sort de nouveaux compagnons de route issus de la traite négrière avec Madagascar, les Marrons, ces esclaves qui ont choisi la liberté au péril de leur vie.

Que recouvre d’ailleurs cette appellation ? Si l’étymologie reste incertaine, on comprend que le sens est celui d’un retour à la vie sauvage. L’esclave fugitif, défini comme un « bien meuble » par le Code noir n’est-il pas pris pour tel par les maîtres de l’époque ? Les causes de la fuite sont multiples : échapper à une brutalité et à de mauvais traitements, à des châtiments ; une nourriture insuffisante peut aussi motiver un départ. Les raisons sentimentales sont aussi évoquées par les historiens ; auxquelles fait écho à sa façon le roman : c’est notamment pour vivre librement son idylle avec une blanche, Marie, que Frême s’en va marron.

Le marronnage est une forme de rébellion qui a fleuri dans la majorité des pays où a sévi le régime esclavagiste : aussi bien les colonies françaises qu’anglaises par exemple. L’objectif : rejoindre des endroits inaccessibles pour échapper à la vigilance des colons. C’est ainsi qu'à La Réunion les marrons ont contribué à souligner la géographie des Hauts qui ont gardé des souvenirs de leurs traces : Mafate, Anchaing, Cimendef... Pour être complet, il faudrait être capable de citer le nom des chasseurs de marrons qui ont arpenté le territoire escarpé à leur poursuite, tels François Mussard. C'est en effet le risque du marronnage, se faire rattraper et, outre la punition exemplaire, de perdre définitivement sa liberté.

Le phénomène du marronnage n'aurait pas été massif : pas plus de 10% des esclaves, nous précisent les historiens, mais il est resté vivace dans notre imaginaire collectif, notamment à travers les résurgences de l'œuvre de Houat trop longtemps restée inconnue.

Les premières pages de son roman viennent ainsi d'être reproduites lettre par lettre sur des panneaux qui se déploient tout au long du boulevard sud (entre le rond-point de la Région et celui du Moufia) par l'artiste Stéphanie Lebon qui a confié vouloir « mettre en lumière cette œuvre essentielle du patrimoine littéraire réunionnais ». Evoquons enfin la grandiose fresque peinte sur un mur d’immeuble dans le quartier dionysien de La Rocade au Moufia. L’auteur, Meo que les lecteurs fidèles de Maisons Créoles connaissent bien : en haut à droite si vous vous approchez de ce chef-d’œuvre une mention en forme d’hommage et de clé d’interprétation, « Les Marrons (1844), Louis-Timagène Houat ». Cette femme en longue robe blanche qui tient entre ses mains une Réunion qui semble flotter comme en lévitation n’est-elle pas un clin d’œil à ces femmes esclaves qui ont décidé de fuir dans les hauteurs de l’île dont on voit, en arrièreplan de la fresque, les pitons et remparts ? Elles avaient le nom d’Héva, Simangavole, Rahariane... Les Marrons, mais aussi les Marronnes, ou comment laisser nos esprits vagabonder au gré des détours de notre histoire, de nos histoires.

Remerciements à la Bibliothèque Départementale de La Réunion qui nous a amicalement offert l’ouvrage ; un roman paru en décembre dernier aux Presses Universitaires Indianocéaniques et dont elle a participé à la réédition, au même titre que Raoul Lucas, infatigable défenseur de l’œuvre de Louis-Timagène Houat. La rarissime édition originale est accessible ici :

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