Master Thesis - The paradox of the project in relation to the living - Manon Darde

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The paradox of the project in relation to the living le cas the case destudy l’agence of sla slainen scandinavia scandinavie

m a n o n da r d e master thesis 20th january 2021 -

e c o l e n at i o n a l e s u p é r i e u r e d ’ a r c h i t e c t u r e e t d e pay s a g e d e b o r d e a u x

« r e t h i n k t h e m e t r o p o l i s at i o n : b u i l d i n g a w o r l d i n t r a n s i t i o n » a d v i s o r s : a u r e l i e c o u t u r e , d e l p h i n e w i l l i s , fa b i e n r e i x , j u l i e a m b a l ,

seminar thesis

o m a r r a i s , x av i e r g u i l l o t

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La crise écologique à laquelle nous faisons face requestionne nos manières d’habiter. La ville est en difficulté devant l’apparition de nouveaux climats caractéristiques de l’Anthropocène où l’Homme s’est progressivement déconnecté des milieux vivants. Une forme de responsabilité commune encourage alors les concepteurs à ré-inventer nos milieux urbains à travers de nouvelles approches de projet. Ce dernier se retrouve face à un paradoxe, entre révolution technique et appel à la résilience.

We are experiencing an ecological crisis which requestion our ways of living. Cities are in difficulty with the emergence of new climates characterisitic of the Anthropocene where mankind have gradually disconnected themself from the living world. A common responsibility then encourages designers to reinvent our urban environments through new project approaches. These are facing a paradox, between a technical revolution and a call for resilience.

Nature - Culture - Scandinavie - Résilience - Ville Vivant - Conception - Ecologie - Anthropocène

Nature - Culture - Scandinavia - Resilience - City Living - Design - Ecology - Anthropocene

La découverte de la culture scandinave nous révèle des manières d’intégrer au quotidien la nature et le vivant. Une forme de cohabitation facilitant la pensée des concepteurs à se détacher des schémas classiques du projet. Ainsi, l’agence SLA, à Copenhague, s’investit dans la réalisation de projets architecturaux et urbains tout en explorant de nouvelles méthodes d’approches. Ce cas singulier est l’occasion de repenser de manière plus générale quelle place pour la nature nous désirons dans le projet ? Peut-il devenir le point de départ d’une réconciliation entre la ville et la nature ?

The exploration of Scandinavian culture reveals ways to integrate nature and the living into everyday life. A form of cohabitation that ease designers to detach themselves from the classic patterns of a project. In this way, the SLA office in Copenhagen is involved in the realization of architectural and urban projects while exploring new methods of approaches. This singular case is an opportunity to rethink more generally how important is nature in a project? Can it become the starting point for a reconciliation between city and nature?


AVA N T- P R O P O S

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INTRODUCTION (EN)

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INTRODUCTION

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P R E M I È R E PA R T I E

Constat et évolution du récit écologiste : le projet dans la ville de l’Anthropocène

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01 Les frontières entre Culture et Nature à l’heure de l’Anthropocène

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Le réveil de l’Anthropocène Une nature oubliée de notre culture

02 Une nouvelle génération d’acteurs face aux changements climatiques

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La nature évocatrice d’image, la naissance d’un mythe urbain Vers la transformation du récit écologiste par le projet

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Paradoxe d’une approche : de l’ère technique vers l’ère de la résilience

L’approche environnementale par la technique dans le projet La résilience pour rétablir l’horizontalité avec la nature : le nouveau récit du vivant dans la ville

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D E U X I È M E PA R T I E

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Le cas de l’agence SLA en Scandinavie : une ambition d’intégration de la nature partagée par les habitants, les politiques publiques et les concepteurs de la ville 01 Un contexte culturel favorable à la proximité avec la nature La Scandinavie, symbiose entre nature et culture Copenhague, une ville laboratoire de la nature urbaine

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02 L’agence SLA et le concept de New Nature : la nouvelle nature urbaine Stig Lennart Andersson initiateur de la New Nature Une co-conception humain/nature à l’heure de l’Anthropocène Le projet de Sankt Kjeld Plads : l’espace de la rue comme lieu clé pour redonner place à la biodiversité

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03

L’interdisciplinarité et la recherche comme approche du vivant Le projet de la ville de Fredericia : de l’atelier d’architecte paysagiste traditionnel vers un urbanisme processus Une configuration d’agence qui permet l’interdisciplinarité La recherche comme outil de médiation : une meilleure connaissance du vivant vers une réconciliation ?

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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TA B L E D E S F I G U R E S


AVA N T- P R O P O S

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INTRODUCTION (EN)

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INTRODUCTION

16 F I R S T PA R T

Observations and evolution of the ecological narrative: the project in the Anthropocene cities

01 Boundaries between Culture and Nature at the time of the Anthropocene

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The Anthropocene awakens A nature forgotten by our culture

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A new generation facing climate change

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Images of nature, the rise of an urban myth Towards the transformation of the ecological narrative through the project

03 A paradoxical approach: from a technical era to an era of resilience The environmental approach through technical methods in the project How resilience can restore horizontality with nature: a new narrative in the city for the living

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S E C O N D PA R T

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The case of the SLA office in Scandinavia: an ambition to integrate nature shared by inhabitants, public policies and city designers

01 A cultural context that values closeness to nature Scandinavia, a symbiosis between nature and culture Copenhagen, a laboratory city for urban nature

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02 The SLA office and the concept of New Nature: the new urban nature Stig Lennart Andersson initiator of the New Nature A human/nature co-design at the time of the Anthropocene Sankt Kjeld Plads project: street space as a key place to restore biodiversity

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Interdisciplinarity and research as an approach to the living Fredericia project: from a traditional landscape studio to process urbanism An office configuration that stimulate interdisciplinarity Research as a mediation tool: can better knowledge of the living lead to a reconciliation?

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHY

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TA B L E O F F I G U R E S


Fig. 1 La ville de Trondheim à la lisière de la forêt.

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A V A N T- P R O P O S

Architecte au sein d’une agence de paysagisme, comme 50% de l’équipe travaillant à SLA à Copenhague. C’est alors pour moi le début d’une aventure dans les pays Scandinave, il y a un an et demi. Une expérience révélatrice, basée sur la manière dont notre environnement influence nos comportements, entre bâtiments et nature. Entourée de personnes passionnées par cette dernière, prêtes à décortiquer un site aussi bien géologiquement que socialement pour le faire parler. Dans chaque projet, elles font preuve d’un investissement sans limite pour redonner place à la nature dans la société, sans jugement d’échelles, en ville ou à la campagne.

Apprendre à connaître et réintroduire le vivant dans les projets est alors pour ces acteurs la clé face aux défis urbains, sociaux et environnementaux de notre époque. C’est d’ailleurs une maturité sur le sujet que l’on ressent au quotidien à Copenhague, que ce soit dans les discussions, les prises de positions politiques ou l’énergie qui animent ses habitants. Cette première étape a alors généré des questionnements sur cette apparente facilité pour les pays scandinaves de procéder à une transition énergétique et de faire ainsi évoluer leurs habitudes. À titre d’exemple, le port anciennement pollué par les industries est aujourd’hui l’un des plus propres et les habitants y ont développé une réelle culture du bain urbain ces dernières années.

L’idée ici ne sera donc pas de rentrer dans une comparaison de culture mais de comprendre comment cette familiarité du vivant leur permet aujourd’hui de renforcer leur engagement écologique. Cette familiarité, très sensible, j’ai pu l’expérimenter par la suite à Trondheim en Norvège lors d’un échange universitaire. Malgré le climat qui peut y être rude, les activités en extérieur rythment les journées, laissant souvent la vie professionnelle sur un plan secondaire. Pour les habitants, tout est une question de prendre le temps. L’accès à ces activités est particulièrement simple. À Trondheim on peut se retrouver au cœur de la forêt en moins de vingt minutes.

De retour en France c’est alors la crise du Covid 19 qui met le monde au ralenti. Loin de la nature scandinave, il est désormais impossible d’y avoir accès dans notre espace quotidien. La question de la présence de la nature en ville est alors d’autant d’actualité qu’elle a été l’une des conditions sine qua non à un bon confinement pour la plupart d’entre nous. Ces observations, déclencheurs de cette recherche, me permettent aujourd’hui de poser des mots pour engager une discussion sur la place de la nature que nous voulons demain dans nos sociétés.

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INTRODUCTION In search of the living.

Nowadays, numerous debates beyond the geology field are critical to the planetary era in which we find ourselves. Since the end of the 20th century, the scientific community has ruled and demonstrated that humans have become a dominant force over the earth’s natural forces. This theory has been held since 2000 and is now defined by the term Anthropocene1. This awareness, which is becoming increasingly popular, is now part of the ecological narrative, as architect Léa Mosconi notes in her thesis2. A narrative that has, moreover, evolved considerably. We have gone from a time marked by major industrial disasters: Seveso, Chernobyl, Fukushima, AZF ... to recurrent natural disasters: floods, forest fires, storms ... to which it is now difficult not to be sensitive. This new generation of the ecological narrative is now affected by natural climatic disasters affecting biodiversity and the living in more general terms. Consequences that are now impossible to ignore. The health crisis in which we find ourselves derives from this relationship of superiority to the living and its excessive consumption, out of scale. We are consuming more than the planet can bear. In many regions, by hunting wild species and interfering with natural environments that are not common to them, humans are exposed to new pathogens3. This crisis is forcing us to (re)question the relationship between human and nature, in the hope of redefining a certain ethic.

These crises are the result of the different approaches to nature that humans have experimented with over the last century, generally driven by a technical method. A first notion of a «Green Revolution» was introduced in the 1970s by the American agronomist Norman Borlaug. It did indeed enable us to overcome a food crisis, but today we find that it deeply reduced agricultural diversity, increased the use of pesticides and had an impact on water consumption and quality. These factors have significantly reduced biodiversity in America and South-East Asia. This manipulation of life has been recognized as a mistake through the signature of the Rio Declaration in 1992. We can also note the biomimicry movement, which describes itself as a return to nature but which has benefited technological and economic development more than a true knowledge of the living and its preservation. For example, after the development of aviation thanks to behavioural studies of birds and bats, no benefits or advantages were established for their protection. Between 2006 and 2016, 38% of metropolitan bats

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ELLIS, Erle C., Anthropocene: A Very Short Introduction, Oxford, 2018

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World Wide Fund for Nature, WWF, «The loss of nature and rise of pandemics», 2020

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MOSCONI, Léa, Emergence du récit écologiste dans le milieu de l’architecture 1989-2015 : de la réglementation à la thèse de l’anthropocène, thèse pour le doctorat en architecture, Paris, 2018

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disappeared in France4. In the same way, we have seen the emergence of function-based land-use planning with a policy of mystical protected «natural areas5» imposing barriers to nature. These spatial divisions have only served to rigidify the relationship with human beings. Finally, in the construction industry, the affirmation of an environmental conscience has been represented in France by the HQE (Haute Qualité Environnementale) in 1996, which became a brand in 2004, setting out 14 targets enabling a building to be referred to as respectful of its environment. This limitation to technical characteristics is still strongly criticized by many architects, far from being an invitation to resilience. The climate crisis cannot wait any longer and our approach to nature must go beyond a purely technical approach. We must now observe and (re) introduce ourselves to the living phenomena that surround us. The architect and the building industry are obviously concerned by these observations. Indeed, construction and deconstruction projects are the biggest consumers of polluting resources.

At the same time, architects from a pioneer generation of the ecological narrative are now starting to re-question our ways of designing and building the project. Philippe Madec chose the right words when he reflected on our capacity to introduce a sense of nature into architectural, urban and landscape work, «this would opened an architecture in research, or even better, in movement and imbalance6». He was a precursor on the horizontal aspect of the architectural, urban and landscape project, which does not establish an order of priority between these fields. The project, whatever its scale, must be studied from all these points of view to make it sustainable. In this era of the Anthropocene, where humans have a strength that is able to influence geological and climatic behaviour, could the urban and architectural project change the way we look at nature? Today, rethinking our design processes could be one of the ways to leave more room for nature in sustainable projects. Following these questions, we could ask ourselves: How can we reintegrate the living into the urban and architectural design process? Through the study of the different actors in this research, we will try to understand the tools to reintegrate the notion of nature and the living in a 4 5

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Commissariat général au développement durable, CGDD, «Biodiversité : Les chiffres clés – Édition 2018», 2018, p.22

Définition des Réserves Naturelles «RN» en 1976, puis des Zones Naturelles «N» non constructible définies par l’article R. 123- 18 du code de l’urbanisme dans sa version en vigueur jusqu’au 28 mars 2001.

MADEC, Philippe, Le sens de la nature dans l’œuvre architecturale, Colloque Philosophie & Architecture Clermont-Ferrand, avril 2001, p.12

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broad sense into the project. This way of approaching the project puts the process back at the centre of the creation and not the finished product as such. In today’s society, it is easier to maintain and sell a product than the process, which is unstable. Yet the processes and their actors are directly linked to the context. François Képés, a cell biologist, defines the living by two characteristics: «evolution, the ability to adapt that allows an organism to optimize its functioning with regard to its context» and «the capacity to mobilize local concentrations7». The living is certainly a more than interesting notion in the current context where rhythms are accelerating, where it is no longer sustainable to consume globally and where resources are becoming rare.

On a long internship in Copenhagen, I had the opportunity to experience methods that put nature back into the heart of the project. SLA, a Scandinavian office, defines itself as an urban planning, strategy and landscape practice. Its collaborators, whether landscape architects, urban planners, biologists or sociologists, work on a horizontal basis with the architects. There are fewer debates about the need to integrate nature into the project, but mainly discussions about how to enrich it. The postulate and the dominant strategy of the studio are based on the New Nature8. Stig Lennart Andersson, architect and founder of the company, based his vision on the fact that humans have interfered with natural processes and ecosystems, which are now irreversibly behaving as a consequence of our senseless consumption of resources. However, we cannot live without nature, so what can we do? One of the answer is that nature becomes complementary to the built environment. Thus, not to consider nature as an element that we have to face but as an element that can recreate a living community. This postulate is in line with Marion Waller’s questioning and her notion of natural artefact. What they have in common is the intention of bringing people closer to nature in their daily lives. Indeed, thinking hybrid places intentionally created by humans but based on principles of reality, autonomy and continuity with nature; in new ecosystems. This intention of restoring nature brings us back to the debates on the architectural restoration of our heritage. The conditions of such a repair require an expertise. It is therefore interesting to understand, how this studio has built up this knowledge and its methods, which allow these new urban sequences to bring human beings closer to nature. While the concepts developed by SLA are innovative and their development is rapid in Scandinavia. We will discover this relationship with nature, which continues to question our cultures, through a series of readings and encounters that will feed this theoretical framework. The Scandinavian case study refers to the notion of progress. Scandinavia has had a measured reaction to it. It was not as exposed to the Moderns as France and its lack of interest in the context. In fact, Alvar Aalto, when faced with Le Corbusier and the CIAM, has defended a certain ethic of the living 7 8

KÉPÉS, François, «Manipuler le vivant ?», dans Les paradoxes du vivant, Stream, 2017, p.75 ANDERSSON, Stig, After nature, lecture at Harvard University, 2018

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environment since 1935, which was then prevailing in the Nordic countries9. This thought has helped to preserve a historical link that the Scandinavian people have with nature. Allemannsrett (the right to enjoy nature for all in Norwegian) is a very specific Nordic concept that gives people the possibility to walk through and enjoy natural areas regardless of their land status. This right goes back to the historical link between the Nordic people and nature. Indeed, almost every family has a hytte (cabin) outside the city that allows them to escape for the weekend. The history of their language also reveals sensitive links to nature. It is clear then that culture plays a role and sets the pace. Their approach to nature is familiar when ours is secondary, if the time suits. It is also observed and informed by a pedagogical approach when ours remains technical and informal. Considering the climatic harshness, it is then a historical and necessary relationship with nature that the Scandinavians have been able to nurture.

In his assumptions mentioned above, the second notion suggested by Philippe Madec about the reintegration of nature into the project is the idea of an «architecture in research». During my six months of experience at SLA I discovered the laboratory. It was a first experience for me to see collaborators invested in research through the project: taking the time to study and deepen their own concepts. For example, studying and understanding the functioning of ecosystems on a site, whether it is in the city, polluted, by the sea or in the middle of a desert in the Middle East. These projects also have a political and educational dimension. For example, the creation of climatic adaptation zones in cities that can retain heavy rainfall, making it possible to understand and prevent natural phenomena. The water is held back for several days, while it is absorbed by the soil, rather than disappearing directly into the sewers, underground. It is then a new time for observation that is offered to us. In the same way that Gilles Clément, a landscape architect recognized also in Scandinavia, devotes his research to the living and to natural engineering. Here SLA increases this scale of research to focus on the relationship in tension between nature, human and architecture. The project is thus strengthened by scientific resources that will ensure its sustainability and bring more biodiversity to the city. A new time for the living. A balance must be found in the technical approach to the project so as not to go to extremes. Indeed, if we do not take into account a certain approach to the research in this living projects, we are deluded by the «nostalgia of the origin [...] in search of an invisible unveiling10». Jana Revedin defends the research in her vision of an architecture called «Building with the intangible11». In her introduction, she mentions the importance of mobilizing resources in the design process to confront reality. It is then necessary to rebuild our knowledge around these dynamic resources, specific to environments and 9

BEAUX, Dominique, Alvar Aalto & Reima Pietilä : Finlande, architecture et génie du lieu, Éditions Recherches, 2015, p.171

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ASSENNATO, Marco, Technique, Architecture, Politique, extrait de la retranscription d’une conférence en 2013 d’après le texte de Martin HEIDEGGER, La question de la techniques, Essais et conférences, Gallimard, Paris, 1958, p.10

REVEDIN, Jana, Construire avec l’immatériel, Manifestô, 2018

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ecosystems that cannot be found in a catalogue. More than the creation of natural spaces, it is the place left to natural processes that projects must take into account. The knowledge and familiarity recreated then become sources of opening up the range of possibilities.

This new way of thinking and designing the urban and architectural project becomes a source of experimentation. Scholars like the philosopher Timothy Morton point out that we must now anticipate that a building will not only be used by human beings in the future, but by all living beings12. These calls for experimentation are, without a doubt, a sign of a new era in project design. The construction of an ecological narrative in recent years has brought us a new vocabulary to express these new practices. From the systemic dogmas of the Moderns of the last century calling for progress and marked by -ist words, we have moved to a vocabulary of -able forms of possibility, leaving the door open to discovery and experimentation. The ecological narrative has itself evolved, if only in the use of the word «living». From Philippe Madec’s work, we retain a social approach that can be found in his call for frugal architecture that uses its natural context. More recently, SLA’s projects express an ecologist approach, a thought of the living integrated into the programme, but also into the values of the studio, which attempt to bring it back into the city. In this research, the reflection on the living and its reintegration into the city will be done in two parts. First, a theoretical framework will be put forward, which will be explored in practice through a case study. This approach will reveal key methods and tools for rethinking the place of nature in our cities of tomorrow. Firstly, the role of the Anthropocene in the evolution of the ecological narrative will be presented. This narrative has made first scientists and then a new generation of architects, urban planners and landscape architects aware that they hold the keys to ensure the recovery of existing ecosystems. The boundaries between culture and nature have gradually evolved in our history and have led us to believe that we can live independently of nature. A paradox has thus arisen, pushing us to observe our environment as an object independent of our functioning. A technophile approach that seeks to control and even exploit it. Today, which approach to the living should we explore in our design processes to reveal it?

Secondly, through the study of Scandinavian culture in its relation to the progress of the Moderns, we will look at the case study of the office SLA. It will be assumed that, in a way, the cultural strength of Scandinavia allows a form of persistence in its co-existence with nature. It is therefore necessary to understand the daily contact that we can have with nature in the city. Through the analysis of Copenhagen’s urban policies and the practice of SLA, we will try to understand this relationship with nature in everyday life, in a country where nature is a social culture. We will observe the development

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MORTON, Thimothy, «La singularité des choses», dans Les paradoxes du vivant, Stream, 2017, pp43-49

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of the urban and landscape strategy of SLA in the city of Copenhagen with attention to urban ecosystems as in the Sankt Kjeld Plads project. Nature is no longer confined to the notions of parks and gardens but becomes a new spatial sequence, a vector of life. Finally, we will discover those methods that are different from a traditional studio, such as the process urbanism observed in the Fredericia project. This SLA strategy can be implemented thanks to a research process introduced in the laboratory with the cooperation between different actors: architects, landscape architects, biologists, sociologists and many others... The research and the observation joined to the project could question the notions of times granted to this one.

In the light of these projects, it is a new relationship of caring that can be created in our societies, towards a new culture of the living?

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INTRODUCTION À la recherche du vivant.

Aujourd’hui, de nombreux débats dépassant la sphère de la géologie, sont critiques au regard de l’ère planétaire dans laquelle nous nous situons. Depuis la fin du XXème siècle, le milieu scientifique a statué et démontré que l’humain est devenu une force supérieure aux forces naturelles de la terre. Une théorie assumée depuis 2000, définie aujourd’hui par le terme Anthropocène1. Cette prise de conscience, de plus en plus populaire, fait aujourd’hui partie du récit écologiste comme le remarque l’architecte Léa Mosconi, dans sa thèse2. Un récit qui a d’ailleurs bien évolué. Nous sommes passés d’un temps marqué de catastrophes industrielles marquantes : Seveso, Tchernobyl, Fukushima, AZF, … à des catastrophes naturelles récurrentes : inondations, feux de forêts, tempêtes, … auxquelles il est maintenant difficile de ne plus être sensible. Cette nouvelle génération du récit écologiste est maintenant touchée par des catastrophes climatiques naturelles affectant la biodiversité et le vivant dont il est aujourd’hui impossible de négliger les conséquences. La crise sanitaire dans laquelle nous nous situons découle de ce rapport de supériorité au vivant et de sa consommation excessive, hors d’échelle. Notre consommation s’élève au-delà de ce qu’est capable de supporter la planète. Dans de nombreuses régions, c’est en chassant les espèces sauvages et en interférant avec des milieux naturels qui ne lui sont pas communs que l’Homme se met au contact d’agents pathogènes contre lesquels il n’est pas armé3. Cette crise nous impose de (re)questionner les rapports entre l’Homme et la nature qui nous entoure, dans l’espoir de redéfinir une certaine éthique. Ces crises résultent des différentes approches de la nature que l’Homme a pu expérimenter ce dernier siècle, globalement menées par une démarche technique. Une première notion de «Révolution verte» apparait dans les années 1970 conduite par l’agronome américain Norman Borlaug. Elle a effectivement permis de sortir d’une crise alimentaire mais on retiendra aujourd’hui qu’elle a fortement réduit la diversité agricole, augmenté l’utilisation des pesticides et impacté la consommation et la qualité de l’eau. Des facteurs qui ont fortement amoindri la biodiversité en Amérique et en Asie du Sud Est. Cette manipulation du vivant a d’ailleurs été reconnue comme une erreur à travers la signature de la déclaration de Rio en 1992. On peut aussi noter le mouvement du biomimétisme qui se qualifie d’un retour au naturel mais qui a finalement plus profité au développement technologique et économique qu’à une véritable connaissance du vivant et à sa préservation. Par exemple, après le développement de l’aviation grâce aux études de comportement des oiseaux et des chauves-souris, aucun 1

ELLIS, Erle C., Anthropocene: A Very Short Introduction, Oxford, 2018

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World Wide Fund for Nature, WWF, «The loss of nature and rise of pandemics», 2020

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MOSCONI, Léa, Emergence du récit écologiste dans le milieu de l’architecture 1989-2015 : de la réglementation à la thèse de l’anthropocène, thèse pour le doctorat en architecture, Paris, 2018

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bénéfice ou avantages n’ont été constatés pour leur protection. Entre 2006 et 2016, 38% de chauves-souris métropolitaines ont disparu en France4. De la même manière, on a vu naître un aménagement des territoires par fonctions avec une politique de sanctuarisation quasi-mystique de «zones naturelles5», imposant des barrières à la nature. Ces scissions spatiales n’ont fait que rigidifier les rapports avec l’être humain. Enfin, dans la construction, l’affirmation d’une conscience environnementale s’est vue représentée par la HQE (Haute Qualité Environnementale) en 1996, devenue une marque en 2004, statuant 14 cibles permettant de référencer un bâtiment comme respectueux de son environnement. Cette limitation à des caractéristiques techniques est toujours vivement critiquée par de nombreux architectes, bien loin d’une invitation à la résilience. L’urgence climatique ne peut plus attendre et notre approche de la nature doit porter plus loin qu’une approche purement technique. Il faut maintenant observer et se (re)familiariser avec les phénomènes vivants qui nous entourent. L’architecte et la construction sont évidemment concernés par ces constats. En effet, les projets de construction et de déconstruction sont les plus consommateurs de ressources polluantes. Au même moment des architectes issus d’une génération pionnière du récit écologiste commencent à requestionner nos façons de concevoir et de construire le projet. Philippe Madec a choisi les bons mots quand il s’est interrogé sur notre capacité à introduire le sens de la nature dans l’œuvre architecturale, urbaine et paysagère, «cela ouvrirait à une architecture en recherche ou mieux en mouvement en déséquilibre6». Il était précurseur sur l’évocation horizontale du projet architectural, urbain et paysager qui n’établit pas un ordre de priorité entre ces éléments. Le projet, quelle que soit son échelle, doit-être étudié sous tous ces regards pour en faire un projet durable. Dans cette ère de l’Anthropocène où l’humain possède une force capable d’influencer les comportements géologiques et climatiques, le projet urbain et architectural pourrait-il alors changer le regard que l’on porte sur la nature ? Aujourd’hui revoir nos processus de conception pourraitêtre l’une des entrées pour laisser plus de place à la nature vers des projets durables ? Suite à ces questionnements on pourrait se demander : Comment faire pour réintégrer le vivant dans la conception urbaine et architecturale ? 4 5

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Commissariat général au développement durable, CGDD, «Biodiversité : Les chiffres clés – Édition 2018», 2018, p.22

Définition des Réserves Naturelles «RN» en 1976, puis des Zones Naturelles «N» non constructible définies par l’article R. 123- 18 du code de l’urbanisme dans sa version en vigueur jusqu’au 28 mars 2001.

MADEC, Philippe, Le sens de la nature dans l’œuvre architecturale, Colloque Philosophie & Architecture Clermont-Ferrand, avril 2001, p.12

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Au travers de l’étude des différents acteurs dans cette recherche nous allons essayer de comprendre les outils pour réintégrer dans le projet la notion de nature et de vivant au sens large. Cette manière d’aborder le projet remet le processus de conception et de construction au centre de la création et non le produit fini en tant que tel. Aujourd’hui dans notre société, il est plus facile de maintenir et vendre un produit que le processus qui, lui, est instable. Pourtant les processus et ses acteurs fonctionnent directement avec le contexte. François Képés, biologiste cellulaire, définit le vivant par deux caractéristiques : «l’évolution, cette capacité d’adaptation permettant à un organisme d’optimiser son fonctionnement par rapport à son contexte» et «la capacité à mobiliser des concentrations locales7». Le vivant est sûrement une notion plus qu’intéressante dans un contexte actuel où les rythmes s’accélèrent, où il n’est plus durable de consommer mondialement et où les ressources se font rares. À l’occasion d’un stage long à Copenhague, j’ai pu observer pendant une année des méthodes qui réintègrent la nature au cœur des projets. SLA, agence scandinave, se définit comme une agence d’urbanisme, de stratégie et de paysage. Ses collaborateurs, qu’ils soient paysagistes, urbanistes, sociologues ou biologistes abordent le projet de manière horizontale avec les architectes. Il n’y a alors plus de débats sur la nécessité d’intégrer la nature dans le projet mais seulement des discussions pour le nourrir. Le postulat et la stratégie dominante de l’agence s’appuient sur la New Nature8. Stig Lennart Andersson, architecte et fondateur de l’agence, part du constat que l’humain a interféré sur les processus naturels et les écosystèmes qui maintenant se forment et se comportent irréversiblement en conséquence de notre façon absurde de consommer des ressources. Mais nous ne pouvons vivre sans nature, alors que faire ? La nature devient complémentaire de l’environnement construit. Ainsi, ne pas considérer la nature comme un élément que l’on doit affronter mais comme un élément qui peut recréer une communauté vivante. Ce postulat rejoint le questionnement de Marion Waller et sa notion d’artefact naturel, très proche de celle découverte chez SLA. Leur point commun est de rapprocher les Hommes de la nature dans leur quotidien et dans les séquences urbaines qu’ils traversent. En effet, ce sont des lieux hybrides qui se dessinent, intentionnellement créés par l’Homme mais reposant sur des principes de réalité, d’autonomie et de continuité avec la nature; dans des écosystèmes reconstitués. Ce rapport de restauration de la nature nous ramène aux débats sur la restauration architecturale de notre patrimoine. Les conditions d’une telle réparation nécessite un savoir-faire. Il est alors intéressant de comprendre, à travers un travail méthodologique d’observations et de témoignages, comment cette agence a bâti ce savoir et ses méthodes qui permettent ces nouvelles séquences urbaines pour rapprocher l’être humain de la nature. Alors que les principes mis en place chez SLA sont tout à fait innovants, et leur développement rapide en Scandinavie. Nous découvrirons ce rapport à la nature qui continue de questionner nos cultures à travers un travail de 7 8

KÉPÉS, François, «Manipuler le vivant ?», dans Les paradoxes du vivant, Stream, 2017, p.75 ANDERSSON, Stig, After nature, lecture at Harvard University, 2018

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lectures et de rencontres venues nourrir ce cadre théorique. Le cas d’étude scandinave se dessine au regard de la notion de progrès. La Scandinavie qui, face à celui-ci, a tenu une réaction mesurée. Elle n’a pas été exposée autant au mouvement des modernes que la France et à son désintérêt du contexte. En effet, Alvar Aalto, face à Le Corbusier et au CIAM a défendu une certaine éthique des milieux vivants dès 19359 qui s’est alors imposée dans les pays nordiques. Cette pensée a servi à préserver un lien historique qu’entretient le peuple scandinave avec la nature. L’allemannsrett (le droit pour tous de profiter de la nature en norvégien) est une notion très particulière aux pays nordiques qui donne la possibilité de pouvoir parcourir et profiter des espaces naturels indépendamment de leur statut foncier. Ce droit remonte au lien historique qu’entretient le peuple nordique avec la nature. En effet, chaque famille possède une hytte (cabine) en dehors de la ville qui leur permet de s’échapper pour le week-end. L’histoire de leur langage révèle aussi des liens sensibles à la nature. Il est alors évident que la culture joue un rôle et bat le tempo. Leur approche de la nature est familière quand la nôtre est secondaire, si le temps s’y prête. Elle est aussi observée et renseignée par une approche pédagogique quand la nôtre reste technique et informelle. C’est alors une relation historique et nécessaire, compte tenu de la rudesse climatique, d’un fonctionnement avec la nature que les scandinaves ont pu développer.

Dans ses hypothèses évoquées plus haut, la deuxième notion avancée par Philippe Madec au sujet de la réintégration de la nature dans le projet est celle d’une «architecture en recherche». Durant mes six mois d’expérience chez SLA j’ai pris le temps nécessaire pour découvrir le laboratoire. Une première pour moi de voir au sein d’une agence des collaborateurs investis dans la recherche par le projet : prendre le temps d’étudier et d’approfondir des concepts propres. Par exemple, étudier et comprendre le fonctionnement des écosystèmes d’un site, qu’il soit en ville, pollué, en bord de mer ou en plein désert au Moyen-Orient. Ces projets ont aussi une visée politique et pédagogique. Par exemple, la création de zones d’adaptation climatique en ville pouvant retenir les fortes pluies permettant de comprendre et prévenir les phénomènes naturels. L’eau y est retenue pendant plusieurs jours, le temps qu’elle soit absorbée par la terre, plutôt que de la voir disparaître directement dans les égouts, sous terre. C’est alors un nouveau temps pour l’observation qui s’offre à nous. Au même titre que Gilles Clément, paysagiste dont le travail est reconnu jusqu’en Scandinavie, consacre ses recherches au vivant et au génie naturel. Ici SLA augmente cette échelle de recherche pour s’intéresser à la relation en tension entre le naturel, l’Homme et l’architecture. Le projet est donc nourri de ressources scientifiques lui assurant une durabilité qui permettra de ramener plus de biodiversité en ville, un nouveau temps pour le vivant. Il faut alors trouver un équilibre dans l’approche technique du projet pour ne pas rentrer dans les extrêmes. En effet, si l’on ne prend pas en compte une 9

BEAUX, Dominique, Alvar Aalto & Reima Pietilä : Finlande, architecture et génie du lieu, Éditions Recherches, 2015, p.171

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certaine approche de la recherche dans cette volonté de projets plus vivants on se laisse alors bercer par la «nostalgie de l’origine [...] à la recherche d’un invisible dévoilement10». Jana Revedin défend la recherche dans sa vision d’une architecture appelée «Construire avec l’immatériel11». Elle y évoque en introduction l’importance de la mobilisation des ressources dans le processus de conception pour se confronter au réel. Il est alors impératif de reconstruire nos savoirs autour de ces ressources mouvantes, particulières aux milieux et écosystèmes qu’on ne trouvent pas sur catalogue. Plus que la création d’espaces naturels, c’est la place laissée aux processus naturels que les projets doivent prendre en compte. La connaissance et cette familiarité recréées deviennent alors sources d’ouvertures du champ des possibles.

Cette nouvelle manière d’aborder et de concevoir le projet urbain et architectural devient une source d’expérimentation. Des chercheurs comme Thimothy Morton12, philosophe, nous font d’ailleurs remarquer qu’il nous faudra maintenant prévoir qu’un bâtiment ne sera pas seulement utilisé par les êtres humains à l’avenir mais par tous les êtres vivants. Croisant alors les propos de Philippe Madec, ces appels à l’expérimentation sont, sans nul doute, un témoignage d’un nouveau temps pour la conception de projets. La construction d’un récit écologiste ces dernières années nous a amené un nouveau vocabulaire pour exprimer ces nouvelles pratiques. Des dogmes systémiques des Modernes du siècle dernier appelant au progrès et empreints de mots en –iste, nous sommes passés à un vocabulaire des possibles en -able, laissant portes ouvertes aux découvertes et expérimentations. Le récit écologiste a lui-même bien évolué, ne serait-ce que dans l’utilisation du mot «vivant». Des travaux de Philippe Madec, on retient une approche sociale que l’on retrouve dans son appel à l’architecture frugale qui utilise son contexte naturel. Plus récemment, les projets de SLA expriment une approche écologue, une pensée du vivant intégrée au programme, mais aussi aux valeurs de l’agence qui tentent de le ramener en ville. Dans cette recherche, la réflexion autour du vivant et de sa réintégration en ville se fera en deux temps. Afin de permettre la mise en avant d’un cadre théorique qu’une étude de cas viendra explorer dans la pratique. Cette approche révélera des méthodes et des outils clés pour repenser la place de la nature dans nos villes de demain. Dans un premier temps, il sera exposé l’apport du constat de l’Anthropocène dans l’évolution du récit écologiste. Ce récit a fait prendre conscience d’abord aux scientifiques puis à une nouvelle génération d’architectes, d’urbanistes, et de paysagistes qu’ils tenaient les clés pour assurer un rétablissement des écosystèmes en place. Les frontières entre culture et nature ont progressivement évolué dans notre Histoire et nous ont laissé penser que nous pouvions fonctionner indépendamment de 10

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ASSENNATO, Marco, Technique, Architecture, Politique, extrait de la retranscription d’une conférence en 2013 d’après le texte de Martin HEIDEGGER, La question de la techniques, Essais et conférences, Gallimard, Paris, 1958, p.10 REVEDIN, Jana, Construire avec l’immatériel, Manifestô, 2018

MORTON, Thimothy, «La singularité des choses», dans Les paradoxes du vivant, Stream, 2017, pp43-49

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cette dernière. Un paradoxe est donc né, nous poussant à observer notre environnement comme un objet indépendant de notre fonctionnement. Une approche technophile qui cherche à la maîtriser et même à l’exploiter. Aujourd’hui, quelle approche du vivant doit-on explorer dans nos processus de projet pour le révéler ?

Dans un second temps, à travers la découverte de la culture scandinave dans sa mesure face au progrès des Modernes, on s’intéressera au cas d’étude de l’agence SLA. On émettra l’hypothèse que d’une certaine manière, la force culturelle de la Scandinavie permet une forme de persistance dans sa coexistence avec la nature. Il faut alors comprendre quelle importance elle prend dans les rapports quotidiens à la ville. C’est à travers l’analyse des politiques urbaines de Copenhague et dans la pratique de l’agence SLA que nous essaierons de comprendre ce rapport à la nature au quotidien, dans un pays ou la nature est une réelle culture sociale. On observera le développement de la stratégie urbaine et paysagère de l’agence SLA dans la ville de Copenhague avec la prise en compte des écosystèmes urbains comme à travers le projet de Sankt Kjeld Plads. La nature n’est plus cantonnée aux notions de parcs et jardins mais devient une nouvelle séquence urbaine, vecteur du vivant. On découvrira alors dans un dernier temps ces méthodes qui dénotent d’une agence traditionnelle comme l’urbanisme transitoire observé sur le projet de Fredericia. Cette stratégie de SLA peut être mise en place grâce à un processus de recherche prenant source dans le laboratoire de l’agence et la coopération entre les différents acteurs, architectes, paysagistes, biologistes, sociologues et tant d’autres... La recherche et l’observation ralliées au projet pourraient requestionner les notions de temporalités classiques accordées à celui-ci. Au regard de ces projets, c’est un tout nouveau rapport de bienveillance envers la nature qui peut se créer dans nos sociétés, vers une nouvelle culture des milieux vivants ?

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P R E M I È R E PA R T I E

Constat et évolution du récit écologiste : le projet dans la ville de l’Anthropocène (THE END OF NATURE) «Une relation différente avec le monde naturel pourrait-être la base d’un rapport différent à nous-mêmes et aux autres. Mais puisque la ‘‘nature’’ - en tant que ressource, spectacle, objet d’étude, occasion de spéculation – arrive toujours à l’intérieur d’une culture, il faut se demander en premier lieu : quelle culture ?» Essais 01, Luigi Snozzi et Fabio Merlini, L’architecture inefficiente, 2016, p.30

Fig. 2 Couverture du magazine anglais Nature, volume 519, publié le 12 mars 2015. Ce magazine fondé en 1869 témoigne des avancées scientifiques récentes à travers des articles reconnus dans le monde entier. Cette couverture démontre que la définition de l’Anthropocène reste un débat depuis le discours de Paul Crutzen en 2001.


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CHAPITRE 01

LES FRONTIÈRES ENTRE CULTURE ET NATURE À L’HEURE DE L’ANTHROPOCÈNE

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A. LE RÉVEIL DE L’ANTHROPOCÈNE

L’Anthropocène. Un terme aujourd’hui que l’on retrouve souvent dans la presse, la littérature et la culture de manière générale. Pourtant, ce terme scientifique très récent, signifiant «ère de l’humain », est le point culminant d’un sentiment partagé depuis plus d‘un siècle, comme nous le montre ce témoignage précurseur de JeanBaptiste De Lamarck en 1820:

«L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité de ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertiques. Négligeant toujours les conseils de l’expérience, pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables, et les détruit de toutes parts et sous tous prétextes : en sorte qu’on voit des populations, autrefois considérables, s’appauvrir de plus en plus. On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable1».

L’Anthropocène expose un lien fort entre les sociétés humaines et l’histoire géologique, de ce que l’on trouve dans les roches. Il est donc essentiel d’introduire cette recherche ici avec la présentation de cette nouvelle période géologique, proposée en 2001 par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen. La proposition de l’Anthropocène fait suite a un long questionnement sur le sens de l’ère géologique dans laquelle nous nous situons aujourd’hui, l’Holocène. Cette dernière s’inscrit dans une temporalité qui a débuté il y a 10 000 ans, date de la dernière ère glaciaire. Même si elle est utilisée officieusement depuis les années 1980, c’est à la suite d’une déclaration officielle en 2001 que Paul Crutzen en présente le concept. Une annonce qui fait réagir le milieu scientifique et fait toujours débat aujourd’hui. En effet, malgré de nombreuses hypothèses, il est compliqué de déterminer une date de commencement exacte à l’Anthropocène (fig.3). Cette ère géologique est donc toujours considérée comme une ère non officielle scientifiquement. Pourtant, elle a déjà beaucoup de répercussion au sein de débats et démonstrations culturelles. En donnant l’Homme comme principal acteur dans la balance de transformation de son environnement géologique, il en ressort une forme de responsabilité soudaine. En effet, l’Anthropocène marque la fin officielle d’une forme d’inconscience de la force géologique de l’humanité. Comme la proposition d’un nouveau récit, ce

DE LAMARCK, Jean-Baptiste, Système analytique des connaissances positives de l’homme, 1820, pp.154-155, citation affichée au jardin botanique de Bordeaux 1

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Fig. 3 Propositions de datation pour l’ère de l’Anthropocène en comparaison avec l’Holocène se basant sur différents moments marquants de la modification des données géologiques de la Terre.

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nouveau terme permet alors de se remettre en perspective et d’en prendre conscience. De la même manière que «Copernic et Darwin ont construit des récits à partir de preuves scientifques2», la proposition du récit de l’Anthropocène par Crutzen vient s’inscrire dans cette démarche. Une responsabilité qui questionne alors, peut faire peur, mais surtout, permet enfin à l’Homme de prendre conscience de son impact sur l’environnement. En effet, les démonstrations scientifiques du changement du climat sur Terre, de l’évolution de la composition de son atmosphère datent déjà du siècle dernier. Ces informations scientifiques ont une résonnance mondiale et sont même actrices de nouvelles formes de politiques depuis le premier sommet de la Terre en 1972 à Stockholm. Ainsi, même si l’Anthropocène n’est toujours pas reconnue par son monde d’origine, elle propose alors de créer un nouveau récit commun à l’histoire de l’humanité.

Il est alors nécessaire de faire attention dans l’utilisation de ce terme. En effet, il peut apparaître comme une critique de sa propre définition. Catherine et Raphaël Larrère nous rappellent qu’il n’encourage pas à faire «comme si l’humain avait absorbé la nature, et comme si c’était quelque chose dont on pouvait se glorifier.3». Une forme d’anthropocentrisme dont il faudrait bien se garder et qui pourtant régit encore notre comportement et nos actions avec notre environnement. Avoir conscience de cette force et de notre impact n’est pas suffisant à une bonne gestion des risques. En effet, l’humain continue à prendre le dessus sur la biodiversité au quotidien. Que ce soit en choisissant des espèces qu’il faut préserver ou non, à travers une mise en valeur d’espèces remarquables au profit d’espèces silencieuses et invisibles à l’œil nu. En réduisant la place de la nature au profit de la progression de l’industrialisation et de l’urbanisation : on consomme d’une part dix millions d’hectares de forêt par an4 et on crée d’autre part des limites administratives et physiques aux espaces naturels à protéger. Les espaces de nature et les espaces dédiés aux activités humaines n’ont jamais été autant scindés. Ce constat de l’Anthropocène nous aide alors à redéfinir la notion de limite. Celles qui s’imposent entre l’Homme et la Nature, qu’elles soient physiques ou idéologiques. C’est aussi remettre en question les limites et les frontières qui ont longtemps contraint des actions politiques. Au regard de la crise du coronavirus, nous voyons bien que le virus n’a pas de frontières, il en est de même pour la Nature. Ces logiques nous invitent alors à revoir notre culture environnementale tant au niveau spatial, temporel et philosophique. En histoire environnementale, il nous a été montré que «Periods of dramatic environmental change gave rise to new attitudes towards nature5.» La proposition de l’Anthropocène serait-elle alors le récit qui conjecturerait toutes ces analyses 2

ELLIS, Erle C., Anthropocene: A Very Short Introduction, Oxford, 2018, p.1

STREAM, Les paradoxes du vivant, PCA Editions, 2018, p.15 FAO, Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture, «Évaluation des ressources forestières mondiales 2020», 2020 3 4

JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T., «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, Janvier 2013, p.9 5

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scientifiques du siècle dernier ? Avec du recul sur ces derniers siècles, on trouve une corrélation dans les pays occidentaux entre un rapport hostile avec une forme de nature non maîtrisée par l’Homme, dite sauvage, et le développement de l’industrie. Il faut alors comprendre comment l’Homme s’est construit en opposition avec la Nature ?

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B. UNE NATURE OUBLIÉE DE NOTRE CULTURE

Finn Arne Jørgensen, professeur norvégien en histoire environnementale nous rappelle dès le début les définitions de nature et environnement : «An increasingly common set of definitions considers ‘‘nature’’ as the physical world ‘‘out there’’ without any humans in the picture, while ‘‘environment’’ is what we get when humans and nature interact6.».

Cette analyse nous permet dès lors de nous questionner sur l’origine d’une distinction entre l’humain et la nature. La notion de nature a longtemps cherché sa place dans nos sociétés. La nature est en effet une part de notre culture, toutes cultures confondues. Mais c’est à travers le travail d’anthropologues que l’on peut découvrir différents degrés de sa présence au sein des cultures qui composent notre planète. En effet, chacune d’elle en a fait sa propre définition et engendre alors des comportements humains particuliers à celle-ci. On peut alors citer le travail de Philippe Descolas sur les sociétés qui composent l‘Amazonie équatorienne7. Il tire de ses observations quatre définitions culturelles de la nature dans la société : le totémisme, l’animisme, le naturalisme et l’analogisme, un grand pas dans l’exploration de nos orientations culturelles. Le constat de l’Anthropocène nous pousse alors à requestionner nos définitions pour se rendre compte de la pluralité d’approches de la nature qui existent ou pourraient exister. Une forme de curiosité s’offre à nous pour découvrir sous de nouveaux points de vues qui est cet autre non-humain. Il en ressort que les sociétés occidentales ont poussé vers une forme de scission voire d’opposition entre la nature et la culture. En occident, les humains se sont depuis longtemps positionnés hors de la nature car ils ne se retrouvaient pas dans son comportement. Le terme nature a été étudié et défini depuis les grecs. Il était déjà question à cette époque de la différence entre le Tout, constituant le monde animal et végétal, avec l’Homme. L’autonomie de la Création a amené vers une rupture, concrétisée par la suite avec l’établissement du christianisme qui a complètement perturbé l’étude des sciences de la nature. L’art témoigne alors de son époque, au regard des peintures paysagères du XVème siècle, celles-ci atteignent une pleine maîtrise de l’espace, scénographiées de manière scientifique et mathématique8. Ces nouveaux outils d’optiques et de perspectives, notamment avancés par Copernic et Descartes, sont des dispositifs qui établissent un nouveau rapport au monde excluant l’humain et ses sens de son paysage. Réduite au sens de la vue, «[...]la nature s’est vidée de toute vie9» et rend l’Homme maître de son environnement. Au Moyen-Âge, l’apogée de cette nature rendue mécanique se retrouvent dans les études de Galilée avec la publication des Dialogues sur les deux principaux systèmes JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T., «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, Janvier 2013, p.10 6

DESCOLAS, Philippe, Par-delà nature et culture, Editions Gallimard, 2005 Voir les œuvres de Filippo Brunelleschi citées dans : Renaissance sauvage, l’art de l’Anthropocène par Guillaume Logé, PUF, 2019, p.19 7 8 9

Op. Cit. DESCOLAS, p.121

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du monde, en 1632, où la physique moderne déconstruit et reconstruit l’existence de la nature. Philippe Descolas dit à ce sujet :

«Le dualisme de l’individu et du monde où se retrouvent en vis-à-vis les choses soumises à des lois et la pensée qui les organise en ensembles signifiants, le corps devenu mécanisme et l’âme qui le régit selon l’intention divine, la nature dépouillée de ses prodiges offerte à l’enfant roi qui, en démontant ses ressorts, s’en émancipe et l’asservit à ses fins.10».

Malgré la mise en avant des sciences modernes de Francis Bacon et René Descartes, Philippe Descolas révèle qu’une minorité, représentée par Gottfried Wilhelm Leibniz puis Jean-Jacques Rousseau : «furent des avocats non négligeables d’une conception de la nature comme une totalité et unité équilibrée, essentielle à notre existence11». Ainsi, dans les Rêveries du promeneur solitaire, mêlant autobiographie et réflexions philosophiques, Rousseau attaque directement les principes dominateurs avancés par Descartes : «Une autre chose contribue encore à éloigner du règne végétal l’attention des gens de goût ; c’est l’habitude de ne chercher dans les plantes que des drogues et des remèdes.12» L’écrivain insiste par la suite sur la valeur première : «On ne conçoit pas que l’organisation végétale puisse par elle-même mériter quelques attentions.13» À travers

ses écrits, il critique alors cette nature instrumentalisée mise en avant par les scientifiques de son époque. À travers l’allégorie de la rêverie il donnera la voix à une nature sensible et puissante, un précurseur qui restera longtemps incompris au sein de sa société littéraire et philosophique. L’état des lieux réalisé par Philippe Descolas nous montre que des points de vues idéologiques, au-delà du monde scientifique se sont longtemps opposés pour faire avancer le débat, comme lorsqu’il cite le philosophe Maurice Merleau-Ponty : «Ce ne sont pas les découvertes scientifiques qui ont provoqué le changement de l’idée de Nature. C’est le changement de l’idée de Nature qui a permis ces découvertes.14»

Ces théories ont été reprises plus tard par le naturaliste Charles Darwin au XIXème siècle. Les êtres humains ont ainsi commencé à être étudiés permettant tardivement à la notion de société de se définir, écrivant une histoire commune. Les sociétés occidentales basées sur ces pensées chrétiennes ont donc depuis longtemps créé une dichotomie entre nature et culture. Ce déphasage observé entre la construction de nos sociétés et la recherche scientifique continue d’être observé dans notre histoire plus récente. Des pratiques qui ont mené à une forme

10

Ibid. p.122

12

ROUSSEAU, Jean-Jacques, Les rêveries du promeneur solitaire, 1782, p.137 Ibid.

11 13 14

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Op. Cit. DESCOLAS, p.133

Op. Cit. DESCOLAS, p.106


«d’amnésie environnementale15» comme le qualifie l’écologue Philippe Clergeau. Comment pouvons-nous dépasser ce conditionnement culturel ?

CLERGEAU, Philippe, «La biodiversité en ville n’est pas le problème mais une des solutions», Le Monde, tribune, 14 Avril 2020

15

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CHAPITRE 02

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’ACTEURS FACE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

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A. LA NATURE ÉVOCATRICE D’IMAGE, LA NAISSANCE D’UN MYTHE URBAIN

Plus récemment, c’est aux États-Unis que le débat sur la nature et la culture a pris racine. L’idée du sauvage et de la wilderness a parcouru les siècles depuis la colonisation de l’Amérique par les occidentaux. Cette idée prend source depuis que les colons ont progressivement voulu mettre en avant une image de nature à l’état sauvage en arrivant sur ce «nouveau» continent qu’ils découvraient. Cette conception de la nature se base alors sur l’évocation d’un milieu inhospitalier primitif, originel, voir quasi biblique et surtout extérieur au développement de l’être l’humain. Pourtant, ces terres étaient peuplées, pratiquées et domestiquées avant l’arrivée des européens et ces paysages dits «sauvages» sont souvent le résultat d’une forme d’habiter. Ce mythe génère alors un dualisme entre ce que l’on considère comme la «vraie» nature et la nature civilisée, transformée par les mains de l’Homme. L’idée d’une nature sauvage, incompatible avec nos modes de vies humains s’enracinent alors dans la culture américaine. Le mythe des origines et de la wilderness sont depuis critiqués, comme par l’historien William Cronon en 1995. À cette époque, il écrit un témoignage contesté car ces mythes représentent encore des notions de bases populaire de l’histoire environnementale développée aux Etats-Unis jusqu’alors.

Dans un premier chapitre intitulé «The Trouble with Wilderness; or, Getting Back to the Wrong Nature16», William Cronon tente de démonter le mythe du «sauvage» pour montrer qu’il n’est pas un refuge loin de notre civilisation mais qu’il est lui même le reflet du développement de celle-ci. La culture populaire ne nous aide pas à nous émanciper de ces images envoûtantes de paysages où l’Homme n’aurait jamais mis les pieds. L’idée de wilderness est au final un mirage de l’idée réelle de nature où l’humain en est seulement l’invité. Ainsi, à l’image de la politique des grands parcs nationaux ouverts au public commençant à Yellowstone en 1872, les fondateurs de ce parcs décident d’en arracher les peuples autochtones de la région et nous montrent alors tous les «effets négatifs» de ce mythe17. La nature devient alors un projet. Les parcs américains seront les premiers créés dans le monde dans le but de donner à voir une nature sauvage quasi originelle. Loin de se douter alors que l’Homme y a longtemps eu un impact quotidien, comme on le rappelait dans le constat de l’Anthropocène, que ce soit au travers de l’agriculture sur brûlis, de la chasse ou de la cueillette. Aujourd’hui encore, de nombreux touristes viennent fréquenter ce parc pensant découvrir des territoires que l’Homme n’a jamais habité. Cette image divertissante est renforcée par les récits de voyage et l’appel à s’échapper de notre quotidien de citadin. C’est un réel courant artistique qui se développe autour de la wilderness, Henry David Thoreau, philosophe, en est un pilier. Il écrit un livre fondateur de ce courant en 1854 : «Walden ou la vie dans les bois» après avoir passé deux ans seul dans une cabane dans la forêt. CRONON, William, «The Trouble with Wilderness; or, Getting Back to the Wrong Nature» in Uncommon Ground: Rethinking the Human Place in Nature, W. W. Norton & Co., 1995, pp.69-90 16 17

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DESCOLAS, Philippe, «À qui appartient la nature?», La vie des idées, 21 janvier 2008


Au même moment que la nature se retrouve sanctuarisée dans les campagnes, elle fait son premier retour en ville. Dans son livre, Histoire naturelle de l’architecture, Phillippe Rahm constate qu’après la découverte de la photosynthèse par Joseph Priesley en Angleterre en 1772 les premiers parcs urbains s’implantent en Europe puis à New York en 1872. Cette découverte révèle alors aux urbanistes et paysagistes l’intérêt de l’arbre en ville pour la santé de ses habitants. À l’époque les arbres deviennent alors «‘‘des équipements techniques’’ pour améliorer l’air, comme les

Fig. 4 Carte détaillée de la ville de New York par Will L. Taylor en 1879. On peut y voir dessiné Central Park, récemment terminé dix ans plut tôt. 37


réverbères sont installés pour améliorer la lumière18». Après un concours public, Central Park est finalement dessiné par les architectes paysagistes Frederick Law Olmsted et Calvert Vaux. On retrouve dans la composition cette forme d’esthétisme véhiculée par l’idée de wilderness et d’une nature de décor plus que la considération des êtres vivants qui habiteront cet espace. Le parc est alors découpé en tableaux paysagés pittoresques. Central Park s’inscrit dans un mouvement global hygiéniste du XIXème siècle des grandes villes occidentales. Ils incarnent alors l’image de la nature que l’on a à l’époque. Il est un espace dédié au divertissement en opposition avec l’espace de la ville. Au même moment, en France sous Napoléon III, ce sont les grands travaux de Georges Eugène Haussmann et d’Adolphe Alphand qui redessinent la ville médiévale de Paris. Les rues sont élargies pour devenir des boulevards aboutissant à deux grands parcs aux extrémités de la ville (Bois de Boulogne et Bois de Vincennes) et faire ainsi circuler l’air. Philippe Rahm nous rappelle que ces travaux feront doubler le nombre d’arbres plantés, notamment sur les alignements des boulevards. Il y a donc la nature de ville, alignée, monotone, répondant à la géométrie pensée par Hausmann et Alphand, s’opposant aux Bois en périphérie, scénarisés. Le choix des espèces relèvent d’envies esthétiques plus qu’écologiques : «Le but recherché était d’offrir la beauté et l’élégance des feuillages19.» L’arbre est alors le seul végétal choisi par l’Homme à s’introduire dans l’enceinte de Paris grâce à sa prestance, la notion de biodiversité est encore loin d’être considérée. Pour recomposer nos rapports à la nature et la préserver il est donc essentiel de ne pas omettre la présence et l’action de l’Homme, et de nos sociétés petites ou grandes. Catherine et Rapahêl Larrère pensent alors qu’il est temps d’introduire un nouveau vocabulaire dans nos descriptions de la nature :

«Passer de la wilderness à la biodiversité, c’est abandonner la rigidité d’une vision dualiste, selon laquelle nature et culture n’existent que séparées, pour une approche qui fait l’hypothèse de leurs interactions positives20.»

Plus qu’un vocabulaire renouvelé ce sont de nouvelles formes spatiales de nature qu’il serait temps d’expérimenter. Cette nouvelle «écologie de la réconciliation21» nous permet de «réinscrire les hommes et leurs activités dans la nature22». La critique de ces mythes nous amène donc à une relecture de la présence de la nature dans notre Histoire. Que cette approche soit culturelle ou scientifique elle nous montre que l’idée d’une nature à l’origine vierge et externe à l’Homme est fausse. Une idée que l’on pourrait imager par le projet utopique de Dogma, «Stop RAHM, Philippe, Histoire naturelle de l’architecture, Pavillon de l’Arsenal, 2020, p.146 TAITTINGER, Pierre-Christian, «Jean-Charles Adoplhe Alphand, le jardinier de Paris», Revue du Souvenir Napoléonien, n°447, juin-juillet 2003 18 19

LARRERE, Catherine et Philippe, Penser et agir avec la nature : Une enquête philosophique, La Découverte, 2018, p.81 21 Ibid. p.124 20

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Ibid.


City» exposé en 2007 (fig.5). Partant du constat des méfaits de l’étalement urbain, précédemment mis en avant en 1969 dans l’utopie No-Stop City de l’agence de design italienne Archizoom, Dogma vient recréer l’image d’une nature dense et sauvage, inaccessible, en opposition à la nature alimentaire. En effet, l’habitat humain vient créer une enceinte entre ces deux espaces. C’est cette image de séparation de la nature sauvage et de la nature quotidienne que Dogma vient questionner et alimenter le débat. Confirmé par ce récent constat de l’Anthropocène, l’histoire environnementale contemporaine nous apprend donc que cette séparation de l’Homme et la nature n’a jamais vraiment existé. Elle relève seulement de notre propre perception culturelle. C’est pourquoi aujourd’hui les chercheurs affirment que la relecture de cette histoire commence par considérer «la fin de la Nature» comme nous pensons la connaître23. Cette expression est empruntée en référence au livre écrit en 1989 par le militant écologiste et journaliste Bill McKibben, «The end of Nature». Le vivant est donc un terme intéressant au regard des scissions spatiales que l’idée de nature a pu provoquer dans nos milieux urbains. Il rassemble, sans frontières, tous les êtres vivants.

Fig. 5 Plan, Stop City, Dogma, 2007

JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T., «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, 2013, p.10 23

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B. VERS LA TRANSFORMATION DU RÉCIT ÉCOLOGISTE PAR LE PROJET

Ce dernier siècle et plus récemment le constat de l’Anthropocène ont vu évoluer les pensées et les discours écologistes. Ces mouvements incitent dès lors de repenser la manière dont on habite le monde. Aujourd’hui, ce constat peut donc nous amener à faire évoluer les idéologies sur notre environnement. C’est alors l’ouverture d’une dicsussion vers une reconsidération des rapports entre humain et non humain qui est fondamentalement éthique. Cette éthique qui devient une vision commune comme réponse à une crise écologique et sociale.

On parle beaucoup de nos manières de consommer et nos manières de vivre au quotidien. Pourtant, la question de la construction est cruciale. En France, le milieu du bâtiment est s’impose comme l’un des plus grands consommateurs de ressources : «Le bâtiment (la construction) représente environ 40 % des émissions de CO2 des pays développés, 37 % de la consommation d’énergie et 40 % des déchets produits.24»

Les effets de l’industrialisation dans la construction de bâtiments et d’infrastructures n’ont fait qu’augmenter les productions de CO2 et ces systèmes restent globalement inchangés depuis plus de quarante ans. Il est donc l’heure de repenser nos manières de construire et de faire la ville.

Aujourd’hui, la mise en avant de l’histoire environnementale grâce au débat de l’Anthropocène, nous montre que l’intérêt pour la nature a longtemps été évité par les sciences sociales et sciences humaines. Des domaines longtemps éloignés de la production de sciences naturelles. Aujourd’hui il est alors évident qu’en tant qu’architectes, prenant appui sur notre environnement physique et social, mêlant le réel et le sensible, nous sommes acteurs, via l’acte de projet, de la transformation du récit écologiste d’aujourd’hui.

En 2010, Thierry Paquot25, philosophe et urbaniste, publie le livre Les faiseurs de ville. Il met en lumière pour réunir sous une même appellation ces concepteurs qui ont pour lui transformé la ville à travers le projet. Dans son livre, trois profils ressortent majoritairement : les architectes, les urbanistes et les politiques. La période d’étude retenue par Thierry Paquot, de 1850 à 1950 nous montre déjà que le métier de paysagiste n’est pas valorisé. À l’époque, il est plutôt relégué au second rang du projet. Le milieu de l’architecture n’est donc pas resté spectateur des débats écologiques, mais plutôt acteur, au même titre que l’art, alors initiateur d’un mouvement. On peut ainsi nommer le mouvement des earthships aux EtatsUnis dans les années 1970, ou plus récemment Encore Heureux et Bellastock appelant au réemploi dans la construction. Des mouvements qui ont, et posent encore des questions sur notre manière de vivre et de construire nos sociétés. L’évolution de ce récit écologiste nous permet aujourd’hui d’être critique sur des œuvres qui ont longtemps été considérées comme exemplaires. On pourrait citer DESHAYES, Philippe, «Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement», Innovations, Janvier 2012 (n°37), p. 219-236 24 25

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PAQUOT, Thierry, Les faiseurs de ville, Infolio, 2010


par exemple la maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright, longtemps modèle d’une architecture réunissant l’homme et la nature dans un complexe défini comme organique par Wright lui-même. Un geste aujourd’hui controversé car le décor planté de plus de 5000 arbres et de plantes exotiques a mis en danger, et continue de pousser de manière invasive26.

Ce récit écologiste chez les architectes, Léa Mosconi l’a analysé très récemment dans sa thèse : Emergence du récit écologiste dans le milieu de l’architecture 19892015 : de la réglementation à la thèse de l’Anthropocène, une thèse soutenue dans le cadre d’un doctorat en architecture à Paris en 2018. Dans cette étude, elle présente trois périodes correspondant à trois décennies où le récit écologiste s’est distingué de manières différentes.

Pour identifier ces trois périodes elle appuie ses références sur des sommets et évènements sociohistoriques forts qui ont marqué nos sociétés. Dans un premier temps, un récit écologiste qui se tient plutôt à un niveau politique, marqué par la chute de deux grandes idéologies du XXème siècle, qu’elle représente par la chute du mur de Berlin et la chute des Tours Jumelles. Ces évènements forts contrastent avec les premiers sommets et accords internationaux qui ont su démontrer que des «efforts importants étaient menés au niveau mondial27». L’écologie devient un parti pris politique, relevant d’un processus décisionnel dans ce premier temps. Par la suite, à partir de 2001, la question politique s’immisce dans le projet à travers l’outil de la performance énergétique et sous l’affirmation du développement durable, comme elle le montre avec la publication en 2004 d’un livret de l’ordre des architectes résumant dix propositions pour le développement durable. Ce mouvement pionnier tente alors de créer une écriture commune de la pensée écologique intégrée au projet. Enfin, elle fait référence à la troisième période correspondant à la diversification des discours chez les architectes. Léa Mosconi prend alors le témoignage de Julien Choppin, architecte du collectif Encore Heureux, qui exprime que sa jeune génération d’architectes a été touchée par Fukushima et les catastrophes nucléoindustrielles (naufrages industriels, usine AZF…) qu’il considère comme «l’aporie du projet moderne et des croyances qu’il véhicule, notamment en ce qui concerne le progrès technique28.». Il ressort de cette analyse une désillusion de l’action politique mise en place depuis les années 1980. En effet, l’accélération générale du monde se fait toujours sentir et les techniques de construction n’ont que très peu évolué depuis le XXème siècle. Le processus de production est alors remis en question grâce à des collectifs comme Encore Heureux ou Bellastock s’intéressant au réemploi des matériaux de construction. Cette analyse réalisée par Léa Mosconi jusqu’en 2015 nous permettrait aujourd’hui d’esquisser une quatrième période. Celle-ci pourrait être définie et faire référence à une nouvelle génération touchée par des catastrophes climatiques naturelles SCHLESINGER, Allison, «Nature strikes back at Frank Lloyd Wright’s Fallingwater», Institute for Agriculture and Trade Policy, 27 avril 2005 26

JACKSON, Peter, «De Stockholm A Kyoto : Un Bref Historique Du Changement Climatique», Chroniques ONU 27 28

MOSCONI, Léa, Les architectes français et l’écologie, Nancy, 12 Décembre 2018, à 36mn

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affectant la biodiversité et le vivant : feux de forêt réguliers, déchaînements climatiques, disparition de 68% des vertébrés sauvages depuis 197029 (fig.6). Elle se dessine comme une prise de conscience réelle du récit de l’Anthropocène face à ces évènements. Les changements climatiques rythment désormais la pratique de nombreux architectes. Frédéric Bonnet, un des architectes fondateurs de l’architecture des milieux, témoigne de ce rapport qu’entretiennent les habitants aux éléments qui les entourent, lors d’une conférence au 308, à Bordeaux, sur l’un de ses projets en bord de mer. En effet, il constate que ces derniers ont un rapport aux processus naturels très artificialisé car ils ne réalisent pas du caractère inondable de leurs terrains. Pourtant touchés à plusieurs reprises par les tempêtes, pour eux ces évènements présentent un ressort anecdotique, presque un hasard. Frédéric Bonnet, avec son agence OBRAS, apporte donc à travers le projet un réel ré-apprentissage des façons de vivre avec les milieux que l’on habite. Il en fait la démonstration récente avec le futur projet de Pirmil les Isles à Nantes, où il dessine un quartier résilient face aux phénomènes de marées et d’inondations partielles caractérisant ce milieu du centre de la ville. La particularité de ces projets, d’ambition plus urbaine, est l’intégration de nouveaux acteurs dans la conception. Des bureaux d’études extérieurs spécialisés en paysage, écologie des berges et des sols forment une équipe de projet pluridisciplinaire. Ces études approfondies du contexte intégrant le bâti restent rares mais on peut noter des initiatives comme l’agence ChartierDalix et son projet de l’école de la biodiversité intégrant des écologues au processus de conception mais aussi a posteriori de sa livraison pour continuer à étudier le développement de sa biodiversité sur le long terme. Ces observations révèlent de nouvelles pistes de réflexion au regard de la conception de projets de manière générale, relevées par une génération plus récente de concepteurs comme le chercheur et architecte Mathias Rollot :

«Ce pourrait être l’idée même de projet, ce qui fait projet - le projet en tant qu’outils, que méthode, que système d’action voire de valeurs même -, qui pourrait être adapté à ses contextes de déploiement. Ou, pour exprimer autrement encore cette idée difficile : pour tendre vers un développement de savoirs situés, l’architecture, l’urbanisme et le paysagisme devraient peut-être pouvoir accepter l’idée de formes disciplinaires situées. Non seulement des «architectures» (formes construites) différentes, mais aussi des «architectures» (disciplines) différentes ?30»

En s’appuyant sur la thèse de Léa Mosconi, nous avons observé cette évolution du discours écologiste maintenant plus favorable à un changement de paradigme. Malgré ce regain d’intérêt pour la nature, la biodiversité et l’écologie dans le projet architectural et urbain, les réponses restent timides et ne font pas l’unanimité. Aujourd’hui, si l’on y est que peu sensibilisé, l’amalgame avec le greenwashing est facile. Au regard de l’augmentation des catastrophes naturelles, ce n’est plus seulement notre rapport à la technologie et à la croissance qui doit évoluer mais notre rapport au vivant et à nos milieux auxquels nous devons nous reconnecter pour sortir de cette crise. Il faut alors comprendre comment nous avons pris tant de distance avec la nature au point de ne peu la comprendre ? 29

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LPR, Living Planet Report, «Living Planet Report 2020» WWF, 2020

ROLLOT, Mathias, (2021, 8 Février), Ce que le biorégionalisme fait à l’architecture, [Conférence]. Faculté d’Architecture de l’Université de Liège à 1h07mn 30


Fig. 6 Types et nombre de catastrophes survenues dans le monde de 1900 à 2007

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CHAPITRE 03

PARADOXE D’UNE APPROCHE : DE L’ÈRE TECHNIQUE VERS L’ÈRE DE LA RÉSILIENCE

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A. L’APPROCHE ENVIRONNEMENTALE PAR LA TECHNIQUE DANS LE PROJET

On a pu voir à travers les générations du récit écologiste mises en avant par Léa Mosconi que celui-ci va chercher rapidement dans la technique un moyen de résoudre la crise environnementale. En effet, la technique devient un outil politique pour essayer d’avoir une forme de contrôle sur nos modes de production et tenter de les réguler. Une emprise technique qui s’inscrit dans la continuité historique de notre rapport à la nature. Jean-Jacques Rousseau en témoignait déjà pour montrer que l’apprentissage de la nature est toujours passé par une machinerie scientifique : «Sitôt qu’on ne veut apprendre que pour instruire, […] on ne voit plus dans les plantes que des instruments de nos passions, […] au lieu d’observer les végétaux dans la nature, on ne s’occupe que de systèmes et de méthodes5.»

En architecture on retrouve cette forme de contrôle dans la fondation de l’association HQE (Haute Qualité Environnementale) en 1996. À ces débuts, il s’agit d’une association créee par les pouvoirs publics mettant en relation l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et d’autres acteurs du bâtiments : Arene, CSTB, PCA, AIMCC31ainsi que le ministère de l’environnement. L’association est devenue une réelle marque déposée en 2004 car elle est reconnue d’utilité publique et peut ainsi mettre en place un certificat attestant du respect de sa démarche appelé «NF ouvrages - Démarche HQE». Ce certificat peut-être obtenu pour un projet lorsque celui ci intègre les quatorze cibles définies par l’association, faisant de lui un bâtiment respectueux de l’environnement. La mise en place de la HQE est une révolution en architecture car elle témoigne de l’énergie d’un investissement public et privé, unis pour déclencher une amélioration de nos modes de constructions. L’idée d’une pensée écologique intégrée dès la conception nécessite de recréer des méthodes de travail. Avec du recul, la HQE aura permis la mise en place d’équipes de projets plus complètes, intégrant des bureaux extérieurs dès l’esquisse du projet. Ce travail en amont a offert l’opportunité aux équipes de conception de se réinventer vers une incitation à la conception pluridisciplinaire.

Pourtant, une première critique peut-être réalisée au regard des fondateurs de l’association HQE qui intègrent dès sa création des groupes privés ayant des intérêts commerciaux pour les industriels comme l’AIMCC, regroupant alors les syndicats et fédérations des industriels de produits de la construction. À travers une recherche documentaire, on découvre que cette norme fait débat dans la sphère de l’architecture et fait réagir. Des architectes qui parfois ne partagent pas les mêmes convictions se rejoignent pourtant sur l’approche technicisée de la conception du projet architectural durable voulu par la HQE. On retrouve par exemple Rudy Riciotti à travers des interviews32 et une publication33, mais aussi Philippe Madec constatant que : PCA, aujourd’hui nommé le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), (ARENE) l’Agence régionale de l’environnement et des nouvelles énergies Île-de-France, (CSTB) le Centre scientifique et technique du bâtiment, (AIMCC) l’Association des industries de produits de construction. 31

RICIOTTI, Rudy, BOUTTÉ, Franck «Le développement durable : une religion qui rapporte ?», L’Architecture d’aujourd’hui, n°375, Juillet 2010 32 33

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RICIOTTI, Rudy, La HQE® brille comme ses initiales sur la chevalière au doigt, Le Gac Presse, 2013


Fig. 7 Les 14 cibles de la démarche HQE®

«[...]l’objectif [de la HQE] est de créer, sans abîmer davantage le monde extérieur, un monde intérieur sain, différent donc du monde extérieur reconnu malade, voire malsain.34»

Les cibles déterminées par la norme HQE réinterprètent notre environnement bâti à travers une approche rationnelle et systémique afin de décomposer un projet à l’intérieur de catégories, divisant celui-ci en deux grands thèmes : «l’environnement extérieur» et «l’environnement intérieur». Cette division nous présente deux mondes étanches à l’un et à l’autre. Dans cette liste, les éléments naturels, à l’origine de l’histoire de l’architecture35 permettant de nous protéger, doivent être désormais gérés et traités à l’image de la description des quatorze cibles (fig.7).

Dans la forme, La HQE représente la tentative d’une maitrise de la nature pour qu’elle corresponde à des codes et données chiffrés d’un environnement humain sain. Cette position se situe alors loin de la démarche bioclimatique, cherchant à comprendre puis intégrer les caractéristiques d’un milieu dans la conception de son architecture. De plus, elle se retrouve désormais dans la conception architecturale mais aussi urbaine avec la certification HQETM Aménagement soumettant une liste d’objectifs réduisant la conscience durable du projet à des points techniques. De ces observations on déduit que l’on a alors misé sur l’aspect énergétique de l’environnement, plus fructueux, au profit de tout le reste. Pourtant, le recours de plus en plus important à ces innovations technologiques ne fait pas éviter le pire, Philippe Madec dans une conférence cite Daniel Fauré, ingénieur : 34 35

MADEC, Philippe, Le sens de la nature dans l’œuvre architecturale, 2001, p.6

RAHM, Philippe, Histoire naturelle de l’architecture, Pavillon de l’Arsenal, 2020

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«En quelques années le lot technique est passé de 15% à 25% du coût du chantier et en même temps on a vu la croissance des sinistres et celles des primes d’assurances.36»

Aujourd’hui, de l’habitat au territoire, toutes les échelles peuvent s’inscrire dans cette démarche globalisante de la HQE. La tentative de l’approche environnementale par une technique globale est pourtant déjà remarquée dans les années 1990 par des philosophes engagés dans l’écologie comme Arne Naess :

«Une hypothèse largement répandue dans les cercles influents des pays industrialisés est que le dépassement de la crise environnementale est un problème technique : il ne suppose aucun changement dans les consciences ou dans le système économique. Cette hypothèse est l’un des piliers du mouvement écologique superficiel. […] Par conséquent, un objectif crucial des années à venir est d’accroître la décentralisation et la spécialisation afin d’étendre l’autonomie locale et finalement de développer les richesses des potentialités de la personne humaine.37»

Dans sa démarche, le philosophe norvégien nous encourageait déjà à penser local plutôt que global pour prendre conscience de la particularité de nos territoires. Une pensée que l’on retrouve plus récemment dans le manifeste biorégionaliste écrit par l’architecte Mathias Rollot en 2018. Il y propose de nous reconnecter à nos territoires et nos régions au delà des limites administratives mais plutôt au regard des différents milieux géographiques et climatiques. En effet, les scissions entre le monde «extérieur» et le monde «intérieur» évoquées dans les cibles HQE démontrent un manque de porosité dans notre manière d’habiter un milieu : «Mais si habiter c’est être responsable des lieux, comment croire que cela soit possible au sein de pareil univers ? Si nous ne pouvons même pas ressentir les milieux, impossible de comprendre leurs besoins et leurs dynamiques, d’imaginer les échanges que nous pourrions envisager avec eux ou de réaliser quelles potentielles destructions nous leur causons malgré nous38.»

Dans son manifeste, il s’intéresse aux conséquences de la technique et notamment à l’éthique du biomimétisme dans la conception architecturale et urbaine. Le biomimétisme signifiant imiter le vivant, il désigne un processus technique de création s’inspirant de la nature. Cette proposition a témoigné de bonnes intentions à ces débuts, s’intéressant alors au vivant et à son fonctionnement pour s’en inspirer. Une approche vulgarisée par la scientifique Janine Benyus en 1997 dans son livre Biomimicry : Innovation Inspired by Nature. Elle attire le regard pour toute une génération de concepteurs sur le monde vivant, alors oublié de nos sociétés modernes. Son expérience et sa recherche nous encouragent à réapprendre à observer le vivant pour mieux le comprendre. C’est une réelle avancée dans notre relation avec la nature car on reconnait en elle des vertus qui appellent à la résilience, la simplicité et la coopération dans un monde où la production s’industrialise à un rythme effréné pour devenir toujours plus complexe. Janine 36 37

MADEC, Philippe (2019, 08 février) L’invention de l’Architecture Frugale. [Conférence]. Le 308 Bordeaux. NAESS, Arne, Ecologie communauté et style de vie, Editions Dehors, 2013 p.153

ROLLOT, Mathias, Les Territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste, Editions François Bourin, 2018, p.221 38

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Fig. 8 Le pavillon Hygroskin exposé au Frac Centre Val de Loire en 2012 est une enveloppe inspirée du fonctionnement naturel de la pomme de pin. La réactivité de celle-ci face aux variations hygrométriques pour s’ouvrir ou se refermer a inspiré les concepteurs pour réaliser des ouvertures dans ces panneaux de bois. Le pavillon fonctionne à la manière d’un organisme vivant, il se ventile grâce au calibrage des écailles imitant celle de la pomme de pin. Cette innovation biomimétique se limite à la technique, empruntant à la nature sans lui laisser plus de place pour intéragir avec elle.

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Benyus met donc le doigt sur des caractéristiques du vivant, dont on devrait alors s’inspirer qu’elle traduit en neuf points : «1. La nature fonctionne grâce à l’énergie solaire 2. La nature n’utilise que l’énergie dont elle a besoin 3. La nature adapte la forme à la fonction 4. La nature recycle tout 5. La nature récompense la coopération 6. La nature parie sur la diversité 7. La nature valorise une expertise locale 8. La nature freine les excès depuis l’intérieur 9. La nature transforme les limites en opportunités.39»

Malheureusement, cet appel à un intérêt pour le vivant ne communique pas sur comment nous pouvons vivre avec. Malgré les bonnes intentions défendues par Janine Benyus, la notion d’imitation se confond avec la notion d’emprunt, l’échange n’est ici que dans un sens. On emprunte à la nature mais on ne lui rend pas. On cherche à la comprendre mais surtout pour l’utiliser dans un intérêt de production et d’efficience, elle devient un outil dans la continuité de notre expansion humaine. Au travers de la définition d’une possible pratique biorégionaliste de l’architecture, Mathias Rollot nous alarme donc sur les dangers de ces pratiques du vivant :

«[...][L’architecture biorégionale] pourra s’inspirer du vivant dans sa forme (biomorphique) ou dans ses structures et fonctionnement (biomimétique), gardant à l’esprit que ces processus ne sont que des moyens au service d’une fin qui est la cohérence avec le milieu, ses modes de fonctionnement, ses besoins et ses capacités propres (ce que ne garantissent pas nécessairement aujourd’hui les méthodes citées).40»

Cette recherche d’une balance de la technique a parfois été ambivalente. Le biomimétisme a continué à générer un regard distant avec les autres vivants, comme avec la mise en place de la HQE, pour se limiter à la technique pure et l’analyse scientifique.

Pourtant l’artefact technologique est nécessaire, il permet le lien entre la culture et les connaissances allouées à la nature pour son observation et sa compréhension. En effet, c’est au travers des innovations techniques que l’Homme s’est toujours construit pour aller toujours plus loin dans les découvertes et la recherche. Des outils sont donc nécessaires pour observer nos milieux mais ceux-ci doivent se limiter pour éviter de les maîtriser. Dans notre société où l’avancée technologique se développe sans précédent, l’artefact a pris une ampleur qui nous a mis à distance de la nature en nous divertissant par d’autres biais. Comme le dit Catherine Larrère il faut alors «trouver une conception de la technique qui ne soit pas oublieuse de la nature4.» C’est pour cela qu’aujourd’hui ces observations nous amènent à voir plus loin BENYUS, Janine, Biomimétisme : Quand la nature inspire des innovations durables, Rue de l’échiquier, 2011, p.22 39 40

50

Ibid. p.185


que le biomimétisme ou les normes censées améliorer nos rapports avec le vivant mais qui au contraire se contentent de l’imiter, de le contrôler et donc de le complexifier. Il faut alors s’intéresser à cet «environnement extérieur» décrit par de nombreuses normes et qui est encore mis au second plan d’un projet construit. L’environnement vivant d’un site de projet bâti est souvent considéré dans un second temps de la conception, en attendant de faire appel à des acteurs extérieurs comme des paysagistes, si l’appel d’offre le demande. Pourtant, notre rapport à la nature doit devenir plus accessible au quotidien. Aujourd’hui, la majorité des habitants vivent en ville41, il devient alors indispensable de questionner dans leur quotidien de citadin le rapport qu’ils peuvent entretenir avec la nature.

41

Insee, population française viavnt dans une unité urbaine de plus de 2000 habitants en 2017: 72,4%

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B. LA RÉSILIENCE POUR RÉTABLIR L’HORIZONTALITÉ AVEC LA NATURE : LE NOUVEAU RÉCIT DU VIVANT DANS LA VILLE

On a pu voir que la question de la technique est nécessaire dans notre rapport à la nature afin de pouvoir l’observer et la comprendre. Mais cette approche doit se renouveler et se mettre à jour pour s’éloigner de la maîtrise totale et rétablir une approche plus résiliente en adéquation avec le récent constat de l’Anthropocène. Comment ces outils, devenus quotidiens, doivent-ils être perçus dans la conception de la nature aujourd’hui et notre volonté de nous en rapprocher ? L’approche technique doit alors trouver un équilibre en laissant plus de place à la représentation sociale que la nature peut générer.

En effet, la présence du végétal présente un potentiel pour générer un lien social requestionnant ainsi la place de la nature dans notre culture. La ville devient un lieu avec de forts enjeux à ce niveau, où notre rapport à la nature est plutôt passif, faisant parti du décor. Aucune activité ne nous pousse réellement à partir à sa rencontre. Pourtant, quelques phases du passé ont ponctué notre façon de faire la ville créant des moments volontairement plus actifs de sa réinsertion dans notre quotidien. Historiquement, la présence des arbres en ville a pu être initiatrice d’espaces de vie publique. Philippe Rahm, architecte, écrit ainsi dans sa relecture de l’architecture à travers l’histoire naturelle que «[...]la qualité climatique de l’arbre précède la fonction publique.42». Dans cette analyse, il décrit que l’ombre fournit par l’arbre en ville a longtemps attisé les liens sociaux en devenant un lieu de regroupement à l’abri de la chaleur, plus ou moins symbolique. Progressivement, la voiture a grignoté l’espace public en ville, puis l’invention et le développement de l’air conditionné a rendu inaperçu le besoin de fraîcheur en ville. Ces innovations ont alors réduit l’arbre à son seul caractère esthétique, faisant passer la présence du végétal en ville sur un second plan. En 2020, il a été relevé que l’énergie dépensée par les climatiseurs l’été se rapproche considérablement de la quantité d’énergie utilisée en chauffage l’hiver43. Ce constat montre le développement considérable de moyens techniques liés au besoin de fraîcheur se faisant de plus en plus sentir. Aujourd’hui, on pourrait dire que ces formes de regroupement sous des espaces ombragés ont été substituées par la présence démultipliée de centres commerciaux climatisés, devenus refuges d’une ville étouffante l’été. Cette approche nous déconnecte pourtant de nos rapports à nos milieux vivants et ce contexte appelant à la surconsommation est illogique dans la volonté d’un futur plus durable. Le défi est alors de chercher comment pourrait-on réintégrer la nature dans nos villes du XXIème siècle ? L’approche destructrice des travaux hygiénistes de ces derniers siècles n’est plus une solution. La tabula rasa est un concept moderniste dépassé. D’un autre côté, Philippe Clergeau dans son étude de la biodiversité urbaine démontre que les villes sont devenues de réels écosystèmes à part entière

RAHM, Philippe, Histoire naturelle de l’architecture, Pavillon de l’Arsenal, 2020, p.65 Voir les graphiques du Bilan électrique 2019 publié en Janvier 2020 par le gestionnaire des réseaux de transport d’électricité français (RTE), p.81-82, URL : https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/syntheseles-faits-marquants-de-2019/ 42 43

52


que l’on connaît très peu44. Les phénomènes d’îlots de chaleur urbain, de présence de particules fines, de taux de dioxyde de carbone élevés et d’état des sols pollués sont si particuliers que ces paramètres ne sont similaires à aucuns autres biotopes classiques jusqu’alors observés. Par exemple, lors de la canicule de 2003, on pouvait évaluer une différence de 8°C entre le centre de Paris et sa périphérie45. Réintégrer la nature dans la conception de nos villes présentent donc plusieurs avantages. Tout d’abord, le métabolisme des arbres permet le stockage de dioxyde de carbone pour réaliser la photosynthèse et certaines espèces (principalement les résineux) fixent les particules fines. De plus, présents au sein des îlots de chaleur urbains, ils ont la capacité de refroidir la température grâce à un albédo élevé (entre 0,15 et 0,18). Additionné au phénomène d’évapotranspiration qui rejette de la vapeur d’eau dans l’air ainsi qu’à son ombre dans la journée, l’arbre devient un réel allié pour le confort urbain. Pourtant, des espaces de nature, tels que les friches urbaines, ne sont reconnues que depuis très récemment comme milieux de biodiversité. Le paysagiste Gilles Clément a été l’un des premiers à leur donner un regard renouvelé. Des lieux qu’on appelait communément «délaissés» sont renommés pour devenir le Tiers Paysage à travers un manifeste internationalement reconnu46. D’autres spécialistes de la biodiversité ont suivi, notamment Audrey Muratet avec un livre sur la Flore des friches urbaines publié en 2017 suivi du Manuel de l’écologie urbaine en 2019. La ville attire désormais toutes les attentions des chercheurs comme le témoigne la dernière publication de Philippe Clergeau en 2020 regroupant de nombreux témoignages, Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain. Une reconsidération de cette nature du quotidien réapparaît alors dans la recherche et dans nos paysages urbains. Là où cette approche reste peu questionnée, c’est sur la valeur sensible attribuée à la nature. Un végétal qu’il soit issu d’une forêt primaire, d’une plantation en bordure agricole, d’une friche industrielle ou planté en ville doit-il être apprécié de manière différente ? C’est cette représentation sensible du vivant, au-delà des paramètres techniques et scientifiques qui lui permette d’être préservé des actions humaines irrespectueuses telles que l’empiétement d’industries sur des terrains naturels ou sa négligence observée sur ces milieux. Une prise de conscience qui doit désormais voir plus loin que le monde de la recherche pour s’immiscer dans le quotidien des citadins. Un dens enjeux qui se présente pour demain est donc d’apaiser nos rapports avec la nature pour les renouer, afin que la végétation d’une forêt est la même représentation sensibles que celle en ville et les mêmes opportunités d’accès. Malheureusement, il est impossible d’imaginer de pouvoir compenser totalement nos émissions polluantes avec la végétation. Des calculs permettent de réaliser qu’il nous faudrait 276 arbres pour absorber l’empreinte carbone annuelle d’une personne, soit, par exemple 600 millions d’arbres pour les 2,2 millions d’habitant

CLERGEAU, Philippe, Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain, Apogée, 2020 45 Agence Parisienne du Climat, APC, «L’îlot de chaleur urbain à Paris – Un microclimat au cœur de la ville», 2013 44

46

CLÉMENT, Gilles, Manifeste du Tiers Paysage, Sens et Tonka, 2014

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de Paris47. L’idée est alors de ne pas rentrer dans une logique de réparation ni de compensation mais plutôt une logique de prévention. La nature en ville ne viendra pas réparer notre impact sur la Terre, mais elle devient médiatrice d’une nature holistique qui doit retrouver sa place au sein de nos fonctionnements humains. L’idée de cette recherche n’est pas de rentrer dans un débat technophile/technophobe mais plutôt de considérer que notre approche technique nous donnent accès à plus de savoirs, nous permettant d’avoir plus de temps disponible afin de développer des relations plus équilibrées avec la nature et en prendre soin. C’est une nouvelle co-relation où l’Homme prend définitivement conscience de sa présence dans les écosystèmes vivants. Pour autant, cette position à l’intérieur du système ne nous impose pas de revenir aux technologies antérieures. Au contraire, il faut faire avec ainsi qu’avec le développement de nos centres urbains. Par la technique vient aussi l’intérêt pour la découverte de ces nouveaux écosystèmes profitant d’un contexte souvent plus chaud et plus riche en CO2.

Aujourd’hui, quels sont ces acteurs de la conception qui doivent prendre le relais de la recherche pour accompagner le retour du vivant en ville ?

Le récit du vivant aujourd’hui dépasse donc le biomimétisme, car ce n’est pas s’inspirer et copier le vivant mais bien faire avec. Comment pourrait-on dépasser ce paradoxe ? Une hypothèse se dessine alors : nous rapprocher du vivant pour le comprendre nous permettrait de poursuivre le récit écologiste marqué par ce nouveau constat de l’Anthropocène. Comment pouvons-nous alors éveiller un désir collectif de nature ? 47

54

Op. Cit. RAHM p.162


55



D E U X I È M E PA R T I E

Le cas de l’agence SLA en Scandinavie : une ambition d’intégration de la nature partagée par les habitants, les politiques publiques et les concepteurs de la ville (A NEW KIND OF NATURE: NATURE AS COLLECTIVE INTELLIGENCE) «What holds the Nordic countries together as a region while at the same time keeping them apart as individual countries?» Finn Arne Jørgensen, Unnur Birna Karlsdóttir, Erland Mårald, Bo Poulsen et Tuomas Räsänen, «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, 2013

Fig. 9 «På vei ut» Poster designed for the future move of the Munch Museum in Oslo to a new building. An exhibition is being held in this honour «Edvard Munch and Nature», here you can see a famous canvas by the Norwegian painter «Apple Tree in the Garden» done between 1932 and 1942.


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CHAPITRE 01

UN CONTEXTE CULTUREL FAVORABLE À LA PROXIMITÉ AVEC LA NATURE

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Bymarka

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Fig. 10 Vue aérienne de Trondheim intégrant le parcours décrit p.55, Norvège, 2020 60

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Centre historique


Bymarka

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Centre historique

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Fig. 11 Plan de Trondheim intégrant le parcours décrit p.55, Norvège, 2020 61


Photos 0 à 10 du parcours du centre historique de Trondheim à Bymarka, 2020 (1) Fig. 12

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A. LA SCANDINAVIE, SYMBIOSE ENTRE NATURE ET CULTURE

J’aimerais introduire l’étude de ce contexte par la découverte de ce lien sensible que les scandinaves attachent à la nature. En effet, c’est un rapport quotidien avec elle que j’ai pu découvrir durant plusieurs séjours au Danemark et en Norvège et notamment à Trondheim, troisième plus grande ville de Norvège, lors d’un échange universitaire. À travers une balade du centre historique vers la montagne nous comprendront les transitions reliant ces paysages. Le soleil se lève aussi en Scandinavie.

C’est un dimanche ensoleillé à Trondheim et toute la ville se retrouve dehors dans les rues. Depuis le centre historique on croise des habitants équipés pour la montagne, contrastant avec l’atmosphère plutôt stricte en semaine. Des groupes se forment au fur et à mesure et se retrouvent sur le parcours, avec toujours en trame de fond la perspective de la montagne. (1) 12h08 On s’engage au début du parcours sur une première route qui nous amène des tours du centre-ville aux maisons collectives de plein pied. Seul le sol sous nos pieds devient moins lisse. (2) 12h12 Puis nous continuons sur un chemin, cette fois ci, réservé aux piétons, le son de la voiture se fait moins présent. Les codes de la ville se font encore sentir, le chemin est aménagé de mobilier urbain accompagnant la promenade, spécifiant des lieux d’intérêts. (3) 12h14 Une route est traversée, marquant une nouvelle étape. (4) 12h18 On se retrouve sur un sentier, où un escalier comme seul aménagement guide le promeneur vers la montagne. Pendant sa montée, on aperçoit à travers le feuillage des formes floutées de la ville au loin. (5) 12h20 Une nouvelle route traversée indique la continuité du parcours vers une forêt plus dense. Le chemin est largement pratiqué, le sol est remué. (6) 12h30 Puis une plaine se dégage, quelques maisons, mais les chemins sont plus informels. (7) 13h00 Le parcours continue de monter dans une forêt toujours plus dense, les arbres sont bien plus grands la lumière passe à peine à travers. (8) 13h30 Enfin, un lac, une plus grande perspective sur le paysage qui nous entoure. (9) 13h45 On prend de la hauteur, les premiers givres sont visibles, nous voilà au sommet. (10)

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Introduire la culture Scandinave est un prérequis à l’analyse de mon cas d’étude. En effet, pour comprendre comment la nature a réussi à se frayer un passage dans la construction des grandes villes nordiques l’hypothèse, est que, d’une certaine manière, sa force culturelle permet une forme de persistance dans son existence. Il faut alors comprendre quelle importance elle prend dans le rapport quotidien avec les habitants.

Les pays nordiques, plus communément appelés Norden par ses habitants, forment une région constituée des pays suivants : le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Islande. Des pays qui ont été plus ou moins liés à certains moments de l’histoire, partageant des racines communes, toujours perceptibles aujourd’hui. D’abord unis par l’ère viking, puis, par des choix de gouvernance qui ont progressivement créé des unions et des annexions pour finalement clamer leur indépendance et former les pays que l’on connaît aujourd’hui. Ces croisements historiques ont permis le développement d’une forme de culture commune qui entraîne alors de nombreuses similarités. Effectivement, plus qu’une histoire commune, c’est aussi une géographie et un climat assez rude résultant d’une proximité avec le cercle polaire arctique, qui les unis et par conséquent forment leurs modes de vie. Un témoignage que l’on retrouve notamment dans les récits de Charles Rabot, explorateur et scientifique, après ses nombreuses expéditions dans le grand Nord. Géographe de métier, il conte de manière très descriptive et précise cette nature si particulière qui forme des paysages et des villes, si caractéristiques à ces modes de vie. Après quelques lectures d’anthropologues renommés, une grande partie de leurs travaux est orientée sur les populations d’Amérique ou d’Asie, mettant en lumière la structuration de leurs relations avec la nature. Les travaux sur les cultures occidentales restent assez récents, comme les travaux précédemment cités de Catherine et Raphael Larrère ou encore de Marylin Strathern en Angleterre. C’est donc avec surprise que le sujet Scandinavien n’est que peu abordé, et pourtant il représente un cas d’étude d’intérêt. En effet, ce sont dans ces pays que les efforts pour une réintégration de la nature et le soin apporté à sa défense sont remarquables et plutôt bien acceptés par la population. Un constat réalisé récemment par un regroupement de chercheurs nordiques dans un article scientifique : Entangled Environments : Historians and Nature in the Nordic Countries1, où ils tentent pour la première fois de retracer sur le temps long certains liens entre l’histoire de ces pays et l’histoire de la nature. Un sujet qui ne fait pas l’objet d’une publication papier pour un large public. Cependant, après une immersion pendant plus d’une année dans cette culture nordique, enrichie d’entretiens avec les habitants, quelques pistes permettent de répondre à cette hypothèse présentée par Finn Arne Jorgensen dans leur papier «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, 2013, écrit par : Finn Arne Jørgensen (professeur en histoire environnementale norvégien), Unnur Birna Karlsdóttir (chercheuse en histoire islandaise), Erland Mårald (professeur en historie des sciences et des idées suédois), Bo Poulsen (professeur en politique et sociétés danois), et Tuomas Räsänen (professeur en histoire environnementale et sciences finlandais). 1

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cité ci-dessus : «What holds the Nordic countries together as a region while at the same time keeping them apart as individual countries ?2»

Dans un premier temps on retrouve un lien inscrit dans leur langage, témoin alors d’une histoire et d’une culture commune. En effet, le langage est un témoin indéniable d’un lien culturel, forme d’expression et de communication d’une pensée partagée. Philippe Breton, sociologue, en témoigne dans son livre L’éloge de la parole :

«Dès qu’il y a parole, il y a société, c’est-à-dire la mise en œuvre par un groupe d’individu d’actions coordonnées. Différenciées et planifiées, en vue de se représenter ou d’intervenir sur le monde, sur le groupe et sur lui-même. La spécificité de l’homme, à la différence des animaux, est qu’il est obligé de ‘‘faire société’’, qu’il lui faut faire un effort, un travail, une intervention délibérée pour maintenir une cohésion sociale.3»

Le langage est un des éléments qui lie le peuple scandinave en partageant une origine commune. La faible densité de population au regard de l’immensité de ces pays a permis, pendant très longtemps, la coexistence d’une multitude de dialectes spécifiques à chaque région, voir à chaque hameau. Cette multitude de langages parlés a fait prendre du retard sur l’établissement d’une écriture officielle partagée de tous. Jenna Coughlin, professeur en littérature norvégienne, constate alors que ce retard a permis aux peuples scandinaves de conserver une forme de culture originelle à la nature grâce à un vocabulaire quotidien et précis témoignant de chaque région4. C’est ce qui fait toujours aujourd’hui leur richesse lexicale à propos de la nature. En effet, elle rappelle que le développement des sciences naturelles au XIXème siècle, marqué par le système de classement en latin proposé par Linné, portait alors une forte influence de l’histoire latine et de son rapport de domination à la nature. Cette classification induisant une forme de simplification n’a pas eu d’effet sur leur langage. Les scandinaves ne voulaient pas se voir imposer un langage unifié et commun. Aujourd’hui encore en Norvège, deux langages écrits sont reconnus au niveau national : le bokmål et le nynorsk. L’art de la philologie, utilisé par Yann de Caprona, permet de révéler l’origine du lexique scandinave à travers l’étude de sa langue et de sa littérature. Une analyse étymologique du champ lexical de la nature présentée dans son livre Etymologisk Ordbok, nous fait découvrir que le nombre de mots pour décrire l’environnement qui les entoure est bien plus large que dans les langues d’origine latine.

L’origine de ces mots trouve des liens avec le corps humain. On peut voir par le biais de cette représentation graphique (fig.13) que les étymologies de ces mots sont relatifs à la géographie de leur environnement. On peut en déduire que les scandinaves voient la nature comme une extension de leur propre corps. On notera par exemple «kne» pour le genou, exprimant un virage serré sur le fjord, la JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T., «Entangled Environments: Historians and Nature in the Nordic Countries», Historisk Tidsskrift, 2013, p.28 2 3

BRETON Philippe, Éloge de la parole, La Découverte , 2003, p.102

DEGERMAN P., HENNIG R., JONASSON AK., Nordic Narratives of Nature and the Environment, Lexington Books, 2018, p.14 4

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Fig. 13 Figure représentant les mots norvégiens géographiques tirés du corps humain.

rivière, la vallée ou autres; une crête étroite. Aussi de nombreux noms commun font référence à des éléments naturels. Par exemple l’épicéa en norvégien se dit «gran» et signifie aussi une moustache. Ou encore de manière plus générale, le mot «trau» qui représente un objet en bois pour conserver la nourriture en hauteur est dérivé de «tre», signifiant arbre. Aujourd’hui encore, le danois, le norvégien et le suédois malgré quelques différences culturelles partagent toujours une langue commune, compréhensible par tous. Les accents restent alors une des seules marques de différenciation entre ces régions. 66


La religion est aussi un biais qui a permis à la nature de conserver une place dans les sociétés scandinaves. Que ce soit des religions d’envergures nationales communes aux pays nordiques majoritairement protestants, mais aussi des formes de religions plus localisées, comme celles du peuple Sami. Au regard du travail de définition de Descolas, on peut déduire que le peuple Sami, avant sa christianisation forcée était animiste, ils voyaient dans les montagnes, les rochers et les lacs une âme. Ces éléments culturels historiques ont alors formé la manière de transmettre le savoir. On retrouve dans l’éducation ce désir de nature. Dès leur plus jeune âge ces habitants sont sensibilisés à la présence de la nature dans leur environnement à travers la promenade, le sport et surtout à travers l’éveil de leur sens à son contact. Dans une interview avec un étudiant norvégien il témoigne : «First we have a lot of activities in relation to nature. We usually have «turdag» hiking day, once a week from about 1 years old to 13 years old. In a more general point of view in kindergarden you are outside everyday, all year, no matters the weather outside. Also «Leirskole» where you spend one week on sort of a camp in primary school and a «skidag» once a year where you go skiing with the all class. Then, in high school you can choose «hiking» as a class, just like math or physics.5».

Cet intérêt et ces connaissances pour la nature notamment encouragée par l’éducation dès le plus jeune âge font que les savoirs sur les éléments naturels sont transmis de manière officielle et encouragent à les explorer. En effet, à travers cette éducation est transmise l’importance pour le corps et le mental de se retrouver au contact de la nature. Les dangers, quels que soient les milieux sont alors bien connus de tous : baies sauvages, avalanche, glace… Cette inscription historique se manifeste aujourd’hui dans la culture à travers les manières d’appréhender et de parcourir les espaces au quotidien. Un des exemples les plus emblématiques est le droit à la nature : Allemansrätten, inscrit dans la constitution. Ce droit donne aux citoyens suédois, norvégiens et finlandais la liberté de profiter de la nature et de ses fruits indépendamment du droit à la propriété. Ils peuvent donc traverser des terrains privés et publics afin de profiter de la nature et de ses paysages, propriétés de tous. Cette approche culturelle de la nature se traduit spatialement par des espaces et terrains libérés de clôtures dans le paysage. Cela évite la formation de barrières physiques qui sont aussi souvent barrières d’un développement de la biodiversité. Cette liberté de mouvement est bien évidemment associée à un respect des terres traversées. Un droit qui fait écho et s’inspire de la culture Sami. Aujourd’hui, la distraction due à certains artefacts comme la motoneige, laissant des traces sur leur passage vient éroder ce discours culturel. Bien qu’ils considèrent toujours vivre dans les territoires du vivant et non le leur, il ne faut alors pas laisser de traces qui viendraient modifier le lieu d’origine, vierge de tout passage6. Ces éléments de recherche nous montrent alors que ce lien culture/nature dans les pays nordiques est majoritairement entretenu par une pensée collective plutôt qu’individuelle. Catherine et Raphael Larrère en font une condition importante à 5

Propos tirés d’un entretien avec un étudiant norvégien réalisé en novembre 2020

Propos tirés de discussions avec un norvégien ayant voyagé de nombreuses fois en terres Sami, réalisé en juillet 2020 6

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l’entretien d’une partie de la culture dans une société7. Cette culture de la nature prend alors toute sa force dans ce rapport collectif entretenu par l’histoire, la religion et le langage. En effet, cette connaissance n’est pas seulement transmise par l’individu mais par le collectif, un lien plus fort qui renforce la culture de la nature dans la société. Plus que savante, la nature est reconnue comme une culture vivante et active qui habite leur vie quotidienne. Ainsi en témoigne le tableau norvégien le plus reconnu dans leur histoire de l’art, Brudeferd i Hardanger («Procession nuptiale sur le Hardangerfjord»), mettant en scène une célébration de mariage dans un fjord. Le respect de la nature pendant la chasse et la cueillette est aussi un savoir qui se transmet. L’architecte norvégien Sverre Fehn dit à ce sujet : «[...] in Norway our relationship with nature is an active one, we escape into it as often as we can.8»

C’est aussi un constat réalisé lors de discussions qui animaient les échanges avec les étudiants pendant les cours à la NTNU ou pendant nos excursions sur des sites de constructions. À titre d’exemple, au cours d’un séjour à Nyksund, afin de réaliser des projets urbains pour cette ancienne ville de pêcheur devenue lieu d’intérêt touristique, les habitants nous ont invité à participer, le temps d’une journée, au rassemblement des moutons de montagnes en préparation de l’hiver. Sami Rintala, professeur et architecte d’origine finlandaise s’étant établi en Norvège témoigne : «What is important in this regard is not only that we respect nature, but also that nature has to be harvested ; it is the source of everything we use in our living. Nature is not a museum, but an active counterpart. We need to be good gardeners more than either mere constructors or, at the other extreme, guardians of a holy relic.9»

Cette forme de culture commune leur permet alors de rentrer dans un effort de transition plus aisément. En effet, partagée de tous, l’idée de prendre soin de la nature et de la préserver face aux changements climatiques et la crise environnementale rentre plus facilement dans les mœurs. Ce n’est pas un hasard si Arne Naess, philosophe norvégien, internationalement reconnu, fut un des premiers à aborder le sujet écologique de façon plus approfondie. Un concept qui a d’ailleurs été remis en question par Luc Ferry, le considérant comme une «écologie nazie10». Cette incompréhension est sûrement un témoignage d’une différente vision de la nature qui ancre l’Homme dans la nature en Scandinavie depuis longtemps. Arne Naess voit dans cette culture partagée une condition à la préservation de la nature et au care à travers le maintien de ce lien culture/nature : «En nous identifiant à de plus grands touts, nous prenons part à la création et au maintien de ce tout11».

Il faut aussi rappeler que ces pays sont loin d’être futuristes dans la façon de voir LARRERE, Catherine et Philippe, Penser et agir avec la nature : Une enquête philosophique, La Découverte, 2018, p.79 8 ALMAAS, Incerid Helsing, «Interview with Sverre Fehn», Artscape Norway, 18 septembre 1997 7

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MARTA, Dan, Artscape Norway, Jaroslav Fragner Gallery & Architecture, 2016, p.37-41

Propos relevés par FILIPO, Fabrice, «Arne Næss et la deep ecology : aux sources de l’inquiétude écologiste», HAL, 2010, issus du livre de FERRY, Luc, Le nouvel ordre écologique: l’arbre, l’animal et l’homme, 1992, p.156 10 11

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NAESS, Arne, Une écosophie pour la vie: introduction à l’écologie profonde, Seuil, 2017, p.20


l’écologie. Même si Copenhague est une capitale en passe d’être la plus verte, le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège restent des pays qui depuis longtemps s’appuient sur une économie pétrolière et minière. On notera que la transition écologique est tout de même enclenchée dans ces pays. À titre d’exemple, la Norvège développe de nombreuses industries de recherches dans le domaine du bois pour préparer cette transition. D’une certaine manière, ces pays profitent des économies pétrolières et minières pour financer leur transfert vers de nouvelles économies plus vertes. Mon but ici n’est pas de faire état des avancées écologiques de ces pays, mais d’établir comment cette proximité culturelle qu’ils entretiennent avec la nature leur permet consciencieusement et sans protestation d’enclencher une démarche plus écologique.

Ces réflexions et analyses de l’histoire environnementale et de la culture de la nature en Scandinavie sont longtemps restées en retrait de la scène mondiale qui était notamment occupée par les Etats-Unis depuis le XXème siècle. C’est un constat des chercheurs nordiques, de nombreuses conférences et publications rédigées dans des langues locales n’ont pas facilité l’intérêt et une diffusion à plus grande échelle. Ils retiennent pas moins de sept sommets qui ont été organisés entre 1991 et 2005 en Scandinavie et plus de 700 publications qui ont pourtant été portées au Danemark entre 1993 et 200212. L’avancée aveugle du reste du monde a fait que leurs politiques environnementales de ces pays semblent soudaines mais résultent d’un très grand travail de fond depuis plusieurs décennies. Quand bien même le Danemark possède une géographie bien moins contrastée que ces confrères nordiques, cette culture reste présente dans leur quotidien. Il est d’usage de se rendre dans sa cabine, appelé hytte le weekend et les vacances, souvent située au bord de la côte ou même dans le sud de la Suède.

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Fig. 14 Brudeferd i Hardanger, Tideman Adolph et Gude Hans Frederik, 1948

Op. Cit. JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T, p.13

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Fig. 15 Carte illustrée de la ville d’Helsinki émise en 1970 par Malev Hungarian Airlines, on peut y voir la forte présence de l’industrie portuaire dans les quartiers de Jätkäsaari, Ruoholahti et Hernesaari au sud ouest bordant le golf de Finlande.

Fig. 16 Plan réalisé par Frédéric Bonnet dans le cadre d’un workshop à Helsinki, cette carte représente l’implantation des nouveaux quartiers et projets à Helsinki depuis les années 90. On y retrouve les quartiers anciennement portuaires : Jätkäsaari, Ruoholahti qui ont été reconvertis depuis les années 1980. 70


B. COPENHAGUE, UNE VILLE LABORATOIRE DE LA NATURE URBAINE

Copenhague est reconnue aujourd’hui sur la scène mondiale de l’écologie grâce à la transition menée par le gouvernement vers des transports doux afin d’éliminer la voiture des centres-villes. Le développement du vélo fait aujourd’hui parti du quotidien des habitants de Copenhague. Pourtant, la transition écologique est amorcée depuis le XXème siècle grâce à une planification urbaine aérée, appelée Finger Plan qui laisse place à la nature en ville, tout en reliant ses quartiers aux transports en communs.

En effet, le constat exposé dans la première partie est un constat exposé à l’échelle mondiale. C’est alors les choix de gouvernance de chaque pays qui vont faire la différence et qui créent aujourd’hui un écart dans l’engagement écologique. Frédéric Bonnet nous rappelle à travers un entretien que «les pays nordiques n’ont pas été plus vertueux que nous sur la question de la transition écologique des années après-guerre jusqu’aux années 8013». C’est donc seulement à la fin des années 1970, après déjà de nombreuses alertes sur l’impact destructeur de nos modes de vie sur la planète, et suite à la publication remarquable du rapport Limit of Growth initié par le MIT en 1970 que les pays nordiques décident de prendre un virage à 180 degrés dans la gouvernance de leurs pays. Ce rapport, dirigé par les scientifiques Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jørgen Randers, et William W. Behrens III, expose alors au monde entier, grâce à des algorithmes, que notre biosphère a une capacité limitée à absorber la croissance démographique, la pollution, la production et donc la croissance économique en général. C’est alors la première fois que des notions de développement durable sont proposées. Les pays nordiques deviennent très actifs sur la scène mondiale de l’écologie. Les nations unies tiennent leur première conférence sur l’environnement à Stockholm en 1972, plus connue sous le nom de «Sommet planète Terre». Stockholm, capitale de la Suède, prend alors une place emblématique à l’échelle du monde, alors que les pays nordiques sont reconnus pour leur discrétion dans les discussions politiques mondiales. En effet, cette conférence inaugurale permet de mettre à l’écrit vingtsix principes dans le domaine de l’environnement et est l’initiateur de la création de ministères de l’environnement dans plus de cent pays, alors qu’ils n’étaient présents seulement dans dix pays14 auparavant. Assez rapidement, les pays nordiques ont engagé un changement radical de stratégies politiques et urbaines. Les politiques mettent fin au développement urbain et planifient alors un développement de la ville sur la ville avec une stratégie foncière pour repenser les anciens établissements portuaires. En effet, ces pays ont basé pendant longtemps leur économie autour de cette industrie. Leur but est alors de développer une ville nature à proximité des centres historiques en alternative à l’étalement urbain. Frédéric Bonnet nous fait part qu’en repensant les modèles urbains ils n’ont pas contraint les habitants à abandonner leur désir de nature et d’espaces extérieurs plus facilement atteignables à la campagne. Au contraire, 13

Propos tirés d’un entretien réalisé avec Frédéric Bonnet en septembre 2020

CLARKE, Robin et TIMBERLAKE, Lloyd, Stockholm plus ten — Promises, promises ? The decade since the 1972 UN Environmental Conference, Earthscan, 1982 14

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Fig. 17 Plan du Fingerplanen d’origine édité en 1947 par la ville de Copenhague.

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Fig. 18 Etats des lieux du Fingerplanen aujourd’hui réalisés par SLA en 2019 dans le cadre d’une proposition pour le futur du Fingerplanen.


ils ont intégré ce désir de nature au marché urbain de manière très libérale en développant des quartiers répondant à ces attentes. Ces pays ont alors développé très tôt des quartiers proposant un rapport à la nature généreux, avec des grands parcs, des systèmes de liaisons douces performantes et des emplois à proximité afin d’éviter l’utilisation de la voiture. À Helsinki, à travers un plan réalisé par Frédéric Bonnet, on remarque que ce sont les archipels anciennement dédiés au transport maritime qui entament leur reconversion dès 1980 (fig.15 et 16).

De son côté, Oslo, intègre ces mêmes années une administration dédiée à la programmation environnementale locale au sein de son secteur urbanisme. Le travail avancé par le gouvernement a été poussé jusqu’à établir une loi «Markaloven» en 2009, stoppant la progression urbaine aux limites de la forêt qui l’entoure. Ces dynamiques observées dans les pays nordiques sont engagées dès les années 1980. En France, ce sont des dynamiques plutôt récentes. Pourtant, des initiatives timides telles que la Métropole-Jardin dans le bassin de la Loire a été engagée dès 1975, mais ce projet est abandonné et la volonté de maîtriser l’étalement urbain est supplantée par le schéma régional de croissance industrielle. Ce contreexemple nous montre alors, qu’à la même époque en France, «la planification suit les besoins de l’économie et non l’inverse.15» En Scandinavie, ce changement de gouvernance s’est accompagné de recherches pionnières dans l’analyse de l’histoire environnementale et des sols. Thorkild Kjærgaard, historien danois, découvre en 1991 que le Danemark doit sa crise à une surexploitation des sols au XVIIème et XVIIIème siècles16. Pendant longtemps cela a fait souffrir les exploitations agricoles et par conséquence la société danoise. Il fait alors le constat que le sol est un élément naturel qu’il faut préserver afin de garantir un développement de la biodiversité. Cela renforce alors l’idée de l’importance de la maîtrise de l’étalement urbain. Ce rapprochement réalisé par les historiens et scientifiques permet, à travers l’analyse des processus historiques, de comprendre les conséquences des actions dans lesquels l’Homme a domestiqué la nature. Ces méthodes d’analyses sont apparues pour la première fois dans l’histoire de l’environnement scandinave17.

Aujourd’hui, le Finger Plan de Copenhague, pensé dès 1945 (fig.17), a permis de maîtriser ce développement urbain tout en préservant la nature en ville, accessible en cœur de ville mais aussi en transport en commun. Précurseur, ce Finger Plan a été dessiné par les architectes Peter Bredsdorff et Sten Eiler Rasmussen. L’idée derrière le travail de ces architectes était de pouvoir assurer à la future population en frange de la ville un accès à la nature. À l’époque, un tiers des habitants du Danemark habitent à Copenhague. C’est donc un plan emblématique dans l’histoire urbaine 15 16

BERRY Lucas, ZANINETTI Jean-Marc, «Qu’est la Métropole-jardin devenue ?», Norois, 2017, p.83-96

Op. Cit. JØRGENSEN F., KARLSDOTTIR U., MÅRALD E., POULSEN B., RÄSÄNEN T., p.21

JØRGENSEN, Dolly et SÖRLIN, Sverker, «Making the Action Visible - Environing in Northern Landscapes», in Northscapes: History, Technology & the Making of Northern Environments, University of British Columbia Press, 2013 17

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Fig. 19 Espace public caractéristique de la ville de Copenhague, avce la piste cyclabe sur la droite. A gauche, une école avec une cour arborée ouverte sur la rue.

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de la ville car il a été suivi pendant plus de soixante ans dans son aménagement. Un temps relativement long quand on voit aujourd’hui les initiatives de masterplan qui se succèdent sans se compléter à l’échelle des villes. Dans le Finger Plan de 1945, le creux de la main représente le centre historique de Copenhague et les doigts les espaces dédiés à une future urbanisation et la construction de nouveaux quartiers. Ces coulées vertes préservées participent toujours au confort urbain avec de larges espaces de nature récréative et à un sentiment de proximité avec la nature de manière plus général. En effet, le gouvernement a su protéger du développement de la ville ces espaces en y interdisant la construction et en créant des espaces protégés. La conscience et l’intérêt de la nature dans le paysage urbain continuent de se développer dans le programme politique de la ville. D’une part elle demande la participation des agences de paysage et d’urbanisme sur les questions d’écologie dans tous les concours, ainsi que dans la planification et le renouvellement de quartiers.

Cette façon d’appréhender la nature à l’échelle de la politique de la ville laisse place à des initiatives remarquables telles que l’outil Vild Mad (nourriture sauvage) qui incite à explorer la végétation présente à Copenhague à travers un parcours sur le thème de l’alimentation. Des experts renseignent les habitants à travers les réseaux sociaux mais aussi à travers l’organisation d’événements. Ce dispositif permet de comprendre la nature parcourant et entourant la ville de Copenhague et constitue un biais pour recréer une forme de proximité avec celle-ci. D’autre part, cette implication se traduit dans le mise en place de programmes politiques et urbains comme Natur I Byen (Nature dans la ville) avec un objectif pour 2025 d’accroître la végétation en ville au cœur des projets urbains. Cette opération a pour but d’augmenter le bien-être et réduire les risques climatiques comme les inondations ou le réchauffement. Ce programme lancé par le gouvernement s’intéresse autant à l’aspect sensible de la nature qu’à son aspect physique. En effet, leur but d’ici 2025 est d’obtenir au même moment 75% d’habitants percevant Copenhague comme une ville verte au même titre qu’un résultat de 100 000 arbres plantés18. Ce programme fait suite à un constat réalisé en 2009, avec une analyse des espaces de nature en ville déjà présents et la définition d’objectifs permettant de créer des corridors écologiques entre ces espaces, réels puits de biodiversité. Ce programme met donc en avant une des volontés souhaitées par le Finger Plan qui est de ne pas créer de différenciation entre la nature urbaine et la nature sub-urbaine. En effet, la nature urbaine est la nature que les habitants voient tous les jours à pied, à vélo ou en bus; la nature quotidienne, qui ne doit en aucun cas être moins prioritaire que la nature extérieure ou aux abords de la ville. Mais, en dessous de ces sols minéralisés comment recréer la nature urbaine ?

Danemark, Technical and Environmental Administration, «Urban nature in Copenhagen- Strategy 20152025», Copenhague, 2015 18

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CHAPITRE 02

L’AGENCE SLA ET LE CONCEPT DE NEW NATURE : LA NOUVELLE NATURE URBAINE

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A. STIG LENNART ANDERSSON, INITIATEUR DE LA NEW NATURE

On a pu voir que la ville de Copenhague a mis en place des actions urbaines fortes en faveur de la nature dès les années 1950. Une ambition qui se perpétue aujourd’hui avec un nouvel objectif pour 2025. Cette forme de recul sur la présence de la nature dans la ville et ses abords, couplée à sa culture scandinave, où on découvre une proximité historique avec elle, nous permet donc d’observer une évolution de la culture environnementale. On peut alors se demander comment et grâce à quelles figures humaines cette culture se nourrie et évolue afin d’entretenir une forme de proximité à la nature dans le quotidien des habitants tout en redonnant une place aux écosystèmes en ville ?

Aujourd’hui, plus que de protéger de l’urbanisation des espaces naturels existant comme l’a permis le Finger Plan au cours de ce dernier siècle à Copenhague, il est question de recréer des écosystèmes en ville, où la minéralisation a déjà pris le dessus. En 2019, lors d’une rencontre, l’adjointe à l’environnement de la mairie de Copenhague, nous a démontré pourquoi c’est un désir très tôt motivé par les politiques. La ville est sujette de plus en plus régulièrement aux inondations ce qui inquiète les habitants et les décideurs. Plutôt que de se battre contre les éléments il devenait nécessaire de les intégrer dans les raisonnements pour faire la ville. C’est alors la genèse de SLA, agence de stratégie urbaine et paysagère basée à Copenhague depuis 1994. Stig Lennart Andersson, son fondateur, s’appuie sur cette proximité culturelle de la nature en Scandinavie, dont il a conscience, pour en devenir cocréateur. La notion de création est ici loin de faire écho aux notions bibliques qui ont construit les courants religieux. Cette envie de participer activement à la nature de demain fait suite au constat des paysages de l’Anthropocène qui jalonnent notre planète. Des paysages qui construisent aujourd’hui nos quotidiens, où il n’est plus possible d’ignorer la présence de l’Homme dans ces mécanismes. Ce premier constat a donné naissance à l’un des projets emblématiques pour l’agence, comme celui pour la ville de Fredericia au centre du Danemark. Le projet a d’abord consisté à la mise en valeur du vivant, préservé, suite à la déconstruction d’une ancienne usine. Une première phase d’observation approfondie a permis de reconnaitre un déjà-là, particulier à cette friche industrielle, paysage de l’Anthropocène. Le projet révèle une esthétique qui ne repose pas sur l’aspect de cette «nouvelle nature» mais plutôt sur comment elle est ressentie par nos sens. Le sens du mot esthétique ici s’émancipe de son apparence. Elle interroge les énergies qui véhiculent lorsque la nature interagit avec le corps humain. Ainsi l’esthétique du vivant prend racine dans les sens qu’elle permet d’éveiller à son contact : le toucher, l’odorat, l’ouïe, le goût et la vue. Des expériences sensibles que l’agence a pu démontrer par la suite en 2014 lors de la biennale de Venise avec l’exposition nommée «Empowerment of aesthetics19». Ainsi, l’expression de nos sens est misent au premier plan pour le visiteur, habituée à être plutôt secondaire dans nos quotidiens en ville. ANDERSSON, Stig L., Empowerment of Aesthetics, Catalogue for the Danish pavillion at the 14th international architecture exhibition La biennale di Venezia, 2014 19

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Fig. 20 Salle recouverte d’écorces d’arbre pour la biennale de Venise, 2014

Toutes ces questions révèlent un concept fondateur pour l’agence, la New Nature, qui repose sur des valeurs transversales. À l’image du projet de Fredericia : l’enjeu des friches industrielles en cœur de ville à travers la révélation de cette nature quotidienne nous montre la volonté de réunir le rationnel et l’esthétisme. Ce concept avancé par le fondateur fait appel à des notions croisées : philosophiques, scientifiques et artistiques. Des champs d’explorations qui ne sont pas anodins au regard du parcours de Stig Lennart Andersson. Avant d’obtenir son diplôme d’architecte à la Royal Danish School of Architecture en 1986, il étudie les sciences à travers le prisme de la physique nucléaire et quantique puis la chimie. En parallèle, il suit aussi des cours sur la culture japonaise et son art qui le mèneront à un séjour d’étude de trois ans sur place. Cette immersion lui permettra de mettre au jour des questions mettant en relation la culture japonaise au temps et à l’espace. Une influence qui continue de nourrir son travail aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard, si la culture de la nature au Japon lui a fait écho à la culture scandinave, ces deux cultures se rejoignant sur de nombreux principes notamment dans son respect et dans son soin. Après son séjour au Japon, il constate que sa vision de l’architecture issue de sa formation a évolué : de la forme pour la forme vers la versatilité des choses et de leurs processus. Dans une interview il s’intéresse à la temporalité qui anime les japonais et les contrastes dans leurs quotidiens : «People worked hard and made more and more money, and yet you see the classic «white collar» with a dark suit, whose day is totally scheduled from morning to evening. He has to go in and perform at his workplace, but still he passes the temple in the middle of Tokyo, takes off his shoes and sits down with the folder by his side and looks at the stone garden for half an hour. He must have stimulated his senses with an aesthetic sense of nature before entering the rational world and performing. We do not do that in Scandinavia, but that is what I want people to

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Fig. 21 Coupe et plan du jardin personnel de Gudmund N. Brandt, 1930

experience. Pure nature and tranquility. Otherwise you can not perform20.»

Ces références qui ont fait naître la théorie de New Nature sont à l’image de la transdisciplinarité du parcours de Stig Lennart Andersson : Niels Bohr, physicien de la mécanique quantique, Asger Jorn, artiste danois, et Gudmund Nyeland Brandt, architecte paysagiste. Ces références lui permettent de mettre en perspective la manière de voir les choses et leur complémentarité. D’une part, le rationnel scientifique et de l’autre le sensible artistique faisant alors écho de leur complémentarité, notamment à travers le travail de l’architecte paysagiste Gudmund Brandt. Stig Lennart Andersson témoigne du travail emblématique de Brandt pour son jardin personnel : «In Brandt’s Own garden we can see this complementarity perspective. Looking at the site plan, we see a kind of new nature in which there is also is a built construction. There is a radically new way of using nature and building: The building no longer defines how the garden composition should be: the house is an integral part of the garden as an equal part of the spatial composition. The hierarchy of architecture is dissolved and a new model for planning and architecture is devised.21»

ANDERSSON, Stig L., «Stig L. Andersson: Alt det vi ikke kan måle og veje», Byggeri arkitektur, 27 octobre 2015 20

ANDERSSON, Stig L., Empowerment of Aesthetics, Catalogue for the Danish pavilion at the 14th international architecture exhibition la biennale di Venezia 2014, 2014, p.37

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Fig. 22 Vidéo réalisée dans le cadre d’une campagne pour la ville de Copenhague avec Stig Lennart Andersson

Le concept de New Nature s’inspire de ces mouvements pour concevoir une nouvelle manière de voir l’architecture, mettant en lumière la complémentarité de l’environnement construit et de l’environnement vivant, tout en préservant leurs propres approches. En effet, Andersson relève que ces deux environnements ont parfois été confondus dans leurs démarches, comme on a pu le voir avec l’approche technicisée de la nature découlant de notre culture occidentale. Sa volonté est alors de préserver la complémentarité du monde construit et du monde vivant à travers une approche non systémique de la nature. D’une certaine manière, c’est s’élever d’une vision domestique à une vision urbaine la philosophie et l’approche expliquée du jardin personnel de Gudmund Nyeland Brandt. C’est à travers le travail de projet et de conception qu’il rétablit un équilibre entre l’humain et la nature. L’esthétisme du sensible s’autorise à reprendre sa place dans nos quotidiens, Stig Lennart Andersson relève : «Our society speaks only the rational language, and we talk about things in such a way that what can be measured and weighed has the greatest value22.»

Même si le rationnel perd alors de l’ampleur dans sa vision théorique de la New Nature, c’est la construction récente d’une vision politique de la ville de Copenhague et du Danemark qui a permis aux premiers projets de l’agence de s’installer en son sein. Un réel témoignage de la culture scandinave dans la politique urbaine. Maintenant conscient des inspirations et influences qui ont orienté la création de l’agence SLA (Stig Lennart Andersson) et avant d’interroger les pratiques mises en place il faut comprendre comment il distingue les pratiques interventionnistes de l’agence du simple artefact humain. 22

Op. Cit. ANDERSSON, «Stig L. Andersson: Alt det vi ikke kan måle og veje», Byggeri arkitektur, 2015

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B. UNE CO-CONCEPTION HUMAIN/NATURE À L’HEURE DE L’ANTHROPOCÈNE

La vision d’une conception en coopération avec la nature fait appel à une éthique de l’écologiste interventionniste introduite dès 1949 par Aldo Leopold, écologue américain. Représentant emblématique de l’écocentrisme face au biocentrisme et à l’anthropocentrisme, il défend une forme d’interaction à double sens avec le vivant, d’équilibre de respect et d’intégrité. ANTHROPOCENTRISME

ÉCOCENTRISME

BIOCENTRISME

Fig. 23 Schémas redessinés d’après ceux présentés dans la conférence de Patrick Blandin : «De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité.»

En effet, agir avec la nature c’est faire face à une multiplicité d’options, comme il nous le rappelle à travers cet exemple : «Pourquoi planter des pins, plutôt que des bouleaux ?23». Parmi les raisons avancées certaines sont objectives : relevant des services écosystémiques, d’autres subjectives : relevant du confort urbain et social, mais aucune ne l’emporte : «ce qui compte c’est la diversité et la richesse de nos rapports à une nature dont nous faisons partie24.»

Afin de faire les bons choix, s’intéresser aux questions des écosystèmes et de la biodiversité est alors primordiale. Ces notions définissent les équilibres des milieux qui nous entourent, il faut donc les respecter. Aujourd’hui, ces notions se démocratisent, comme le témoigne Philippe Clergeau : «Si les populations montrent une certaine difficulté à appréhender les fonctionnements écologiques dans leurs terminologies techniques (biodiversité, services écosystémiques, trames vertes et bleues), elles n’expriment pas moins un attachement important aux espaces de nature25.»

À travers le travail d’écologue et de biologiste, on en comprend mieux le sens et l’intérêt pour la biodiversité. Mais cette notion de New Nature impliquant une forme d’interventionniste dans LARRERE, Catherine et Philippe, Penser et agir avec la nature : Une enquête philosophique, La Découverte, 2018 p.394 24 Ibid. p.394 23

CLERGEAU, Philippe, Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain, Apogée, 2020 p.64 25

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la façon de créer avec la nature pour accroître la biodiversité de nos milieux estelle éthique ? La technique sans les artefacts technologiques nous défait-elle de l’artefact ?

Un artefact est défini par le dictionnaire Larousse comme suit : «produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme, et qui se distingue ainsi d’un autre provoqué par un phénomène naturel.». Réintégrer la nature en ville, c’est alors souvent imaginer végétaliser des lieux par la main de l’Homme. Des lieux qui n’ont pas accueilli d’éléments vivants depuis longtemps. Eric Katz, professeur à l’université de New Jersey en éthique environnementale et philosophie voit dans la restauration de la nature «un grand mensonge26». De son point de vue, il considère la restauration comme un nouveau système inventé par l’Homme pour avoir le contrôle sur ce qui l’entoure. Il continue alors de se détacher de son milieu de vie pour le dominer. En effet, cet artefact de la restauration engage une forme de dépendance avec celui qui l’a produit car elle est le fruit d’une entreprise technique. Une culture environnementale qui évoque un retour en arrière caractérisé par la figure du dominant et du dominé. Cette critique d’Eric Katz pourrait être donc en partie fondée. La restauration proposée par Stig Lennart Andersson à travers le concept de New Nature apporte cependant une variable, celle de l’autonomie. En effet, c’est à travers des recherches sur les écosystèmes et son intérêt pour le fonctionnement du vivant que l’agence recréée des artefacts naturels reflétant un principe d’autonomie. Pour nous éclairer, Marion Waller, auteure du livre Artefacts naturels faisant suite à son mémoire de recherche : «Aperçu de la philosophie des artefacts naturels à travers l’exemple de la restauration écologique» revient sur l’explication de la notion d’artefact : «Ce qui distingue donc le barrage de castor de la corbeille tressée n’est autre que la nature de son fabriquant, animal dans un cas, humain dans l’autre, ce qui me semble une distinction assez mince. D’où le terme artefact naturel, que j’ai défini comme une entité intentionnellement crée par l’homme, pouvant s’apparenter à des processus naturels et possédant un potentiel d’autonomie. […] Trois principes président à la création d’artefacts naturels : un principe de réalité – en opposition à celui de « sur-naturel » -, un principe d’autonomie et un principe de continuité avec la nature – en opposition à celui de « contre-nature ». […] La notion d’artefacts naturels me permet de battre en brèche l’erreur commune de considérer toute intervention humaine sur la nature comme négative. […] Il me semble au contraire important de renforcer les liens entre l’être humain et la nature en multipliant les objets hybrides – ces artefacts naturels -, qui permettent à chacun de tisser la nature, d’apprendre d’elle, de s’en rapprocher27.»

Qu’est-ce qui différencie donc le bon artefact du mauvais artefact ? Prenons l’exemple de la forêt. La plupart des forêts européennes sont aujourd’hui des artefacts, que l’on reconnait pourtant généralement sous la dénomination de forêt mettant alors au même niveau la forêt Amazonienne de la forêt des Landes KATZ, Eric, «The Big Lie: Human Restoration of Nature», Research in Philosophy and Technology,12, 1992, p.231–241 26

WALLER, Marion, «‘‘Artefacts naturels’’ et écosystèmes urbains» dans Les paradoxes du vivant, PCA Editions, 2018 p.92 27

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dans le propos. Pourtant, la forêt des Landes est un artefact élaboré par l’Homme. Mais celui-ci est loin de remplir les principes évoqués plus haut par Marion Waller. Premièrement, la forêt des Landes ne suit pas le principe de réalité : la monoculture n’est pas génératrice d’écosystème car une seule espèce est présente sur le territoire. On ne trouverait dans aucun autre milieu naturel la présence d’une seule espèce. Ensuite, le principe d’autonomie n’est pas respecté car ces forêts ne fonctionnent pas de manière circulaire, il est nécessaire de replanter des semis après chaque abattage. Enfin, le principe de continuité n’est pas respecté car les autres formes de végétations qui se glisseraient au sein de ces forêts d’exploitation sont abattues afin de ne pas tirer l’énergie présente dans les sols nécessaires à la pousse des pins. Tous ces éléments nous amènent à dire que la forêt des Landes est un artefact pensé dans le mauvais sens. Elle ne permet pas de développer et renforcer les liens entre l’Homme et la nature. Au contraire, elle véhicule une fausse image de celle-ci dans l’imaginaire collectif. Dans le documentaire Le temps des Forêts, un bûcheron témoigne : «La logique de l’exploitation de forêt a été inspirée des logiques d’exploitation du plastique, du pétrole, de l’économie, ce n’est pas mariable avec les logiques du vivant28.»

Ce constat tiré du cas particulier de la forêt nous permet de mettre en évidence les principes qui permettent d’élever l’artefact au-delà des ambitions techniques. Cet exemple démontre par son contraire le pouvoir incroyable de cette biodiversité. Une capacité d’adaptation à son environnement extérieur autonome tout en maintenant un état stable entre les espèces vivantes. C’est d’ailleurs ce qui, aujourd’hui, remet en question la monoculture en agriculture mais aussi en sylviculture. Démontrée par la permaculture, une mise en relation d’espèces en symbioses permet alors de mieux lutter contre les maladies, les envahisseurs, la sécheresse etc…

Notre connaissance et compréhension de la nature renouvelées dans une culture environnementale commune nous éviteraient de recommencer les erreurs du passé. En effet, si l’on reprend l’exemple de l’industrie forestière, on considère généralement la construction bois comme durable. Mais les monocultures de forêt que l’on peut observer dans le monde, en Scandinavie comme en France restent des artefacts réducteurs de biodiversité. Le constat réalisé dans le documentaire de François-Xavier Drouet nous montre que la vie n’existe plus dans et sur le sol et les oiseaux disparaissent de ces forêts. Une meilleure connaissance portée au grand public nous éviterait de créer ces artefacts qui se jouent du vivant pour seulement l’exploiter. Alors que les échanges naturellement créés entre les arbres et le sol sont producteurs d’une biodiversité incroyable. Le concept de New Nature s’inscrit alors comme une piste cohérente faisant suite au constat de l’Anthropocène. En effet, cette conscience partagée de la force géologique humaine ayant profondément modifié son milieu se traduit ici par une volonté écologique interventionniste. Catherine Larrère nous rappelle que l’action humaine n’a pas été que négative : «L’impact [humain] le plus durable aura été celui sur la biodiversité : les échanges

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Le temps des forêts (DROUET, François-Xavier) 2018, KMBO, à 99mn


entre le nouveau monde et l’ancien ont permis aux espèces de voyager, d’où un brassage des plantes, d’animaux et de germes pathogènes recréant en quelque sorte la Pangée29.»

Dans la forme, cette coopération avec la nature propose d’utiliser cette force géologique de l’Homme pour l’étudier et la comprendre afin d’agir positivement, contrairement aux erreurs passées, sur la biodiversité en la modifiant. Les artefacts créés ne sont alors que des amorces pour ensuite laisser place à l’autonomie de ces écosystèmes dans le temps long. La New Nature revendiquée par SLA s’intéresse donc au processus et non à sa finalité pour réinvestir les villes :

«[…] c’est ce que font les praticiens de la restauration : amorcer des processus sans chercher à contrôler ni à contraindre les dynamiques naturelles qui en découlent30.»

Les débuts d’un projet ne se limitent donc plus seulement à l’esquisse mais nécessite désormais une réelle étude préalable du site pour accompagner une réinsertion de la biodiversité. On peut alors se demander comment révéler ces nouveaux îlots de biodiversité ordinaires dans nos villes à travers la conception ?

LARRERE, Catherine et Philippe, Penser et agir avec la nature : Une enquête philosophique, La Découverte, 2018, p.394 30 Ibid. p.260 29

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Fig. 24 Emprunte urbaine de Copenhague.

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Fig. 24 Délimitation du quartier de Østerbro, entre le centre urbain historique et le portà l’est.

Fig. 24 Artère de Bryggervangen interrompu par Sankt Kjeld Plads reliant le parc Fælledparken au sud et le parc Kildevældsparken au nord.


C. LE PROJET DE SANKT KJELD PLADS : L’ESPACE DE LA RUE COMME LIEU CLÉ POUR REDONNER PLACE À LA BIODIVERSITÉ

Enjeux : Regénération urbaine Programme : Restructuration des espaces publics d’une artère de circulation de centreville. Situation : Østerbro, Copenhague, Danemark Client : Municipalité de Copenhague Conception : 2015 Réalisation : 2016-2019 Surface : 3,5 ha Consultant : Alectia (ingénieurs), Jens Rørbech (ingénieur municipal), NIRAS, HOFOR, Viatrafik Prix : Årets Arne 2020, Silver Prize WAN awards 2020 Fig. 25 Nouveau cheminement piéton à Sankt Kjeld Plads 87


La rue est un espace clé de ce dernier siècle, au cœur des réformes hygiénistes. Comme on a pu le voir dans la première partie, c’est la dimension de ce vide urbain qui a été influencé par l’évolution des pensées et théories sur la forme de la ville, Philippe Rahm en fait ainsi la démonstration : «Au Moyen Âge, les rues ne dépassaient pas 4 à 5 mètres de large et, à Paris, leur largeur maximale était de 8 ou 9 mètres jusqu’à la création de la rue Rambuteau en 1838. Les avenues et boulevards tracés par Haussmann à partir de 1854 ont une largeur de 30 mètres. Chez Le Corbusier, la distance préconisée entre immeubles atteint aisément 100 mètres.31»

La rue est donc un espace urbain stratégique dans l’histoire des villes reflétant l’ambition d’une pensée urbaine renouvelée. Malgré une réelle avancée de l’intégration de la nature en ville avec les boulevards haussmannien, plus récemment, les espaces verts des grands ensembles émanant de la Charte d’Athènes sont relégués en périphérie et ne reflètent toujours pas l’intention de réelles formes de biodiversité. Le travail engagé et défendu par Stig L. Anderson depuis 1994 sur la New Nature est une proposition à ce désir d’augmenter la présence de la biodiversité ordinaire en ville. Elle s’inscrit en continuité du travail engagé par le Finger Plan de Copenhague depuis 1945. Nous allons voir à travers le cas d’étude de la restructuration de Sankt Kjelds Plads, comment SLA a mis en place ces artefacts naturels formant de nouvelles séquences urbaines en plein centre-ville dans le but de redonner place à la biodiversité ? Le choix de ce projet s’explique par le fait qu’il incarne de nombreuses valeurs véhiculées par l’agence. Il revisite à travers le concept de New Nature la relation entre l’urbanisme, le paysage, les infrastructures et l’humain. Ce n’est pas l’un des plus gros projet de l’agence, mais l’ampleur médiatique qu’il à déclenché à sa livraison nous amène à nous demander pourquoi il a fait réagir ? Ce projet serait-il le témoignage d’une forme d’innovation dans la façon de faire la ville ? La recherche n’est plus dans l’efficience d’un plan guide, mais comment la nature intégrée à ce nouveau regard sur l’urbanisme permet de vivre les espaces publics de manière différente ? Quelles sont ces nouvelles séquences entre deux espaces bâtis où le sensible referait place dans nos quotidiens ?

La donnée d’entrée est le risque météorologique résultant du changement climatique fulgurant. Nos villes étant les artefacts les plus hostiles à l’accueil d’événements naturels, elles sont alors sur le devant de la scène au regard des dégâts qu’ils peuvent provoquer. La proposition d’un quartier expérimental est alors engagée par la mairie de Copenhague, appelé Klimakvarter32. Cette initiative fait suite aux fortes inondations de 2006 et 2011, supposés être des évènements à caractère centenaire. La mairie s’est par la suite associée à des concepteurs et des investisseurs afin d’enclencher la livraison de la majorité des projets en 2019. Cet appel à projet a donné lieu à différents types de conception réintégrant la nature en ville. Alors inscrit dans le périmètre défini du quartier d’Østerbro à titre expérimental, les espaces publics ont été revus et repensés afin de s’adapter aux RAHM, Philippe, Histoire naturelle de l’architecture, Pavillon de l’Arsenal, 2020, p.243 Pour plus de détails sur le projet voir, Klimakvarter Teknik- og Miljøforvaltningen Byens Fysik (Administration technique et environnementale du quartier d’adaptation climatique de la ville), https://klimakvarter.dk/en/ 31 32

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Fig. 26 et 27 Photos de Sankt Kjeld Plads prises avant le projet (2018 et 2015)

changements climatiques. Additionnés aux phénomènes d’inondations récurrentes, ce projet a aussi pris en compte les effets «classiques» impactant les villes : réchauffement climatique, pollution… SLA propose alors une stratégie urbaine pour expérimenter de nouvelles façons de vivre avec la nature afin de l’accueillir d’une nouvelle manière. C’est dans une perspective résiliente réintègrant une forme de biodiversité dans ce quartier anciennement très minéral que le projet de l’agence se dessine. On pourra alors comprendre comment ces mécanismes opèrent en s’appuyant sur ce projet. 89


Sankt Kjed Plads

Tåsinge Plads

Fig. 28 Photo aérienne prise en 2015, on y voit Sankt Kjelds Plads au centre et le projet récent de Tåsinge Plads qui a inauguré le projet municipal expérimental Klimakvarter à Osterbro la même année.

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Sankt Kjed Plads

Tåsinge Plads

Fig. 29 Photo aérienne prise en 2020 on y voit le nouveau projet de Sankt Kjelds Plads au centre et le projet de Tåsinge Plads sur la droite.

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Fig. 30 Inauguration du projet en février 2019

Avant les travaux, cette place, en tant qu’espace public n’existait pas réellement (fig.26 et 27). Elle était majoritairement dédiée à la voiture desservant les artères de circulation alentours en formant une étoile à cinq branches. Au milieu se forme tout de même un îlot végétal, inaccessible. Au regard des photos prises à l’époque, les arbres sont identiques, de par leur prestance on pourrait les qualifier d’ornementaux. Les trottoirs sont étroits et le temps pour traverser la place est relativement long. Ce n’est certainement pas un endroit pour prendre une pause et s’asseoir. Les bâtiments d’habitation entourant la place sont en contact direct avec ces grandes artères, les logements donnant sur la rue sont surement négligés au profit des cours intérieures végétalisées. Lors de l’inauguration du projet en 2019 (fig.30), la foule est présente et les habitants sont nombreux. Nous sommes pourtant encore au mois de février, l’hiver ne met pas vraiment en valeur les 586 arbres et 36000 plantes introduits dans le projet. Les nouvelles plantations formant ainsi des «jardins de pluie» représente plus de deux tiers des espaces anciennement minéralisés. La végétation mise en place permet de traiter 30% des eaux de pluies en surface sans avoir le besoin de passer par les réseaux sous terrains33. L’eau de pluie des bâtiments alentours a aussi été redirigée dans le projet. Ces jardins de pluies sont plantés d’espèces diversifiées qui permettent de recréer des écosystèmes autonomes. Même si aucune espèce endémique n’était réellement présente sur ce site, il a fallu étudier des biotopes similaires pendant le processus de conception pour choisir la nouvelle végétation. ULSTRUP, Frank, «Ebbe Dalsgaard A/S har klimasikret Skt. Kjelds Plads og Bryggervangen», Byggeri arkitektur, 10 octobre 2019 33

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Fig. 31

Etape 1 : Recensement et identifications des écosystèmes proches du centre de Copenhague.

Etape 2 : Identification et mise en relation des besoins et biotopes présents à Sankt Kjelds Plads avec ceux identifiés précédemment.

Etape 3 : Projection spatiale de ces biotopes dans le site en essayant de créer des variations et des zones de densité afin d’encourager la biodiversité.

Fig. 33

Fig. 34

Identification des biotopes du projet

Fig. 32

Coupe échantillon du biotope de Utterslev Mose

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Fig. 35 et 36 Sankt Kjeld Plads au printemps (haut), puis en hiver (bas).

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Cette approche du vivant dans la conception est nourrie par la recherche permettant le mimétisme. Le biomimétisme ici n’a pas d’ambition technologique, il se contente d’une volonté de résilience, aux origines des valeurs défendues par Janine Benyus dans son livre fondateur Biomimicry Innovation Inspired by Nature. Ainsi, cette approche augmentée par la recherche a la volonté de garantir une forme de durabilité et d’autonomie de ces nouveaux écosystèmes urbains.

Dans de ce projet, trois milieux aux alentours de Copenhague ont été étudiés afin de comprendre leurs spécificités : Utterslev Mose, Amager Faelled et Kongelunden. En effet, comme présenté précédemment, l’objet de ces artefacts naturels est de remplir les critères nécessaires aux principes de réalité, d’autonomie et de continuité. La politique menée par la ville depuis plus de soixante-dix ans est un atout pour encourager l’approfondissement de ce genre de projet. Grâce au Finger Plan préservé par la ville, de nombreux écosystèmes ont pu s’enrichir et prospérer proche du centre. L’observation de ces biotopes proche de Copenhague a permis d’insérer des espèces adaptées aux milieux humides ou secs en fonction des variations topographiques du site de projet. Des parallèles ont alors été faits entre ces microclimats sélectionnés et les microclimats identifiés à différents niveaux de la place et des rues adjacentes (fig.31). Ainsi, quarante-huit espèces végétales différentes ont pu être sélectionnées sur ces sites afin de les inclure dans le projet. Prenons l’exemple de l’échantillon observé à Utterslev Mose (fig.32), le saule blanc, l’aulne, le tulipier et l’amélanchier ont été choisis car ils se plaisent à l’ombre et dans les sols retenant l’humidité. Des arbres qui correspondent aux biotopes identifiés au sud-ouest de la place (fig.33), au regard de son microclimat (fig.34). Ces «jardins de pluie» permettent alors de retenir les violentes pluies qui peuvent générer plus de 30cm en moins d’une heure à Copenhague34. Elles sont lentement absorbées par la végétation et le surplus est par la suite redirigé dans les égouts menant au port. L’eau s’infiltre alors dans les sols tenus par les végétaux et l’eau stagnante, résiduelle, prend quelques jours pour s’évaporer. Le paysage du quartier devient alors mouvant, s’inscrivant dans les temporalités changeantes de la météo. La pluie n’est alors plus un phénomène naturel que l’on voit disparaître sous les sols artificialisés mais elle joue le premier rôle pour donner vie au quartier. Cette réintégration du vivant au cœur de la ville permet aussi de développer les qualités sensibles qu’elle peut transmettre, élément important de la théorie exposée plus haut de Stig L. Andersson. Le vivant ramené en ville, plus que des qualités objectives ce sont des qualités subjectives qu’il permet aux habitants du quartier d’expérimenter. En effet, la présence du végétale en ville peut rassurer et nous apaiser, à l’image de ses vertus exposées par Jean-Jacques Rousseau, l’humain cet être sensible en est réceptif : «Il me semble que sous les ombrages d’une forêt je suis oublié, libre et paisible comme si je n’avais plus d’ennemis ou que le feuillage des bois dût me garantir de leurs atteintes comme il les éloigne de mon souvenir et je m’imagine dans ma bêtise qu’en ne pensant point à eux35.».

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Danish architecture and design review, «Sankt Kjelds Plads - climate change landscape», 16 avril 2019 ROUSSEAU, Jean-Jacques, Les rêveries du promeneur solitaire, 1782 p. 144

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Fig. 37 et 38 Aux abords de Sankt Kjeld Plads après la pluie.

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La présence de la végétation peut alors animer une communauté à travers son pouvoir récréatif, à l’image du tronc d’arbre mort installé au milieu du projet que les enfants peuvent escalader. Elle est aussi destressante dans un contexte urbain vif et tumultueux. Ici, les flux de voitures ont été largement réduits, limitant les gênes sonores, mais c’est aussi la diversité de parcours proposée à travers le projet qui permet de profiter de son paysage dans différentes temporalités. Prendre ainsi le temps de s’y arrêter ou le traverser plus rapidement à vélo nous fait profiter autant des couleurs, des odeurs mais aussi de la sonorité du vent traversant les branches. La nature réintégrée en ville permet aussi de mieux apprécier les saisons et ses temporalités qui façonnent le paysage (fig. 35 et 36). Dans nos métropoles bouleversées par des temporalités sans cesse accélérées, la végétation devient un repère fixe préservant ses cycles naturels. De plus, la frange entre les bâtiments et la route est plus épaisse et crée une nouvelle séquence. Entre l’espace privé du logement et l’espace public de la circulation, la végétation nous offre une forme d’intimité, accompagnant la transition entre ces deux espaces. Ce projet n’est pas aussi emblématique qu’un parc ou un jardin pour ramener la biodiversité en ville comme il a été souvent d’usage dans la planification des villes. Ce programme s’inscrit réellement dans le quotidien des habitants d’un quartier résidentiel, au pied de leurs immeubles. Toutes ces valeurs ajoutées sont difficiles à mesurer, c’est alors tout l’enjeu de l’agence de pouvoir mettre en valeurs ces nouvelles esthétiques à travers la résolution de problèmes rationnels tel que les inondations. Le projet de Sankt Kjeld Plads est particulier dans l’histoire de l’agence au regard de sa répercussion dans le monde de la critique internationale, en témoigne les nombreux articles et le prix Arne obtenu récemment en 2020. Pourtant, les théories qui y sont appliquées se forgent depuis plus de vingt ans au sein de l’agence. Un autre projet emblématique dans le parc de l’entreprise Novo Nordisk avait été réalisé entre 2011 et 2014 dans la même optique. Au final, 100% des besoins en eau avaient été équilibrés par la mise en place de biotopes devenus jardin de pluie au-dessus du parking de l’entreprise. Des projets résilients permettant la mise à jour de l’eau dans le paysage urbain. De plus, ces nouveaux espaces végétalisés deviennent une nouvelle pièce de leurs bureaux afin d’organiser des réunions et entretiens dynamiques à travers un parcours arboré. Ces nouvelles séquences urbaines nous invitent à réinventer nos modes de vie. Toutes ces innovations permettant d’allier la résolution de problèmes rationnels à travers une nouvelle esthétique paysagère rendent alors le projet urbain plus complexe. Cette complexité engendrée par les souhaits de durabilité doublée de l’envie de transmettre une nouvelle vision de la nature en ville réinterroge alors les méthodes de projet.

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CHAPITRE 03

L’INTERDISCIPLINARITÉ ET LA RECHERCHE COMME APPROCHE DU VIVANT

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A. LE PROJET DE LA VILLE DE FREDERICIA : DE L’ATELIER D’ARCHITECTE PAYSAGISTE TRADITIONNEL VERS UN URBANISME PROCESSUS

L’agence est la première à recevoir un prix du magazine allemand Topos en 2002, une revue internationalement reconnue pour sa critique du projet urbain et de paysage. Cette reconnaissance précoce nous montre alors que les méthodes mises en place à l’agence interrogent déjà la scène européenne. L’évolution de la pratique urbaine et architecturale a largement évolué ces dernières années au regard de l’évolution du récit écologiste qui a fortement marqué les dernières générations d’architectes et de paysagistes. Cette pratique renouvelée a intégré des mots plus forts dans la communication de projet. Des mots marquant une nouvelle génération de concepteurs devenant des mots «valises» et très utilisés comme relevés dans la thèse d’Adrien Gey36 soutenue en 2013. Il réalise cette étude à travers une analyse des projets retenus au concours du premier «Réinventer Paris». Les mots «biodiversité» et «écosystème» sont peu présents à l’époque, mais déjà l’utilisation répandue du mot «nature» est sujet à de nombreuses interprétations et définitions par les différentes équipes de projets en concurrence. Ce nouveau vocabulaire, et l’intérêt porté pour la biodiversité et les écosystèmes par le grand public, et pas seulement par les experts, ont mené à des critiques de la production en général dénommée «greenwashing». Ce courant n’a pas rendu service à l’approfondissement de réels projets de recherche pour la biodiversité en milieu urbain et au contact de l’architecture. Ce sont des concepts qui ont pu être considérés comme futiles par les décideurs, étant donné le peu de sérieux accordé à l’utilisation de ces mots dans le milieu en général. C’est pourquoi ces sujets ne peuvent être traités dans un processus «classique» du projet architectural qui déforme et utilise à son avantage des concepts pouvant réellement améliorer nos modes de vie et le confort urbain. De nouvelles formes de collaborations, de méthodologies, de dessins pourraient alors dévoiler au travers d’une nouvelle forme de professionnalisme des concepts comme celui de la New Nature. Pourtant SLA en 1994 se présente avec des méthodes plutôt classiques que le fondateur défini comme «[...](purely) landscape architectural practice37». À travers des associations pour de nouveaux projets et l’intégration de nouvelles personnalités à l’agence le réel concept de New Nature va pouvoir au fur et à mesure se préciser et s’affirmer dans les projets. Une affirmation qui se remarque d’abord dans le vocabulaire utilisé pour se présenter. En 2005, dans l’un de leur premier livret de présentation de projets de l’agence Wunderstadt (ville des merveilles) on peut lire : «participation, planning, urban space », devenu «planning, urban space, landscaping» en 2013 pour finalement s’arrêter sur «urbanity, strategy, landscape» depuis plus de sept ans. La notion d’aménagement pur définie par les premiers termes comme «landscaping» (aménagement paysager) et «planning» (aménagement urbain) ont alors évolué vers des notions plus stratégiques de projets. Cette intention dans le vocabulaire, définissant la pratique de l’agence GEY, Adrien, L’évolution des rapports ville nature dans la pensée et la pratique aménagistes : la consultation internationale du Grand Paris, thèse pour le doctorat en urbanisme mention aménagement, Paris, 2013 37 ANDERSSON, Stig L., Empowerment of Aesthetics, Catalogue for the Danish pavilion at the 14th international architecture exhibition la biennale di Venezia 2014, 2014, p.71 36

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Fig. 39 Charlottehaven

Fig. 40 Sankt Kjelds Plads

a pour but d’introduire une approche de la nature mettant autant en avant ses mécanismes rationnels que son esthétisme. De projets tels que Ladegårdsparken (fig. 41) et Charlottehaven (fig. 39) dessinés et réalisés respectivement en 1995 et 2003, l’agence se dirige vers des projets révélant les potentiels stratégiques de la nature en ville comme on l’a vu avec le projet de Sankt Kjelds Plads en 2015 (fig. 40). Les premiers projets sont des conceptions «classiques» de paysages, souvent des parcs au sein de projets immobiliers ou des consultations, même si on y trouve la volonté de jouer avec la temporalité de la végétation. Dans le premier projet de l’agence, Ladegårdsparken, c’est un parc planté à l’image d’une coulée verte entre deux lignes de logements collectifs comprenant 900 habitations. Dans le projet de Charlottehaven les éléments paysagers redéfinissent des espaces et la façon de circuler sur le site. La notion de temporalité est présente mais elle met seulement en avant la saisonnalité des paysages sur une année. Les circulations sont alors aménagées et délimitées grâces à ces découpes paysagères. Plus récemment à Sankt Kjelds Plads, les notions d’aménagement ne disparaissent pas mais elles sont mises en perspective avec les enjeux climatiques et de durabilité qui se jouent dans nos milieux urbains aujourd’hui. Ces derniers permettent alors de mettre en valeur la nature dans tous ces états afin de l’apprécier dans une vue 101


Fig. 41 Ladegårdsparken

Fig. 42 Consultation

d’ensemble intégrant l’Homme non plus comme spectateur mais comme acteur de ce tableau vivant.

Une mise en parallèle intéressante peut se créer entre le premier projet de l’agence et une consultation récente (fig.42) qui présentent beaucoup de points communs programmatiques avec les logements donnant sur Ladegårdsparken (fig.41). Dans cette représentation récente, on peut comprendre la volonté d’intégrer les enjeux climatiques du site qui permet alors de créer des zones de contact entre l’Homme et la nature plus diversifiées, plus complexes et plus «réelles». La noue paysagère prend de l’épaisseur entre les logements pour accueillir l’eau aux yeux de tous. On comprend alors que l’étude et l’analyse des écosystèmes pourraient permettre de révéler le réel potentiel du vivant dans la ville. Cette évolution dans la pratique de l’agence se remarque dans une interview réalisée en 2011, Stig Lennart Andersson précise alors qu’ils se sont déjà orientés vers une nouvelle manière de concevoir l’urbanisme :

«[...]alors que nous nous éloignions de notre point de départ d’origine en tant qu’atelier d’architecte paysagiste traditionnel nous allions de plus en plus vers le design urbain38.». (traduit du danois)

38

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ANDERSSON, Stig L., «Procesurbanisme - Byen som økosystem», Landskab, 2012, n°1, p.15-19


À l’époque, il précise que cette méthode était vue comme «radicale39», car elle projetait plus loin que sa seule qualité esthétique, l’intégration de la nature en ville. Si le plan directeur, élément classique de l’urbanisme, est remplacé par un plan intégrant des processus, c’est dans le but de pouvoir s’adapter aux événements imprévus en changeant de forme, d’expression et de fonction au fur et à mesure que des nouvelles connaissances et changements entrent en jeu. En effet, c’est un sujet que souligne Michel Desvignes, paysagiste, lors d’une table ronde avec l’exemple du recours répétitif aux masterplans traditionnels. Une échelle de projet qui au final est incompatible avec la rapidité de changement et d’imprévus auxquels font faces nos sociétés urbaines de nos jours. Dans une vidéo mise en ligne par l’agence, Stig Lennart Andersson relève que les masterplans se basent plus sur des «beliefs» (croyances) que sur de réelles identifications et connaissances du site40. Cela entraîne des villes constituées de plusieurs premières phases de masterplan qui n’ont plus de sens entre elles41.

Comment occuper un espace aujourd’hui ? Le masterplan classique devient alors un plan stratégique. À SLA ils ont très tôt expérimenté des projets en prenant en compte la temporalité comme acteur principal de la conception. Les éléments naturels sont indéniablement liés aux temps : les saisons, le jour, la nuit, les marées, l’érosion... Ces éléments ont donc une forte capacité à intégrer le changement dans leur processus. C’est tout le parallèle qui est créé à travers l’urbanisme transitoire, l’intégration de la nature et de ses processus aide à assimiler la notion de temporalité dès la conception de ces espaces. Cette méthode est donc complémentaire de la vision de la New Nature exprimée plus haut. Elle est, pour SLA, la condition sine qua non à l’intégration du vivant dans nos milieux urbains sur le long terme.

La mise en place de ce processus nécessite alors d’approcher le projet aussi bien dans le court que le long terme. Ces temporalités sont finalement intrinsèquement liées, ainsi le projet à court terme doit faire sens dans la vision projetée à long terme. On peut observer une mise en pratique dans le projet emblématique de la ville de Fredericia, débuté en 2009. L’objectif sur le long terme pour la mairie de Fredericia est de créer un nouveau quartier, nous allons voir comment les phases à courts termes permettent de nourrir cette vision. L’urbanisme comme processus prend, dans un premier temps, la forme d’un projet temporaire qui veut créer une nouvelle image de son paysage. Il a commencé par la valorisation de ce paysage de l’Anthropocène, défini par son histoire. En effet, ce site, ancien port industriel, contenait des industries produisant de l’engrais. Après sa fermeture, la destruction des usines a laissé vingt hectares de vide inaccessible au public en cœur de ville. Dans la pratique, SLA a d’abord questionnée la végétation de la friche en soulignant ce «déjà-là». Au départ ce sont juste des cheminements qui ramènes une échelle 39 40

Ibid.

Process Urbanism - The City as Artificial Ecosystem (SLA) 28 septembre 2010

DESVIGNES, FERRIER, PHILIPPE, TRÉTIACK, Table ronde Nature - Architecture. Qui mangera l’autre? [Conférence]. Cité de l’architecture et du patrimoine, «Du rêve à l’écologie urbaine», 13 juin 2018 41

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FREDERICIA C

Enjeux : Regénération urbaine Programme : Mise en place d’un paysage temporaire dans l’inscription d’un processus urbain pour le renouvellement d’un quartier proche du centre historique. Situation : Fredericia, Danemark Client : Fredericia C P/S et Realdania By Conception : 2009-2010 Réalisation : 2010-2011 Suivi : 2011-2021 Surface : 20 ha Consultant : Grontmij (ingénieurs) Fig. 44 Nouvelles plantations à Fredericia C 105


Fig. 45 Photo aérienne prise en 2007, on y voit les industries d’engrais proches du port, au sud du centre ville de Fredericia.

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Fig. 45 Photo aérienne prise en 2011, le projet a commencé depuis un an, après la destruction des usines. La friche est retravaillée localement avec la création de cheminements pour traverser le site, révélant à échelle humaine ce nouveau paysage. (fig.43)


Fig. 45 Photo aérienne prise en 2014, la végétation plantée pousse depuis 4 ans. De nouveaux espaces temporaires en collaboration avec les habitants ont été mis en place : au nord le LEGO workshop, au sud les terrains de sports et les dunes enherbées.

Fig. 45 Photo aérienne prise en 2018, la construction du futur quartier débute au nord, certaines installations ont du être démontée pour laisser place au chantier. À l’ouest, l’association «Grow your city» prend de l’ampleur depuis son installation en 2012.

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Fig. 43 Première phase du projet temporaire de Fredericia : révéler des cheminements pour ramener l’échelle humaine dans le site.

humaine à ce grand site. (fig. 43) Le but de ce projet est alors d’accompagner le processus de transition, de la friche industrielle vers un nouveau quartier proche du centre-ville. L’aspect sociologique du projet a pris une réelle dimension ici. Le processus expérimenté dans le projet a eu pour but de révéler que les espaces publics et les espaces naturels sont des lieux permettant aux habitants de mieux se repérer dans l’espace, facilitant alors l’appropriation. Un processus de création de quartier peu commun qui habituellement commence par la construction de nouveaux bâtiments et d’infrastructures. Le design décidé par l’agence se voulait le plus éphémère possible pour donner le sentiment d’un site comme une nouvelle page blanche à écrire en communauté. Au fur et à mesure, le projet s’est agrémenté d’espaces récréatifs en discutant avec les habitants à travers des réunions collectives. Des jardinières sont placées à l’intérieur de containers sur roues pré-existants (fig. 44) pour pouvoir les déplacer et des workshops sont organisés pour créer des jeux pour les enfants avec des matériaux recyclés (fig.46, 47 et 48). Toutes ces installations ont pour but de redonner une échelle humaine au site au fur et à mesure, facilitant son appropriation. Depuis 2010, les activités qui fonctionnent sont conservées et d’autres sont remplacées. Par exemple, dès 2012, une communauté appelée «Grow your city» (fig.49) a commencé à planter dans des jardinières mobiles sur le site, c’est une communauté qui aujourd’hui est toujours ancrée dans ce quartier de Fredericia alors que les travaux pour le nouveau quartier ont commencé. Ces évolutions ont donc été faites tout en gardant en tête qu’elles pouvaient être temporaires et rétractables afin de s’adapter aux variations du site à venir. Les arbres sont ainsi plantés dans une motte en filet afin de pouvoir les déplacer facilement durant la première phase de cinq ans. Au même moment, ces plantations choisies accompagnent la dépollution de certaines zones du site. Ce processus mis en place 108


Fig. 46 Workshop Phase 1 : Assemblage LEGO réalisé avec les habitants

Fig. 47 Workshop Phase 2 : Mise en place de l’espace avec les matériaux présents sur site

Fig. 48 Workshop Phase 3 : Un an après, la végétation a investis l’espace.

Fig. 49 Grow your City

par SLA génère alors des formes d’appropriations temporaires, ils ramènent le vivant sans nécessairement commencer par construire comme il est d’usage en aménagement urbain aujourd’hui. Le concept de New Nature a pu se définir pour la première fois sur ce site. En effet, le projet est basé sur l’interaction entre les éléments, incluant l’humain. Le site a alors eu le temps de s’exprimer, exposé aux éléments naturels pendant plus de dix ans, afin de guider la conception d’un futur quartier avec une identité communautaire forte et déjà ancrée. En 2012, un premier plan de développement a été décidé pour le quartier. L’équipe de SLA a continué d’être intégrée dans le dessin de son schéma directeur afin de conserver les caractéristiques développées avec les installations mises en place depuis 2010, devenue un réel laboratoire urbain. Dans le dessin final du futur projet, réalisé en 2018 par l’agence d’urbanisme KCAP (fig. 51), on peut voir que les espaces pouvant accueillir la nature sont relativement importants au regard de la masse bâtie, le parc traversant le quartier sera réalisé par SLA en 2021, après dix ans d’observations et d’expérimentations. On retrouve aussi dans le futur parc pour Fredericia l’évolution de l’agence sur ces dix dernières années, incluant désormais les risques climatiques liés au contexte, décrient ainsi dans la présentation du projet :

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Fig. 50 Enfants jouant dans la dune enherbée de Fredericia C

«From (con)temporary landscapes to social urban gardening to floodwater protection and public realm designs.42»

Les temporalités courtes et longues ainsi que les échelles de projets prennent sens ici et invitent à être d’autant plus liées durant le processus de conception. Ce sont ici de réelles clés pour réintégrer la nature dans nos espaces urbains. Les futurs bâtiments qui viendront s’installer dans ce quartier sont donc pensés pour s’adapter au milieu dans lequel ils s’inscrivent et non l’inverse. Ces intentions nécessitent de revoir nos manières de concevoir la ville. En effet, une réflexion serait nécessaire non seulement au niveau de l’îlot mais aussi entre les îlots comme nous le rappelle Marianne Cohen, biologiste, enseignante et chercheuse à la Sorbonne. Après une analyse précise des différentes formes urbaines constituant le paysage parisien, elle constate que si les animaux et les insectes ne peuvent pas sortir des îlots pour favoriser les échanges alors il n’y a pas d’intérêt à l’échelle de la ville43. Ces entrelacements d’échelles et de temporalités demandent donc de faire appel à différents acteurs.

42

Propos tirés d’une présentation sur les réseaux sociaux de l’agence, novembre 2020

COHENNE Marianne, [En]quêtes d’architectures, Saison 1 Episode 1, Incidences des formes urbaines sur la biodiversité, 2020 43

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Fig. 51 Plan directeur pour Fredericia par KCAP, 2018

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B. UNE CONFIGURATION D’AGENCE QUI PERMET L’INTERDISCIPLINARITÉ

«The built and the grown environnement I see as complementary to each other. […] The two together represent the entire concept of architecture and must therefore be equally present for urban developpment to adapt to the new geological reality. The problem now is that we have to much build environnement so we have, for thousands of years, practice an architecture with only a half solution. No wonder we have problems44.» Stig Lennart Andersson

Cette citation de Stig Lennart Andersson nous montre que la complémentarité recherchée n’est pas seulement théorique mais révèle une mise en pratique au regard des profils avec lesquelles l’agence s’est enrichie depuis 1994. Les concepts développés par l’agence rentrent alors nécessairement en contact avec une forme d’organisation et de méthode. Après un travail d’analyse dans leur premier livret de projet publié en 2005 Wunderstadt, parmi les vingt-six collaborateurs on peut déjà lire dans sa description que l’agence est composée de spécialistes tels que des paysagistes, historiens de l’art, architectes, urbanistes afin de réaliser des «interventions on all scales (from masterplan to installations)45.». L’idée de croisement des échelles grâce à l’interdisciplinarité est alors déjà présente.

Aujourd’hui, la pluridisciplinarité est d’autant plus affirmée que lors de leur premiers projets. Par exemple, plus récemment, des sociologues sont venus enrichir l’équipe afin d’apporter un regard critique sur les projets. Des comptes rendus sont ainsi réalisés pour comprendre ce qui plaît aux habitants et utilisateurs des espaces construits afin de pouvoir les améliorer. Un recul qui peut être intéressant notamment pour les projets sur le long terme engageant un processus en plusieurs étapes comme on a pu le voir avec le projet de la ville de Fredericia. Mais ce sont des études aussi profitables pour des champs de recherche notamment peu développés en sociologie en général tel que l’impact que peut avoir la végétation dans les milieux urbains défavorisés.

Des analyses qui sont aussi bénéfiques en amont de la conception. Ce temps de l’observation nous ramène aux temporalités nécessaires pour réaliser le projet dans la ville. Dans nos sociétés où tout s’est accéléré comment reconsidérer l’observation dans nos façons de faire la ville. ? Quelle nature observer quand il n’y en a plus où qu’elle soit devenue banale ? Dès la première phase de conception de Tunnelfabrikken, friche industrielle située au nord de Copenhague, l’idée était de créer un parc en mouvement réutilisant le «déjà-là». Dans le bâtiment, certaines activités devaient se mettre en place, il a donc fallu analyser quelles fonctions pouvaient prendre place dans ce parc pour faire écho à celles présentes à l’intérieur, en échangeant avec les architectes. La première équipe qui a été sur le site était constituée d’un paysagiste, d’un architecte et d’un spécialiste en pierre ce qui a donc donné le ton pour la suite du projet. Trois visites de sites incluant un relevé des espèces d’arbres présentes, un recensement des matériaux déjà-là (fig.52) ont permis l’élaboration d’une première esquisse 44 45

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ANDERSSON, Stig. (2018, 25 avril) After Nature [Conférence]. Lecture at Harvard University, à 20mn SLA, Wunderstadt, catalogue d’exposition, 2005, p.22


Fig. 52 Image drone réalisée dans l’objectif d’identifier l’existant à Tunnelfabrikken

conceptuelle en conscience avec les éléments naturels existants dans cette friche urbaine. Pour l’agence, réintégrer le vivant à l’agence passe donc obligatoirement par ces phases d’analyses en équipes pluridisciplinaires.

Au Danemark mais aussi à l’international, SLA se retrouve en concurrence (sur des compétitions) avec les bureaux landscape de Henning Larsen, BIG, et d’autres leaders du marché nordique. Une comparaison qui met en avant la particularité de SLA qui n’a pas besoin de s’associer avec des bureaux de conception sur des projets d’espaces publics. De plus, par rapport à ces autres structures composées uniquement d’architectes et de paysagistes elles intègrent des personnalités spécifiques tels que des biologistes, forestier, sociologues, anthropologues etc… Aujourd’hui, les profils sont désormais répartis dans trois bureaux : Copenhague, Aarhus et Oslo qui communiquent et souvent collaborent ensemble sur les projets. Si l’on compare la structure de cette agence avec les agences en France sur les mêmes profils de projets on peut retrouver des agences comme TER ou OBRAS. Après une interview avec un étudiant ayant travaillé au sein de l’agence TER on peut voir que l’interdisciplinarité fait partie de leurs valeurs, notamment décrites sur leur site internet :

«Les architectes travaillant à l’agence depuis longtemps ont développé une sensibilité au paysage et inversement, les paysagistes pour l’architecture. Les profils se confondent souvent car les projets font appels à ces différents domaines.46»

Pourtant, si TER met en avant une forme de pluridisciplinarité dans son organisation, celle-ci se limite aussi à des architectes, paysagistes et ingénieurs. Propos tirés d’une interview avec un étudiant en architecture ayant travaillé 6 mois à TER, réalisée en octobre 2020 46

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SLA

TER

Fig. 53 Diagrammes représentant les différents acteurs au sein de l’agence SLA (gauche) et TER (droite) en 2020

Fig. 54 Évolution des acteurs de la conception à SLA de 2019 à 2020

Fig. 55 Évolution globale du nombre d’acteurs à SLA de 2005 à 2020 114


Après une comparaison des qualifications des employés au sein des deux agences, on peut observer aux premiers abords qu’elles sont assez similaires dans leur répartitions des architectes, paysagistes et urbanistes (fig.53). À SLA, l’apport discret dans la balance mais essentiel dans leur fonctionnement est la pluralité d’«experts». À TER, des bureaux d’expertises extérieurs peuvent intervenir dans la conception et construction du projet mais elles ne définissent pas une réelle identité sur le long terme, contrairement aux théories développées au sein de l’agence SLA.

C’est justement cette mixité engagée sur le long terme qui a permis à l’agence de dégager une écriture singulière et lui permet d’être appelée sur des projets de toutes échelles et de tous types. Le laboratoire créé a SLA et dirigé par Alexandra Vindfeld Hansen, paysagiste, regroupe des experts qui permettent d’étendre les connaissances de l’agence. On retrouve des profils «rares» au sein d’une agence tel que : une sociologue, deux anthropologues, un forestier, trois biologistes et une designer spécialiste en histoire de l’art. Ces profils participent à l’écriture de récit de projet et permettent d’obtenir une balance subtile entre les arts et les sciences dans l’analyse des sites de projet, aux origines des valeurs défendus par Stig L. Andersson. Ces méthodes de travail se traduisent spatialement dans l’agence. Une salle est dédiée aux échantillons avec les maquettes, et des bibliothèques d’éléments trouvés sur le site (roches, végétaux,...) entre les bureaux. Pour ce qui est des échanges, le personnel est réparti en équipe de projets et non en compétences. Un chef de projet est présent dans chaque îlot et il en est le référent. Les chef·fe·s de projets ont tous des diplômes différents : paysagiste, architecte, designer et en cumulent parfois plusieurs. Les qualifications ont peu d’importance et on ne fait pas la différence entre un architecte et un paysagiste dans les phases de conception, seul l’échange prime. Les grandes équipes au sein de ces îlots font un travail interdisciplinaire, l’organisation générale de l’agence fait écho aux temporalités du projet mise en avant dans l’urbanisme en processus.

2ème étage

Suivi de projet

Pendant

Compétitions 1er étage

Avant

Après

Développement et stratégies

LAB

Anthropologue Sociologue Expert en plantation

Fig. 56 Diagrammes idéologiques du fonctionnement de l’agence SLA

Le laboratoire est alors au coeur de l’agence (fig.56) et l’échange de connaissance est primordial. On pourrait faire le parallèle avec l’imposante bibliothèque présente 115


Fig. 57 Le laboratoire et la bibliothèque au premier étage

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Fig. 58 Plans schématiques des équipes en 2019 au bureau de Copenhague du premier étage (haut) et deuxième étage (bas)

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au milieu de l’agence. Les employés travaillant au sein du laboratoire bénéficient de cette position centrale entre les équipes de compétition, internationale, et communication. Ils interviennent de temps à autres dans les réunions d’avancement de projet pour échanger et apporter leurs avis en tant que «experts». En prenant du recul sur mes échanges avec les collaborateurs de SLA, architectes et paysagistes, puis en m’intéressant à d’autres structures comme TER à travers un interview, ces discussions m’ont amené à me demander si cette approche interdisciplinaire du projet pouvait garantir une forme de durabilité dans le temps grâce à un rapport renouvelé à la nature sur le site ? En effet, les qualités d’observations des paysagistes leur permettent de comprendre les géographies et les flux et donc le fonctionnement des milieux dans le temps, ce qui fonctionne ou ne fonctionnera pas. Anaïs Leger-Smith, paysagiste résume ainsi l’approche de la conception en paysage «entre processus et projet47». Une approche plus que complémentaire à l’environnement bâti qui garantit une forme d’équilibre dans la façon de faire nos villes. De manière générale, l’étude et l’analyse de la biodiversité en milieu urbain et dense sont des sujets très récents, comme en témoigne les recherches de Philippe Clergeau à ce sujet et le récent appel à projet BAUM lancé par le Puca (Plan Urbanisme Construction Architecture) pour approfondir cette thématique. Les outils des paysagistes permettent alors de comprendre ces milieux pour que la réponse architecturale et végétale les respectent et les valorisent.

Cette approche renouvelée du projet dans le concept et la méthode se traduit aussi spatialement. Au sein de l’agence, on retrouve deux principes qui donnent sens aux méthodes d’urbanisme en processus et à la New Nature. Tout d’abord le dialogue est pour Stig Lennart Andersson et ses associés indispensable à une bonne transmission des connaissances :

«I use conversation to constantly approach new recogntion. This method (like the methods of Bohr, Jorn and Brandt) involves mixing and entering into dialogue with a great variety of different professional disciplines and alternate words and alternative perspectives. Architecture cannot and must not stand alone. Architecture cannot only be in a conversation with itself. It must be in dialogue, in constant conversation with the world48.»

Puis les échantillons accumulés lors de visites de sites qui aident à la compréhension et l’analyse. Plus que de simples photos de ces visites, ces relevés permettent le dialogue avec les équipes présentent à l’agence de manière moins conventionnelle. Ces deux points permettent alors de maintenir un lien entre le savoir et l’expérimentation, la recherche pourrait alors devenir un outil de médiation et de communication autour du vivant.

CLERGEAU, Philippe, Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain, Apogée, 2020, p.53 47

ANDERSSON, Stig L., Empowerment of Aesthetics, Catalogue for the Danish pavillion at the 14th international architecture exhibition La biennale di Venezia, 2014 p.17 48

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Fig. 59 Suivi et analyse en équipe de paysagistes et biologistes de SLA sur les anciens projets de l’agence.

Fig. 60 Diagramme représentant «l’approche de la gestion des eaux pluviales basée sur la nature avec une description du processus hydrologique d’un écosystème» issu d’une synthèse réalisée par SLA pour la ville de Copenhague «Climate adaptation and Urban Nature» publiée en 2016 120


C. LA RECHERCHE COMME OUTIL DE MÉDIATION : UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DU VIVANT VERS UNE RÉCONCILIATION ?

Ces méthodologies appliquées ont une réelle répercussion dans la mise en avant de l’entreprise. Ces dernières années, le développement important de l’agence à l’international notamment au Moyen Orient, en Chine et en France ainsi que son taux d’embauche notable (fig.55) nous montrent que ces théories et méthodes développées en arrière-plan de la réalisation des projets leur donnent une forme de reconnaissance. SLA a su développer une réelle identité misant sur la réintégration du vivant en ville et les interactions que celui-ci peux générer, sensibles et pragmatiques. Cet intérêt pour la recherche représente donc un réel investissement au sein de l’agence. Sur cent personnes, pas moins de dix-huit collaborateurs sont spécialisés dans la recherche. Cette dimension représente un investissement financier et humain révélant un réel parti pris pour l’agence dans le développement de son identité. Par exemple, l’agence a pu être intégré à un groupe de réflexion Think Tank encouragé par la mairie de Copenhague sur les risques d’inondations en ville. Cette coopération a conduit à l’élaboration d’un livret «Climate adaptation and Urban Nature49». SLA se présente alors comme un réel spécialiste du sujet, leur assurant une forme de crédibilité aux yeux du grand public. Une telle production de connaissances définit aussi des limites comme le partage de celles-ci. L’hyperspécialisation peut-être dangereuse si les moyens de communication sont limités à la parole, et nécessitent donc une matérialisation de ces connaissances. Au sein de l’agence, les concepteurs et chercheurs théorisent chaque processus de projet avec des comparaisons, des phasages et des concepts. Cela se traduit par la production de nombreux diagrammes qui tentent de conceptualiser une idée. En feuilletant les livrets de l’agence on découvre qu’ils sont toujours le point de départ de leurs présentation. Ces diagrammes permettent de créer des liens entre les projets car ils peuvent être réutilisés en fonction du contexte et ainsi établir des méthodologies claires d’approche du vivant (fig.60). À l’image de la coupe qui est devenue en architecture l’outil de communication de l’architecture bioclimatique, le diagramme anime des stratégies d’approches. Le fonctionnement de la biodiversité au sein des écosystèmes se traduisant par des processus, cet outil de représentation permet alors de mettre en connexion des éléments qui interagissent entre eux. C’est un outil essentiel dans les échanges interdisciplinaires permettant de faire évoluer le projet. Il n’est pas spécifique à une discipline et est compréhensible de tous, facilitant la communication même dehors des murs de l’agence. Aujourd’hui plus que des intérêts pragmatiques de services qu’elle peut nous donner, la présence de nature en ville peut générer de nouveaux rapports sociaux. C’est la différence avec les politiques hygiénistes qui ont historiquement rythmé le développement des villes. C’est alors le rapport sensible avec le vivant qu’il faut développer. Cet accès quotidien à la nature a le potentiel pour renforcer notre sensibilité envers elle afin de mieux la protéger. 49

SLA, «Climate adaptation and Urban Nature», City of Copenhagen, 2016

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Plus qu’une présence, cette réintégration de la nature dans nos quotidiens permettrait une meilleure compréhension de son fonctionnement pour la révéler et la préserver. Catherine et Philippe Larrère disent à ce sujet :

«Plus les activités humaines ont respecté les processus naturels, plus on se rapproche de la nature, avec laquelle il a bien fallu composer ; inversement, plus on a négligé les contextes et les processus naturels, et plus on s’oriente vers l’artifice.50»

Comme on a pu le voir dans les exemples de projets développés au sein de l’agence SLA, les conditions à la réalisation de milieux naturels par les mains de l’Homme dépendent d’une bonne compréhension du contexte que ce soit sur le plan biologique (projet de Sankt Kjeld Plads) et social (projet de Fredericia). Ainsi la compréhension des comportements du vivant dans son milieu est un premier pas vers la médiation pour le rendre plus acceptable aux yeux du grand public. À la manière de la transparence générée par l’expressionnisme structurel du Centre Pompidou à Paris, les projets de nature urbaine révèlent aux yeux de tous la «machinerie» du vivant pour mieux la comprendre. Ainsi, les approches de projet de SLA sont le fruit d’expériences à travers les projets livrés ces vingt dernières années et permettent de comprendre comment le vivant peut fonctionner en ville. Au fur et à mesure, ils ont ainsi pu produire des concepts et des théories assurant une forme de durabilité en milieu urbain.

Comme le témoigne Catherine et Philippe Larrère les sciences récentes ont pris un tournant dans l’idée de la recherche, elles sont maintenant mises en avant par l’expérimentation La recherche par le projet s’inscrit aussi dans une dynamique plus globale de laboratoires au sein d’agences de conception, notamment dans les pays Scandinaves on peut citer «Ideas» chez Cobe ou «GXN» chez 3XN. C’est ce qui devrait nous pousser en dehors des champs scientifiques vers l’expérimentation. De nos jours, le développement de nombreux workshops expérimentaux n’est pas anodin, comme ceux réalisés à Fredericia. Le jardin et l’approche des végétaux se redorent d’une approche expérimentale, de bricoleur, comme présentée par Gilles Clément dans ses publications. Ces actions, qui peuvent être maladroites, présentent des valeurs positives, notamment la familiarisation et la coopération pour mieux se connaître. Ces formes de médiation sur ces nouveaux milieux urbains permettent alors de rétablir la notion de nature dans notre culture pour apprécier son «aspect esthétique» autant dans «la luxuriance des forêts tropicales ou dans le Yellowstone» que celle «vécue le long d’un chemin de campagne» [...] ou dans un terrain de banlieue.51». Donner à s’intéresser aux milieux c’est donc faire comprendre que l’Homme fait partie des agents modificateurs et qu’il peut donc autant les détruire que leur permettre de se reconstruire. Ainsi, ne pas chercher à les modifier à tout prix mais les accompagner à travers des formes de pilotage qui n’exclut pas la spontanéité du vivant au sein d’espaces bâtis.

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LARRERE, Catherine et Philippe, Penser et agir avec la nature : Une enquête philosophique, La Découverte, 2018, p.394 Ibid. p.166


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CONCLUSION Une meilleure compréhension du vivant.

La place de la nature dans nos sociétés pose question et son étude révèle une réelle diversité d’approches. Des façons de faire qui ont influencé nos manières de construire autour d’elle et de «faire» la ville. Depuis le constat de l’Anthropocène, l’humain prend conscience d’être la force la plus impactante sur Terre. Cette situation nous amène alors à requestionner nos façons d’agir. Cette époque de l’Anthropocène nous montre ses premières limites : ses nouveaux climats et paysages révèlent toute la fragilité de nos espaces urbains. La ville devient difficile à vivre : chaleur, inondations, pollutions. Les milieux urbains ne sont plus valorisées par la nature qui l’entoure mais la subisse de plus en plus ; elle ne met plus en valeur l’architecture. Le seul projet architectural n’est alors plus suffisant pour répondre aux problématiques actuelles. Pour se transformer, une nouvelle génération de concepteurs exprime que le projet doit devenir complémentaire aux mécanismes du vivant. Aujourd’hui, construire contre la nature et ses mécanismes pour la contrôler ne fait plus sens et se révèle être un paradoxe. Au contraire, des approches résilientes pour apprendre à vivre avec elle se multiplient comme observés dans les pays nordiques. Les concepteurs de la ville ont donc évolué avec le récit écologiste désormais inscrit dans l’ère de l’Anthropocène. Des agences comme SLA en Scandinavie apparaissent maintenant dans le paysage urbain, floutant les limites entres architectes paysagistes et urbanistes au service d’une cause : la réintégration de la nature dans le quotidien des citadins.

«Architecture is both the built and the grown. Only by acknowledging this can we achieve the full understanding of architecture1.»

«La crise peut-elle nous réconcilier avec la nature ?2»

Ce commentaire d’Anne-Caroline Prévot, chercheuse au CNRS et biologiste au muséum d’histoire naturelle nous rappelle que la condition sine qua non pour imaginer un développement soutenable est la connaissance de la nature. Cette crise écologique est alors l’opportunité de réviser nos méthodes ANDERSSON, Stig L., Empowerment of Aesthetics, Catalogue for the Danish pavilion at the 14th international architecture exhibition la biennale di Venezia 2014, 2014, p.15 2 PRÉVOT, Anne-Caroline, CNRS, La crise peut-elle nous réconcilier avec la nature ? [Podcast]. Clément Baudet, 05/2020 1

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d’approches. L’Anthropocène n’invente pas des concepts très novateurs sur le sujet de la crise environnementale. Elle ne révolutionne pas la pensée écologique si ce n’est l’injonction de la notion de temporalité. C’est ainsi reconnaître que les changements se témoignent dans le temps long à l’image du processus historique de considération de la nature chez les politiques et les concepteurs de la ville en Scandinavie, comme observé avec la persistance culturelle de la nature visible jusque dans le Finger Plan de Copenhague. On a pu analyser au travers d’un regard historique que les nordiques ont su se rapprocher de la nature compte tenu de leur contexte climatique. Pour survivre, il leur a fallu être capable de l’exprimer et de la comprendre. Mais aujourd’hui, c’est le contexte commun auquel nous confronte le changement climatique, à travers toute la planète, sans frontières, qui nous oblige à nous réconcilier avec la nature pour fonctionner avec elle. Cette longueur d’avance des pays nordiques permet de constituer une base de données et d’analyses de la nature utile à une transition écologique plus générale. Sandrine Larramendy, paysagiste, le résume très bien dans le dernier livre de Philippe Clergeau : «Un des enjeux de nos sociétés urbaines contemporaines est de travailler à sa reconnexion avec la nature en permettant à chaque citoyen d’éprouver le sentiment de faire partie d’un ensemble vivant, complexe et dynamique3.»

Ce travail de recherche pour rédiger ce mémoire et mon immersion au sein de l’agence SLA m’ont fait comprendre l’existence d’une énergie commune partagée par les habitants, les politiques et les concepteurs (architectes, ingénieurs, paysagistes...) de la ville de Copenhague. Avec du recul, les lectures, conférences et l’entretien réalisé avec Frédéric Bonnet m’ont fait réaliser que cela restait un défi de faire comprendre les enjeux et les intérêts de la présence de la nature en ville.

La clé de l’interface entre nature et culture réside ainsi dans la transmission par et entre les individus. Éclairci avec la notion de biodiversité, le fonctionnement de la nature nous montre que la coopération est une force. Il faut donc reconsidérer l’importance de ce lien aujourd’hui dans des sociétés ou le sens du collectif a perdu sa place. Le rôle de la nature en ville porte alors une réelle ambition, apprendre à la connaître pour mieux la respecter et la protéger dans et en dehors des milieux urbains. Pour une médiation de la nature ordinaire…

Au travers d’exemples de projets réalisés par SLA au Danemark nous avons pu observer que cette approche nous libérait des notions de limites entre nature et culture jusqu’alors dictées dans nos sociétés occidentales. Notre perception culturelle peut encore changer : la ville n’est pas le lieu de la culture comme la forêt n’est pas celui de la nature. Comme défendu par Catherine et Raphaël Larrère, ces formes de dualisme ne permettent pas de CLERGEAU, Philippe, Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain, Apogée, 2020, p.94 3

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construire une vision commune de compréhension de la nature. Pourtant, à l’heure de la crise écologique celle-ci devient nécessaire, pour permettre de l’intégrer dans les réflexions et mieux protéger le vivant. L’éloigner de notre quotidien au travers de zones protégées et délimitées n’est pas une solution pérenne pour la construction du récit écologiste de demain où la place de nos métropoles prend de plus en plus d’importance. La majorité d’entre nous habite en ville, ce lieu devient alors l’interface de rencontres stratégiques. Une nature de proximité se dévoile et s’immisce dans ces frontières.

La reconsidération de la technologie dans notre approche du projet nous ramène à des réflexions plus simples. L’acte ancestral de planter, celui qui a permis à nos sociétés de se développer pour s’émanciper progressivement d’une alimentation irrégulière est un geste qui revient dans notre vocabulaire. Ainsi, la végétation accompagne la régulation des nombreuses conséquences de l’accroissement de la densité dans nos villes et des effets de la minéralisation. Elle révèle des services écosystémiques dévoilés par la technique et l’observation des milieux qui nous entourent. Sa considération dans le projet ne se contente plus d’être un «environnement extérieur» comme décrit par la HQE. La présence de la végétation ne se limite pas à ses intérêts pragmatiques ; démontré par les sciences cognitives, elle évoque aussi un univers sensible difficile à retrouver dans la rigueur du bâti et de la ville : apaisant, récréatif, sensoriel... Ces atouts intégrés dès la conception dévoilent une nature quotidienne intégrant les nouveaux contextes climatiques. Elle aide à absorber les eaux de pluies pour désengorger les réseaux autant qu’elle offre de nouveaux espaces d’intimité et de loisirs permettant la rencontre ou la contemplation, comme à Sankt Kjeld Plads. Ces nouvelles séquences urbaines à réinventer autorisent la nature à réinvestir les sols de nos villes marquant une nouvelle ère dans l’histoire de nos sociétés. Son intégration redessine ainsi les morphologies des villes, leur redonnant une identité propre à chaque contexte géographique. Il serait alors intéressant d’étudier plus en détail les liens qu’entretiennent les habitants avec ces nouveaux espaces pour comprendre comment ils génèrent de nouvelles manières de pratiquer la ville. Ainsi, la nature ne se cantonne plus aux seuls parcs mais elle vient devant notre porte. Ces nouveaux lieux valorisent la nature ordinaire, souvent ignorée, pour se (re)familiariser avec elle. …Révélant de nouvelles méthodes de projet

De nouvelles générations de concepteurs, conscientes de ces changements se distinguent aujourd’hui. Influencé par son parcours atypique, Stig Lennart Andersson, architecte, a développé des concepts qui s’émancipent des logiques modernistes de planification et de contrôle pour donner assez d’espace au monde vivant. Le progrès nous a montré les limites d’une approche technique de la nature, se basant sur un échange à sens unique dont seul l’Homme en est le bénéficiaire. Cette première approche a grandement rigidifié notre rapport à la nature. Afin d’accompagner la réintégration de la nature en ville, 127


il faut alors comprendre les milieux et climats dans lesquels elle s’inscrit. Cela implique une analyse plus approfondie du contexte dès la phase de conception.

L’analyse des méthodes de SLA nous a permis de comprendre l’importance du rôle des experts dans cette compréhension du contexte. Intégré dans le long terme au sein de l’agence, ils participent à la construction de réels savoirs et d’une identité au fil des projets. Ces derniers sont ainsi pensés pour que la nature puisse s’exprimer, se transformer et évoluer dans le temps en relation avec le bâti environnant. Une observation fine des milieux grâce à ces experts redonnent à la phase d’analyse une grandeur retrouvée. Les contextes des projets sont alors étudiés tant sur le plan biologique que sociologique, comme observé sur les projets de Sankt Kjeld Plads et de Fredericia. Cette approche du vivant vient «guider» plutôt que «maîtriser» permettant alors de garantir une forme d’autonomie et de pérennité de ces écosystèmes dans le temps.

L’étude du contexte réintégrée au projet requestionne alors les méthodes classiques de conception. Le projet pensé en interdisciplinarité implique de revoir nos manières de communiquer et évite ainsi de cantonner la construction de nos villes avec d’un côté le bâti et de l’autre le vivant. Il devient nécessaire de favoriser une «pensée du flou» que revendique aussi Olivier Philippe, paysagiste et associé de l’agence TER. L’approche interdisciplinaire du projet se présente alors comme une clé de la réintégration de la biodiversité dans les projets architecturaux et urbains de demain. On peut alors se demander pourquoi ce modèle n’est pas reproduit dans d’autres pays ? Le contexte économique et social favorisé dans lequel SLA se développe est certainement un facteur facilitant le développement de ses pratiques. La ville de Copenhague a pu se distinguer des autres capitales d’Europe par ses choix d’investissements dans l’aménagement de la ville. Les propositions de projets encouragées par la municipalité valorisant la nature en ville sont nombreuses et les opérations de communications comme les Think Tank promeut des agences comme SLA sur le devant de la scène. Cette démarche des concepteurs encouragée par les investisseurs et la politique de la ville est alors essentielle pour l’agence. D’une certaine manière, leur approche a du s’adapter à la société et à ses fonctionnements. Vers de nouvelles temporalités dans le projet

De nouvelles méthodes se dessinent laissant la place au temps, aux variations et aux changements comme «l’urbanisme processus» mis en place dans le projet de Fredericia. Après dix ans de recherche sur ce site, cette approche expérimentale du vivant dans la conception a permis d’intégrer de réels espaces de nature dans le futur plan du quartier. D’une manière générale, les actions politiques se limitant à planter des arbres ne sont pas suffisantes pour recréer une réelle ambition partagée avec les habitants. Des projets intégrant des étapes de transitions peuvent donner du sens à la manière de réintégrer la nature. Comme constaté à Fredericia, la capacité d’adaptation 128


des métabolismes vivants dans le temps permet la création de processus souples en capacité d’évoluer et de se transformer au regard des dynamiques locales. Ces nouvelles temporalités privilégient alors les processus sur la forme et se détachent d’un résultat fini.

Ce désir de réintégration de la nature observé chez les concepteurs nous amène donc à réinterroger les méthodes de conception des projets qui doivent désormais s’adapter à ces variables vivantes. Nous sommes formés à l’architecture bâtie où le paysage est souvent secondaire. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les manières d’apprendre à travailler en interdisciplinarité. Un conditionnement culturel qui a modelé nos processus de conception et de construction du projet. Les limites, comme en témoigne l’un des collaborateurs de TER, Olivier Philippe, sont souvent posées par la nécessité de finaliser les espaces végétalisés en même temps que le bâti (à l’exemple du parc de Billancourt). Des schémas qui maximisent le temps de construction et ne prennent pas en compte les temps nécessaires à l’installation du végétal. Un manque de considération qui n’est pas encore ancré dans la culture des décideurs pour prendre en compte le rythme du vivant. Le processus de projet intégrant le vivant produit des connaissances, il devient un réel enrichissement en lui même. L’étude du contexte nous permet alors de nous reconnecter aux milieux qui nous entourent. Comme défendu par Jana Revedin, cette recherche nous rappelle alors la responsabilité civique des concepteurs dans un monde en transition.

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FILMS :

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Process Urbanism - The City as Artificial Ecosystem (SLA) 28 septembre 2010, 8 minutes 52 secondes, URL: https://www.youtube.com/watch?v=8hyPJ_r2dsk

PODCAST :

COHENNE Marianne, [En]quêtes d’architectures, Saison 1 Episode 1, Incidences des formes urbaines sur la biodiversité [Podcast]. Anne-Claire Jestin, 04/02/2020, 1h00. Disponible sur : Apple Podcast (30/03/2020).

CLERGEAU Phillipe, L’incroyable nature Episode 5, Urbanisme écologique d’avenir : réintégrer la biodiversité dans nos villes [Podcast]. Sidney Rostan, 24/06/2020, 0h46. Disponible sur : Apple Podcast (20/09/2020). PRÉVOT, Anne-Caroline, CNRS, La crise peut-elle nous réconcilier avec la nature ? [Podcast]. Clément Baudet, 05/2020, 00h07. Disponible sur : Soundcloud(10/09/2020).

THÈSES :

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CONFÉRENCES :

ANDERSSON, Stig. (2018, 25 avril) After Nature [Conférence]. Lecture at Harvard University, URL : https://www.youtube.com/watch?v=6N70LEOOCMw&t=44s

BLANDIN, Patrick. (2020, 29 septembre) De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité. [Conférence]. Cycle de conférence «L’environnement en questions» à l’école d’architecture et de paysage de Bordeaux BONNET, Frédéric; GATET, Antoine; GACHELIN Cyril (2020, 30 avril) Biodiversité et Urbanité [Conférence]. Cycle de conférence «Transitons énergét(h)iquement» au 308, maison de l’architecture, Bordeaux

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DESVIGNES, Michel ; FERRIER, Jacques ; PHILIPPE, Olivier, TRÉTIACK, Philippe, (2018, 13 Juin) Table ronde Nature - Architecture. Qui mangera l’autre ? [Conférence]. Cité de l’architecture et du patrimoine «Du rêve à l’écologie urbaine», URL : https://www.youtube.com/watch?v=gJ3056SiDPs JAKOB, Michael (2018, 31 août) Landscape Architecture and the ‘New Generic’ [Conférence]. Lecture at Harvard University, URL : https://www.youtube.com/watch?v=O9x0PPy2LsY MADEC, Philippe (2019, 08 février) L’invention de l’Architecture Frugale. [Conférence]. Le 308 Bordeaux, URL : https://www.youtube.com/watch?v=ZcpnIqEU_GY

MOSCONI, Léa, Les architectes français et l’écologie, École d’architecture de Nancy, 12 Décembre 2018, https://vimeo.com/356358449 ROLLOT, Mathias, (2021, 8 Février), Ce que le biorégionalisme fait à l’architecture, [Conférence]. Faculté d’Architecture de l’Université de Liège, URL : https://www.youtube.com/watch?v=2C3Hz1lXX5Y

RAPPORTS :

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TA B L E D E S F I G U R E S

Couverture : Vue en drone de la ville de Copenhague depuis le parc Hans Tavsens Park, juin 2019 © CdA Figure 1 - La ville de Trondheim à la lisière de la forêt, octobre 2020 © CdA Figure 2 - Couverture du magazine Nature, volume 519, publié le 12 mars 2015, © Alberto Seveso, URL : https://www.behance.net/gallery/24444699/Nature-The-Human-Epoch

Figure 3 - Illustration n°31 issu du livre Anthropocene: A Very Short Introduction, Oxford, 2018 , tiré de l’article scientifique de Simon Lewis et Mark A. Maslin: «Defining the Anthropocene», dans Nature, Mars 2015 © S. Lewis, M. Maslin

Figure 4 - Carte détaillé de la ville de New York, Will L. Taylor, 1879, URL : https://www.loc.gov/resource/ g3804n.pm005990/?r=-1.579,-0.039,4.157,1.97,0

Figure 5 - Stop City, Dogma, 2007, URL : https://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/dogma/stopcity-64.html?authID=259&ensembleID=832

Figure 6 - Types et nombre de catastrophes survenue dans le monde de 1900 à 2007, Thierry Pech, «Les catastrophes naturelles sont d’abord climatiques», Alternatives Economiques, 2011, tiré du site : https://www.notre-planete.info/

Figure 7 - Les 14 cibles de la démarche HQE®, issue d’une étude bibliographique de Tiphaine Brochard et Romain Jaunet pour l’école des mines de Douai, 2007

Figure 8 - HygroSkin, Meteorosensitive Pavillon, 2012, © Florian Kleinefenn Figure 9 - Affiche réalisé à l’occasion du futur déménagement du musée Munch à Oslo, 2020, © Munch Museet Figure 10 - Vue aérienne de la ville de Trondheim, Google Earth, 2020, © CdA Figure 11 - Plan de la ville de Trondheim, 2020, © CdA Figure 12 - Photos du parcours du centre historique de Trondheim à Bymarka, octobre 2020, © CdA Figure 13 - Figure représentant les mots norvégiens géographiques tirés du corps humain, Yann De Caprona : Norsk etymologisk ordbok - Tematisk ordnet, Kagge, 2013, p.202

Figure 14 - Brudeferd i Hardanger, Tideman Adolph et Gude Hans Frederik, 1948, domaine public Figure 15 - Carte illustrée de la ville d’Helsinki, Malev Hungarian Airline, 1970, URL : https://worldtravellib. com/airlines/malevmaps

Figure 16 - Plan de Helsinki réalisé dans le cadre d’un workshop, «Envie(s) de ville(s), la qualité du logement et sa condition urbaine, Frédéric Bonnet, 2013, p.89 Figure 17 - Plan du Fingerplanen d’origine édité en 1947 par la ville de Copenhague, issu de «Urban Form in the Helsinki and Stockholm City Regions», Finnish Environment Institute Suomen ympäristökeskus, Schulman H., Ristimäki M., Söderström P., 2015

Figure 18 - Plan de la proposition du futur Fingerplanen par SLA, 2019, © SLA Figure 19 - Photo de Copenhague, 2019, © CdA Figure 20 - Exposition à la biennale de Venise 2014, «Empowerment of Aesthetics», Topos © Jens Lindhe,

URL : https://www.toposmagazine.com/empowerment-aesthetics/#Topos_Empowerment_Aesthetics_danish_ pavilion3-631x440

Figure 21 - Coupe et plan du jardin personnel de Gudmund N. Brandt, Gudmund Nyeland Brandt, 1930 Figure 22 - Extrait d’une vidéo réalisée dans le cadre d’une campagne pour la ville de Copenhague, City of Copenhagen, 2015, URL : https://urbandevelopmentcph.kk.dk/artikel/urban-nature

Figure 23 - Schémas redéssinés d’après ceux présentés dans la conférence de Patrick Blandin, «De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité», Patrick Blandin, 2020

Figure 24 - Plans et vue satellite de Copenhague, Google Earth, 2020, © CdA

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Au regard de la situation sanitaire, n’ayant pu me rendre sur place, le responsable de la communication et du développement commercial pour SLA, Kristoffer Holm Pedersen, m’a donné son accord pour utiliser les photos de l’agence, notamment réalisées par Mikkel Eye, dans mon mémoire.

Figure 25 - Nouveau cheminement piéton à Sankt Kjeld Plads, 2020, © Mikkel Eye Figure 26 - Photo avant le projet de Sankt Kjeld Plads, juillet 2018, URL : http://danishdesignreview.com/ townscape/tag/Sankt+Kjelds+Plads

Figure 27 - Photo avant le projet de Sankt Kjeld Plads, 2015 © SLA Figure 28 - Vue satellite de Sankt Kjeld Plads, Google Earth, 2015 © CdA Figure 29 - Vue satellite de Sankt Kjeld Plads, Google Earth, 2020 © CdA Figure 30 - Photos de l’inauguration de Sankt Kjeld Plads, 2019, © CdA Figure 31 - Schémas de la phase conception du projet de Sankt Kjeld Plads, 2015 © SLA Figure 32 - Coupe échantillon de la phase conception du projet de Sankt Kjeld Plads, 2015 © SLA Figure 33 - Schéma de la phase conception du projet de Sankt Kjeld Plads, 2015 © SLA Figure 34 - Schéma de la phase conception du projet de Sankt Kjeld Plads, 2015 © SLA Figure 35 - Photo de Sankt Kjeld Plads au printemps, 2020, © Mikkel Eye Figure 36 - Photo de Sankt Kjeld Plads en hiver, 2020, © SLA Figure 37 - Photo de Sankt Kjeld Plads, 2020, © Mikkel Eye Figure 38 - Photo de Sankt Kjeld Plads, 2020, © Mikkel Eye Figure 39 - Photo de Charlottehaven, 2004, © SLA Figure 40 - Photo de Sankt Kjeld Plads, 2020, © Mikkel Eye Figure 41 - Photo de Ladegårdsparken, 1997, © SLA Figure 42 - Perspective pour une consultation, 2020, © CdA pour SLA Figure 43 - Photo de Fredericia, 2010, © SLA Figure 44 - Plantations à Fredericia C, 2011, © SLA Figure 45 - Vues satellites de Fredericia de 2007 à 2018, Google Earth, 2020, © CdA Figure 46 - LEGO Workshop, 2011, © SLA, URL : http://landezine.com/index.php/2013/11/fredericia-ctemporary-park-by-sla/

Figure 47 - LEGO Workshop, 2011, © SLA Figure 48 - LEGO Workshop, 2011 © SLA Figure 49 - Grow your City, 2011 © SLA Figure 50 - Photo de Fredericia, 2011 © SLA Figure 51 - Plan directeur pour Fredericia, 2018 © KCAP Figure 52 - Photo de Tunnelfabrikken, 2019 © CdA pour SLA Figure 53 - Diagramme représentant les différents acteurs au sein de l’agence SLA et TER, 2020 © CdA Figure 54 - Évolution des acteurs de la conception à SLA de 2019 à 2020, 2020 © CdA Figure 55 - Évolution globale du nombre d’acteurs à SLA de 2005 à 2020, 2020 © CdA Figure 56 - Diagrammes idéologiques du fonctionnement de l’agence, 2020 © CdA Figure 57 - Photo de l’agence SLA à Copenhague, 2017 © SLA Figure 58 - Plans de l’agence SLA à Copenhague, 2019 © CdA Figure 59 - Photo, 2019 © SLA Figure 60 - Diagramme, «Climate adaptation and Urban Nature», p.61, 2016 © SLA

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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tout d’abord l’équipe enseignante du séminaire «Repenser la métropolisation» pour ses conseils et le suivi régulier malgré le contexte qui nous a maintenu à distance et nous a poussé à réinventer nos façons de communiquer. Son écoute, ses commentaires et sa confiance m’auront guidé et encouragé pendant tout le processus de recherche et d’écriture de ce mémoire.

À mes collègues de SLA, professeurs de la NTNU et à toutes les autres personnes qui ont croisé mon chemin pendant cette année en Scandinavie, entre Copenhague, et Trondheim, qui ont contribué à nourrir ma réflexion de part leur travail passionné. Le processus de recherche qui m’a guidé à l’écriture de ce mémoire m’a aidé à mieux définir mes aspirations et m’a éclairé dans mes futurs projets. À mes proches, français et norvégiens pour leurs conseils et leur soutien.





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