Anis Amri .. Le clandestin-terroriste de Berlin

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Criminalité financière : Le GAFI se dotera d’une structure juridique

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Nita Lowey : L'alliance islamique sous la direction de l'Arabie Saoudite contre le terrorisme

Eliot Engel : L'Iran et la Russie jouent " des rôles négatifs" dans le conflit syrien

Issue 1633 - Fevrier 27/02/2017

Un magazine politique hebdomadaire

Anis Amri .. Le clandestinterroriste de Berlin

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Entretien avec Emmanuelle Guattari La

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couverture

Anis Amri.. Le clandestinterroriste de Berlin Par Chokri Ben Nessir

Début de la radicalisation

En effet, le jeune tunisien laisse pousser la barbe, écrit des versets du Coran en rouge sur les murs de sa cellule et observe une forme de repli. Il est soumis à un monitoring spécial mais continue quand même à Originaire d’El Oueslatia (gouvernorat de Kairouan), afficher une attitude agressive envers les autres détenus. Anis Amri, profitant du chaos sécuritaire qui régnait en Dans cette prison de Sicile, il menace un détenu: « Tunisie, fuyant une condamnation par contumace de Chrétien, je vais te couper la tête», lui assène-t-il. C’est quatre ans de prison pour vol et cambriolage, embarque d’ailleurs la raison pour laquelle la direction de la prison illégalement vers l’île italienne de Lampedusa où il avait signalé au Comité de lutte contre le terrorisme un arrive le 4 avril 2011. Il avait dix-huit ans. Il ment sur comportement suspect d’Amri. son âge et déclare avoir 17 ans. Le 7 avril, les autorités italiennes le placent dans un centre d’accueil pour Son parcours carcéral le mènera, le 10 janvier 2015, à la prison d’Ucciardone à Palerme, pour des « raisons mineurs à Belpasso à Catane. de sécurité ». Pendant les quatre ans de prison qu’il Sept mois après, durant la révolte des immigrés, a passés en Sicile, Amri a été impliqué dans des Amri est arrêté, le 23 novembre à Catane, parmi les épisodes violents. En juin 2015, il est libéré. L’Italie agitateurs de la manifestation des clandestins qui ont demande son expulsion vers la Tunisie, mais les brûlé notamment un pavillon du centre. Il est condamné autorités Tunisiennes exigent d’abord la vérification à quatre ans de prison ferme. Le 1er juin 2012, il de son identité, ce qui nécessitera deux à trois mois est transféré à la prison de Enna où il fait l’objet de de procédures. L’Italie lui ordonne alors de quitter le mesures disciplinaires pour « attitude agressive et territoire et il rejoint l’Allemagne, qui est alors au début intimidation d’autres détenus ». Six mois après, il est du pic de la crise migratoire et verra arriver près de 900 transféré à la prison de Sciacca. Il y passera deux mois 000 demandeurs d’asile fuyant la guerre et la misère, avant d’atterrir à la prison d’Agrigento en janvier 2014. en juillet 2015. Entre juillet 2015 et avril 2016, il fait Les surveillants consignent dans leurs rapports une « la navette régulièrement entre Berlin et la région de la Rhénanie-Nord-Westphalie. Il entre en contact avec des tendance à la radicalisation » de Anis Amri. Récit des dernières heures d’un parcours rocambolesque d’un jeune parti de son village rural à la recherche d’un eldorado mais qui basculera dans le terrorisme.

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Angela Merkel


sous différentes identités. Des écoutes ont pu établir qu’il était en contact permanent avec les milieux radicalisés. Le renseignement allemand savait, selon les médias locaux, qu’Anis avait proposé ses services pour un attentat-suicide et qu’il s’était renseigné sur la fabrication d’explosifs, depuis que sa demande d’asile a été déboutée en juin 2016. Mais au final, ils ont estimé ne pas disposer d’éléments probants justifiant son arrestation, se limitant ainsi aux formalités de son expulsion.

Avec les recruteurs et les imams radicaux Durant cette période, Anis Amri entre en contact avec

Anis Amri, terroriste de l’attaque de Berlin

imams radicalisés et cherche à nouer des relations avec le groupe Etat Islamique. Installé en Allemagne, il demande l’asile. Mais il va jouer au chat et à la souris pour flouer les différentes administrations régionales allemandes en circulant d’une région à l’autre et en se faisant enregistrer La

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le réseau A. Ahmad Abdullah Abdulaziz alias Abou Walaa, un Irakien de 32 ans qui a rejoint l’Allemagne en 2000 et qui est considéré comme le plus grand représentant d’Isis en République fédérale. Abou Walaa est soupçonné d’être le chef d’un réseau djihadistesalafistes qui a la tâche de recruter les jeunes combattants pour les envoyer en Syrie. Amri ne représente pas un élément central de ce réseau, mais finit par se lier à eux très peu de temps après son arrivée en Allemagne, de l’Italie.

Il voulait se battre avec l’Isis Selon les documents cités par le «Süddeutsche Zeitung», Amri aurait prévu de se rendre en Syrie pour rejoindre l’Etat islamique et, à cet effet, il serait allé plusieurs fois en Basse-Saxe dans la seconde moitié de 2015


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pour s’entraîner avec un groupe composé d’adeptes de l’Isis, en marchant 16 kilomètres avec un sac à dos lourd. Le leader du groupe serait le même Walaa, qui a prêché pendant une longue période dans une mosquée de Hildesheim (Basse-Saxe), a examiné l’adresse principale pour les cercles salafistes allemands (en 2013 les services secrets allemands ont recensé 5.500 salafistes en Allemagne, en 2014, ils étaient déjà 7.000 et près de 8350 à la fin de 2015). En fait, plutôt que sur la Syrie, le groupe auquel se joint Amri, préfère se concentrer sur l’Allemagne et, selon les autorités, des plans d’attaques ont déjà été élaborés depuis 2015. Parmi les scénarios envisagés, les attaques contre les postes de police à coups de grenades, des exécutions d’agents, massacres collectifs avec plein d’explosifs jetés dans la foule. La police allemande avait réussi à infiltrer le groupe et aurait eu vent des activités de Anis Amri. Mais le jeune tunisien, avec de multiples fausses identités, réussit à garder le contact avec d’autres membres du réseau Walaa. Dans Duisburg, il a visité l’agence de voyages Hasan C, où une cinquantaine de Turcs sont soupçonnés de transmettre à l’arrière-boutique des serments de l’islam radical et des cours d’arabe aux jeunes allemands afin de les préparer à rejoindre Isis. Pendant ce temps, Amri, rencontre à Dortmund Boban S. Aka Abdurrahman, 36 ans, Serbo-Allemand, considéré comme un prédicateur radical. Le 8 novembre dernier, l’étau se resserre aurtour du réseau. Walaa est arrêté avec Abu Hasan C., S. Boban et deux autres personnes. Les enquêtes en cours ont montré que le jeune tunisien a essayé, depuis, d’obtenir les fusils à tir rapide à travers des contacts dans les milieux islamistes français. Le 19 décembre, il passe à l’acte en lançant un camion contre le marché de Noël à Berlin. L’attentat a fait 12 morts et des dizaines de blessés. Ses empreintes digitales ont été retrouvées à l’intérieur de la cabine, à l’extérieur et sur la porte du camion. Cet acte terroriste fera de lui l’homme le plus recherché et une chasse à l’homme à l’échelle européenne est lancée.

L’homme le plus recherché d’Europe Pendant sa cavale, qui durera cinq jours, sa famille, qui croit dur comme fer qu’il est innocent, l’implore de se présenter à la justice. Ses parents affirment aux médias qu’Anis avait quitté son pauvre village (Oueslatia) avec l’espoir de trouver une vie meilleure en Europe.

«Anis est aussi parti pour fuir la misère. Il n’avait aucun avenir en Tunisie et il voulait à tout prix améliorer la situation financière de notre famille qui vit en dessous du seuil de pauvreté, comme la majorité des habitants de Oueslatia», affirme Abdelkader Amri, le frère d’Anis. «Il nous contactait via Facebook, il nous disait qu’il voulait rentrer en Tunisie mais qu’il devait d’abord gagner un peu d’argent (...) Dix jours avant l’attentat, il nous avait dit qu’il comptait rentrer au bled en janvier», indique Walid. C’est la dernière fois que la famille dit avoir été en contact avec lui. La

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La famille Amri


Fin de parcours

lui demandent de vider son sac à dos, le terroriste, calme, Selon les enquêteurs, au cours de sa cavale, Anis Amri dégaine son pistolet calibre 22, avec un mouvement avait transité par la France. Il serait parti de Chambéry soudain et inattendu, crie «Allahou Akbar», tire et touche (Savoie) et arrivé à Milan après être passé par Turin. Le 23 à l’épaule l’agent Movio. Bien que blessé, l’agent prend décembre 2016, à 3h08 du matin, Anis Amri sort de la gare son arme et riposte par un coup de feu, mais Amri est déjà Sesto San Giovanni (Milan), un sac à dos en bandoulière. derrière la voiture essayant de se cacher et peut-être pour Il arrive de France (Chambéry) via Torino par train. Son «être en mesure de refroidir les deux agents.» À ce momentallure de Maghrébin attire l’attention de deux policiers en là, l’agent Scata, fait le tour de la voiture, surprend Amri et faction. Les deux agents, qui sont Luke Scata et Cristian le foudroie avec deux coups de feu. Le dernier mot d’Amri Movio, interpellent Amri, qui est sans papiers, mais avant de rendre l’âme a été «bâtards de policiers.». Ainsi «parle bien l’italien avec un accent étranger.» Lorsqu’ils fut abattu le terroriste de Berlin. La

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Eliot Engel: L'Iran et la Russie jouent des rôles négatifs dans le conflit syrien Par Mostafa El-Dessouki Eliot Engel, représentant démocrate au Congrès pour l'Etat de New York est le chef des élus démocratiques du Comité des Affaires étrangères au Sénat américain. Il a travaillé

Il s'est opposé à son parti et critiqué fermement le plan d'action global commun en le décrivant comme «mauvais accord». Il est prêt pour soutenir n'importe quelles mesures prises par la direction de Trump afin de renforcer la politique américaine de durcissement envers l'Iran et ses mandataires. A propos de sa vision de la position de l'Amérique à l’égard du régime iranien et des craintes que représente l'Iran sur les plans, régional et international, Al-Majalla a eu un bref entretien avec Engel . Ci-après le texte de l'interview :

L'Amérique doit adopter une position ferme vis-à-vis de l'Iran qui demeure la principale cause des troubles au Moyen Orient aux côtés du membre du Congrès et président du Parti républicain Ed Royce, formant tous les deux la principale force motrice de la législation du Congrès appuyant le régime des sanctions internationales imposées à Téhéran, avant de signer l'accord sur le nucléaire avec l'Iran appelé «plan d'action global commun».

< A quoi vous êtes parvenu après votre expérience acquise sur la politique envers l'Iran à la lumière des craintes actuelles envers elle ? Réponse: Je pense que les États-Unis d'Amérique avaient et ont toujours besoin de prendre une position ferme envers l’Iran. Je ne pensais pas du tout que le régime iranien ou ses membres -

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Eliot Engel pendant une conférence au House Studio A (Getty)


comme (le président) Rouhani - sont modérés sous n'importe quelle apparence. Je pense que le président Obama était de bonne foi, mais je ne suis pas d'accord avec lui et j'ai voté contre le projet de loi sur l'Iran et du plan d'action global commun parce que je ne pense pas vraiment qu'on peut faire confiance en le gouvernement iranien dans tout cela ou dans l' ensemble des négociations. Le gouvernement iranien n'a pas réduit le nombre de centrifugeuses ou d’enrichissement de l’uranium, et je sentais que nous devrions placer ces questions comme des conditions fondamentales.

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La Russie a tenté de "gâcher" l'élection présidentielle américaine Ainsi, il semblerait qu'ils ont pointé une arme sur nous. Je me suis opposé à l'accord pour plusieurs raisons, dont deux raisons principales, à savoir que l'Iran est venu à la table des négociations, car on avait imposé des sanctions qui lui ont causé des dommages au moment il


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n'a pas d'argent, et ensuite parce que sa monnaie était sans valeur du point de vue pratique. Sa jeunesse insoumise n'était pas satisfaite des opportunités de vie dans le pays. Alors que le gouvernement ne disposait pas de fonds suffisants pour faire le travail essentiel qui doit

monde argent pour commettre le pire. "Hezbollah» est le mandataire de l'Iran. C'est certain qu'en Syrie, «Hezbollah» a eu un impact sur le processus de l’évolution de la guerre. A maintes reprises, Assad (président du régime syrien) avait essuyé l'échec, à tel point que son régime semblait chuter. Mais l'Iran a ramené «Hezbollah» pour combattre à ses côtés et l'a aidé. Après ce sont les Russes qui ont débarqué avec leurs forces aériennes en Syrie pour détruire "Daesh", mais en réalité, ils visaient à détruire l'armée syrienne libre. Donc, je pense que l'Iran et la Russie jouent un rôle négatif.

Le chef des membres démocrates au Congrès: l'Amérique doit poursuivre ses relations amicales avec l'Arabie Saoudite être effectué par un état. Néanmoins, l'Iran a été et reste le plus grand Etat parrain du terrorisme dans le monde. Mais mon avis était que même si l'Iran n'a pas d'argent il serait encore le plus grand état parrain du terrorisme dans le monde. Imaginez si ce pays avait obtenu 150 milliards de dollars américains? Il aurait tout l'argent du

Question: Le président Trump a appelé à prendre une position plus ferme à l' égard de Téhéran, mais il a également appelé à établir une meilleure relation avec Moscou. Est-il possible d'atteindre cet objectif? Réponse: Après avoir découvert ce que j'ai découvert sur les tentatives russes d'intervenir dans l'élection présidentielle américaine, je n'ai pas confiance en Vladimir Poutine (président russe).

Eliot Engel et Mostafa El-Dessouki aux bureaux des membres du Congrès à Washington

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Nous devons faire attention à tout ce qu'il dit ou fait. Il est évident qu'ils ont essayé de gâcher les élections. Et saper la démocratie américaine est un acte entièrement hostile voire le crime le plus ignoble. Donc, notre politique étrangère doit être plus prudente.

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Eliot Engel avec le président américain George W. Bush (Getty)


Question: On a remarqué à Washington que de nombreux pays du Moyen - Orient ont émis des craintes communes au sujet de l'Iran et ses mandataires et d’autres organisations mondiales, et le Royaume d'Arabie Saoudite en particulier était le premier à s’opposer et à résister contre Quand vous observez celui qui nourrit l'Iran. Que pensez- vous de ces points de vue? réellement les troubles au Moyen-Orient, je pense que les pays arabes de la région avec Réponse: J'espère que les États-Unis d'Amérique Israël ensemble seraient d'accord que l'Iran est poursuivent ses relations amicales avec l'Arabie le centre de tous ces troubles, et de ce point de Saoudite. Je pense que ce point est extrêmement vue ils ont des points communs beaucoup plus important. que des différents.

La Russie a tenté de "gâcher" l'élection présidentielle américaine

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un pas extrêmement positif

Nita Lowey : L'alliance islamique sous la direction de l'Arabie Saoudite contre le terrorisme Par Mostafa El-Dessouki Nita Lowey élue démocrate au Congrès a été la plus grande concurrente pour le poste d’Hilary Clinton au Sénat qui est devenu vacant après la désignation d’Hilary en tant que secrétaire d’état aux affaires étrangères dans l'administration d'Obama, à cette époque-là. Nita Lowey occupe le siège de grand député Démocrate au Comité des dotations au Congrès. Elle dispose d'un grand pouvoir en matière de financement du ministère des affaires étrangères

Moyen Orient et sa vision pour la cause palestinienne et la lutte contre le terrorisme. Ci-après le texte de l'interview: Question: vous avez rencontré avant cet entretien le Roi de la Jordanie Abdallah 2 avec d'autres membres de votre comité. A quoi a abouti cette rencontre? Réponse: Je porte un grand respect pour le Roi Abdallah 2 qui préside actuellement la Ligue Arabe jusqu'à l'année prochaine. J'ai fait part de mon optimisme de le voir pouvoir peut être en collaboration avec d’autres responsables, aboutir à un accord de paix (entre israéliens et palestiniens). J'ai soutenu la solution des deux pays depuis très longtemps. Et je suis entièrement confiante que cet accord doit être réalisé à la suite des négociations entre les deux parties concernées. Cependant, quand j'ai discuté avec le Roi Abdallah 2 - après avoir rencontré le président palestinien Mahmoud Abbes plus de 20 fois durant des années- je ne crois pas qu’Abbes dispose d'une politique forte ou d'un engagement pour négocier un tel accord. C'est pourquoi nous avons parlé avec le Roi Abdallah 2 pour

« L'accord sur le nucléaire iranien est incomplet dès lors qu'il n'a pas pris compte les expérimentations des missiles balistiques et l'appui de Téhéran au terrorisme » américain sans parler des projets d'aides humanitaires et civiles apportées aux pays étrangers à travers des institutions de financement telles que l'agence américaine de développement international. Al-Majalla a rencontré Lowey dans son bureau au Congrès et a recueilli ses points de vue au sujet des questions du

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Nita Lowey, démocrate de l'État de New York à la Chambre des représentants des États-Unis


qu’il entame des pourparlers avec les israéliens et d'autres pays dans la Ligue Arabe et apporter une proposition à Abbas tout en sachant que plusieurs suggestions ont été présentées depuis une période très lointaine. A mon avis, si la Ligue arabe accepte une telle proposition, il existerait alors un espoir fort et réel dans l’aboutissement des négociations. Question: pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous sentez que Abbes n'arriverait pas à un accord avec Israël sans la participation d'autres pays arabes?

d’Abbes. Et je ne peux pas analyser le fait qu’Abbes aurait une disposition ou non pour conclure un accord. Mais à mon avis, après l'avoir rencontré à maintes reprises tout en étant compréhensive à la délicatesse de la question, je réaffirme qu'il n'a pas une volonté politique pour qu'il soit une partie dans n'importe quelle négociation.

« Nous avons une chance réelle pour rapprocher les israéliens et les palestiniens avec la présidence du Roi Abdallah 2 de la ligue arabe »

Réponse: Nous sommes aujourd'hui en l'an 2017. Le Président Clinton a essayé de rapprocher les deux parties à la fin de son mandat. Idem pour le président Georges Bush junior qui a tenté la même chose à la fin de son mandat. Je ne suis pas en train de dresser une analyse psychologique

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J'estime que Abbes, avec le soutien de la Ligue arabe et en collaboration avec le Roi Abdallah 2, pourrait mieux disposer de la force qui lui permettre d’être un élément actif dans ces négociations, une fois qu’elle bénéficie de l'appui du monde arabe. Question: L’intérêt pour le conflit israélo-palestinien a


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diminué face aux autres conflits beaucoup plus sanglants nous avons une chance réelle avec le Roi Abdallah 2 qui dans la région aujourd'hui malheureusement. Est ce qu'il préside la Ligue Arabe pour rapprocher les deux parties. s'agit selon vous d'un point de vue? Question: Au cours de l'année écoulée, le Prince héritier Réponse: plusieurs disent que l'inaboutissement de la saoudien Mohamed Ben Salmen, a annoncé la création solution des deux pays a conduit à la naissance de plusieurs d'une alliance islamique contre le terrorisme. Quelles sont conflits dans le monde. Je pense que ces propos sont faux. vos impressions à propos de cette initiative? Je ne pense pas, comme certains disent, qu'un accord de paix entre les palestiniens et les israéliens va régler tous les Réponse: Nous saluons sûrement l'initiative islamique. Je pense que ceci est un pas dans la bonne direction et certes l'alliance entre ceux qui se tiennent avec fermeté contre le terrorisme est un pas extrêmement positif.

« Le fait que l'administration de Trump parle de la baisse des aides extérieures à hauteur de 40 pour cent, m'a beaucoup dérangé »

problèmes dans la région. Cela dit, et après que l'Iran ait lancé dernièrement son missile balistique (1er février), je crois que l'Iran devrait susciter la crainte d’Abbes dans la mesure où il est entouré d'organisations terroristes qui ambitionnent à conquérir la terre vraiment. Cette réalité devrait servir d’argument pour reprendre les négociations sur la paix avec le soutien de la Ligue Arabe. Je pense que

Question: Quelles sont les raisons pour lesquelles vous n'avez pas voté en faveur de l'accord sur le nucléaire iranien?

Réponse: Au moment de la signature de l'accord sur le nucléaire iranien je n'ai pas voté parce que son contenu est incomplet. Certes il a été un pas important en matière d'activités nucléaires. Cependant, il n'a pas pris compte la question des missiles balistiques ni l'appui qu'apporte l'Iran aux autres organisations terroristes. La

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Nita Lowey avec la secrétaire d’Etat Hillary Clinton (Getty)


Il n'a pas stoppé l'extermination collective en Syrie que le monde observe. Les gens meurent dans tous les coins de la région. Jusqu'à présent je ne pense pas qu'il existe une direction qui réunit sous le même toit toutes les parties ensemble pour s'opposer à l'attitude iranienne. Et s'il est possible d'instaurer une alliance contre le terrorisme, cela serait une œuvre grandiose pour l'avenir. Question: en tant que doyenne des membres démocratiques dans le comité des dotations au Sénat, vous pouvez aider à orienter la prise de décision au sujet des aides étrangères. Quelles sont vos ambitions et vos craintes au sujet des aides étrangères avec le début de la nouvelle administration américaine? Réponse: J'ai dirigé l'appui du programme d'éducation des filles dans tous les coins du monde. Et l'éducation des filles et des garçons dépasse le processus d'enseignement, il leur apporte également la confiance

« La politique douce est un moyen important pour réaliser la paix et éviter les guerres »

Nita Lowey, démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis au Wells Fargo Center en Philadephie (Getty)

en soi et les dote des compétences nécessaires et un leadership qui vont faire d'eux une force qui œuvre pour le bien et la paix. Cela m’a grandement dérangé quant cette administration a parlé de la coupe des aides étrangères à hauteur de 40 pour cent. Et j'espère que politique ne sera pas appliquée.

Nita Lowey et Mostafa El-Dessouki aux bureaux des membres du Congrès à Washington

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Je défends vivement la promotion des peuples à travers l'éducation, la protection sanitaire et l'apprentissage au développement des compétences dans la mesure où la politique douce est un important outil pour œuvrer pour la paix et éviter les guerres. Elle est la plus efficiente du point de vue coût que les équipements militaires. Je suis extrêmement fière du travail accompli par l'agence américaine de développement international dans tous les coins du monde. Mais je ressens une crainte voire une grande peur à cause des opinions de cette administration. C'est pour cela, nous allons attendre et voir quelle place occupera la politique douce, dans l’agenda de cette administration.


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Criminalité financière : Le GAFI se dotera d’une structure juridique Par Chokri Ben Nessir

les domaines où la mise en œuvre pourrait être renforcée. Le Groupe d'action financière (GAFI), principal Ces pays devraient d’abord identifier, évaluer bras de contrôle financier des pays de l’OCDE, qui et comprendre les risques de blanchiment dispose d’un arsenal complet et efficace de lutte de capitaux et de financement du terrorisme contre le blanchiment d’argent et le financement auxquels ils sont confrontés, puis adopter des du terrorisme et d’un système qui permet de mesures appropriées pour atténuer ces risques. contrer les risques de manière appropriée, sera L’approche fondée sur les risques permet aux bientôt doté d’une structure juridique afin de lui pays, dans le cadre des obligations du GAFI, donner plus de visibilité dans la lutte contre la d’adopter un ensemble de mesures plus souples, afin d’allouer leurs ressources de manière plus criminalité financière. La question du renforcement du rôle du GAFI, efficace et d’appliquer des mesures préventives basé en France, a été posée après les attentats proportionnelles à la nature des risques dans le du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 morts à but d’optimiser leurs efforts. Paris et dans sa banlieue. Les dirigeants du G20 C’est pourquoi la France vient de proposer avaient alors demandé au GAFI, d’élaborer un d’accorder, par la voix du ministre français de rapport sur les progrès faits par les états pour l'Economie et des Finances, Michel Sapin, au corriger les faiblesses en matière d'assèchement GAFI une structure propre. En effet, Sapin estime que "la criminalité financière touche tous des flux de financement liés au terrorisme. L’objectif étant de revoir les normes du GAFI afin les pays et est l'affaire de tous. C'est une réponse de renforcer les obligations dans les situations globale qui doit y être apportée et le GAFI est le de risque plus élevé et de permettre aux pays mieux placé pour le faire". d’adopter une approche plus ciblée dans les Le GAFI, cet organisme dépendant de l'OCDE et domaines présentant des risques élevés et dans qui regroupe 35 pays et est chargé de lutter contre La

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Juan Manuel VegaSerrano, président du GAFI


le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, "doit aujourd'hui s'adapter pour être en mesure de répondre aux attentes croissantes de la communauté internationale", a ajouté le ministre qui a proposé d'attribuer au GAFI "une personnalité juridique en droit national par son pays hôte, la France". Il estime que cela permettrait au GAFI de se doter d'une existence juridique stable et à la hauteur du rôle qu'il doit jouer aujourd'hui sur la scène internationale. Le président du GAFI, La

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Manuel Vega Serrano, a pour sa part reconnu que la question du statut juridique de son organisme se posait. Un tel statut permettrait, selon lui, de consolidation le dispositif actuel, de renforcer le dialogue entre les secteurs public et privé, et de permettra de développer et systématiser les relevés statistiques concernant les secteurs non soumis à la loi sur le blanchiment d’argent, comme le secteur immobilier, les organismes à but non lucratif, les ports francs et le négoce de matières premières.


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ALAÏA LE MAGNIFIQUE Par Chokri Ben Nessir Ezzedine ALAÏA est sans nul doute le magicien de la haute couture en France et dans le monde. Ses pairs disent qu’il y a la femme avant, et la femme après Alaïa. « En inventant de nouvelles morphologies par le simple jeu de coutures complexes, Alaïa est devenu le couturier d’une œuvre qui traverse le temps. Son influence sur la mode contemporaine est fondamentale ». Ce n’était pas un, mais plusieurs musées qui avaient choisi de rendre hommage au plus tunisien des couturiers parisiens. Et pour ceux qui ont pu l’oublier, ce n’était pas la première fois que Azzedine le magnifique entrait au musée par la grande porte. Pour cet amoureux de l’art, il ne pouvait y avoir de plus belle consécration. Qu’on se souvienne : en 1996, une première rétrospective lui est consacrée au Palazzo Corsini à Florence. En 1997, c’est au Groninger Museum que ses créations sont exposées, et dialoguent avec les œuvres de Picasso, Julian Schnabel, Warhol ou César. Le pli est pris, et régulièrement, les plus grands musées font appel à lui, et lui rendent hommage : en l’an 2000, le Guggenheim Museum lui consacre une rétrospective, et l’expose avec des œuvres d’Andy Warhol. Il retourne au Groninger Museum en 2011, avec une exposition sur le thème de « Alaïa au XXI è siècle » qui sera présentée plus tard au NRW Forum de Düsseldorf en 2013. En 2014 c’est au Musée d’Art MODERNE à Paris et enfin

en 2015, c’est la Villa BORGHESE à Rome qi l’honore.

Le magicien Dans sa cuisine-salle à manger-lieu de travail, il reçoit avec sa gentillesse habituelle, et son humour décapant. A sa table, où se côtoient mannequins, vedettes, petites mains, journalistes ou clientes fidèles, le menu est frugal, mais la conversation savoureuse. Il s’interrompt à tout moment pour répondre à une ouvrière qui n’arrive pas à monter une manche, lui montre comment adapter un patron, en piquant lui-même le tissu, nous rassure sur le grondement sourd qui rythme le repas, ce n’est que le ronflement de son énorme chien dont c’est le moment de la sieste. Il raconte ses projets, d’autres expositions dans d’autres musées, aux USA, en Russie, en Italie. Il montre le dernier livre qui lui a été consacré, évoque les prochaines ouvertures de la maison— une deuxième adresse à Paris, lui qui refuse de sortir du quartier du Marais- mais aussi en Chine, en Russie, dans les pays du golfe. Un parfum également à son nom. C’est Alaïa le sculpteur des styles. Car c’est cette discipline qu’il étudia à l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis. Une école où il était entré avant l’âge légal grâce au mensonge madame Pineau, « sa seconde mère ». Celle ci avait juré au directeur de l’école qu’il avait les seize ans requis. Son père n’était pas au courant, bien sûr, et il passait La

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Ezzedine ALAÏA, styliste et couturier franco-tunisien


ses nuits à surfiler des robes pour une couturière de quartier afin de payer ses fournitures scolaires. Leila Menchari, son amie, et la mère de celleci, ayant perçu son talent, l’aidèrent à partir et à s’installer à Paris. Le reste fait partie de la légende : la chambre de bonne voisine de celle de Leila Menchari, qu’il payait en cousant des blouses pour la concierge, les enfants de la comtesse qu’il gardait, tout en ajustant les ourlets de la mère, la maison Dior d’où il fut renvoyé au bout de cinq jours, mais qui lui ouvrit les portes du rêve. Guy Laroche qui lui permit de faire ses premières armes, et les différentes personnalités qui furent autant d’étapes dans sa vie, de muses à son inspiration. Et pourtant, il va très loin chercher son inspiration : dans l’Egypte pharaonique, et les bandelettes de momies, dans l’Afrique subsaharienne, avec ses robes totems, dans le Tunis de son enfance, et les cornettes blanches des religieuses qui enseignaient La

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à l’école de sa sœur. A chaque exposition il offre une somptueuse mise en scène à ces robes d’exception soigneusement sélectionnées, robes d’un soir, d’une fête, robes intemporelles, créées ou inspirées par ces icônes qui furent aussi ses muses et ses amies : Arletty, Louise de Vilmorin, Naomi Campbell ou Farida Khalfa. Y en aurait-il une qu’il préférerait, pour laquelle il aurait rencontré particulièrement de difficultés ? « La plus belle robe est toujours la prochaine. Et je rencontre les mêmes difficultés avec une jupe droite qu’avec une robe » souligne-t-il. A Paris, en lui offrant une place à part dans le panthéon de la Haute Couture, est non seulement un magnifique hommage, mais aussi une grande reconnaissance, en lui offrant la réouverture du Palais Galliera (2014), Musée de la mode fermé depuis quelques années pour travaux.


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Entretien avec Emmanuelle Guattari

«Depuis toujours j’ai écrit de façon très serrée» Entretien conduit par Aymen Hacen Emmanuelle Guattari, née en 1964, vit aujourd’hui à Paris. Elle est l’auteur, aux éditions Mercure de France, de quatre « romans » : La petite Borde (2012, Folio 2013, traduction en anglais Semiotext (MIT Press 2014), Ciels de Loire (2013), New York, petite Pologne (2015), et Victoria Bretagne, paru en 2016. Plusieurs de ses textes ont été également publiés dans les revues Fario et Phoenix. Ses poèmes traduits en anglais ont paru dans le catalogue de l’exposition Lost Psyche de la photographe Polixeni Papapetrou et dans celui de l’artiste Brigitte Engler. Elle a réalisé un « livre pauvre » avec le peintre Gérard Fromanger et un autre avec l’artiste Pascale Lhomme.

curiosité pour les cultures différentes. Mais ce qui m’intéresse, c’est l’humain en nous tous, quelque chose qui transcende la différence des cultures, qui au fond n’en sont qu’une variante d’expression. Et puis la question de l’Autre dans l’univers où nous avons grandi avait déjà élargi les possibilités de l’humain, c’était une expérience de très grand humanisme. Auteure remarquée de quatre « romans ». Je me permets d’insister en mettant entre guillemets le mot roman, car le lecteur de vos textes ne lit pas de romans au vrai sens du terme. Qu’en est-il vraiment, d’autant plus que, invitée au Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée, qui est un festival de poésie, vous n’êtes pas plus poète que romancière ?

Nous nous sommes également rencontrés à Sète, au Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée. Avec Vincent Calvet, Bruno Geneste, son épouse Isabelle, Albertine Benedetto et l’Irakien Kadhem Khanjar, pour ne citer que ceux-là, nous nous sommes très vite liés d’amitié. Appartenant à des pays et à des cultures différentes, répondant à des impératifs et des sensibilités manifestement distincts, nous avons néanmoins dialogué, rompu le pain et partagé le vin ensemble. Qu’est-ce qui justifie pour vous cette amitié ? Existe-il à vos yeux quelque chose de supérieur, un peu comme celle que Proust appelait « la consanguinité des esprits », ou ce que Blanchot nommait « la communauté inavouable » ?

E. G. Décidément… J’ai étudié l’histoire et lors de la soutenance de l’un de mes mémoires, le jury m’a dit mademoiselle vous devriez écrire des romans… Tout au long de mes études, effectivement je voulais écrire autre chose. Je me suis autorisée tardivement ; j’ai alors aspiré à un affranchissement total. Depuis toujours j’ai écrit de façon très serrée – ce qui n’avait pas été toujours facile pour les développements historiques ! J’admirais beaucoup mon directeur de thèse, sans qu’il le sache ! pour une seule phrase avec laquelle il m’avait résumé 100 ans de colonisation en Indochine : « Ce qui nous a perdus au Vietnam, c’est le mépris ».

Emmanuelle Guattari. J’ai toujours eu une intense

Dans mes livres publiés au Mercure de France, le fait

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Emmanuelle Guattari


La petite Borde, votre premier « roman », raconte votre enfance, précisément vos souvenirs d’enfance à la Borde. Pour ceux qui l’ignorent, et la quatrième de couverture de le préciser, « l’établissement de la Borde est célèbre dans le monde de la psychiatrie. Cette clinique hors normes entendait rompre avec l’enfermement traditionnel qu’on destinait aux malades mentaux et les faire participer à l’organisation matérielle de la vie collective. Ce lieu doit beaucoup à Félix Guattari, psychanalyste et philosophe qui codirigea la clinique jusqu’en 1992. Quand on habite enfant à La Borde parce que ses parents y travaillent, l’endroit est surtout perçu comme un incroyable lieu de liberté : un château, un parc immense, des forêts et des étangs. À travers une série de vignettes et par touches impressionnistes, Emmanuelle Guattari évoque avec tendresse son enfance passée dans ce lieu extraordinaire où les journées se déroulent sous le signe d’une certaine fantaisie. » Pourriez-vous plus nous introduire dans votre univers d’écriture ? Le spectre de vos parents hante votre monde. Qu’est-ce cela fait d’être la fille de Félix Guattari ? E. G. Je ne suis pas hantée, c’est que j’ai un problème avec la disparition. Je ne crois pas que nous pouvons vivre sans ceux que nous avons aimés, même disparus, ils sont quelque part. C’est comme ça. Dans l’un des textes que vous avez lus à Sète, vous parler d’ « elle ». Pourriez-vous, tout en citant un extrait de ce texte, nous parler d’ « elle », votre mère ?

que mes textes soient courts, et denses, et disjoints, a pu les apparenter à de la prose poétique, disons. Cependant, il ne s’agit pas pour autant de recueils de poésies : il y a dans chacun de mes livres, toujours, un système narratif qui lie ensemble les petits chapitres : tout un ensemble de motifs et de renvois d’un texte à l’autre, et qui raconte une histoire. C’est une autre manière de raconter des histoires. En tous cas, pour cette question du roman, ou de la poésie, il y a toujours des gens pour dire que c’en est ou ce n’en est pas, alors…

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E. G. Mon père était et reste une grande figure. Il m’a semblé que dans mes textes je pouvais donner une place à ma mère, qui était une femme qui avait un très grand charme. À travers elle, j’ai voulu rendre justice aussi au travail des femmes qui ont fait la Borde, un lieu qui avant les années soixante et le mouvement féministe, leur a laissé des rôles, des responsabilités, des salaires égaux à ceux des hommes. Vous êtes polyglotte. Outre le français et l’anglais, vous parlez couramment l’espagnol. Quel rôle ce « don des langues » joue-t-il dans votre écriture, sachant que vous avez vécu aux États-Unis et que vous racontez cette aventure dans New York, petite Pologne ? E. G. J’ai toujours eu la passion de la langue ; La Borde,


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cette clinique hors-norme était un lieu de liberté et de parole ; on y parlait beaucoup, et il y avait à l’époque une sorte d’élégance de l’élocution et de la syntaxe, y compris chez les grands malades, qui, outre l’exigence forte de notre père, a créé une sorte de surmoi de la langue. Nous avons baigné dans une sorte de chœur permanent des différentes âmes qui s’exprimaient dans ce lieu.

assez approximative avec les nouveaux francs, si bien que moi qui vous parle je n’ai jamais bien compris non plus). Elle disait après les visites médicales : j’ai les poumons roses.

On l’appelait la Tanche parce qu’elle adorait nager. Elle nageait dans le Beuvron. Elle allait jusqu’à la grande bouée Très petite avant d’entrer en maternelle, je voulais en Méditerranée avec une nage régulière tant lire que je tyrannisais ma mère. Je lui faisais lire comme une petite grenouille. chaque soir de longs livres pour enfants, notamment Elle était très petite. Elle avait perdu toutes La chèvre de Monsieur Seguin de Daudet et lorsqu’elle ses dents. A cause de la guerre. essayait de sauter un passage ou un mot, je la reprenais Sur la photo de classe de fin de primaire, on vivement ; je connaissais des tas de livres par cœur ; dirait qu’elle a six ans. j’avais développé une hyper mémoire et mon père me Elle avait de petites mains carrées, très faisait grimper sur les tables le dimanche pour me faire petites comme celles d’un enfant. réciter ces textes. C’est comme ça que toutes les langues Elle avait le pied grec. m’ont intéressée. J’attrapais tout au vol. J’ai aussi Elle avait la peau jaune et les cheveux appris l’italien, le japonais ; j’aimerais parler allemand, noirs. Elle disait qu’un riche jeune chinois, arabe aussi bien-sûr. homme arabe très épris l’avait demandé en mariage. Elle avait hésité mais Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Votre méthode finalement elle n’avait pas voulu partir. d’écriture a-t-elle évolué ou changé après la naissance Elle était très mince. Elle n’avait pas de seins. de vos quatre premiers romans ? Elle achetait toujours de la crème fraîche et du E. G. J’ai eu la très grande chance de rencontrer un beurre, pour qu’il y en ait toujours. A cause de éditeur, Isabelle Gallimard, qui dès mon premier la Guerre. manuscrit m’a laissé totalement libre et avec qui j’ai une Elle achetait du lait frais, tous les jours, comme relation de grande confiance. on achète le journal. J’écris toujours de la même manière, n’importe où, En vacances, elle nous a emmenés ramasser les n’importe quand mais pas tous les jours. J’ai eu la chance escargots dans les cimetières en Espagne ; des aussi de faire des rencontres très stimulantes au cours femmes en noir nous couraient derrière dans le de ces dernières années, et notamment deux auteurs qui scandale. travaillent de leur côté la question de la narration, entre Elle ramassait les coprins chevelus autour de la prose et poésie, François Bordes et Julien Maret. décharge de la Borde. Elle ne faisait jamais de gâteaux ; je n’aime pas ça, disait-elle, avec une moue expressive, pour La Tanche qu’on comprenne bien. (in La petite Borde) Elle durcissait du caramel en le versant sur du marbre pour le refroidir et nous le donnait à sucer Elle n’aimait pas le riz. Elle n’aimait pas le sucre. Elle buvait du Nescafé et fumait des Craven A sans filtre dans le bain pour nous motiver. Elle adorait sa petite auto. Elle roulait vite. ; elle avait dit : Elle achetait des nèfles, chaque année. - Quand le paquet coûtera 5 francs, j’arrêterai. Ce n’est pas vrai. Elle est allée jusqu’à 15 francs, et puis Elle mettait des oranges pour Noël en plus des cadeaux. elle est morte (de toutes façons l’Euro a tout changé Elle disait que celle qu’elle recevait quand elle était les prix ; elle avait connu les anciens francs, elle était petite, elle attendait toujours trop longtemps pour la La

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manger et qu’elle pourrissait toujours. Alors elle pleurait. Elle détestait les rutabagas. À cause de la guerre. Ma mère a disparu de ma vie comme une bulle de savon qui éclate. Je me tiens depuis devant cette nouvelle illusion. Parfois, j’ai envie d’avancer la main pour battre l’air et sentir cette nouvelle image. Comment est-ce possible ? Elle était là. Elle n’est plus là. Mais où est-elle ? Et puis un jour en regardant l’avenue et la ville par la fenêtre, j’ai vu le ciel s’écraser sur le sol. Un énorme étau et j’ai été prise d’un vertige : nos morts ne sont-ils pas là juste derrière cette sorte d’écran, celui qui s’allume devant nos yeux ? Je ferme les yeux. Je serre fort les paupières. J’attends. Puis je regarde ; non, je ne vois pas les morts. Je me retourne, ma mère n’est pas là. Alors je me dis, si on pouvait arriver à les voir les morts ? Mais comment faire ? C’est alors que m’est venue l’idée de demander à passer un tout petit moment encore avec ma mère. Je demande au Gouvernement des morts à passer un petit instant avec ma mère. Je ne demande pas grand chose, juste un quart d’heure. Je me suis dit qu’il fallait insister. Je le demande chaque jour. Je vais m’asseoir dans un café et elle viendra s’asseoir en face de moi. Je suis sûre qu’elle viendra. Je l’embrasserais deux fois pour le bonjour ; je prendrais un peu sa main, petite et raide. Elle aurait cette sorte de présence mal à l’aise que lui donnaient les médicaments et le monde qui lui faisait peur. Non pas parce qu’elle viendrait de derrière le voile de la disparition. Mais, parce qu’elle était devenue comme ça. Je suis prête à faire un marché avec la vie : prenez-moi dix ans, pour un quart d’heure de parloir avec ma mère. Prenez mes quatre-vingt ans, prenez mes soixante-dix La

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ans, allez, prenez mes soixante ans. Rendez-moi ce que vous m’avez pris ! Rendez-moi un tout petit moment de tout ce que vous m’avez pris ! Ce serait dans un café qui sentirait encore la cigarette froide et il pleuvrait dehors. Dans la soirée de l’automne les lumières luiraient dans la rue humide. Nous serions à une table contre une grande vitre. Elle n’aurait pas quitté son manteau. Elle devrait bientôt repartir ; elle le saurait elle aussi. Mais on n’en parlerait pas. On resterait là, un peu voûtées. S’il vous plaît ! Je la regarderais une dernière fois. Tous les jours, je vais au café et je reste. Je suis là, assise, un peu appuyée contre la buée de la glace. Je suis sûr qu’ils accepteront à un moment ou à un autre. Ma mère avait gardé de l’Occupation un souvenir tenace. Elle n’avait jamais pu se réconcilier et n’épousant pas la modernité européenne, elle parla longtemps des boches (ou schleus), et sursauta toujours péniblement en entendant parler allemand ; on n’évoqua jamais le jumelage de notre ville avec Weimar ; il ne me serait pas venu à l’idée de demander à apprendre la langue, bien sûr, sauf en frissonnant avec mes cousins sur la banquette arrière de l’auto, à l’évocation de l’utilité que cela pourrait avoir, s’il y avait une autre guerre (inéluctablement contre les Allemands dans notre imagination). Chez nous, pour parfaire à la transmission des souvenirs de guerre, il y eut soudain une série de livres, curieusement en accès libre sous le plateau en verre de la table basse du salon, sur les atrocités dans les camps. J’avais dix ans et je me souviens avoir lus avec application le tome sur les détails des expériences de Mengele, celui sur les Françaises internées politiques à Ravensbrück, celui sur le camp d’Auschwitz. Il me semble que ma mère les avait achetés à un démarcheur qui vendait des collections au porte à porte dans notre campagne ; ainsi nous avions eu tout Zola en reliure cuir assez vulgaire et dont les tomes étaient si lourds qu’ils me faisaient fléchir les poignets. J’en ai gardé une affliction qui ne s’est jamais tarie.



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