Bachelor Thesis - Reusing process of construction materials - Manon Darde

Page 1

Manon Darde Bachelor Thesis



Humans have practiced reusing since their first constructions in an economic interest. However, today with the industrialization of materials production this practice is back again thanks to a paradigm shift about the concept of waste and her management. Reuse seems to be a possible answer to the problematic of waste reduction. It is therefore necessary, more specifically here, that I will focus on these materials, about what varieties and other potentialities they represent in comparison with “classical” materials, in addition to their ecological benefits? Can we believe in a deep transformation of the architectural design process to give more emphasis about the selection of materials inside?



REUSING PROCESS OF CONSTRUCTION MATERIALS Towards the transformation of the architectural design process? «The most important thing to study in a society is the waste heap». Marcel Mauss1

I want to interrogate the new aesthetic that these materials can invent to encourage architects

I am fully aware of the difficulty of integrating in the design process, at first sight, this less reliable

to integrate it into their creative process. This

materials, rather than materials at the cutting

comeback of reemployment of building materials

edge of technology. These assembly experiments

have to create desire and therefore spotlight this

covered in this thesis highlight the ability of the

waste of the new millennium. Make public - more

architect and his team to design the project

sensitive to the aesthetic part - want to support this

differently with another process to involve materials

new process. Create enthusiasm. It is through the

already present. It promises to be a solution to

communication of these new aesthetics models

reduce the energy impact and our waste; especially

that it can be reinstated in the same way as new

we need to take steps to prepare for the growing

materials. Today, in our society, the image is a

number of new constructions. What seems now an

powerful gateway, like architecture photography of

experimentation will be in a few years a tradition.

glossy magazines, to communicate with the public.

In all its applications, there is a common point in

Reconsider project’s temporality to insert a reuse

this reuse manifesto, the continuity of our collective

approach still a challenge for contracting owner

memory. The reemployment of building materials

who still favour to pour concrete with a view to the

forges link between the past and the present.

economic viability and deadline compliance. Rotor

Indeed, there is no economic interest to import

or Bellastock actors provide support and teaching

old Chinese temple’s materials in Europe, so the

on reuse materials to boost this circular economy

reuse dynamic is more realistic and workable

by creating reliable fields. Then the design process

at a local scale. Therefore, this is an opportunity

is overwhelmed with new variables: the availability

to build a new circular economy in local area.

and the quality of these materials. Reuse is a first

More than an ecological interest, reuse allow to

step to raise awareness about the reversibility of

enhance traditional skills and culture as well as

our constructions. Thanks to these efforts a real

vernacular aesthetics. In a context of globalization

economy will can be invented. “Screwing and not

and homogenization, we need to take the time of

gluing 2” the materials to allow them to circulate and

rediscover the landscape of locale. We are all at

think a removable architecture remains challenges

the origin “children of our landscape ”.

of tomorrow...

1

1

DURRELL, Lawrence, Le quatuor d’Alexandrie, tome 1, 1997

2

CHOPPIN, Julien, Matière Grise : matériaux, réemploi, architecture, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2014

| 5



LE PROCESSUS DE REEMPLOI DES MATERIAUX Vers la mutation du processus de conception architecturale ? « Ce qu’il y a de plus important à étudier dans une société, ce sont les tas d’ordures » Marcel Mauss1

Pour relancer le processus, il faut le réintégrer dans notre société actuelle en créant une nouvelle économie circulaire. Le déchet, supposé être une non-valeur économique, représente une tare dans

La notion de déchet est récente, avant l’invention des matériaux industrielle, la matière première était bien trop précieuse pour être mise de côté. Depuis la révolution industrielle on croule sous la matière et on perd le contrôle, jeter est alors devenu un geste de facilité. C’est l’urgence écologique qui nous rappelle à notre devoir si l’on ne veut pas se mener vers l’autodestruction. Sans vouloir faire de rappel trop long sur cette urgence et les risques encouru, on peut évoquer qu’en 2050, il y aura plus de déchets que de poissons dans la mer2. Ce ne sont pas les voies présentes dans tous les discours du développement durable que je viendrai traiter ici, mais plutôt l’évolution de notre regard sur la vie de la matière. C’est par l’introduction de l’hygiénisme en ville et des poubelles que l’on signe la fin du métabolisme urbain. Durant le dernier siècle, entrainé par la montée du consumérisme de masse, un objet en fin de vie perd toute valeur à nos yeux, qui recherchent toujours l’éclat du neuf, trompés par les finitions superficielles. Même si le processus de recyclage est en constante amélioration, il nécessite un apport d’énergie encore trop important en comparaison avec l’acte de réutilisation et de réemploi. Il convient alors ici de noter la différence entre réutilisation qui consiste à utiliser à nouveau un objet dans sa fonction initiale, alors que le réemploi lui accorde une fonction nouvelle, à laquelle il n’était pas prédestiné. Qu’en est-il alors de ces matières et déchets dans cette nouvelle ère consciente d’après-pétrole ?

notre société. Le premier producteur de déchet au monde est le secteur de la construction (227,5 MT en France par an3), c’est aussi un secteur qui crée et fabrique d’autant plus que les besoins en habitat et en infrastructure augmentent. Il est donc propice à l’idée de réemploi et réutilisation de matières. Pour inventer cette nouvelle économie il faut des acteurs, aujourd’hui encore peu nombreux, mais on pourrait citer l’agence Rotor ou encore l’association Bellastock. La tâche et le potentiel sont énormes, il faut mettre en place des systèmes et des actions pour faciliter l’intégration du réemploi de matériaux dans le processus de construction classique. Il y a un problème de communication autour du discours du réemploi de matériaux. Il peut être vu de l’extérieur comme un acte radical, voir extrémiste d’une part, faisant l’éloge des revendications d’un monde consumériste, anecdotique pour d’autre, vu comme un prototype unique, non reproductible ou bien un devoir mémoriel. En effet, l’acte de réemploi reste minime face à la construction neuve et sa faible application générique reste anecdotique aux yeux de tous. Aujourd’hui le champ est large, ces architectures sont protéiformes, même si l’intention n’est pas de produire des bâtiments 100% à partir de matériaux réemployés. Pour citer l’exemple du collectif Encore Heureux, le matériau doit-être « mixé » comme on le ferait avec les énergies en ayant en tête l’image d’un cocktail. En effet, les énergies trouvent leurs forces dans une symbiose. On ne peut pas produire de l’électricité qu’à partir des éoliennes car on dépendrait seulement de la force du vent.

1

Cité par Jacques Soustelle, Les Quatre Soleils, 1967

2

Jérémie Pichon, Zéro Déchet un mode vie en transition, 2018

3

Enquête déchets et déblais initié par le ministère de la transition écologique et solidaire, 2014

|  7


Démolition du Kingdom par Loizeaux à Seattle , 2000 8  |

Révélateur


Révélateur

|  9


Le réemploi est pratiqué par l’Homme depuis ses premières constructions dans un intérêt économique. Pourtant, aujourd’hui, avec l’industrialisation de la production de matériaux, cette pratique revient après un changement de paradigme autour de la notion de déchets et de leurs réemplois. Aujourd’hui ce sont deux nouvelles vitesses de conception que l’on identifie. Dans un premier temps, la redécouverte de la pratique dans les années 1960 impulsée par le mouvement hippie aux Etats-Unis, qui s’inscrit dans une logique de revendications d’un monde consumériste. Depuis quelques années on observe une prise de conscience écologique à laquelle nous devons répondre. Le réemploi semble être une des réponses

Déconstruction: démontage sélectif d'installations techniques ou de certains éléments d'une construction, afin de valoriser les déchets et de réduire les mises à la décharge.

Larousse

possibles à la réduction des déchets. C’est donc à ces matériaux que je vais plus précisément m’intéresser ici, quelles diversités et autres potentialités représentent-t-ils face aux matériaux « classiques » outre leur attrait écologique ? Peut-on ainsi croire à la mutation du processus de conception architecturale pour laisser une plus grande place au choix des matériaux ?

Je vais donc m’intéresser à la nouvelle esthétique que ces matériaux peuvent inventer pour donner envie aux architectes de l’intégrer dans leur processus de conception. Dans toute sa diversité, il y a un point commun dans ce manifeste du réemploi, c’est la continuité de notre mémoire collective. Ce matériau tisse un lien entre le passé et le présent. L’efficacité du principe n’étant applicable qu’à une échelle locale, il n’y aurait aucun intérêt économique d’importer les matériaux de la déconstruction d’un temple en Chine par exemple. C’est donc la construction d’un tissu local spécifique qui doit se créer, comme on pourra le voir avec l’agence Rotor en Belgique. Plus qu’un intérêt écologique, c’est donc la valorisation d’un savoir-faire local ainsi que la continuité d’une esthétique territoriale que le matériau de réemploi mettra en valeur.

10  |

Révélateur

Recyclage : si le «cycle» détermine une «période» avec un début et une fin, «recycler» veut dire «créer un nouveau cycle» ; par un traitement particulier, on donne une nouvelle forme à la matière pour conduire à un nouvel usage. Jean-Marc Huygen

Réemploi : employer une nouvelle fois signifie bien que l’on garde la matière et la forme (dont la trace de l’histoire) pour un nouvel usage. Jean-Marc Huygen


Le réemploi, un processus à plusieurs vitesses Le réemploi subit, une pratique historique du réemploi Pendant longtemps le réemploi a été une évi-

matière première. On pourra citer pour exemples

dence, sans le nommer. La notion de déchet est

: le réemploi des marbres de Rome pour alimenter

encore très récente à l’échelle de l’histoire, avant

les fours à chaux, la mosquée de Cordoue pour le

il était alors impossible d’imaginer un objet obso-

réemploi des colonnes tirées de l’ancienne église

lète. Avant l’ère industrielle, la création de maté-

wisigothique, ou encore les grands chantiers de

riaux demandait beaucoup de main d‘œuvre et

démolition d’immeubles à Paris, par le baron Haus-

de temps, par exemple il était donc nécessaire de

mann, sous le Second Empire, qui ont alimenté un

réemployer les vielles pierres, une évidence, un

grand circuit de revente de matériaux.

sens commun. Il était alors question d’économie et de moindre effort, une pratique du réemploi courante devenue marginale durant le dernier siècle. Ces techniques ancestrales de la déconstruction ont été abandonnées au 20ème siècle pour des raisons économiques. En effet, à cette époque pour un propriétaire il était plus rentable d’évacuer les matériaux de la manière la plus efficace afin de

L’histoire n’est donc qu’un palimpseste de strates successives, accumulant les restes d’ici et là mais qui tendent à s’effacer face à la violence des moyens mis en œuvre faisant table rase du passé.

construire plus rapidement sur son terrain. La demande croissante de constructions depuis le XXème siècle a confirmé la nécessité d’augmenter les vitesses de constructions sans prendre en compte les nécessités écologiques. En parallèle, les évolutions technologiques on crée des matériaux plus difficilement réemployables car plus complexes dans leur constitution. En comparaison avec la pierre de taille ou la brique, la poutre en acier ou le mur en béton sont moins modulables. En effet, on peut récupérer, déplacer et retailler une brique mais on peut difficilement resculpter une poutre en acier ou réemployer une paroi en béton sans modifications lourdes. Le réemploi est alors indissociable de la démolition. Tout d’abord un art de la déconstruction qui est devenu avec le temps un acte violent envers la matière. Pourtant, la déconstruction est source de savoirs, dévoilant la mémoire de sa construction. La ruine d’un monument était un bien commun faisant partie des ressources disponibles pour tous. Les matériaux sont alors récupérés pour être réemployés dans d’autres constructions comme

Révélateur

| 11


Une nouvelle ère : du réemploi subi au réemploi voulu

Depuis un siècle, le réemploi des déchets et

Dans son premier Eartship, il assemble des ca-

matériaux sert à construire une forme d’habitat pré-

nettes de bières en forme de brique pour créer des

caire, on a ainsi tous en tête l’image des favelas.

murs ensuite recouverts de plâtre pour garantir leur

Une architecture de survie qui malgré son paysage

étanchéité. Dans d’autres constructions, il assem-

anarchique dévoile des qualités. Ces bricoleurs par

blera des pneus avec de la terre afin d’obtenir des

nécessité ont créé une ville spontanée et redonné

blocs aussi compacts que des briques pour créer

à la matière un cycle de vie. Effectivement, par be-

une masse thermique efficace et garantir ainsi un

soin économique dans les pays en voie de déve-

logement confortable. Il réinjectera ce principe

loppement, le réemploi est la seule possibilité pour

dans la construction d’abris après le tsunami des

construire. Loin de nos modes de construction for-

iles Andaman en 1990.

melle et d’une sensibilité écologique, ils nous rappellent qu’il est possible de construire autrement. Rappelant alors la figure du bricoleur décrit par Claude Levi Strauss : « celui qui œuvre de ses mains […] avec les moyens du bord […] mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées4», mettant en avant son caractère astucieux. Ici, il décrit une pratique ingénieuse du bricoleur, mêlant sa capacité à interroger l’univers. On imagine alors bien les difficultés d’une application du réemploi à l’échelle de la production industrielle actuelle. Ce sont donc les capacités de ces « bricoleurs », ici et là, à tester ces assemblages qui

Depuis, cette initiative s’est diffusée à travers le monde et a entraîné un changement de paradigme autour du réemploi et de la notion de déchet. Impulsé par une prise de conscience écologique de plus en plus urgente, le réemploi se présente donc comme une des solutions à l’économie de matériau neuf. La fin des matériaux fossiles s’annonce, il sera bientôt nécessaire de consommer un baril de pétrole pour aller en chercher un autre. Pour autant, comme avec Michael Reynolds, le réemploi à son paroxysme n’est pas intéressant dans le

nous font avancer dans l’exploration de la matière.

développement d’une économie. Il doit-être regar-

Les premiers à s’intéresser au réemploi sont

nomiser les ressources naturelles. Cette première

les hippies dans les années 1960. La naissance

vitesse de réappropriation du réemploi a permis

de cette contre-culture américaine remet en cause

d’apprendre des matériaux, laissant le temps aux

les conséquences d’un monde consumériste sur

réseaux de se former. Ainsi inventer et engager

notre planète. Un des pionniers de cette utopie est

une nouvelle vitesse dans le processus du réem-

Michael Reynolds, un architecte engagé pour la vie

ploi.

autosuffisante qui se lance dans l’expérimentation d’habitats entièrement construits à partir de matériaux réutilisés ou réemployés5. Ce qu’il nomme Earthship a permis de nombreuses expériences de réemploi à l’échelle 1 concernant la résistance de certains matériaux comme les bouteilles ou les pneus. Tester les différents assemblages possibles afin de profiter de toutes leurs capacités et résistance thermique. 4

LEVI-STRAUSS, La pensée sauvage, 1985, p.31-32

5

HODGE, Garbage Warrior, 2007

12 |

Révélateur

dé comme une solution parmi d’autres pour éco-


Thumb House par Michael Reynolds en 1970, première Eartships en réemploi de canette de bières

Révélateur

| 13


Le matériau de réemploi: une nouvelle contrainte pour un nouvel esthétique Apprendre à valoriser le déchêt Le matériau devient alors chef d’orchestre de

nous rappelle que le réemploi est encore un mot

la conception. C’est une nouvelle manière de pen-

sans définition : « Au-delà de la méconnaissance

ser avec un matériau imposé par le site. Il faut ap-

collective du sujet, c’est un vide juridique important

prendre à valoriser ce déjà-là, parfois en mauvais

qui freine toutes les initiatives économiques en la

état, ébréché, fatigué. De nombreuses contraintes

matière6» Ces imprécisions floutent les frontières

au réemploi de matériaux se dévoilent alors. Dans

d’un vocabulaire pourtant riche entre recyclage,

notre processus actuel de construction, les maté-

réemploi, et réutilisation.

riaux sont normés, calibrés, devant faire preuve d’une fiabilité technique et de durabilité à toute

Pourtant des initiatives naissent pour aider les

épreuve. En effet, le bâtiment doit garantir de ne

architectes à apprendre sur le matériau de réem-

pas nuire à la sécurité des usagers.

ploi. L’agence Belge Rotor a mis en place des fiches explicatives pour identifier les matériaux réem-

Le réemploi des matériaux instaure une nou-

ployables et des critères de qualités. Ils associent

velle réflexion liée à leur état, leur disponibilité

des services aux matériaux permettant de mieux

dans le processus déjà long de conception et de

renseigner sur leur histoire, leurs propriétés, leur

construction d’un projet. Effectivement, des nou-

disponibilité, mais aussi des clauses techniques

velles étapes se rajoutent au processus : l’identi-

pour les matériaux réemployés, comme la brique,

fication des gisements de matériaux, l’analyse de

afin de les intégrer facilement dans le cahier des

l’état de ces derniers par des bureaux d’études

charges. Le marché de la brique de réemploi est

spécialisés (surtout si ils ont été en contact avec

depuis devenu mature et ce matériau est utilisé

des matériaux dangereux), la nécessité de modifi-

à grande échelle grâce à la mise en place d’une

cations (nettoyage, découpe…). Le temps néces-

filière avec des techniques de nettoyage efficaces

saire à ces différentes phases est à juger au cas

et une logistique adaptée.

par cas pour chaque projet. Pour exemple le Bâtiment associatif de Studio Gang Architects a mis 5

Économiquement, la capacité de réemploi et

ans avant d’être achevé au gré des tests d’assem-

de recyclage varie en fonction des capacités de

blages des bétons et de leur disponibilité.

stockage des pays. En France ces techniques sont concurrencés par les espaces disponibles pour le

Un nouveau rôle s’instaure, l’architecte devient

stockage des déchets, des matières inertes com-

alors médiateur entre la matière et le projet, entre

paré à la Belgique qui compte tenu de ces capa-

l’échelle du micro et du macro. Les récits des pre-

cités a dû au contraire développer ses processus.

mières réalisations avec le matériau de réemploi relatent d’un véritable combat entre l’architecte

Il est à noter que le réemploi représente tou-

et la maîtrise d’ouvrage. C’est alors souvent une

jours dans notre économie actuelle une véritable

forme de confiance qui permet à ces projets de

prise de risque pour le marché du BTP qui ne veut

naître et nécessite des tests et des recherches plus

pas porter de responsabilités technique et juridique

approfondis avec le bureau d’études qui rendent le

dans le traitement et le transfert de leur déchet. In-

processus de conception plus long. Le temps est

tégrer le matériau de réemploi dans la conception

une arme précieuse en architecture ce qui freine

d’un projet est donc encore un effort supplémen-

alors les initiatives. Carl Enckell, avocat au barreau

taire.

de Paris spécialisé en droit de l’environnement, 6

Entretien Carl Enckell, Matière Grise, 2014, p.49-51

14  |

Révélateur


L’acte de réemploi doit il apporter plus que ses simples propriétés et son intérêt écologique pour pouvoir faire sa place face aux côtés du matériau neuf ?

Comme nous avons pu le voir dans la pre-

La créativité qu’il peut déployer rend le réem-

mière partie, il existe plusieurs vitesses dans la

ploi innovant à partir d’un déjà là. On pourra donner

mise en œuvre du réemploi, et ce aussi à diffé-

comme exemple le réassemblage de tuiles dans

rentes échelles. L’aspect protéiforme du réemploi

l’architecture de Arturo Franco à l’intérieur des

fait qu’il n’y a pas d’imaginaire collectif autour de

anciens abattoirs de Madrid. Le chantier déjà en-

la pratique. C’est cette culture commune qu’il fau-

tamé, il découvre des tuiles destinées à être jetées

drait faire naître pour donner envie de s’y inscrire.

à proximité. Il imagine alors des cloisons en les

Sommes-nous finalement dans une phase d’explo-

assemblant, créant ainsi une matérialité unique.

ration de la pratique ?

L’architecte réintègre ainsi la conception au sein

Dans leur livre Matière Grise, Julien Choppin et Nicolas Delon, font le rapprochement avec le retour du bois dans l’architecture française. Celuici avait une image un peu surannée et « l’esprit Vorarlberg » à partir des années 1990 a été un vé-

même de la construction en collaboration avec les ouvriers. C’est alors une nouvelle approche qui dépasse la première vitesse du bricolage pour s’inscrire dans une véritable technique, esthétique et dignité architecturale.

ritable moteur pour sa réapparition. Avant, le bois

Ce retour du matériau de réemploi doit donc

était mis au banc des matériaux de construction à

créer le désir, valoriser ce déchet du nouveau mil-

cause des problèmes de vieillissement et donc des

lénaire. Donner envie au public qui est d’abord

coûts d’entretien quant à son usage. Après des an-

sensible à une esthétique. Créer l’enthousiasme,

nées d’expérimentation en Bavière et la recherche

comme le cite Alain Navarro « Ce sera peut-être

d’innovations techniques autour du matériau cela a

le cheval de Troie d’une évolution plus marqué7».

permis la création d’un vocabulaire précis et riche

C’est par le biais de la communication de ces nou-

autour de l’architecture bois attirant la curiosité de

velles esthétiques qu’il pourra être réintégré en

nombreux professionnels venant en pèlerinage.

substitut à des matériaux neufs. Actuellement dans

Depuis, l’architecture bois ne cesse d’être mise en

une société où l’image a du sens, c’est une porte

avant par la création de prix, concours et salons

d’entrée, qui aujourd’hui, est efficace quand on voit

misant sur une forte communication. Cet esprit Vo-

des architectures sur papier glacé créant le désir

rarlberg qui a marqué de nombreux architectes a

à nos yeux.

recréé un imaginaire autour du matériau bois stimulant la conception architecturale. Ces recherches ont permis d’acquérir de nouveaux outils de travail et une posture spécifique de conception. Ce qui est vrai pour le bois dans les années 1990 est actuellement en cours pour les matériaux biosourcés, le deviendra-t-il pour les matériaux de réemploi ?

7

NAVARRO, L’esprit des matériaux, 2010, p.26

Révélateur

| 15


Studio Gang Architects, Bâtiment associatf de SOS Children’s Village, Chicago, Illinois, 2007, réemploi des fins de toupie de béton des chantiers alentours.

16  |

Révélateur


Philippe Samyn, Siège du conseil européen et du conseil de l’Union Européenne, Bruxelles, 2013 Après le changement des normes thermiques dans les bâtiments en 2010 des millons de fenêtres ont été remplacés sur le territoire européen, ainsi le réemploi de 3000 fenêtres ici crée l’enveloppe du bâtiment.

Révélateur

|  17


Le réemploi pour faire vivre la mémoire collective et son territoire Le matériau de réemploi au centre du processus de conception

Le hasard de la disponibilité du matériau durant le processus de conception fait qu’il n’y a pas d’application générique du réemploi, excepté dans certaines filières plus développées, comme la brique en Belgique, ou encore les gravats de destruction réemployés dans les aménagements des sols. La démarche devient donc opportuniste en fonction des gisements et découvertes faites sur site. Les formes d’application du réemploi sont donc variées : de la maison de particulier au siège de l’Union Européenne, de l’enveloppe du projet en passant par les cloisons ou encore la structure porteuse du bâtiment. On pourrait alors faire ressortir deux postures d’approvisionnement. Réaliser un projet in situ dans un bâtiment en voie de démolition permet de récupérer les matériaux déjà en place. On peut citer pour exemples la déconstruction d’un hangar par l’association Bellastock à l’ile Saint Denis, les tuiles récupérés dans l’ancien abattoirs de Madrid par Arturo Franco, ou encore la construction du barrage des Trois Gorges en Chine avec les gravats de démolition des maisons alentours. Cela permet d’avoir accès directement à un gisement. Ils établissent alors un processus de déconstruction du ou des matériaux présents. Créer une carte d’identification des gisements proches dans un rayon à définir permet de récupérer les matériaux aux alentours du site de projet. L’agence Rotor tente de tisser un vrai réseau de circulation de matériaux à l’échelle d’un pays. Ils ont mis en place une plateforme internet Opalis recensant les fournisseurs pour aider les concepteurs à intégrer ces matériaux dans leurs projets. La distance entre le gisement et le site de construction doit-être évidement valable économiquement

18  |

Révélateur

pour ainsi limiter les coûts et l’impact du transport en comparaison avec le matériau neuf. Chantier de déconstruction, chutes de matériaux, commandes en surnombre reste les principales opportunités de réemploi. C’est donc une modification du processus de conception qui produit ou qui rend possible des projets variés à différentes échelles mais la mission reste de rendre visible ces gisements de matériaux dans notre espace urbain. Cela demande donc sur le long terme la création de réelles filières pour rendre organisé et rendre viable cette économie circulaire.


Arturo Franco, Abbatoir 8B - Matadero, Madrid, 2009

Révélateur

|  19


Aspirer à une architecture soutenable qui fait sens Ce qui crée le lien entre ces architectures c’est la force patrimoniale qu’elles véhiculent. Pour aspirer alors à une architecture soutenable qui fait sens. Utiliser le matériau de réemploi dans le processus de conception c’est donner à voir notre histoire commune. Nous sommes dans une « société à contexte riche » selon Edward T. Hall qui a 8

accumulé des années de mémoire et qui en fait sa force. Notre société a donc du mal à intégrer des changements. On peut alors faire l’analogie de la société avec la transformation du matériau. JeanMarc Huygen prend l’exemple du tas de sable facilement malléable à l’état brute mais si l’on fond le sable on obtient une bouteille en verre. L’objet est constitué de la même matière, mais ses molécules ont une autre organisation, plus complexe et difficile à déformer, « une mémoire plus forte9». En revanche si l’on vient briser cette bouteille le matériau perd de sa qualité et consomme beaucoup d’énergie pour ne devenir que poussière. Tout l’intérêt est donc de conserver le matériau dans son jus comme le propose le réemploi. Le réemploi permet donc la continuité de cette mémoire sans tomber dans la muséification. Un atout indispensable aujourd’hui en pleine mondialisation qui tend à uniformiser nos modes de vie. La mise en valeur de notre patrimoine permet de répondre à une certaine quête d’identité territoriale. Wang Shu est un des premiers architectes à le re-

constructions du village. Le réemploi de fragments de matériaux et leurs assemblages fait ici sens, il préserve une culture traditionnelle tout en créant une architecture contemporaine. Le réemploi révèle alors ici l’esthétique de la mémoire. Préserver la mémoire du lieu touche le public, un mécanisme essentiel pour promouvoir le réemploi. Ce principe a été un réel moteur pour le projet de réhabilitation de la Maillerie ancien site des 3 suisses emblématique pour la population de la région. Ce gisement de matériau devient donc la base d’un processus collectif. Le matériau de réemploi tisse des liens avec le passé, mais aussi le présent. Au XIXème siècle le « recyclage » générait des centaines de métiers autour de la démolition et récupération de matériaux11. Aujourd’hui l’association Bellastock peut se proposer en tant qu’assistant maîtrise d’ouvrage réemploi, un métier qui peut se développer avec l’évolution de la pratique. C’est donc une toute nouvelle économie qui peut se mettre en place autour de ces nouveaux métiers mais aussi réintégrer les artisans mis de côté depuis l’industrialisation de la construction. En effet, comme on a pu le voir, les matériaux se doivent d’être récupérés in situ et demandent donc une main d’œuvre local pour les récupérer et les remettre en état. Le réemploi devient alors une clé de redistribution des richesses, initié par l’architecte à la source de la conception.

vendiquer dans son pays. Son objectif est de valoriser la culture traditionnelle face à la rapidité des constructions modernes qui envahissent les paysages. Une approche poétique du matériau de réemploi qu’il enseigne aux futurs architectes chinois en apprenant des ruines10. Manifeste dans l’architecture du musée Ningbo où il réutilise la technique ancestrale du wapan de la région. Longtemps utilisé par ses habitants victimes des incendies, ils réemployaient les tuiles et autres matériaux qui avaient résisté aux flammes dans les nouvelles

8

T. HALL, Au-delà de la culture, 1987, p.101

9

HUYGEN, La poubelle et l’architecte, 2008, p.18

10

SHU, Construire un monde différent conforme aux principes de la nature, 2012, p.46

11

CHYOOT, Michaël, conférence ENSA Marseille, 2016

20  |

Révélateur


Wang Shu, Ningbo Historic Museum, Ningbo Shi, Chine, 2008

Révélateur

| 21


L’exploration des possibilités d’utilisation de matériaux de réemploi dans son ensemble me demanderait des recherches d’autant plus importantes vu la richesse qu’ils représentent. Mais les filières ici identifiées telles que celle de la brique bien installée en Belgique nous montrent que ces efforts ne sont pas vains. Tout à fait consciente de la difficulté d’intégrer dans le processus de conception ce matériaux moins fiables, aux premiers abords, que nos matériaux à la pointe de la technologie. Ces expériences d’assemblages abordées dans ce mémoire montrent la capacité de l’architecte et de son équipe à concevoir le projet autrement avec ce matériau déjà présent. Face à l’augmentation des besoins de constructions il se présente alors comme une solution pour réduire l’impact énergétique et nos déchets. Revoir la temporalité des projets pour y inscrire une démarche de réemploi reste encore un défi pour la maîtrise d’ouvrage qui préfèrent encore aujourd’hui couler du béton dans un souci économique et de délais. Des acteurs tels que Rotor ou Bellastock permettent d’accompagner et enseigner sur les matériaux de réemploi afin d’accélérer le processus en créant des filières fiables. Le processus de conception est alors bouleversé et doit prendre en compte de nouvelles variables : la disponibilité et la qualité de ces matériaux. Pourtant, c’est souwvent la nécessité d’un budget restreint qui crée le besoin de ce matériau et devance notre nécessité écologique mais ces deux arguments fonctionnent finalement ensemble. Le réemploi est alors une étape transitoire et nous fait réfléchir sur la réversibilité de nos constructions. C’est là qu’une réelle économie pourra prendre place. « Visser et non pas les coller » les matériaux pour les faire circuler, penser une architecture démontable reste des défis de demain.

22 |

Révélateur


Révélateur

| 23


24  |

Révélateur


Bibliographie

Ouvrages :

Conférences :

BERGILEZ, Jean-Didier, Rotor : coproduction,

Bellastock, CAUE 63, 2017

Bruxelles : Centre international pour la ville l’architecture et le paysage, A16, 2010 (en attente réservé médiathèque) CHOPPIN, Julien, Matière Grise : matériaux, réemploi, architecture, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2014 FAURE, Alain, « Spéculation et société : les grands travaux à Paris au XIXe siècle », Cairn, Université de Paris X-Nanterre, 2004, p.433-448 https://www.cairn.info/revue-histoire-economieet-societe-2004-3-page-433.htm

GUERY, François, NAVARRO, Alain « Pertes et déchets », L’esprit des matériaux, n°2, 2010, p.2027

https://www.youtube.com/watch?v=oHbr44zXrVk&t=2s

CHYOOT, Michaël, ENSA Marseille, 2016

http://www.marseille.archi.fr/actus/michael-ghyoot/

DEVLIEGER, Lionel, La cité miroir, 2015 https://www.youtube.com/watch?v=tgwqGwTW-eg

Encore Heureux, CAUE 63, 2017

https://www.youtube.com/watch?v=f0IIltlWxg4

GIELEN, Maarten, CCA galleries, 2016

https://www.youtube.com/watch?v=-P6gPHnCYO4

PICHON, Jérémie, Zéro Déchêt, un mode de vie en transition, 2018

https://www.youtube.com/watch?v=sBm_Omugr04

Films: HUYGEN, Jean-Marc, La poubelle et l’archi-

tecte, Arles, Acte Sud, 2008

HODGE, Olivier, Garbage Warrior, 2007

https://www.youtube.com/watch?v=_3orTPHV9DI

HUYGEN, Jean-Marc, « Réemploi-Relation », cours ENSA Grenoble, 2006 LEVI-STRAUSS, Claude, La pensée sauvage, Paris, Presse Pocket, 1985 [1ère édition] RECLAIM Remediate Reuse Recycle, A+T, n°39-40, 2012 [n° spécial] SHU, Wang, Construire un monde différent conforme aux principes de la nature, Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine/Ecole Chaillot, 2012 SOUSTELLE, Jacques, Les quatre soleils, Paris, Plon, 1967

Révélateur

| 25



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.