Des drames à n’en plus finir - Immigration clandestine à Lampedusa

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Marine Le Pen entre le Caire et le Liban

Le bâton et la carotte

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Stephen Hadley : L’Arabie saoudite répond aux menaces iraniennes

Issue 1634 - Mars 6/03/2017

Un magazine politique hebdomadaire

Immigration clandestine à Lampedusa

Des drames à n’en plus finir www.majalla.com



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Marine Le Pen entre le Caire et le Liban 04

Visite de Merkel à Tunis et au Caire

Fairouz ou le passage de la chanson de la paix La

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Un roman universel

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Éditeur en chef

HH Saudi Research and Marketing (UK) Ltd

Secrétaire de Rédaction

10th Floor Building 7 Chiswick Business Park 566 Chiswick High Road London W4 5YG

Ghassan Charbel Mostafa El-Dessouki

www.majalla.com/eng La

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Tel : +44 207 831 8181 - Fax: +44 207 831 2310


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Marine Le Pen entre le Caire et le Liban Par Dr. Ali ELSamman Marine Le Pen, candidate aux élections présidentielles en France, est partie en visite au Liban. Le mardi 21 février, premier jour de sa visite, Le Pen a refusé de porter le voile avant de rentrer à la mosquée « Aicha Bakkar » et est retournée en France avant de rencontrer Sheikh Abdellatif Deriane, grand mufti de la République libanaise. C’est ainsi que la candidate aux présidentielles a quitté le Liban sans rencontrer le grand mufti. « La plus haute autorité sunnite du monde n›avait pas eu cette exigence, par conséquent je n›ai aucune raison de... Mais ce n›est pas grave, vous transmettrez au grand mufti ma considération mais je ne me voilerai pas”, a dit Mme Le Pen qui est repartie aussitôt. La plus haute autorité sunnite du pays a été surprise par ce comportement. Le Pen a néanmoins continué sa visite au Liban et a rencontré Samir Geagea, chef chrétien maronite des forces libanaises. J’ai rencontré auparavant par coïncidence Gilbert Collard, avocat de Marine Le Pen et secrétaire général du Front National dans une des cliniques de Coubron. Après avoir longuement parlé des partis politiques en France et de Marine Le Pen, il m’a demandé mon avis sur Marine Le Pen et je lui ai dit que j’étais impressionné par ses idées

concernant l’économie et ses connaissances politiques. Par la suite, j’ai eu l’occasion de la rencontrer en personne à travers des connaissances du journaliste Saleh Diab. Nous avons tous été invités par mon cher Abdelatif Menaoui, écrivain et philosophe, à un de ses agréables diners dont nous avions l’habitude. Marine Le Pen était ravie que je lui offre mon livre « L›Egypte, d›une révolution à l›autre » et elle m’a même dit « Je commencerai ma découverte de l’Egypte ce soir ». Après notre retour à Paris, elle a rejoint son père Jean Marie Le Pen pour être à ses cotés au cours des élections municipales. En 1986, à l’âge de 18 ans, elle rejoint le parti de son père. Ce n’est qu’à l’âge de 24 ans qu’elle s’est présentée pour devenir membre du Front National au 17eme tour de Paris et a obtenu 11 voix pour le poste de conseillère. En 1998, elle est enfin devenue conseillère au sein du parti. Au cours de la même année, elle a obtenu le poste de responsable juridique du Front National, appuyée par son père Jean Marie Le Pen. En ce qui concerne l’Union Européenne, Marine Le Pen a déclaré dans une de ses conférences que la création d’une nouvelle entité européenne est primordiale et prometteuse. Et dans une autre conférence, Le Pen a dénoncé la « barbarie » des stratégies des Etats Unis. Cependant elle a salué le réalisme et la volonté de changement de Trump. Elle a en effet rencontré le président américain lors de sa visite aux Etats Unis et elle a déclaré « Nous avons soutenu Trump parce qu’il a rouvert le débat avec la Russie ». Quant à Louis Aliot, vice président du Front

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Marine Le Pen, candidate aux élections présidentielles françaises lors d’une conférence à Paris (Getty)


National, il a déclaré que maintenir de bonnes relations avec une force militaire et une civilisation européo-chrétienne telle que la Russie est essentiel. En ce qui concerne les relations israélo-palestiniennes, Marine Le Pen a insisté sur l’importance de la solution de deux états et a ajouté que la reconnaissance de l’Etat d’Israël est une solution de paix. Marine Le Pen a beaucoup influencé la façon d’agir du Front National, mettant fin aux idéologies antisémites de son père, Jean Marie Le Pen. Cela est d’autant plus apparent vu les bonnes relations politiques qu’elle entretient avec la Russie et Poutine. Le Pen a aussi une nouvelle approche en ce qui concerne l’Islam. En effet,

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la candidate aux présidentielles affirme que les musulmans dénoncent catégoriquement tout acte de violence ou tout acte terroriste. Ainsi, Marine Le Pen s’est rendu au Caire où elle a rencontré le Grand Imam de la mosquée d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb. Il s’agissait d’exprimer leur volonté d’explorer ensembles les voies possibles d›une future coopération contre l’intolérance et l’hostilité. Cette rencontre a suscité une réaction très positive en France et en Europe. Sa visite en Egypte et sa rencontre avec le Grand Imam d’Al Azhar révèle la nouvelle stratégie politique de Le Pen tenant un discours de tolérance et est ainsi un bel exemple montrant que le dialogue entre les deux pôles est possible.


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Immigration clandestine à Lampedusa

Des drames à n’en plus finir Reportage par Chokri Ben Nessir Terre de voyageurs, Lampeduse, a cette faculté unique de provoquer l'étonnement à chaque fois que l'on y retourne. La Sérénissime exerce un extraordinaire pouvoir de fascination. Ceux qui vont à Lampeduse pour la énième fois ressentent toujours cette émotion indescriptible : vous serez, comme tout le monde, ébloui et étonné à chaque pas dans cette ville anachronique. Cependant, « il faut mériter ses îles », disait Armand Guibert et Lampeduse, est une île qui sera à toujours chargée d’histoires et de mystères tant que les jeunes tunisiens continueront à larguer les amarres pour mettre le cap sur elle. Une brise glaciale soufflait sur le port de Lampedusa dont les eaux grises écumeuses et hostiles se mêlent au ciel couleur de plomb. Les premiers membres de l’équipe de médecins sans frontières, pointent leurs nez en dehors de la tente plantée en face sur l’esplanade de la Station maritime. A côté, quelques médecins de la croix rouge, sur le perron de la station maritime, prennent déjà tranquillement leur café. Ici, bien que le flux des immigrés clandestins ait baissé de façon notable, la vigilance reste de mise. D’ailleurs, les journaux locaux rapportent que les services secrets italiens s’attendent à une arrivée massive, cette fois

–ci en provenance de la Libye, et estimée à 15 milles personnes. Donc, tout le monde est aux aguets et attend les nouvelles qui seront transmises par les missions de reconnaissance effectuées régulièrement par les avions et les vedettes des gardes côte italiennes. De l’autre côté, sur l’embarcadère du port militarisé, une foule hétéroclite dont on distingue à peine les silhouettes, attendent qu’on leur serve le petit déjeuner. Les regards vifs, les quelques clandestins débarqués depuis quelques heures et encore non transférés au centre d’accueil, serrent les rangs, mâchoires figées par la bourrasque. En face, des Lampedusins, aux barbes fournies, tels les vieux loups de mer habitués à la rudesse du temps, s’affairaient autour des premières livraisons de poissons dans leurs cageots. Ce spectacle quotidien n’interpelle plus les secouristes dont la première priorité est de mettre à jour les données et faire le point sur la situation humanitaire dans l’île. En effet, la veille, deux nouvelles barques tunisiennes ont été secourues. « La première transportait 57 personnes et la deuxième 54 personnes dont quatre jeunes filles et qui n’étaient pas tous en bonne condition à l’arrivée » a affirmé Vittoria Ghepardi, médecin à MSF. Généralement, à leur arrivée, les clandestins qui passent La

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Des migrants clandestins nord africains à Lampedusa (Getty)


parfois 5 à 6 jours en haute mer, souffrent de plusieurs maux : hypothermie, fatigue, malnutrition, intoxication par les gaz des moteurs des barques, mal de mer ajoute Mery Dongiovanni, coordinatrice du projet de secours. Aujourd’hui, l’alerte a été donnée très tôt. Une patrouille en mer a repéré une nouvelle barque transportant des clandestins. On ne connaît pas encore la nationalité des immigrants ni la provenance de l’embarcation, cependant il lui faudra deux heures encore avant d’apparaitre dans la passe d’entrée du port. En attendant de secourir les nouveaux venus, on se laisse bercer par l’ambiance particulière et suivre le mouvement lent et entraînant de cette ville qui flotte et dérive sur l’air du temps en pensant à La

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tous ces gens qui livrent leur destinée à la mer.

Une bouteille à la mer Karima, est l’une de ces centaines de jeunes filles tunisiennes à avoir affronté les dangers de la traversée clandestine. Elle a consigné son rêve dans un message remis dans une bouteille qu’elle n’a pas jeté à la mer mais embarqué avec elle. « Si je survis, je voudrais épouser selon le rite musulman, l’homme qui aura trouvé ce message ». Cette bouteille, Karima, l’a emportée avec elle dans le chalutier qui devait la transporter avec d’autres personnes à Lampedusa. Ce qui est sûr, Karima, n’est jamais arrivée à bon port. Par


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contre sa bouteille de boisson gazeuse en plastique vert, de marque tunisienne connue, a bel et bien été repêchée par les gardes côte italiens avec d’autres débris. Et c’est dans un musée, où une centaine d’objets collectés par de jeunes volontaires racontent bien des drames de l’immigration clandestine à Lampedusa, qu’elle a trouvé place. En effet, ce sont les volontaires de l’association « ASKAVUSA », un groupe de quinze jeunes européens, qui depuis quatre ans s’attèlent à accueillir les immigrés et à leur prêter assistance qui ont eu l’idée de reconstituer la mémoire des immigrés clandestins. Par le biais de leur organisation, ils leur offrent des vêtements, de la nourriture, un toit, des couvertures et des conseils aux clandestins. C’est pourquoi, en ces temps de tsunami humain sur l’île, l’association est vue d’un œil morne. Il n’empêche, ils continuent à mener leur mission humanitaire avec panache et détermination. Depuis que l’idée d’un musée les a séduits, après chaque débarquement, ils passent au peigne fin, barques et épaves, afin de rassembler les objets abandonnés par les clandestins dans les barques. Des ustensiles, des photos, des livres de coran, des lettres, des testaments, des blocs notes et tout ce qui peut rappeler les moments de peur, de choc et les diverses émotions de la traversée sont collectés. Dans ce musée qui sert aussi de lieu d’accueil pour les immigrés en détresse et d’atelier d’artiste, grâce à Giacomo Sferlazzato, artiste engagé et président de cette association, l’on découvre des chaussures qui pendent le long des murs, des couscoussiers, des restes d’emballage, des talismans, des amulettes, des portes bonheur ainsi que des photos des êtres les plus chers qu’on voulait regarder tout au long du voyage. Des objets qui parlent de leurs propriétaires qui ne sont jamais arrivés, qui font le récit de leur dernière traversée, des moments de fin de vie, de rêves qui ont viré au cauchemar.

Des périples à hauts risque Car, les rescapés ont toujours l’occasion de raconter le périple qui changera à jamais le cours de leurs vies. A l’instar, d’Ali cet immigré clandestin de 33 ans originaire de Beja. Il est l’un des rares miraculés

d’une traversée qui a failli tourner au drame. Le jeune homme qui a embraqué au port de Zarzis le 14 mars 2013, a dû payer 2000 dinars aux passeurs. Ils étaient 144 personnes à bord de ce chalutier libyen qui a largué les amarres au port de Zarzis, au vu et à l’insu de toutes les autorités portuaires. « Une équipe de l’émission envoyé spécial, composée d’une journaliste et d’un cameraman ont fait partie du voyage », raconte-t-il. « Ils ont dû payer 6000 euros, pour convaincre notre passeur » assure-t-il. Ali, issu d’une famille nombreuse qui compte trois filles et trois garçons, justifie son désir de « Harga » par son ras le bol. « Je travaillais pour mon propre compte comme transporteur de marchandises sur l’axe routier Ras Jedir-Sfax (Tunisie). La garde mobile de la douane, à chaque fois, m’interpellait La

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Une embarcation de migrants arrivant à l’ile de Lampedusa (Getty)


et me collait des amandes en plus de la saisie de la marchandise. A la longue je commençais à crouler sous le poids des amendes et je suis tombé sous le coup de la loi pour non-paiement. J’ai dû cesser toute activité laissant mon père faire face tout seul aux besoins de la famille. Mais le pauvre, qui est un agent municipal, ne pouvait subvenir tout seul aux charges familiales. J’ai donc décidé de partir et avec la Grâce de Dieu et la bénédiction de mes parents je suis arrivé à Lampedusa ». Cependant, le voyage n’a pas été sans risques pour lui et ses compagnons de voyage. « On a eu un beau temps au départ. Mais quelques heures plus tard, la mer commençait à moutonner avant qu’elle ne devienne houleuse. Pendant, plus de dix heures de mauvais temps, on frôlait la mort à chaque instant. La La

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journaliste française a craqué, elle était en sanglots et a fini par rejoindre le reste des clandestins dans la cale du chalutier. Pendant que le caméraman continuait de filmer la scène. Quand finalement la mer se calme, le Raïes parvient à mettre le cap sur Lampeduse. Deux heures après, une patrouille italienne fait son apparition et l’on nous remorque jusqu’au port de Lampeduse. Une fois débarqués, on nous demande d’abord qui est le commandant du bord. On était tous prêts à cette question avant d’embarquer. On a répondu : il n’y a pas de commandant, nous sommes tous des marins et on s’est relayés pendant la traversée. » C’est ainsi que le « Raïes » se fond dans la foule et devient comme ses camarades, un simple clandestin. Mais l’histoire de la « Harga » ne prend pas fin avec la traversée.


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En effet, Ramzi, un autre clandestin qu’on a croisé au domicile de Simone, une volontaire dans une association humanitaire, raconte qu’après avoir débarqué, il était trempé jusqu’à l’os. « On est restés six jours sur le quai. Il n’y avait pas assez de places dans le centre d’accueil à Lampedusa. On était plus de trois milles. On dormait à ciel ouvert à des températures de 8 à 10 degrés. On ne s’est pas lavés pendant plus de huit jours. Fatigués, à bout de souffle, on a fini par rejoindre un groupe de tunisiens sur une colline qui donne directement sur le port, où on a aménagé une tente avec des bâches en plastiques. ». Ramzi, se sent aujourd’hui en sécurité grâce à l’aide et à l’assistance prodiguée par Simone. Mais l’île de Lampedusa, n’en finit pas de livrer chichement les secrets des clandestins. Tel Sofiane, ce jeune tunisien âgé d’à peine 28 ans et qui est venu avec l’espoir de rejoindre sa mère partie vivre en Italie, il y a plus de 23 ans. Il est parti de Kélibia dans un groupe de 150 personnes. Il a payé 2000 dinars. La traversée fut calme et rapide puisqu’il s’est retrouvé à Pantelleria après 10 heures de navigation. De là, il a été transféré au centre d’accueil des immigrés à Lampedusa. Très rapidement, le jeune homme, s’est détaché de son groupe. Déambulant, la nuit dans les rues de Lampedusa, il a été récupéré par des volontaires de l’association humanitaire « Askavusa ». Ils ont pu établir la communication avec sa mère installée à Palerme. Très vite elle a rappliqué pour rencontrer son fils. Divorcée, la femme qui s’est remariée avec un italien a aujourd’hui une autre fillette de seize ans, qui réclame faire connaissance avec son demi-frère. Pourquoi n’estil pas venu avec un visa, puisqu’il a un parent en Italie ? Sofiane a essayé en vain. Et comme il n’a vu sa mère que trois fois pendant sa vie, il n’avait plus le choix que de partir à l’aventure. Aujourd’hui, sa présence sur le sol italien n’est pas encore garantie. Selon les termes de la convention établie avec le gouvernement Tunisien, il tombe sous le coup de la loi et devra faire partie des clandestins à refouler. Sa mère, cherche toujours un moyen pour le sortir de l’île.

jours et avec l’aide d’Alexandre Georges, un activiste des droits de l’Homme sur place à Lampedusa, Wissem a pu entrer en contact avec les quelques survivants du groupe dont son frère faisait partie. « C’est sur une petite barque de six mètres que 46 personnes ont embarqué des îles de Kerkennah. Dès qu’ils atteignirent le large, la barque surchargée et vétuste commençait à prendre l’eau. Ayant pris conscience du risque qu’il encourait, l’un des clandestins sort un couteau et se dirige vers le passager le plus lourd de la barque en essayant de le poignarder à mort pour ensuite le faire basculer hors-bord. Seulement, celui-ci essaya de se défendre et c’est au cours de cette bataille que la barque chavire et se brise en deux, coulant à pic. Trente-neuf personnes sont mortes noyées. Le frère de Wissem, et six autres personnes ont réussi à s’accrocher à un Pour Wissem, c’est un autre motif qui l’a fait venir bidon qui flottait parmi les débris. De 23H00 à 6H00 à l’île. Il n’est pas un clandestin. Il vit en France du matin, ils ont résisté aux flots. A l’aube, un autre où il réside depuis des années. Mais il était venu à bateau de clandestins passait à proximité. Malgré les Lampedusa pour reconstituer le drame survenu en mer cris de secours, le Raïes de ce bateau, qui a vu les et durant lequel a péri son frère. Au bout de quelques naufragés, a continué sa route sans les secourir. Ne les La

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Des migrants secourus débarquent à Lampedusa (Getty)


regardez-pas lançait-il aux passagers à bord. Le frère de Wissem, commençait alors à divaguer et à crier avant de se laisser noyer. Aujourd’hui, Wissem est animé de la rage de se venger des passeurs responsables de la mort de son frère. ». Mais ce ne sont pas uniquement des adultes qui prennent le chemin de l’aventure. En effet, Bechir 17 ans, est l’un des sept cent mineurs non accompagnés qui ont survécu aux traversées fatales. « Mon frère a été abattu devant mes yeux dans les rues de Tunis lors d’une manifestation pendant la révolution. Quand mes parents ont appris la triste nouvelle, ils m’ont dit part et ne reviens jamais. Bechir est arrivé à Lampedusa il y a un mois. Aujourd’hui, il vit dans un centre d’accueil à Lazio. Il attend sa prise en charge par les autorités compétentes pour régulariser sa situation. Le cas de Karim qui a débarqué dans l’île, confirme le départ massif des mineurs de la Tunisie. Il a 16 ans. L’idée de « bruler » lui est venue après qu’un voisin, parti voilà un an, a commencé à envoyer de l’argent à ses parents et leur condition s’est nettement améliorée. Il est parti sans que ses parents ne le sachent. Il est parti de sa ville Karkar avec son frère mais dans deux barques diverses. Malheureusement un drame est survenu en mer et la barque de son frère s’est noyée. 41 personnes sont mortes parmi eux le frère de Karim. Il a dû payer 1500 dinars pour embarquer clandestinement. Il a gagné cet argent en vendant des légumes au marché. Il voulait venir en aide à son père qui a perdu son boulot après avoir eu un accident de la route. Ainsi, voilà des mineurs emportés par le rêve d’une vie meilleure, partent à l’assaut de l’inconnu, sans argent, sans parents, sans tuteurs et sans aucune perspective. Déjà, les trois premiers mois de l’année 2011, un grand nombre de mineurs âgés entre 15 et 17 ans est arrivé en Italie. « Certes, l’article 17 de la loi Bossi-Fini, interdit leur expulsion. Cependant, une fois la majorité atteinte, ils feront objet d’un d’avis de refoulement » nous informe Viviane Valastro, coordinatrice de l’organisation Save The Children à Lampedusa. Pour le moment, ces mineurs sont transférés dans d’autres centres en Sicile : Calabria, Puglia, Lazio, Emiglia Romana, Liguria, avec un pincement au cœur, celui de laisser derrière l’île de tous les rêves.

Une embarcation de migrants en Méditerranée (Getty)

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Stephen Hadley : L’Arabie saoudite répond aux menaces iraniennes Washington : Mostafa El-Dessouki Stephen Hadley a occupé plusieurs postes à la sécurité nationale dans les administrations des présidents Gerald Ford, Ronald Reagan et George W Bush, avant d›occuper par la suite le poste de conseiller à la sécurité nationale sous le mandat président Bush junior. Depuis lors, Hadley est considéré comme étant la voix de la conscience dans les discussions de la politique étrangère américaine. Pour rappel, il avait appelé le président Obama à répondre fermement aux attaques chimiques ordonnées par Bachar al-Assad contre les civils syriens. Son nom a été également cité comme candidat potentiel pour prendre les commandes du ministère de la Défense dans l›administration de Trump. Cependant, il a pris part à la direction d›une nouvelle équipe de travail consacrée à la politique du Moyen-Orient avec Madeleine Albright, ancienne ministre des affaires étrangères. Le travail de cette équipe a été couronné par l›élaboration d›un rapport complet publié récemment par le Conseil de l›Atlantique. Le rapport propose une nouvelle stratégie des Etats -Unis pour traiter les principales questions dans la région. A propos de cette stratégie, des détails de cette feuille de route et d›autres questions de la politique américaine et internationale, La Majalla a eu une interview avec Hadley dans son bureau à Washington dont voici le compte rendu. Question : Pourriez-vous nous expliquer les recommandations présentées par la ministre Albright à propos de la nouvelle approche américaine envers le Moyen-Orient ? Réponse : Les puissances étrangères tentaient depuis un siècle, en vain, d›arranger les choses dans le Moyen-Orient. Ils n›ont pas fait un bon travail. Avec l›avènement du « Printemps arabe », l›ère où ce modèle pouvait apporter ses

fruits, est révolue. Les Peuples de la région devront déterminer leur sort, préparer leur avenir et ensuite le construire. Ils l›ont clairement annoncé. Nous avons passé une longue période au cours de cette étude à consulter des experts du MoyenOrient. Et nous avons entrepris plusieurs visites dans la région. Nous avons parlé avec les dirigeants. Et nous avons fait participer d›anciens responsables au conseil consultatif. Nous avons eu des équipes de travail réunissant des experts de l›Amérique, de l›Europe et de la région. Nous avons œuvré à développer la vision dont nous en avons recueillis les échos de la région à propos de l›avenir auquel elle aspire, afin de placer le processus dans une voie plus positive. A la lumière de leurs besoins et de leur volonté à prendre leur destin en mains, nous nous sommes rendus compte qu›ils ont besoin de l›aide et du soutien des puissances étrangères. C›est pourquoi nous avons prouvé aussi qu›il est dans l›intérêt des États-Unis et d›autres puissances étrangères d›aider les peuples de la région à aller de l›avant dans le sens le plus positif. Une contribution utile pourrait être apporté, mais il concerne la facilitation et l›aide, loin de tout contrôle imposé ou d›autorité. Question : Comment pensez-vous pouvoir réaliser un tel équilibre ? Réponse : En fait, nous pensons que la stratégie doit être axée sur deux volets. La première est que nous devons réduire les guerres civiles qui ouvrent la voie à «El Qaida». Il est le leitmotiv qui encourage le sectarisme. Aucun problème ne peut être résolu si nous ne commençons pas à mettre fin à la guerre civile. Dans ce sens, nous pourrons parler de ce qui peut être fait en Irak, en Syrie, en Libye et au Yémen. Le deuxième axe de la stratégie - que nous avons découvert et vous le savez déjà, mais qui n›est pas bien connu à

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Stephen Hadley, ancien conseiller à la sécurité nationale en fonction auprès du président George Bush, à la Maison Blanche à Washington DC. (Getty)


résoudre les problèmes locaux. Ce genre d›activités doit être soutenu. Mais les gouvernements doivent se rendre compte que ce genre d›activité ne constitue pas une menace, mais une opportunité qui permet le changement social souhaité s›ils veulent que le Moyen-Orient soit plus stable et plus sécurisé. Donc, la stratégie repose sur un travail partagé dans la lutte contre le terrorisme, l›arrêt des guerres civiles et des conflits sectaires ainsi que de la violence. Il s›agit ensuite de fournir des aides humanitaires pour permettre aux réfugiés de contribuer à l›élaboration de leur propre avenir, et en même temps encourager ces gouvernements qui prennent les bonnes décisions dans le cadre d›un pouvoir global qui accepte le questionnement et ce en tolérant ce genre d›activité qui va de bas en haut et des actions qui en résultent et c›est qui représente l›avenir de la région. Question : Pouvez-vous expliquer la manière dont pourrait être mise en œuvre l›approche envisagée dans le cadre de «la Vision 2030» en Arabie Saoudite?

Washington- c›est qu›il y a beaucoup de choses positives qui se passent dans le Moyen-Orient, dans la mesure où tous les pays et les individus sont attachés à leur avenir. Cela peut être perçu dans certaines des politiques qu›ils adoptent, en premier lieu, dans les Émirats arabes Unis et l›Arabie Saoudite avec la «Vision 2030». Nous le percevons en Tunisie et, moins souvent, malheureusement, en Egypte, dès lors que les gouvernements tentent de prendre les bonnes décisions pour impliquer leurs peuples à l›édification de l›avenir de leur pays et à l›exercice de la bonne gouvernance, offrant une chance au peuple de jouer son rôle dans ces gouvernements, afin de faire face à la corruption pour promouvoir l›activité économique et autre.

Réponse : En revenant sur la «Vision 2030» adoptée par l›Arabie Saoudite, il est intéressant de voir quand vous parlez avec des responsables saoudiens, en particulier l›Emir et ceux qui l›entourent, que cette vision vise à unir la société. Bien sûr, c›est ce qui est demandé. Il est donc intéressant. Il y a maintenant les femmes saoudiennes qui ont la possibilité de créer leurs projets dans leurs propres foyers grâce à l›Internet et aux réseaux sociaux. Cette démarche est entièrement conforme aux traditions sociales conservatrices qui autorisent les femmes à lancer leurs projets à la maison. En outre, le service Uber est devenu un moyen pour la femme saoudienne de se déplacer en respectant les traditions locales. Ainsi, lorsque les femmes ont cette opportunité

Il y a un apport utile que les Etats unis peuvent prodiguer en termes d’encadrement, de renforcement de capacité et non en termes de d’autorité ou de contrôle

Cela dit, il y a des efforts qui se font du bas vers le haut, c›est à dire que les hommes d›affaires et société civile œuvrent au beau milieu de la violence à créer des entreprises et des associations (organisations) pour

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d›assurer un revenu économique, il est évident qu›avec le temps, un changement va s›opérer dans les traditions sociales d›une manière acceptable pour la société. C›est ce que nous percevons des gens quand ils parlent des moyens à même de transformer la société dans le Golfe en général. Ce qui est intéressant également, c›est la présence d›un plan économique pour rendre l›Arabie Saoudite moins dépendante du pétrole. Ceci laisse entendre avec le temps


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nterview

un certain changement - moderniste - générant une société plus productive et prospère. Je pense donc que l›un des défis à relever par les dirigeants des sociétés traditionnelles, est comment changer pour créer une société unie. Question: Plus précisément, quelles sont les formes d›aide que les États-Unis devraient présenter? Réponse: Il est difficile de suggérer ce que les parties étrangères peuvent faire pour aider. Une certaine résistance à ces idées est possible dans certaines sociétés, où l›intervention des parties étrangères pour apporter des fonds et un soutien, pourrait discréditer le mouvement social local. Les gouvernements ainsi que les organisations de la société civile doivent être prudents quant à la façon de fournir une assistance et un soutien qui renforce les acteurs locaux et non les fragiliser. Je pense que le tissu économique fonctionne avec plus de sécurité que le tissu de la société civile. Ces organisations, malheureusement, suscitent polémique dans un grand nombre de ces sociétés alors que les projets économiques semblent plus sécurisants et peut-être le secteur privé local peut, en partenariat avec des organisations locales, avoir une chance pour être le meilleur partenaire pour un grand nombre d›organisations locales de certaines associations de la société civile. Je pense que le critère est la recherche d›une voie pour soutenir les efforts qui permettent et aident les activités locales plutôt que d›affaiblir leur crédibilité. La plupart des gens disent que l›époque des grandes ingérences dans les pays du Moyen-Orient, comme ce qui s›est passé en Irak en 2003, est terminée. La région ne veut pas et les Américains ne veulent pas répéter ça. Cela a été une des leçons tirées de l›Irak : la gestion de la situation après l›ingérence est extrêmement difficile. Je pense donc que la vision actuelle repose sur le fait de laisser les peuples de la région tracer leur propre avenir. Le peuple égyptien s›est soulevé et a renversé Moubarak, et le peuple s›est soulevé encore une fois aux côtés de l›armée pour renverser «les Frères musulmans». Je crois que la politique américaine a été quelque peu hésitante à reconnaître le fait que Sissi a renversé les Frères musulmans sur demande du peuple égyptien. Nous respectons cette volonté au point que nous recommandons au président Sissi qu›il devra- s›il veut à long terme que l›Egypte devienne plus stable et prospère et je crois que c›est ce que le président Sissi veut pour son pays - trouver un moyen avec le temps pour faire de la société égyptienne une société ouverte et permettre au peuple égyptien de participer à l›élaboration de son avenir et entamer ainsi une politiquement plus inclusive (globale). Je pense que ceci a commencé avec la jeunesse qui s›est manifestée à la place «Tahrir» lors du déclenchement de

la révolution. Donc, je ne dis pas ça pour inciter au retour des frères musulmans au gouvernement, cela est rejeté par le peuple égyptien et cette décision doit être respectée. Mais j›espère que le président Sissi se rend compte que, pour parvenir à un brillant avenir et qu›avoir une légitimité avec le temps, dépendra de sa capacité à ouvrir le processus politique et le rendre inclusif et de donner au peuple égyptien l›occasion de travailler à partir du bas vers le haut, en lui accordant un plus grand rôle dans la détermination de l›avenir du pays. Il ne peut pas aller de l›avant en matière de paix sociale et de prospérité alors qu›en même temps, il doit faire face aux menaces terroristes et les combattre pour assurer la sécurité du pays. Il faut qu›il mette en place un plan pour former un gouvernement plus inclusif et légitime capable de fournir des services et de fournir de meilleures opportunités économiques pour l›avenir de l›Egypte. Les Egyptiens devront chercher à baliser la voie à cet avenir, mais pour cela nous devons être amis. Question : Comment pouvoir «arrêter» les guerres civiles La

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Le président des Etats Unis George W. Bush marchant auprès de Stephen Hadley, conseiller à la sécurité nationale, à la Maison Blanche en 2008. (Getty)


restauration de l›infrastructure. S›ils échouent à régler certaines tensions sous-jacentes dans la société irakienne et exploitées par «Daesh», ils laisseraient le terrain fertile pour le retour de «Daesh» dans une forme encore plus brutale. Je vois qu›avec le temps, le peuple irakien aurait besoin pour parvenir à la paix sociale, d›un gouvernement d›unité nationale, et en même temps d›une forte gouvernance locale au niveau régional et local, de sorte que les communautés sunnites, chiites et kurdes puissent prendre une plus grande responsabilité dans la gestion de leurs affaires en matière de gouvernance, de sécurité et de prospérité économique. Il s›agit d’«un nouveau modèle de gouvernance» qui peut reconnaître réellement les revendications des trois communautés pour gérer davantage leurs propres affaires, mais dans le cadre d›un Irak unifié. Encore une fois, j›estime que c›est la voie que les Irakiens doivent chercher avec le soutien des parties à l›étranger. Question: Comment l›Iran s›insère dans cette équation et à quel point vous pensez que la politique étrangère de Trump cadre avec cette approche proposée pour solutionner les guerres civiles?

dans la région, comme vous l›avez mentionné? Réponse : Toute guerre civile est différente. Les méthodes varient également. En Irak, nous devons être plus sévères pour aider le peuple irakien à expulser «Daesh» et Al-Qaida de ses terres. La bataille est maintenant centrée sur «Mossoul», et je pense que vous avez entendu de l›administration actuelle qu›elle veut renforcer la guerre contre Daesh et Al-Qaïda en Irak, en Syrie, et je pense que ceci est juste. En Irak, par exemple, alors que le peuple irakien repousse «Daesh» et «Al-Qaïda» loin du territoire irakien, le gouvernement doit le soutenir par le biais d›institutions gouvernementales locales, non corrompues. Cela nécessiterait des mécanismes de réconciliation pour résoudre les divisions sectaires et pour promouvoir l›activité économique et la

Réponse : Il est trop tôt pour savoir anticiper sur la question iranienne. Nous connaissons la position l›administration de Trump au cours de la campagne et dans les premiers jours de sa présidence qu›il s›agit d›intensifier la lutte contre «Daesh» et «Al-Qaïda». Il s’agit de parvenir à la défaite de «Daesh» et de faire plus d›efforts pour réviser l›action iranienne dans la région. Je ne sais pas comment il sera procédé dans la mise en œuvre de cette stratégie. Je pense que l›une des choses auxquelles on pourrait assister, et à laquelle nous avons déjà assisté en ce qui concerne la politique américaine, c›est de persévérer dans le combat contre «Daesh» pour son expulsion de l›Irak. C›est dans ce sens que se sont déployés les efforts des Etats unis d›Amérique en matière de soutien des forces de sécurité irakiennes et d›aide au renforcement

Essissi a renversé les Frères musulmans car le peuple a voulu ainsi…et il faut accorder maintenant un rôle plus grand aux égyptiens dans l’élaboration de leur avenir

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des groupes tribaux locaux, surtout sunnites, pour développer leur capacité à lutter contre «Daesh» et l›expulser, tout en marginalisant le rôle des «forces de la mobilisation populaire» soutenues par l›Iran. Je pense que c’est la bonne stratégie: la plupart des Irakiens, mêmes chiites irakiens ne veulent pas que l›Irak devienne le district ouest de l›Iran. Ils sont


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des irakiens en premier lieu et chiites après. Je pense que si les États-Unis jouent un rôle plus important en soutenant le gouvernement irakien dans la lutte contre «Daesh», ça lui permettra d›être plus forte face au pouvoir direct de l›Iran, ou par «les forces de la mobilisation populaire» soutenues par l›Iran. Idem pour la Syrie, je défendais depuis plusieurs années une présence plus accrue de l›Amérique en Syrie, une présence destinée contre «Daesh» et «Al-Qaïda», et qui puisse empêcher aussi les tentatives de la Russie d›une part et de l›Iran d›autre part, en Syrie. Il y a une occasion qui se prête pour l›administration actuelle, pour travailler avec la Russie et la Turquie contre «Daesh» en Syrie. Mais enfin, et bien que ce sont les forces «Daesh» qui doivent quitter la Syrie, ce sont aussi les milices chiites soutenues par l›Iran qui doivent quitter la Syrie. Les deux sont des intrus en Syrie, et doivent en fin de compte être chassés. Question: Avez-vous espoir dans la possibilité d›une plus grande intervention des États-Unis dans la guerre au Yémen? Réponse: En ce qui concerne le Yémen, je pense que le problème est que la plupart des Américains perçoivent le Yémen à travers le prisme du conflit géopolitique entre l›Arabie Saoudite et l›Iran. Ils ont l›illusion que la question Yéménite se présente ainsi. Ce que je pense c›est que les Américains ne savent pas que des missiles du Yémen ont ciblé des villes saoudiennes. Les milices sont sorties du Yémen en direction de l’Arabie Saoudite. En fait, l›Arabie saoudite réplique à une menace sécuritaire ciblant les citoyens saoudiens et leurs villages et villes. Comme les Saoudiens m›ont informé, si l›Amérique aurait été confrontée à ce genre d›attaques à travers la frontière mexicaine, elle aurait réagi, et nous les Saoudiens nous devons réagir. Toutefois, cette réaction n›est pas appréciée ici, et je dis à nos amis

légitime du Yémen et les Houthis, dans le but de réaliser la paix et de pousser les Iraniens à quitter le Yémen. Leur intervention militaire est axée sur cet objectif, et je pense que nous devrions la soutenir. Plusieurs craintes se posent à propos des dommages collatéraux à la suite des opérations aériennes lancées par l›Arabie Saoudite et les Émirats arabes Unis. Nous avons les moyens de rendre ces frappes plus précises. Je pense que nous devrions offrir à l›Arabie Saoudite et au Yémen, ce genre de moyens qui leur permette de mettre en œuvre les tâches militaires avec plus de précision. L›administration précédente était réticente sur ce point, et c›était une erreur. Vous ne pouvez pas vous plaindre des dommages collatéraux, si vous n’aidez pas vos amis et vos alliés, pour limiter les risques. Question: Comment résoudre le conflit yéménite, à votre avis? Réponse: Un arrangement politique est nécessaire en vertu duquel les Houthis obtiendraient un rôle dans le gouvernement, et je pense qu›ils accepteraient cela. Mais je pense aussi que l›une des conditions qui devra leur être imposée si les Houthis jouissent de rôle, et qui est un droit, est de couper leurs relations avec les Iraniens. Question : Y a-t-il un précédent dans ce sens où une milice de l›Iran a coupé ses liens avec Téhéran volontairement? Réponse : Nous ne disposons pas de nombreux exemples de ce genre de résolution de guerres civiles avec succès. Je pense que la question est la suivante: vous ne pouvez pas mettre fin à cette guerre civile sans un cadre régional dans lequel les parties étrangères agissent en faveur d’un règlement pacifique et que dans cette optique ils s’engagent à retirer leur soutien aux combattants. Donc, je pense que la seule façon de mettre fin à la guerre en Syrie et au Yémen, ne se limite pas à une opération au sein du pays par laquelle œuvrent les parties loin de la violence et de l›acceptation d›une solution politique. Il doit y avoir un accord entre les puissances étrangères pour accepter un tel accord et le soutenir, et d’arrêter en même temps de fournir des armes à une certaine faction sectaire. Mais la question qui demeure est la suivante: Pouvez-vous amener les parties étrangères et les belligérants à un point où ils s’accorderaient à cesser, dans leur intérêt, la violence ? En ce qui concerne la Syrie, les Turcs ont voulu calmer la situation. Les Russes ont atteint leurs objectifs en Syrie, et

Les Etats unis doivent fournir aux forces de la coalition saoudienne au Yémen les moyens à même de leur permettre d’exécuter leurs opérations avec plus de précision les Saoudiens qu›ils ont besoin que le peuple américain comprenne qu›ils ne font que répondre à une menace de sécurité réelle ciblant l›Arabie Saoudite et repousser les attaques contre les villes et villages saoudiens. Ce qui n›est pas très perceptible médiatiquement. Mais nous devons faire plus pour aider. Je suppose que le résultat souhaité par les Saoudiens et Emiratis est de trouver une solution politique, qui serait le résultat d›une négociation entre le gouvernement

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Stephen Hadley et Mostafa El-Dessouki à Washington. (Getty)


peut-être ils veulent maintenant faire cesser la violence, et j›espère que les Turcs et les Russes puissent faire pression sur l›Iran pour arrêter la violence. Et l›Iran est plus attaché à Al-Assad et la plus intéressée de maintenir l›extension de l›Iran au Liban et de sa capacité à soutenir «Hezbollah». La question est : peut-on trouver un moyen pour prendre un peu en considération les intérêts légitimes de l›Iran tout en limitant voire arrêter ses intérêts illégaux ? C›est un défi pour la diplomatie. Vous pouvez obtenir ce résultat si vous pouvez commencer à changer la réalité sur le terrain. C›est ainsi que les Iraniens et les Russes commenceraient à perdre sur le terrain en Syrie plus que ce qu›ils perdent maintenant. Les Turcs traitent avec les Russes et les Iraniens, car ils représentent les deux seules parties sur le terrain. Nous devons accroître notre implication en Syrie sur le terrain, car cela nous donnera la possibilité de pouvoir pour travailler plus avec les Russes et les Turcs afin d’arriver au bout du compte à arrêter la violence. Question: Quelle est le rapport entre les combats au Yémen, en Syrie et en Irak d›une part, et la possibilité de parvenir à un règlement israélo-palestinien d›autre part? La

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Réponse: Il est trop tôt pour en parler. Le MoyenOrient est complètement différent de ce qu›il était il y a cinq ou dix ans. Plusieurs pays sunnites au MoyenOrient considèrent qu›Israël fait partie d›une coalition modérée contre l›extrémisme. Il y a un certain nombre de personnes qui ont écrit dans la presse qu›il y a une dose importante de coopération entre Israël et les pays modérés de la région afin de contenir l›extrémisme. Cela se fait en secret en ce moment, a relevé un certain nombre de personnes qui estiment que le seul moyen pour le faire ouvertement est d›aboutir à une sorte de processus politique entre Israël et les Palestiniens. Ceci est une condition essentielle pour les pays sunnites pour pouvoir politiquement admettre une plus grande coopération avec Israël. Parmi les choses que nous entendons, ce sont des discussions dans la région pour savoir si les pays arabes veulent se mettre d›accord sur une version mise à jour du modèle de l›Initiative de paix arabe, et si elle peut être effectuée dans un cadre régional à même d’instaurer un dialogue politique entre Israël et les Palestiniens pour préparer l›avenir. Je ne sais pas. D›après ce que j›ai entendu de la direction de Trump, le président Trump préfère parler de deal et il a désigné l’aboutissement du processus de paix israélo-palestinien en tant que «la plus précieuse de toutes les transactions». Je pense que la première question est: Est ce que les pays de la région veulent aborder le processus avec la façon que je viens de décrire? La deuxième question est de savoir si les responsables de la politique israélienne et palestinienne sont prêts effectivement à tenter le coup et à parvenir à la paix? Il y a des défis politiques tant pour les peuples israélien et palestinien. Et ma question est: Sont-ils prêts à faire des efforts supplémentaires pour la paix, et s›ils ne le sont pas, que peut-on faire pour améliorer l›atmosphère? Il est nécessaire que la coopération en matière de sécurité puisse continuer entre Palestiniens et Israéliens. En outre, Israël est appelée à faciliter le progrès économique dans les territoires palestiniens, en particulier dans la «Zone C» (la Cisjordanie). Les Palestiniens sont-ils prêts à continuer et à se déployer davantage dans la construction des institutions d›un Etat palestinien, même sous l›occupation israélienne? Ce sont des mesures pareilles, qui s’ils sont pris, qui pourraient progressivement faire changer la nature des calculs politiques au sein de l›Etat d›Israël et la société palestinienne de manière à rendre plus facile l’aboutissement d’un processus politique parrainé par d›autres Etats sunnites. Ceci serait peut -être plus clair avec le temps, mais je pense qu›il est trop tôt pour parler de la voie à suivre par les États-Unis, et le rôle que veulent jouer les Russes après leur retour au Moyen-Orient, et le rôle que Palestiniens et Israéliens vont vouloir endosser en ce moment.


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Visite de Merkel à Tunis et au Caire

Le bâton et la carotte Par Chokri Ben Nessir Avec la fermeture de la route migratoire des Balkans début 2016, la Libye est redevenue, la voie d'accès numéro un pour les clandestins et les réfugiés qui veulent rejoindre l’Europe. En effet, selon le gouvernement italien, quelque 13 400 arrivées ont été recensées en janvier et février 2017, soit une hausse de 50 % à 70 % par rapport aux deux premiers mois de 2015 et 2016. La chancelière Allemande Angela Merkel, sous pression chez elle et en Europe pour avoir ouvert son pays à plus d’un million de demandeurs d’asile, a depuis début 2016, pris son bâton de pèlerin en effectuant des tournées africaines pour réduire l’afflux des migrants, proposant aux pays visités notamment des accords de renvoi de migrants vers leur pays de transit, comme c’est le cas avec la Turquie. Une thématique vitale et qui risque de dominer la campagne des élections législatives du 24 septembre en Allemagne, lors desquelles Mme Merkel entend briguer un quatrième mandat. Mme Merkel, qui a porté ce même message à l'automne dernier au Mali et au Niger, avait prévu d'en faire autant au Caire, à Tunis et à Alger, avant l'annulation de sa visite dans ce dernier pays en raison de l'état de santé du président Abdelaziz Bouteflika. Et si à Tunis, l’annonce de la signature d'un nouvel accord sur l'immigration prévoyant d'accélérer les refoulements de Tunisiens dont le titre de séjour a été refusé, a permis à Berlin et Tunis de clore une période de crispation qui avait vu des responsables allemands avancer l'hypothèse de sanctions contre les pays -dont la Tunisie- ne coopérant pas suffisamment sur l'immigration, le Chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed avait adressé

une fin de non-recevoir à Berlin sur l'idée de camps, sur le sol tunisien, pour accueillir des migrants sauvés durant leur traversée de la Méditerranée depuis la Libye.

La controverse Cette nouvelle convention "va satisfaire la Tunisie et va satisfaire l'Allemagne", a déclaré le président tunisien Béji Caïd Essebsi lors d'une conférence de presse commune avec la chancelière Angela Merkel. Même si elle concerne le sort de 1500 migrants tunisiens, « Elle ne porte pas du tout atteinte à la souveraineté de la Tunisie ou d'un autre pays", a-t-il affirmé. De son côté, Mme Merkel a indiqué que l'accord prévoyait notamment une réponse "sous 30 jours" de Tunis aux demandes d'identification par Berlin. Et même si leur retour pourrait s'avérer catastrophique pour un pays qui a réussi, malgré la crise économique et des attentats à répétition, à préserver sa stabilité et ses progrès démocratiques pour devenir le seul rescapé des "Printemps arabes", cette question était au cœur d’une controverse entre Berlin et Tunis. C’est que le dossier du Tunisien Anis Amri, l'auteur présumé de l'attaque du 19 décembre contre un marché de Noël à Berlin qui a fait 12 morts, avait enflammé à l’époque les feux des critiques. En effet, les autorités tunisiennes avaient été accusées d'avoir bloqué durant une partie de 2016, son rapatriement. Les autorités tunisiennes avaient plaidé alors leur bonne foi, relevant que les procédures d'identification étaient longues et nécessaires. Mais une fois ces désaccords évacués, Tunis a souligné qu’elle compte grandement sur la visite de la chancelière pour renforcer la coopération économique. D’ailleurs, Merkel, qui était accompagnée d'une délégation d'hommes d'affaires, a annoncé le déblocage de 250 millions d'euros

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Angela Merkel, chancelière allemande, arrivant à une réunion avec le Premier ministre tunisien Youssef Chahed et son gouvernement lors de sa visite officielle en Tunisie. (Getty)


afin notamment de favoriser l'emploi des jeunes. Unique rescapé du Printemps arabe, la Tunisie est un des pays les plus touchés par le fléau jihadiste, et le retour de milliers de Tunisiens ayant prêté allégeance à des organisations comme le groupe Etat islamique (EI) est sensible. C’est pourquoi la relance économique à travers des projets de coopération, dans des domaines comme l'agriculture ou les énergies, convenus avec l’Allemagne portent sur un milliard d'euros, selon Berlin. En effet, pour Angela Merkel, la Tunisie en tant que jeune démocratie, peut « compter sur le soutien et la coopération, politique, économique et sociale de l’Allemagne", a-t-elle déclaré devant le Parlement Tunisien. Et de souligner que les allemands le savent bien " La sécurité et le développement économique sont liés (...). Au final, c’est dans notre intérêt à tous", a-t-elle ajouté.

La question Libyenne Etant donné que l'Egypte, comme la Tunisie, est en quête d'assistance et d'investissements pour relancer son économie minée par le chômage, Merkel a profité de son passage au Caire pour parler de la Libye, pays en

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proie au chaos et qui constitue une tête de pont pour les migrants tentant de rejoindre l'Europe. Elle a évoqué avec le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi "des points concrets concernant la protection des frontières". "Sans stabilisation politique de la Libye, nous ne pourrons pas faire cesser les activités des passeurs et trafiquants (d'êtres humains) qui travaillent depuis la Libye" vers l'Italie, avait-elle indiqué. Devant la presse, elle a même apporté son soutien à l'initiative diplomatique menée par les voisins nord-africains de la Libye (Tunisie, Algérie et Egypte). Un sommet doit prochainement avoir lieu en présence des chefs d'Etat de ces trois pays. "Nous vous souhaitons beaucoup de succès car nous savons que la situation politique en Libye est difficile (pour vous). (...) En raison de l’immigration, c’est aussi, pour nous, Européens, important", a-t-elle dit. Avec cette visite, l'Allemagne, avec sa puissance économique, voulait porter ce message aux pays qui ont trainé les pieds pour mettre un terme à la question migratoire en Europe. Un message qui passera difficilement tant que la migration et le droit au refuge, sont inscrits comme droits humains universels dans les constitutions européennes.


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Fairouz ou le passage de la chanson de la paix Par Moncef Meghanni Dans les années 30 du siècle dernier, à Beyrouth, Mr Rabii Haddad, père de Nihed (à l’âge de 5 ans, devenue après Om Zied) n’était pas capable d’acheter un poste radio. Il était un simple employé dans une imprimerie d’un journal, et la possession de tels appareils était considéré une sorte de luxe à cette époque où le monde vivait au rythme de la dépression économique à cause des troubles de la deuxième guerre mondiale et pendant laquelle le Liban était sous occupation française. A cause de manque de moyens et comme Nihed n’avait pas uniquement les gênes de son père mais que la musique coulait dans ses veines aussi, elle s’asseyait tout près de la fenêtre pour écouter en cachette, non pas pour espionner les voisins, mais pour capter les mélodies des voix perceptibles à travers les ondes de leurs radios et pour se laisser bercer au rythmes des chansons de Mohamed Abdelwaheb, d’Om Kalthoum, de Leila Mourad ou encore celle de sa voisine Ismahan et son frère Férid Latrach. A l’âge de cinq ans, Nihed adhère à la chorale de la radio libanaise mais son père craignait qu’elle devienne une chanteuse populaire. C’est ce qui amené le compositeur Mohamed Flifla (qui a composé l’hymne national syrien) à essayer de convaincre le père de Nihed pour qu’il la laisse se produire en public. Le père n’est convaincu qu’à condition que les chansons que sa fille interprètera soient patriotiques.

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Mais sa découverte sera l’œuvre de Halim Erroumi qui lui a composé sa première chanson. Plusieurs noms artistiques lui sont proposés pour en convenir à la fin à celui qui illustre une pierre précieuse digne d’une voix sublime et sans précédent : Fairouz. Dans cette époque marquée par la quête d’une voix nouvelle, Fairouz se déplaçait comme un diamant précieux, qui devait bénéficier d’un intérêt auprès de bonnes mains qui sachent préserver cette voix prometteuse et rare. Parmi les « joailliers » qui reconnaissent la valeur de Fairouz figure le compositeur de talent Assi Rahabani qui l’a demandé en fiançailles au cours d’une composition avant de se marier avec elle et d’assoire avec elle et son frère un véritable temple de nouvelle musique avec des airs nouveaux, des phrases musicales courtes des quels émanent des émotions douces qui transpercent les cœurs. Ils bâtissent ainsi un véritable empire baptisé « Fairouz et les Rahabani ». Mais de ce mariage va naitre le premier enfant, Zied Rahabani, qui va combler sa mère de tendresse et de chansons. Depuis qu’elle a entamé sa carrière en 1955, Fairouz était comme un cours d’eau fertile et abondant, qui ne s’arrêtait guère. Ses chansons traversaient les espaces et le temps sans prendre une seule ride. Ses compositions entrainaient tout ; les hommes, les femmes et les enfants faisaient bouger les arbres et les montagnes. Tout cela est du à ce savant mélange d’un cocktail axé sur la douceur des émotions et la force des propos, sans fioritures et traitant des thèmes qui critiquent le pouvoir et le peuple. Elle a également chanté les différentes villes arabes comme El 6/03/17


Quods, La Mecque, Bagdad, El-Cham et la Tunisie sans faire l’éloge des dirigeants ou même évoquer leurs noms. Dans tout ce qu’elle a interprété, elle chantait la liberté, l’amour sans cette violence ou excès remarqué dans l’ensemble des chansons arabes. Même dans sa célèbre chanson « El Quods », elle emmenait les nostalgiques de cette ville dans un voyage sublime sans fin en chantant avec une noble tristesse « nos yeux partent vers toi chaque jour ». Toute sa vie, Fairouz a vécu la beauté sans fin, et les gens n’ont connu d’elle que Fairouz qui a vécu une vie teintée de beaucoup de silence en préférant être une simple chanson de paix qui unissait les libanais dans un pays livré à la guerre civile et à la destruction. Quand Beyrouth a brulé, Fairouz s’est fixée et n’est pas quitté la ville. Elle n’a chanté plus pour personne. Plus encore, elle a refusé de chanter et sa voix envoutante s’est tue quand se sont élevées celles des armes. Elle n’a répondu aux sollicitations d’aucune partie ou secte. Jusqu’à ce qu’elle, qui connaissait la patrie du nord au sud, a sorti « bhebbek ya libnan », devenue l’hymne de celui qui n’a aucune chanson sur sa patrie même celui qui n’est pas libanais et celui qui n’a pas de patrie. Aujourd’hui, Fairouz n’a pas d’âge, bien qu’elle ait dépassé les 80 printemps. Elle n’a d’égal que le poids de ce trésor de chansons qui traverse le monde et le nourrit à travers les générations. Et le poids de Fairouz est celui de plus de 800 chansons de tous genres réparties entre plusieurs genres musicaux et artistiques englobant films, pièces de théâtre et opérettes et où elle a chanté le soleil et la liberté comme un oiseau qui porte le ciel sur son dos. Et s’il y a un vœu de fin ce sera un appel à l’Union des pharmaciens arabes et aux associations de traitement psychologique pour que les chansons de Fairouz soient disponibles dans les officines du monde arabe, tout comme les médicaments.

Dessin de Ali Mandaloui


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L’Impasse d’Aymen Hacen:

Un roman universel Par Taha Masmoudi L’Impasse (ou L’Art tunisien d’aimer) est le roman de l’écrivain et poète tunisien Aymen Hacen, qui vient de paraître aux éditions Moires, une maison d’édition bordelaise, dans la collection « Lachésis ». Selon la dédicace, ce roman est dédié à feu Ahmed Brahim, militant national de gauche et homme politique tunisien, ancien secrétaire du Mouvement Ettajdid, rebaptisé Al Massar à partir de 2012. Les événements relatés dans le roman se déroulent au cours d’une seule journée, un 22 février, et racontent la rencontre, précisément les retrouvailles entre le narrateur, jeune et brillant universitaire, avec son ancien ami et mentor, Arkam Mantri, universitaire spécialiste en littérature française, dont il s’est séparé à cause de (ou plutôt grâce à) la Révolution tunisienne de 2011. Cela pourrait expliquer la forme du texte, qui vient intégralement et dans un seul bloc, sans chapitres ni titres. Cette caractéristique, assez originale, fait que les événements soient en parfaite liaison les uns avec autres. En effet, ces derniers ne se passent pas vraiment au temps du récit, mais ce sont plutôt des fragments de souvenirs liés à une histoire d’amour, racontés autour d’un verre.

(personnage fictif sans doute, quoi qu’en dise « l’Avertissement » où l’auteur écrit avec beaucoup d’ironie et de malice : « Les personnages et les situations de ce roman étant purement réels, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que voulue »), sont très révélateurs de la personnalité tunisienne : ils traduisent, d’une part, les ambiguïtés, les contradictions, les soucis, les problèmes, les préoccupations d’une frange de la société tunisienne postrévolutionnaire, celle de la classe intellectuelle et de fait, le dialogue qui se déroule entre les personnages et les passages narratifs ou introspectifs du roman nous informent que la vraie cause de la rupture entre les deux amis est la voie politique et idéologique que chacun des protagonistes a choisi de prendre après la Révolution. Certes, ces convictions idéologiques ne sont pas nées au lendemain du 14 janvier et les deux amis se connaissaient très bien avant 2011. Cependant, la Révolution est venue faire surgir ces convictions, les assimiler et les « libérer » de l’ignorance qui les caractérisait. Et d’autre part, les personnages reflètent les modes de pensée et les différentes représentations opposant un milieu rural et un autre urbain : Arkam Mantri serait en réalité originaire d’une « région de l’intérieur du pays qu’il dit marginalisée depuis l’indépendance ». De l’autre camp, on trouve le narrateur, citadin qui est né et qui a vécu dans une ville côtière et touristique de la

Les deux principaux personnages du roman, le narrateur et Arkam Mantri

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Aymen Hacen


Tunisie, à savoir Hammam-Sousse. Cette dualité et cet écart qui ne cessent de devenir de plus en plus flagrants depuis l’indépendance, entre l’est et l’ouest, la côte et l’intérieur, traduisent non seulement un schisme à caractère économique et social, mais aussi un hiatus d’ordre culturel, idéologique et politique : le narrateur, élevé dans la région du Sahel d’où sont issus les deux présidents de la République d’avant la Révolution (Bourguiba et Ben Ali), a un fort attachement, malgré son gauchisme déclaré, au bourguibisme, puisqu’il se réfère à maintes reprises à Bourguiba et à son combat pour l’évolution du pays. Aussi représente-t-il cette tendance moderniste et progressiste opposée à la montée des islamistes après la Révolution.

En somme, le roman est écrit dans une langue de haut vol, mariant parfaitement la langue française au contexte tunisien, avec des expressions tirées du dialecte du pays, ainsi qu’une belle symbiose entre la poésie française et des passages de poèmes, de chansons et des proverbes arabes. Cette œuvre mérite sans doute d’être lue, avec patience et surtout avec passion, puisqu’elle est l’une des rares à s’inscrire dans le contexte de la Tunisie postrévolutionnaire. Ces personnages servent de porte-loupe à l’auteur en lui permettant de fixer son regard envers la réalité de la société pour en peindre un tableau où figurent toutes nos obsessions.

Par contre, « Sid’Arkam », dont le père était yousséfiste et qui a été contraint à fuir le pays pour le Maroc après l’indépendance, « avait en lui, non pas cette haine réelle nourrie par d’autres, mais une sorte de ressentiment à l’égard de Bourguiba, de Ben Ali et des Sahéliens », et ce sont ces facteurs qui se sont conjugués pour donner à Arkam Mantri cette personnalité contradictoire et même maladive qui fait de lui un futile aussi bien en amour qu’en politique et qui ont contribué à créer sa tragédie.

C’est à ce titre que L’Impasse ou L’Art tunisien d’aimer est un roman universel, parce qu’il inspecte de façon magistrale une figure individuelle en rapport avec le destin collectif et parce qu’il fait de la Tunisie un modèle valant aussi bien pour le Monde arabe et la Méditerranée que pour le monde entier.

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L’Impasse d’Aymen Hacen, Bordeaux, éditions Moires, collection « Lachésis », janvier 144 ,2017 pages, 15 euros.

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