MÉMOIRE de RECHERCHE : Les résidences fermées et sécurisées en France, l'impact de la fermeture...

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À ma belle et douce grand-mère, aimante des mots et de la vie….



REMERCIEMENTS

Je voudrais particulièrement remercier Claire Karsenty, qui dans sa générosité débordante a su, me guider, m’épauler, m’encourager… Armée de sa grande patience et de son incroyable sens de la pédagogie, nous avons réussi, ensemble, à mener à terme ce mémoire de recherche. Merci également à Valérie Lebois pour son apprentissage théorique qui nous a permis d’assimiler les mécanismes de conception ainsi que les nombreuses étapes pour parvenir à la construction de ce mémoire de recherche. Je souhaite remercier ma merveilleuse mère pour ces nombreux conseils, son encouragement sans limite depuis de nombreuses années et son amour. Merci également à mon parrain Djé. Je remercie mes amies Marie Porracchia, Lucile Blitz et Coline Bannelier pour leur soutien quotidien et leur énergie communicative. Enfin, un grand merci à Loris Perez, pour son soutien infaillible et sa grande curiosité. Toujours prêt à m’accompagner dans mes recherches et à me donner confiance en mon écriture.


Mur de la honte Lima


AVANT-PROPOS

Lima, capitale du chaos, de la démesure ? Dans sa belle allure qui laisse transparaître une organisation incertaine, l’infini nous fait perdre nos repères. Pratiquer la vie urbaine c’est comprendre sa configuration. Après un an d’expérience, la capitale Péruvienne, me paraissait bien plus disciplinée qu’en France. La vie quotidienne au sein de cette mégalopole et la nécessité de démêler ce tissu de réseaux, a été le point de départ de ma réflexion. À Lima, la ségrégation sociale dans la répartition urbaine de la ville est une réalité physique. L’organisation sous forme de 43 districts socio-économiques permet de visualiser la confrontation des milieux de classes sociales. Un exemple très connu des Liméniens est, comme on l’appelle, « le mur de la honte », construit en 1970. Haut de 3 mètres et long de 12 kilomètres, il sépare radicalement la résidence fermée et sécurisée la plus riche de Lima prénommée « Las Casuarinas » et le quartier informel de « Pamplona Alta ». Cette paroi sépare en deux, physiquement et socialement, les habitants sans aucune communication possible et envisageable. L’initiative de fermeture, dans le but de se protéger d’un extérieur, a des répercutions urbaines très importantes. En effet, cette séparation stricte ne laisse aucune possibilité de traverser cette zone sur plus de 12 kilomètres et empêche la libre circulation ainsi que l’accès aux routes principales depuis le bidonville. Parfois, un détour de plus de deux heures de marche est nécessaire alors qu’il suffirait de quelques minutes pour rejoindre la Panamericana (autoroute transaméricaine qui parcourt le continent du nord au sud) ou bien pour permettre aux habitants de Pamplona Alta de se rendre à Las Casuarinas, car en réalité la majorité y travaille comme agents de service. Cette résidence, construite de toute pièce, est un modèle inspiré des États-Unis sous le nom de Gated Community. Il trouve sa source dans la volonté de repli communautaire et sécuritaire. Ce modèle, dit architectural est international et s’adapte à la politique urbaine de chaque pays. En France, les résidences fermées sont au cœur de la polémique urbaine et sociétale. Elles ont atteint notre territoire, depuis bientôt 30 ans, et semblent parfaitement intégrées au tissu urbain. J’ai eu envie de comprendre ce besoin de repli, de fermeture. L’isolement social et urbain, tout comme son impact sur la vie environnante. Comprendre l’origine de « ce morceau de ville », son histoire dans le contexte français et observer les espaces produits par le mur, une interface, un dedans et un dehors.


SOMMAIRE INTRODUCTION…………………………………………………………...p.1 MÉTHODOLOGIE……………………………………………………….....p.8

I. UN PHÉNOMÈNE DE FERMETURE …………………………………....p.11 A. Le mur, un mécanisme de défense …………………………………..p.12

A1. L’histoire et l’origine du mur A2. Les murs d’aujourd’hui B.

Les Gated Communities, au-delà du concept architectural ……...p.18

B1. Définition des urbanistes B2. L’origine d’un modèle d’habitat C. L’état des lieux en France …………………………………………..p.26

C1. Le recensement de François Madoré C2. Un modèle de vie sollicité D. Cas d’étude …………………………………………………………p.32

D1. Les études menées en France D2. Les caractéristiques des cas d’étude

II. UNE TENDANCE ACTUELLE ………………………………………...p.39 A. Le phénomène Marseillais …………………………………………p.40 B.

La résidence Coin Joli ……………………………………………...p.46

B1. Un quartier pavillonnaire en arrière du Vélodrome B2. Les mécanismes de fermeture B3. Un dialogue avec l’habitat environnant B4. L’impact de la fermeture B5. Le mur, retranscription ou conséquence d’une séparation sociale B6. Une expansion urbaine à l’échelle d’un quartier B7. Description narrative


C. La résidence Les Castors du Merlan………………………………p.76

C1. L’organisation en périphérie C2. Les Castors du Merlan C3. Une mise en scène de la fermeture C4. Une réaction à un environnement extérieur C5. Les conséquences urbaines de la fermeture C6. Description narrative D. Des résultantes communes ? ………………………………………p.108

III. LE MUR, UN IMPACT SOCIÉTAL DANS NOS VILLES …………....p.115 A.

La résidence, un désir d’exclusivité ………………………….p.116

A1. Entre copropriété et « privatisation » de l’espace public A2. Une gouvernance urbaine à l’échelle nationale et communale A3. Un système privé en ville B.

Un espace public « réservé » ………………………………....p.126

B1. La ville, l’expérience à l’altérité B2. Les relations de voisinage B3. L’entre-soi, un modèle ségrégatif et volonté collective ? B4. Le nouveau motif de la tranquillité et l’argument sécuritaire B5. Un nouvel espace intermédiaire

CONCLUSION ………………………………………………………....p.139 TABLE DES MATIÈRES …………………………………………………p.144 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………...p.149 ANNEXES ……………………………………………………………….p.155



« L'étrangeté de l'autre est la preuve de ma singularité que je lis dans son regard étonné. Son regard comme promesse d'une rencontre. C'est de cela qu'on se prive en privatisant » Thierry Paquot



INTRODUCTION

« À défaut de pouvoir enfermer les autres, on s'enferme soi-même »1 dit Claude Quétel en parlant de l’histoire des murs d’aujourd’hui et des murs de l’avenir. Cet acte physique de fragmentation de l’espace en deux parties, d’un dedans et d’un dehors est un thème qui préoccupe nos sociétés.

Les murs à différentes échelles Le mur contemporain est une initiative politique au sens d’exclure, de contrôler et d’affirmer une limite, il est également un mécanisme de défense contre cet autre, cet étranger et enfin une réalité architectonique qui répond « à une situation d’urgence, à un danger »2, où l’enfermement est une « hyperbole de l’impuissance »3. À l’échelle internationale, le mur trace les frontières entre les territoires, avec un recensement de 65 murs érigés contre seulement 11 il y a 30 ans 4. À l’échelle de la ville, à notre échelle de vie, le mur s’est installé aisément dans notre tissu urbain, presque inaperçu et intervenant dans le domaine du logement. Les résidences fermées et sécurisées ou Gated Communities5 « désigne des quartiers d'habitations retranchés du reste du territoire derrière des enceintes, accessibles uniquement à leurs résidents et protégés par des milices privées ou des systèmes électroniques de surveillance »6 Il s’agit donc d’un enfermement volontaire et collectif, d’un regroupement d’habitants dans un espace clos.

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QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Pérrin, 2014, p.277 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.194 3 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.310 4 PLONQUET Astrid, « Les faits et chiffres #4 _ Les frontières », in Major-prépa, 9/02/17, consulté le 23/12/18, <https://major-prepa.com/geopolitique/les-faits-et-chiffres-4-les-frontieres/> 5 Appellation anglophone, traduction exacte : Communauté fermée 6 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.23 2

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Le phénomène des Gated Communities est un modèle élaboré à Londres en 1743 et importé à Manhattan en 1831 par Samuel Ruggles7. Il s’est ensuite développé aux États-Unis où la ville privée est devenue un dispositif architectural à part entière. Ce nouveau système du « rêve américain » fait son apparition en France en 1990, cependant l’usage de l’accès réservé par une population ciblée est déjà connu depuis le 18 ième siècle avec la Villa Parisienne. Le promoteur Monné-Decroix est le premier a proposé ce modèle dans la ville de Toulouse qui s’est ensuite rependue sur l’ensemble du territoire français. À l’heure où le monde s’ouvre, où l’accessibilité et la mobilité sont les maîtres mots de notre société, le paradoxe survient de ce retranchement dans des espaces clos sans réelle mixité culturelle et sociale.

Les caractéristiques de la résidence fermée et sécurisée Quelles sont donc les motivations des promoteurs et usagers à se tourner vers un repli communautaire ? Trois facteurs interviennent dans la décision d’isolement communautaire. Premièrement, les promoteurs vendent l’argument de la sécurité pour contrer « l’incivilité… des troubles de la vie quotidienne »8 comme par exemple le bruit des motards ou des enfants jouant dans la rue. Deuxièmement, des activités sont généralement proposées au sein de ces résidences comme par exemple des piscines, des espaces verts et des centres sportifs qui augmentent la qualité du niveau de vie. Troisièmement, ils proposent un modèle social sélectif avec l’élaboration d’un idéal communautaire. En effet, les résidences fermées se basent sur des critères socio-économiques précis afin de vivre avec des gens qui nous ressemblent et qui partagent les mêmes valeurs. Du point de vue du consommateur et du vendeur, cette action vise l’amélioration sociale et l’élévation de la qualité de vie. En revanche, le phénomène de l’entre-soi inquiète de nombreux sociologues. Il s’agit d’une « situation de personnes qui choisissent de vivre dans leur microcosme (social, politique, etc.) en évitant les contacts avec ceux qui n’en font pas

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MCKENZIE dans Privatopia CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.85 8

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partie. »9 Il est le signe d’une homogénéisation croissante et tend à l’affirmation du séparatisme social dans la ville avec une « topographie sociale toujours plus contrastée »10.

L’insertion en milieu urbain Le sarcasme sur ce thème n’est pas sans retenue, surnommé « paradis perdu » ou encore de « ghetto doré », il est l’illustration du rêve américain et de ces banlieues bien rangées. Cependant cet univers fantastique minimise le phénomène et laisse à penser qu’il s’agit d’une manifestation marginale. Ce qui est inattendue est justement que cette forme d’habitat est en train de se démocratiser en France.11 Comment est donc perçue cette nouvelle forme d’habitat depuis l’extérieur et comment s’intègre-t-elle à la ville existante ? Ces espaces délimités et réservés sont construits en une seule fois, généralement en zone périurbaine et en contact avec un tissu urbain existant. La résidence fermée est construite comme un nouveau « quartier », en semi autonomie, qui selon l’étude de François Madoré serait d’une moyenne de 38 logements.12 Éric Charmes, sociologue français, exprime l’impact de la recherche de l’entre-soi et ses dangers dans la dualité communauté/société. Cette quête est « considérée comme un premier pas vers un rejet de toute forme de solidarité avec les autres membres de la société. »13 . Cette volonté de se mettre en retrait de notre société provoque-t-elle un changement au niveau des relations sociales entre habitants d’une même zone ? Les grands ensembles des zones périurbaines sont eux aussi considérés comme un dispositif urbain visant l’exclusion socio-spatiale en rejetant la mixité. La différence marquante pour les résidences fermées et sécurisées est la délimitation radicale par le mur et le contrôle de l’accès. Il est possible de dire que cette séparation entre un grand

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Définition Larousse SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014, p.19 11 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.24 10

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CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.84 13 Op. cit. CHARMES Éric, p.16

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ensemble et le reste de la ville existe de manière immatérielle, mais ici il est important de retenir la volonté de s’émanciper d’un environnement urbain proche. La séparation physique crée un dedans et un dehors qui affirme cette exclusion socio-spatiale. « Ces "enclaves" sont par définition des "à-côtés", des "hors de", ne font plus "ensemble", ne font plus "villes", disloquent, émiettent, bunkérisent le territoire commun. »14 comme l’affirme Thierry Paquot. La mise à l’écart physique est ici évidente mais qu’en est-il des relations entre habitants de l’intérieur et de l’extérieur ? Y-a-t-il une volonté de ne plus faire partie du réseau social de la ville ? En effet, ces résidences partagent une certaine proximité avec un environnement urbain et donc des habitants, des voisins, des passants… Le mur est-il un obstacle autant physique que social aux relations de voisinage ? En supprimant les lieux accessibles supprime-t-on également la rencontre ?

Cohabitation et voisinage Les relations de voisinage au sein de la résidence seraient sans doute plus ouvertes à une forme d’échanges et de rencontre car les habitants ont choisi de vivre ensemble. La sélection des habitants et l’aspect sécuritaire permet de produire une certaine confiance à l’intérieur même des murs. Les relations intérieures sont-elles alors renforcées ? L’espace extérieur commun produit par la fermeture ressemble-t-il à l’espace public que nous connaissons tous ? Est-il aménagé, pratiqué, vécu par les habitants de la résidence pour favoriser l’esprit communautaire ? De plus, les résidences fermées et sécurisées « ne forment jamais des villes complètes et autonomes »15 ce qui oblige les habitants de l’intérieur à sortir pour travailler, s’alimenter… Ou bien il est possible que le choix de vivre entre-soi, émancipe l’habitant de toute vie sociale, incluant la vie de sa communauté. Dans ce cas, « la proximité spatiale ne génère plus le lien »16 et « les conditions sont réunies pour qu'un voisin devienne un étranger »17 ?

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DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.17

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Op. cit. DEGOUTIN Stéphane, p.24 16 HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.1 17 Op. cit. HAUMONT Bernard, p.1

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En revanche, l’habitant extérieur, celui qui n’a pas choisi de vivre dans une enclave ou à proximité de celle-ci, qui ne peut donc pas rentrer dans ce « dedans », est-il mis en relation avec ces habitants ? Il est intéressant d’étudier le mécanisme de la rencontre, des types de relations de voisinage et des lieux qui sont propices à cette rencontre. « Autrefois, chacun, commerçants, passants, riverains, constituait ce que Jane Jacobs a appelé les « yeux de la rue ». Aujourd’hui, la norme dissuadant de se mêler des affaires des autres et la disparition de la synergie tutélaire du quartier favorisent le recours à des dispositifs techniques ou à du personnel spécialisé pour contrôler les comportements. »18 L’enfermement favoriserait donc l’abstention du « frottement et le mélange social qui caractérise la vie urbaine »19. Donner une « spécialisation fonctionnelle des espaces »20 serait donc une perte d’énergie et un rejet de confronter les différents flux. Nous pouvons parler de rencontre mais également de cohabitation liée à une certaine proximité de la ville. La définition qu’en donne Bernard Haumont est-elle donc affectée dans le cas de ces résidences sécurisées et fermées entre les habitants intérieurs et extérieurs ? « Cohabiter, c'est sans cesse co-produire et négocier des temps et des lieux, où simultanément nous pouvons (devons ?) affirmer notre identité, sa pratique et sa représentation et les façons dont nous négocions celles-ci avec d'autres, voisins de rencontre, temporaires ou plus pérennes. »21 La vie collective entraîne souvent une solidarité entre voisins, établie sur des règles élémentaires de vie qui permettent une coexistence. Une enquête a été faite par Claire Lévy-Vroeland, Brigitte Dussart et Jean-Pierre Frey pour comprendre quel « lien produit la proximité physique entre des personnes qui n'ont pas choisi d'être ensemble, qui n'appartiennent pas au même monde, qui ne sont pas obligées de se fréquenter mais

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Demain la ville, « L’architecture de crise #4 : un monde de murs », 3/02/2016, consulté le17/12/2018, <https://www.demainlaville.com/larchitecture-de-crise-4-un-monde-de-murs/> 19 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.11 20 Op. cit. CHARMES Éric, p.11, reprise des notions de MANGIN 21 HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.19

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qui sont interdépendants »22. Les données de l’enquête montrent qu’il y a de nombreux échanges verbaux, de services jusqu’à même la considération amicale de son voisin. Dans le cas où l’habitant de l’intérieur d’une résidence sécurisée et fermée subit une « dépolitisation »23 à savoir que « le citoyen devient membre du club de sa localité d’adoption. Il en accepte le règlement restrictif »24, est-il possible d’observer ce type de service entre habitants de résidences distincts ? « Ces interactions positives et ces affinités entre voisins se développent sur le mode du réseau personnel que chacun créer autour de lui. »25 Ce réseau personnel est-il différent pour les habitants de l’intérieur et de l’extérieur ? Si ce réseau est supposé différent, il pourrait engendrer une perte d’interaction et donc une absence de vie sociale. « La demande de publicisation pourrait bien être plus forte que la demande de privatisation » et cela pourrait être seulement une image où le mur ne serait qu’une métaphore pour contrôler les manières de penser, une « théâtralisation de la souveraineté »26 Qui encourage le développement de ce modèle ? Quelles sont les implications des pouvoirs publics dans le développement de formes habitables ? Y-a-til une tendance à démocratiser cette manière de vivre en « communauté sélective » ? .

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Op. cit. HAUMONT Bernard, p.4 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.140 24 Op. cit. PAQUOT Thierry, p.140 25 HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.5 26 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.311 23

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MÉTHODOLOGIE Le mur est un élément architectonique, que nous habitons tous les jours, qui constitue chaque lieu que nous fréquentons. Il existe depuis l’origine de l’homme et l’accompagne dans son évolution. J’ai voulu m’en rapprocher et comprendre ce qu’il représentait aujourd’hui. Son histoire a été le point de départ de mes recherches. Afin de cerner au mieux le sujet des résidences fermées, il était important d’analyser son précurseur, la gated community. Mes premières lectures se sont donc orientées vers ce sujet très vaste et largement traité par les nombreux sociologues, urbanistes, architectes… Pour ramener le sujet en France et m’émanciper de ce modèle américain, j’ai premièrement repéré les chercheurs français, spécialistes du domaine, François Madoré et son recensement, Thierry Paquot pour la partie philosophique, Renaud LeGoix dans une approche théorique, Gérard Billard qui a collaboré avec François Madoré, Stéphane Degoutin qui crée un parallèle avec la gated community ou encore Élisabeth Dorier et Julien Dario, chercheurs géographes qui réalisent en ce moment même, un recensement quantitatif des résidences fermées à Marseille. De nombreuses lectures d’articles ont alimenté mes recherches, provenant de source médiatique et de mémoire de recherche. Cependant, les urbanistes affirment que les propos des journalistes peuvent être parfois subjectifs et sans fondements. J’ai voulu mettre en relation l’entité de la résidence avec le modèle de la ville pour en observer la résultante. Définir le tissu urbain est alors un premier pas pour savoir ce que nous allons analyser et comparer : les typologies architecturales, l’espace public (la rue, la place), les réseaux de mobilité, les activités associées à la zone, l’identité sociale. Chaque élément est à analyser séparément pour en comprendre l’organisation générale. Les critères de sélection des études de cas, mettent en évidence l’extrémisme des situations. En effet, j’ai choisi des contextes particulièrement contrastés, qui font ressortir des problématiques urbaines. Le cas de Marseille a attiré mon attention, car la ville concentre quasiment 30% de ces logements en situation de fermeture. De plus, de nombreux reportages et enquêtes médiatiques citent le cas de Marseille. La métropole

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fait l’objet d’une étude afin de comptabiliser les situations répétitives mais n’évoque pas l’aspect sensible sur le sujet. Les deux études de cas, Coin Joli et Les Castors du Merlan à Marseille, ont été choisies pour leur impact majeur sur la modification du statut d’un espace public, un chemin d’école et une place. Afin de comprendre les situations urbaines, j’ai tout d’abord, procédé à une analyse aérienne par le biais de Googlemaps. Afin de préparer mes visites sur site, j’ai constitué une grille d’observation pour analyser les dispositifs de surveillance mises en place. Mes visites m’ont permis de mieux comprendre la situation urbaine, d’avoir une approche plus sensible et de me rendre compte de l’impact direct sur la vie urbaine. J’ai utilisé la photographie, les esquisses et la description narrative afin de retranscrire mon expérience de terrain. De plus, la visite de quelques autres résidences à Marseille, m’ont permis d’observer le processus de fermeture comme modèle générique et d’affirmer mes hypothèses. En effet, mes observations concernant l’impact sur la mobilité, la déshérence au sein des espaces publics réservés et l’impact du mur sur le paysage urbain, ont été identiques dans chacun des cas.

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UN PHÉNOMÈNE DE FERMETURE

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Le mur, un mécanisme de défense A1. L’histoire et l ’origine du mur

« L'histoire des murs de défense est inséparable de celle de l'humanité »27, énonce Claude Quétel pour mettre en lumière la première séparation de l’homme. Cet élément architectonique a été conçu comme un mécanisme de défense, dans une volonté de lutter et de se protéger contre une agression physique ou morale28. Cette structure permettait, à l’époque préhistorique, d’isoler l’espace habité de la caverne, des bêtes sauvages et des autres hommes. La forme du mur a été par la suite détournée et utilisée par l’homme comme un dispositif afin de contrôler, de limiter, d’interdire et d’exclure. Dans ce sens, le mur est par définition, un instrument politique permettant d’étaler un certain pouvoir et faire acte d’autorité. Par la suite, il se positionne comme une idée de frontière, dans une fonction plus militaire et vient ponctuer les grands évènements de l’histoire de l’humanité. La grande muraille de Chine est conçue comme « une vision du monde, d'un monde fini »29 qui limite le territoire et démontre la puissance d’une civilisation. D’autres exemples comme la ligne Maginot, le mur de l’Atlantique ou bien le limes Romain ont alimenté le répertoire de la fortification. Mais le mur est aujourd’hui vêtu d’une connotation très forte et est dominé par l’image du mur de Berlin. Sa chute en 1989 aurait pu amorcer la disparition de tous les murs du monde. Très loin de cette initiative, « les murs d’interdictions »30 se sont démultipliés au travers des territoires et sont devenus des dispositifs récurrents utilisés pour les mettre en opposition. Ils sont devenus symboles des zones et frontières conflictuelles, du terrorisme, de l’immigration clandestine et parfois même la délinquance.31 D’initiative politique, ils sont le reflet d’une prise de pouvoir et donc d’une domination, ils mettent en évidence un schéma de rapport de force, fort/faible.

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QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.7 Définition CNRTL 29 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.20 30 Op. cit. QUÉTEL Claude p.193 31 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.193 28

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« Les murs sont historiquement condamnés. Ils symbolisent la fermeture contre l'ouverture, l'immobilisme contre le mouvement, la mort contre la vie » - Serge Sur32 « Le mur est une réponse à une situation d’urgence, à un danger »33, une réaction de panique où l’enfermement est une « hyperbole de l’impuissance »34. Serait-il la réponse matérielle de la peur ? Il symboliserait à la fois l’incapacité d’écouter l’autre et l’absence de communication. Claude Quétel affirme qu’il est la « mise en scène du déclin des États et de leur tentative de restaurer leur autorité. Ils divulguent une image rassurante de l'état aux yeux de ses ressortissants »35. Cette tentative de réponse, perçue comme une solution devient alors un paradoxe et n’est qu’illusion. Dans sa forme verticale et sa matérialité endurcie, il rassure dans l’entrave du non-franchissement et apporte une protection contre une éventuelle source de danger. Sa mise à l’écart visuelle et physique éloigne le « problème » et instaure une limite séparative. « On entre ainsi dans la psychohistoire des murs. Wendy Brown aborde aux rives freudiennes de la lutte entre le moi et l'autre, de l'identité et de l'étrange, de l'hystérie de peur ou de phobie se transportant de l'individu à la collectivité, loin d'un monde trop global. Le "désir de mur" s'expliquerait par une "identification du pouvoir et par l'angoisse liée à l'impuissance du souverain". Plus concrètement, Jean-Christophe Rufin attribue aux murs : ne peuvent-ils atteindre le but qu'ils se sont assigné et qui consiste à dresser durablement contre l'autre un obstacle infranchissable ? La principale raison de cet échec est à mes yeux un malentendu : ceux qui construisent ces remparts pensent qu'ils accomplissent un acte de puissance, que le mur est une manifestation de la force. En réalité, il est le signe de faiblesse. La raison d'être d'un mur, c'est la peur »36 Le mur comme objet-obstacle, comme une solution physique, matérielle, obstruant les sens. Il est une arme de défense ou d’attaque contre l’étranger, l’autre, celui qui ne pense pas pareil. Il aborde le thème de la différence, de la discrimination, de la mise à l’écart entre les hommes. Il devient symbole de la ségrégation, de l’éternelle guerre

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Préface écrit par SUR Serge dans le livre de NOVOSSELOFF Alexandra, Des murs entre les hommes, Éd. La Documentation Française, Paris, 2007 33 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.194 34 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.310 35 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.310 36 Op. cit. QUÉTEL Claude, p.311

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dans l’histoire de l’humanité. Il est le rejet de la tolérance, de l’acceptation et de l’écoute. Le mur parle de notre manière de gérer nos relations, nos rencontres, nos vies en communauté mais aussi de notre facilité à se dresser contre l’autre qui ne nous ressemble pas. Au-delà du paradoxe que provoque le mur sur la démonstration de puissance, il est également désigné comme instrument politique et représentation d’un mode de pensée. Il est en quelque sorte, un « grand messager » et porte-parole du gouvernement. Cette initiative instruit le peuple des deux côtés du mur et inculque des valeurs politiques. « Le gouvernement ne contrôle pas la frontière ; il contrôle ce que les Américains pensent de la frontière »37 - Tucson WEEKLY « Construire un mur la barrière, c'était la meilleure façon de ne rien faire tout en donnant l'impression de faire quelque chose »38 - Indira GANDHI Il a notamment inspiré de nombreuses expressions qui traduisent cette fatalité, cette impasse et cet obstacle dans la vie quotidienne. « Se trouver dos au mur », « être au pied du mur », « se taper la tête contre le mur »39… Il s’est inséré dans notre langage et dans notre lieu de vie comme un obstacle, qui met à l’écart une contrainte.

A.2 Les murs d’aujourd’hui

Les murs frontières Le mur d’aujourd’hui trouve son sens dans un schéma d’exclusion socio-spatiale et permet une mise à distance physique et morale. Qu’il soit d’acte de rejet ou bien de repli, l’isolation se fait toujours dans un mouvement d’idéologie collective. L’ensemble des murs aujourd’hui érigés se distinguent de par leur échelle de séparation. La première famille concerne les murs de frontières à l’échelle de pays ou de territoires qui forment aujourd’hui une barrière de plus de 40 000 kilomètres sur l’ensemble des

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Tucson WEEKLY dans QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.311 Indira GANDHI pour parler de la frontière entre l'Inde et le Bangladesh dans QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.311 39 Expressions du CNRTL 38

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continents40. Le mur de Bush long de 1500 kilomètres séparant le Mexique des ÉtatsUnis (prévu à plus de 3000 kilomètres par Donald Trump) compte parmi les plus représentatifs du XXI ième siècle. La prolifération des murs comme solution « facile et immédiate » au sein des zones conflictuelles tend vers un modèle générique et récurrent, comme l’exemple de la ligne verte en Palestine et de la bande de Gaza ou bien la zone des deux Corées. Ils sont aujourd’hui au nombre de 65 avec une augmentation de plus de 50 murs en 30 ans41.

Les murs à l’échelle de l’habitat La deuxième famille séparative concerne l’échelle de la ville et de l’habitat. Ils se distinguent de par leur initiative d’auto-enfermement et de leur exclusion quasi totale de la vie urbaine environnante. Les Gated Communities ou résidences fermées sont considérées par les urbanistes d’aujourd’hui comme un modèle de ville indépendant de son contexte urbain et social. La particularité architecturale de cette structure se trouve dans la barrière physique périmétrale qui l’isole de l’extérieur. Le mur est souvent utilisé comme dispositif de séparation et favorise l’enclave recherchée. Cet acte physique de fragmentation de l’espace en deux parties, d’un dedans et d’un dehors, est un thème prédominant dans le développement urbanistique des grandes métropoles. Les murs structurent le tissu urbain, entre les quartiers, entre les rues et entre les maisons et l’espace public. Ils sculptent le paysage, délimite les passages et servent d’œillères aux habitants. Les gated communities touchent tous les continents et cultures mais s’imposent particulièrement sur le territoire Américain. En effet, ces résidences attirent les classes aisées et sont considérées comme des habitats très luxueux. Particulièrement au Brésil et aux États-Unis, ces enclaves se déploient dans toutes les villes et contrastent d’avantage les inégalités socio-économiques. Les pays qui renferment généralement une forte différence entre les classes sociales favorisent le développement de ce modèle enclavé. La recherche de sécurité favorise le repli vers des espaces fermés.

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RENARD Camille, « Le monde se referme : la carte des murs aux frontière », in France Culture Web, 30/05/16, consulté le 18/04/19, <https://www.franceculture.fr/geopolitique/le-monde-se-referme-lacarte-des-murs-aux-frontieres> 41 PLONQUET Astrid, « Les faits et chiffres #4 _ Les frontières », in Major-prépa, 9/02/17, consulté le 23/12/18, <https://major-prepa.com/geopolitique/les-faits-et-chiffres-4-les-frontieres/>

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Les Gated Communities, au-delà du concept architectural B.1 Définition des urbanistes

À une plus petite échelle, une nouvelle famille séparative a récemment vu le jour, le « mur dans le mur », qui s’est installé aisément dans notre tissu urbain, presque inaperçu mais tout aussi extrémiste. La ville privée des résidences fermées et sécurisées est devenue un dispositif architectural à part entière, une manière d’habiter. La définition que donne François Madoré prend en compte plusieurs dispositifs : « Il s'agit d'un complexe d'habitat entièrement clos par un dispositif physique (mur, grille ou/et clôture), avec contrôle des accès (portail automatique ou/et gardien), le tout bénéficiant d'un principe d'auto administration d'ampleur très variable reposant sur une identification du complexe à une entité juridique régie par différents statuts (copropriété, association syndicale de propriétaires. »42 Gérard Billard, professeur d’aménagement et d’urbanisme et chercheur sur l’enfermement résidentiel en France, définit la résidence fermée et sécurisée comme un « complexe d'habitation présentant trois caractéristiques. En premier, ce complexe doit être ceint d'un dispositif physique de fermeture (mur, clôture, fossé.) le constituant en isolat clos, c'est à dire l'isolant physiquement de l'environnement immédiat. En second, cette fermeture doit être associée à un contrôle des accès au moins symbolique sinon réel. Enfin, ce complexe résidentiel, en correspondant à un entité juridique régie par différents statuts (copropriété, association syndicale de propriétaires)., fonctionne selon un principe d'auto administration

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MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm

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Les complexes concernés sont extrêmement variables : type d'habitat, mode d'occupation, standing et niveau sociodémographique des résidents, présence ou non d'équipements collectifs de nature variée. »

Le mur comme limite physique Le premier élément important et qui caractérise la résidence fermée est la limite stricte et construite du périmètre. Ce dispositif de fermeture est majoritairement fixe sur l’ensemble de l’enceinte et autorise à des points stratégiques l’accès à l’intérieur de l’îlot. La matérialité, visible depuis l’extérieur, contribue au degré de fermeture. Le mur, la clôture végétale, le grillage… renvoie chacun un message aux usagers extérieurs sur la protection des lieux et se révèle comme « un indicateur du standing social de l'opération »43. En opposition, l’aspect végétal d’une clôture reste plus populaire qu’une grille qui donne l’image d’une résidence bourgeoise. Par conséquent, « leurs enceintes sont souvent plus symboliques que défensives »44 et ne remplissent pas uniquement son rôle de barrière infranchissable. La clôture répond souvent au contexte périphérique des villes, dans des quartiers à faible densité, sur des communes régies par l’étalement urbain. Au sein d’un tissu urbain dense, l’organisation urbaine par l’alignement des façades permet l’agrégat infini et une enclave « naturelle » sans dispositifs additionnels. Bouygues Immobilier : "Cet aspect de clôture, c'est un argument commercial évident". Bouygues Immobilier : "La clôture, on la met partout, dès qu'on est en périurbain". 4M Promotion (promoteur toulousain) : "La systématisation de la clôture tient à ce qu'on construit dans des zones périphériques des villes, sur des terrains qui sont des terrains vagues au départ".

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MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm 44 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.23 p.24

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Une enclave, la création d’un dedans et d’un dehors Deuxièmement, le retranchement et le partage entre plusieurs résidents d’un espace composent l’enclave habitée. Une résidence fermée forme un agrégat de logements, isolé du reste de la ville par sa fermeture complète ou partielle. Le contexte urbain ou rural n’est pas important car cette enclave résidentielle se base sur un fonctionnement quasi-autonome. Enfin, les systèmes de surveillance aux entrées, plus ou moins nombreux, permettent le contrôle total de l’accès et la gestion des flux. Les gated communities sont « des "à-côtés", des "hors de", ne font plus "ensemble", ne font plus "villes", disloquent, émiettent, bunkérisent le territoire commun »45 d’après le philosophe et urbaniste français Thierry Paquot. De manière littérale, les noms donnés à ces résidences reflètent les intentions et positionnements au sein de l’organisation de la ville. Alors pourquoi ce besoin de repli au sein d’une structure figée et délimitée, qui ne prend part au bon fonctionnement de la ville ? Quelles sont les valeurs mises en avant et tant convoitées ?

Émancipation urbaine Plusieurs facteurs entrent en jeu dans ce besoin d’isolement et de fermeture. L’argument sécuritaire est la première motivation des habitants ainsi que le premier argument de vente des promoteurs immobiliers. Dans un « environnement considéré, à tort ou à raison, comme dangereux ou simplement générateur de nuisances »46 les habitants considèrent la fermeture comme un obstacle au danger ou du moins une mise à l’écart. Parallèlement, la tranquillité et l’éloignement de toute nuisance que génère la ville, est un cadre de vie très recherché par un certain type de population. L’absence de circulation automobile et piétonne, une certitude de pouvoir stationner devant chez soi ainsi que le calme d’une rue sans jeux d’enfants sont des luxes recherchés dans les pays développés. La volonté que dégagent les gated communities est la tranquillité du lieu, comme en milieu rural en gardant une certaine proximité de la ville.

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Préface de PAQUOT Thierry dans le livre DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.17 46 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.279

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Un besoin d’appartenance collective La résidence fermée offre toute une série d’activités réservées exclusivement au résident interne. Piscine, golf, salle de sport, restaurants, écoles… un grand nombre de services dans un retranchement collectif évoque les idéaux du club. Ces propositions d’activités, proportionnelles à la taille de la résidence, favorise le sentiment d’appartenance à une communauté et « de faire partie de ». La notion de « l’entresoi », c’est-à-dire une situation de personnes qui choisissent de vivre dans leur microcosme (social, politique, etc.) en évitant les contacts avec ceux qui n'en font pas partie47, est également à prendre en considération. La quête d’un mode de vie appréciée et partagée par une minorité comme la propreté des lieux, la bonne tenue mais aussi le niveau de vie, tend vers un modèle homogène du mode de vie. Les résidences fermées provoquent le rassemblement volontaire d’un groupe d’habitants suivant des critères socio-économiques prédéfinis. Cette homogénéisation croissante augmenterait le séparatisme social en milieu urbain. « Je m'enferme afin de ne pas être exposé à l'Autre, que je ne comprends pas et que je ne souhaite pas rencontrer. Le mur exprime l'incompréhension, la séparation, la ségrégation. Le bâtisseur de mur est un pollueur d'humanité »48 – Thierry Paquot

Un isolement politique Les Gated Communities sont le reflet des grandes résidences de vacances dédiées aux loisirs et inspirées des maisons « seniors » mais adaptées à tous types de population. « Quelle que soit leur taille et leur composition sociale, elles ont pour dénominateur commun de vouloir renouer avec le mythe, toujours vivace aux États-Unis, de la Small Town America. »49. Cependant, cette « ville dans la ville » fractionne le territoire et s’émancipe physiquement du système urbain. Ce retranchement traduit grossièrement, l’espace privé comme une zone de sécurité confronté à l’espace public comme un lieu dangereux. Oter le contrôle d’un morceau de ville à la municipalité et le confier à un 47

Définition Larousse PAQUOT Thierry dans le monde diplomatique en Octobre 2006 dans QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.289 49 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.282 48

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ensemble privé, induit une mise à l’écart des lois régissant l’espace urbain. C’est-à-dire que l’espace intérieur au mur n’est plus accessible à l’autorité et cela engendre, probablement, la création de ses propres lois aux commandes de la résidence fermée. Le film La Zona de Rodrigo Pla de 2007, évoque cette problématique au travers d’un scénario qui confronte une intrusion de jeunes cambrioleurs au sein d’une résidence privée et sécurisée de Mexico. Le danger de s’enfermer est que l’interdit suscite la curiosité, l’envie et les résidents se révèlent être des proies. Dans un autre sens, « tôt ou tard, les résidents ou leurs gardiens seront amenés à se faire justice eux-mêmes »50 D’un point de vue architectural et typologique, la fermeture de la gated community s’inscrit dans une retranscription physique d’une idéologie de vie communautaire. La structure fermée, comme on pourrait l’observer dans la conception du Phalanstère de Charles Fournier51, ou le Familistère de Guise52 interroge sur ce besoin de repli vers des espaces clos pour favoriser une forme de vie collective mais sélective. Pourquoi ce modèle persiste et est sans cesse réinventé sous différentes formes ? Quel est le rôle de la structure fermée et quelle place a-t-elle au sein d’une société ? « Le mur n'entoure plus la ville pour protéger tous les habitants d'une attaqua venue de l'extérieur, il fragmente son territoire intérieur en "fortins" résidentiels autarciques. »53

50

QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.292

51

« Un phalanstère est un ensemble de bâtiments à usage communautaire qui se forme par la libre

association et par l'accord affectueux de leurs membres. Pour Charles Fourier, les phalanstères formeront le socle d'un nouvel État » - Wikipédia 52 « Établissement où plusieurs familles ou individus vivent ensemble dans une sorte de communauté et trouvent dans des magasins coopératifs ce qui leur est nécessaire » - Wikipédia 53 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.132

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Figure 6 : Diagramme des caractéristiques des gated communities par échelle d’importance

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B.2 L’origine d’un modèle d’habitat

Histoire et évolution mondiale Les gated communities trouvent leur origine en France et en Grande Bretagne à la fin du XVIIIème siècle et s’inspirent d’un vieux modèle privé. La Villa Parisienne ferme la voie de circulation pour permettre une distribution privée pour chaque maison qui la compose. Un gardien surveille l’entrée et filtre les allers-venues des visiteurs. Ce tout forme le principe de copropriété et le premier exemple de fermeture collective en plein de cœur de la ville. Londres accueille également, en 1743, un nouveau quartier privé d’habitation. Le Leicester Square situé dans le West End était à l’origine un ensemble de demeures aristocrates, organisées autour d’un jardin rectangulaire. L’accès était à l’époque réservé uniquement aux riches propriétaires. L’Américain Samuel Ruggles, va s’inspirer de ces modèles européens de la grande bourgeoisie et importer en 1831, ce nouveau concept « juridico-immobilier »54, à Manhattan. La réalisation de Gramercy Park en plein cœur de ville marque le début du modèle américain bien connu aujourd’hui. Le rôle des promoteurs est ici très important car ils vont promouvoir ce type d’habitat luxueux en dehors de la ville et favoriser les lotissements de maisons individuelles. La nature et la tranquillité des grands espaces sont mise en valeur pour une vie plus saine. Le mouvement New Urbanism s’inscrit également dans une réflexion sur la planification urbaine et sur l’expérience de la ville construite de toute pièce. Le but étant de retrouver les principes fondamentaux de la ville, des espaces publics et du lien social dans les zones étendues périphériques. Cependant, ce modèle générique tend vers une homogénéisation sociale et « le standing patrimonial et environnemental dégagé transforment bien souvent les projets en enclaves certes ouvertes mais bien élitistes. »55, comme le montre l’exemple de Seaside Floride.

Un modèle Américain

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DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.13 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p.158 55

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Les gated communities sont considérés comme un modèle d’habitat exclusivement Américain car c’est au travers de cette culture qu’il a pris tout son sens. Les États-Unis regroupent plus de 30 000 résidences fermées56 qui accueillent 20 millions d’habitants et concernent principalement la classe aisée. McDonald Highland à Las Vegas ou Llewellyn Park dans le New Jersey sont des gated communities représentatives du modèle Américain. Les gated communities aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Afrique du Sud regroupent en moyenne 400 foyers57 et sont axés principalement sur le modèle d’activités ultradéveloppées. Le phénomène de l’entre-soi est d’autant plus accentué par le statut socio-économique des résidents car les lotissements sont prévus pour des familles hautement fortunées. En revanche, l’apparition récente de gated communities pour classe moyenne et aisé entre sur le nouveau marché immobilier afin de viser un plus grand nombre d’habitants et d’ouvrir le champ des possibles. Le développement de ces structures, qui favorisent la ségrégation sociale et creuse un peu plus le fossé des richesses, se fait au sein des états où cette organisation est déjà clairement établie. Ce modèle vient renforcer cette répartition socio-économique de la ville.

56

QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.279 Selon le recensement effectué par Edouard J. Blakely et Mary Gail Snyder (1997) dans MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, <http://geoconfluences.enslyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm> 57

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L’état des lieux en France C.1 Le recensement de François Madoré

Le phénomène des gated communities est international et s’adapte en tant que modèle à toutes les sociétés. La France, considérée comme le « mythe de l’égalitarisme »58, gardienne des valeurs identitaires et contre un modèle de différence, a pourtant accueilli cette structure façonnée par les États-Unis, depuis plus de 30 ans. L’importation d’un morceau d’habitat régi suivant des règles strictes, éloigné des principes de la ville ouverte, peut alors crée une mise en tension sociale et typologique sur un même territoire. Ces îlots d’habitation ne font plus partie de l’expérimentation mais au contraire ont intégré très largement le tissu urbain ainsi que les grandes étendues périphériques. En France les résidences fermées peuvent être catégorisées en deux grandes familles. La différence concerne la localisation par rapport à la ville et le type de population visée.

Figure 7 : Tableau des dix premières villes pour la proportion de programmes clôturés en France en 2002, tableau de François Madoré d’après son enquête menée en 2002

58

QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd Perrin, 2014, p.289

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Figure 8 : Carte des programmes de résidences fermées commercialisées par aire en 2002 – carte de François Madoré d’après son enquête menée en 2002

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Le « domaine d’exception » Le « domaine d’exception » qui se rapproche majoritairement du modèle de la gated community américaine, est considéré comme une première catégorie de résidence fermée et sécurisée. Les similitudes relèvent du prestige des lieux réservés exclusivement aux classes sociales aisées mais également du développement de l’habitat autour du système d’activités. La résidence se construit sur des valeurs communautaires élitistes à l’image du club. Par ailleurs, son implantation se fait à l’écart de la grande ville, dans un lieu souvent rural et reculé de tous réseaux de communication. Parfois, la création de voies privées ou de nouvelles routes sont nécessaires pour l’accès. La recherche de la tranquillité et de l’absence de tout lien social externe sont les maîtres mots de ces grands domaines. L’hypothèse de l’entre-soi est ici abordée car ces résidences font bien souvent appel à des systèmes de surveillance perfectionnés et sont accessibles financièrement qu’à une riche minorité. La majorité des villas sont habitées par des propriétaires mais peuvent parfois servir de résidence secondaire ou destiné à la sous location. Les activités intérieures favorisent le développement quasi intégral de la vie sociale. Les secteurs touchent les commerces, l’éducation, les centres de sports afin d’améliorer le quotidien des résidents. Le but recherché est de minimiser les déplacements extérieurs par la mise à disposition de tous services nécessaires. Le golf de Saint Germain lès Corbeil dans la commune d’Évry au sud de Paris est représentatif de ces domaines d’exception avec plus de 400 maisons individuelles de haut standing59. Également, les Hauts de Vaugrenier dans la ville de Villeneuve-Loubet, non loin de Nice, compte près de 4000 villas, occupées à 80% toute l’année par les propriétaires. Bien évidemment, la célèbre Villa Montmorency et le parc de Montretout à Paris, d’une époque plus ancienne, font parties des domaines d’exception recensées en France. Ils sont réservés aux classes aisées, ils existent depuis le début de la bourgeoisie mais se sont davantage développés avec l’arrivée des gated communities. Ce mode d’habitat a fait l’objet d’un grand nombre de critiques venant de la presse ou des urbanistes, sociologues… Les appellations de "recherche du paradis perdu", "ghettos

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LE GOIX Renaud, « Les lotissements fermés : effets de contexte », in Les Cahiers de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la région Ile-de-France, 55 « Les villes face à l'insécurité", 2010, p.73, <https://docplayer.fr/29819237-Les-lotissements-fermes-effets-de-contexte.html>

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dorés", "Forteresse de riches", "Phénomène de pathologie urbaine", "théâtralisation de la souveraineté " sont fréquentes dans les discours des journalistes ou urbanistes.

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L’adaptation Toulousaine, pour classe sociale moyenne Le promoteur immobilier Monné-Decroix est le premier a proposé une version de la gated community destinée aux classes moyennes. Surnommée résidence fermée et sécurisée en France, elle se diffuse à son origine dans la ville de Toulouse et ses alentours. En 1990, ce « nouveau » schéma habitable est considéré comme le précurseur d’un modèle générique, qui ne tarda pas à conquérir l’ensemble du territoire français et notamment le berceau méditerranéen. François Madoré, professeur et chercheur géographe dans le domaine de la ségrégation sociale et habitat autour des enclaves résidentielles des espaces périurbains, a contribué au recensement des résidences françaises. Il est à l’origine d’une enquête menée en 2002, pour comprendre ce modèle de « diffusion », d’analyser les différentes résidences et d’évaluer le rôle des promoteurs immobiliers. Sa méthode comprend 183 nouveaux programmes (sur 1537 connus) de148 promoteurs immobiliers qui contiennent les mots clés "ensemble ou programme clos, clôturé, fermé ou protégé (par mur, muret, grille ou portail automatique)".60 Les résultats ont permis de constater que les résidences fermées et sécurisées comptent en moyenne 38 logements et sont composées à 70% d’immeuble d’habitat collectif.61 Sans cette séparation en deux catégories, les amalgames avec la gated community américaine peuvent être très vite envisagés. En effet, les deux modèles portent des caractéristiques différentes et n’ont pas le même impact sur la ville. Cela engendre des confusions médiatiques, des accusations urbanistiques sans réelles enquêtes.

60

MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, <http://geoconfluences.enslyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm> 61 Op. cit. MADORÉ François,

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C2. Un modèle de vie sollicité

La comparaison au modèle de la Gated Community est ici mise en alerte par de nombreux urbanistes et sociologues. En effet, l’adaptation au système français touchant majoritairement les classes moyennes, ne serait pas une copie conforme américaine ou du moins pas dans sa globalité. Les domaines de l’entre-soi et du repli communautaire sont des hypothèses à vérifier en étudiant les cas français, car il n’est pas évident que cela soit un facteur à prendre en considération en France. L’argument sécuritaire et de recherche de tranquillité semblerait la source de motivation principale de ces nouvelles résidences. En revanche, même si celui-ci n’est pas un des premiers facteurs responsables du développement de ce modèle, la création d’un « collectif privé » est une conséquence de ces enclaves. En effet, le principe de la résidence fermée par définition se veut être clos au reste de la vie pour développer un espace collectif, réservé à des habitants. Monné-Delacroix se veut être le précurseur car il a en réalité, proposé ce modèle habitable d’un haut standing pour des classes moyennes. La crise économique et le « crack immobilier » de 1991 a permis au promoteur d’élaborer une « vente de logements à des investisseurs, dans le cadre de dispositifs de défiscalisation »62. La rentabilité de cette action se trouve dans la délocalisation des résidences dans les zones périphériques au foncier très bas.

62

CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3>

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Cas d’étude D.1 Les études menées en France

Toulouse au centre du phénomène Toulouse est un cas majeur où un grand nombre de résidences sont recensées dans les zones périurbaines et sont parfois en confrontation typologique avec des grands ensembles ou tours d’habitations. Les municipalités qui préservent et forgent l’image de la ville sont parfois confrontées aux projets privés immobiliers. Les arrivées de nouvelles enclaves au sein de communautés existantes peuvent parfois contrarier les habitants et déchaîner les opinions. La plupart des maires des communes périurbaines de Toulouse, sont en lutte permanente pour rejeter ces projets immobiliers fermés. Exemple de la résidence Belles Fontaines qui confrontent en termes de proximité le grand ensemble du Mirail, construit par l’architecte Georges Candilis en 1960. Des barres d’immeubles qui s’organisent en tripode sur un maximum de 9 étages s’imposent sur une surface relative à 400 000 mètres carrés. La résidence Belle fontaine située à moins de 800 mètres de distance, forme un quartier d’habitation pavillonnaire. Construit en 2000, elle accueille plus de 55 logements, dans un mélange d’habitat collectif et pavillonnaire. Une piscine commune à tous les résidents forme l’activité principale de la résidence fermée. Un système de surveillance et de limite d’accès ferme, borde les logements en leur périmètre. Les riverains ont également pris la décision de faire appel à un gardien d’une société privée de vigilance pour surveiller les possibles d’intrusions. La confrontation entre une résidence pavillonnaire, occupée par des gens appartenant à la classe moyenne élevée et un lotissement HLM, déchaîne les habitants de cet arrondissement et convoite les critiques médiatiques. En effet, les accusations concernant les enclaves résidentielles sans enquête préalable sont très communes chez les médias.

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Les chercheurs François Madoré et Julien Dario Les résidences fermées et sécurisées en France se regroupent dans des agglomérations urbaines et prolifèrent dans un périmètre assez restreint. Il est possible d’observer cette configuration dans la banlieue de Toulouse mais également au sud de Paris dans la vallée de Bièvres où une étude de François Madoré a permis de comprendre la situation urbaine de cette zone. En effet, au sein de ces villes perçues comme des villages de par leur ancienneté et leur proximité, les résidences fermées viennent combler les parcelles vides et s’infiltrer dans le paysage urbain. Quelques cas ont déjà été recensés comme les résidences du parc de la Martinière et de la Syrgie dans la ville de Bièvres au sud-est de Versailles. D’autres exemples de modèle proliférant en zone urbaine concernent la ville de Marseille. Avec ses 860 000 habitants, la métropole a récemment fait l’objet d’une étude de recherche sur les résidences fermées et sécurisées. Julien Dario et Élizabeth Dorier, chercheurs en géographie ont fait l’objet d’une enquête quantitative depuis l’année 2010 afin de comprendre au mieux la composition actuelle de la ville et l’impact que ces enclaves pourraient avoir.

D2. Les caractéristiques des cas d’étude

La problématique s’oriente vers la relation entre la résidence fermée et son ensemble urbain, à savoir avec l’espace public (rue, place…), les typologies architecturales alentours, les réseaux de mobilité, les activités du quartier et l’identité sociale. L’espace public concerne les réseaux de voieries piétonnes et automobiles pour comprendre la mobilité dans l’espace urbain. Il concerne également les services de la ville pour alimenter la vie urbaine, c’est-à-dire les places, les trottoirs ou bien les rues. Il est important de prendre en compte les différents commerces, bureaux et services de proximité qui peuvent jouer un rôle dans le flux urbain. L’observation va donc se porter sur l’impact de la fermeture sur le tissu urbain qui est en contact direct avec la résidence. Il s’agit d’observer l’environnement urbain et ses caractéristiques et leur interrelation. Quatre thèmes vont être mis en évidence pour comprendre les conséquences physiques, à savoir : la limite avec les dispositifs de fermeture, les caractéristiques de la 33


résidence, la porosité envisagée et enfin la modification possible des flux. Les conséquences sociales et symboliques font également partie de l’étude à une échelle restreinte mais tout aussi importante dans la compréhension de l’impact général sur un morceau de ville. Le choix des résidences fermées s’est fait à partir de plusieurs caractéristiques. Pour observer les perturbations possibles sur le tissu urbain, il est nécessaire d’étudier des enclaves insérées, au sein d’un tissu plus ou moins dense mais existant. Cette donnée est importante car l’habitude ici des flux ou des services relèvent du modèle pérenne de la ville. De plus, la résidence doit concerner des classes moyennes ou moyennes élevées mais loin des domaines d’exceptions. Cette donnée permet de considérer la résidence comme un modèle architectural « banal », facilement intégré au tissu urbain existant. La classe moyenne, très présente en France, touche une grande partie des habitants. La résidence est donc classée comme accessible au plus grand nombre et ne fait pas l’objet d’une exception. Cela traduit une volonté et un choix de vivre au sein d’une résidence fermée et sécurisée, une prise de décision. Par ailleurs, pour observer un réel impact la taille de la résidence doit être proportionnelle et assez conséquence avec le tissu urbain qu’elle confronte. Pour cela, un minimum de 30 logements est nécessaire. Par ailleurs, pour obtenir une confrontation typologique et comprendre si cela traduit une réaction face à une situation urbaine, la résidence fermée doit être située à proximité d’une typologie architecturale contrastée. Les zones périphériques, éloignées des tissus denses des centres-villes anciens, accueillent des grands ensembles, barres d’immeubles, tours qui rivalisent par leur taille et densité avec les zones pavillonnaires. C’est au sein de cette confrontation typologique que la fermeture peut influencer l’organisation spatiale. Pour un plus grand contraste, les enclaves ne permettent aucun accès automobile et limite l’accès piéton. Cette caractéristique permet de pousser à l’extrême l’effet de la fermeture. Enfin, la résidence se compose essentiellement de maisons individuelles, de nouveau pour mettre en évidence le contraste élevé avec les typologies extérieures mais également avec le niveau de vie. Pour cela, trois cas d’étude vont permettre d’illustrer les conséquences de la fermeture sur le tissu urbain dans un milieu urbanisé et existant. Deux cas vont être recensés à

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Marseille avec des fermetures a posteriori et un cas dans la ville de la Bièvres où là il s’agit d’un programme d’un promoteur.

CONCLUSION Le mur est pensé depuis toujours comme un outil de défense pour se protéger contre un environnement extérieur potentiellement dangereux. Les gated communities reprennent ces propriétés pour l’adapter à l’échelle de l’habitat. Le mur va permettre de délimiter le périmètre d’une zone définie et de s’isoler de son contexte urbain extérieur. Il crée alors, un dedans et un dehors bien défini. Au-delà de l’aspect fonctionnel, la barrière retranscrit une volonté de s’émanciper du modèle de la ville et donc de ses habitants. Le besoin de repli communautaire et de se retrouver « entresoi » est un facteur qui gagne la planète. La tranquillité, la sécurité et le confort sont les maîtres mots de ces enclaves paradisiaques. En France, une enquête tardive à fait prendre conscience de ce phénomène. Les résultats démontrent la prolifération d’un modèle adapté pour classe moyenne pour les constructions neuves. Le phénomène de fermeture touche également les copropriétés existantes et qui décident collectivement de s’enfermer en construisant une séparation physique. L’objectif est d’observer la relation de ces enclaves avec le tissu urbain environnant, comprendre les liens entre les deux et observer les comportements. Le but est d’analyser les changements possibles et l’impact de la fermeture sur la ville

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Figure 13 : Tableau comparatif de quelques résidences pour comprendre les caractéristiques et orienter le choix des études de cas

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.

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UNE TENDANCE ACTUELLE

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Le phénomène Marseillais Un recensement surprenant Marseille, deuxième grande ville de France comptant 860 000 habitants, est caractérisée par sa forte identité populaire. Elle fait aujourd’hui, l’objet d’une nouvelle enquête concernant la fermeture et la proportion des espaces privés dans la ville. L’étude commence en 2013, commandée par le Laboratoire Population Environnement Développement d’Aix-Marseille Université (LPED)63 sous la direction d’Élizabeth Dorier et Julien Dario, chercheurs en géographie. La fermeture représente 29% des logements (soit 13% en termes de surface urbaine)64 et se compose à la fois de fermeture a posteriori ou bien de nouveaux projets immobiliers enclavés. Un total de 1500 résidences fermées constitue le corps de l’habitat et ne cesse de conquérir du terrain. Les quartiers les plus influencés par cette tendance sont à la fois ceux du sud (8 e et 9e arrondissement) qui sont considérés comme des quartiers au niveau de vie élevé, mais également les quartiers nord en périphérie de la ville (11e, 12e, 13e, 14e et 15e arrondissements). Le phénomène de la fermeture s’est donc « généralisé »65 dans la zone intra-urbaine et touche des types de logements très différents. Les typologies recensées sont des bastides aux murs de pierres élevés, de grandes copropriétés et des villas pavillonnaires de classes moyennes ou bien encore des pavillonnaires anciens. Dans ce relevé quantitatif, 55% des résidences imposent une fermeture d’un lotissement a posteriori, c’est-à-dire qu’une clôture vient délimiter un « morceau » de la ville, comme privé. Cette pièce de ville qui devient non accessible au public comporte parfois les espaces publics urbains utilisés par l’ensemble des riverains. 43% des résidences font partie d’un programme immobilier et sont conçues fermées. Ces deux configurations de fermeture ne font pas partie de la même initiative ou intention de 63

29 % de logements sont situés en résidences fermées à Marseille, Marsactu, consulté le 24/03/19, <https://marsactu.fr/29-de-logements-sont-situes-en-residences-fermees-a-marseille> 64 CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-a-marseille/ 65 29 % de logements sont situés en résidences fermées à Marseille, Marsactu, consulté le 24/03/19, <https://marsactu.fr/29-de-logements-sont-situes-en-residences-fermees-a-marseille>

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départ. En effet, le lotissement fermé a posteriori n’était pas, à son origine, pensé comme un espace exclusivement privé. En revanche, les nouvelles constructions dessinées par les promoteurs immobiliers vendent la fermeture comme une caractéristique de la résidence, un avantage. Cependant l’objet étudié ne regarde pas la résidence dans sa conception mais bien l’impact de la fermeture sur un contexte urbain. Le but de cette recherche étant de comprendre les enjeux de l’obstacle entre différentes typologies. Cette tendance est visible depuis les années 1990, avec une forte augmentation dans les années 2000. Si le phénomène se généralise et prolifère sur l’ensemble de la ville, cela amène à se demander comment la fermeture peut être autorisée de manière légale. Le service d’urbanisme est conscience du problème et que ce phénomène tend vers un système d’enclavement et d’impasse dans la ville. « Le réseau de voirie locale est bien dimensionné mais manque certainement de cohérence dû, notamment, à la présence d’impasses et une confusion entre les voies publiques et privées assurant la desserte des grands ensembles. Cette situation est le produit de l’urbanisation rapide ayant engendré une juxtaposition d’entités urbaines sans réelles articulations. »66

Figure 14 : Diagramme de l’évolution des constructions des résidences fermées à Marseille

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « La diffusion des ensembles résidentiels fermés à Marseille. Les urbanités d’une ville fragmentée » in Hal-archives ouvertes, 16/12/2016, Paris, <https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-01418143>, p.61

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Une gouvernance urbaine Ce phénomène repose sur plusieurs facteurs législatifs et historiques. Un des plus importants, dates de la fin du XIXe siècle. L’urbanisation est régie selon une « logique libérale basée entre autres sur le morcellement spontané de vastes propriétés périphériques de la bourgeoisie, qui étaient souvent encloses de murs ».67 Ces nombreuses voies privées, à l’époque vendues pour éviter l’endettement marseillais, n’ont jamais été rendues à la ville. Marseille est donc « une ville de propriétaires (45% des ménages résidents sont propriétaires ; à Lyon, ce chiffre n’est que de 33%, et à Paris : 25%). »68 Ce sont ces voies d’origine privée qui sont aujourd’hui dans l’autorisation de se fermer, même si elles contiennent des équipements ou des voiries. La mairie ne pouvant faire l’acquisition de toutes ces parcelles privées qui représenteraient un endettement certain, se voit obligée de constater ce déclin. La vente parcellaire aux opérations privées a pour conséquence « la juxtaposition des lotissements pavillonnaires aux grands ensembles… sans véritable plan d’ensemble ».69 Les rapatriés d’Algérie dans les années 1960 influencent la construction de masse et l’étalement de la ville de Marseille dans ses extrémités nord et sud. « Preuve de l’ampleur du phénomène, un rapport de conseil municipal de 1956 atteste que 65% de la voirie totale de la ville était alors privée. Si une partie a ensuite été classée dans le domaine public, une large proportion a conservé son statut privé. »70 Par ailleurs, un changement de loi concernant la gouvernance des copropriétaires a eu un impact important sur la gestion des décisions des lotissements. « Auparavant une majorité absolue des copropriétaires était nécessaire pour décider la fermeture, maintenant une majorité relative suffit. »71

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document> 68 CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-a-marseille/ 69 DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.11 70 Op. cit. DORIER Élizabeth., p.11 71 CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-a-marseille/

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Art 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen - 1789 « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Art. 544 du Code civil « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » Le cas de Marseille démontre l’implication politique dans le développement urbanistique et les conséquences législatives sur les espaces publics et privés. L’organisation de la ville, l’équilibre entre les nombreux réseaux et les zones d’habitants sont de la responsabilité municipale. La ville de Marseille opte « depuis 20 ans pour une stratégie d'attractivité résolument libérale. »72 ce qui a pour conséquence de favoriser le développement d’aménagement privé et touristique. Les effets de « mimétisme et dominos » constituent par la suite, le fil conducteur de l’opération et diffuse ce modèle de fermeture. La suppression des espaces de la ville et la tendance vers un modèle « centrifuge »73 par la fermeture influence-t-elle la forme et la « cohérence du réseau » ainsi que « les transversalités »74 ? Par ailleurs, Marseille 2013, capitale européenne, essaye de changer l’image des zones périphériques en faisant valoir la valeur de la mixité sociale. Lors d’une visite de François Fillon en 2009 (premier ministre de l’époque), la municipalité a exposé les ambitions de mélanger les modèles habitables et d’exposer les bien faits des résidences fermées en périphérie. La présentation du projet des Terrasses de la Méditerranée démontre la volonté de la mairie. Voici le témoignage du chercheur Julien Dario, sur le discours municipal (Annexe)

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.15 73 Op.cit. DORIER Élisabeth, p.5 74 29 % de logements sont situés en résidences fermées à Marseille, Marsactu, consulté le 24/03/19, <https://marsactu.fr/29-de-logements-sont-situes-en-residences-fermees-a-marseille>

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« On remarque l’insistance (à deux reprises) sur l’insertion du programme dans « un des grands projets d’aménagement et de renouvellement urbain de la ville » comme élément de justification de l’opération, censée favoriser une « mixité sociale » dans les quartiers nord qui souffrent d’une image dévalorisée dans les représentations marseillaises. Le domaine « clos et sécurisé » garantit la vie de « village dans la ville » au quartier tout en le protégeant d’un environnement social que certains potentiels acheteurs peuvent redouter »75

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « La diffusion des ensembles résidentiels fermés à Marseille. Les urbanités d’une ville fragmentée » in Hal-archives ouvertes, 16/12/2016, Paris, <https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-01418143>, p.83

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Figure 15 : Schéma de l’évolution des résidence fermées à Marseille

Figure 16 : Carte de localisation des deux études de cas à Marseille

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La résidence Coin Joli B1. Un quartier pavillonnaire en arrière du Vélodrome

Les infrastructures La résidence « Coin Joli » se situe dans le quartier de Sainte-Marguerite dans le 9ème arrondissement du sud de Marseille, à environ huit kilomètres du centre-ville. Ce quartier est fragmenté en deux sur l’axe nord-sud par le boulevard de SainteMarguerite. Il est bordé au nord par le grand complexe Vélodrome en pleine expansion grâce au centre commercial du Prado. Il se définit comme un lieu attractif et un pôle d’activités diverses couvrant plus d’un kilomètre carré. Cette grande area est directement connectée à l’avenue du Prado qui traverse la ville d’est en ouest et rejoint le maillage autoroutier. À l’est, le boulevard Michelet marque la fin du quartier, par sa largeur de plus de 50 mètres accueillant six voies au total. Il représente un des axes majeurs de Marseille car il relit en ligne droite le Vieux Port au Parc National des Calanques. Sainte-Marguerite est un quartier résidentiel construit dans la périphérie de la grande métropole mais largement connecté au réseau routier du centre et des sorties de ville. Couvrant environ 2.5 kilomètres carrés, il se qualifie comme quartier essentiellement résidentiel, composé majoritairement de zone pavillonnaire et ponctué de sept grands ensembles répartis homogènement. Ce quartier n’offre pas un grand nombre de services mis à part un hypermarché dans le creux d’un grand ensemble, quelques commerces épars et un hôpital dans sa limite sud.

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Figure 17 : Plan à l’échelle du quartier St Marguerite – Situation géographique

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La résidence se situe dans la limite nord du quartier de Sainte-Marguerite, frontalière avec un stade municipal en terre battue au nord, un lotissement HLM de la Cravache à l’ouest, une vieille copropriété mêlée à un hypermarché au sud et enfin la rue Augustin Aubert à l’est, considéré comme un axe routier important. Une école maternelle et primaire ainsi qu’un collège forme un grand complexe scolaire (aux entrées individuelles sur rue) entre Augustin Aubert et la résidence Coin Joli. L’école primaire Coin Joli et la résidence du même nom, ont en commun la rue Alfred Nicolas. La résidence Coin Joli se compose d’environ 140 villas individuelles articulées autour de 5 rues orthogonales. Au sein même de la résidence, une barre d’habitation privée d’environ 48 logements trouve sa place, avec une entrée privatisée. Le cadre de vie qu’offre ces typologies, c’est-à-dire de grandes villas, avec jardin et piscine privée, attirent des familles et des personnes âgées de classes moyennes ou élevées.

Une décision assumée La décision de fermeture prise en 2014, par une majorité (et non la totalité) des riverains de la copropriété de Coin Joli sous-entend plusieurs facteurs et motivations. En effet, selon les témoignages recueillis par Julien Dario, lors de son enquête sur les résidences fermées et sécurisées à Marseille, les habitants internes voudraient « se protéger des flux générés par la proximité de polarités urbaines, aménités ou équipements qui drainent des usagers de toute la ville (plages, stade Vélodrome, terminus de métro, abords du parc des calanques) … »76. L’accès en est donc contrôlé et le franchissement au public, interdit. La restriction se fait également dans la volonté d’obstruer visuellement l’intérieur de la résidence. La quête recherchée est « le territoire de l'exclusivité »77, de la privatisation. « La tendance se fonde sur la montée en puissance d'un marché de la sécurité résidentielle doublé d'une instrumentalisation médiatique et politique. Cette rhétorique sécuritaire est relayée par des acteurs urbains (promoteurs mais aussi syndics, assureurs). »78 »

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.13 77 Op. cit. DORIER Élisabeth, p.16 78 Op. cit. DORIER Élisabeth, p.4

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Figure 18 : Plan à l’échelle de la zone de la résidence Coin Joli - État actuel de la fermeture

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B2. Les mécanismes de fermeture

Son origine Ce quartier d’habitation pavillonnaire de Sainte-Marguerite n’avait pas été conçu et pensé dans la fermeture. Coin Joli est à l’origine une copropriété faisant partie intégrante d’un quartier de maisons individuelles, toutes similaires. Il était autrefois impossible de différencier une copropriété d’une autre car il n’y avait pas de réelles limites. Sa fermeture a posteriori date de 2014, alors que les villas ont été construites dans les années 1990. L’association qui gère la copropriété de Coin Joli, a pris en charge cette décision à la quasi-unanimité des riverains. La copropriété est dans son droit de procéder à ce changement urbanistique puisqu’elle fait partie de ces fameux terrains privés de la ville de Marseille. La voie publique concernant les trottoirs et les routes, est légalement propriété de Coin Joli.

Les dispositifs d’entrée Les rues secondaires qui dessinent la résidence se compose de trottoirs piétons, de routes à double sens et de places de parking le long des trottoirs. Les dispositifs de fermeture mis en place sont de deux typologies différentes. Le premier prône l’interdiction d’accès par la mise en place de grilles fixes sur toute la largeur de la rue. En d’autres termes, l’accès automobile et piéton se veut complétement refusé et empêche la traversée sur un axe est-ouest de la résidence. Quatre barrières de ce type sont installées dans quatre rues parallèles du côté est. Le deuxième dispositif vise à contrôler l’accès par l’installation de grilles électriques réservées aux résidents. Un portail électrique coulissant permet le passage des voitures par un système de boitier individuel, mis à la disposition de chaque riverain. Pour les visiteurs il est possible de rechercher le nom électroniquement dans la liste des riverains, pour appeler le résident concerné. Des portillons pour piétons nécessitent également une autorisation à badge. Quatre portails de ce type sont installés au nord de Coin Joli, qui permet d’orienter l’accès piéton et voiture seulement depuis le boulevard Gustave Ganay. Enfin, une grille fixe est positionnée à l’est de la résidence, sur le boulevard Augustin Aubert, empêchant l’accès de voitures. Un passage pour piétons par des barrières transversales 50


forme l’unique accès piéton public qui permet l’accès à l’école primaire. Du côté sud, un portillon piéton, à l’origine fermé, est aujourd’hui laissé ouvert pour permettre l’accès plus rapide à l’hypermarché depuis Coin Joli. C’est ainsi que la résidence se forme de neuf contrôles d’accès de trois typologies différentes mise en relation avec contexte urbain de proximité. Ces nouveaux dispositifs ont-ils un impact sur l’organisation de ces nombreuses résidences ? Les réseaux et les mobilités sont-ils affectés ?

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Figure 19 : Inventaire photographique des dispositifs de fermeture de la rĂŠsidence Coin Joli

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Figure 20 : Inventaire photographique des interdictions de passages ou de stationnements

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B3. Un dialogue avec l’habitat environnant

L’ensemble de la résidence Coin Joli est composé de villas individuelles, de même gabarit et ne dépassant pas deux étages. Elle pourrait être assimilée aux maisons traditionnelles pour classe moyenne élevée. Cet ensemble pavillonnaire se confronte directement à deux copropriétés à l’ouest et au sud avec pour seule séparation une route à double sens et un muret grillagé. À l’est, au-delà de la rue Augustin Aubert, une grande étendue de villas individuelles composent le cœur du quartier de SainteMarguerite. La résidence Coin Joli, se rapproche typologiquement de ces villas qui ont pour seule séparation un axe routier passant et bruyant.

Les typologies architecturales, la résidence de la Cravache À L’est, la grande copropriété de la Cravache se compose de onze barres d’immeubles, toutes de tailles et proportions différentes. La surface totale est équivalente à la moitié de la résidence Coin Joli, soit environ trois hectares (30 000 mètres carrés). De front à la résidence pavillonnaire, la barre d’immeubles la plus longue de 110 mètres qui s’´élève sur 10 étages. Son positionnement fait face dans toute sa superficie de façade, parallèle à l’axe nord/sud. Derrière elle, les barres s’élèvent à une moyenne de cinq étages avec un gabarit plus petit. Ce positionnement brutal qui fait face et « tient tête » à la résidence pavillonnaire, de par son gabarit imposant, met en tension typologique les deux résidences. La séparation des deux par une voie routière à double sens compte seulement une dizaine de mètres. Cette proximité spatiale et ce positionnement obstrue la vue de la mer depuis la résidence.

Les typologies architecturales, la résidence Sévigné De plus, la copropriété Sévigné au sud de Coin Joli, reprend le même schéma situationnel et typologique. En effet, cette résidence s’étend sur une surface de quatre hectares et se compose d’une tour de 22 étages, d’une barre de 170 mètres de long et de deux petites barres en retrait. La plus longue barre, fait de nouveau face à la résidence pavillonnaire, positionnée de front, sur une hauteur de douze étages. À nouveau, un fort contraste typologique fragmente le paysage urbain dans une proximité 55


spatiale. La barre d’immeubles de la résidence Sevigné comporte un total de 430 logements. Si l’on considère une moyenne de trois personnes par famille, l’immeuble compte approximativement 1300 personnes. Si l’on étend ce nombre à l’ensemble des barres d’habitation, un total de 3000 personnes habiteraient la résidence Sevigné pour un total de 1000 logements. La présence d’un supermarché au cœur de la copropriété accentue également les flux et de nombreux visiteurs.

Confrontation typologique En comparaison, la résidence Coin Joli, compte un total de 96 logements pour une surface de six hectares, soit environ 300 habitants pour le double de surface. Les deux barres d’immeubles des deux grandes copropriétés cernent la résidence pavillonnaire à l’est et au sud et renforcent cette image « encerclée » par la position frontale des premiers immeubles. La relation visuelle entre les différents types d’habitats renforce l’idée de domination sur la hauteur, sur les surfaces de façades, sur la densité de population et sur les gabarits. En effet, une différence de 30 mètres de hauteur concurrence la maison individuelle pour une séparation large de 40 mètres par des parkings privés appartenant à la résidence de Sevigné. Figure 21 : Coupes schématiques des confrontations typologiques

La résidence La Cravache/Coin Joli

La résidence Sevigné/Coin Joli

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B4. L’impact de la fermeture

Les conditions de la fermeture L’implantation des écoles et de l’hypermarché influence les déplacements du quartier, tant pour les piétons que pour les automobiles. Ainsi, se développent deux axes de mobilité importants, un transversal d’est en ouest et un autre perpendiculaire, du nord au sud. Le premier relie la grande copropriété de la Cravache au complexe scolaire et également à l’axe routier Augustin Aubert. Quatre rues de la résidence Coin Joli ont été obstruées par des portails fixes (refusant l’accès piéton et voiture) sur toute sa largeur. Les axes secondaires étant inaccessibles, deux options sont possibles pour rejoindre les écoles depuis la copropriété, séparées de 400 mètres. La première solution est de rejoindre l’axe routier Gustave Ganay, au nord, puis de prendre la rue Augustin Aubert. Pour les déplacements automobiles, un seul chemin est possible sur une voie à double sens. Au nombre de résidents et à la suppression de trois voiries, l’unique accès pourrait avoir une conséquence sur le trafic. En effet, une augmentation de la quantité de voitures par la réduction de nombres de rues, crée un flux plus dense. Pour les piétons, le détour sur les plus grands axes routier confronte directement l’usager au trafic automobile. La proximité avec la voiture, la faible largeur des trottoirs, oblige le piéton à se retrouver dans une situation de danger. Le trajet des écoliers se projette ainsi sur un axe de haute vitesse qui ne permet pas un trajet agréable. Le trottoir atteint parfois une largeur de seulement 60 centimètres, ce qui contraint l’usager à s’arrêter de profil lors d’un croisement de piétons. La deuxième possibilité est d’emprunter le passage par le sud et donc de traverser la résidence Sevigné. Une différence de deux mètres entre les deux copropriétés oblige un passage sinueux en pente. Ce passage aménagé par les riverains eux-mêmes, est fait de terre, de pierres et de débris. Arrivé en haut un muret en béton oblige l’enjambement de 80 centimètres. Par la suite, le chemin continue à travers les parkings de la résidence pour parvenir à la porte piétonne de l’entrée de Coin Joli. Cette porte se situe à quelques mètres de l’école primaire accessible depuis l’intérieur même de la résidence pavillonnaire. La fermeture par trois portails fixes sur l’ensemble des trois rues, confronte Coin Joli à la 57


copropriété. Ils influencent les flux de mobilité, soit en forçant l’emprunt des grands axes, non aménagés pour un trajet scolaire et qui se révèle dangereux, soit par un chemin illicite au travers d’une barrière de béton. Les contournements possibles au nord et au sud ne sont pas prévus et non pas été pensés d’un point de vue urbanistique. Les habitants des grandes copropriétés se retrouvent donc dans une position d’abandon car ils subissent cette fermeture sur un axe transversal, face à un tissu devenu imperméable. Le choix typologique du dispositif de fermeture est en réaction face à l’environnement qui lui fait face. La grille fixe sans accès piétons retranscrit l’intention des riverains concernant les flux d’enfants.

Les changements urbains constatés L’axe nord/sud était autrefois accessible aux piétons. En effet, la limite séparant la résidence Coin Joli à la copropriété Sévigné se fait par un mur haut de quatre mètres (à l’origine haut de 2 mètres, puis surélevé deux fois). Un portail autorise les allers et venues entre résidences, L’impact de la fermeture au nord par le positionnement de trois grilles, dans trois rues de la résidence, influencent à la fois la mobilité douce et automobile. Pour les voitures, l’entrée à la résidence pavillonnaire a été contrôlée et orientée pour qu’elle ne soit accessible que par le boulevard Gustave-Ganay. Trois entrées sont possibles par des portails électriques coulissants réservés aux résidents. Cependant, cela influence une nouvelle fois le trafic par l’augmentation du nombre de voitures mono orientées. En mobilité douce, deux détournements sont possibles, car il est impossible de traverser dans son intégralité du nord au sud. Le contournement par l’est se fait par le même chemin sinueux et dangereux de la résidence la Cravache. Il est également possible de rentrer dans la résidence mais de ressortir à l’est sur la rue Augustin Aubert. Une nouvelle fois, la fermeture au nord de la résidence influence toutes les mobilités et contraint l’usager à plusieurs détournements par les grands axes. L’influence sur les transports en commun est aussi constatée par une mise à distance spatiale. En effet, la rue Augustin Aubert se révèle être un axe important, accueillant des bus et bientôt le prolongement du Tramway. L’interruption de la traversée est-ouest par la résidence Coin Joli, force un détour et le passage par des voies plus dangereuses. Ceci peut être un motif de découragement qui incite la population à 58


utiliser la voiture en ville. De plus, à l’est de la résidence de la Cravache, se trouve le boulevard Michelet, qui se révèle être un axe majeur routier et des transports en commun de la ville. L’impossibilité de traverser la résidence, interfère dans la connexion entre ces deux axes parallèles de transports. L’impact de la fermeture sur les systèmes en réseaux de la ville, à savoir automobile, transport en commun et mobilité douce, est dans le cas du quartier Sainte-Marguerite, assez conséquent. La suppression de seconde voie et la reconduction vers des axes rapides, où la voiture domine les autres usagers, force le piéton à une plus grande vigilance et confronte l’automobile à un trafic plus dense. De plus, cette fermeture n’étant pas envisagée dans le développement urbanistique, les grandes voies ne sont pas prévues pour accueillir les trajets fréquents, qu’ils soient d’ordre scolaire ou transports en commun. Les équipements publics, tels que les trottoirs, ne sont pas adaptés de par leur largeur et leur proximité avec des voies à grande vitesse. Enfin la fermeture engendre des problèmes d’accessibilité et génère de nombreux détours. Cela demande aux riverains extérieurs d’être créatifs dans l’élaboration de passage non conventionné. Le manque de porosité impacte les trajets urbains, favorise et incite à utiliser la voiture pour de courts trajets. « La multiplication des barrières étant un frein évident à la mise en œuvre des mobilités douces. »79

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CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-a-marseille/

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Figure 22 : Plan à l’échelle de la zone de la résidence Coin Joli - Trajet de l’École avant la fermeture

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Figure 23 : Plan à l’échelle de la zone de la résidence Coin Joli - Changement du trajet de l’école après la fermeture

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Figure 24 : Photographies du chemin informel devenu le trajet d’Êcole

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Figure 25 : Photographies du Boulevard Gustave Ganay devenu le trajet d’Êcole

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La qualification d’un nouvel espace intra-muros La fermeture d’un morceau de la ville devient alors une enclave. L’espace, auparavant considéré comme espace public, pratiqué par les automobilistes, les piétons, les cyclistes, les riverains…. Se retrouve évidé de toute vie urbaine. Seul reste l’occupation par les habitants internes au quartier. Cette sensation recherchée de « cocon »80, est créée par l’espace public devenu espace interne privé. Il fait donc partie intégrante de la résidence et change de statut. Son identité changée, il est alors considéré comme « un espace tampon, intermédiaire entre le domicile et l’espace public permettant de neutraliser toutes les situations « d’imprévu », de côtoiement non désiré propres à la rue »81. Cet espace devient presque résiduel, aseptisé, car il n’a pas été transformé dans un nouvel usage. Les rues sont vides, les enfants ne courent pas, les voitures ne passent plus. Seul visible, les habitants retranchés derrière leur clôture. Ils sont enfermés à double tour, isolés de l’excitation des grands axes.

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CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-a-marseille/ 81 CAPRON (2012) dans CHRISTOPHE, « Les résidences fermées à Marseille », in Pensons le matin,12/4/2015, consulté le 25/03/19, http://www.pensonslematin.fr/les-residences-fermees-amarseille/

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Figure 26 :

Photographies des rues à caractère vide de Coin Joli

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B5. Le mur, retranscription ou conséquence d’une séparation sociale

Une différence sociale affirmée Les copropriétés environnantes se révèlent être de forte densité car la typologie de la barre a été optimisée pour correspondre à un modèle d’habitat accueillant un plus grand nombre d’habitants. Ces grands complexes, très peu fournis en espaces extérieurs collectifs, sont occupés en majorité par des familles avec enfants et des personnes âgées retraités. La flexibilité des superficies d’appartement permet d’accueillir les familles nombreuses. La barre offre ces possibilités typologiques allant du simple T1 au T6. Les catégories d’habitants se déterminent en fonction du loyer assez bas en vue du type d’habitat et du quartier périphérique résidentiel. La mixité typologique amène forcément de la mixité sociale, car les niveaux de standing et de loyer, diffèrent. La résidence Coin Joli accueille également des familles et des retraités mais la différence se fait sur les loyers plus élevés et donc une classe sociale plus contrastée. La présence de familles nombreuses, influe sur le nombre d’enfants scolarisés dans les écoles de Coin Joli, situées sur la partie est de la résidence. La copropriété de la Cravache se compose d’environ 700 logements sur un total de 11 immeubles. Le complexe scolaire concerne donc probablement la majorité des enfants de la résidence, du point de vue de sa proximité. Les flux scolaires sont donc le quotidien de plusieurs centaines de familles. La fermeture marque la limite physique entre deux mondes typologiques, mais également entre deux mondes sociaux. La décision venant de la classe sociale la plus élevée cela inscrit cette situation dans un rapport de force fort/faible, avec des riverains qui « subissent » la situation et d’autres qui l’ont imposé.

Un collectif sélectif « On est à l’épicentre d’un espace, où de l’enfance à l’âge mûr, les habitants se côtoient au sein d’un monde social homogène … La marginalisation sociale assumée de ces

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espaces est renforcée par l’absence de voie traversante, de transports en commun et l’imperméabilité sans cesse accrue de ces lieux »82. La fermeture est donc perçue comme « un frein au lien social de proximité »83, où le mélange n’est pas encouragé. Ce détail est encore plus marquant sur le cas de Coin Joli, car les quatre portails fixes, situés à l’est, ne sont pas localisés en fin de rue. En effet, ils sont tous les quatre positionnés au milieu de la rue, fragmentant ainsi l’espace public en deux. Les maisons voisines situées au niveau de la fermeture et séparées seulement de 2 mètres sont catégorisées comme dedans et dehors. La communication se fait visuellement au travers des stries de barreaux. La traversée impossible, les deux voisins ne peuvent plus rentrer en contact où partager des activités de voisinage. La fermeture symbolise la volonté de « s’isoler sans être seul »84, c’est-à-dire de retrouver un esprit et une vie communautaire sélective. Cette sélection se fait dans la ressemblance typologique, qui sélectionne également les types d’habitants (ou l’inverse). Se créer alors une forme de séparatisme social puis une fragmentation urbaine. Cette fermeture entraine la création de nouveaux espaces, changés dans leur statut et dans leur fonction. La rue, vidée de voitures et de passants, se retrouve également évidée de toute vie urbaine.

B6. Une expansion urbaine à l’échelle d’un quartier

Le quartier résidentiel de Sainte-Marguerite subit la prolifération du modèle de fermeture. Au-delà de la rue Augustin Aubert, la partie regroupe une vaste zone de villas individuelles. L’ensemble des maisons sont fractionnées en copropriétés privées, car elles font également partie de zone privative de Marseille. L’engouement pour la fermeture gagne petit à petit le désir des riverains et forme des agrégats de résidences 82

DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.16 83 Op. cit. DORIER Élisabeth, p.3 84 MALGOUVRES Loudier (2013) dans DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal01417666/document>, p.5

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fermées. En effet, tout le long de l’axe routier Augustin Aubert, il est possible d’observer des dispositifs de fermeture qui interdisent le passage des voitures et des passants. Cette formation juxtaposée de résidences, génère les mêmes impacts urbains mais à plus grande échelle. La mobilité transversale se retrouve ainsi paralysée et bloque l’accès aux transports en commun. Ce même schéma se développe vers le sud, dans le quartier de Mazargues sur des kilomètres, laissant ainsi, l’unique accès aux grands axes routiers.

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Figure 27 : Plan d’agrégat des résidences fermées autour du Boulevard Augustin Aubert – Conséquence sur la mobilité transversale et sur l’accès des arrêts de bus

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B7. Description narrative La résidence Coin Joli, le 9 avril 2019, accompagné de Loris Perez. Nous racontons notre expérience et nos sensations perçues Après 40 minutes de route, je décide de mettre le GPS en marche et de trouver enfin l’école de Coin Joli. Dès notre sortie d’autoroute, je suis attentive au quartier, aux paysages extérieurs, Était-ce ce que j’avais imaginé ? Nous croisons la route d’un stade, les enfants disputent un match et s’amusent à crier. Nous ne sommes plus très loin, « première à gauche, puis première à droite » je lui précise. Ça n’a pas raté, en quelques secondes nous nous retrouvons devant une de ces belles barrières blanches qui entoure la résidence. Impossible de tourner… Interdiction de passer ! Nous sommes donc dans le thème ! L’action se passe tellement vite, que nous sommes propulsés, sans introduction, dans le vif du sujet. Nous voilà confrontés à la fermeture. Il faut examiner ça de plus près, déambuler pour comprendre le phénomène. Nous trouvons refuge sur le parking de l’école de Coin Joli. Sans plus attendre nous nous faufilons par la seule grille qui, par chance, laisse passer les piétons. Cependant, un panneau, à hauteur de nos yeux, nous rappelle bel et bien, que nous nous avançons en terrain privé. Je comprends vite, que l’entrée de l’école se fait par une de ces allées privées et non sur la route principale par laquelle nous sommes arrivés. Je tente de me repérer, de me diriger vers chaque rue, devenue impasse et observer les mécanismes de fermeture mis en place. Je m’aperçois très vite que toutes les maisons sont tapissées de panneau d’interdiction de stationnement. Ils apparaissent comme des restes d’après-guerre, d’une lutte acharnée et d’un « ras-le-bol » général. Pourtant, au jour de ma visite, ces panneaux semblent incohérents, puisque nous ne croisons pas une seule voiture. Après 15 minutes, nous croisons le chemin d’une jeune fille et de son petit frère, seuls au milieu de la route. Ils ne prêtent pas vraiment attention à notre présence et poursuivent leur chemin. Nous essayons en vain, de trouver une sortie mais il semble que tous les dispositifs, ne donnent pas la possibilité de rentrer ou de sortir. Nous parlons à voix basse, sans vraiment nous en rendre compte. Le silence glacial de ces rues, me donne l’impression qu’elles ne sont pas habitées. Les maisons sont retranchées derrière leurs

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grands portails opaques, peut-être est-ce derrière ces façades que se trouve la vie urbaine ? Ou bien a-t-elle complètement disparue ? Nous nous dirigeons vers les grands ensembles, que nous voyons dépasser comme une skyline, derrière ces villas alignées. Je suis curieuse de voir comment est gérée la connexion entre ces deux typologies. Avant de tourner dans la dernière allée, nous écoutons au loin, l’écho d’une conversation. Je me réjouis de voir enfin du monde ! Une dame parle à son voisin sur le pas de la porte. Ils nous regardent fixement et nous sentons bien que nous ne sommes pas du quartier. Sûrement que tout le monde se connaît ici ! En face, un père joue avec son fils dans la cour d’entrée. Deux maisons plus loin, un grand-père taille les branches de son citronnier. Tous ces acteurs du quartier restent derrière leur barrière. Mais pourquoi ? maintenant que la rue est libre de toute contrainte. Arrivée au bout de l’allée, nous identifions l’école par laquelle nous sommes arrivés, à gauche et nous apercevons sur notre droite, un portail entrouvert. Une mamie revient avec un sac de course plein. Elle nous lance un regard puis continue sa route d’un pas pressé. Le porche franchi, nous changeons radicalement de décor. Propulsés sur un parking d’une cité, aux mille rangées de voiture et à l’allure désertique. Nous sommes dans les coulisses de la copropriété Sevigné, en arrière-plan. J’aperçois au loin le Géant, cet hyper-marché du quartier. Je me fais la réflexion que l’habitante de Coin Joli que je viens de croiser, doit être contente que ce portail reste ouvert, pour avoir un accès direct au supermarché. Sur l’autre partie de la parcelle, nous arrivons à la frontière avec un nouveau grand ensemble, celui de la Cravache. Je me rends alors compte, que l’Unité d’Habitation de Le Corbusier se trouve juste derrière, quelle belle surprise ! La résidence est en contrebas. La jonction se fait par un sentier peu commun. Il faut premièrement enjamber une barrière béton, puis dévaler le sentier de terre, armé de plusieurs rochers. Je croise le chemin d’une jeune fille qui semble avoir l’habitude de passer par là. Je comprends vite que ce passage est le chemin le plus court pour se rendre à l’école. Je regarde la pente en contre plongée et je m’imagine les mères et leurs enfants, escalader ce chemin à 8h du matin. Soutenir d’un bras la petite de 4 ans, porter une poussette de l’autre… Tout un sport ! C’est également le chemin le plus rapide pour se rendre à l’hypermarché. Des courses pour familles nombreuses ne doivent pas être facile à transporter dans ce chemin dangereux. 71


Nous décidons de continuer pour voir si une autre traversée est possible pour rejoindre l’école de Coin Joli. Nous croisons les trois portails fixes mais cette fois depuis l’extérieur. Au travers, je vois l’école en bout de rue, il suffirait de 5 minutes pour y accéder. Cependant nous ne pouvons traverser. La rue nous mène vers la grande route, où j’ai aperçu ce premier stade. Le bruit des voitures nous rattrape, la vitesse arrive de tous les côtés. Un peu dur de reprendre ces repères après avoir passé une heure dans un environnement isolé de toute nuisance. Loris croise un piéton à contre sens, le passage à deux sur ce trottoir restreint, est impossible. Ce trajet est peu agréable, voire incommodant. Après une quinzaine de minutes de marche nous retrouvons notre tout premier portail. Et nous comprenons que nous venons de trouver le deuxième chemin possible pour parvenir à l’école de Coin Joli. Je tourne la tête, de l’autre côté de la route, j’aperçois une autre barrière, d’une autre résidence. Peut-être que cette fermeture a inspiré tout le quartier…

Les impressions de Loris Perez, accompagnateur qui découvre ce phénomène : Le GPS indique la prochaine à droite. Cette dernière information nous a directement mené sur une rue barrée par une grande grille blanche. « Propriété privée, entrée interdite ». Sympa l’accueil ! Marche arrière sur le boulevard, on prendra la prochaine à droite. Après s’être garé sur un petit parking au bord de la route nous voilà de nouveau face à une autre barrière. « Propriété privée, entrée interdite ». Par chance un accès étroit est autorisé aux piétons afin de pénétrer dans la résidence « Coin Joli ». Nous entrons. Une longue rue déserte bordée de maison s’offre à nous. Elle est traversée par d’autres rues perpendiculaires reprenant ce même schéma. On s’enfonce dans le labyrinthe. 72


Les maisons sont classiques, ni trop modernes ni trop anciennes. Il n’y a pas réellement d’identité. Au bout de chaque rue on peut apercevoir une grille blanche barrant l’accès de la résidence via l’extérieur. Pour entrer ou sortir il faut un badge ou un code. On tombe sur une école mais c’est les vacances scolaires, elle est déserte à l’image des rues. Dommage, les cris d’enfants en train de jouer aurait pu animer la résidence qui me paraît de plus en plus froide. Pas un passant, pas une voiture. Nous prenons le temps d’explorer chaque rue. Dans le détail, on aperçoit que de nombreuses maisons sont équipées de système de vidéosurveillance. Sur les portails : « Propriété privé, défense d’entrer ». Ça doit être le slogan de la résidence. On croise le facteur, écouteurs vissés dans les oreilles, pas le temps de discuter. L’originalité est autant la bienvenue que les visiteurs dans cette résidence. Du nord au sud en passant par l’est et l’ouest tout se ressemble. Mêmes rues, mêmes maisons, même ambiance. Le tout emprisonné par de nombreuses grilles barrant l’accès. Au fond d’une dernière impasse, caché dans un recoin, une grille de la taille d’une porte standard donne un nouvel accès aux piétons. Ce nouveau passage est à l’opposé du premier par lequel nous sommes entrés. Cependant celui -ci semble pouvoir se refermer en claquant la porte. Il donne sur des HLM entourés par un grand parking. Nous sommes désormais hors de la résidence « Coin joli ». Cette zone-là semble déjà plus vivante. Les rues ne sont pas bondées de monde mais le simple bruit des voitures sur le boulevard et les quelques personnes que l’on croise suffisent à l’animation du lieu. En faisant le tour du quartier on aperçoit les grilles de « Coin Joli » qui semblent toutes aussi accueillantes de l’extérieur que de l’intérieur.

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On entre à nouveau dans la résidence par le même passage qui nous avait sorti de la cage. On s’enfonce dans la grande rue principale pour rejoindre, à l’opposé, le parking où nous nous sommes garés. On traverse une dernière fois « Coin joli ». La résidence semble craintive, repliée sur elle-même. Il commence à pleuvoir. Nous quittons, par la première grille, la résidence « Coin joli »

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La résidence Les Castors du Merlan C1. L’organisation en périphérie

Une construction autonome en pleine campagne La résidence des Castors du Merlan, tient son nom de sa propre histoire. Dans les années 1950, les hauts terrains du 13ème arrondissement de Marseille, au pied de la colline, étaient considérés comme un milieu rural. Quelques fermes et châteaux structuraient le paysage et donnaient vie, à ce grand domaine. « À l’époque, il n’y avait rien ou presque, c’était la campagne. Nous allions chercher le lait à la ferme à quelques mètres à pied »85 témoigne Blanche Toulmonde, une des anciennes de la résidence. Le lotissement trouve son origine en 1954, dans « une aventure de l’auto-construction »86 de quelques ambitieux chefs de famille. L’objectif était de construire quelques maisons afin de bâtir une nouvelle vie, entre ville et nature, au confort assuré. Ils n’étaient pas les premiers à avoir cette idée et ils décidèrent de s’installer en face de la résidence Vento. La ville et le conseil général de l’époque, contribuèrent en tant que soutien financier à l’achat du terrain. La notion participative au sein de cette communauté naissante, a permis la construction totale de la résidence, grâce à 400 heures de travail par propriétaire. Par la suite, l’attribution des maisons se fit par tirage au sort. L’autoconstruction est un facteur important dans l’histoire de cette résidence, car cela a développé chez les résidents, un fort sentiment d’appartenance identitaire. Les habitants restants de l’époque de la construction sont fiers de se nommer euxmêmes « les Castors historiques » en se remémorant l’esprit communautaire du début. Ils ne sont aujourd’hui plus que quatre et essayent de transmettre les valeurs et l’histoire de la résidence des Castors du Merlan.

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GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/> 86 Op. cit. GILLES Benoît

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Un fractionnement infrastructurel Le 13ème arrondissement, fait aujourd’hui partie, de quatre arrondissements qui composent les « Quartiers Nord » de Marseille. Les Castors du Merlan appartient administrativement au quartier Saint-Jérôme et se trouve géographiquement frontalier au quartier du Merlan. La majorité des quartiers de cette partie de la ville a la même configuration urbaine et typologique. De grands axes comme l’autoroute, des routes départementales et de larges avenues, fracturent le paysage. Des amas de villas pavillonnaires et de grands ensembles cohabitent dans une périphérie de ville, aux allures abandonnées et à l’organisation urbaine incertaine. Les quelques quartiers de cette zone sont conditionnés entre deux fractures urbaines. Au nord, une petite chaîne de montagnes, le Massif de L’Étoile et au sud l’autoroute A507 périphérique de Marseille, permettant d’assurer la connexion entre Salon de Provence et Toulon, depuis 2009. La départementale D4, longe l’autoroute et dessert tous les quartiers au nord de la ville, sur un axe est-ouest, en amplifiant la densité du trafic dans cette zone. De grandes avenues nord-sud assurent la distribution des périphéries vers l’autoroute mais également vers le centre-ville de Marseille. Les infrastructures autoroutières se sont fortement développées dans cette zone, considérée comme un lieu stratégique autoroutier, aux dépens des habitats alentour. Très présentes dans cette partie de la ville, elles contribuent aux fortes nuisances sonores, à la domination de la voiture, à la vitesse et au danger potentiel pour les piétons. L’autoroute constitue une réelle fracture urbaine et favorise la séparation bien connue entre le nord et le sud de Marseille, considérée par les urbanistes et notamment Alexandre Field87, comme deux villes distinctes.

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Alexandre Field, architecte-urbaniste, travaillant sur le territoire Aix-Marseille et notamment depuis 2013 (Capitale Européenne de la culture) à l’élaboration du GR2013. Conférence « Les expéditions métropolitaines », donnée à l’Ensas, le 19.03.19

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Figure 28 : Plan à l’échelle du quartier du Merlan – Situation géographique

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Une forte mixité Les premières résidences pavillonnaires ont connu une transformation paysagère conséquente depuis leur construction d’après-guerre. Quelques années après, la municipalité décide de construire de grands ensembles accueillants plus de 1500 logements sociaux. Les typologies nouvelles comme des barres et tours de plus de 15 étages viennent s’accoler aux petites villas. À partir des années 1970, les nouvelles constructions de lotissements s’enchainent sur les terrains naturels inoccupés. De nombreuses résidences pavillonnaires viennent s’ajouter aux nouveaux programmes immobiliers de la zone. Les constructions neuves font parties d’un programme politique de la ville qui vise à créer de nombreux logements pour un besoin en augmentation. Cependant, aucune stratégie urbaine n’est mise en place et les constructions privées s’accumulent sur un territoire neutre. Ce « puzzle urbain »88 vient poser aujourd’hui une réelle problématique de ces zones périphériques et contribue au fort contraste typologique traduit sous forme de rivalité. Par la suite, Les cités HLM se sont fortement paupérisées par une forte dégradation des locaux, des espaces extérieurs, à l’image du quartier. Cette augmentation de la pauvreté au sein des grands ensembles, contraste fortement avec la proximité des résidences pavillonnaires pour classes moyennes et élevées. Cette forte différence sociale, serait une tentative de « mixité sociale » de la ville mais peut être seulement le reflet d’un grand écart des richesses. Cette zone se trouve donc dans un schéma répétitif, sur plusieurs échelles, sans identité particulière, entre ville et montagne, entre quartier et zone abandonnée, entre mixité et fragmentation.

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GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/>

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C2. Les Castors du Merlan

Situation urbaine La résidence des Castors du Merlan, se trouve à quelques mètres au-dessus de l’Autoroute A507. Elle est marquée par deux axes nord-sud importants qui sont l’avenue du Merlan à l’ouest et la grande avenue Escadrille Normandie Niemen à l’est. Au nord se trouve le grand Campus de l’Université de Provence de Aix-Marseille et un agrégat de nombreuses zones pavillonnaires. Au sud, entre l’autoroute et les Castors du Merlan, quatre résidences HLM, créant une réelle barrière typologique. Deux stades municipaux se trouvent en limite est de la résidence. Le quartier se compose principalement de boutiques « discount », qui répond à un contexte social généralement difficile. Ces magasins sont les seuls, accessibles à pied depuis la résidence. L’usage de la voiture est dans ces zones indispensables pour profiter des différents secteurs d’activité. À un kilomètre se trouve une zone commerciale, construite au-dessus de la voie autoroutière, accueillant un hypermarché, une bibliothèque et plusieurs boutiques. Le quartier se compose également d’un hôpital, de quelques usines de fabrication et du parc domanial du Merlan, accolé à l’autoroute. Le quartier du Merlan, qui se trouve être le plus proche, est relativement pauvre en espaces publics, en espaces verts et en lieux de culte, des lieux susceptibles de créer des rencontres et rassemblement. Ils se composent principalement de zones habitables, sur un modèle « patchwork », mélangé à des typologies de zones industrielles. Les rues ne sont également pas développées pour les piétons et le manque de proximité des équipements publics favorise l’utilisation de la voiture.

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Figure 29 : Plan à l’échelle de la zone de la résidence des Castors du Merlan - État actuel de la fermeture

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Figure 30 : Photographies des magasins « discount » sur l’Avenue du Merlan

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La résidence Les Castors d Merlan se composent de 45 blocs habitables, quasiment tous orientés nord-sud à l’exception de cinq et qui s’articulent autour de six allées. Ces bâtiments se composent de deux typologies différentes. Les logements collectifs sont au nombre de cinq et s’élèvent de trois étages. Les maisons individuelles se regroupent par trois pour former un bloc, formant ainsi des villas mitoyennes de deux étages. Chaque bâtiment possède un jardin privé et un accès depuis la rue (chemin aménagé pour les maisons au centre du bloc). La résidence couvre 45 000 mètres carrés et s’est organisée autour d’une place publique, la Place de l’Amitié. Cette place, qui compense la légère pente du terrain, abrite neuf grands platanes, une poignée de bancs et un sol en terre battue. Elle est accessible depuis l’est de la résidence et signale par une pancarte bleue, son caractère privé et exclusif. À l’ouest, un grand parking collectif de la même taille que la place, donne sur un bâtiment qui se distingue des autres. Il est d’un gabarit semblable aux bâtiments alentour mais il diffère de sa fonction. C’est un bloc dédié aux activités collectives de la résidence, nommé « La salle de l’Amicale ». Ce lieu est la continuité de la place et tous deux y accueillent des évènements hebdomadaires et mensuels autour de grands repas, des tournois de pétanque ou encore soirées de jeux de société. Il retrace également l’histoire de l’auto-construction, les personnages importants, afin de ne pas oublier les origines de ce fort élan communautaire. Des traces d’activités collectives survivent dans ce quartier réalisé par les Castors. Elles sont réservées aux habitants de la copropriété et à leurs invités. Les autres riverains n’y sont pas conviés. « Ce samedi, il y aura de la choucroute sur l’esplanade de l’Amitié. Sans doute aussi de la musique, et puis des boules. Dix triplettes au moins… Les invités paient quelques euros de plus pour le concours de boules comme pour le repas alsacien mais sont les bienvenus »89 Les Castors du Merlan accueillent quelque 430 personnes, où chacun possède son espace intérieur et extérieur privé. Un espace collectif situé au cœur de la résidence 89

GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/>

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permet d’accueillir des mouvements et activités communes. La majorité des résidents sont des couples de retraités, soit de l’époque de la construction, soit des « descendants des vieux Castors ». Quelques familles avec enfants trouvent leur place au sein de la copropriété mais avec une tendance plutôt vieillissante. Ces typologies correspondent à des classes sociales moyennes, élevées, où le confort de vie et le standing des logements est assez élevé.

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Figure 31 : Plan à l’échelle de la résidence – Organisation spatiale

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Figure 32 : Photographies de la Place de l’Amitié, vu sur La Salle de l’Amicale – Caractère vide

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Figure 33 : Photographies des rues des Castors du Merlan – Caractère vide

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C3. Une mise en scène de la fermeture

Une fermeture d’initiative interne Dans son origine de construction, la résidence avait été pensée ouverte à la ville tout en gardant une identité d’un lieu privé. Sa fermeture en 2005, par le biais de nombreux portails, à l’est et à l’ouest, fait des Castors du Merlan, une résidence complétement hermétique à la ville. La décision provient d’une augmentation de la fréquentation des lieux sur la Place de l’Amitié et dans les rues de la résidence. Les allées sont sur une unique parcelle privée, cela facilite les gestions administratives concernant les lieux communs. Les blocs de bâtiments sur tout le périmètre créent une barrière architecturale. Les nouvelles grilles viennent alors interrompent l’accès piéton et automobile sur toutes les allées de la résidence. Un premier mur avait déjà été bâti par des « néo-résidents »90 sur une allée côté est, en 1986. Cette initiative des riverains internes avait été menée « sans autorisation ni décision collective »91. Par la suite, le syndicat de copropriété de la résidence, décide à l’unanimité, la fermeture intégrale de l’ensemble. Le terrain étant d’origine privé, la municipalité ne peut, par conséquent, s’opposer à cette décision collective.

Les dispositifs de fermeture Un total de six entrées est possible pour s’immiscer dans les Castors du Merlan depuis les rues alentour. Le premier mur édifié au sud-est de la résidence est un mur de parpaings, haut de 3.20 mètres et surplombé de grilles pointues de 50 centimètres. Au total, un mur de 3.70 mètres fait face à l’Avenue Escadrille et imperméabilisant la résidence sur toute la largeur de l’allée. Cette séparation physique, isole totalement les villas de la partie est du quartier Saint-Jérôme.

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Terme employé par le journaliste GILLES Benoît, qui désigne les successeurs des tous premiers habitants 91 GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/>

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Les nouveaux dispositifs mis en place il y a 14 ans, sont tous de typologies différentes. L’unique, en contact direct avec le parking d’une cité HLM au sud, est une haie végétale grillagée, haute d’environ 2.50 mètres. Cette séparation, entre deux parcelles privées de deux lotissements, est moins brutale que le mur froid et brut de la partie est. Son aspect végétalisé laisse entrevoir l’autre côté et renvoie l’image d’une séparation presque « naturelle », comme une continuité d’une clôture de maison. Cette entrée est la seule qui ne donne pas sur une rue passante mais sur une rue interne à la résidence. Elle est placée en bout d’allée et montre bien la fermeture de la résidence a posteriori, comme si elle venait « boucher » une voie autrefois passable. Les quatre grilles positionnées sur les axes les plus passants, sont d’une typologie plus imposante car elles se confrontent à un trafic plus important. L’entrée principale depuis l’allée de Tam et l’allée de l’Ariège, mène directement à la place publique. La confrontation avec l’avenue du Merlan se fait par une large ouverture de plus de cinq mètres. Un portail électrique coulissant donne l’autorisation de passage des véhicules de la résidence. Un portillon à code sur le côté droit, permet le passage pour piétons. Un tableau électronique permet de rechercher les noms des résidents afin de sonner et prévenir de sa venue. Le riverain doit ensuite se déplacer pour pouvoir ouvrir aux visiteurs. Un grand panneau de signalisation annonce bien le caractère privé de la résidence et l’interdiction de stationner par le positionnement de trois grosses pierres. Ce portail principal, est positionné en face du magasin alimentaire « discount », hautement fréquenté. Le deuxième portail donnant sur la même avenue est de même configuration. Il permet l’entrée des voitures et des piétons dans un dispositif un peu plus discret de par sa largeur. Par ailleurs, les deux portails situés à l’est de la résidence sont en contact direct avec l’allée du stade. Cette allée est très peu fréquentée, du moins seulement pour les évènements sportifs hebdomadaires. La première entrée se compose d’un portillon électronique à code, entouré d’un grillage de part et d’autre, le tout surmonté de barbelés. Des barrières métalliques positionnées en amont, empêchent la circulation des deux roues. Ce schéma de triple protection s’étend sur toute la largeur de l’entrée et s’élève sur trois mètres de haut. La dernière grille est quant à elle, placée en bout de rue de plus de 265 mètres. Cette distance permet une mise à l’écart du trafic routier et un camouflage évident. Son système de fermeture est électronique coulissant pour 89


voiture uniquement. Aucun digicode ne permet de contacter les habitants de la résidence. L’entrée des voitures est donc principalement orientée sur l’avenue du Merlan par une entrée principale menant au parking de la résidence. L’ensemble des grilles correspond au même esthétisme de fermeture. Cela indique une cohérence dans l’action d’isolement et une mise en œuvre sur l’ensemble de la résidence. Les portails se composent de barreaux verts métalliques verticaux et de grillages de jardin de la même couleur. Ce dispositif amène une certaine transparence visuelle mais renvoie l’image d’un dispositif de haute surveillance. L’aspect métallique et la régularité des barreaux traduit une certaine froideur et radicalité de la part des habitants. Un gardien surveille la résidence et s’occupe de la maintenance interne. Cependant, il ne gère pas les allers et venues des habitants. Nous ne l’avons pas aperçu au niveau des dispositifs d’entrée et nous supposons que son rôle n’est pas directement orienté sur le contrôle d’accès.

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Figure 34 : Photographies de la résidence Coin Joli et de la résidence des Castors du Merlan – Vue depuis l’intérieur des résidences sur les HLM alentours. Même composition du paysage avec plusieurs plans successifs : La rue vide / Le mur / Les HLM de front

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Figure 35 : Inventaire photographique des dispositifs de fermeture de la rĂŠsidence des Castors du Merlan

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C4. Une réaction à un environnement extérieur

Les typologies alentour La résidence des Castors du Merlan s’oppose d’un point de vue typologique aux bâtis est et sud alentour. Trois grands ensembles font face au lotissement formant une boucle autour des lotissements pavillonnaires (Les Castors du Merlan et Vento). Elles forment tous deux une zone résidentielle, traversée par l’avenue du Merlan. Le grand ensemble des Lilas se situe au-delà de l’avenue Escadrille et s’étend sur 50 000 mètres carrés, quasiment la même superficie que la résidence étudiée. Elle se compose de six bâtiments, de cinq typologies différentes, allant de la tour de seize étages, au bloc de cinq étages. Toutes ces structures accueillent 890 logements pour environ 2500 habitants, si l’on considère une moyenne de trois personnes par famille. La grande barre de plus de 200 mètres se positionne de front à la résidence pavillonnaire et forme une barrière physique entre les Castors des Merlans et le centre du quartier de Saint-Jérôme. Ce dernier, situé à seulement 700 mètres, incarne le centre-ville villageois accessible à pied, doté d’une place, d’équipements publics, d’une église et de maisons individuelles. La copropriété des Hirondelles, située au sud des Castors du Merlan, se compose de huit bâtiments, dont une tour de 19 étages et de barres de gabarit différents, allant de quatre à douze étages. Six barres sur huit ont la même orientation et se placent parallèlement à la départementale. Ce positionnement met en évidence la plus grande superficie de façade, face à la résidence pavillonnaire. La séparation entre les barres et les parcelles des villas voisines, est de douze mètres. La hauteur d’environ 30 mètres des bâtiments des Hirondelles est en contact quasi direct avec les jardins privatifs et génère un vis-à-vis conséquent. Un total de 1080 personnes vit au sein de la copropriété pour une surface totale de 40 000 mètres carrés. Enfin, le troisième grand ensemble de la Citadelle se trouve de l’autre côté de l’avenue du Merlan. La topographie naturelle la surélève de quelques mètres. Elle se compose de dix barres de bâtiments, d’une morphologie horizontale, d’un maximum de cinq étages. L’ensemble du bâti s’étend en longueur et suit le flanc du dénivelé. La Citadelle accueille près de 1350 habitants sur une surface totale de 80 000 mètres carrés. Depuis la résidence des Castors des Merlans, les bâtiments sont vus de leur tranche et 94


ne rentrent pas en confrontation directe. En revanche, le surplomb de la colline, met en position dominante du point de vue de la hauteur. Les trois grands ensembles forment, de par leur positionnement en enfilade, de leur gabarit similaire et leur hauteur, une réelle barrière architecturale. Ils rassemblent un total d’environ 5000 habitants pour 190 000 mètres carrés de surface totale. En comparaison, les deux résidences pavillonnaires, accueillent un total de 780 personnes pour une surface quasi égale. Cela correspond à une densité six fois moins élevée que les grands ensembles alentour. En termes de hauteur, 17 étages au maximum, sépare les deux typologies, soit une différence de 50 mètres. La proximité, le positionnement urbain et l’orientation, poussent les typologies à rentrer en confrontation. La différence de hauteur, de qualité architecturale, de mode d’habiter (habitat individuel versus habitat collectif), met en évidence de forts contrastes. Le tissu pavillonnaire construit quelques années auparavant, peut paraître « encerclé », « dominé » par ces nouvelles constructions en forme de U et de plus grande hauteur. D’un point de vue quantitatif, l’arrivée de 5000 habitants peut changer considérablement la configuration et les habitudes d’un quartier pavillonnaire. En effet, une telle augmentation, oriente généralement les secteurs d’activités alentour, comme par exemple ici, l’apparition de commerces et de snack bon marché. Par ailleurs, de nombreuses familles demeurent dans les grands ensembles, dépourvus d’espace public, de jardins privés ou communs, où même d’espace de loisirs. Les populations se retranchent donc sur les seuls espaces existants, à savoir ici, la Place de l’Amitié. Cependant celle-ci est située en plein cœur de la résidence et n’est pas adaptée par sa taille, pour les 5000 personnes arrivantes. Enfin, les cités situées dans les quartiers de Nord de Marseille, sont hautement surveillées par les autorités, pour trafics de stupéfiants et d’armes. Le journaliste Gilles Benoît reporte le témoignage des habitants des Castors du Merlan, qui stipule être témoin d’échanges illicites sur la place publique.

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« Un été, il y a deux ans, un petit groupe avait pris ses habitudes. Ils fumaient des joints sur l’esplanade, roulaient avec leurs scooters. Ils faisaient leur trafic. Le 14 juillet, ils ont jeté des pétards sur tout le monde. Plus on leur parlait, plus ils étaient agressifs. »92

Figure 36 : Coupes schématiques des confrontations typologiques – Les Lilas / Les Castors du Merlan et Les Hirondelles / Les Castors du Merlan

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GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/>

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Une réaction Les dispositifs de fermeture, mis en place en deux temps, par les habitants des Castors du Merlan, proviennent d’une réaction au contexte environnant. En effet, l’interdiction d’accès, de circuler et de traverser, évoque l’idée de protection d’un lieu. L’installation de barrières sur l’ensemble périphérique est une position radicale et stricte quant à l’isolement d’un morceau de terrain, du reste de la ville. Cette partie est alors soustraite à l’utilisation quotidienne de l’ensemble des riverains du quartier. Dans ce cas précis, la différence typologique ainsi que la différence de gabarit peuvent être un motif de confrontation. La notion protectrice autour d’une zone habitable peut relever de l’importance identitaire. Au-delà du lieu, c’est l’esprit des habitants qui est préservé. La construction de trois grands ensembles à proximité, amène une supériorité numérique. Une différence socio-économique entre les habitants des HLM et des villas, est également à prendre en compte. Le phénomène de paupérisation de ces grandes copropriétés, s’oppose à la qualité de vie de la résidence pour classe moyenne-élevée. Une telle différence sociale, dans un milieu urbain morphologiquement « fragile », peut entraîner un sentiment d’insécurité. Le motif sécuritaire est parfois évoqué lors d’un contraste social important et d’une proximité physique. Ce phénomène peut-être à l’origine d’une augmentation de la délinquance par un relevé quantitatif de faits réels, ou bien le sentiment d’insécurité est une sensation perçue, un ressenti qui menace la sphère privée. L’intimité est ici rattachée à l’habitat mais également à l’extension publique des allées, de la place et du local de l’Amitié. Cette intimité collective issue de la notion identitaire se révèle très forte et importante dans la résidence des Castors du Merlan de par l’histoire d’une initiative solidaire. La peur de la déconstruction de cette sphère intime, par l’arrivée massive et continue de plusieurs grands ensembles, peut-être un facteur de fermeture.

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« Elle s'est progressivement formalisée et durcie (vidéosurveillance), soutenue par un syndic pro-actif, alors que se généralisait un discours d’insécurité, sans qu'il soit pourtant possible d'invoquer ici une atteinte particulière aux biens ou personnes. »93

C5. Les conséquences urbaines de la fermeture

Un espace public réservé La résidence a été réfléchie et conçue autour d’un espace commun public. Cette zone, située au centre des villas, peut-être comparée, à plus petite échelle à une place de village. Les habitants s’y retrouvent en dehors des heures de travail, pour se divertir, passer un moment entre voisins. Elle sert de point de rencontres, d’échanges, de discussions, de rassemblements… Cette place était à ses débuts, imaginée pour les habitants de la résidence, du point de vue de sa configuration urbaine. Sa centralité indique le « noyau » de la résidence, une zone protégée des agressions extérieures, dissimulée aux yeux de tous, dont seuls, les habitants peuvent connaître son existence car elle n’est pas en contact direct avec l’extérieur. Elle pourrait être comparée au cœur d’îlot, isolée de l’activité de la rue, un espace de respiration, de décélération, Son importance sociale a même déteint sur son appellation, « Place de l’Amitié », qui traduit cette idée fraternelle. Cependant, avec les années d’expansion des zones habitables et d’une forte demande de logements, la résidence s’est vue peu à peu encerclé par de nouvelles constructions. Cette place, dite publique, est accessible à tous les riverains de la zone. La valeur qu’accordent les habitants des Castors du Merlan est alors changée. La décision des habitants, revendique donc l’interdiction d’accès aux autres habitants du quartier. Elle a pour conséquence, le rejet des pratiques des habitants extérieurs afin de préserver sa « valeur » initiale. Sa position à l’intérieur de la résidence, et non sur une zone neutre, donne l’effet que les habitants extérieurs rentrent à « l’intérieur ». Ce système de fermeture est le dispositif de défense, que nous

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.17

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explique Claude Quétel, pour parler de la première séparation entre les hommes. D’un autre point de vue, la Place de l’Amitié, est le seul lieu public commun à tous les habitants, qu’ils soient des grands ensembles ou des zones pavillonnaires. En effet, dans la conception des grandes copropriétés, aucune zone n’a été pensée comme espace public extérieur, mis à part deux cœurs d’îlot de la résidence des Lilas. Les seuls espaces au sol se dédient aux activités fonctionnelles, aux parkings ou aux voiries. La fermeture d’un espace public à une partie de la population peut être perçue comme de la discrimination, car les personnes visées sont également des classes sociales inférieures. Cette action ferme les portes aux pratiques conviviales, à la rencontre et à l’interéchange. Elle renvoie l’image inverse de la volonté initiale, à savoir, partager un lieu commun à tous les riverains d’une même zone. « Ce repli radical d’un lotissement, au départ coopératif et animé par un idéal de vivre ensemble, traduit un sentiment de malaise et d’abandon de petits copropriétaires au cœur de quartiers défavorisés. »94

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GILLES Benoît, « Petites histoires des résidences fermées, L’aventure des Castors du Merlan s’estompe », 27/10/17, in Marsactu, consulté le 25/03/19, <https://marsactu.fr/petites-histoires-desresidences-fermees-laventure-des-castors-du-merlan-sestompe/>

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Figure 37 : Plan de libre circulation avant la fermeture des résidences – De l’extérieur vers la Place de l’Amitié

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Figure 38 : Plan de l’’impact de la fermeture sur les mobilités sur l’accessibilité à la Place de l’Amitié

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Une initiative communautaire devenu repli L’acte de s’enfermer depuis l’intérieur d’une résidence, envoie le message aux habitants extérieurs, qu’ils ne sont plus les bienvenus. Cela évoque également que ces riverains extérieurs sont néfastes pour l’environnement intérieur, pour la vie urbaine des résidents. Cette rupture crée par la barrière, transforme, l’espace unitaire de la rue, en deux lieux distincts. La séparation génère un espace extérieur et un intérieur. Cette séparation accompagne l’idée que le dedans concerne les habitants privilégiés et à l’extérieur les logements défavorisés. Les habitants des Castors du Merlan, n’acceptent pas en quelque sorte, l’évolution de la ville qui génère un changement urbain important. Ils veulent préserver le modèle d’origine, construit en pleine nature. Les bouleversements environnants sont perçus comme un « contre » et non un « avec ». Cette extension infinie du tissu urbain, perd en termes d’échelle, la petite résidence, et cherche à adopter une stratégie de repli. Ces grilles favorisent l’échange entre les habitants internes et n’empêchent pas celui entre les riverains externes. En revanche, il condamne les relations de voisinage entre les habitants de la résidence des Castors du Merlan et ceux des grands ensembles alentour. C’est une rupture de dialogue, d’une possibilité de croisements entre plusieurs habitants. Cette fragmentation de l’espace qui est à la fois une fragmentation sociale, s’oppose à la notion de mixité. « Les "ghettos de riches" diffèrent radicalement des "quartiers d'exclusion". Leurs habitants ont librement décidé de venir y résider ou d'y demeurer, tandis que les habitant des quartiers pauvres ne s'y établis pour la plupart que faute de disposer des ressources qui leur auraient éventuellement permis un autre choix, et n'y restent que "prisonniers" de leur condition sociale. "ségrégation spontanée" »95 Pourtant, la construction des grands ensembles à proximité des zones pavillonnaires pourrait être un moyen de favoriser la mixité sociale. Une mixité tant sociale que typologique, qui maintiendrait le mélange et l’échange de la ville. Cependant, aucun espace public n’a été prévu pour encourager cette mixité et travailler des espaces de 95

BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, éd L'Hamarttan, France, 1994, p.29

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« transition » entre ces différents ensembles. Ces zones périphériques souffrent d’un manque de réflexion sur l’articulation des différents tissus urbains.

« Ce type de fermeture témoigne de territorialités conflictuelles inquiétantes, de dynamiques de « mise à distance » et d'une perte de confiance dans les régulations publiques. »96 « Une des plus grandes aménités des équipements de quartier et du mobilier urbain, un réel civisme des automobilistes, un urbanisme "doux" et hospitalier, tout cela favorise une meilleure complicité entre un quartier et ses habitants, qui en retour deviennent plus attentifs à la chose publique. »97 - Jane Jacobs

La libre circulation et les transports en commun La fermeture d’un ensemble de rues, réduit la libre circulation et peut parfois rallonger les temps de trajet d’un point A à un point B. En effet, l’accès, est refusé autant aux piétons qu’aux automobiles extérieures. Pour les voitures, les conséquences sont les mêmes que pour la résidence Coin Joli, sur les trajectoires transversales. L’interdiction de passage, rabat les automobiles vers axes principaux de circulation. Dans le cas de cette résidence, c’est la voie départementale qui est sollicitée. La réduction des voiries, influence fortement le trafic et s’oppose au phénomène de dilatation. Pour les piétons, c’est toutes les traversées qui sont affectées. La résidence étant positionnée entre deux avenues importantes, elle forme un axe transversal, un lien entre ces deux axes. L’avenue Escadrille et l’avenue du Merlan sont des voiries accueillant un réseau de transport en commun. Un total de six lignes parcourt ces zones et favorise la connexion entre l’université/les zones d’habitation et le centre-ville de Marseille. L’enclave urbaine, augmente ici le temps de déplacement pour rejoindre les arrêts de bus. En effet, l’impossibilité de traverser la résidence, engendre un détour par le sud ou 96

DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.17 97 Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.16

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le nord, vers les voies rapides, conçues comme des voiries à vitesse, où les infrastructures ne sont pas prévues pour les piétons et les met donc en situation de danger. Cette difficulté d’accessibilité des services publics peut être un frein pour certains habitants à l’utilisation des réseaux publics et ainsi favoriser les déplacements privés en voiture. Cela entrave également, le développement des transports en commun au niveau de ces axes, à plus grande échelle.

C6. Description narrative La résidence Coin Joli, le 9 avril 2019, accompagné de Loris Perez. Nous racontons notre expérience et nos sensations perçues L’orage ne va pas tarder, le ciel commence à se ternir. La départementale que nous suivons depuis bientôt 20 minutes, ne me rassure pas vraiment. Les voitures filent à toute vitesse mais le paysage urbain nous rappelle que nous sommes dans des espaces habitables. Une contradiction s’offre à moi, un sentiment de confusion. Des terrains vagues, des enchainements de maisons, de grandes barres d’immeubles, un bout d’autoroute, une usine à savon… je ne sais pas vraiment où je suis. Au rond-point, nous bifurquons à gauche sur l’avenue des Merlans. Cette route m’apparaît comme une allée très étroite, bordée d’une panoplie de barrières. Des grillages, des murets, des murs, des haies végétales… Nous sommes arrivés dans le paradis de la clôture et de son catalogue. Ces séparations de part et d’autre de l’avenue, lui donnent une allure stricte, sans échappatoire possible. J’aperçois l’entrée principale de la résidence sur notre droite et nous trouvons refuge quelques mètres plus haut, sur le parking d’un coiffeur, d’une agence immobilière et d’un snack Kebab. Nous retournons sur nos pas pour accéder à cette fameuse entrée de la résidence. Nous nous posons quelques instants pour observer la situation. Juste en face est écrit « Discount Tout » sur une pancarte abîmée par le temps. Une multitude de camions, voitures, sont garés en désordre devant l’entrée. Les déchets volent, les gens entrent, sortent, poussent des cadis, portent des courses. C’est un lieu à fortes activité où les mouvements de foule s’enchainent rapidement. Le contraste nous apparaît

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clairement, avant même de rentrer dans la résidence. Nous savons bien que les gens qui font les courses sous nos yeux, ne vivent pas dans les villas d’en face. Nous traversons la route et profitons d’une entrée de voiture pour nous introduire à l’intérieur des Castors des Merlans. Le portail se referme. Les bruits de l’avenue s’atténuent petit à petit. Nous venons de changer radicalement d’ambiance en seulement quelques secondes. L’allée nous mène tout droit à la Place centrale de la résidence. Les rues sont désertes, la place aussi. Le vent souffle, le ciel est noir, chargé de toute sa colère. Ce ciel chaotique donne un aspect apocalyptique à la situation. Peut-être cela influence notre perception des choses et fausse notre vision ? Les platanes de la place sont nus de leur feuillage, les voitures bien rangées. Mais où sont les habitants ? Nous déambulons, comme dans un jeu, pour trouver une sortie. À deux reprises, nous nous retrouvons face à un mur qui bouche la rue. Au loin, le paysage laisse apparaître les hautes barres d’immeubles, d’est en Elles s’élèvent devant nous, nous font face, nous affrontent par leurs imposantes façades. La déshérence des rues nous rappelle l’image de la résidence de Coin Joli. Les mêmes impressions, d’une vie disparue. Seul reste des traces d’activités passé, de lieux marqués par l’histoire et les rires des enfants. Nous avons l’impression que le temps s’est arrêté, que les gens n’osent plus vraiment sortir de chez eux, que ces rues sont restées immobiles. Les impressions de Loris Perez, accompagnateur qui découvre ce phénomène : Nous remontons à gauche par l’axe principal. Nous sommes dans le 13ème arrondissement de Marseille, en face du lotissement « Les castors du Merlan ». Le quartier est sombre, peu accueillant et le temps, orageux, semble avoir déteint sur lui. Les pancartes « résidence privée », « entrée interdite » remplissent bien leur rôle de dissuasion puisqu’on n’a guère envie de s’y attarder. Nous décidons d’analyser l’extérieur du lotissement en redescendant par la droite le boulevard.

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La route bétonnée, l’absence de végétation et ce grand magasin « discount » n’ajoute aucune valeur à cet endroit déjà si triste. Nous arrivons rapidement en bas de la résidence. Il y pas grand-chose à dire. D’un côté les grilles, un trottoir standard où l’on marche, un boulevard. De l’autre côté des lots de maisons qui se fondent dans ce décor maussade. On remonte la rue. L’une des grilles s’ouvrent pour laisser sortir une voiture. On profite de l’occasion pour s’engouffrer dans le lotissement « Les Castors du merlan ». Sans ça, impossible d’entrer ! A l’intérieur, une rue principale si vide qu’on peut voir, au loin, une des extrémités de la résidence. Sur la gauche l’alignement presque militaire des diverses villas. Voici un lieu sans identité, juste un rassemblement de maisons classiques, isolé entre un boulevard gris, la cité « Les Lilas » et un grand stade de foot municipal. On s’amuse à se perdre dans ses rues toutes semblables les unes aux autres. On y trouve un terrain de boules entouré d’arbres. On imagine facilement les parties de pétanque endiablée à la marseillaise. Ce coin pourrait avoir du charme s’il n’était pas aussi désert, à l’image des rues du lotissement. On ne croise aucun habitant. Le tonnerre gronde. Il pleut averse. On sort de la résidence par là où nous sommes entrés, une nouvelle fois à l’aide d’une voiture passant la grille. Un dernier tour de piste à l’extérieur, en remontant le boulevard, on y retrouve le stade et le haut des villas dépassant des grilles de la résidence. L’une d’elle est bordée de barbelés. L’accueil n’est décidément pas un point fort du lieu. Si seulement il n’y avait que ça. En repartant on remarque que certains lots de maison, situé de l’autre côté du boulevard, ferme également leurs portes.

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La tendance a généré un climat de crainte, une montée flagrante de l’individualisme et du repli sur soi-même. Nous quittons le 13ème arrondissement de Marseille sous la pluie. CONCLUSION La fermeture a posteriori sur l’ensemble de la résidence des Castors du Merlan, impact sur l’organisation du tissu urbain mais également sur les pratiques conviviales de tout un quartier. Cette fragmentation urbaine favorise également la distinction entre les différentes classes sociales, déjà marquée par la qualité d’habitat et les typologies architecturales. Cette radicalisation de la fermeture souligne cette disparité et augmente les inégalités sociales. Elle instaure un rapport de force, entre ceux qui ont les moyens de protéger leurs biens et ceux qui subissent une situation de rejet. « Le refus des contacts et surtout du brassage est consciemment assumé voire affiché en toute bonne conscience par la majorité... qui détient le pouvoir d'exclure un autre groupe d'un espace dont il veut se réserver l'usage. »98 Cette initiative des habitants n’est en aucun cas, contrée par la municipalité et c’est en quelque sorte démocratisée à Marseille. La résidence Vento, située juste en face, commence progressivement à se fermer à la ville, par la pose d’un portail électrique sur l’avenue de Merlan. Les fermetures sur des terrains privés, permettent de s’abriter des « nuisibles » de la ville, du trafic, des passages, des stationnements et des rassemblements. Ce retranchement accentue l’effet de sectorisation et crée un système de plaques homogènes qui ne rentre pas en communication. Les routes principales naviguent entre ces pièces de puzzle et se densifient un peu plus chaque jour.

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BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, Éd L'Hamarttan, France, 1994, p.25

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Des résultantes communes ? L’étude des deux résidences fermées et sécurisées de Coin Joli et Castors du Merlan met en évidence des points communs. Toutes deux sont en confrontation directe avec un grand ensemble et subissent une différence de proportion. Cependant, La résidence des Castors du Merlan, se situe dans un contexte urbain plus difficile, plus pauvre. En effet, Coin Joli est essentiellement un quartier pavillonnaire en voie de développement avec l’extension du tramway dans la zone. Tous deux subissent des changements urbains importants et manquent également d’espace public pour établir des zones de transitions et d’échanges entre les différents modèles habitables.

Impact sur la mobilité et la libre circulation La fermeture impacte essentiellement les réseaux de mobilité, qui se retrouve restreints et diminués. La suppression de rues ouvertes au public, réduit les possibilités de circulation et tend vers un modèle uniquement fonctionnel. Flâner, se promener, Errer, sont des activités de la ville qui tendent à disparaître. D’autres zones subissent un changement sur les flux de mobilité et se retrouvent impactées par la fermeture. La colline Périer à Marseille, est un quartier composé de résidences et zones pavillonnaires très aisées. Il se situe au-dessus de la corniche Kennedy, en hauteur et possède la plus belle vue sur la mer de la ville. Un agrégat de 12 résidences fermées et sécurisées forme une enclave de plus de 50 hectares.99 Cet amas pavillonnaire aux fermetures jointives, empêche l’accès de la ville à la mer, de traverser la colline et oblige un contournement du quartier. Les trajets sont donc rallongés et beaucoup de rues interdites au public. L’utilisation de dispositifs de surveillance, comme des portails avec caméra, des gardiens aux entrées, des gardiennages dans la résidence, des barrières de sécurité, montrent la haute disposition des habitants à obtenir l’exclusivité des lieux.

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.13

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L’accessibilité aux espaces publics Plusieurs communes ou quartiers se retrouvent confrontés au retrait d’espaces publics, de services ou à une difficulté d’accès. Dans le cas de la colline du Périer, le parc Talabot, situé au sommet est maintenant réservé aux habitants de la résidence Cadenelle, qui fait partie de l’agrégat. Sa fermeture définitive en 1972 est en réaction à la création de la plage du Prado, très fréquentée à Marseille100. Le quartier se voit confisqué l’accès à un parc, certes d’origine privé, mais qui dans les habitudes, était autrefois ouvert au public. La hauteur est devenue dans ce cas précis, une exclusivité. La résidence Michelet-De Lattre, dans le 9e arrondissement, ferme ses portes, suite à une décision de la copropriété. L’intérieur de la résidence accueille l’entrée de l’école Mazargues-Vaccaro située au bout de l’impasse. La pose d’un portail uniquement pour les résidents, empêche le passage des écoliers et les oblige à faire un détour de 1.6 kilomètres, soit 25 minutes de marche sur une route dangereuse et en travaux. L’accès au petit portail secondaire de l’école se fait par une allée large de 1.5 mètres, non prévu pour une entrée d’école101. Ce portillon est accolé à une zone en travaux. Dans la vallée de la Bièvres, au sud de Paris, la résidence de la Martinière interdit l’accès aux habitants de la zone et à l’ensemble du parc du même nom. La fermeture de la résidence impacte ici, l’accessibilité et la libre circulation sur l’ensemble d’un espace ouvert au public depuis toujours pour un souci d’exclusivité. Non loin de ce parc, le parc de la Ratel est accessible par une voie privée de la copropriété de la Sergy. Le parc est public et contient un club de tennis, un centre culturel et une école maternelle. La fermeture de la rue interdit donc l’accès aux riverains et donne l’accès exclusif aux habitants de la résidence. Ce manque d’accessibilité pose également la problématique des services publics de la ville et de l’accès des pompiers. Si les voies d’accès aux résidences sont privées et fermées, cela limite les possibilités d’intervention ainsi que le passage en situation d’urgence.

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GILLES Benoît, « Petites histoires de résidences fermées] Les beaux quartiers fermés de la colline Périer », in Marsactu, 23/08/2017, consulté le 24/03/19, <https://marsactu.fr/residences-fermees-dorier/> 101 CASTELLY Lisa, « [Petites histoires de résidences fermées] Le chemin du conflit mène à l’école », in Marsactu, 29/07/17, consulté le 25/03/19, https://marsactu.fr/petites-histoires-de-residences-fermees-lechemin-de-lecole-vaccaro/

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« Ces dynamiques d'enclosures privées dans des contextes d’interface ville-nature constituent un frein en situation de risque naturel, comme ce fut le cas lors de l’incendie du massif de Carpiagne en 2009 : les pompiers avaient dû faire face lors de leur intervention à l'imprévu de nombreuses clôtures non planifiées (et non déclarées) qui les empêchaient d'approcher. L’ampleur du phénomène est localement importante comme par exemple dans le 10ème arrondissement où une « grappe » de 6 résidences bloque sur plus d'1km, l'accès au massif des Calanques labélisé « Parc national » en 2012. L’accessibilité est pourtant un des enjeux de cet espace aux marges de la ville, constituant une forte aménité sociale et environnementale. »102 Cette tendance de fermer les zones habitables et d’incorporer aux nouveaux projets immobiliers un haut service sécurisé règlent-ils réellement le problème de la sécurité en ville ? L’interdiction et l’occultation ne seraient-ils pas des éléments susceptibles d’engendrer la violence et la délinquance ? La fermeture était-elle une solution à l’insécurité et à l’augmentation de la violence en ville ?

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.17

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Figure 39 : Plan des résidences fermées et sécurisées sur la colline Périer, formant un agrégat

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Figure 40 : Inventaire photographique des dispositifs de fermeture sur la Coline PĂŠrier

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LE MUR, UN IMPACT SOCIÉTAL DANS NOS VILLES

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La résidence fermée, un désir d’exclusivité A1. Entre copropriété et « privatisation » de l’espace public

La propriété privée, un droit L’habitat suburbain connait une évolution perpétuelle, du fait de l’étalement horizontale des villes, de l’augmentation de la population et de la recherche d’un confort urbain. Ces trois caractéristiques s’inscrivent sur des axes sociaux et politiques. En effet, notre société conserve ses principes fondamentaux, où la propriété privée est un droit et la possession d’un bien, légal vis-à-vis de la loi. Ainsi, depuis le XIXème siècle, la copropriété, est par définition un « immeuble construit et divisé en lots entre plusieurs personnes ayant un droit de propriété exclusif sur leur partie privative (leur appartement et ses dépendances) et une quote-part des parties communes. »103. La résidence fermée fait partie de la catégorie des copropriétés, où il y est intégré les « droits de propriété collectifs et d’arrangements contractuels portant sur l’usage et la gestion des parties communes. »104 Ces régularisation foncières appartenant exclusivement au domaine privé en ce qui concerne l’habitat, influencent le paysage urbain de nos villes et dirigent l’organisation à l’échelle territoriale. Selon Stéphane Degoutin, « Un grand nombre de gens, de toutes classes sociales et de toutes origines, choisissent de vivre dans des espaces privés, crées par des entreprises privées, en dehors de la ville ouverte, démocratique, organisée autour d'espaces communs à tous. »105 Ce modèle découlerait probablement d’une correspondance entre une forte demande de la part des usagers et d’une gouvernance urbaine privée. Les normes en France et en Europe, concernant la sécurisation, ont également eu un impact sur 103

Définition du CNRTL de la Copropriété

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LE GOIX Renaud, « Les lotissements fermés : effets de contexte », in Les Cahiers de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la région Ile-de-France, 55 « Les villes face à l'insécurité", 2010, p.73, <https://docplayer.fr/29819237-Les-lotissements-fermes-effets-de-contexte.html> 105 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.25

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l’évolution de la fermeture dans l’habitat. Par exemple, la loi relative à la prévention et la délinquance106 encourage les propriétaires à s’équiper de dispositifs de surveillance grâce à des aides fiscales. D’autre part, la norme européenne WG2 appartenant à la catégorie Urbanisme, conception et gestion des espaces dans le but de prévenir de la malveillance, exige plusieurs restrictions sur la sécurité pour tous projets urbanistiques. 107 Ces lois, de plus en plus nombreuses et précises, concernant la sécurité des espaces habitables, favoriseraient les initiatives d’ordre privé. Il s’agirait donc d’un encouragement de l’État qui privilégierait l’utilisation des dispositifs sécuritaires afin de contrer l’augmentation de la délinquance ou d’en prévenir ses effets. Ces actions alimenteraient-elles un système politique et économique libéral ? La délégation du foncier aux entreprises privées, par l’État, reviendrait à céder la gestion urbanistique de la ville à des groupes privés. Ces actions favorisent les enclaves privées et leur agrégat. Selon Thierry Paquot, « Le passage au privé... est un fait inquiétant pour la démocratie. »108 et serait donc perçu comme un danger pour un système tout entier. Il justifie ses propos par l’étymologie même du « priver » qui signifie « mettre à part, ôter de », un élément isolé d’un groupe. La propriété privée serait selon le philosophe une « jouissance exclusive »109, indépendante de la ville, dite publique.

Privatisation de l’espace public ? Le terme de « privatisation » d’un espace, pour parler d’une résidence fermée construite dans le cadre d’un nouveau projet neuf ou bien dans un contexte de fermeture a posteriori, est souvent utilisé par les médias et les journalistes. Cette action de privatiser, serait la transformation d’une emprise publique vers un secteur privé, et concernerait le domaine juridique. Peut-on parler d’un changement de statut lorsque le foncier est d’origine privé mais ouvert au public ? En effet, la privatisation est ici absente car le terrain n’a pas changé de statut. L’accès restrictif au public et le changement de situation, ne génèrent-ils pas des conséquences égales à la privatisation ?

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Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, https://www.legifrance.gouv.fr/ Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.16 108 Op. cit. PAQUOT Thierry, p.15 109 Op. cit. PAQUOT Thierry, p.17 107

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François Madoré, professeur en géographie, travaille essentiellement sur la ville et les enclaves résidentielles privées. Il aborde dans ses écrits, la question du statut des résidences fermées et le fait qu’elles peuvent être « légitimes au regard de l'application du droit de propriété, mais peuvent être perçues, en même temps, comme la suppression d'un itinéraire ayant les apparences et les fonctionnalités d'un espace public. »110 Il s’agirait ainsi d’un « processus d'appropriation des espaces collectifs privatifs »111 et d’une remise en question, non du statut juridique mais de la fonction qui s’en dégage. En d’autres termes, l'imposition d'une limite claire et d'un contrôle mutualisé des accès est la traduction physique du statut juridique des résidences fermées. Mais cela se fait-il au détriment de l’espace public ? Tous les espaces qui sont considérés comme privés et donc exclusifs pour une minorité, sont soustraits, en termes de surface, aux zones publiques. En effet, les espaces publics privatifs ne sont pas accessibles à tous et « comprennent des aménités internes de qualité telles que des parcs, des jeux pour enfant… qui dans certaines zones pallient le manque d'espaces publics de proximité. »112 Un rapport d’équilibre entre le privé et le public est indispensable au bon fonctionnement de la ville. Il est peut-être à reconsidérer dans certains cas, comme la métropole de Marseille, où la sphère privée semble prendre le dessus et ainsi impacter fortement le tissu urbain et son organisation. Cette diffusion tend, d’après Thierry Paquot, vers une « urbanité discriminante »113 et d’une extension accélérée. « Comment pourrait-on confisquer un espace privé ? Or, juridiquement et foncièrement parlant, c'est le cas de pratiquement toutes les résidences en France. Sauf bien sûr à revendiquer la liberté de circulation et dénoncer la "rétractation des espaces communs que sont en fait les espaces publics »114 - Marie-Christine JAILLET, sociologue et directrice de recherche au CNRS. 110

MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, <http://geoconfluences.enslyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm> 111 Op. cit. MADORÉ François 112 DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.4 113 Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.15 114 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs France, Éd. PERRIN, 2014, p.290

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A2. Une gouvernance urbaine à l’échelle nationale et communale

Un discours promotionnel des promoteurs immobiliers Les résidences fermées et sécurisées ont connu leur succès au travers du modèle conçu par le promoteur Monné-Delacroix. Elles sont aujourd’hui installées dans chacune des villes françaises, régis par un processus proliférant.115 La forme architecturale oriente la manière d’habiter ainsi que la relation physique entre l’espace privé et l’espace public. Les architectes et promoteurs, sont en majeur partie, responsables de la propagation de ce modèle habitable. En effet, le programme de recherche de l’ACI Ville mené en 2004116, énoncé par Gérard Billard, recense « plus de 320 entreprises de promotion immobilière dans les 22 régions métropolitaines ainsi que dans les collectivités d'outre-mer, parmi lesquelles 38 % affiche une opération immobilière fermée. »117 Depuis une quinzaine d’années, l’enclosure par le schéma répétitif de la fermeture est une donnée essentielle dans la conception du logement neuf. Les promoteurs utilisent ici le médium de la publicité pour diffuser un modèle architectural et une manière de vivre. Ils « jouent le rôle de récepteur de l'innovation »118, et par une systématique de propositions, ils vont étendre le modèle fermé sur un territoire entier. Ce « discours promotionnel »119 utilise le dispositif physique de la fermeture pour appuyer un discours sécuritaire afin de se protéger de la délinquance extérieure. Ils proposent l’enclosure comme solution de retranchement afin de s’isoler physiquement de la ville, perçue alors comme dangereuse. Cette publicité rend légitime120 la nécessité de s’enfermer dans une résidence sécurisée. Les promoteurs vendent la sécurité comme une prestation, qui donne plus de standing à la résidence. François

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Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.25 116 BILLARD Gérard, Quartiers Sécurisés, un nouveau défi pour la ville ? Éd Les Carnets de l'info, Paris, 2011, p.21 117 Op. cit. BILLARD Gérard, p.21 118 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 41 119 Op. cit BILLARD Gérald et MADORÉ François, p. 69 120 Op. cit BILLARD Gérald et MADORÉ François, p. 69

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Madoré a interrogé les promoteurs sur leur orientation concernant la fermeture afin de comprendre dans quel but ils appliquent ces dispositifs. Bouygues Immobilier : « Cet aspect de clôture, c'est un argument commercial évident. » Directeur technique et d'un cadre commercial de Maladeau à Toulouse : « C'est uniquement dans un but commercial... tous nos confrères de la profession clôturent, la demande étant de clôturer... » Fonta : « Il faut s'adapter au marché... » Leurs réponses sont identiques et divulguent de manière explicite l’unique volonté commerciale. L’utilisation du terme « cet aspect » confirme bien que la barrière est une formalité plus qu’une réelle protection. La séparation physique communique un imaginaire sécuritaire et renvoie l’image de défense, sans pour autant remplir totalement sa fonction. De plus, l’argument sécuritaire est maintenant utilisé comme une prestation qui établit une certaine concurrence entre les agences immobilières. La sécurité alimente un système de vente, indispensable à une nouvelle demande des usagers. « Les promoteurs ont recours à une communication massive, une propagande, de pressions disqualifiantes, des contraintes autoritaires, des contrôles de mode de vie via toute une culture consumériste qui s'infiltre dans les manuels scolaires, les séries télé, les publicités »121 Ces discours sécuritaires viennent banaliser122 et démocratiser la sécurisation des milieux habitables. D’un autre point de vue, qualifieraient-ils inconsciemment l’espace public comme dangereux en justifiant une nécessité de se protéger de l’extérieur ? Les promoteurs construisent leur discours autour de l’argumentaire de la peur, des possibles source de danger et de la tranquillité intérieure. Ils mettent ainsi en opposition deux milieux urbains, le privé et le public, et les qualifient de positif et négatif.

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PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.26 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 69 122

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L’influence politique L’orientation actuelle du capitalisme, va progressivement vers une surveillance toujours plus importante de l’espace public par des dispositifs de vidéosurveillance et de contrôle « à l’insu de la personne »123. Cette insertion des dispositifs sécuritaires pourrait avoir une influence sur les citoyens, qui reçoivent l’image de l’espace public comme une éventuelle source de danger, qui a besoin d’être surveillée. Les promoteurs reprennent ce principe de surveillance et l’adaptent au domaine de l’habitat. C’est une transmission d’un processus du public vers le privé. De plus, les pouvoirs publics feraient partie de cette stratégie de fermeture ou du moins ne se positionnent pas contre elle. Les résidences fermées pour classes moyennes, ont connu un grand succès et ne cessent de conquérir les territoires périphériques des villes. Leurs arguments de haut standing et l’intégration des espaces communs exclusifs au sein de la résidence, compenseraient un contexte urbain plus angoissant des sites périphériques. Ainsi, la stratégie d’attirer des résidents de classes moyennes en périurbain, considéré majoritairement comme zone en difficulté, donnerait des avantages aux pouvoirs publics.124 La promotion immobilière est ici utilisée comme un outil par les pouvoirs publics pour développer des zones peu attractives, au détriment du développement des espaces publics pour tous. Cette stratégie libérale donne avantage aux ambitions privées et augmentent les risques de fragmentation sociospatiale. Le discours des urbanistes, géographes qui travaillent sur les résidences fermées et sécurisées en France, revendique l’implication des pouvoirs publics et dénonce leur rôle dans la prolifération du modèle. « Cette évolution traduit une position ambivalente des pouvoirs publics français, La fermeture s’y affirme à la fois comme un outil de rentabilité financière rapide pour les aménageurs privés et de revalorisation territoriale pour les pouvoirs publics, la clôture

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Op. cit BILLARD Gérald et MADORÉ François, p. 9 DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.8 124

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des espaces étant supposée augmenter leur attractivité et faciliter leur gestion. »125 Elizabeth Dorier « Tant que les pouvoirs publics ne cèderont pas aux sirènes de développement urbain ultralibéral et continueront à œuvrer à la satisfaction des besoins du plus grand nombre, le spectre d'une ville fragmentée, où l'espace public, perçu comme menaçant, ne serait plus fréquenté que par ceux qui n'ont pas accès aux enclaves fortifiées et à leurs équipements, sera tenu à distance en France. »126 - François Madoré À l’échelle plus locale, les municipalités sont également responsables car elles décident de l’urbanisation globale des villes ou villages. Une politique libérale à échelle locale, soutient les projets privés (financement, situation…) Nous pourrions également questionner le rôle des autorités dans le domaine sécuritaire. En effet, ce sont les promoteurs qui prétendent répondre à un problème sécuritaire par le biais de dispositifs divers. Si les constructeurs ont pris part à ce marché et en ont fait un argument de vente, cela met en évidence la difficulté des autorités à rassurer les citoyens. Si les habitants ne se sentent pas en sécurité dans les lieux publics ou bien au sein des zones habitables, il se pourrait que la sécurité ne soit pas garantie. « Les statistiques des crimes et délits enregistrés par les forces de police et de gendarmerie laissent apparaître un décuplement du nombre de vols par habitant au cours de la seconde moitié du XXe siècle (de 4,5 pour 1 000 habitants en 1950 à 39,6 en 2000), alors que, dans le même temps, leur taux d'élucidation est passé du tiers (36%) à un peu plus d'un dixième seulement (13%) »127 Enfin, le rôle médiatique est également important. Les journalistes ont pour responsabilité la diffusion des informations au travers des médias. Or, certains urbanistes reprochent de nombreuses critiques et l’affirmation de vérité, sans réelles

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.7 126 MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, <http://geoconfluences.enslyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm> 127 Op. cit. MADORÉ François

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démarches constructives. Les « approches journalistiques, sont souvent construites sur l'exploitation de stéréotypes, viennent nourrir la question de la relation entre fermeture et entre-soi. »128

A3. Un système privé en ville

Un modèle urbain en quête d’autonomie La résidence fermée, issue du modèle des gated community américaine, est un modèle qui dépasse l’idée de la simple copropriété privée, du simple lieu de vie. En effet, la construction autour de lieux communs internes, soulignés par la fermeture sur l’ensemble du périmètre, l’éloigne du modèle basique du lotissement. Ces deux caractéristiques forment un réel « système urbain »129, qui vise l’autonomie mais qui aujourd’hui, s’alimente des services de la ville, comme les commerces, les écoles… et qui fait partie du système administratif de la municipalité. Ce modèle urbain contribue au « mode de production de la ville libérale »130 qui participerait à une idée de fermeture globale131 sur les quartiers résidentiels. Ces derniers souvent de classes moyennes-aisées, s’isolent de leur contexte urbain et favorisent une systématique de catégorisation sociale. En mettant à l’écart la ville, la fermeture met également à l’écart ses habitants. Renaud Le Goix considère les résidences fermées et sécurisées comme des « symptômes des pathologies urbaines, au premier rang desquelles figurent les logiques d’exclusion sociale. »132

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BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 98 129 CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3> 130 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.26 131 CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3> 132 LE GOIX Renaud, « Les gated communities aux États-Unis et en France : une innovation dans le développement périurbain ? » in Hérodote, 2006/3 (no 122), consulté le 25/03/19, pages 107 à 137 <https://www.cairn.info/revue-herodote-2006-3-page-107.htm?contenu=article>

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Cette « ville dans la ville » tend vers un modèle d’auto-gestion qui s’émancipe de son contexte urbain et qui génère des espaces indépendants du circuit public de la ville. Cette mise à distance des lieux publics, des trajets, des flux, de tous éléments constituant la grande cité, pourraient remettre en question toute la « cohérence de l’espace urbain »133, lui-même pensé dans une logique globale et une complexité urbaine. « Aux deux pôles extrêmes de l'échelle sociale, on trouve donc des lieux, plus ou moins vastes, constituant parfois des "quartiers" au sens fort du terme, c'est-à-dire des domaines ou "territoires" ayant une forte identité, perçue de l'intérieur, de réciprocité entre ces perceptions. Cette image de coupures spatiales reflétant des clivages sociaux, leur donnant une puissance symbolique et accentuant leurs effets. »134

Un circuit privé superposé aux réseaux de la ville ? L’écart des richesses est un phénomène mondiale grandissant et se répercute dans l’organisation socio-spatiale de la ville. Le cloisonnement des résidences fermées en milieu urbain, fragmente la ville en « isolats résidentielles »135 et accentue cette dualité entre pauvres et riches. La ville privée cohabite avec la ville publique et crée ainsi deux systèmes parallèles. Le philosophe urbain, Thierry Paquot exprime au travers de ses recherches son inquiétude concernant cette extension de la sphère privée qui viendrait rompre cet équilibre et « endommager » la sphère publique. Il étudie cinq dispositifs architecturaux qui illustrent et encouragent l’enfermement : la gated community, le centre commercial, le grand ensemble, le gratte-ciel et les grands projets.136 Stéphane Degoutin explique l’impact de ces services privés construits en « réseau d’environnement urbain » et qui « partagent les mêmes caractéristiques : fabrication

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DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.5 134 BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, Éd L'Hamarttan, France, 1994, p.30 135 ELGUEZABAL Eleonora, Frontières urbaines, Les mondes sociaux des copropriétés fermées, Éd Pur, Rennes, 2015, p.9 136 PAQUOT Thierry, Désastre urbain, in YouTube, durée 2,5 minutes, 5/02/2015, <https://www.youtube.com/watch?v=eGLLzqxpfB8>

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privée, accès contrôlé, monofonctionnels, dépendant de l'automobile. »137 Ces accumulations de sphères privées produirait une « nouvelle forme d’urbanité »138 en opposition au modèle connu de la ville publique. Ce système urbain construit sur la base du réseau se superpose « au territoire existant sans communiquer avec lui. »139 Par exemple, un résident d’une résidence fermée, coupé du reste de la ville dans son environnement habitable, peut utiliser sa propre voiture, les centres commerciaux et tous autres services privés, sans jamais rentrer en contact avec les domaines publics. Ces lieux permettent de vivre au travers de ce réseau privé sans avoir besoin d’utiliser les services publics. En effet, l’organisation d’un réseau individuel ne participe pas à l’activité locale et temporel qui rythme la vie urbaine, La conséquence sociale de ces réseaux superposés est la création de deux communautés urbaines qui ne pratiquent pas les mêmes lieux et ne rentrent jamais en communication. « Les résidences fermées « annoncent la fin de la civilisation des villes et la transformation de la structure sociale en réseaux non communicants »140 Les urbanistes français se préoccupent de la signification de ces résidences fermées et de leur développement vis-à-vis de l’espace de la ville. Elles sont en train de conquérir le territoire urbain et favorisent l’élargissement de la sphère privée. L’espace public est alors soit abandonné, soit non intégré au programme d’urbanisme, ou bien il est directement intégré aux programmes immobiliers est donc qualifié de privatif.

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DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.25 Op. cit. DEGOUTIN Stéphane, p.25 139 Op. cit. DEGOUTIN Stéphane, p.25 140 Op. cit. DEGOUTIN Stéphane, p.25 138

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Un espace public « réservé » « Jane Jacob remarquait à quel point une ville dense et diverse, tant dans ses activités que dans ses populations, favorisait la cohabitation pacifique des uns et des autres. »141 – Thierry Paquot

B1. La ville, l’expérience de l’altérité

La ville et ses espaces de rencontre « Dans les cultures occidentales, la ville a de tout temps été appréhendée comme l'espace de l'intégration sociale et culturelle. »142 En effet, la ville était autrefois perçue comme un lieu sécurisé, loin de la violence humaine et de la nature sauvage. La ville était délimitée par une enceinte physique et créée à l’intérieur des remparts, des lieux propices à la rencontre et à l’échange. Les habitants vivaient à l’extérieur de leur habitat et participaient à la vie urbaine de la ville. « Des individus de divers horizons pouvaient entrer en contact, faire connaissance, apprendre les uns des autres et échanger éventuellement entre eux les meilleures parts de leurs connaissances et de leur culture, dans un processus d'hybridation continuent qui n'a cessé d'engendrer de nouvelles identités, de nouveaux acteurs et de nouvelles idées. »143 Par la suite, la ville s’est déployée vers les campagnes environnantes et les villages voisins, en gardant ces caractéristiques autour d’un espace public partagé, dans son centre. Les nouvelles zones périphériques, n’ont pas été dessinées par le même système

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Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.16 142 SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014, p.17 143 Op. cit. SECCHI Bernado, p.17

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de la ville, mais appartiennent à un de modèle superposition et d’accumulation de constructions, de mélange d’activités et d’absence d’espace commun. « Quant aux espaces extérieurs des villes étalées, ils sont inaptes à toute activité humaine ; on s'y sent déplacé, vulnérable. Ils ne sont pas et n'ont jamais été des espaces publics. »144 La ville est aujourd’hui perçue comme un agrégat de pièces détachées « impossible à emboîter, à unifier, y compris dans leur diversité. »145 Elle est presque devenue l’opposée de sa volonté d’origine, où le danger est maintenant éprouvé depuis l’intérieur. Elle tend vers un modèle de « séparation, de marginalisation et d'exclusion de groupes ethniques et religieux, d'activités et de professions, d'individus et de groupes dotés d'identités et de statuts différents, de riches et de pauvres. »146 L’urbanisme, qui correspond à l « ‘ensemble des sciences, des techniques et des arts relatifs à l’organisation et à l’aménagement des espaces urbains, en vue d’assurer le bien-être de l’homme et d’améliorer des rapports sociaux en préservant l’environnement, »147 est dorénavant dirigé par une « spécialisation fonctionnelle des espaces. »148 Ce type d’urbanisme donne priorité à la fonction et l’usage individuel qui va à l’encontre du lien social.

Le quartier comme lieu d’échange L’espace public associe à la fois l’idée d’un espace ouvert à tous, une respiration dans la ville, qui offre aux habitants un lieu neutre et commun. Il est également politique, « tel que le font vivre la mémoire collective, le sens commun, le débat public... »149 Jane Jacobs était une philosophe canado-américaine, de l’urbanisme de l’architecture et

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DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.313 145 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.133 146 SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014, p.17 147 Définition CNRTL 148 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.11 149 ZEPT Marcus, Concerter, gouverner et concevoir les espaces publics urbains, Éd Pur, Italie, 2004, p.3

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militante des droits de l’homme. Elle explique au travers de ses écrits, l’importance du quartier, du rôle de chaque acteur qui constitue « les yeux de la rue ». Les commerçants, les rêveurs, les passants…assuraient indirectement la sécurité des lieux car tout était visible et les actions se déroulaient dans les lieux publics. « Aujourd’hui, la norme dissuadant de se mêler des affaires des autres et la disparition de la synergie tutélaire du quartier favorisent le recours à des dispositifs techniques ou à du personnel spécialisé pour contrôler les comportements. »150 Une transformation de l’espace extérieur est donc en marche, les pratiques et les usagers disparaissent, laissant l’intégralité des lieux au commerce de masse, au tourisme et aux espaces purement fonctionnels. « L'espace extérieur de la ville n'est plus le théâtre de la vie collective, l'endroit où "ça" se passe, il n'y a plus de "ça". La rue est devenue un résidu, un dispositif utilitaire" – Rem Koolhaas 1995 »151 Le regard est important, comme élément de présence. Il est symbole du premier échange entre des individus et il amène vers la rencontre de l’autre, de l’inconnu. « La ville à la carte et le territoire en réseaux des périurbains empêchent un véritable usage de ce qui fait la force de l’urbanité : la rencontre avec l’inattendu. »152 Le système actuel d’extension des villes, désintègre cet objectif social et par conséquent la relation entre voisins et individus. Cette émancipation du lien social de la ville est favorisée par les enclaves résidentielles, où les habitants trouvent plus de bonheur à vivre dans une certaine indépendance. Nous assistons ainsi à la suppression progressive de deux piliers de la ville : « le libre accès et de la gratuité des espaces publics »153 « Il va de soi que l'on ne perd pas sa capacité à s'ouvrir à autrui en intégrant une enclave résidentielle sécurisée. Ce sont toutes les conséquences, tant individuelles que

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Demain la ville, « L’architecture de crise #4 : un monde de murs », 3/02/2016, consulté le17/12/2018, <https://www.demainlaville.com/larchitecture-de-crise-4-un-monde-de-murs/> 151 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.310 152 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.11 153 Avant-propos de PAQUOT Thierry dans DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.17

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sociales, d'un tel dispositif qui entraînent progressivement l'auto-fermeture, et non pas le retrait. »154

B2. Les relations de voisinage

Cohabiter « Habiter, c'est être au monde et dans le monde, c'est-à-dire être soi pour soi-même, pour les autres et avec les autres. »155 est la définition que donne le sociologue Bernard Haumont pour reprendre les bases de la collectivité humaine. Vivre ensemble, est le fondement de nos sociétés, qui nous amène à la proximité spatiale et sociale. Le voisinage est une forme de relationnel-résidentiel156 où l’on retrouve une « volonté partagée de dialectiser les rapports que les individus ou des groupes entretiennent avec leurs voisins au travers de côtoiements ou d'évitements quotidiens, ainsi qu'en jouant avec des normes, des règles et des institutions. »157 Les relations de voisinage exposent les habitants à des situations qui frôlent le paradoxe, entre intimité et étrangeté. Ces deux éléments mettent en évidence une dualité. Des normes sociales posent une certaine limite entre voisins tout en développant une politesse unique, dans les comportements, dans les salutations, dans les mots ou bien les services. Ces règles de vie développent une certaine « solidarité de voisinage, »158 un sentiment familier, pouvant aller jusqu’à la création de lien d’amitié. Par ailleurs, le voisinage crée une certaine forme d’hostilité159 car nous ne connaissons pas vraiment nos voisins. Le degré relationnel influe sur nos perceptions, nos relations et nos actions. Comment fonctionne ces relations ? et que génère le voisinage en ville et dans un ensemble résidentiel ?

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PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.144 HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.15 156 Op. cit. HAUMONT Bernard, p.17 157 Op. cit. HAUMONT Bernard, p.17 158 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p.9 159 Op. cit. BILLARD Gérald, p2 155

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« Cohabiter, c’est sans cesse co-produire et négocier des temps et des lieux, où simultanément nous pouvons (devons ?) affirmer notre identité, sa pratique et sa représentation et les façons dont nous négocions celles-ci avec d’autres, voisins de rencontre, temporaires ou plus pérennes. »160

Une diversité sociale Les voisins c’est à la fois une recherche de sécurité, une possibilité de lien social ou de convivialité, car il est possible de partager plus qu’une voie publique. Une enquête a été menée par Claire Lévy-Vroeland, sociologue de l’habitat en ville et Jean-Pierre Frey, architecte, pour comprendre la résultante de « la proximité physique entre des personnes qui n'ont pas choisi d'être ensemble, qui n'appartiennent pas au même monde, qui ne sont pas obligées de se fréquenter mais qui sont interdépendantes. »161 Les résultats prouvent qu’en majorité les habitants interagissent entre eux, dans un degré d’affinité. Par exemple, 66% des habitants parlent au moins une fois à leur voisin par semaine, 43% rendent des services, 41% ont pénétrés dans la maison de leur voisin et enfin 50% sont amis avec un ou plusieurs voisins.162 Le collectif se structure donc au travers des relations entre voisins, sans besoin réel d’appartenir à une même catégorie sociale. L’hétérogénéité crée ses relations aléatoires et entretient la diversité sociale en ville. En revanche, la fermeture et l’exclusivité pourrait affecter ses relations et transformer le principe du voisinage. Dans des lieux de contrôle social, identitaire et physique, le voisinage existe toujours mais n’encourage en rien ce mélange social qui caractérise la ville.

160

HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.19 161 Op. cit. HAUMONT Bernard, p.4

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B3. L’entre-soi, un modèle ségrégatif et une volonté collective ?

La ségrégation sociale en ville et le modèle de la résidence fermée La ségrégation « est identifiée avec la mise à l'écart ; elle exprime, dans ces formes spatiales plus ou moins rigides, une discrimination plus générale, plus profonde, à la fois rigoureuse et parfois institutionalisée »163. Elle peut être également considérée comme « la simple inégalité dans la répartition ou les conduites des groupes, qui aboutit à une qualification plus ou moins lisible dans le paysage urbain : quartier populaire ou quartier bourgeois. »164 Ces séparations socio-spatiales sont à l’origine d’actions qui opposent, répulsent, éloignent mais sur des modèles attractifs et d’affinité.165 La ségrégation porte souvent une valeur connotée négative car elle distingue et catégorisent les populations. Par ailleurs, les personnes qui désirent habiter dans des enclaves sont à la recherche d’une forme de collectif. En effet, il ne produise pas un isolement seul mais à plusieurs individus. Cette forme de vie collective se place en opposition aux valeurs de la ville et de la vie communautaire. C’est pourquoi, cette forme de « collectif sélectif », pour une population ciblée, suivant des caractéristiques économiques, socio-culturelles et identitaires, est considérée par les sociologues et les urbanistes comme une forme de discrimination. L’entre-soi produit dans les résidences fermées et sécurisées crée des « lieux de marginalisation sociale. »166 Elle donne le sentiment d’appartenance communautaire par intérêt. « Dans la lignée de la vieille opposition entre communauté et société, la recherche de l'entre-soi est communément considérée comme un premier pas vers un rejet de toute forme de solidarité avec les autres membres de la société et notamment avec ceux qui sont dans le besoin. »167

163

BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, Éd L'Hamarttan, France, 1994, p.14 Op. cit. BRUN Jacques, p.14 165 Op. cit. BRUN Jacques, p.14 166 Op. cit. BRUN Jacques, p.28 167 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.16 164

131


Les dispositifs de fermeture qui délimitent physiquement la résidence fermée du reste de la ville, marquent les habitants de la ville car ils « manifestent de manière particulièrement choquante la tension du lien social et le creusement des inégalités »168 « On doit comprendre le développement des gated communities non pas comme l’affirmation d’un repli communautaire, mais exactement comme le contraire, c’est-à-dire comme la conséquence de l’affaiblissement des liens communautaires locaux, ce que Philippe Robert appelle l’érosion de la « socialité vicinale. »169

La notion de mixité Thierry Paquot exprime son sentiment sur le devenir de la ville et des valeurs importantes à conserver afin de préserver une forme de vivre-ensemble. « La ville idéale n'existe pas… mais il faut selon moi tendre autant que possible vers un territoire composite, accessible gratuitement à une population variée, où chacun peut évoluer à son rythme, selon ses attentes. »170 La mixité fait partie des valeurs de la ville. Elle est « source d’inspiration, d’idées nouvelles, de remise en cause des a priori… »171 Ce mélange des diversités permet également l’égalité des chances, par les rencontres, le voisinage, et tous les modèles qui évitent les cloisonnements. Un mélange social imposé par une configuration urbaine non adaptée, comme nous l’avons vu dans le cas des résidences fermées à Marseille, n’est pas un rapport de mixité qui favorise l’échange. L’individualisation des liens sociaux ainsi que la conception des périphéries, mettent en péril le modèle de la ville sociale.

168

CHARMES Éric dans HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.109 169 CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3> 170 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.27 171 CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3>

132


B4. Le nouveau motif de la tranquillité et l’argument sécuritaire

La tranquillité, un nouveau besoin « La spécialisation sociale de l’espace n’est pas un phénomène nouveau »172 affirme Éric Charmes, chercheur en sciences sociales appliquées à l’urbain. En effet, le séparatisme des villes existe au travers de plusieurs modèles habitables. Par exemple, l’opération d’urbanisme, appelé la résidentialisation dans les années 90, a pour but d’augmenter la qualité de vie par des systèmes privés. Le grand produit également une forme urbaine, qui participe à la spécialisation sociale par ses typologies architecturales et sa situation géographique. Les changements, qui distinguent la résidence fermée des autres modèles habitables, se trouvent dans « les formes et les échelles de la différenciation socio-spatiale. »173 La quête de la tranquillité en ville est une préoccupation de certains habitants. Le but est de s’éloigner des « d'incivilités, c'està-dire des troubles de la vie quotidienne »174, les désagréments qui viendraient perturber le calme d’une rue, d’un jardin, d’une place…Bien évidemment le motif sécuritaire fait également partie des motifs en pleine croissance qui participe à l’élévation de ce modèle résidentiel. Il s’agit donc de s’isoler des zones de circulation, de la voiture mais également des piétons et promeneurs. Cet imaginaire de vivre sans perturbations ou sans violence est alimenté par ces enclaves résidentielles. « Les habitants parlent d'avoir trouvé, voire retrouvé le paradis. Il existe tout un discours sur le rêve, sur le lieu de vie idéalisé, source d'un immense plaisir. »175 La tranquillité, c’est également convenir d’une certaine harmonisation d’un point de vue des habitants, L’homogénéité du statut social et de l’âge favoriserait l’ambiance générale à l’intérieur de la résidence176. C’est une action double, qui repousse les contraintes et rassemble

172

CHARMES Éric dans HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.17 173 Op. cit. CHARMES Éric, p.17 174 Demain la ville, « L’architecture de crise #4 : un monde de murs », 3/02/2016, consulté le17/12/2018, <https://www.demainlaville.com/larchitecture-de-crise-4-un-monde-de-murs/> 175 BILLARD Gérard, Quartiers Sécurisés, un nouveau défi pour la ville ? Éd Les Carnets de l'info, Paris, 2011, p.145 176 Op. cit, BILLARD Gérard,bp.149

133


suivant des critères socio-économiques. La sécurité serait donc assurée par la cohabitation entre « gens bien »177

La sécurité en ville et chez soi « Cette prise de conscience, d’une relation entre l’environnement urbain et la sécurité est à l’origine de la théorie du defensible space, développée dès 1972 par Oscar Newman. »178 (premièrement par Jane Jacobs en 1961 par un travail d’orientation des intérieurs vers la rue pour augmenter la surveillance collective). Le principe est d’homogénéiser socialement l’intérieur des bâtiments pour repérer plus facilement l’intrusion et l’étranger. L’environnement est aujourd’hui quasiment impossible à contrôler et peut susciter de la peur. « Le caractère de ce qui effraye se modifiant, la rhétorique de la sécurité et, surtout, les dispositifs aptes à affronter la peur se modifient : mais « les éléments de cette série... ne succèdent pas...les uns aux autres, et ceux qui apparaissent ne font pas disparaître ceux qui les précèdent » - Michel Foucault »179

B5. Un nouvel espace intermédiaire

Les résidences fermées et sécurisées sont aujourd’hui appelées « quartiers dortoirs, »180 car la vie urbaine se trouve au-delà des barrières et les habitants se cloisonnent derrières leurs murs. La proximité spatiale ne met plus en relation les habitants mais seulement leur rapprochement social.

177

Op. cit. BILLARD Gérard, p.149 LE GOIX Renaud, « Les gated communities aux États-Unis et en France : une innovation dans le développement périurbain ? » in Hérodote, 2006/3 (no 122), consulté le 25/03/19, pages 107 à 137 <https://www.cairn.info/revue-herodote-2006-3-page-107.htm?contenu=article> 179 SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014, p.34 et FOUCAULT Michel, Sécurité, territoire, population, cours au collège de France, Éd Gallimard, Paris, 2004 180 Demain la ville, « L’architecture de crise #4 : un monde de murs », 3/02/2016, consulté le17/12/2018, <https://www.demainlaville.com/larchitecture-de-crise-4-un-monde-de-murs/> 178

134


La fermeture, comprenant des espaces collectifs et des voiries, tend à la qualification d’un nouvel espace. En effet, ce lieu est perçu comme « un espace tampon, intermédiaire entre le domicile et l’espace public, permettant de neutraliser toutes les situations « d’imprévu », de côtoiement non désiré propres à la rue. »181 Il est à la fois l’extension du jardin, de la cour ainsi que la réduction de l’espace public pour une population ciblée. Il est caractérisé comme « espace collectif privatif »182 qui se rapproche d’un modèle plus intimiste « par une double familiarité : avec le lieu et avec ceux que l'on peut se donner l'occasion de côtoyer et de fréquenter par des relations choisies. »183 Extrait d’une publicité de 1980 parue dans une revue promotionnelle pour la réalisation « Les Allées Parisiennes » par le promoteur Copra à Voisins-le-Bretonneux : L’idée de base du projet est de reconstituer un village, avec ses allées, ses placettes, son mail pour la promenade. Est-ce la couleur des crépis — modulation du beige rosé, à l’ocre et au gris chaud — est-ce la variété des façades, des toits de tuiles à plusieurs pentes, la disposition des ouvertures ? Le village dans son ensemble a un air méditerranéen sous le ciel de l’Ile-de France. Les enfants font du vélo dans les allées et sur les placettes autour de chez eux, les chats se promènent nonchalamment dans les chemins piétonniers qui relient les allées entre-elles. Les murets qui entourent les jardinets d’entrée ne bouchent pas la vue et laissent apparent le porche d’accueil en briques roses, qui plus qu’un auvent, fait un véritable abri les jours de pluie. L’ensemble du projet immobilier comporte 122 maisons, mais grâce au désalignement, au regroupement en petits “villages” de 8 à 12 maisons au sein du grand village, on échappe à toute impression de monotonie184

181

DORIER Élisabeth et DARIO Julien, « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in Hal-archives ouvertes, 22/12/2016, Paris, p.11, < https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01417666/document>, p.5 181 BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, Éd L'Hamarttan, France, 1994, p.5 182 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 30 183 Op. cit. BILLARD Gérald, p. 82 184 LE GOIX Renaud et CALLEN Delphine, « Fermetures et ”entre soi” dans les enclaves résidentielles, in La métropole parisienne ; centralités, inégalités, proximités », in Hal-archives ouvertes, 26/10/2007 <Https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00110100/document>

135


L’analyse des résidences fermées et sécurisées par les sociologues et urbanistes montrent que ce modèle habitable tend vers l’émancipation des valeurs de la ville. En effet, au-delà de la fermeture physique et du mouvement réfractaire, l’isolement se répercute sur l’essence même de la relation entre individus. Les relations entre voisins ainsi que celles au sein d’un espace public, sont affectées dans le contexte de la fermeture.

CONCLUSION La ville occidentale s’est construite sur un équilibre entre espace privé et espace public. Ce rapport de force tend à être modifié avec la haute croissance du secteur privé et notamment des sociétés immobilières qui diffusent le modèle des résidences fermées. Le domaine politique participe également au développement de ce modèle à l’échelle territorial et municipale. Les pouvoirs publics autorisent, voire encouragent l’habitat sécurisé. Cela remet en cause l’implication des autorités pour les problèmes sécuritaires de la ville. Notre regard sur l’espace public est en train de changer en l’identifiant indirectement comme un espace dangereux. L’impact de la fermeture se répercute également sur le système social de la ville. Les relations de voisinage sont établies sur un rapport entre proximité et mise à distance. Bien souvent, la relation peut tendre vers des notions amicales ou familiales, indépendamment du contexte social et culturel. La résidence fermée favorise la sectorisation sociale en ville et condamne ces relations urbaines.

136


137


138


CONCLUSION

« Un mur est un mur, mais son sens, son usage et son rôle divergent lorsqu'il sert à se protéger des intempéries ou du bruit, à délimiter un jardin, à isoler des pestiférés du reste de la ville, à enceindre un ghetto ou un Gated Community, à séparer deux régimes politiques. »185 Le mur représente la première construction de l’homme et son premier besoin de se défendre contre une nature hostile, un potentiel étranger, perçus comme une source de danger. Il a été décliné dans tous les domaines, à toutes les échelles, utilisant bons nombres de matériaux. Il est la base de toute construction, permettant de nous isoler de l’extérieur, de créer un dedans et un dehors et également d’apporter une certaine intimité par une rupture visuelle. Le mur est le fondement architectural de la ville, se dressant à la verticale pour composer un rythme de pleins et de vides. Il est aujourd’hui sorti de ces façades pour délimiter un intérieur d’un extérieur, beaucoup plus étendu. À l’échelle de la ville, il sépare des zones habitables d’un contexte urbain. Le mur affirme les limites de la copropriété et dresse à première vue, une réelle barrière physique entre deux environnements. La résidence fermée et sécurisée en France, est considérée comme un modèle architectural qui façonne nos villes et qui s’étend sur les périphéries. Marseille, Toulouse, Dijon, Paris, Lyon… Toutes les grandes villes accueillent se modèle issu de la gated community américaine. Cette manière de concevoir l’habitat collectivement, est novateur, par « les formes et les échelles de la différenciation socio-spatiale. »186 En effet, le modèle d’origine de la gated community est considéré comme un « domaine d’exception », prévu pour classe aisée. Le promoteur Monné-Delacroix le retravaille durant la crise financière de 1990 pour l’adapter aux classes moyennes. Le phénomène

185

SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014, p.36 186 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005, p.17

139


de fermeture atteint également les copropriétés ouvertes à la ville, qui décident de s’isoler totalement du tissu urbain environnant par la construction de murs. Ces résidences fermées, dites a posteriori, sont très nombreuses dans la ville de Marseille. La résidence fermée et sécurisée est un système habitable en copropriété qui propose des espaces collectifs, réservés aux habitants. Les dispositifs de surveillance placés aux multiples entrées, assurent l’exclusivité des lieux. Le motif sécuritaire fait également partie d’un nouveau statut qui encourage le développement de ce modèle. En effet, les promoteurs orientent leur discours sur la notion de sécurité comme une amélioration de la qualité de vie. Ils en font leur premier argument publicitaire, tout en admettant que la barrière reste un objet symbolique. La résidence fermée, pensée comme une enclave dans la ville, est une entité indépendante mais qui à la fois, fait partie d’un système urbain. Le mur est alors considéré comme la retranscription d’une idéologie et d’un mode de vie. Il est important de questionner ce type d’habitat par rapport à son environnement. Quelles sont les conséquences de la fermeture d’une zone habitable sur l’organisation en réseau de la ville ? Ce modèle est-il considéré comme une interférence au contexte extérieur ? Au-delà de l’aspect fonctionnel, l’impact de la fermeture peut également modifier l’équilibre social ou bien participer à l’augmentation des contrastes socio-spatiaux de la ville. La ville est une entité pensée dans un équilibre entre privé et public. Elle offre à ses habitants des espaces ouverts à l’échange, à la rencontre. La résidence fermée et sécurisée est un modèle habitable qui tend à adapter ce même schéma pour une population ciblée, à plus petite échelle. Reproduire le modèle communautaire pour une minorité dans un lieu sous surveillance et non accessible au public, favorise la discontinuité socio-spatiale. Le mur qui entoure la résidence « tend désormais à faire considérer à ceux de l'extérieur qu'une limite sociétale infranchissable existe en même temps qu'elle oblige ceux de l'intérieur à se sentir nécessairement plus solidaires. »187

187

BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 82

140


Ces « stratégies résidentielles d'auto enfermement »188 font partie d’une méthode de construction indépendante, basée sur le fractionnement, l’interdiction et la séparation. « La ville unitaire, organique, solidaire, a désormais succédé un ensemble aléatoire de formes socio-spatiales éclatées, marquées par des processus de territorialisation forte, non seulement coupées les unes des autres, mais campées dans une sorte de retranchement social et politique »189 Ces discontinuités spatiales influent notamment sur la fluidité des mobilités douces, sur l’accessibilité et sur la libre circulation. Les enclaves se présentent comme des obstacles aux réseaux mis en place. Cette barrière qui divise les communautés participent également à la discontinuité sociale de la ville. Les murs cloisonnent les zones habitables et interdisent le libre-échange entre les populations. L’homogénéité sociale au sein de la résidence crée un fort contraste avec le contexte social extérieur, souvent difficile en zone périphérique. Ces résidences résolvent-elles le réel problème sécuritaire de nos villes ? Le repli est-il la solution à l’insécurité ? Ou est-il possible de trouver d’autres moyens pour créer les conditions d’un mieux vivre-ensemble ? Ce modèle habitable peut-il être l’avenir de nos villes ? Comment peut-on vivre avec des discontinuités urbaines ? La ville serait-elle résumée à son aspect fonctionnel ou l’objectif étant seulement le déplacement « pratique » d’un point A à un point B ? La résidence fermée « répand à l'échelle planétaire des modèles qui uniformisent l’architecture, homogénéisent les manières de penser et de faire les milieux habités et nient toute réflexion critique. Or, nous avons besoin d'expérimentations nouvelles pour rompre avec ces modèles du "toujours plus", devenus profondément antagoniques à ceux du "toujours mieux". »190 La ville a un « rôle civilisateur »191 qui éduque quotidiennement notre regard sur l’autre, sur notre manière de vivre en communauté et sur nos relations. Le mur transforme le paysage urbain, ajoute des barrières visuelles, 188

BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010, p. 66 189 MADORÉ François, « La France : des territoires en mutation, Nouveaux territoires de l'habiter en France : les enclaves résidentielles fermées », in Geoconfluence, 15/05/2006, consulté le 24/03/19, <http://geoconfluences.enslyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient.htm> 190 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015, p.26 191 HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004, p.119

141


symboliques et sociales. La formation d’un territoire entièrement privé peut être un danger pour la vie urbaine. La sectorisation amène progressivement à un modèle d’intolérance et s’oppose à la mixité sociale. Vivre derrière des murs « favoriserait un rapport de crainte et de malaise avec ce monde extérieur. En d’autres termes, regarder le monde derrière des barrières ne serait pas neutre. »192 Les enfants qui naissent et grandissent au sein des résidences fermées et sécurisées apprennent la vie en société dans un système cloisonné, dans une rupture urbaine, alimentée par des images de séparation physique. Ces modèles pourraient avoir une influence sur le développement personnel de l’enfant et également sur ces relations. « Des enquêtes anthropologiques suggèrent ainsi que les enfants qui vivent dans les ensembles résidentiels sécurisés nord-américains (les gated communities) ont tendance à avoir des réactions de défiance plus marquées à l’égard des pauvres et, plus généralement, de tous ceux qui ne sont pas comme eux. »193 Les barrières pourraient alors modifier notre rapport à l’autre et encourager la ségrégation sociale. Quelle vision du monde offre ces espaces cloisonnés aux futures générations ? Sommes-nous en train de modifier les valeurs de la ville ? Les modes de vie vont-ils se modifier au cours des prochaines années avec le développement de ce modèle ?

192

CHARMES Éric, « Les Gated Communities : des ghettos de riches ? » in La vie des idées, 29/03/2011, consulté le 17/12/2018, <https://laviedesidees.fr/Les-Gated-Communities-desghettos.html#nb3> 193 CHARMES Éric, « Pour une approche critique de la mixité sociale, Redistribuer les populations ou les ressources ? », in La vie des idées, 10/03/2009, consulté le 17/12/2018 <https://laviedesidees.fr/Pourune-approche-critique-de-la-mixite-sociale.html>

142


« Par les mobilités et les nouvelles technologies de l'information et de la communication qui déterritorialisent chacun et la nouvelle géographie existentielle de citadins "nomadisés" aux frontières "flottantes" et changeantes, il est impératif d'œuvrer à une urbanité partagée et non pas sélective, à une accessibilité de tous à tous les territoires et à une conscience aiguë des répercussions environnementales de nos manières de vivre »194 Thierry Paquot

194

Préface de PAQUOT Thierry dans le livre DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006, p.18

143


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION …………………………………………………………..p.1 MÉTHODOLOGIE ………………………………………………………....p.8

I.

UN PHÉNOMÈNE DE FERMETURE …………………………………p.11 A. Le mur, un mécanisme de défense ……………………………....p.12

A1. L’histoire et l’origine du mur A2. Les murs d’aujourd’hui Les murs frontières Les murs à l’échelle de l’habitat B.

Les Gated Communities, au-delà du concept architectural ….p.18

B1. Définition des urbanistes Le mur comme limite physique Une enclave, la création d’un dedans et d’un dehors Émancipation urbaine Un besoin d’appartenance collective Un isolement politique B2. L’origine d’un modèle d’habitat Histoire et évolution mondiale Un modèle Américain C. L’état des lieux en France ……………………………………....p.26

C1. Le recensement de François Madoré Le « domaine d’exception » L’adaptation Toulousaine, pour classe sociale moyenne C2. Un modèle de vie sollicité

144


D. Cas d’étude ……………………………………………………...p.32

D1. Les études menées en France Toulouse au centre du phénomène Les chercheurs François Madoré et Julien Dario D2. Les caractéristiques des cas d’étude

II.

UNE TENDANCE ACTUELLE ………………………………………..p.39 A. Le phénomène Marseillais …………………………………………...p.40

Un recensement surprenant Une gouvernance urbaine B. La résidence Coin Joli ……………………………………………….p.46 B1. Un quartier pavillonnaire en arrière du Vélodrome Les Infrastructures Une décision assumée B2. Les mécanismes de fermeture Son origine Les dispositifs d’entrée B3. Un dialogue avec l’habitat environnant Les typologies architecturales, la résidence de la Cravache Les typologies architecturales, la résidence de la Sévigné Confrontation typologique B4. L’impact de la fermeture Les conditions de la fermeture Les changements urbains constatés La qualification d’un nouvel espace intra-muros B5. Le mur, retranscription ou conséquence d’une séparation sociale Une différence sociale affirmée Un collectif sélectif B6. Une expansion urbaine à l’échelle d’un quartier 145


B7. Description narrative

C. La résidence Les Castors du Merlan ……………………………...p.76

C1. L’organisation en périphérie Une construction autonome en pleine campagne Un fractionnement infrastructurel Une forte mixité C2. Les Castors du Merlan Situation urbaine La résidence C3. Une mise en scène de la fermeture Une fermeture d’initiative interne Les dispositifs de fermeture C4. Une réaction à un environnement extérieur Les typologies alentour Une réaction C5. Les conséquences urbaines de la fermeture Un espace public réservé Une initiative communautaire devenu repli La libre circulation et les transports en commun C6. Description narrative D. Des résultantes communes ? ………………………………………p.108

Impact sur la mobilité et la libre circulation L’accessibilité aux espaces publics

III.

LE MUR, UN IMPACT SOCIÉTAL DANS NOS VILLES …………p.115 A. La résidence, un désir d’exclusivité ………………………….p.116

A1. Entre copropriété et « privatisation » de l’espace public La propriété privée, un droit 146


Privatisation de l’espace public ? A2. Une gouvernance urbaine à l’échelle nationale et communale Un discours promotionnel des promoteurs immobiliers L’influence politique A3. Un système privé en ville Un modèle urbain en quête d’autonomie Un circuit privé superposé aux réseaux de la ville ? B.

Un espace public « réservé » ………………………………....p.126

B1. La ville, l’expérience à l’altérité La ville et ses espaces de rencontre Le quartier comme lieu d’échange B2. Les relations de voisinage Cohabiter Une diversité sociale B3. L’entre-soi, un modèle ségrégatif et volonté collective ? La ségrégation sociale en ville et le modèle de la résidence fermée La notion de mixité B4. Le nouveau motif de la tranquillité et l’argument sécuritaire La tranquillité, un nouveau besoin La sécurité en ville et chez soi B5. Un nouvel espace intermédiaire

CONCLUSION ……………………………………………………….....p.139 TABLE DES MATIÈRES …………………………………………………p.144 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………...p.149 ANNEXES ……………………………………………………………….p.155

147


148


BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES

BILLARD Gérard, Quartiers Sécurisés, un nouveau défi pour la ville ? Éd Les Carnets de l'info, Paris, 2011 BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques et MADORÉ François, Ville fermée ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Éd Pur, Rennes, 2010 BRUN Jacques et RHEIN Catherine, La ségrégation dans la ville, Éd L'Hamarttan, France, 1994 CHARMES Éric, La vie périurbaine fac à la menace des Gated Communities, Éd l'Harmattan, France, 2005 DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, Éd De la Villette, Paris, 2006 ELGUEZABAL Eleonora, Frontières urbaines, Les mondes sociaux des copropriétés fermées, Éd Pur, Rennes, 2015. HAUMONT Bernard et MOREL Alain, La société des voisins, Partager un habitat collectif, Éd Chirat, France, 2004 PAQUOT Thierry, Désastres urbains, les villes aussi meurent, Éd La Découverte, Paris, 2015 QUÉTEL Claude, Murs, Histoire des murs, France, Éd. PERRIN, 2014 SECCHI Bernado, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éd MétissPresses, Italie, 2014 SERFATY-GARZON Perla, Chez soi les territoires de l’intime, Éd Armand Colin, Paris, 2003 149


ZEPT Marcus, Concerter, gouverner et concevoir les espaces publics urbains, Éd Pur, Italie, 2004

WEBBIBLIOGRAPHIE

ARTICLE PUBLIÉ SUR INTERNET

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150


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ANNEXES

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Annexe 1

Données de l’enquête de François Madoré, de 2002, concernant le recensement des résidences fermées et sécurisées en France par l’étude des annonces de promoteurs

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Annexe 2.1

Cartographie, d’après l’étude de Julien Dario et Élisabeth Dorier, concernant le recensement des résidences fermées et sécurisées à Marseille ainsi que l’impact sur les voiries

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Annexe 2.2

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Annexe 3

Grille d’observation afin de préparer les visites d’étude de cas

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Annexe 4.1

Série d’article des résidences fermées à Marseille.

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Annexe 4.2

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Annexe 4.3

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Annexe 5

Séance sur les résidences fermées par Élisabeth Dorier

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Annexe 6

Extrait d’une publication de Julien Dario et Élisabeth Dorier intitulé « La diffusion des ensembles résidentiels fermés à Marseille. Les urbanités d’une ville fragmentée » 2006 – Discours tenu par la municipalité sur les intentions de la ville lors de la visite du premier Ministre M.Fillon

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Annexe 7 Photographie google en 2009 et en 2018 du même point de vue d’une rue transversale de Coin Joli. L’impact de la fermeture sur la mobilité

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Annexe 8

Extrait d’un article du journaliste Hacène Belmessous concernant la résidence Belles Fontaines à Toulouse. Analyse des propos journalistique

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