Empreintes : Récit(s) d'une géographie culturelle - Margaux Limon

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Empreintes : récit(s) d’une géographie culturelle Le projet du Cap Roig par les paysagistes Michèle & Miquel

Séminaire de recherches 2013/2014 Matérialité, culture et pensées constructives Sous la direction de Ghislain His

Margaux Limon Paysage 3ème année



En premier lieu je tiens à remercier les architectes-paysagistes Michèle Orliac et Miquel Battles pour leur conférence tenue à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille en 2012, élément déclencheur de ma réflexion. Je tiens particulièrement à remercier Miquel Battles pour sa disponibilité et sa gentillesse lors de notre entrevue. Je tiens à exprimer des remerciements à mon enseignant encadrant Monsieur Ghislain His ainsi qu’à l’ensemble des étudiants présents au séminaire matérialité pour tous ces échanges que nous avons eus ainsi que les moments de soutien partagés. Je remercie également l’enseignant-chercheur Monsieur Stéphane Angles pour avoir partagé sa passion, son intérêt et ses connaissances de la culture méditerranéenne et plus particulièrement de l’oléiculture espagnole. Enfin, je tiens à remercier toutes les personnes qui de près ou de loin m’ont aidé à la rédaction de ce mémoire.

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Véritable empreintes dans le paysage, l’intervention des paysagistes est affirmée, visible. Les photographies présentées durant leur conférence à l’ENSAPL mettent en exergue des lignes aux couleurs vives. Les murs de soutènement fabriquent des cicatrices nettes dans le paysage. La couleur orangée de l’acier non-oxydée contraste avec celle de la terre à nue. Les paysagistes s’expriment à travers un geste simple, l’installation de murs en acier Corten®. Il s’agit pour eux d’un « beau paysage »1, il fallait le préserver. Le dispositif physique valorise le paysage agricole ancien pourtant, en moins d’une année, cette ancienne frange agricole est complètement bouleversée. Il assure l’accès du nouveau quartier à la plage de Cala Maria située à l’embouchure d’un torrent. Bien qu’ils affirment ne pas disposer de doctrine préétablie, le choix d’un matériau unique dans l’aménagement et différent de l’existant pose question. Ce dispositif en tant que constante assure une certaine continuité et lisibilité au paysage. Il épouse le parcours des lignes topographiques. Le cartographe Joan Blaeu (1598-1673) disait « la géographie est l’œil et la lumière de l’histoire »2, mais que voit-on vraiment? Comment les paysagistes parviennent-ils à restituer une compréhension de ce paysage oléicole quotidien devenu invisible? La retranscription de leur conférence sur le thème « La marque de la géographie » permet de comprendre les raisons de leurs choix en termes de matière, de dessin, et d’action sur le paysage. Le discours des paysagistes et les images présentées du projet dévoilent des contradictions. Un paradoxe entre le récit et l’image. Une intervention dite volontairement forte 1 2

Ibid. Joan BLAEU, Le Grand Atlas, Introduction, 1663

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Située à proximité du Delta de l’Ebre, à deux cents kilomètres au sud de Barcelone, l’intervention des paysagistes est bien loin des franges urbaines denses et des alignements de palmiers présents sur la Costa Brava. Ici, de petites villes côtières restent encore à l’abri d’un tourisme de masse. Les plages de sable fin laissent place à de surprenantes falaises rouge-orangées qui soulignent l’existence d’un paysage escarpé, pratiquement inaccessible. En 2004 au Cap Roig, la Société Catalane de planification organise un concours pour l’extension urbaine d’une partie de la ville située sur les plateaux où certaines parcelles oléicoles sont en régression. Il est prévu la création d’un lotissement composé de petits immeubles collectifs et de maisons individuelles. Cette opération d’urbanisme vise surtout des promoteurs et des investisseurs étrangers. L’aménagement des espaces publics est confié au duo d’architectes et paysagistes francocatalan, Michèle Orliac et Miquel Battles. Le chantier commencé, les paysagistes ne peuvent apporter aucune modification au projet urbain. Deux zones d’actions sont prévues. La première se situe au centre du nouveau quartier, une placette de 35m x 70m3, la seconde située sur la frange littorale, entre les flancs abrupts de deux torrents et l’ancien plateau agricole. Cette étendue d’environ 5ha non-constructible dessine le futur parc, objet des contradictions entre l’image et les mots. Avant leur intervention, l’absence d’un entretien soigné et rigoureux laisse place à un fouillis organique qui rend ce paysage difficilement visible. Le visible est devenu invisible. Cependant, le projet des paysagistes rend à nouveau visible ce qui ne l’était plus. Leur action est le fruit de leur interprétation, de leur compréhension de ce paysage. Pour reprendre les mots de Miquel Battles lors d’un entretien mené le 2 décembre 2013, « c’était un paysage à l’abandon, encore fallait-il reconnaître que c’était ça »4. Cette dynamique renvoie au concept de géographie culturelle théorisé par le géographe et philosophe français Augustin Berque. Une chose peut-être oubliée (un bâtiment, une sculpture, un mur, etc.) puis soudain, devenir le centre de toutes les attentions. Récemment, le cas de la Halle de Fontainebleau a suscité de nombreux débats. Cette Halle jugée obsolète devient d’un coup l’objet des préoccupations car le nouveau projet d’aménagement prévoit sa destruction. L’idée prédominante est que la matérialité d’un objet, d’un bâtiment, d’un lieu est moins une réalité physique que le récit que l’on fait de cette réalité. Comment fonctionne ce changement de regard culturel ? Cette corrélation entre réalité physique et récit, Augustin Berque le définit à travers son concept de trajectivité. La quotidienneté, les récits populaires sur ces paysages influent sur leur visibilité. La vision en tant que regard est une action, une interprétation. En cela, les réflexions d’Augustin Berque et Maurice Merleau-Ponty présentent des ressemblances Cette habitude visuelle, physique finit par prendre le pas sur la mémoire, on oublie, ou plutôt, on ne voit plus. On oublie à quel point le paysage dans lequel on réside peut cacher des spécificités, des caractéristiques propres qui font qu’on habite un ici et non un ailleurs. La Convention européenne du paysage est utilisée ici comme fil conducteur pour parler du paysage et de la mémoire. Dans son texte elle définit trois catégorie de paysages ; les quotidiens, les dégradés ou les remarquables. La façon de penser les paysages du quotidien n’est pas propre à 3 4

Une partie du projet qui ne sera pas développée dans la réflexion, voir les détails du projet en [Annexe 3] Miquel BATTLES, entretien mené le 02/12/2013 [Annexe 2 p.25]

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notre siècle : « les paysages quotidiens aussi étaient vus comme bruts, vulgaires, informes »5. Si les catégories restent fixes, les paysages eux passent de l’une à l’autre. Avant l’ascension du Mont Ventoux par Pétrarque, les écrits de Victor Hugo, les peintures, etc. la montagne aussi était perçue comme brute, informe, horrible, terrifiante, pourtant aujourd’hui une grande partie des européens désigne la montagne comme un paysage Sublime au sens employé par Kant. L’invention du dispositif de soutènement de Michèle et Miquel sur ce paysage agricole ordinaire peut-il provoquer ce changement de regard ? Ce sont les récits qui permettent le changement de regard : une peinture, un texte, un crime, un article, une guerre, à travers eux on apprend à voir. Une interrogation que soulève le philosophe français Maurice Merleau-Ponty. Il pose la question de l’importance de l’interprète et des clés dont on dispose pour pouvoir voir. C’est pourquoi depuis son utilisation dans le vocabulaire courant la définition du paysage ne cesse d’être modifiée, changée, précisée. Dans le projet du Cap Roig, s’il ne s’agit pas d’une muséification, il s’opère toutefois une artialisation du paysage au sens employé par A. Roger. La comparaison du dispositif mis en place par Michèle et Miquel avec d’autres actions qui visent à révéler le visible, permet de comprendre que le paysage est une invention.

5 David LOWENTHAL, Passage du temps sur le paysage, chapitre XIV, trad. de l’anglais par Marianne Enckell, éd. Infolio éditions, 2008, p.278

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Sommaire I- Récit(s) au Cap Roig................. p.7 A- De la distinction..

B- à la disparition

® 1- Le dragon Corten............10 «Un paysage magnifique» Des lignes au dragon

1- Flânerie in situ............21 Découverte d’un autre paysage Dragon où es-tu?

2- Marquer le paysage..........14 Falsification Fort et effacé?

2- Matière en évolution.......24 L’acier autopatinable La pierre L’eau L’olivier

3- Matière en reflexions......16 Couleur Vs Modernité Un module en origami Installation du dragon

3- Vers un effacement? ........28 Esthétique de la disparition et de la transformation Less is more

II- Un paysage quotidien?............... p.31 A- Le quotidien invisible

B- Un nouveau récit

1- Obsolescence des pratiques oléicoles .................32 Dur labeur! Déprise

1- De nouvelles pratiques.....42 Générer de nouvaux accès Promenade, flânerie,...

2- Paysage à l’abandon?.......35 Non! un paysage quotidien Ce n’est qu’une question de valeur? 3- «Géographie culturelle»....38 Empreintes Matrice Empreintes + Matrice

2- Unicité de la matière......44 Tout en Corten Jouer avec la matière 3- Dispositif Vs Matrice......46 Architecture d’action? Dispositif(s)

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Paysage comme storytelling.............. p.50 A- Le quotidien invisible

B- Un nouveau récit

1- Obsolescence des pratiques..51 oléicoles Dur labeur! Déprise

1- De nouvelles pratiques ..61 Générer de nouvaux accès Promenade, flânerie,...

2- Paysage à l’abandon? ..........53 Non! un paysage quotidien Ce n’est qu’une question de valeur? 3- «Géographie culturelle».......58 Empreintes Matrice Empreintes + Matrice

2- Unicité de la matière....64 Tout en Corten Jouer avec la matière 3- Dispositif Vs Matrice ...66 Architecture d’action? Dispositif(s)

Conclusion.............................. p.71

Bibliographie........................... p.76

Annexes................................. p.86

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I- Récit(s) au Cap Roig

Photographie de l’Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes - publiée dans « Traitement des espaces verts à Cap Roig », dans Quaderns d’Architectura I urbanisme, n°247, sept. 2005, pp. 40-45

Photographie issue du site Landezine© [Landscape Architecture work] Consulté le 02/10/13 Paysages en évolution, des scarifications à l’atténuation...

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A travers ces différents plans, la co-construction du paysage par l’homme et la nature est presque évidente. Les murs de soutènement reprennent les inflexions de ce paysage escarpé. Les plantations d’oliviers passent d’une trame régulière au niveau du plateau à une trame plus organique lorsque le dénivellé est trop important. Chaque parcelle de terre est exploitée pour l’agriculture. Plans de diagnostic du parc - Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes


La nouvelle intervention s’intègre dans la matrice du paysage existant. Elle reprend les courbes de niveau et le tracé des murs existants. Plan masse du projet de parc - Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes

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Plage de Cala Maria

Autorou te

Lit du torrent

Lit du torrent

Lit du torrent

Lieu du nouveau projet urbain

Plage de Cala Maria

te rou o t Au

Photographies aérienne - Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes Sur ces vues obliques l’intervention de Michèle et Miquel est invisible. Seules les tracés des routes pour la desserte du nouveau quartier se remarquent par leur rigidité et l’interruption radicale en impasse. Les espaces les plus escarpés sont visibles grâce à la présence d’une végétation plus dense et plurispécifique. Page 9



I. Récit(s) au Cap Roig A – De la distinction 1. Le « dragon » Corten® «Un paysage magnifique»6 Le jeudi 12 avril 2012, lors d’une conférence à l’école Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, le duo d’architecte-paysagistes franco-catalan, Michèle Orliac et Miquel Battles racontent aux étudiants, aux chercheurs, aux enseignants quelques histoires… Une de celle-ci les propulse de l’autre côté de la frontière française, sous le soleil encore brûlant de la Costa Daurada. Longeant la côte Méditerranéenne, à deux heures au sud de Barcelone, et à quelques kilomètres du Delta de l’Ebre, se détachent du front de mer des falaises aux couleurs chatoyantes. Ces falaises soulignent l’existence d’un paysage presque inaccessible, en encorbellement sur la mer. A l’embouchure d’un torrent, aux pieds d’une falaise se dessinent de petites criques accueillant le regard curieux de quelques plongeurs. C’est dans cette petite ville côtière non loin de Salou, de Tarragona, et des petits ports d’Amettla de Mar et de l’Ampolla que les plages escarpées du Cap Roig restent à l’abri d’un tourisme de masse. Sur les flancs abrupts des falaises, les oliviers centenaires continuent à produire leurs fruits sans personne pour les ramasser, à l’exception de quelques particuliers. Aujourd’hui l’industrialisation et la culture de masse ont pris le pas sur ces petites exploitations devenues au cours du temps déficitaires. Ces terres situées sur les plateaux, en bordure du littoral sont le plus souvent en friches. Elles s’avèrent être des espaces libres propices à l’émergence de nouveaux projets. C’est sur ces hauteurs qu’en 2004 la Société Catalane de planification (La Sociedad Catalana de Ordenación del Territorio) organise un concours pour l’extension urbaine d’une partie de la ville du Cap Roig située sur les plateaux. Un endroit favorable à l’urbanisation; à deux pas du centre bourg, de son port, de ses criques. Cette opération émane d’une volonté de faire du Cap Roig une extension de la ville de l’Ampolla, très touristique, située à quelques kilomètres au sud. Il est prévu la reconversion d’un site oléicole abandonné en un nouveau quartier d’habitats. Ce nouveau quartier vise en particulier une clientèle touristique avec des appartements destinés essentiellement à la location estivale. Ce nouveau quartier se compose principalement d’habitats 6

Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p. 4]

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Etat du paysage à l’arrivée de Michèle et Miquel Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014


collectifs bas et de quelques parcelles individuelles bâties. Une agence d’urbanisme est retenue pour répondre au projet urbain, tandis que le traitement des « espaces verts » est confié aux paysagistes Michèle Orliac et Miquel Battles. Dès le départ, le projet de paysage est pensé séparément du concours d’aménagement urbain puisqu’il intervient après l’obtention du concours par les urbanistes. Les travaux de terrassements touchent à leur fin quand Michèle et Miquel sont sollicités pour aménager les espaces publics. Leur intervention se limite pour reprendre les mots de Miquel au « design d’espace ». « Au lieu d’intervenir comme des architectes on intervient comme des « intérioristes ». On intervient déjà sur un bâtiment avec une structure et déjà presque tout de dessiné et de décidé. On n’a pas travaillé ici comme des paysagistes mais comme si on était des « intérioristes ». » 6 Le projet validé et les travaux commencés, les concepteurs n’ont aucun droit de regard ou de modification de l’aménagement urbain conçu par l’équipe des urbanistes. Deux zones d’actions sont proposées aux paysagistes : -

L’une se situe au centre du nouveau quartier, une place de 70m x 35 m cernée de part et d’autre par des immeubles sur trois niveaux.7

-

La seconde se situe sur la frange littorale avec ses terrasses d’oliveraies abandonnées. Elle comprend également les abrupts dessinés par les lits des torrents. L’ensemble de cette zone d’environ 5ha est non-constructible. La loi littorale impose une distance de sécurité vis-à-vis des lits des torrents ainsi qu’entre la zone urbaine et la frange littorale (entre 100 et 200m). Cette étendue forme un espace naturel, un parc qui servirait de transition entre le nouveau quartier bâti et la plage de Cala Maria située au pied de la falaise, à l’embouchure du lit du torrent.

Sans programme défini, avec pour seule contrainte les moyens financiers, les paysagistes composent le leur pour répondre aux exigences et aux besoins de ce territoire. A partir des données économiques, programmatiques et de leurs analyses in situ, les paysagistes préservent la zone non-constructible dans l’état où ils l’ont découverte. «On arrive sur ce paysage magnifique, angoissés. On ne peut faire plus beau que ce qui existe mais c’est menacé. »8. « Beau », « magnifique », sont des adjectifs forts liés à l’esthétique qui expriment un ressenti, une émotion vécue sur place. Ils défendent leurs premières impressions comme un point de départ dans la réflexion du projet. « Quand tu vas quelque part il y a quelque chose que tu ressens, que tu attrapes. C’est ça. C’est sortir quelque chose de cette impression, que tout le

6 Miquel BATTLES, entretien mené le 02/12/2013 [Annexe 2 p.18] 7 Cette partie du projet ne sera pas détailler à l’intérieur de cette étude, des informations complémentaires sont présentées en [Annexe 3 : Détails de l’aménagement de la place au Cap Roig] 8 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p. 4]

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MARQUEUR PAYSAGER. La couleur de l’acier tout juste mis en oeuvre fait concurrence à la couleur de la terre. Par complémentarité du cercle chromatique, l’orangé de l’acier Corten contraste avec les feuillages verts soutenus des végétaux présents. Egalement, les nouveaux murs rattrapent les anciens et fabriquent des rampes, des escaliers. Photographie issue du site Landezine© [Landscape Architecture work] Consulté le 02/10/13


projet sorte de l’impression que tu as reçu. »9

Des lignes au dragon Sur les premières photographies présentées se détachent des lignes. Des lignes aux couleurs orange vifs soulignent l’existence de ce paysage escarpé en encorbellement sur la mer : « Un terrain magnifique en encorbellement sur la mer, en presqu’île sur la mer, avec des plantations d’oliviers en partie haute, et puis des murs en pierres sèches qui permettent de retenir la terre sur les pentes. Quelques fois il y a ce qu’ils appellent des « bancales », c’est-à-dire des terrasses où il y a une ligne d’oliviers c’est quelques fois très étroit. »10 La couleur orangé de l’acier autopatinable11 contraste avec la couleur de la terre oxydée due à la présence naturelle de fer dans le sol. La composition du sol donne son nom à la ville de Cap Roig qui signifie Cap Rouge. Ces courbes épousent la géographie du site opposant l’horizontalité du mur face à la verticalité des troncs des oliviers. Un tracé et une implantation qu’ils justifient à partir de la topographie existante et du constat fait sur la dégradation avancée d’un grand nombre de murs de soutènements réalisés il y a plusieurs siècles. Chaque nouvelle ligne en acier autopatinable se raccroche aux anciens murs de soutènement en pierres sèches à peine visibles. Ceux-ci se fondent dans la végétation spontanée apparue avec l’abandon de l’oléiculture sur la parcelle, mais aussi, à cause de la couleur des pierres. Les pierres extraites directement du sol et agencées pour l’agriculture ont conservé leur couleur naturelle ce qui explique la difficulté à distinguer le sol de la pierre des murs. L’arrivée de ces lignes dans le paysage semble bouleverser la compréhension de ce paysage. Selon leurs propos, elles donnent à voir les terrasses autrefois utilisées pour la culture oléicole afin d’optimiser l’ensemble des espaces disponibles. Pourtant la première chose qui est perçue ce ne sont pas les terrasses qui fabriquent ce paysage de restanque12 mais plutôt ces lignes en acier autopatinable devenues de véritable marqueurs paysagers. Ces courbes orangées contrastent avec les couleurs des différents feuillages présents sur le site. L’orange et le vert complémentaires dans le cercle chromatique provoquent cette démarcation prononcée entre les éléments. Ces deux couleurs se répondent, se valorisent et se renforcent sans cesse. Un acte volontaire ou une coïncidence bien venue ? Il s’opère ce que Bernard Lassus pourrait qualifier 9

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.25]

10 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op.cit. [Annexe 1 p. 4] 11 D’après la définition de l’AFNOR (EN 10025 – 5 -2005), il s’agit d’un acier auquel un certain nombre d’éléments, tels que le phosphore, le cuivre, le chrome, le nickel, le molybdène, ont été ajoutés afin d’en accroître la résistance à la corrosion atmosphérique par la formation d’une couche auto-protectrice d’oxydes sur le métal de base sous l’influence des conditions atmosphériques. 12 Centre Régional de la Propriété Forestière PACA, Les restanques. Guide de bonnes pratiques pour la préservation des paysages en restanque, éd. Sud Graphique, 2012 Paysage en restanque : Le terme « restanque » désigne, au sens propre, un mur de retenue en pierres sèches laissant passer l’eau et soutenant une planche de culture en amont (la « faïsse » en provençal). Par abus de langage, il arrive que l’on désigne par le terme « restanque » à la fois le mur de soutènement et la bande de culture qu’il soutient.

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l’idées du «dragon» véhiculée par Michèle Orliac. Les murs en acier autopatinable ondulent à la manière des dragons du nouvel an chinois. Ils épousent les mouvements du sol. Documents de l’Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes et de Lourdes JANSANA publiée dans « Scarifications. L’aménagement du Cap Roig, L’Ampolla (Espagne) », Techniques & Architecture. Paysage 1, n°487, éd. Jean Michel Place, 2006, pp. 32-36


de contraste retardé13. Ce principe d’articulation met en évidence la manière dont un système visuel, entre autre la couleur, parvient à déteindre, se transposer, pour former un ensemble qui dialogue. Dans le cas présent, ce processus visuel capture l’œil du spectateur et fait disparaître le paysage environnant. Si le dialogue paraît rompu entre la pierre et l’acier, celui avec la végétation n’en n’est que renforcé. En suivant toujours le discours de Michèle, l’auditoire comprend que ces lignes sont en fait spatialement des diagonales. Le dispositif mis en œuvre est conçu pour accéder du plateau où se construisent les nouvelles habitations à la plage en contre-bas sans difficulté. Les diagonales dessinent des chemins qui permettent d’arriver d’une terrasse à une autre. Il s’agit de rampes d’accès qui tantôt prennent la forment d’un pas d’âne, tantôt celle d’une pente douce voire d’un escalier dans les espaces les plus abruptes. « Ces chemins vont rattraper des terrasses qui existent et ils vont passer là où sont les éboulés. L’idée était qu’on ne voulait ni détruire, ni reconstruire, ils s’immiscent alors là où sont ces éboulés. Il s’agit de diagonales car il faut passer du plateau jusqu’à la plage et ils vont servir pour passer d’une terrasse à l’autre. Quand c’est possible on suit une terrasse puis on repasse d’une terrasse à une autre. Voilà par exemple une diagonale qui permet de passer d’une rue à la place, alors on passe ici là où c’est éboulé, on continue, on attrape une terrasse, on continue à descendre etc… Voilà le genre de « dragon » que cela crée, une espèce de bête bizarre qui passe donc d’une terrasse à l’autre […]. »14 L’image du dragon véhicule l’idée d’une flexibilité et d’une malléabilité de la matière Corten®. Les dragons visibles lors de la célébration du nouvel an chinois témoignent de cette agilité à s’adapter aux mouvements impulsés par les porteurs du dragon. Cette liberté de mouvement fait échos à la manière dont l’acier autopatinable vient épouser les inflexions du terrain naturel. Il existe un dernier recoin : l’amphithéâtre. Les terrasses forment un arc de cercle orienté vers la mer ; « un endroit magnifique où l’on peut s’assoir, apprécier le paysage de la mer, etc. Et cela tout le long du chemin de ronde qui parcourt toute la côte française et espagnole pour vérifier que l’ennemi n’arrive pas. L’idée de ce chemin de ronde était de passer de terrasse en terrasse et de pouvoir s’asseoir. Ce sont des chemins bancs. »15 Le choix de la matière, de la forme, de la matérialité en quelque sorte de ces nouveaux murs de soutènement détient une place importante dans la réflexion du projet. Elle pose la question du dialogue entre l’existant et l’intervention contemporaine, mais aussi de l’incidence d’une hausse potentielle des flux sur le site. Faut-il conserver, adapter ou modifier la matière existante ? Face à ces modifications que choisissent les paysagistes ? 13 Bernard LASSUS, concept développé au sein de son ouvrage Ville-paysages : couleurs de Lorraine, éd. Mardaga, 1989 14 15

Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p. 5] Ibid. p.5

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2. Marquer le paysage Falsification Falsification, de sa racine latine faire du faux – falsus, faux et facere faire. Imiter une pratique ancienne s’apparente pour les concepteurs à un refus de la strate contemporaine. « On décide de ne pas le faire à l’ancienne. Pourquoi ? D’un côté personne ne sait faire maintenant et cela coûte très cher, mais plus que ça. On pense que faire à l’ancienne, c’est faire de la falsification. Cela n’a aucun sens. Je pense que c’est bien qu’il reste le paysage tel qu’il était avant, et de faire des nouveaux murs pour ne pas falsifier, pour ne pas rajouter des éléments. Si on refait des murs en pierres avec des gens qui savent le faire ils vont le faire différemment mais à la fois similaire. On veut que la nouvelle couche soit distincte de l’ancienne. Les nouveaux murs jouent avec les anciens. Ces murs contrastent avec la nouvelle intervention. On est à une époque différente on ne veut pas faire d’imitation. C’est pareil pour le bâtiment, c’est terrible de faire des choses à l’ancienne, c’est horrible, pour moi c’est comme une insulte. Il ne faut pas faire d’imitation. Il faut être respectueux et pourquoi pas violent si c’est justifié, mais surtout pas faire d’imitation. A ce moment-là, tu ne sais pas ce qui est vrai, ce qui est faux. »16

Au-delà de l’idée du coût de la matière première qui est soit directement présente sur le site soit disponible à proximité, son coût de mise en œuvre dépasserait-il le coût d’achat et de mise en œuvre de l’acier autopatinable ? Rien n’est moins sûr. Reproduire une manière de faire, copier un paysage interrogent Michèle et Miquel. Cette question est d’actualité. Elle est reprise par PierreAndré Lablaude17, architecte des monuments historique, au cours de la table ronde du Colloque de fermeture sur les « Nouveaux défis pour le patrimoine culturel ». Il soulève la question de la légitimité de reproduire dans la reconstruction et propose deux exemples ; la Sagrada Familia à Barcelone et la Cathédrale de Saint-Pierre de Firminy. Si la première mentionnée a droit à ses louanges, la seconde est fortement remise en cause, « caricature », « grimaces ». Un vocabulaire commun que l’on retrouve dans le discours des concepteurs franco-espagnols.

Fort et effacé ? Il est bientôt 20h30, le temps d’échange lié à la conférence de Michèle et Miquel est à présent bien entamé quand surgit une des dernières questions : « Du coup vous parlez beaucoup de 16 Miquel BATTLES, entretien Op. Cit. [Annexe 2 p. 19] 17 Pierre-André LABLAUDE, Les horizons du patrimoine culturel, Colloque de clôture de l’Atelier de réflexion prospective « Nouveaux défis pour le patrimoine culturel », Table ronde sur les Valeurs, Palais Chaillot à Paris, 7 février 2014

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Des marques visibles de la nouvelle intervention. Ces blessures encore vives apparaissent au détour d’un chemin, affirmant une position radicale des concepteurs. L’intervention des paysagistes est presque chirurgicale, les murs de soutènement respectent les inflexions, les courbes, la matière existante pourtant l’impact sur ce paysage agricole n’en est que plus remarquable. Photographie de la revue Quaderns d’Architectura I urbanisme, n°247, sept. 2005, pp. 40-45


l’existant et de regarder ce qu’il y a. Je ne sais pas si c’est une question facile mais je voulais savoir. Vous intervenez quand même de façon assez forte malgré que ce soit très respectueux du lieu. Je voulais savoir comment vous passiez d’un respect très fort et en même temps avec... On sent un basculement. Par exemple ce chemin dans ce quartier d’habitations, ou d’autres exemples que vous nous avez montré. »18 Sensible à ce paysage et soucieux de le partager, de le laisser évoluer, « on ne peut faire plus beau que ce qui existe mais c’est menacé. »19 Le duo de concepteurs intervient sur ce paysage à la fois brutalement, mais en même temps avec douceur pour préserver l’existant, le beau. Bien que peut diseur, Michèle Orliac cite l’écrivain français Pascal Quignard avant de démarrer la description du projet mené à Cap Roig, « Pascal Quignard avait dit « l’art est l’écho d’un passé qu’on invente », et c’est ce qu’on essaie de faire, c’est-à-dire garder quelque chose du passé et le réinventer d’une certaine façon, […] de le découvrir ou de le redécouvrir. » A travers ces premiers mots la réponse de Michèle à la question de l’auditrice paraît assez évidente, il s’agirait d’un acte volontaire. Peut-être même les prémices d’un processus de penser, d’une doctrine qui sera toutefois niée par les concepteurs eux-mêmes durant la conférence, « une volonté de livrer quelque pistes plutôt qu’une théorie ou une doctrine »20. « Effectivement on cherche à respecter absolument et à être absolument fort, c’est-à-dire ne pas être respectueux au point de s’effacer complètement. Penser que la couche moderne, contemporaine est aussi intéressante, enfin devrait l’être, que les différentes couches qui lui ont succédé dans le paysage passé. On ne veut pas non plus être timide. Peut-être qu’un jour on sera effacé si c’est nécessaire. Mais en tout cas on ne refuse pas effectivement d’être fort et on essaie même de l’être. C’est vrai que l’on essaie de jouer entre ces deux opposés qui sont le respect que l’on voudrait le plus total et une grande force oui. »21 L’idée de l’acte fort se résume par le fait d’ajouter une nouvelle empreinte sur ce paysage. Il s’agit en quelque sorte d’assumer une action dans le temps et d’assurer une compréhension, voire une hiérarchie entre les différentes couches présentes sur un même espace. Sur le parc on peut distinguer l’usage contemporain de l’usage agricole passé par le simple fait d’utiliser une nouvelle matière pour faire la même chose; des ouvrages de soutènement. « L’intervention était de garder, de ne pas rajouter une nouvelle histoire, de commencer à penser comme des paysagistes avec des idées magnifiques. On va garder le paysage magnifique tel qu’il est. On va ajouter des éléments pour les usages d’aujourd’hui. »22

18 19 20 21 22

Etudiante en 4ème année à l’ENSAPL, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p. 14] Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.4] Ibid. p.4 Ibid. p14 Miquel BATTLES, entretien, Op. cit. [Annexe 2 p.21]

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Ce paradoxe entre l’acte fort et le respect serait voué à disparaître avec le passage du temps, « on veut bien être fort mais on voudrait aussi que ce tracé fort s’efface petit à petit par les plantations, par l’herbe qui pousse, par les attaques du vent, des intempéries […] Je ne sais pas pourquoi on a tendance à aimer les actes forts effacés par d’autres interlocuteurs, d’autres partenaires, par le temps, etc. »23 Une justification de pensée qui se tient dans la mesure où les photographies publiées dans différentes revues montrent une certaine force dans l’intervention. Le sol est nu, la couleur de l’acier autopatinable est forte, effaçant presque l’existence des autres éléments constitutifs de ce paysage. L’œil est absorbé par ces lignes fortes le reste devenant presque invisible. Cette confrontation dominée par l’acier Corten® questionne la faisabilité et l’efficacité de cette double lecture, distinction/disparition. A contrario, sur la place l’acte fort se traduit assez discrètement finalement24. Les photographies présentées montrent l’espace sans l’urbanisation. Les jardinières semblent intégrer au paysage présenté. L’absence d’une échelle humaine facilement interprétable, et la présentation de photographies sans le contexte urbain qui définit la place rend difficile la compréhension de l’espace. Deux résultats, ou du moins deux approches qui s’avèrent assez contradictoires. Les photographies présentées lors de la conférence ou celles utilisées dans des magazines vont à l’encontre de leur discours. Le projet prévu dans le vallon apparaît comme extrêmement fort contrairement au projet de place qui est présentée comme une critique de la réflexion menée par les urbanistes. Une dernière contradiction dans leur discours, l’utilisation de cet oxymore25 « fort et effacé », est-ce vraiment possible ? Comment peut-on à la fois être fort et à la fois effacé ? La distinction face à la disparition est une réflexion paradoxale au regard des photographies et du discours tenu. Une manière d’intervenir sur le paysage qu’ils intègrent après dans d’autres projets notamment à Figueras quelques mois plus tard ou au Treffort. Bien qu’ils disent ne pas avoir de doctrine préétabli, on remarque des similitudes dans la volonté d’être fort et respectueux, ou dans le choix d’utilisation de la matière ; un matériau pour tout faire.

3. Matière en réflexions Couleur Vs Modernité ? A la question, « et pourquoi l’acier Corten® ? », les paysagistes ont une réponse quasiment imparable, presque trop évidente. En quelques mots ils sont tous les deux capables de résumer les raisons pour lesquelles l’acier autopatinable a été retenu pour ce projet. Ces justifications sont loin d’être celles présupposées par la majeure partie de l’auditoire qui supposent une envie 23 24 25

Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.14] Pour des informations supplémentaires cf. [Annexe 3 : Détails de l’aménagement de la place au Cap Roig] Oxymore : figure de style qui réunis deux termes antinomiques (ex : silence assourdissant, clair-obscur)

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Prise indépendamment les couleurs du sol et de l’acier sont relativement semblables à la livraison. Pourtant mises sur un même plan, la couleur de l’acier absoud celle du sol. Photographie 1 : Photographie personnelle /visite in situ / janvier 2014 Photographies 2 et 3 issues du site Landezine© [Landscape Architecture work]


de modernité, d’utiliser un matériau en vogue présent dans de nombreux projets de paysage. La première raison évoquée est la propriété physico-chimique de l’acier autopatinable. « On s’est dit on va utiliser le Corten® non pas parce que c’est un matériau à la mode mais pour une raison très simple : les couleurs. Si vous regardez la falaise, c’est une couleur rouge. Cela vient de l’oxyde de fer. C’est pour cela qu’on s’est dit l’élément Corten® c’est de l’oxyde de fer ça va très bien avec ce paysage.»26 En repensant aux photographies diffusées quelques minutes auparavant durant la conférence, il est assez facile de faire le rapprochement colorimétrique entre la couleur de la roche responsable de la toponymie du site, Cap Rouge, et celle de l’acier autopatinable. A ce momentlà, la couleur de l’acier et celle de la terre à nue sont, il est vrai, sont relativement similaires. Pourtant montrer sur une même photographie la couleur de l’acier autopatinable absout celle du sol. Il faut distinguer la couleur prononcée présente sur l’abrupt de la falaise et celle du sol travaillé pendant des siècles pour fabriquer des terrasses. Cette couleur plus fade est celle de la pierre utilisée jadis pour construire les murs de soutènement. C’est pour cela que l’association de ces deux teintes fabrique un contraste prononcé à l’intérieur de ce paysage de restanque. Les photographies présentées font état de la livraison du chantier, l’acier n’a pas accompli l’ensemble de son cycle de protection face à la corrosion expliquant la couleur criarde et le contraste avec l’existant. En effet, la caractéristique singulière de l’acier autopatinable est son aptitude face à la corrosion. Chaque agent qui participe à la formation de la patine détient des propriétés particulières. « Le phosphore renforce l’action du cuivre et provoque une oxydation régulière sans piqûre ; de plus il favoriserait la « cicatrisation » de blessures de la couche d’oxydes. En présence de SO2, le chrome et le nickel favorisent la formation de sulfates basiques insolubles qui colmatent les porosités de la couche d’oxydes, améliorant ainsi leur étanchéité à l’eau. »27 Cependant, le climat, la présence de facteurs corrosifs comme un excès de chlorure (marin ou salage manuel) peuvent contrarier cette pellicule protectrice. La présence de sel en charge relativement importante dans l’air ambiante va influencer le choix d’une classe de corrosivité pour assurer la longévité de l’ouvrage. Dans un milieu sous influence saline comme le Cap Roig il est préférable choisir une classe de résistance comprise entre 3 et 5. L’existence de fissures et d’aspérités en surface, invisible à l’œil nu peut compromettre la pérennité du matériau. En cas d’humidité permanente, l’eau peut s’infiltrer et stagner. La strate protectrice s’altère progressivement et le cycle de corrosion reprend alors son évolution naturelle. Au Cap Roig, le sol est particulièrement dur, compact, quasiment imperméable, ce qui peut apparaître comme un défaut pour l’agriculture est dans le cas présent un atout. Les conditions climatiques, les caractéristiques du sol au Cap Roig semblent propices à la pérennité 26 27

Miquel BATTLES, entretien, Op. cit. [Annexe 2 p.19] « Propriétés de l’acier Corten », Acier Corten, http://www.metalco.fr/, consulté le 21/02/2014 Processus de Corrosion Cf. [Annexe 4 ]

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La matrice existante est reprise dans le projet des paysagistes grâce à l’utilisation de ces différents pliages. A travers l’ensemble de ces modules se dessine le rapport étroit entre la géographie physique et la géométrie du module. Modules de pliage utilisés- Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes


de l’ouvrage. Les périodes d’humidités qui suivent des violents orages observables dans la région ne suffisent pas à altérer la patine. Néanmoins si cette justification présente une certaine logique en termes de propriété chimique elle n’est que peu visible. C’est la raison pour laquelle les concepteurs appuient leur décision sur d’autres critères plus technique et pratique.

Un module en origami28 L’idée énoncée par Miquel «la structure d’un paysage ancien se recycle bien pour de nouveaux usages »29 signifie que le paysage existant peut servir de socle. Les deux paysagistes recherchent un module de soutènement qui puisse s’adapter à la topographie du site. En plus de retenir la terre et de conserver la structure du paysage existant, le module de soutènement doit à la fois s’adapter aux inflexions du terrain tout en restant accessible aux piétons. L’acier est un matériau résistant à la fois aux phénomènes de compressions et de traction. Ses propriétés élastiques permettent d’assurer une meilleure résistance aux phénomènes de compression et en fait un matériau adapté à la construction de mur de soutènement. La forme donnée au mur poids permet d’opposer le poids de la plaque en acier à la poussée des terres qui tendent à le renverser. La poussée des terres est minimale au sommet du mur et croît avec la profondeur en arrière du mur. A la manière d’un origami, les planches d’acier autopatinable se plient et se déplient. L’ensemble de ces objets en acier forment des pièces adaptées aux mouvements du sol tout en respectant les contraintes liées à la pente. [Annexes 5 : Des similitudes avec l’origami] « On est dans une terre ferreuse, on s’est dit qu’on allait utiliser le métal, le fer, le plier et en utiliser pour toutes interventions. On construit les chemins avec ça. On a pris deux plaques standard 2x2m et 2x3m. On les a plié dans un sens, et à partir de ce pliage, on a configuré tous les éléments qu’on voulait apporter pour construire ces chemins, ces bancs, c’est à peu près tout. Avec une seule carte informatique on peut avoir une industrialisation qui sort des formes différentes. La machine a sorti différents modèles de pliage qui vont nous permettre à partir de ces six éléments de construire tout le projet. Alors on peut les assembler comme on veut, par trois, par deux,… par exemple, cela nous permet de nous adapter au relief, au terrain. »30 Le produit du pliage peut être assimilé au dérivé d’un muret en L classique où la pièce nécessaire pour le couronnement appartient au même bloc et relève du même matériau que la structure 28 Origami : Art traditionnel japonais qui consiste à plier du papier pour lui donner des formes variées, animaux, objets, poupées, etc. 29 Ibid. p.24 30 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.5]

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DEUX TECHNIQUES DE PLIAGE Manuellement par pression ou par choc

Par pression - pas de déformation le pliage est uniforme

Par choc - déformation le pliage est moins précis

Mécaniquement par plieuse ou presse-plieuse Sur plieuse l’angle est moins précis il est définit directement sur la machine

Sur presse- plieuse l’angle est plus précis mais le coût de revient est plus important car cela nécessite la fabrication d’une pièce spécifique pour donner l’angle adéquat.

PERTE DE MATIERE

A partir d’une certaine épaisseur le pliage de l’acier engendre une perte de matière. Cette perte fabrique des zones plus sensibles à la corrosion qui peuvent se transformer en zone de fracture. Il est nécessaire d’enlever les bavures et de limer les angles pour éviter cette zone de fracture.

A travers ces schémas, bien que les angles prévus par Michèle et Miquel dans leurs modules de pliage soient précis, un pliage sur presse-plieuse est envisageable même si le résultat est moins rigoureux. Schémas de pliage issues du site web http://www.cuvelier-ludovic.fr/docs/mei/mecanique/pliage.pdf


porteuse. Cette cambrure supplémentaire permet d’intégrer l’assise à l’intérieur même de l’ouvrage de soutènement. Cette complexité dans le pliage renforce ou diminue-t-elle les caractères physiques du module de soutènement ? Les plaques d’acier peuvent être pliées dans des usines métallurgiques spécialisées. La marque choisie par les concepteurs Urssa Corten® assure la fabrication et le pliage des plaques compris entre 1,5 et 400mm d’épaisseur. Michèle et Miquel ont choisi des plaques de 5mm d’épaisseur ce qui leur permet d’obtenir directement leur module de pliage. Les dimensions des plaques sont imposées par l’industriel et sont relatives à l’épaisseur de la plaque. Pour répondre à leur besoin d’adaptabilité au terrain, ils ont choisi trois dimensions de planche: 300x75 cm, 300x150cm et 200x100cm. La hauteur maximale de soutènement en comprenant la partie enterrée n’excède pas 1,50 m. Le pliage s’obtient par un effort de flexion exercé sur toute la longueur du pli. La technique de pliage utilisée par l’industriel est mécanique. Cette action fragilise l’acier. Elle crée une zone de rupture potentielle qui engendre une perte de matière par la cambrure prise en compte dans le calibrage du module. Au-delà de 3 ou 4 mm il est préférable d’enlever les bavures et d’arrondir l’arête extérieure de la tôle. Plus précisément cette action consiste en quelque sorte à limer l’angle pour éviter une corrosion accélérée dans les ébrasures créées par la déformation. Dans un milieu salin comme le Cap Roig cette manipulation est incontournable pour assurer la pérennité de l’ouvrage en acier.

Installation du dragon Le côté industriel du module et de la matière permettent un amoindrissement du coup de production et de mise en œuvre. « C’est un élément industriel, et on a choisi un élément industriel car cela facilite beaucoup la mise en œuvre. »31 Une mise en œuvre qui est particulièrement attentive aux relevés topographiques, aux constructions et aux végétaux présents. « On est dans des abrupts, des pentes fortes, avec des murs de pierres sèches que l’on veut « vénérer » si l’on peut dire, donc on ne peut pas faire rentrer d’engins.»32, « C’est une adaptation totale au terrain, à sa topographie, à ses accidents. Je dois dire qu’on a travaillé énormément à partir de plans topo extrêmement précis pour adapter toutes ces lignes dans le paysage puis sur la place il a fallu pas tout changer mais une bonne partie. C’était un travail très précis, avec la grue « un peu plus à droite, un peu plus à gauche. ».33 Ces ouvrages en pierre déjà installés, il fallait trouver un système qui permet le passage d’une terrasse à une autre. Pour se faire, les paysagistes ont prévu des chemins en diagonale qui s’appuient sur le tracé des murs existants. Les modules de soutènement en acier autopatinable se 31 32 33

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.20] Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie Op. cit. [Annexe 1 p.5] Ibid. p.5

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Les plaques en acier Corten ne sont pas soudées les unes aux autres laissant l’eau ruisseler et s’échepper. Le choix de cette finition permet d’éviter une stagnation des eaux dans le sol ou en surface et ne perturbe pas le développement des plantes sensibles à une forte teneur en eau au niveau de leurs racines. Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014


raccrochent aux murs existants. Par la variabilité des hauteurs des modules utilisés, il est possible de créer des rampes et des pas d’âne qui permettent l’ascension des différentes terrasses. L’installation de ce « dragon d’acier » à l’intérieur du paysage existant, fragile et à préserver, a rendu difficile voire inaccessible le travail à certains engins de chantier. La mise en œuvre des murs s’est faite en trois temps :

- Décapage et nettoyage des espaces touchés par la nouvelle intervention

- Ouverture des fossés sur une faible épaisseur pour disposer les structures de

soutènement en acier autopatinable.

- Fermeture des fosses et remblais des structures de soutènement suivi d’un léger

compactage Ces opérations ont nécessité l’emploi de deux engins, à savoir : un dumper34 pour intervenir directement sur le site ; décapage, nettoyage, ouverture/fermeture des fosses, remblais et compactage. Ainsi qu’une grue installée sur le plateau pour la fourniture et la pose des modules en acier autopatinable. En ce qui concerne les finitions, le choix d’un soutènement en acier autopatinable modifie la perméabilité du sol. Contrairement aux murs en pierres sèches qui permettaient un drainage efficace et adapté à la culture oléicole, les plaques en acier sont totalement imperméables. Pour éviter la stagnation fatale à la santé des oliviers et autres plantes de garrigue, les plaques en aciers n’ont pas été soudées et toutes les pièces sont indépendantes. Tous les deux mètres environ il y a un joint en terre entre les plaques. Bien que l’espacement entre les modules soit infime cela permet à l’eau de ruissellement de s’écouler entre les pièces et de garantir le drainage. C’est une condition supplémentaire dans le choix des dimensions des plaques. Si le choix de matière suit à première vue un cheminement cohérent, il n’est pas sans conséquence sur la compréhension de ce paysage ce que montrent les photographies présentées le soir de la conférence. Cette prise de position intervient relativement tôt dans le discours de Michèle lorsqu’elle évoque leur idée de conservation d’un paysage existant. « Nous nous sommes dit tous ces gens vont aller se baigner et descendre de ces deux côtés donc ce paysage que l’on veut essayer de conserver au maximum sans pour autant le restaurer, le muséifier, on n’y fait rien. On le laisse évoluer tout seul mais essayons quand même de guider les gens pour qu’ils ne passent pas d’une terrasse à l’autre et ne démolissent tout comme des chèvres immédiatement. »35 Quelques phrases qui sous-entendent un désir d’action sur le paysage et en même temps une 34 Un dumper ou tomberau : engin de chantier, ou de carrière, comportant une benne montée sur un châssis capable de basculer en arrière pour vider son chargement 35 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie Op. cit. [Annexe 1 p.5]

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Face Ă l’horizon de la mer, les murs en acier passent (presque) inaperçus. Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014


sorte de justification quasiment immédiate de leurs actions visibles sur le paysage. Si le discours rend compte de la volonté des paysagistes à vouloir préserver ce beau36 paysage, il persiste des contradictions les mots et l’image. Les photographies sont-elles représentatives de la réflexion menée par les paysagistes sur ce site? L’action menée par Michèle et Miquel n’est-elle pas une nouvelle interprétation du paysage agricole d’antan ?

B- à la disparition ? 1. Flânerie in situ

Découverte d’un autre paysage Un matin de janvier, le vent souffle sur les plateaux de la Costa Daurada. Pourtant, arrivée le long des falaises du Cap Roig il s’est apaisé. Tous les éléments de contexte perçus dans les photographies de revues, ou dans les descriptions des concepteurs sont présents à l’exception du bourdonnement des abeilles accompagnant le clapotis des vagues qui se meurent sur le flanc abrupt de la falaise. Au nord, à l’entrée du chemin, çà et là des murs de soutènement en gabion mais toujours aucun signe visible de la présence de l’acier autopatinable. N’émane que la couleur vive du sol composé en grande partie par l’oxyde de fer. Longeant l’étroit passage, le promeneur suit les traces de l’ancien chemin de ronde. Au détour d’un arbre, d’une déclivité, il est possible de reconnaître ces mêmes clichés parus dans de nombreuses revues touristiques ou pendant la conférence. Ces falaises qui descendent à pique dans la mer sont surprenantes, par leurs morphologies mais surtout pour leur couleur. Par endroit la couleur des rochers varie du jaune aux camaïeux de rouges, le tout lié par l’intensité captivante du bleu de la mer. Parfois les vagues contournent les falaises, parfois elles s’y abattent plus violemment. Les promeneurs déambulent sans prêter nulle attention à ces lignes. Leur regard est captif, épris entre le désir de regarder la mer, sa quiétude apparente, et le sol parsemés de pièges en tout genre : cailloux, rochers, racines, trous dans lesquels nos pieds sont prêts à tomber. Il est possible de voler des morceaux de phrases le plus souvent en espagnol, mais aussi en français et en anglais. La plupart de celles-ci évoquent paysage marin, cette vue en hauteur qui offre un horizon dégagé. Elles évoquent aussi la météo de ce jour propice à la promenade et la flânerie. Ce paysage oléicole abandonné semble noyé par la puissance de l’imaginaire et de la rêverie inspirée par la mer. Les oliviers, les murs en acier autopatinable, et leurs prédécesseurs 36

Ibid. p.5 Page 21


Caspard David FRIEDRICH, Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, Huile sur toile 74.8 x 94.8 cm. 1818. (Alain CORBIN, L’homme dans le paysage, éd. Textuel, 2001)

Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014

Une posture toujours un peu similaire dans le paysage, une position en surplomb. Le promeneur s’approche du bord de la falaise pour profiter d’une béante.


en pierres sèches sont quasiment invisibles. Ces éléments sont appréciés pour profiter d’une vue, se reposer sur l’assise incluse dans les nouveaux murs en acier Corten®. Ces murs deviennent des commodités, ils facilitent la marche, proposent un repos à l’ombre sous les feuillages des oliviers ou d’autres spécimens. L’organisation des assises au niveau de l’amphithéâtre ne sont pas disposées au hasard. Elles orientent le regard vers le front de mer. Ce belvédère invite à l’observation du spectacle de la mer, tantôt calme, tantôt agitée. S’offre aux promeneurs cet horizon infini attaché au domaine maritime mis en scène et assumé par les concepteurs : « un endroit magnifique où l’on peut s’asseoir, apprécier le paysage de la mer, etc. »37. Ce paysage rappelle celui des peintures et pose à nouveau l’homme dans une posture à la fois de spectateur mais aussi d’acteur. Cette position en surplomb renvoie à la définition première du paysage qui fascine toujours l’homme. Il s’agit de l’embrassement d’un paysage sublime. Le randonneur est aussi acteur, le paysage est éprouvé physiquement par la brise qui nous frôle, la fatigue de la marche, monter, descendre, l’odeur du romarin et le bruit des vagues. Ce paysage en presqu’île, cernée par les lits des deux torrents n’est que peu évoqué par Michèle et Miquel il semble attirer la convoitise d’autres acteurs. Les sections rocheuses alternent avec des petites criques de sable fin ou de galets témoins de l’embouchure d’un torrent. La Plage de Cala Maria et ses falaises colorées sont un passage obligatoire sur le GR92. Elles font parties de l’étape Amatlla de Mar/Ampolla. Seules les falaises et la mer sont évoquées dans ces descriptions touristiques. L’oléiculture et ses paysages de restanques uniques sur cette partie du GR ne sont aucunement mentionnés38. Pourtant, en pivotant de 180° s’érige devant le spectateur, comme un mur, formé par la succession de terrasses et son épais couvert végétal. Un rapport à l’horizon contrasté, paradoxal, qui renforce ce nouveau récit mono-orienté autre que celui des paysagistes Michèle et Miquel. Leur discours visait à valoriser ce paysage agricole. Comment se fait-il que celui-ci soit à présent presque devenu invisible ? Il évolue…

Dragon où es-tu ? Progressivement, le chemin s’écarte de la falaise, la végétation s’épaissit, une ouverture dans celle-ci donne à voir des lignes. Il ne s’agit pas de ces lignes chatoyantes comme celles vues auparavant dans les magazines. La couleur est passée. L’orange vif a cédé sa place à une couleur rouille, une teinte qui tire à présent dans les marrons. Dix ans après les travaux, le temps a fait son office, les couleurs se sont harmonisées. En s’approchant, l’aspect lisse auparavant visible sur les photographies n’est plus. Les années passées à subir les intempéries : le vent, l’eau, le sel, le soleil révèlent sur la tôle les écailles du dragon. Chaque centimètre carré présente des nuances singulières, faisant de chaque pièce un objet unique à la manière des pierres qui servent à bâtir les murs. La terre mise à nue par le travail des machines de chantier se voit à nouveau 37 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.5] 38 Cf. [Annexe 5 : Description touristique]

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Les lignes aux couleurs orangées vives ont disparu. Les murs de soutènement sont à présent quasiment invisibles. La végétation les masque progressivement et la couleur de l’acier s’harmonise avec celles des végétaux. Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014


A la livraison du chantier en 2005 Photographies de l’Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes et de Lourdes JANSANA publiée dans « Scarifications. L’aménagement du Cap Roig, L’Ampolla (Espagne) », Techniques & Architecture. Paysage 1, n°487, éd. Jean Michel Place, 2006, pp. 32-36

Visite in situ 2014 Photographie personnelle / visite in situ / janvier 2014

Le dragon disparaît progressivement sous l’épaisse couverture végétal formée par les houppiers des pins d’Alep. Page 23


petit à petit envahie par une ribambelle de plantes herbacées ou ligneuses ; palmiers, romarins, bruyères, pins, caractéristiques de ce milieu situé à l’interface, entre terre et mer. La diversité de cette végétation est incroyable, si bien que l’olivier considéré dans le jargon agricole comme un individu unique à la différence d’autres cultures fruitières comme les pommiers, les poiriers, etc. se retrouve absorber dans l’abondant feuillage. Il disparaît (presque). En poursuivant la promenade le long de la côte, l’usager découvre successivement les deux criques formées par l’embouchure des torrents dont parlaient Michèle et Miquel. Une première extrêmement discrète qui débouche sur un amoncellement de rochers, la seconde de dimension plus confortable donne lieu à une petite plage de sable. Les lits des torrents sont repérables par la végétation qui accompagne le tracé. Pour passer de l’une à l’autre, le promeneur se retrouve face au petit amphithéâtre en pierre sèche que mentionnait Michèle. Celui-ci se situe à proximité d’une habitation isolée. L’entretien des abords plus régulier rend les oliviers et le paysage d’antan plus compréhensible. Il s’agit également d’un espace privilégié qui offre aux visiteurs une vue imprenable sur la mer. C’est au niveau de la crique principale, la plage de Cala Maria, que le « dragon » en acier autopatinable termine sa course. Il n’est jamais visible dans son ensemble. Sa silhouette ondulée se dégage à travers la végétation, à l’écart des sentiers tracés, non loin de l’ancienne maison située sur le plateau. Il n’est pas aussi impressionnant que sur les photographies présentées. Végétation et chemin ont su trouver un équilibre. Le chemin ressemble à une brèche qui bientôt ne sera plus visible. Donnons encore du temps aux pins pour pousser et le dragon restera cacher. Cette immense diagonale assure la descente directe entre le nouveau quartier d’habitation et la plage. Bien que longue de quelques centaines de mètres, cette diagonale respecte une pente agréable à la marche. La végétation luxuriante et l’ombre apportée par les pins protègent les promeneurs des rayons chauds du soleil tout en conservant une certaine fraîcheur. Arrivé en haut, l’usager aboutit sur une rue en impasse. A sa gauche une zone en friche non bâtie, à sa droite un chantier de construction en cours, et enfin, face à lui le quartier d’habitation situé autour de la place. Les rues sont cernées de part et d’autre par un alignement simple d’arbres fruitiers sur tige taillés en boule. Il s’agit d’une variété de clémentine ou de mandarine. Remontant la rue en impasse, le promeneur arrive sur la place39 située au cœur de la zone d’habitation.

2. Matières en évolution

L’acier autopatinable, matière industrielle, d’apparence statique, est intégré dans une matrice mouvante, évolutive composée par le vivant, la pierre, l’eau, le végétale, la terre. 39

[Annexe 3 : Détails de l’aménagement de la place au Cap Roig]

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Evolution du camaïeu de couleur lors de la formation de la couche de patine. Ce chamgement colorimétrique participe à la disparition de l’intervention de Michèle et Miquel à l’intérieur de ce paysage. Palette de couleurs faite à partir de différents sites internet de fournisseurs (Eurokorten – Metalco )


Comment peut-il trouver sa place dans ces matières organiques en mouvement?

L’acier autopatinable Les photographies prisent à la livraison du chantier montrent des plaques en acier autopatinable qui n’ont pas encore achevé leur processus de corrosion, la couche de rouille n’est pas encore formée. C’est la raison pour laquelle l’orangé semble monochrome et visuellement très puissant. Dix ans après la réalisation des travaux, ces lignes monochromes qui soulignaient la topographie du site se sont amoindries. De près, ces lignes se décomposent selon un même camaïeu allant de la rouille au brun. Cette particularité de l’acier autopatinable confère à l’acier autopatinable un aspect organique qui le distingue des autres métaux traités. Ce phénomène s’explique par des réactions différentes aux conditions atmosphériques, (lumière, vent, humidité, température), mais aussi par des disparités au niveau du processus du développement de la patine. Ainsi, sur un même produit ou sur une même série de tôles il est possible d’observer différents coloris. « L’acier résistant aux intempéries – dit patinable – est un paradoxe esthétique, ce qui fait précisément son charme et son intérêt. Le ton foncé et légèrement changeant de sa surface paraît chaud et naturel mais en même temps aussi rugueux et puriste. Son attrait singulier réside précisément en une chose que d’habitude personne ne désire voir apparaître : la rouille. » 40 Ces différences d’aspects sont d’autant plus perceptibles au niveau des pliages et des soudures. La teinte est de plus en plus foncée ou inversement, comme pixellisés. Cette variation marque les angles. Les effets d’optiques ne trompent pas uniquement sur la couleur, la texture aussi. D’apparence lisse, ces assises, ces murs en acier autopatinable sont en réalité extrêmement rugueux. Il est possible de sentir les aspérités de la pellicule de rouille. Au toucher et parfois même à la vue, l’indice de rugosité n’est pas homogène. Les faces directement exposées aux embruns marins, au vent, au soleil, sont d’autant plus rugueuses que celles situées à l’abri de ces attaques, sous d’épais feuillages qui forment une protection supplémentaire vis-à-vis de ces agents corrosifs. Cette transformation due à la corrosion témoigne d’une évolution vers l’état originel des métaux : des minerais (des sulfures, oxydes, carbonates,…) qui dans le cas du Cap Roig donne cette couleur orangée à la terre. La création de la patine permet uniquement de ralentir ce retour aux origines et d’assurer une plus grande pérennité à la structure. Cette fine pellicule entrave le processus naturel de corrosion et empêche l’accès de l’eau, de l’oxygène et de l’oxyde de soufre. Cette corrosion superficielle forcée peut prendre plus ou moins de temps en fonction des conditions atmosphériques. Elle peut varier de un à quatre ans. A la fin de ces années, l’oxydation est arrivée à maturité, l’acier a formé sa couche protectrice. Toutefois, le contraste de cette matière froide, brute, unicolore, avec la terre bien qu’elle-même composée d’oxyde de fer reste conséquent. Les concepteurs provoquent deux temps de dialogue qui traduisent 40 Manfred FISCHER, « Acier patinable – propriétés et application » paru dans Steeldoc 03/06, septembre 2005, Zurich, éd. SZS p.4

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Photographie issue du site LandezineŠ [Landscape Architecture work]

Photographie personnelle /visite in situ / janvier 2014

Vers un rapport d’Êquilibre entre les murs anciens et les nouveaux murs en acier autopatinable


successivement une dualité et un effacement. Cette conversation entre l’existant et la nouvelle intervention génère de nouveaux récits mais également des changements dans les relations entre les différentes matières existantes et toujours présentes.

La pierre : de la confrontation au dialogue Ce matériau essentiel est à la fois réponse et conséquence de la géographie et de l’adaptation de l’homme sur ces espaces escarpés. La déclivité naturelle est ici très forte, les terrasses sont étroites et les murs de soutènement hauts. Cette géométrie dépend de la pente du versant sur laquelle elles se sont installées. L’épaisseur des murs est variable, il est lié à la nécessité d’épierrement. Les pierres extraites du sol sont nombreuses, le mur construit peut être très large, et parfois légèrement plus haut que la terrasse qu’il soutient. Les cultures d’oliviers abandonnées, la pierre n’a plus besoin d’être extraite du sol pour être assemblée et former cette succession de terrasses. Bien entretenus, ces murs absorbent progressivement les mouvements de terrain (chaque pierre pouvant bouger légèrement sans entraîner un effondrement du mur). Ils réagissent avec plus de souplesse qu’un mur maçonné aux forces de pressions du terrain soutenu. La pierre possède un fort pouvoir réfractaire, elle accumuler la chaleur solaire et la restitue progressivement à son environnement. Elle est capable de gérer les écarts de température entre le jour et la nuit. Ces murs contribuent à la création d’un microclimat favorable à la végétation en place. Avec le passage du temps et l’abandon des parcelles, la pierre montre ses limites face à la poussée de la terre et de l’eau. Contrairement à la pierre bien qu’extrêmement dure sur cette partie de la côte, la couche protectrice de l’acier semble plus résistante à l’action des agents atmosphériques corrosifs. La pierre s’effrite. Par endroit les murs tirés au cordeau ont laissé place à un éboulis de pierres. L’acier autopatinable quant à lui ne cesse de clamer ses atouts techniques et ses qualités d’élasticité face aux forces de compressions et de tractions. En plus d’être plus résistant à la compression, au temps, et aux embruns, celui-ci impose dans un premier temps ses couleurs criardes. Durant cette période, la couleur de l’acier captive l’œil, l’ensemble des constructions en pierre sont comme invisibles. Quelques années après, le contraste est toujours apparent mais amoindri. La pierre originaire du lieu reste discrète. La patine installée, les murs en acier Corten® se sont intégrés. Il se crée un nouveau dialogue entre l’ancien et le moderne, les deux formant un ensemble dans le champ visuel. Tous deux possèdent cette variabilité discrète dans leur design. Chaque mur est unique. L’agencement des pierres expliquent la diversité des murs où le parement ne représente que la face visible. L’appareillage, l’aspect fini du mur dépend de deux facteurs :

- Le matériau (forme, couleur, nature pierre, dimension)

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Certains feuillages trouvent aujourd’hui une harmonie avec la couleur de la patine. Le contraste est moins prononcÊ. Photographie personnelle /visite in situ / janvier 2014


- Le constructeur (habileté, sens esthétique, inspiration)

Pour les murs en acier, ce n’est pas l’agencement qui change mais la couleur et la forme du pliage.

L’eau : caractéristiques équivalentes La culture de l’olivier demande une attention particulière dans la gestion des eaux de ruissellement et des eaux souterraines. La stagnation d’eau aux niveaux des racines est un fait extrêmement nocif pour la santé de ce végétal fragile. L’excès doit pouvoir s’échapper. L’agencement des pierres les unes par rapport aux autres permet à l’eau de se frayer un chemin et de s’évacuer. Dans le cas des murs en acier autopatinable l’absence de soudure entre les différents modules suffit à évacuer l’excédent en cas de pluies abondantes. « Les paliers successifs, constitués par les terrasses brisent le ruissellement, favorisent l’infiltration […]»41 Face aux embruns marins, tous deux présentent des faiblesses. La salinité de l’air ambiant, des projections lors de tempêtes sont responsables d’une dégradation potentielle, plus ou moins rapide de ces deux matières. L’acier autopatinable n’est pas conseillé en milieu salin. L’industriel reconnaît que son utilisation n’est pas recommandé pour les « endroits soumis à des pulvérisations d’eau salée ou de brouillards contenant du sel. »42

Les oliviers : du sujet à la masse arborée Sans reparler du contraste retardé de Bernard Lassus et du dialogue mutuel entre ces deux couleurs que sont l’orange et le vert ; l’olivier et l’acier Corten® sont deux éléments porteurs de valeurs fortes. L’olivier occupe toujours une place importante dans l’identité culturelle des habitants de cette région. L’huile produite fait l’objet d’un label de qualité reconnue. Toutefois, l’arrivée de l’acier autopatinable dans ce paysage a des conséquences sur la visibilité de l’olivier. L’intérêt du récit n’est plus en relation directe avec la culture oléicole et ses différents sujets, mais avec la mer et les aires de contemplations proposées par les assises en acier. Le développement d’une végétation spontanée, caractéristique des garrigues concurrence cet arbre majestueux. Il a l’habitude d’être traité spécifiquement à l’inverse d’autres arbres fruitiers. Les couleurs trouvent l’harmonie dans le contraste et certains feuillages, roussis par les rayons du soleil, font échos aux couleurs de la patine. L’apriori de départ est donc réfuté. Au même titre que les autres éléments, l’acier 41 Régis AMBROISE, Pierre FRAPA, Sébastien GIORGIS, Paysages de terrasses, La Calade – Aix-en-Provence, éd. EDISUD, 1993, p.27 42 http://www.acerosurssa.es/ consulté le 12/04/2014

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De la blessure à la cicatrisation par le temps, un effacement progressif Photographies 1 et 2 issues du site LandezineŠ [Landscape Architecture work] Photographies personnelles /visite in situ / janvier 2014


autopatinable présente des qualités organiques. Sa couleur, sa texture évoluent avec le temps. La végétation prend peu à peu le dessus sur les parcelles de terre nue, rendant invisible par endroit l’intervention des paysagistes. Ce qui pouvait s’apparenter à des boursoufflures, des cicatrices ne sont plus. Il existe une dualité mais elle n’est pas celle que l’on croit. Dans le cas présent, le dualisme va bien au-delà du choix d’une matière. Deux paysages s’affrontent en ces lieux, l’appel de la mer face au paysage agricole en mutation.

3. Vers un effacement ?

« Esthétique de la disparition et de la transformation »43 L’acier Corten®, en tant que matière, est destiné à disparaître. La couche de patine ne fait que ralentir le processus. En moins d’une dizaine d’années les scarifications dans le paysage ont disparu. Dans une revue parue peu après la livraison du projet, Michèle et Miquel parlent d’ « esthétique de la disparition et de la transformation»44. Le mot disparition désigne ce paysage abandonné, qui n’a plus d’intérêt économique. On ne le voit plus. Cependant, il n’a pas vraiment disparu, il est en transformation. Il évolue seul sans l’intervention de la main de l’homme.Ces deux attitudes paradoxales transformation/disparition évoquées lors de la conférence paraissent quelques années plus tard envisageables. Le projet de paysage se construit dans le temps. Pour reprendre les mots du paysagiste Michel Desvigne lors de sa conférence « le goût du paysage » en 2013 à l’ENSAPL ; « le projet de paysage à sa livraison est au stade embryonnaire, il faudra attendre des années pour que celui-ci atteigne son état d’apogée ». Cela signifie que le projet de paysage a besoin de temps pour prendre ses marques, se développer, se transformer et s’épanouir. La finalité du projet ne correspond pas à la livraison d’un objet fini c’est ce qui fait la différence avec un grand nombre de projets dans d’autres disciplines. L’effacement recherché par Michèle et Miquel est rendu possible par la qualité organique de l’acier et surtout par l’absence d’entretien des lieux. Les essences spontanées colonisent le milieu, les murs en pierre poursuivent leur dégradation. Peut-on imaginer dans trente, cinquante, cent ans, l’altération progressive des murs en acier autopatinable par le milieu salin?

43 Michèle ORLIAC et Miquel BATTLES, « Traitement des espaces verts à Cap Roig », dans Quaderns d’Architectura I urbanisme, n°247, sept. 2005, pp. 40-45 44 Ibid. pp.40-45

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Less is more 45 Le projet de Michèle et Miquel repose uniquement sur la mise en place de mur de soutènement, une action évidente pour la sécurité (risque d’effondrement, éboulement). Sans programme imposé, ils n’interviennent pas davantage sur le paysage. La conférence donnée par Michèle et Miquel s’intitule « La Marque de la géographie » et expliquerait cette corrélation entre le discours et ces lignes en acier qui soulignent la topographie existante. Dans leur discours, la géographie physique devient une matière élémentaire, une empreinte pionnière dans la réflexion du projet de ce paysage: « Un site très élaboré, très travaillé, très cultivé dans tous les sens du terme je dirai, avec des amoncellements de pierres qui ont des formes très précises et très utiles, des espèces de mastaba comme ça de pierres qui montent comme ça et cadre le paysage»46 C’est à partir de cette contrainte géographique que l’homme a construit ce paysage et c’est à partir de celle-ci que les concepteurs poursuivent l’histoire du site. « La structure du paysage ancien se recycle toujours très bien et c’est ce qu’on a fait. »47 De ce postulat répété à de nombreuses reprises, les concepteurs poursuivent avec une seconde idée forte ; «On sait faire avec l’existant. […] on ne sait pas inventer, on ne sait pas dessiner, on a aucune idée, aucune imagination. On doit alors regarder beaucoup et à partir de ça faire le projet »48 La question de la mémoire, de la transmission, de la continuité, ou de la rupture d’une matrice paysagère pour faire du projet semble extrêmement présente dans leur processus de réflexion. La notion de mémoire s’appuie sur celle définit par le professeur Marc L’Hoost; « La mémoire n’est pas le passé comme il s’inscrit dans les pierres ou s’écrit dans les livres. Ça c’est le souvenir. Il est mort, figé dans le passé. La mémoire, c’est autre chose, elle est vivante, elle est l’avenir en marche, elle est le devenir. »49 Cette idée rejoint celle énoncée par Michèle Orliac lorsqu’elle cite Pascal Quignard, pour découvrir ou redécouvrir, il faut savoir réinventer. Le paysage est un élément vivant, tout comme la mémoire. Ils sont tous deux changeants, et se modifient avec le passage du temps: une nouvelle interprétation pour un nouveau récit. Leur objectif étant bien de poursuivre une histoire, de la compléter, sans annihiler les récits passés. Le titre « Esthétique de la disparition et de la transformation » choisi pour l’article de Quaderns Architectura i Urbanismo prend un sens nouveau. Ils transforment, ajoutent un nouveau discours basé sur la critique d’un processus de réflexion du projet qualifié de « stupide » par Miquel Battles lors d’un entretien. Un discours si fort par moment que celui-ci contribuerait à une 45 « Le moins c’est le mieux », Mies Van Der Rohe, architecte allemand du début du XXème 46 « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.5] 47 Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.24] 48 Miquel BATTLES, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.13] 49 Marc L’HOOST, La Voix Du Nord, « Quelle différence entre la mémoire et le souvenir », publiée le 16/10/2009

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nouvelle interprétation. Celle-ci serait basée non pas sur le paysage existant, une terre agricole abandonnée, édifice culturel, fruit d’un travail laborieux et technique mais sur une critique d’un mode de penser le paysage. Ils proposent un projet qui rend visible les courbes topographiques grâce à différents stratagèmes : des lignes en acier, des bacs surdimensionnés. Cette question de la marque, de l’empreinte qu’on laisse ou qu’on remarque, peut être rapprochée du sens étymologique premier du terme géographie – du grec geo, la terre et graphos, écrire - écrire la terre. La mise en place des modules en acier marquent la terre, soulignent les inflexions du terrain. Cette unique intervention protège ce paysage fragile d’une dégradation rapide et assure la sécurité aux usagers. « Ce qu’on veut faire : -

Faire des endroits où l’on peut s’arrêter le long de ce chemin, s’arrêter pour regarder la mer, s’assoir si ils sont fatigués

-

Des chemins alternatifs plus doux côté torrents car le chemin descend brusquement pour faciliter la descente, cela fait comme des petites rampes

-

La descente du quartier vers Cala Maria, pour que les nouveaux habitants puissent descendre à la plage. C’est un chemin que l’on rajoute »50

Les architectes-paysagistes ne revendiquent aucune appartenance au mouvement minimal. Au départ il est vrai leur action paraît faussement minimal, l’effet de provocation fait qu’on voit. L’acier est nettement visible. Pourtant il persiste quelques ressemblances dans le projet du Cap Roig. Chaque forme est ici réduite à sa plus simple expression faisant échos au mouvement d’architecture minimale du début du XXème siècle basée sur la célèbre réplique « Less is more » de l’architecte Mies Van DerRohe. En art, ce mouvement se traduit par une extrême sobriété due à l’abolissement de tous éléments superflus même si l’intervention est coûteuse. Quelques années après, c’est là ou la concomitance est la plus forte l’intervention est presque devenue invisible. Au Cap Roig, la forme et l’agencement des modules construisent des espaces dédiés à la contemplation du paysage. Dans ses projets l’architecte Mies Van Der Rohe essaye de créer des espaces neutres, contemplatifs grâce à une architecture basée sur l’honnêteté des matériaux et l’intégrité structurale. Ces réflexions sur la préservation et la lisibilité des espaces semblent primordiales dans le discours des paysagistes. S’ils « n’inventent rien »51 sur quelles matières se basent leurs réflexions ? Comment parviennent-ils à modifier le récit de ce paysage ?

50 Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.19] 51 Miquel BATTLES, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.24]

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II- Un paysage quotidien ?

Photographies de l’Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes

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II. UN PAYSAGE QUOTIDIEN ? A.

Le quotidien invisible

1. Obsolescence des pratiques oléicoles

Dur labeur ! Au Cap Roig, la culture oléicole est double ; elle se fait à la fois sur les plateaux et sur les franges escarpées du littoral et des torrents. Le nouveau quartier d’habitation est prévu au croisement de ces deux modes de production. Les terrasses sont constituées d’un ensemble d’ouvrages en pierre : restanques (les murs de pierres sèches), de systèmes d’irrigation, d’escaliers, clapiers ou tas de pierres formés avec l’épierrement des parcelles situées sur les plateaux à proximité. Elles constituent le fondement d’une organisation agricole à vocation vivrière et exportatrice, adaptée aux zones de relief. La surface agricole est restreinte, quatre hectares, ce qui peut expliquer l’absence de bories52. Ce paysage est le fruit des adaptations d’une société humaine aux spécificités de son environnement. « Les paysages de terrasses représentent au contraire le schéma le plus abouti de la nature façonné par l’homme. Formés d’une multitude d’opposition, ils résonnent de tous leurs harmoniques, pour reprendre une comparaison musicale, et chacun de nous peut trouver dans leur extrême complexité, l’espace qui répond à son inspiration en fonction de sa propre histoire, de sa culture, de son humeur à l’instant qui passe. Ils ont su conquérir dans le monde entier une place privilégiée, parmi les paysages remarquables : rizières irriguées d’Indonésie ou de Chine, montagnes sculptées du Pérou, du Népal, du Yémen… mais aussi faïsses cévenoles, restanques provençales, […] »53 L’auteur démontre que ces paysages sont une forme d’adéquation, d’équilibre entre la Nature et l’Homme. Ils diffèrent des paysages parfaits, créés par la nature (côtes, sauvage, montagnes, déserts) ou créés par l’homme et fortement anthropisés. Les paysages naturels, cités, font appel à l’imaginaire absolu, aux paysages d’exaltation mais aussi d’angoisse. Ils développent notre imagination et mobilisent notre inconscient. Ce n’est pas le cas au Cap Roig où chaque geste, chaque construction est pensée, calculée et effectuée dans un but précis : exploiter la terre. L’aménagement de ces ouvrages en pierre résulte à la fois de savoir-faire acquis empiriquement 52 Bories : dans son récent il s’agit d’une cabane en pierres sèches, petite cahute. Elles pouvaient servir d’abris, d’écurie, de grange à l’agriculture. [Annexes 7 : Vocabulaire du paysage de Terrasse] 53 Jean CABANEL, « Avant-propos », dans Paysages de terrasses, éd. EDISUD, 1989, p.15

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Projet

Projet

Le dessin des plantations varie en fonction des déclivités. Photographies aérienne issues de GoogleEarth


au fil des générations et de nombreux travaux. Ces derniers visent à augmenter les surfaces utiles et à limiter les effets de l’érosion : terrasser le versant, défoncer le sol (le remuer à une profondeur plus grande que celle des labours ordinaires), épierrer, aplanir la surface des planches, construire un mur de soutènement. Ces travaux sont le fruit d’un dur labeur pouvant s’étaler sur plusieurs générations avant de générer une production. « On a un site très élaboré, très travaillé, très cultivé dans tous les sens du terme je dirai, avec des amoncellements de pierres qui ont des formes très précises et très utiles »54 La pente abrupte qui mène à la mer est difficilement accessible et la roche qui compose la falaise est extrêmement dure. « C’est de la pierre calcaire, oui. Il y a du calcaire mais toute cette falaise c’était comme un « pudding » vous voyez ? Ce sont des morceaux de pierres attachés les uns aux autres. On appelle pudding, vous savez cela correspond à quoi ? Tout cela ce sont d’anciens sédiments, très anciens, qui finalement font tout un mélange de pierres solides, ces sédiments forment un ensemble. »55 Cette roche difficile à travailler fait que les terrasses construites par les agriculteurs respectent au mieux la géographie du site. Les terrasses sont de faibles largeurs pour absorber au mieux la pente. Le dessin des plantations est par conséquent différent du schéma observé sur le plateau. Sur les abrupts, les plantations sont perpendiculaires à la mer et parallèles à la pente formée par le cours des torrents. Ce plan de plantations demande une observation fine. Il témoigne de l’adaptabilité et de l’habilité des agriculteurs de l’époque face au terrain existant. « La pierre, présente partout, élément hostile dont la minéralité rappelle le désert rend le travail pénible et use les outils prématurément, mais le paysan a su aussi en tirer parti. Les aménagements en pierres sèches, et notamment les terrasses, expriment l’alliance la plus accomplie de l’homme et de la pierre. Les murs de soutènement, éléments majeurs des paysages en terrasses, loin d’être de simples empilements, nécessitent la mise en œuvre d’un corps de techniques simples mais indispensables. »56 Les pierres utilisées sont toujours issues du site lui-même, la distance n’excède pas quelques centaines de mètres. Sur les plateaux elles forment de grands mastabas tandis que dans la pente elles prennent toutes leurs valeurs. De déchet la pierre passe à un matériau de construction primordial. Elle assure le maintien des racines, des sols, et le drainage en partie, mais le sol reste pauvre, aride. Comment le rendre plus fertile ? Sur ce sol, où la couche arable n’excède pas 20 cm quand il ne s’agit pas uniquement de roche brute, il faut user de différentes techniques pour favoriser la culture : -

Défoncement, effondrement, ce qui signifie réduire la roche en élément plus fins pour

54 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 p.5] 55 Miquel BATTLES, entretien, Op. cit. [Annexe 1 p.17] 56 Régis AMBROISE, Pierre FRAPA, Sébastien GIORGIS, Paysages de terrasses, La Calade – Aix-en-Provence, éd. EDISUD, 1989, p.45

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Paysages de terrasses, La Calade – Aix-en-Provence, éd. EDISUD, 1993, p.51

Les lignes en corten sont en réalité des diagonales qui permettent d’accéder d’une terrasse à une autre. Les murs de soutènement en acier Corten sont de hauteur variable fabriquant des rampes d’accèS. les nouveaux murs reprennent le tracé des anciens.

Le schéma d’accès pour passer d’une terrasse à une autre est repris dans le projet de Michèle et Miquel. Les échangements de niveaux se font par un amoindrissement de la pente. Photographie Photographie issue du site Landezine© [Landscape Architecture work] (modifiée) Document 2 Accès aux terrasses- Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes


augmenter la surface meuble et favorise l’enracinement et l’alimentation des cultures. -

Epierrement, ce qui signifie écarter les pierres les plus importantes issues de l’effondrement. Ces pierres servent à la construction des murs et autres bâtissent annexes.

-

Transport et apport de terre : l’approfondissement de la couche arable ne permet pas systématiquement la mise en culture, l’apport de terre est souvent nécessaire, surtout en terrains escarpés.

La maigre végétation souvent présente sur ces sols ne permet ni un apport ni une confection d’humus important. Il est nécessaire de le préserver des ruissellements ou de la percolation lorsque la pluie arrive. Après avoir résolu les problèmes de fertilités, d’agencement et de drainage, il reste à résoudre la question de l’accessibilité. La solution est progressive et les chemins se construisent au fur et à mesure de l’avancement des travaux. La réponse est importante car elle permet la communication des terrasses et une intervention efficace. Sur l’exploitation du Cap Roig, l’accès d’une terrasse à l’autre se faisait par des emmarchements ou par un amoindrissement de la pente. En comprenant la façon dont se sont construites ces terrasses, la difficulté et la technicité rendent le coût de l’entretien et du maintien relativement difficile. Il faut mesurer si ces espaces peuvent se complaire et/ou occuper une fonction dans le contexte moderne actuel. « Pour que les sites en terrasses expriment toutes leurs qualités paysagères esthétiques, culturelles, encore faut-il qu’ils aient un intérêt économique pour les agriculteurs sinon la vie sociale se retirera et avec elle leur raison d’être. Il n’est pas possible ni surtout souhaitable de condamner ces espaces à n’être qu’un décor entretenu par des paysans plus ou moins fonctionnarisés. Il s’agit d’imaginer une production paysagère et une production agricole adaptées aux besoins de notre époque. »57

Déprise La ramification tortueuse, noueuse, parfois même insolite de l’olivier fait qu’aucun sujet ne se ressemble. Cette particularité est l’une des raisons qui font que la récolte des olives reste encore peu mécanisée et requiert toujours une main-d’œuvre manuelle importante. Au Cap Roig cette contrainte est d’autant plus forte. Elle s’explique par l’inaccessibilité totale aux engins mécaniques qui augmentent les rendements et diminuent le coût de main-d’œuvre. De nombreuses oliveraies disparaissent. Avant l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne en 1986 environ 30% des terres oléicoles dans la région de Tarragone ont été supprimé face à la pression touristique et à l’abandon de l’activité peu rentable. Grâce aux subventions reçus 57

Ibid. p.21

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Des hectares d’oliveraies à quelques pas du site d’intervention, pourquoi vouloir en préserver ces 4 hectares non rentables? Photographies personnelles / visite in situ / janvier 2014


de la PAC58, de grandes exploitations se développent sur les plateaux d’Andalous et deviennent plus compétitives. En parallèle l’image de l’huile d’olive connaît un renouveau dans les régimes alimentaires. Ces deux facteurs, subvention et renouveau, ont accru la demande avec l’ouverture de nouveaux marchés internationaux. En France, dans les années 2000, la consommation d’huile d’olive passe en 1980 de 25 000 T à 100 000 T59. L’augmentation aux Etats-Unis est d’autant plus surprenante avec une consommation dix fois supérieure de 20 000 T ils passent à 200 000 T60. En 2005, année du concours pour l’aménagement d’un nouveau quartier sur la ville du Cap Roig, l’Espagne compte environ trois millions cinq-cents milles hectares de surfaces agricoles dédiées aux oliveraies. La région de Tarragone dans laquelle se situe le Cap Roig compte seulement 2,3% de la surface totale, ce qui en fait la région la moins productive. La géographie de cette région rend plus prolifique les rizières ou autres pratiques agricoles. Depuis des siècles la culture d’oliviers se base ici sur une production de qualité et non de quantité, labellisée de nos jours. Cette qualité fait que cette province reste relativement rentable face à la concurrence suprarégionale et internationale. « Ces différences tant en termes de superficie que de production de qualité confèrent un attachement fort des populations de la région pour ces oliveraies. »61 , alors pourquoi supprimer des hectares d’oliveraies ? Dans notre cas, la présence de la mer, l’accès aux plages sont des facteurs de qualités de vie qui doivent être préservés. Ce paysage pourrait trouver de nouvelles fonctions et contribuer à sa reconversion économique.

2. Paysage à l’abandon ? Non ! Un paysage quotidien L’urbanisation des espaces situés en frange littorale est une aubaine pour le tourisme et l’économie espagnole. Les constructions prolifèrent et sont peu attentives au paysage sur lesquelles elles s’implantent. Seule la vue sur la mer semble intéresser les promoteurs, les investisseurs, les maîtrises d’ouvrages qui y voient un atout touristique majeur. Ce laxisme autour de la protection de la frange littorale et des paysages est visible jusqu’à la fin des années 80. En 2000, l’Union Européenne affirme et développe sa politique de protection, de gestion et de valorisation des paysages à travers un texte officiel : la Convention européenne des paysages. Elle déclare dans son préambule que le paysage « concourt à l’élaboration des cultures 58

PAC : Politique Agricole Commune est une politique de l’Union européenne. Elle est fondée sur le contrôle

des prix et des subventions visant à moderniser et développer l’agriculture. 59 Stéphane ANGLES, enseignant-chercheur à l’université Paris-Diderot, entretien mené le 11/03/2014 60 Ibid. 61 Ibid.

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locales et qu’il représente une composante fondamentale du patrimoine culturel et naturel de l’Europe, contribuant à l’épanouissement des êtres humains et à la consolidation de l’identité européenne. »62 A travers l’acte de signature les états comme l’Espagne s’engagent « à reconnaître juridiquement le paysage en tant que composante essentielle du cadre de vie des populations, expression de la diversité de leurs patrimoine commun culturel et naturel, et fondement de leur identité. »63. Cette reconnaissance couplée à l’affirmation de la loi Littoral augmente les distances de protection des franges littorales. Cette prise de conscience est assez visible au Cap Roig. Les nouvelles constructions sont orientées vers la mer mais restent à bonne distance tandis que l’hôtel construit quelques années auparavant se retrouve en frange quasiment en encorbellement sur la mer. Reconnaître le paysage comme un bien commun n’est pas suffisant, faut-il savoir les identifier. Pour se faire, la Convention Européenne a défini trois grandes catégories de paysage : « le paysage est partout un élément important de la qualité de vie des populations dans les milieux urbains et dans les campagnes, dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien.»64. Si le paysage en restanque du Cap Roig peut être classé dans la catégorie remarquable, l’oléiculture quant à elle n’en est que quotidienne. Toute la particularité de ce paysage réside dans le travail du sol et l’adaptation au relief qui fait qu’on est dans un ici et non pas sur les plateaux où s’étendent à perte de vue des hectares d’oliveraies. Dans ce cas précis, il est possible de remettre en question la classification simplifiée proposée dans le texte de la Convention européenne. Les adjectifs, remarquables, quotidien, dégradés semblent réducteurs. A travers ces mots, la question du paysage devient le fruit d’une interprétation. Si je ne considère pas ce paysage après tout existe-t-il ? Existe-t-il des nonpaysages65 ? « Un non-paysage – c’est un paysage que l’on ne considère pas comme un paysage. Ce n’est pas un paysage réel. »66 En Europe, est-ce que des non-initiés sont capables d’identifier ces différents paysages ? Le basculement entre le paysage et le non-paysage s’opère rapidement sachant qu’ils sont qualifiés subjectivement. Ce que je trouve remarquable peut-être un paysage de l’ordre du quotidien pour quelqu’un d’autre. Il n’en décèle alors plus toutes ses saveurs. Les champs d’oliviers pour un touriste scandinave, l’horizon de la mer pour un Mongolien ne trouveront pas une signification, une classification semblable à celle de l’oléiculteur. Lui connaît ses champs, voit l’étendue de la mer tous les jours depuis sa naissance. Le paysage est un élément mouvant, il se transforme par la main de l’homme et à travers des processus naturels. De la même façon que l’objet architectural, la partition de musique, le paysage est vecteur d’un imaginaire qui se construit de par sa propre culture, son expérience, sa perception. 62 Conseil de l’Europe, Convention Européenne du paysage, Préambule, 19 juillet 2000 63 Ibid. 64 Ibid. 65 Anne SGARD, « Le paysage est-il un lieu de mémoire ? », émission Planète Terre, présenté par Sylvain Khan, France Culture, 17/12/2012 66 Ibid.

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* Ne pas jeter de déchets dans la mer Merci pour la nature

Aucun entretien n’est prévu sur cet espace toutefois, quelques actions de protection informelle pour la prévention. Photographie personnelle /visite in situ / janvier 2014


Ce n’est qu’une question de valeur? L’absence de clés de lecture face à l’abandon d’une pratique ancestrale pose la question de la préservation de ce paysage. Quel(s) intérêt(s) de poursuivre et de conserver un paysage qui n’a plus lieu d’être ? Cette même interrogation est soulevée par l’historien autrichien Aloïs Riegl dans son ouvrage Der moderne Denkmalkultus, sein Wesen, seine Entstehung, traduit en français par Le culte des monuments modernes, son essence, sa genèse. Alois Riegl définit trois valeurs de mémoire ; la valeur d’ancienneté, la valeur historique et la valeur commémorative. En reprenant l’idée de «ne pas contrefaire »67 la valeur d’ancienneté semble la plus proche de l’intervention des paysagistes. « […] l’absence d’intégralité dans une œuvre moderne nous déplairait : c’est pourquoi nous ne bâtissons pas de ruines (excepté pour les contrefaire) […] Sur le neuf, les signes de ruines n’évoquent rien, ils irritent. Mais, dès que l’objet individuel produit par l’homme ou par la nature est formé, l’activité destructrice de la nature commence. Ses forces mécaniques et chimiques tendent à désagréger l’individu en ses éléments et à le fondre à nouveau dans la nature amorphe. On reconnaît aux traces de cette activité qu’un monument n’est pas récent. Sa valeur d’ancienneté repose donc sur la perception de ces traces. Les ruines d’un château comme on l’a déjà dit offre l’exemple le plus frappant d’une désagrégation progressive d’un tout jadis complet. […] Le principe esthétique fondamental de notre époque sur lequel repose la valeur d’ancienneté peut donc être formulé ainsi : de l’homme nous exigeons la production d’une intégralité comme symbole d’une genèse nécessaire, de la nature nous exigeons par contre la dissolution de l’intégralité comme symbole d’une disparition tout aussi nécessaire. »68 Dans la définition d’Aloïs Riegl on retrouve ce même discours antagoniste sur la distinction et la disparition. Quand il définit cette valeur le paysage n’est pas encore considérer comme un patrimoine ou un monument de valeur. Ce n’est que progressivement au cours du XXème siècle que le paysage va faire progressivement partie des prérogatives de préservation et de valorisation. Au sens de la Convention européenne ce paysage pourrait être de l’ordre du quotidien mais dans le cas présent, il est inclassable. Pour appartenir à la catégorie « paysage quotidien » celui-ci doit d’abord être reconnu en tant que tel pour bénéficier des mesures de protection et de valorisation. A part quelques panneaux informels installés dans la roche, le site du Cap Roig ne bénéficie d’aucune protection légale. « C’était ça un paysage à l’abandon, mais il fallait reconnaître que c’était ça. On ne peut pas faire autre chose, il n’y a personne qui allait entretenir les arbres, donc 67 Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.19] 68 Aloïs RIEGL, Der moderne Denkmalkultus, sein Wesen, seine Entstehung, Wien, Braumüller, 1903, traduit en français par Jacques Boulet, Le culte des monuments modernes, son essence, sa genèse, éd. L’Harmattan, 2003, pp.76-77

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on garde cet état de paysage ou on ne le garde pas»69. La culture de l’olivier donnait du sens au paysage alors pourquoi préserver ce paysage au lieu de le laisser disparaître? Indépendamment d’un manque de subvention les paysagistes conservent en majeur partie ce paysage dans l’état où ils l’ont découvert. Michèle et Miquel disent trouver beau ce paysage. A quoi ressemble-t-il ?

3. « Géographie culturelle »70 Empreinte(s) Au cours de l’année 2004, le duo franco-espagnol Michèle & Miquel découvre un paysage agricole abandonné, qui ne connaît plus aucun entretien. Les constructions en pierres sèches vieillissent et s’effondrent, les pierres dévalent les pentes. Cette absence d’entretien modifie la lecture de ce paysage. Les éléments majeurs : la pierre, l’olivier, la terre, ne sont plus que des traces, des empreintes à peine visibles. « Ces champs sont en voies d’abandon et commencent à être ré envahis par différents arbres et différentes espèces de garrigue. Les murs commencent à tomber un petit peu. » 71 La brève description faite par la paysagiste Michèle Orliac met en avant les empreintes laissées par les éléments primaires de ce paysage usés par le temps. « Le paysage actuel des terrasses en friche est le paysage de l’oubli, il se recouvre lentement d’un drap vert qui masque les murs, les différences de niveau, et gomme même l’apparence des banquettes. En fait, c’est toute la société, absorbée par sa recherche de modernité, qui est devenue incapable de voir ou de s’intéresser à une image lui donnant de son passé une vision qui lui est devenue complétement étrangère. »72 Dans cet extrait, les auteurs mettent en avant la difficulté de lire ces paysages anthropisés qui s’essoufflent avec le temps. Le paysage est soumis aux aléas économiques et aux canons de beauté des sociétés dans lesquelles il est défini. L’élaboration de clés de lecture comme celle mise en place par le paysagiste Jacques Sgard et son équipe dans l’étude du paysage des Causses et des Cévennes est un exemple de non-paysage devenu paysage. Ce paysage agraire passe de l’invisible au visible avec une concrétisation officielle et un classement au titre de patrimoine mondiale de l’UNESCO. Leur nouvelle interprétation de ce paysage culturel a fait redécouvrir aux habitants, aux agriculteurs, l’attractivité et les qualités de leur paysage quotidien. Ce phénomène n’est pas isolé, les villes minières du Nord et de l’Est de la France connaissent ce même regain d’intérêt à la fermeture des mines. « Ce qui compte beaucoup dans le paysage c’est la façon dont les populations interprètent les choses. Cela devient un paysage 69 70 71 72

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 p.20] Concept théorisé par Augustin BERQUE « Paysage Empreinte-Paysage Matrice », Op. cit. Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 : p.5] Régis AMBROISE, Pierre FRAPA, Sébastien GIORGIS, Paysages de terrasses, Op. cit. p.83

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au moment où il disparaît. Par exemple, cela devient un paysage au moment où on détruit l’usine, une ferme, que finalement on découvre à sa disparition qu’il y avait quelque chose auquel on était attaché : un paysage auquel on était attaché. Un paysage qui paraissait quotidien, banal, peu intéressant finalement tant que cela fonctionnait. Puis quand cela s’arrête on se rend compte que cela faisait partie de l’identité des gens. »73 La valeur que l’on attribue au paysage se fonde sur la perception plus que sur des éléments historiques ou physiques. « En ce sens, le paysage n’est pas sacro-saint ; mais il n’a rien d’imaginaire ou d’irréel »74. Les empreintes des actions passées sont parfois encore visibles fautil déjà les voir et les interpréter.

La matrice Sans escaliers apparents exceptés sur les abords des torrents, l’accès aux différentes terrasses se faisait autrefois par un amoindrissement progressif de la pente. Ce système d’accès est repris par Michèle et Miquel dans leur projet d’aménagement du parc. Les murs en acier autopatinable reprennent les courbes des anciens murs de pierre pour fabriquer des rampes piétonnes. Certains murs reprennent même parfois l’assise exacte des anciens soutènements qui se sont éboulés avec le passage du temps. Le tracé des chemins quant à lui est légèrement modifié pour faciliter l’accès à tous. Le dessin et la mise en œuvre des pentes sont allongés créant des diagonales. Au-delà de la coïncidence, ce schéma visible dns la pratique des lieux reprend l’idée énoncée par Miquel : « la structure de paysage ancien se recycle bien pour de nouveaux usages. »

75

Cette phrase prononcée par Miquel soulève l’intérêt des paysagistes à

travailler avec la matière et les structures existantes.

En reprenant les termes d’Augustin Berque, ces paysages affichent également une opposition nettement visible entre la pierre et la géographie physique, mais aussi entre la végétation cultivée et sauvage. Le cultivé est mis en avant sur les plateformes formées par les terrasses. Le sauvage lui, se développe dans les interstices des murs, voire parfois aux pieds même des arbres. « Ainsi, les sites en terrasses induisent une très grande variété d’effets paysagers, parfois contradictoires, selon l’axe de vision ou la situation : verticalité-horizontalité, minéral-végétal, ouverture-fermeture, effets de labyrinthe.»76 Les italiens avaient compris ces qualités de paysages. Dans les compositions des jardins de la Renaissance, on retrouve ces effets de terrasses, d’ouverture sur le grand paysage, différentes 73 EDELBLUTTE Simon, « Le paysage est-il un lieu de mémoire ? », émission Planète Terre, présenté par Sylvain Khan, France Culture, 17/12/2012

74 Ibid. 75 76

Miquel BATTLES, entretien, Op. cit. [Annexe 2 : p.25] Régis AMBROISE, Pierre FRAPA, Sébastien GIORGIS, Paysages de terrasses, Op. cit. p.20

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Distinction entre paysage en terrasses toujours en activité quelques centaines de mètres plus loin face aux parcelles oléicoles délaissées où sont intervenus Michèle et Miquel. La végétation spontanée envahi progressivement les anciennes terrasses agricoles. Photographies personnelles /visite in situ / janvier 2014


ambiances en fonction des terrasses, des jeux d’eau,…

Empreintes + Matrice Même si Michèle et Miquel ne parlent jamais directement d’empreintes ou de matrice, au sens d’Augustin Berque, leur discours évoque les traces et la structure d’un paysage existant. Ces deux éléments associés deviennent porteur d’un paysage et/ou d’un projet de paysage. Cette lecture binaire où le paysage est à la fois empreinte et matrice reprend la théorie du géographe et philosophe français Augustin Berque. « Le paysage est une empreinte, car il exprime une civilisation ; mais c’est aussi une matrice, car il participe à des schèmes de perception, de conception et d’action – c’est-à-dire de la culture. » 77 Augustin Berque théorise un nouveau concept qu’il appelle la géographie culturelle. Elle rend compte « du sens (global et unitaire) qu’une société donne à sa relation à l’espace et à la nature ; relation que le paysage exprime concrètement. »78 Le résultat observé est issu de la vision et de l’interprétation des paysagistes sur ces matières visibles ou non laissées par les actions passées. Ces empreintes peuvent être inventoriées, classées et décrites de manière logique à l’aide de nombreux outils méthodologiques ou d’actions. Cet inventaire aboutit parfois à la perte de l’objet d’étude. Il se perd dans une infinité de détails et d’informations. A travers le regard d’un sujet, l’accumulation de données aboutit à l’élaboration d’un diagnostic orienté. « Il faut comprendre le paysage en tant, d’une part, qu’il est vu par un regard, appréhendé par une conscience, valorisé par une expérience, jugé (et éventuellement reproduit) par une esthétique et une morale, géré par une politique, etc.; et d’autre part en tant que matrice, c’est-à-dire en tant qu’il détermine en retour ce regard, cette conscience, cette expérience, cette esthétique et cette morale, cette politique, etc. »79 Ce va et vient constant peut expliquer que quelques mois auparavant, la proposition d’aménagement urbain n’a pas tenu compte des mêmes empreintes. Bien que les composants n’aient pas changé, le décaissement du sol sur 1,50 m atteste de la variabilité des interprétations sur ce même paysage. L’orientation des bâtiments vers la mer est le témoin de la prise en compte d’un autre paramètre, peut-être, prédominant dans la pensée des urbanistes. Michèle et Miquel conservent les éléments passés, la terre, les oliviers, les terrasses tout en se montrant sensibles au paysage présent pour des raisons esthétiques, morales, politiques, conformes à leur grille de lecture culturelle présente et passée. Le point de départ reste la description du paysage mais elle ne fait pas tout. La sensibilité, la relation directe entre le sujet 77 Augustin BERQUE, « Paysage-empreinte, paysage-matrice : éléments de problématique pour une géographie culturelle », issue d’Espace géographique, tome 13 n°1, 1984, pp.33-34 78 Ibid. pp.33-34 79 Ibid. pp.33-34

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et le paysage sont essentielles à l’identification de celui-ci. Leur interprétation les guide vers l’idée d’un paysage à l’abandon pouvant poursuivre seul son évolution. Les graminées, les herbes hautes, les pins ont petit à petit envahi les terrasses des oliviers. Auparavant aride, la terre nue est convoitée par ces nouvelles espèces qui peuvent à présent se développer sans craindre la faux ou le désherbant. Oliviers et végétation spontanée peuvent se partager le même terrain, et profiter ensemble des rayons du soleil, du vent qui souffle et des embruns marins. « Il n’y a personne qui allait entretenir les arbres, donc on garde cet état de paysage ou on ne le garde pas. Il va évoluer tout seul, on va le laisser évoluer tout seul. […]. » 80 La négation, l’amoindrissement ou l’absence de visibilité, le changement des usages et la modification des sociétés peuvent s’avérer destructrice dans le cas de ce paysage fragile en mutation. « En Europe méditerranéenne, l’avenir du monde rural, et celui des terrasses en particulier, passe par la « production » de nouveaux services en matière d’agriculture, de loisirs, de tourisme, de qualité de vie.»81 Le projet au Cap Roig est réalisé presque 20 ans après ce constat fait par Régis Ambroise et son équipe. Cependant, la problématique reste la même. Le renouveau ou plutôt le changement de regard et d’usage sur ce paysage agricole à travers le projet de Michèle et Miquel a permis dans un premier temps sa conservation. « Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement la vue, mais tous les sens; ce n’est pas seulement la perception, mais tous les modes de relation de l’individu au monde; enfin ce n’est pas seulement l’individu, mais aussi tout ce en quoi la société le conditionne et le dépasse, c’est-à-dire situe les individus au sein d’une culture, et ce faisant donne un sens à leur relation au monde (sens qui, naturellement, n’est jamais exactement le même selon les individus). »82 La géographie culturelle est une question d’interprétation des empreintes et de la matrice du paysage qui n’est pas figée. L’action des paysagistes n’est pas sans conséquence sur le visible. Il ne s’agit pas d’un simple récit oral mais d’une action physique visible. Comment les paysagistes parviennent-ils à faire basculer un paysage quotidien invisible vers un paysage visible ? L’installation du dispositif de soutènement permet la lecture de ce nouveau récit.

80 81 82

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.25] AMBROISE Régis, FRAPA Pierre, GIORGIS Sébastien, Paysages de terrasses, Op. cit. p.15 Augustin BERQUE, Espace géographique, Op. cit. pp.33-34

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De nouveaux usages; Une invitation à la flânerie.

Photographie personnelle /visite in situ / janvier 2014


B. Un nouveau récit 1. De nouvelles pratiques

Générer de nouveaux accès Les pratiques de mise en œuvre ainsi que les usages attachés au lieu ont évolué. Les murs en pierres servaient à la culture de l’olivier et non plus lieu d’être techniquement et économiquement. La culture est abandonnée, la résistance mécanique du système en pierre montre ses limites. L’ébauche d’un parc existait avant l’intervention des paysagistes. Ces prémisses de réflexions correspondent aux différentes empreintes visibles dans l’espace et sur la matrice structurelle de ce paysage (succession de terrasses). Autrefois, l’accès à la crique était plus compliqué et moins sécurisé. Cet espace s’avère être un atout majeur dans la conception d’un parc, à la transition de deux entités géographiques et paysagères (le plateau et la mer). Miquel propose deux modes d’intervention possible sur un paysage en reconversion. Sa position sur le sujet est assez radicale et parfaitement définie ; « Soit tu peux te dire « Là c’est un paysage agricole pour le moment, tu veux en faire un parc alors tu détruis tout. » Et bien ça ce n’est pas vrai. D’un côté il y a un charme, […] une atmosphère qui est difficile à reproduire, à inventer, à recréer à nouveau. On s’est dit cette atmosphère on va la garder. Il y a un potentiel énorme dans le paysage agricole ancien, dans la façon de conduire les eaux, de se protéger du vent, sur la topographie. Tout ça c’est un travail énorme, cela sert toujours. Il serait stupide de garder un paysage ou un bâtiment uniquement pour une question de nostalgie. Cela sert à déterminer ce qui est indispensable de ce qui ne l’est pas du tout. Pour moi c’est exactement pareil avec les anciens bâtiments. Si tu es coincé, que tu penses que c’est joli, qu’il ne faut rien toucher, tu ne fais rien. Amener des nouveaux usages cela amène parfois à trouver des solutions drastiques mais si tu le fais de façon intelligente tu peux garder des caractéristiques de ce bâtiment et après rajouter des choses nouvelles pour les nouvelles fonctions. Le paysage c’est la même chose. Ce n’est pas que la nostalgie, c’est plus que ça. »83 Dans cette prise de position ressort l’idée d’une transmission de la mémoire qui n’est pas figée comme le définit le professeur Marc L’Hoost dans la Voix Du Nord84. La valeur d’ancienneté théorisée par Aloïs Riegl semble influencer la phase de conception du projet. À la différence de la 83 Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.24] 84 Marc L’Hoost, professeur de morale, agrégé de philosophie à l’Athénée Jules-Bara de Tournai, rappelle « La mémoire n’est pas le passé comme il s’inscrit dans les pierres ou s’écrit dans les livres. Ça, c’est le souvenir. Il est mort, figé dans le passé. La mémoire, c’est autre chose, elle est vivante, elle est l’avenir en marche, elle est le devenir. », paru dans le journal La Voix Du Nord, « Quelle différence entre la mémoire et le souvenir » 06/10/2009

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Une marche, une assise, un mur, tout est fait en acier CortenŠ Photographies personnelles /visite in situ / janvier 2014


définition brute d’Aloïs Riegl les concepteurs Michèle et Miquel ne s’interdisent pas d’intervenir sur le paysage au contraire.

Flânerie, promenade,… L’ouverture d’un parc au public signifie la réflexion et l’installation d’un certain nombre d’éléments pour que l’usager puisse entrer, se promener, se reposer en toute sécurité. Les changements qui s’opèrent sur ce paysage sont en accord avec l’arrivée et les besoins des nouveaux habitants et touristes saisonniers. Le fil conducteur du projet est assez simple, « Construisons alors tout simplement des chemins qui permettent de descendre des rues, aboutissent sur ce bord de la falaise et qui permettent de descendre se baigner. Il y a ici un chemin de ronde juste au bord de la côte, on a donc choisi des points particuliers pour que les gens puissent s’asseoir, regarder le paysage et descendre aussi plus doucement dans les quelques endroits où il y a une pente forte. » 85 Ces murs en acier Corten® retiennent la terre, dessinent des chemins, fabriquent des rampes et des assises pour accompagner le promeneur, l’habitant, l’enfant, jusqu’à la crique. L’amoindrissement des pentes, la création de marches et d’assises sont les témoins d’un changement dans les pratiques du lieu. Autrefois, l’accès aux terrasses se faisait par des escaliers en pierre directement taillées dans la roche ou des constructions maçonnés en pierre. Par endroit, ceux-ci sont devenus impraticables voire quasiment inexistants. Les concepteurs rendent ces terrasses à nouveau accessibles. Le long de la grande descente Ouest, située sur le flanc du torrent, apparaissent de légers emmarchements (des pas d’ânes) en rapport avec les nouveaux usages: la promenade et la contemplation du paysage. Les flancs des torrents et l’ancien chemin de ronde deviennent des espaces de transition entre la mer et le plateau nouvellement habité. Le chemin garde son profil mais ne sert plus à défendre la population espagnole. Il ressemble désormais à une promenade découverte du littoral. Elle est balisée selon les normes des circuits des GR. Le GR 92 traverse le projet du Nord au Sud et longe la côte à ce niveau du parcours. Sur ces quelques centaines de mètres de distance défilent un grand nombre de paysages. La couleur orangé du sol et la présence de la mer unifient l’ensemble de ces paysages. Les plages de sable fin ou de galets alternent avec des criques intimistes. De ce fait, le passage du GR 92 sur le projet du Cap Roig rend d’autant plus nécessaire la présence d’accès sécurisés et d’assises. Les randonneurs qui parcourent ces chemins escarpés aux nombreux dénivelés apprécient les trouver pour se reposer. L’installation et l’orientation des assises sont primordiales. Abrité sous le feuillage dense d’un pin ou d’un olivier, le promeneur peut ressentir une sensation de fraîcheur, entendre et voir la mer. Pas toujours accessible sur 85

Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 : p.5]

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Les palplanches sont une fois de plus déclinées dans l’ensemble de la gamme du mobilier urbain et dans les structures techniques (murs,etc.) Coïncidence? Le matériau utilisé ici est aussi de l’acier autopatinable. Documents de Agence M i c h è l e & M i q u e l Architectes I Parc de les Aigües I Figueres


cette portion du GR, la projection mentale de la mer suffit à révéler son doux rafraîchissement. Dans les jardins orientaux et même de nombreux jardins espagnols le travail sur l’imaginaire et la suggestion de l’eau suffisent à transmettre cette impression de fraîcheur. Repenser l’accessibilité du site rend l’espace propice à la promenade, à la contemplation du paysage, à la flânerie. Cette transformation permet une diversification des usages. Le projet confère au site un renouveau de visibilité. Il permet de lire, au sens de comprendre, l’organisation spatiale du paysage oléicole sur lequel s’est établi le parc. La lisibilité n’est pas uniquement liée aux modifications d’usages. L’intervention des paysagistes est uniforme et harmonieuse dans le sens où la nouvelle installation se distingue de l’ancienne. Comment ?

2. Unicité de la matière Tout en Corten® Bancs, luminaires, murs de soutènement, pontons, chemins, transats, tout est fait en palplanche métallique. Tel est le projet de Figueres86. Le projet du Cap Roig présente des similitudes. Quelques mois après le projet de parc sur les falaises du Cap Roig, ces nouveaux éléments de structures métalliques confirment l’idée avancée par les concepteurs lors de la conférence à l’ENSAPL en 2012. Au-delà du refus de falsifier les modes de construction et les canons esthétiques passées, Michèle et Miquel choisissent de n’utiliser qu’un seul matériau pour fabriquer l’ensemble des éléments nécessaires au projet comme, les murs de contention, les assises, etc. La compréhension d’un paysage est parfois complexe en raison de l’amoncellement de strates, chacune porteuse d’une trace, d’un récit, d’une pratique passée ou encore active. En revenant à l’idée d’empreinte et de matrice théorisée par Augustin Berque, le choix d’un matériau comme l’acier autopatinable n’est pas neutre. Michèle et Miquel utilisent un vocabulaire unique permettant de distinguer l’intervention contemporaine des pratiques agricoles passées définies par une palette de matériaux : la pierre, l’olivier. Cette distinction permet d’affirmer la nouvelle strate et contribue à l’idée de marquer le paysage. « On ne rajoute pas un élément étranger au lieu, on ajoute un élément qui existe déjà ». « On veut que la nouvelle couche soit distincte de l’ancienne. […] » 87 Egalement, « on pense que l’existant a une valeur alors que si on commence à rajouter pleins de matériaux, des formes et des couleurs finalement on ne comprend plus ».88 86 Op. cit. 87 88

Cf. Description du projet de parc de les Aigües à Figueres dans [Annexe 1 : La marque de la géographie], Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.19] Miquel BATTLES, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe1 : p.14]

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L’idée principale est que le projet permet de lire les qualités de l’existant et la nouvelle intervention. Pour se faire, les paysagistes n’ajoutent qu’un seul élément supplémentaire à la composition de ce paysage. L’activité oléicole étant révolue sur cette parcelle, elle laisse place à de nouvelles pratiques qui se traduisent à travers l’incorporation d’une nouvelle matière sur le site. La seconde idée renvoie que l’existant détient une valeur. Or, l’existant n’a pas de valeur en soi. Celle-ci est le résultat d’un récit proposé par le regard d’un individu pouvant correspondre à la vision d’un ensemble de personnes voire d’une société. En l’occurrence ici la valeur se rapporte au regard de Michèle et Miquel sur ce paysage. Cette question de la valeur est en somme redondante et centrale à l’intérieur des projets des paysagistes.

Jouer avec la matière Au Cap Roig, les données essentielles existantes sont la géographie physique et les reliques du paysage agricole. L’acier autopatinable apparaît sur ce site comme la seule empreinte visible du travail des concepteurs. Il est utilisé dans la construction des ouvrages de soutènement pour faire des murs, marches, des rampes, des chemins mais aussi du mobilier. L’utilisation d’un unique matériau pour réaliser l’ensemble des équipements ou mobiliers imposent une réflexion sur le choix de celui-ci. Ces éléments déterminées, il faut prendre en considération l’ensemble de ses propriétés physiques (résistance mécanique, résistance aux agents atmosphériques, résistance à la corrosion ou à la dégradation volontaire et involontaire, etc.) et de ses propriétés esthétiques (couleur, aspect, texture, etc.). « Finalement c’est comme un jeu. Tu joues avec un seul matériau et tu l’utilises comme ça, comme ça, comme ça et c’est plus simple d’une certaine façon. Tu viens simplifier la lecture du terrain avec la nouvelle interprétation. »89 « D’un côté on s’amuse à jouer avec ces matériaux, une fois qu’on a testé, que cela fonctionne, après cela facilite la lecture pour différencier l’existant, de la nouvelle intervention. » Je ne sais pas pourquoi on veut toujours utiliser un seul matériau, une seule forme. C’est qu’on expliquait à Figueras c’est un contraste avec l’existant. »90 La notion de jeu évoque un amusement, presque un challenge pour les concepteurs de parvenir à déterminer le matériau qui parviendra à endosser l’ensemble des fonctionnalités prévues dans le projet. Cette récurrence dans les projets, l’idée d’un jeu sur la matière ne vient-elle pas dictée le choix de la matière elle-même à mettre en œuvre ? Déterminer celle qui se prêtera au mieux à l’exercice en fonction des conditions physiques, esthétiques et financières ? Ainsi le choix de l’acier autopatinable n’est pas simplement dû à ses propriétés physiques. La malléabilité et l’importance de la gamme de ce matériau permettent aux concepteurs de jouer avec la matière ; 89 90

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.25] Miquel BATTLES, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe1 : pp.13-15]

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la moduler, la transformer, l’adapter. Dans l’idée d’une simplification de ce paysage, l’acier autopatinable semble jusqu’à présent avoir fabriqué deux temps de lecture. Le premier temps révèle le paysage oléicole : la géographie anthropisée et l’unicité de l’olivier. Puis, peu à peu les empreintes passées et contemporaines s’amoindrissent laissant le paysage maritime se révéler. En utilisant un unique matériau le récit se modifie. Michèle et Miquel écrivent en quelque sorte une nouvelle page du livre qui favorise le changement de regard culturel. Un texte qu’ils ne maîtrisent pas dans son intégralité. Celui-ci est destiné à évoluer seul, sans contrat d’entretien défini. Le récit s’émancipe de la nostalgie du paysage oléicole, une nouvelle esthétique se crée à travers un apport moderne et distinct. Les deux temps de lecture permettent la mise en scène de ce paysage. Un mode de représentation et de transmission non niés mais difficilement approuvés par les concepteurs, « peut-être que c’est mettre en scène, oui »91. Travailler avec un unique matériau ne fait-il pas partie d’un mode de penser le projet, comme une amorce de doctrine paysagère ? « C’est une façon de faire oui. On aime bien ces répétitions. Si on peut travailler avec un seul élément, aller le plus loin possible, pour nous c’est beaucoup mieux […] On ne commence pas à rajouter pleins d’éléments différents. Sinon ce qu’on apporte de nouveau sera plus présent que ce qu’il y avait avant. Ce n’est pas notre intention d’effacer ce qui existe, c’est plutôt de créer un dialogue avec l’existant, pas devenir plus ‘’protagoniste’’ comment on dit en français »… plus important que ce qui existe déjà. Avec un seul matériau on voit très bien ce qu’était la dernière, implantation, intervention. »92 L’apport d’une matière unique dans le cas présent est rendu possible par la mise en œuvre d’un ensemble. Les murs en acier Corten® appartiennent et fabriquent un véritable dispositif. Ils participent au côté labyrinthique de cet espace. En passant d’une hauteur à une autre, d’une ouverture à une fermeture. Tout se ressemble pourtant tout est différent. Qu’est-ce qu’un dispositif ? Est-il possible de parler de dispositif en projet de paysage ?

3. Dispositif Vs Matrice

Architecture d’action ? Le schéma de cette matrice agricole suit une logique redondante autrefois utile à l’optimisation et l’exploitation du sol. En plan, l’organisation des parcelles reproduit un labyrinthe permettant à l’agriculteur de circuler à l’intérieur de celles-ci pour une bonne exploitation 91 92

Miquel BATTLES, entretien, Op. cit. [Annexe 2 : p.21] Ibid. pp.24-25

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de son terrain. En s’appuyant les tracés existants et en utilisant un module industriel qui se répète, Michèle et Miquel participent au schéma de la matrice mis en place auparavant par les agriculteurs. La mise en œuvre de ces modules de soutènement et des assises suscitent un nouveau regard sur le paysage environnant. De là il fait échos à la mise en place de dispositifs en architecture et/ou d’architecture d’action. Dans l’un de ses ouvrages l’architecte français Alain Guilheux renvoie à ces nouveaux modes de penser l’espace avec le bâtiment. Architectes de formation, ces actions ont peut-être influencé Michèle et Miquel dans la manière de concevoir le projet paysage. Ces deux courants de pensées en architecture créent une situation plus qu’un objet en soi. Ces mouvements sont en opposition aux projets plastiques, formels, lisibles et visibles. «L’architecte comme le designer est conduit ici à développer des récits de fictions, à multiplier des formes de collages ou appropriations d’objets ou de séquences qui racontent le présent artificiel de nos paysages. Nous travaillons sur la modification du récit des lieux tels qu’ils sont, il s’agit de faire bifurquer le récit, de créer une nouvelle situation. » 93 La notion de dispositif décrit une architecture active en opposition à l’objet posé d’une architecture dite représentative. A l’intérieur du dispositif le projet n’est pas achevé. « Il vise à produire des effets en dehors de lui »94.

Dispositif(s) Le dispositif mis en place par Michèle et Miquel sur ce paysage se rapproche d’un mélange entre la définition de ce même terme par Alain Guilheux et le dispositif spatial défini par un groupement de paysagistes dans l’ouvrage Mouvance95 : « Ce concept désigne toute organisation concrète des formes et des fonctions d’un territoire en fonction d’intentions et d’objectifs définis par les acteurs sociaux, individuellement ou collectivement. […] Le dispositif spatial est défini notamment par des structures paysagères qui peuvent donner prises (au sens de l’écosymbole* d’Augustin Berque) aux regards et plus généralement aux pratiques sociales. Entre autres, les jardins, les parcs publics, et plus généralement les aménagements dits paysagers offrent au regard des dispositifs spatiaux issus d’apports, de retraits ou de maintien d’éléments concrets correspondant à des projets pouvant faire intervenir des paysagistes concepteurs, des jardiniers ou autres. La fontaine de la place du village, le verger, le bocage, le réseau hydrologique – de la rivière au ruisseau, au fossé et au canal -, les alignements d’arbres le long des routes et les jardinières sur une façade sont autant d’exemples de dispositifs spatiaux qui utilisent des 93 « Architecture d’Action » article paru dans la revue Parpaing en avril 1999, cité par d’Alain Guilheux, Architecture dispositif, Marseille, éd. Parenthèses, 2012, p.20 94 « Dispositifs» article paru dans la revue Reading MVDRDV, 2003, cité par d’Alain Guilheux, Architecture dispositif, Marseille, éd. Parenthèses, 2012, p.99 95 Augustin BERQUE, Michel CONAN, Pierre DONADIEU, Bernard LASSUS, Alain ROGER, Mouvance du jardin au territoire. Cinquante mots pour le paysage, éd. La Villette, 2002,

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éléments du territoire et y introduisent des apports végétaux ou minéraux qui modifient les manières de l’habiter. Le dispositif spatial n’est pas immuable ; il évolue en fonction du projet de gestion qui accompagne son devenir, soit naturellement (croissance et développement des végétaux par exemple), soit en raison d’intervention d’adaptation (restauration, réhabilitation, réinvention) ; il peut aussi être stabilisé techniquement (maintenance) ou par l’intervention juridique et économique des pouvoirs publics (protection des sites, mesures agrienvironnementales, etc.). »96 La mise en œuvre du dispositif au Cap Roig fait échos aux deux définitions du terme dispositif. La première fait référence à une modification du récit par une nouvelle installation. Cet apport peut construire un récit totalement fictif et ne reposer que sur des éléments eux-mêmes fictifs. La seconde quant à elle s’appuie sur « les structures paysagères »97 qui sont le moteur de l’organisation d’un territoire, ce que Miquel détermine par les « structures de paysage qui se recyclent »98. La structure existante est bien réelle. Par la suite, elle peut être complétée par l’apport d’une nouvelle matière ici, l’acier autopatinable. L’acier participe par sa forme, sa couleur, ses usages à la création d’une nouvelle situation, celle relative à l’accès et à la contemplation. Cette posture amène un changement du regard sur le paysage existant. Elle participe à la création d’un nouveau récit déjà mentionné, le rapport de l’homme face à la mer. Le paysage culturel issu de l’agriculture en terrasse cède sa place à une figure de paysage presque emblématique dans la culture européenne. Le récit n’est pas fictif dans le cas présent, il s’appuie sur une géographie culturelle déterminée, à la fois par l’histoire même de ce paysage et l’interprétation données par les concepteurs. L’apport ici a un objectif de valorisation ce que Bernard Lassus nomme l’inquiétude de la beauté. L’action des paysagistes traduit une corrélation entre ces deux définitions. Il émane une complicité confirmée avec les matières élémentaires présentes sur le site même si ce n’est pas évident sur les photographies des revues. Ces matières à la fois visibles et invisibles à l’œil ou à l’esprit sont le fruit d’un paysage culturel en perpétuelle mutation. Michèle et Miquel inscrivent leur projet à l’intérieur d’un paysage devenu invisible. Ils participent à sa mutation. La transformation du récit à travers la mise en œuvre du dispositif de soutènement rend visible ce qui était devenu invisible. Leur action pose le paysage comme une superposition de concepts, d’histoires, de pratiques passées ou présentes. Depuis 1992, la Convention européenne du Patrimoine mondiale définit et protège juridiquement les paysages culturels. Selon l’article 1, il s’agit d’ouvrages «combinés de la Nature et de l’Homme ». En ce sens, sont définis les paysages où l’empreinte de l’homme n’est pas en rupture avec la Nature, mais au contraire en dialogue : il s’agit d’une co-production. Ces paysages résultent de l’action de l’homme où toutes les modifications ont un but économique, social, religieux ou administratif. 96 97 98

Ibid. p.56-57 Ibid. p.56 Miquel BATTLES, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 2 : p.24]

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La Convention Européenne évoque les paysages comme « un composant culturel de l’identité européenne »99 mais finalement qu’est-ce que le paysage culturel ? Le projet de Michèle transforme le récit d’un paysage agricole ordinaire, laborieux à un récit orienté vers le paysage marin et la flânerie, Comment fonctionne ce changement culturel de regard ? C’est un récit ? C’est une pratique ? C’est une culture ?

99

Conseil de l’Europe, Convention Européenne du paysage, Op. cit. Préambule

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III- Paysage comme storytelling

Que voit-on? La vision est une action, l’interprétation de ces tâches est entièrement subjecctive. Le paysage change en fonction des individus. Le paysage est culturel, il faut apprendre à le voir. Test de Rorschach, tâche d’encre, utilisé par Yoann Moreau, Mésologie et poétique des images, issue du séminaire « Mésologiques » de l’EHESS, Paris, 12/11/13

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Desde la incertidumbre... Desde la ingenuida... Desde el miedo... Desde la inmovilidad... Desde la belleza... Desde la seguridad… Desde la convención… o desde el reglamento Desde el pragmatismo… Desde la utopía… Desde la entropía… Desde la trasgresión… Desde el pasado… Desde el futuro… Desde la soledad… Desde la amenaza… Desde el cinismo… Desde lo próximo… Desde la historia From uncertainty… From naivety… From fear… From immobility From beauty… From security … From convention… or from regulation From pragmatism… From Utopia… From entropy … From transgression… From the past… From the future… From loneliness… From threat … From cynicism… From the nearby … From history Depuis l’Incertitude… Depuis l’Ingénuité… Depuis la peur… Depuis l’immobilité… Depuis la beauté… Depuis la sécurité… Depuis la convention… ou depuis le règlement Depuis le pragmatisme… Depuis l’utopie… Depuis l’entropie… Depuis la trasgresión… Depuis le passé… Depuis le futur… Depuis la solitude… Depuis la menace… Depuis le cynisme… Depuis ce qui est proche… Depuis l’histoire…

Le paysage convoque la matière à la fois visible et invisible, il change d’un individu à l’autre par ce qu’il suscite en chacun. Dario GAZAPO DE AGUILERA, «Desde donde se construye el paisaje?», colloque sur le Paysage culturel, Madrid 2008


III. PAYSAGE COMME STORYTELLING A. STORYTELLING 1. Invention du paysage ?

Une construction culturelle Michèle et Miquel naissent dans la culture occidentale, celle qui voit émerger la notion de paysage au cours du XVIème siècle. Une invention qui s’affirme et se développe à partir du XVIIIème

siècle. Ils appartiennent aux sociétés dites « paysagères »100 définies par Pierre Donadieu. Cela sous-entend qu’ils détiennent tous les deux une base de définition du terme paysage qui nous est commune. Ils disposent de clés de lecture pour appréhender le paysage. La conférence, leurs travaux mettent en avant leur intérêt pour les structures existantes et l’observation attentive du lieu . Cette attention aux empreintes peut-elle se rapprocher de la notion de paysage culturel?

S’ils ne parlent pas en terme paysage culturel, ni de l’influence de leurs cultures catalane et occitane, il se peut qu’elle influence toutefois leurs choix. « C’est compliqué ce rapport à la culture. On en a parlé avec Didier, c’est l’enfance, cette culture méditerranéenne, elle a sûrement une grande influence sur ce que l’on fait. […]. Je ne sais pas vraiment si c’est si important que ça. Je ne sais pas répondre à cette question, sûrement que oui mais dans quelle mesure ça, je ne sais pas. C’est très difficile à savoir. »101 Il existe un certain degré de permanence, de stabilité, de réalité matérielle, de réalité transformée en fonction des règles et des valeurs culturelles à un moment donné. Le colloque sur le paysage culturel qui s’est tenu à Madrid en janvier 2009 relève cette même question : Desde donde … se construye el paisaje ? - Depuis où… construisons-nous le paysage ? Si le paysage est une construction, quelles en sont les modalités ? « La notion de paysage et sa réalité perçue sont bien une invention, un objet culturel déposé, ayant sa fonction propre qui est de réassurer en permanence les cadres de la perception du temps et de l’espace. […] Il n’y a, chez les Grecs anciens, ni mot ni chose ressemblant de près ou de loin à ce que nous appelons paysage. » 102 L’élaboration du mot paysage, l’origine de son invention, distribuent des clés pour tenter de comprendre comment s’effectue le changement de regard.

100 101 102

Pierre DONADIEU, La société paysagiste, éd. ACTES SUD/ENSP/, 2002 Michèle ORLIAC, « La marque de la Géographie » Op. cit. [Annexe 1 : p.12] Anne CAUQUELIN, L’invention du paysage, Paris, éd. PUF, 2000, p. 10

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Le paysage exhibe le pouvoir du Duc de Milan. Le peintre est extrêmement attentif au paysage qu’il dessine même si la puissance du Duc est quelque peu exagérée. Pierro della Francesca -Portrait du Duc Sforza - peinture sur bois - 1466


Approche in visu Paysage est un terme relativement récent dans nos sociétés. Même si on peut signaler quelques occurrences antérieures au terme paysage au sens d’un « tableau représentant un pays »103 (Molinet 1493) dans les peintures de la Renaissance italienne. La première mention officielle du mot « paysage » apparaît en France en 1549 dans le dictionnaire latin/français de Robert Estienne. Celle-ci s’appuie sur la définition néerlandaise landschap qui a pour origine l’apparition d’une vue en perspective et de la fenêtre dans la peinture flamande. Quelques siècles auparavant, Pétrarque, poète italien de son vrai nom Francesco Petrarca, décrit son ascension du Mont Ventoux104 à l’intérieur d’une lettre d’adieu destinée à son père. Après avoir de multiples fois rebroussé chemin, Pétrarque arrive enfin sur le sommet du Mont Ventoux. Il ne voit pas, il imagine ce qu’il devrait voir. A travers ce panorama et sa lecture des Confessions de Saint Augustin, Pétrarque parvient à construire sa géographie régionale. Il atteint là un état de béatitude : «les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, le circuit de l’Océan et le mouvement des astres et ils s’oublient euxmêmes.»105 Cette lettre est souvent considérée comme un point de départ dans la découverte de la définition du mot paysage, elle n’est pas complète. Pétrarque fait ici état de son extase due à son expérience in visu reprise en 1549 dans le dictionnaire de Robert Estienne : « une étendue spatiale visible depuis un point haut fixe ». En peinture, la vue béante sur le paysage sera complétée par un cadre. Le plus souvent une fenêtre, un interstice qui exalte la puissance politique, religieuse, voire mythologique de la scène représentée. Les portraits du couple Sforza de Pierro Della Francesca mettent en évidence ce modèle. Le paysage y est représenté de la manière la plus réaliste possible. Dans ce contexte, le paysage est assimilé au territoire dominé par les Sforza. Il occupe ici un rôle secondaire qui appuie l’action et la puissance du Duc Sforza. Les peintures de la Renaissance font état d’une peinture descriptive, une vision plus réaliste du paysage. La fenêtre signifie d’abord une séparation entre l’intérieur et l’extérieur, qui est à première vue la relation constitutive du paysage. Le paysage se veut un regard de l’intérieur mais il est à l’extérieur. La fenêtre propose une relation visuelle alors qu’il y a séparation physique. Dans un premier temps cette séparation domine la définition du mot paysage.

Expérience in situ Progressivement, des peintres classiques comme Claude Lorrain (1600-1682) s’émancipent de la vision à travers la fenêtre. La mer, la montagne, les marais, la forêt jusque-là vécus comme des abominations, des lieux parfois même démoniaques, deviennent les figures emblématiques 103

Alain ROGER, Court traité du paysage, Paris, éd. Gallimard, 1997, p.13

105

Petrarque FRANCESCO, L’ascencion du Mont Ventoux, trad. D. Montebello, éd. Séquences, 1990, p.40

104

Mont Ventoux : point culminant des Monts de Vaucluse (1912 m)

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Joseph VERNET Port de la Rochelle 1762 Peinture sur toile 165*263 cm

Joseph Malord WILLIAM TURNER The Dogana and Santa Maria della Salute 1843 Huile sur toile 62*93 cm

Claude MONET Impression, soleil levant 1872 Huile sur toile 48*63 cm

Cette série de toiles montrent l’évolution de la représentation du paysage. Le paysage s’invente à travers la peinture. Les peintres s’émancipent de la fenêtre bien visible dans le portrait du duc de Sforza.


dans la quête du Sublime. Edmond Burke106 distingue en 1767 le Sublime du Beau, une distinction soutenue par Kant dans sa Critique de la faculté de juger parut en 1790. « Le Beau naturel et le Sublime sont antinomiques car le Beau est une catégorie de l’entendement tandis que le Sublime ne dépend que de l’imaginaire. Le Sublime est dépourvu de mesure, il est le colossal, l’illimité, le gouffre. »107 Tous ces artistes recherchent une « fascination mêlée de répulsion»108 à l’intérieur de ces paysages accidentés, désolés, qu’Alain Roger qualifie « d’horreurs sublimes». Cette quête se poursuit à travers différents degrés de découvertes qui évoluent en parallèle de ces nouveaux canons de beautés. Le paysage reçoit le statut de « divertissement légitime »109, il s’agit non pas d’une vision spontanée mais d’une vision construite. Dans un premier temps la montagne n’est pas vue comme un paysage mais plutôt comme un lieu inquiétant. Il va falloir du temps, différentes étapes de représentations (sculpture, photographie, littérature, etc.) et d’expérimentations pour voir la montagne comme un paysage. Le processus de découverte de la mer est similaire ; « même si les Grecs et les Romains semblent avoir su apprécier très tôt les beautés des paysages de la Méditerranée. Alain Corbin a retracé la naissance du « désir de rivage », qu’il situe entre 1750 et 1840. » 110 Longtemps la mer, l’océan ont incarné l’image du chaos initial : le Déluge. Ces paysages inspirent la répulsion, l’effroi et la violence. Puis, progressivement, « l’Occident se prit à rêver de la beauté idéale de la mer, à sa fécondité, au labeur tranquille du pêcheur. Le plaisir et l’harmonie se lisent dans les marines des peintres classiques du XVIIème siècle (Claude Lorrain) comme dans la peinture hollandaise. »111 C’est dans ce même contexte qu’en 1753 le marquis de Marigny, surintendant des bâtiments, arts et manufactures de Louis XV, commande au peintre Claude-Joseph Vernet la série des ports de France. Cette série de vingt-quatre tableaux, dont le Port de la Rochelle (1762) et le port de Bayonne (1761) sera réalisée entre 1754 et 1765. La commande est à la fois commerciale et sociale. Il est demandé à Vernet de représenter la vie au port.

À la fin du XVIIIème, début du XIXème siècle, le mouvement romantique et le mouvement impressionniste tenteront de traduire un état de contemplation et d’extase. Le côté objectif disparaît pour laisser place à l’incertitude, à la subjectivité de l’artiste. Le paysage se veut comme une profondeur, un espace presqu’imaginaire. Les peintres comme Joseph Mallord William Turner, Claude Monet, s’émancipent complètement du cadre et des règles d’une composition classique imposés dans les mouvements précédents. « Ils poursuivent cette position avantageuse 106 Edmund BURKE, homme politique et philosophe irlandais du XVIIIème siècle 107 Chantal GEORGEL, Le paysage depuis le milieu du XIXème siècle, éd. CNDP – Chasseneuil-du-Poitou, 2012, p.34 108 Alain ROGER, Court traité du paysage, Paris, éd. Gallimard, 1997, p.132 109 Jean-Marc BESSE, « Faire/Voir le paysage » issue du cycle de conférences Paysage et photographie, MESHS Lille, 22/11/2011 110 Chantal GEORGEL, Le paysage depuis le milieu du XIXème siècle, Op. cit. p.34 111 Ibid p.34

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née du mouvement baroque : les impressionnistes abandonnèrent toute idée de limite, de cadre équilibré, et de profondeur de perspective. »112 Le paysage devient une expérience in situ. La peinture se fait en dehors des ateliers et/ou avec des prises de notes rapportées de l’expérience du terrain. Une expérience semblable à l’idée « d’impression »113, évoquée par Miquel lors de la visite du site. Celle qui peut influencer subjectivement le projet, une donnée invisible. Aujourd’hui la définition du mot paysage ne cesse d’être modifiée, complétée et précisée. Cette évolution est étroitement liée aux moyens qui nous apprennent à le voir. La peinture n’est plus le seul médium pour appréhender le paysage ; la cartographie, la photographie, l’expérimentation sensorielle, la marche, etc. sont autant d’outils dans la quête d’une définition. La grande avancée de ce siècle a été de dire que le paysage n’est pas une représentation figée. « La peinture du paysage ne représente pas ce que nous voyons...elle rend visible l’invisible, mais comme chose dérobée, éloignée » Erwin Strauss, Du sens des sens, Grenoble, J.Millon, 1989.

2. Quoi voir ? Perception/action : l’interprète Ce que je vois n’est pas nécessairement ce que tu vois. Sur les photographies, l’acier Corten® est extrêmement visible, alors que sur place, le passage du temps, la présence de la mer rend invisible l’action des paysagistes. Pour reprendre les mots d’Yves Luginbûhl, chercheur au CNRS, « chacun d’entre nous croit savoir ce qu’est un paysage, lorsqu’il le fixe sur un écran d’appareil photo ». La modification des usages, la reconquête du milieu par la végétation spontanée ne sont pas visibles sur les photographies. Elles renvoient à des clichés figés, des objets finis à la manière des premières peintures de paysage. Elles ne rendent pas compte de l’évolution et de la variabilité de ce paysage. Le discours de Michèle et Miquel met en avant les inflexions, les courbes, le passé de ce paysage oléicole, le voit-on toujours ? Rien n’est moins sûr. Alors, que voit-on ? Yoann Moreau114 introduit l’idée de la variabilité des regards par une série d’images lors d’une conférence115. Il pose la question du regard, du visible, de l’invisible et de l’interprète. Yoann Moreau entraîne l’auditoire ou le lecteur à se questionner sur des images aux interprétations multiples comme la figure du « Canapin » de Joseph Jastrow, les tâches d’encre du test de Rorschach et d’autres. D’abord un outil clinique, ces tâches rendent compte de l’infinité des récits que l’on peut leurs attribués. « Puisque l’on ne peut prétendre avoir voulu représenter quelque chose de 112 Pallasmaa JUHANI, Le regard des sens, éd. Du Linteau, Paris, 2005, p.39 113 Miquel BATTLEs, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.25] 114 Yoann MOREAU, enseignant chercheur au EHESS/CNRS 115 Yoann MOREAU « Mésologie et poétique des images », cycle de conférences Mésologie organisée par EHESS, novembre 2013

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Il est difficile de voir les deux visages, et il est impossible de les voir en même temps. La vue est une action trompeuse car elle est en relation directe avec l’esprit. Cette figure est soit l’une soit l’autre, pas les deux ensemble, «on ne voit qu’un aspect». Joseph JASTROW - Le canard-lapin


spécifique au moyen de cette technique, toute évocation est plausible et aucune ne peut prétendre énoncer la réalité de ce qui est représenté. Le sujet soumis au test énonce donc sa posture même d’interprétant : il lit une tâche en tant que (quelque chose), faisant chose de ce qui – a priori – n’a ni fonction, ni figure, ni signification.»116 En ce sens, la vision est à la fois perception (de quelque chose) et irrémédiablement action (quelqu’un sur quelque chose). De ce fait, on ne voit que ce dont on connaît la signification, ou celle qu’on nous a transmise. La vision en tant que regard devient une action personnelle. Chacun est capable de voir un paysage s’il est capable de trouver des dissemblances, des ressemblances, de les classer, de les objectiver pour assimiler ce qu’il voit ou ne voit pas. Ce processus attaché à l’imaginaire est nommé « l’imaginal » par le philosophe et biologiste allemand, Jacob Von Uexküll. Ce concept met en évidence le fait que « pour tout sujet (animal comme humain), le monde d’action et de perception forment un ensemble, une totalité close, le monde vécu»»117. En somme, l’œil (système optique) et le regard (système symbolique) forment une « totalité close », une sphère propre à une espèce, une intelligibilité à l’intérieur d’une société à un moment t. Le sujet ne « peut voir que des connotations et des aspects.» 118 Rorschach met en évidence le caractère central de l’interprétant. « Ce faisant il traduit l’un des mouvements existentiels qui tend à « faire monde » (Umwelt) de tout ce qui l’environne (Umgebung).» 119 La figure du « Canapin » quant à elle rend compte du « réseau complexe de ressemblances qui se chevauche et s›entrecroise »120 . Elle ne permet pas une dénomination exacte de ce qui est. D’ailleurs, qu’est-ce qui est ? Pour le philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951), « l’effet de leurre qui s’opère dans le champ visuel relève d’une fausse évidence ou plutôt d’une fausse transparence parce que – « le voir dans son ensemble ne nous paraît pas assez énigmatique»121. Les deux figures connues se chevauchant, il est impossible de discerner ce qui est, d’où le surnom « Canapin » donné par Yoann Moreau. « On ne voit pas une chose, mais l›un de ses aspects »122. A travers ces réflexions, la pensée de Yoann Moreau rejoint celle d’Odile Marcel, agrégée de philosophie : « il faut une culture et des connaissances pour comprendre un paysage, pour savoir le lire, pour voir avec précision, pour savoir comment et que voir. »123 De la même façon, Miquel insiste sur le fait que le Cap Roig était « un paysage à l’abandon, mais il fallait

116 Ibid. 117 Jacob von UEXHULL, cité par Yoann MOREAU, « Mésologie et poétique des images », cycle de conférences Mésologie organisée par EHESS, novembre 2013 118 Yoann MOREAU, « Mésologie et poétique des images », Op. cit. 119 Ibid. 120 Wittgenstein, Recherches philosophiques, 2004, cité par Yoann Moreau, « Mésologie et poétique des images », cycle de conférences Mésologie organisée par EHESS, novembre 2013 121 Ibid. 122 Uexküll, cité par Yoann MOREAU, « Mésologie et poétique des images », cycle de conférences Mésologie organisée par EHESS, novembre 2013 123 Odile Marcel, Introduction, Paysage visible, Paysage invisible. La construction poétique du lieu, sous la direction d’Odile MARCEL, Seyssel, éd. Champ Vallon, 2008, p.5

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reconnaître que c’était ça »124. « Il fallait reconnaître »125 renvoie à l’idée d’une interprétation liée aux connaissances et à la culture du concepteur. Puis, il ajoute : « on regarde beaucoup, avec toujours des yeux aussi grand pour bien voir, pour essayer de trouver des éléments sur lesquels nous appuyer. Comme on l’a montré, on sait faire avec l’existant. On ne sait pas faire, on ne sait pas inventer, on ne sait pas dessiner, on a aucune idée, aucune imagination. On doit alors regarder beaucoup et à partir de ça faire le projet. » Ces paroles supposent qu’ils ont vu avant de dessiner le projet. La perception dans leur pratique du projet semble importante. Dans ces deux extraits, la place de l’interprète occupe une position charnière. Outre le fait que cette parcelle ne soit plus exploitée, le champ du visuel est-il le seul qui engage l’être à l’intérieur du milieu qui l’entoure ? Qu’ont-ils vraiment vu ?

La « doublure invisible »126 Avant de disparaître le philosophe français Maurice Merleau-Ponty base ses dernières recherches sur l’existence d’une relation possible entre le visible et l’invisible. Il appuie tout d’abord sa théorie sur une dépendance réciproque entre l’œil et l’esprit, fruit d’une première étude du même nom paru 1964. Il y remet en question le concept de Descartes pour qui la vision est double : « - la vision avec laquelle je réfléchis, une pensée, une lecture/ La vision qui a lieu, écrasée dans un corps sain »127 Descartes introduit un espace entre le corps et la pensée ce que réfute Maurice Merleau-Ponty ; « nous sommes le composé d’âme et corps, il faut alors qu’il y en ait une pensée »128. L’espace est vu de l’intérieur et non de son enveloppe extérieure : la pensée est corporelle (Aristote). En parallèle, les peintres s’émancipent du cadre définit par la fenêtre et l’utilisation de la couleur devient un outil de transcription du visible. Pourtant, Maurice Merleau-Ponty arrive à la conclusion qu’il n’existe pas de « recette au visible, la couleur ou l’espace n’en sont pas une. »129, tandis que les fauvistes, les impressionnistes comme Matisse ont cru à la couleur. Pour eux « la lumière n’imite plus le visible, elle rend visible »130, elle serait l’épure d’une genèse des choses. « Une nature à laquelle on accède à travers des techniques de reproduction risque l’anéantissement de son sens et de sa valeur. Turner et les impressionnistes ont traduit l’esprit du paysage, ils ne l’ont pas reproduit. La subjectivité ne parviendrait pas à définir ce plaisir qui nous envahit comme par enchantement et que nous avons appelé énigme. C’est à la dissolution du moi de 124

125

Miquel BATTLES, entretien Op. cit. [Annexe 2 : p.25]

Ibid. p.25

126 Maurice MERLEAU-PONTY, concept de la doublure invisible développé dans l’ouvrage Le visible et l’invisible. Suivi de notes de travail, Paris, éd. Gallimard, 2010 127 Maurice MERLEAU-PONTY, L’œil et l’esprit, Paris, éd. Gallimard, 1ère parution 1964, réédité en 1991, pp. 53-54 128 Ibid. p.58 129 Ibid. p.67 130 Maurice MERLEAU PONTY, L’œil et l’esprit, Op. Cit. p.74

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procurer ce plaisir. »131 A cette époque, le paysage et la nature sont deux notions assez proches. L’idée d’un « envahissement énigmatique » pose la question de l’existence d’un non vue, d’une donnée non visible qui influence la retranscription d’un paysage. Cette idée semble être partagée par les paysagistes Michèle et Miquel, « quand tu vas quelque part il y a quelque chose que tu ressens, que tu attrapes. C’est ça. C’est parvenir à sortir quelque chose de cette impression, que tout le projet sorte de l’impression que tu as reçu. »132 Cette donnée s’apparente au concept de doublure invisible énoncé par Maurice Merleau-Ponty, «le propre du visible c’est d’avoir une doublure invisible au sens strict, qu’il rend présent comme une certaine absence» 133

Entrelacs Maurice Merleau-Ponty substitue la dualité du sujet et de l’objet à celle du visible et de l’invisible. L’invisible existe dans le sens où il s’agit d’une composante subjective, « un apport corporel » (battement de cils, la marche) qui vient recouvrir les choses. Le corps agit comme « metteur en scène de ma perception »134. Il est à la fois vision en tant que proximité au monde et relativisation ; c’est une paroi. Le dispositif mis en place par Michèle et Miquel peut-il être assimilé à ce point de rencontre ? L’installation en acier comme jonction entre le visible présent sous sa forme élémentaire : la matière (pierre, terre, végétation), et l’invisible ; la géographie physique (courbes topographiques), la pensée des concepteurs. La doublure invisible pourrait-elle être la matrice ? La réponse de Maurice Merleau-Ponty aux écrits de Jean-Paul Sartre donne des indications. Elle ouvre sur la phrase clé de l’œuvre : « Je suis une ouverture au monde »135. L’être n’est donc pas un néant ou une négation : il est une question. Plus précisément, l’être est une « interrogation ontologique », c’est-à-dire, une interrogation permanente sur sa situation spatiale et temporelle dans l’être au monde. Pour être cette question je dois donc être un « écart », c’est-à-dire, toujours questionner l’être et le produit de l’idée à la manière d’un aller-retour. Ne pouvant être ni à l’intérieur de l’être, ni du monde, ni en fusion avec lui, l’être est à la fois dans une proximité absolue et dans une distance infinie. Le corps en tant que négativité opérante dans l’épaisseur du monde est fait de champs d’expériences : la « chair ». En tant qu’élément du corps, la chair constitue un écart, une épaisseur entre l’être et le monde. Cet écart fait de canaux, de tissus, de nerfs construit l’ouverture de 131 132 133 p.82 134 135

Chantal GEORGEL, Le paysage depuis le milieu du XIXème siècle, Op. cit. p.35 Miquel BATTLES, entretien, Op. cit Maurice MERLEAU-PONTY, Le visible et l’invisible. Suivi de notes de travail, Paris, éd. Gallimard, 2010, Ibid. pp. 170-201 Ibid. pp. 170-201

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l’être au monde. La chair devient un pivot qui connecte le corps au monde et l’ouvre aux champs des visibilités. « Si je vois c’est parce que je vise ce qui peut se voir. Il y a donc une jonction du voyant au visible, comme si le visible était le prolongement du voyant, et réciproquement. »136 L’épaisseur de chair relie le voyant et le visible. C’est un prolongement du visible. Ce rapport entre les deux, Maurice Merleau-Ponty l’appelle l’entrelacs, c’est-à-dire, le visible est repris par le voyant et le voyant est repris par le visible. Il parvient à l’idée que le visible et le voyant ne sont pas toute la chair. Le tissu du visible touche en ses profondeurs le monde invisible. Il s’agit là du monde cognitif, celui de l’expérience du corps qui se produit en même temps que celui de l’interrogation de l’être au monde. « C’est comme si la visibilité qui anime le monde émigrait, non pas en dehors de tout corps, mais dans un autre corps moins lourd, plus transparent, comme si elle changeait de chair, abandonnant celle du corps pour le langage, et affranchie par-là, mais non délivrée, de toute condition. »137 Le visible se trouve en surface et l’invisible creuse en profondeur. L’invisible donne naissance aux diverses possibilités du visible. Il est l’envers du visible et non le contraire Ce que je vois est en fait enveloppé par un halo invisible constitué par ma pensée. C’est ici que s’opère le paradoxe de la perception : « coexistence de visibilité (le monde perçu), et d’invisibilité (la pensée, l’imaginé, le dit. »

138

Une distinction entre les mots pour dire et les images pour voir. A-t-on besoin de

savoir nommé ce qu’on voit pour le voir ? Maurice Merleau-Ponty effectue un rapprochement entre le langage et la pensée. La pensée s’inscrit dans le monde invisible et à travers la parole tente de rendre compte du monde visible qu’elle cherche à décrire. C’est le cas des « sociétés paysagères »139 et celles dites « non-paysagères ». Les tribus indigènes des îles océaniques n’ont pas besoin de mot pour qualifier leur paysage, ils en connaissent les ressources. Ils ont un œil différent des sociétés européennes dites « paysagères ». Pour inventer, comprendre les paysages, les sociétés occidentales « ont su donner une forme visible aux convictions invisibles qui les portaient »140. Le paysage étant le fruit d’une interprétation culturelle, le corps en tant que chair, le regard en tant que perception entre parfois en relation directe ou indirecte avec le monde (territoire). Pierre Sansot, philosophe et sociologue français dit : « c’est la diversité des regards qui induits la variété des définitions, les différences entre les modes d’approches. » 141

On apprend à voir les choses, à dire qu’une table est une table. La question est comment

apprendre à voir ?

136 Ibid. pp. 75-139 137 Ibid. p.180 138 Ibid. p.110 139 Pierre DONADIEU, La société paysagiste, éd. ACTES SUD/ENSP/, 2002 140 Ibid. 141 Pierre SANSOT, « L’affection paysagère », extrait de La théorie du Paysage en France (1974-1994), ss. Alain Roger, Seyssel, éd. Champ Vallon, 1995 pp.153-167

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3. « Trajectivité »142

Modification des récits Années 1930, la ville d’Armentières située à quelques kilomètres au nord de Lille s’apprête à célébrer ses joutes annuelles sur l’eau. La Lys, rivière qui a fondé la ville et construit sa richesse passe au cœur de la ville et se trouve au centre de l’attention. Chaque participant est acclamé par les applaudissements et les cris de la foule. Les jeux vont démarrer. Quelques années plus tard, les festivités sur la rivière sont bien loin. Le cours de la rivière est modifié pour permettre une circulation rapide et intensive des péniches vers Gand et la mer du Nord. Les armentiérois perdent progressivement leur proximité à l’eau. L’ancien méandre de la Lys qui scindait la ville en deux est mort. Il s’encrasse et se transforme en un véritable égout à ciel ouvert. Véritable source d’épidémies, les décideurs publics optent en 1973 pour la fermeture et la canalisation du bras mort en sous-sol. La Lys disparaît du paysage armentiérois. Seuls d’immenses parkings, des imprimés de poissons sur le sol bétonné rappellent son existence. Aujourd’hui le discours du Maire d’Armentières est tout autre. Il cherche à retrouver cette familiarité, « Nous devons cette ville à l’eau. »143 Le paysage est bien un fait culturel. En observant l’histoire de la ville, le développement d’autres villes autour de ces mêmes problématiques, le discours sur le paysage armentiérois se modifie... Michèle et Miquel parlent du paysage comme une accumulation de concepts, de strates au fil des années sous l’action ou la non-action de l’homme. Au cours de ces derniers siècles en occident, l’homme a pris conscience de la notion de paysage, de la qualité et de la pluralité couches qui le constituent. Le paysage est l’expression jumelée entre l’intervention de l’homme et celle de la nature. Le paysage n’existe pas en tant que tel, il existe au moment où je dis qu’il existe, que je le décris, que je le ressens, que je le vis. « Le paysage est un fait de culture et spécifiquement de culture artistique. »144 Les paysages changent avec les récits que l’on fait d’eux : il s’agit de la mésologie.

Mésologie D’autre part, Yoann Moreau avec sa série d’images met en évidence le changement de regard, de la pensée, de l’action de l’homme sur un territoire, c’est ce qu’Augustin Berque appelle la mésologie. Cette théorie rend compte de l’importance entre la donnée environnementale et l’interprétation qu’en fait une société, à ne pas confondre avec l’écologie qui est une science de 142

Augustin BERQUE, concept attaché à la sa théorie sur la mésologie

143

Bernard HAESEBROECK, maire de la ville d’Armentières, Séance d’ouverture de l’Atelier Public n°7 « Le

grand Armentières », Armentières, 28/02/2014 144 Ibid.

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la nature. « L’image et le regardeur ne sont plus des entités « en soi » (objet d’une part, sujet individuel d’autre part), mais où l’une et l’autre existent conjointement au milieu (où ils s’ajustent) et par le milieu (où ils diffèrent) »145. La mésologie est en fait le résultat de la corrélation entre deux phénomènes : la médiance et la trajectivité. En somme, la médiance correspond « au couple dynamique formé par l’individu et son milieu, et c’est ce couple qui est la réalité de l’humain dans sa plénitude existentielle […], son corps animal et son corps médial, l’un ne pouvant exister sans l’autre, et l’un le corrélatif de l’autre.»146. Il s’agit ici de comprendre que l’homme n’est pas à l’écart du milieu dans lequel il vit mais bien à l’intérieur de celui-ci. L’homme et la nature ne sont pas un couple en opposition. A la différence de Descartes, Augustin Berque récuse le dualisme existant entre l’homme et la nature (le milieu). Descartes, quant à lui, écrit dans son Discours sur la méthode en 1637, « l’homme est le maître et possesseur de la nature»147. Le sujet s’absout de son milieu et se met à l’écart dans une position dominant/dominé. Dans le cas présent « la nature ne détermine pas la culture, mais lui offre seulement des possibilités que celle-ci exploitera ou non, d’une façon ou d’une autre, selon les contingences de l’histoire.»148A travers cette affirmation, il faut entrevoir une nouvelle question qui est de savoir comment et pourquoi dès lors que l’homme modifie son environnement, c’est toute la société qui se transforme. Ainsi s’opère la création d’un nouveau milieu, c’est-à-dire une nouvelle relation entre une société et son environnement à un moment t. C’est en quelque sorte ce qui s’est passé au Cap Roig. A travers leur perception du lieu qui est issue d’un passé professionnel et culturel, les paysagistes ont proposé et mis en œuvre un projet. D’un paysage agricole et fonctionnel on bascule vers un paysage ouvert à tous et dédié entre autre à la contemplation.

Paysage comme aller-retour Au cours de ses réflexions sur le « paysage empreinte, paysage matrice »149, Augustin Berque met au point le deuxième acte nécessaire à la fabrication d’un paysage : la trajectivité, c’est-à-dire le va-et-vient entre un individu et son milieu. La réalité du milieu ne peut être uniquement objective ou subjective, elle comprend cette notion d’aller-retour. C’est cet allerretour qui définit le paysage. «Du point de vue de la mésologie, le paysage est typiquement l’une de ces réalités trajectives qui sont propres aux milieux 145 Yoann MOREAU, « Mésologie et poétique des images », cycle de conférences Mésologie organisée par EHESS, novembre 2013 146 Augustin BERQUE, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire, issue du cycle de conférences Pour-quoi, 4/12/2013 147

René DESCARTES, Discours de la méthode, tome I, (1ère éd. 1637) Paris, éd. Garnier-Flammarion, 2008,

cité par Augustin BERQUE La mésologie, pourquoi et pour quoi faire, Op. cit. 148 Augustin BERQUE, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire, Op. Cit. 149 Augustin BERQUE, Espace géographique, Op. cit. pp.33-34

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humains : ce n’est ni un fantasme subjectif, ni un donné objectif, mais bien l’expression d’une certaine trajection, qui a cristallisé cette réalité en tant que paysage à un certain moment de l’histoire (le IVe siècle en Chine, la Renaissance en Europe). Autrement dit, à partir de là, pour une fraction grandissante de l’humanité, l’environnement s’est mis à exister en tant que paysage. » 150 Ce processus dynamique reprend le concept de perception/action dans le domaine de la vision. L’image (la substance-le paysage) et l’imaginaire (la culture) ne fabriquent pas la réalité mais bien une figuration, une interprétation. Pour Augustin Berque comprendre le paysage en tant que géographie culturelle c’est penser dans son sens plus large en remettant en cause l’idée du dualisme occidental. « Elle s’attache à la réalité de ce que le dualisme moderne a rejeté dans les ténèbres extérieures du tiers exclu, à savoir dans le gouffre qui s’est alors ouvert entre le subjectif et l’objectif, l’assertion et la négation, le matériel et l’immatériel... C’est cela, le trajectif : ce « troisième et autre genre » (triton allo genos), à la fois A et non-A – empreinte et matrice à la fois – que le rationalisme platonicien avait renoncé à penser [...] »151

A partir de ce constat, A. Berque détermine que le sujet et l’objet sont totalement coupés l’un de l’autre ce qui contraint l’idée de médiance. Depuis des siècles, la société occidentale repose sur une réflexion binaire qui exclut systématiquement l’interprète qui a fortiori est l’énonciateur de toutes théories. Cette réflexion ne remet pas en cause les démonstrations passées, elle pose juste une nouvelle question. S’il existe un interprète dans la définition d’un paysage celle-ci n’est pas entièrement objective ni subjective, elle accepte d’être changeante, « il y a contingence historique et non plus pure détermination, ni donc parfaite prévisibilité. ». C’est en ce point que la définition émise par la Convention européenne peut être questionnée. La lecture et la compréhension d’un paysage se modifie, évolue à travers le regard et la culture de l’interprète. Or la classification des paysages proposée est restreinte, autant dans la variété des typologies que dans la liste des interprètes. Elle repose sur cet esprit binaire, si ce paysage A n’est pas A alors il est non A, pourtant est-il vraiment A ou non-A peut-il être les deux à la fois ? Au Cap Roig le paysage devient à la fois A et non-A, il s’inscrit dans la logique d’un paysage quotidien aux yeux des habitants qui connaissent et ne voient plus la richesse de ce paysage. Comment aujourd’hui serait classé ce paysage s’il faisait l’objet d’une réflexion de classement ? Le résultat serait-il le même si cette procédure avait eu lieu avant l’intervention des paysagistes ? Le passage du temps agit à la fois sur la mémoire et le regard, se faisant, un paysage visible bascule dans l’invisible.

150 151

Ibid. p.34 Ibid. p.34

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«Pour Alain Roger, la contemplation des paysages ne résulte donc pas des formes de la nature qu’elle inspecterait et dont elle prendrait acte de façon passive, mais bien plutôt d’une institution de la culture qui a inventé cette contemplation elle-même en lui donnant une signification et une valeur. » Odile MARCEL, Geographie et culture n°13– Spécial paysage, sous la direction de Paul CLAVAL, éd. L’Harmattan, 1995 Alain ROGER Mouvance I du jardin au territoire, cinquante mots pour le paysage ss la direction de Marc Bédarida, Paris, éd. La Villette, 2006, pp.45-46


B. ARTIALISATION DU PAYSAGE 1. Paysage invisible ? L’invisible au quotidien La culture oléicole établie depuis plus de 2 500 ans sur les terres arides espagnoles est courante. Il fait échos à la quotidienneté, à l’habitude qu’ont les habitants du pays à côtoyer ces entités paysagères, leurs matières. L’oléiculture en tant que pratique agricole majoritaire occupe 5% du territoire national. La question sous-jacente est : en quoi la parcelle du Cap Roig est-elle différente de ces congénères, si elle l’est ? La localisation et les caractéristiques physiques de cette parcelle en font un espace privilégié. Pourtant, celui-ci lors de l’appel à projet, ne fait partie d’aucune procédure de classement, de protection, et ne mobilise aucun élément de programme spécifique. La quotidienneté de ce paysage, l’arrêt de cette exploitation en font un paysage invisible dans le sens où il ne semble plus susciter l’intérêt des usagers. L’invisibilité de ce paysage fabrique peut être ce qu’Augustin Berque nomme proto-paysage soit : « un espace sauvage dont l’esthétisation n’a pas encore eu lieu »152 . Cet espace est peut-être resté celui du paysan, « cet acteur qui fait du paysage sans le savoir, cet homme trop impliqué dans la production du paysage pour pouvoir le percevoir en tant que tel ? »153 Ludovic Aumasson, enseignant chercheur en histoire, définit le paysage invisible comme « d’un autre temps ou qui a subi de nombreuses transformations » 154

tandis que « le paysage visible est le paysage du quotidien, celui que l’on perçoit.»155 Dans

le projet de Michèle et Miquel la définition semble inversée ou baigne dans une sorte d’entre deux. Le paysage quotidien est toujours visible dans le sens premier du terme, on voit la pierre, l’olivier. Néanmoins, l’arrêt de l’oléiculture sur cette parcelle a provoqué des changements morphologiques rendant invisible, ou du moins illisible le paysage passé et révolu. Le passé agricole fait l’objet d’une réappropriation par les concepteurs.

Des clés de lecture L’évolution même du récit autour de ce projet de paysage traduit l’idée de l’existence d’un double paysage, à la fois visible et invisible. Le paysage oléicole en restanques commence à s’atténuer avec l’arrivée d’une végétation spontanée et la dégradation des murets, conséquences d’un abandon de la culture et de son entretien. Puis, la mise en œuvre du dispositif de 152 Augustin BERQUE, Les raisons du paysage, éd. Hallazan, 1995, p. 26 153 Jean-Marc L’ANTON, Dessiner le temps, Paris, éd. ICI Interface, 2013 p.8 154 Ludovic AUMASSON « Reconstituer un paysage disparu », extrait de Paysage visible, Paysage invisible. La construction poétique du lieu, sous la direction d’Odile MARCEL, Seyssel, éd. Champ Vallon, 2008, pp.49-71 155 Ibid. p.49

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soutènement par Michèle et Miquel influence la visibilité du paysage oléicole et du paysage maritime. Avec le temps et l’atténuation de la couleur de l’acier autopatinable, le paysage maritime devient à nouveau visible. Ces changements d’états traduisent l’ambiguïté du paysage et la facilité opérante pour basculer de l’un à l’autre. Jean-Robert Pitte, géographe français l’exprime ainsi : « en se situant à l’encontre de toute position naturaliste et quantitative, on peut dire que le paysage est la réalité de l’espace terrestre perçue et déformée par les sens et que son évolution repose entièrement dans les mains des hommes qui en sont ses héritiers, ses auteurs, ses responsables. »156 Autrefois regardé avec mépris, indignation voire même dégoût le paysage agro-pastoral des Causses et des Cévennes est aujourd’hui classé et inscrit au Patrimoine Mondiale de l’UNESCO. « On voit comment on invente un paysage au moment où il disparaît. On va aussi essayer d’y retrouver ses traces, cette empreinte d’une occupation. »157 Cette étude menée entre autres par Jacques Sgard construit la nouvelle interprétation de ce paysage culturel. Elle a fait redécouvrir aux habitants, aux agriculteurs, l’attractivité et les qualités de leur paysage quotidien. De la même façon, les paysages miniers du Nord de la France apprennent à connaître, à reconnaître, à voir, parfois même à aimer « leur paysage ».

Le filtre perceptif Visible, invisible, interprétation sont des notions essentiels dans le récit identitaire perçu à travers un paysage ou un bâtiment. Pour reprendre les mots d’Odile Marcel dans la préface de l’ouvrage Paysage visible, Paysage invisible la construction poétique du lieu : « Les lieux nous parlent à la mesure de ce que nous pouvons en entendre. Par-delà les formes, leur style est à décrire et peut s’apprendre. L’impression de grandeur ou d’humilité, la subtilité de l’organisation doivent être mises en contexte. Au-delà de la disposition sensible, le message peut rester illisible ou mal perçu. Nous comprendrons et ressentirons plus vivement le sens et la beauté du paysage visible quand nous sera transmise la dimension invisible de ce paysage, quand nous pourrons entendre le récit qui évoque l’histoire de ceux qui l’ont pensé, voulu et réalisé, comme de ceux qui l’habitent, l’entretiennent et le font vivre au cours du temps. » 158 Dans cet extrait est présente l’idée d’un entrelacs entre le paysage visible et le paysage invisible. L’influence du relief, les caractères physiques d’un territoire, la production consciente ou non d’une sorte de spectacle sont traduits sous la forme d’un projet par les aménageurs. Ils génèrent 156 Jean-Robert PITTE, dans l’article « Paysages et géographie », de l’Encyclopedia universalis, cité par A. Roger p130 157 Anne SGARD, « Le paysage est-il un lieu de mémoire ? », », émission Planète Terre, présenté par Sylvain Khan, France Culture, 17/12/2012 Issue de http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-le-paysage-est-il-unlieu-de-memoire-2012-10-17 (consulté le 29/11/13) 158 Odile Marcel, Introduction, Paysage visible, Paysage invisible. La construction poétique du lieu, sous la direction d’Odile MARCEL, Seyssel, éd. Champ Vallon, 2008, pp.4-5

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et sont mêmes générées par du visible et de l’invisible. Ce passage de l’un à l’autre, Jean-Claude Wieber159 le définit avec la « boîte paysage visible ». Elle se caractérise par sa fonction, ses éléments physiques, ses flux et par un espace particulier. Il s’agit à la fois d’un lieu abstrait et géographique c’est-à-dire, « les objets produits par les mécanismes naturels et/ou l’action des sociétés humaines sont agencés en images perceptibles, offertes à la vue, même si personne ne les regarde ou ne les voit (ex : paysage antarctique) »160. En cela, « le paysage visible est à la fois vue de dessus et du dedans »161. Pour comprendre le paysage visible il faut allier le paysage dans sa perception et le paysage dans sa production. Ces deux approches dans la production et la perception d’un paysage induisent deux définitions possibles qui ne coïncident pas entre elles. « Il faut les associer, ce qui est d’autant plus aisé que des liens unissent ces deux boîtes du système « paysage ». LE flux des objets produits participe à la formation des images perçues, valorisées ou négligées. Des boucles de rétroactions s’établissent par la recherche, l’aménagement. On s’aperçoit bien vite qu’entre ces deux boîtes, il est nécessaire d’en imaginer une autre, dans laquelle les objets forment des images, par leur agencement particulier dans l’espace : celle que nous proposons d’appeler « paysage visible ». 162 La question du paysage visible occupe une position centrale dans le système perceptif en offrant aux utilisateurs « des images, qu’ils perçoivent de manière fort différenciée. Son rôle est surtout d’offrir une image objectivée, qui contient tous les signifiants possibles. La détermination du signifié n’appartient pas à la boîte paysage visible ; elle est le fait des utilisateurs. Pour simplifier les choses, nous avons placé entre les boîtes un « filtre perceptif ». Il est le lieu de toutes les sélections, de tous les choix, de toutes les créations mythiques que les utilisateurs effectuent et qui influent sur leur réception des images visibles. »163 La dimension à la fois sociale et culturelle de ce filtre détermine les rétroactions c’est-à-dire l’impact sur la production et le résultat de la vue. Dans certains cas des conséquences non négligeables annihilent le(s) potentiel(s) visible d’un paysage, le faisant basculer dans l’invisible. En choisissant une action plutôt qu’une autre le paysage existant du Cap Roig se modifie autant que son récit.

159 Jean-Claude, enseignant chercheur en géographie 160 Ibid. p.185 161 Ibid. p.186 162 Jean-Claude WIEBER, « Paysage visible, un concept nécessaire », extrait de La théorie du Paysage en France (1974-1994), ss Alain Roger, Seyssel, éd. Champ Vallon, 1995 pp.185 163 Ibid. p.190

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2. Le passage du temps

Paysage outil de la mémoire ? Le temps est une donnée essentielle, un outil de conception à part entière dans la constitution d’un paysage. Le paysage est un élément vivant. Il prend en compte les données géographiques physiques. Elles s’inscrivent dans un temps long lié au mouvement des plaques tectoniques, à l’érosion du vent et de l’eau, aux variations de températures, etc., mais également sur des temps un peu plus court comme celui du végétal dépassant le plus souvent la longévité humaine. L’homme agit dans un temps très bref. Il n’anticipe pas toujours la temporalité de ses faits et gestes dans le paysage. Tous ces temps se chevauchent, s’imbriquent pour former un paysage identifiable à un moment t dans nos sociétés dites « paysagères ». Le paysage est le reflet d’une société avec des principes économiques, sociaux, culturels, politiques, etc., mais aussi une ressource naturelle. La mémoire ne rend pas toujours compte de ces changements, pour le paysagiste Jean-Marc L’Anton, « le site est muet et ses habitants bien souvent amnésiques »164. C’est ici qu’intervient le paysagiste, le concepteur, l’aménageur du territoire quel qu’il soit. Celui-ci doit se positionner en tant « qu’avocat du site » afin de poursuivre la transmission d’une mémoire collective même si elle se modifie à travers l’interprétation de cet avocat. « Parce que le paysagiste est avant tout l’avocat du site, quel que soit le projet qu’il a à y mener, et parce que le site est fondé dans une profonde histoire qu’il faut souvent aller rechercher, parce qu’un site vit et évolue à sa vitesse propre. Parce qu’un site, c’est d’abord une temporalité intrinsèque, sa transformation impose un rythme, un temps qui est propre à ce projet, dans ce site-là. » 165 De même, la mémoire s’inscrit dans une dynamique similaire en tant qu’état prospectif et non-figé, comme le décrit le professeur l’Hoost166. Le paysage et la mémoire sont tous deux changeants. Ils se modifient avec le passage du temps: une nouvelle interprétation pour un nouveau récit. La question du paysage culturel va alors de paire avec la notion de mémoire et l’expression de sa matérialité. Quelle(s) matérialité(s) pour le récit culturel en tant qu’expression de la mémoire? « Avant même d’être le repos des sens, le paysage est l’œuvre de l’esprit. Son décor se construit tout autant à partir des strates de la mémoire que celle des rochers. »167 164 Jean-Marc L’ANTON, Dessiner le temps, Paris, éd. ICI Interface, 2013, p.15 165 Ibid., p.10 166 Marc L’Hoost, professeur de morale, agrégé de philosophie à l’Athénée Jules-Bara de Tournai, rappelle dans le journal La Voix Du Nord, « La mémoire n’est pas le passé comme il s’inscrit dans les pierres ou s’écrit dans les livres. Ça, c’est le souvenir. Il est mort, figé dans le passé. La mémoire, c’est autre chose, elle est vivante, elle est l’avenir en marche, elle est le devenir. » 167 Simon SCHAMA, Le paysage et la mémoire, Paris, éd. Le seuil, 1999, p.13

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Dans cette citation le sens du mot paysage rappelle son origine étymologique. Le paysage renvoie à l’écriture, de sa racine latine pagus : page, pays (Michèle Serres). Ecrire c’est projeter du sens. Pour le paysage, il s’agit d’une projection physique sur le sol d’un ensemble de signification et/ou de symboles. Au départ cette action, ou du moins sa compréhension était surtout mise en valeur dans l’art des jardins avec, les jardins de la Renaissance italienne, les jardins classiques français, ou encore les jardins anglais. L’œuvre du jardinier Le Nôtre à Versailles exprime la puissance de la Royauté et de la suprématie de Louis XIV. Le jardin incarne les idéaux de l’époque : les grandes découvertes, les révolutions cartésiennes, etc. Puis, avec le développement du concept de paysage dans la peinture, on s’aperçoit que cette mémoire des sociétés s’étend au-delà des limites du jardin. L’historien de l’art, Simon Schama, en fait état avec beaucoup d’émotion dans le premier chapitre de son ouvrage Le paysage et la mémoire. « Il n’y a plus de juifs mais la forêt est toujours là. »168 Dans ce chapitre l’auteur évoque la force d’un paysage dans la mémoire des individus, mais également sa cruelle absence quand l’histoire est méconnue. Suite aux massacres des populations juives en Pologne certains villages ont entièrement disparus pour ne laisser plus que des ruines que la forêt a parfois recouvertes, effacées. Les touristes qui parcourent ces sentiers dans les montagnes, y découvrent des paysages verdoyants, des forêts denses, presque intactes. Pourtant, de l’autre côté du sentier, un homme est là, assis, à contempler ce paysage qui a vu disparaître sa famille. Avec le temps et l’oubli, « les pierres tombales finissent par se fondre dans la masse géologique et s’incrustent dans la mémoire physique du sol. »169

Dynamique de la métamorphose La métamorphose et l’évolution d’un paysage pose la question de la transmission ou non des valeurs présentes sur un territoire. La Convention Européenne du paysage s’interroge sur cette idée de réappropriation ou de requalification des paysages. La valeur que l’on attribue au paysage se fonde sur la perception plus que sur des éléments historiques ou physiques. « En ce sens, le paysage n’est pas sacro-saint ; mais il n’a rien d’imaginaire ou d’irréel, puisqu’il constitue, pour le meilleur ou pour le pire, un fondement de l’identité des Européens ».170 L’architecte Philippe Madec interroge la légitimité du Patrimoine et de ces paysages, est-ce que tout doit être classé ? « Que signifierait que tout soit patrimoine, le déjà là ? Ce que j’ai fait hier deviendra du déjà là demain.»171 La notion de projet est profondément liée au sens qu’on lui donne. Pour Philippe Madec, le projet est patrimoine dans le sens où, il s’agit de l’expression d’une relation entre la matière, l’architecture et la pensée. Cependant, il ne faut pas se perdre 168 Ibid. p.45 169 Ibid. p.43 170 Anne SGARD, « Le paysage est-il un lieu de mémoire ? », », émission Planète Terre, Op. cit. 171 Philippe MADEC, Colloque de clôture de l’Ateliers de réflexion prospective des « Nouveaux défis pour le patrimoine culturel », Table ronde sur les valeurs, 7 février 2014.

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dans la frénésie de la patrimonialisation, comme le souligne Alain Marinos172 lors de cette même table ronde. « Il y a vingt-cinq ans, quand je suis arrivée à la direction des Patrimoines, protéger un bâtiment était exceptionnel. On me disait « on ne protège pas un bâtiment du XVIIIe siècle alors du XIXe… ». Pourtant aujourd’hui, on reçoit des demandes de classement pour des bâtiments non construits il y a vingt-cinq ans. ». Sur quels critères de valeurs peut-on accepter ou refuser ces demandes de classements : la valeur d’existence, la valeur d’usage, la valeur relationnelle ? La réponse apportée par l’historien français Dominique Poulot est peut-être une piste de réflexion à considérer : « Seul un héritage toujours animé demeure l’objet d’une réappropriation »173 D’autres avant lui ont tenté l’expérience d’une réappropriation qui s’est basée sur l’exploitation du socle géographique. Ce socle s’inscrit dans un temps long et inspire une certaine stabilité et expressivité de la culture. Au XVIIème siècle, deux concepts de transmission d’une culture à travers le paysage voient le jour, celui du jardin géographique et un autre basé sur le processus d’artialisation. La mémoire est une chose, mais préserver le passé ne pourrait-il pas jouer un rôle plus important s’il était moins un lieu dédié aux souvenirs qu’un lieu d’anticipation ? Dans leurs projets d’aménagement Michèle et Miquel intègrent deux pistes possibles concernant la réappropriation et la transmission d’un espace.

3. Vers une artialisation174

L’action menée par les paysagistes Michèle et Miquel valorise la géographie en tant que réalité physique et terrain de l’expression culturelle. Etymologiquement, la géographie c’est écrire le sol, c’est l’empreinte du temps, des actions sur un paysage. L’expression physique et culturelle de la géographie ne serait rien sans l’interprétation de l’homme dans une société, à un moment donné, c’est ce qu’Augustin Berque nomme géographie culturelle175. Au début du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle, d’autres personnes se sont posés cette question à travers des essais de jardins géographiques176 les assimilant à des lieux et des espaces de mémoires. 172 Alain MARINOS, Inspecteur général à la direction générales des Patrimoines et inspection des patrimoines 173 Dominique POULOT « La fabrication d’un héritage », extrait de Passage du temps sur le paysage, ss. De David LOWENTHAL, Op. Cit., p.260 174 Artialisation : Concept théorisé par Alain ROGER dans son ouvrage Nus et paysages : essai sur la fonction de l’art, éd. Aubier, 2001. C’est l’idée que « tout paysage est un produit de l’art ». (Alain Roger, « Tout paysage est un produit de l’art », article d’Eric Loret paru dans Libération, 02/07/1998) 175 Augustin BERQUE, Définition : « La géographie culturelle comme l’étude du sens (global et unitaire) qu’une société donne à sa relation à l’espace et à la nature ; relation que le paysage exprime concrètement. », issue de « Paysage-empreinte / Paysage matrice : éléments de problématique pour une géographie culturelle », extrait de Paysage géographique, Tome 13 n°1, 1984, pp. 33/34 176 Jean-Marc BESSE « Les jardins géographiques, lieux et espaces de la mémoire », issue de, Le jardin, art et lieu de mémoire, sous la direction de MOSSER Monique, NYS Philippe, éd. Les Editions de l’Imprimeur, Besançon, 1995, pp. 243-298

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Nombre de ces projets renvoient à des jardins conservateurs et cherchent à recomposer un monde dans le monde, sur la base de symboles ou de critères physiques. Quelles différences ou ressemblances peut-il y avoir entre ces jardins conservateurs et le projet menée par Michèle et Miquel ?

Essais de jardins géographiques Tout d’abord qu’est-ce qu’un jardin ? Par définition, un jardin est « une portion délimitée de territoire traitée de façon singulière et plantée (le plus généralement) en vue d’obtenir un résultat nourricier et/ou esthétique. »177 La délimitation s’opère le plus souvent par une clôture qui deviendra plus ou moins opaque avec le temps. Complétés par l’adjectif conservateur, les jardins du XVIIème renvoient au mot souvenir définit par le professeur Marc l’Hoost178 : ceux sont des espaces figés, des fenêtres symboliques sur le paysage français au XVIIe siècle. Ces jardins expriment la volonté de l’Etat de montrer son patrimoine (fonction de « monument national »179) et de favoriser un lieu de mémoire (fonction « arts de mémoire »180). Alexandre Deleyre181 (1726-1796) présente son jardin patriotique comme un outil de pédagogie pour la géographie. L’expression de ces jardins pourrait servir à enseigner l’histoire et la géographie aux plus jeunes en usant de figures caricaturales du paysage national. Le jardin prend la forme d’une carte. Il devient un territoire que l’on va éprouver visuellement et physiquement (expérience pédestre, gustative, etc.). Il participe à la formation d’une conscience géographique. Cette conscience géographique est en réalité l’émergence du paysage culturel à travers des « monuments de paysages », c’est-à-dire des symboles forts. Dans le journal de Trévoux paru en octobre 1722, il est écrit : « Sous combien de formes n’a-t-on pas diversifiée l’étude de la géographie pour en faciliter les leçons et pour les proportionner à toutes sortes d’esprits ? Les cartes et les tables, la prose et les vers, les méthodes diffuses et les abrégées, tout a été employé avec succès. »182 Claude Buffier géographe et philosophe de ce siècle, pense qu’il faut « forger les concepts d’un territoire pour le graver dans sa mémoire. »183 Cela suppose un parcours ordonné de lieu en lieu dans l’idée que « ce que l’on voit touche plus que ce que l’on entend»184. La mémoire 177 Jean-Pierre Le Dantec, Mouvance II soixante-dix mots pour le paysage, ss la direction de Marc Bédarida, Paris, éd. La Villette, 2006, p.58 178 Marc L’HOOST, La Voix du Nord, Op. cit. 179 Jean-Marc Besse, « Les jardins géographiques, lieux et espaces de la mémoire », Op. cit. p.249 180 Ibid. p.249 181 Alexandre DELEYRE, homme de lettres sous le siècle des Lumières. Il participe à l’écriture de l’Encyclopédie. Après la révolution, il est envoyé en tant que député de la Gironde à la Convention et travaillera sur la question de l’éducation nationale. 182 Ibid. p.260 183 Ibid. p.289 184 Ibid. p.289

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Pascal AUBRY Mouvance II soixante-dix mots pour le paysage, ss la direction de Marc Bédarida, Paris, éd. La Villette, 2006, p.68


doit être perçue comme une machine objective composée de deux registres : « la pensée des territoires et la pensée par le territoire ». C’est la mise en place d’un schéma cognitif à travers les jardins géographiques dont l’intention finale est « la réalisation d’un mode habitable par et pour la pensée »185. Cependant, il est impossible de recréer à l’échelle ce paysage national. Pour que cela fonctionne, celui-ci est réduit et en quelque sorte muséifié. L’individu doit faire abstraction du lieu dans lequel est présentée la carte au risque d’une disjonction entre l’expérience réelle et l’expérience symbolique. Si ces jardins géographiques n’ont jamais vu le jour au cours du XVIIe et du XVIIIe, il est possible d’en observer des reliquats. Le jardin France miniature situé à Elancourt (78) se rapproche du concept de jardin géographique proposé par Buffier. Petit showroom des paysages, le jardin exprime symboliquement les richesses de chacune des régions françaises. Le projet de Michèle et Miquel propose également quelques similitudes, non pas dans la représentation de l’ensemble d’un territoire mais dans la préservation d’une entité culturelle à travers un paysage culturel. Le projet au Cap Roig se décompose en deux parties mais tous deux reposent sur des données constantes : les motifs paysagers à savoir la présence des oliviers sur le site, la topographie, l’eau. « Le motif de paysage est un élément constitutif de l’espace concret qui nous « motive » à inventer des paysages. Le motif de paysage est « embrayeur », il déclenche une mise en relation entre ce que nous percevons et ce que nous savons, et ce dans l’espace et le temps. » De ces constantes, les paysagistes proposent deux modes d’intervention : la place186 et ses similitudes avec le concept de jardin géographique et le projet du parc.

Révéler l’invisible Les murs en Corten® mis en place sur le parc, à la différence de la place, ne permettentils pas la compréhension de ce paysage culturel en participant au processus que l’on pourrait assimiler à celui d’artialisation développé par Alain Roger. « La perception historique et culturelle, de tous nos paysages – campagne, montagne, mer, désert, etc. – ne requiert aucune intervention mystique (comme s’il descendait du ciel) ou mystérieuse (comme s’il montait du sol), elle s’opère selon ce que je nomme, en reprenant un mot de Montaigne, une artialisation. »187 L’artialisation est « la condition de possibilité de toute pratique et de toute perception paysagère »188. Elle se traduit par l’intervention d’artistes, de poètes, de romanciers, de peintres, etc. sur un objet, un paysage, ou autres qui permet sa compréhension à travers des mots, une 185 186 187 188 pp.45-46

Ibid. p.291-292 Cf. [Annexe 3 : Détails de l’aménagement de la place au Cap Roig] Alain ROGER, Court traité du paysage, Paris, éd. NRF-Gallimard, 1997 Alain ROGER, La Mouvance. Du jardin au territoire. Cinquante mots sur le paysage, éd. De La Villette, 1999,

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Christo et Jeanne-Claude - Emballage du Reichtag, 1985-1995 Source: http://christojeanneclaude.net/

Protoytpe de l’emballage Christo, 1985

Installation de la toile 1995 Photographie de Wolfang Volz

Projet réalisé - Reichtag - 1995 Photographie de Wolfang Volz

Tatzu Nishi, Engel, Suisse Source: http://tatzunishi.net/

Girouette invisible

Perception de l’installation à grande distance

L’ange : une nouvelle mise en visibilité

Le couple Christo et le japonais Tatzu Nishi usent de différents stratagèmes pour rendre visible le quotidien devenu invisible. Tous deux usent de dispositifs qu’ils adaptent en fonction des situations mais selon une idée relativement similaire à chaque fois. Michèle et Miquel ont peut être trouver le leur à travers le disposif de soutènement?


action, une représentation, ou une composition. Il faut disposer de ces clefs de lectures acquises au cours de son éducation, de ses expériences, de ses connaissances. Pour comprendre un paysage, il faut le donner à voir. C’est ce qui fait la multiplicité des paysages, de leurs interprétations et peut renvoyer au choix d’un matériau unique par Michèle et Miquel. La mise en visibilité renvoie à certains travaux d’artistes contemporains comme les emballages du couple Christo et Jeanne-Claude, ou encore les cabanes du japonais Tatzu Nishi. Ces artistes en usant de stratagèmes qui leurs sont propres, posent la question du visible-invisible, et d’un nouveau récit sur un espace, une statue, un paysage, etc. Christo et Jeanne-Claude sont connus pour « emballer l’histoire et la géographie ». Leur travail bien souvent polémique vise à révéler en cachant. Leurs réalisations les plus célèbres sont : l’Iron curtain (Mur de barrils de pétrole), le Reichstag, le Pont Neuf à Paris, Wrapped Trees. Même si la création est éphémère elle se veut à l’image d’un discours fort et engagé. L’Iron curtain en 1962 est une critique qui vise la construction du mur de Berlin. Quelques décennies plus tard, l’emballage du Reichtag permet de voir ce monument historique sous un autre jour. Cette œuvre rend compte des évènements hautement symboliques pour la République allemande et le monde. La mise en lumière du bâtiment traduit l’acte de réunification suite à la chute du mur et marque le déménagement du gouvernement dans l’ancien bâtiment de l’Assemblée parlementaire de la République de Weimar (1894-1933). Cette action modifie le regard du public sur ce lieu autrefois symbole de la domination nazie. A sa manière, l’artiste japonais Tatzu Nishi détourne de leurs fonctions objets ou monuments présents dans l’espace public. Ainsi, il les révèle sous un nouvel aspect. Le plus souvent, ces objets du quotidien, notamment les sculptures classiques, deviennent invisibles aux yeux des citoyens. En modifiant le rapport espace public/ espace privé l’artiste propose une toute autre relation entre l’objet et le visiteur. L’artiste imagine pour les sculptures ou les statues des cabanons, aménagés comme des pièces à vivre, dans lesquels l’objet prend une importance nouvelle. Sur les toits de la Cathédrale de Bâle en Suisse siège un ange qui indique la force des vents. Quasiment invisible depuis le sol, Tatzu Nishi met en place une cabane dans les airs accessible par un échafaudage. L’ange est mis en scène dans un tout autre contexte. Il occupe une place centrale dans la composition de ce salon éphémère. La mise en visibilité de la sculpture à l’intérieur de cet espace et celle qu’elle engendre au loin participe à une nouvelle perception.

La question d’une nouvelle mise en visibilité s’apparente à l’un des piliers fondateurs

dans la réflexion attachée à ces deux concepts ; les jardins géographiques du 17ème siècle et le processus d’artialisation. Le projet de Michèle et Miquel propose des similitudes, non pas dans le choix du dispositif mais dans la préservation du paysage participant à la construction d’un nouveau récit. Si le couple Christo expérimente le draper, les paysagistes quant à eux « s’amusent » avec la matière pour déterminer les objets et le dispositif paysager qu’ils souhaitent Page 69



mettre en œuvre. « Au sens d’une culture du paysage, la notion de paysage consiste en moins dans la disposition objectif des lieux en général qu’en une façon de regarder certains lieux et de se disposer face à eux en leur attribuant telle ou telle signification ou valeur […] Le paysage définit moins la généralité des objets du monde qu’un disposition subjective face à certains d’entre ces objets, et le dispositif de réception façonné autour d’eux. »189

189

Odile MARCEL, « Le paysage comme objet philosophique », Géographie et culture n°13– Spécial paysage,

sous la direction de Paul CLAVAL, éd. L’Harmattan, printemps 1995, pp.7-8

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Conclusion………………………………………………………………… « Le paysage n’existe pas il nous faut l’inventer » Henri Cueco

L’aménagement du Cap Roig propose de révéler le visible invisible. Cependant, ce n’est pas le seul projet du duo franco-catalan à proposer cette démarche mais il est le premier publié et publiquement revendiqué comme tel. A travers un acte fort, il révèle la géographie vraisemblablement oubliée, peu valorisée par le projet urbain proposée en amont. Ces actes de revendications et de protestations prônées par les paysagistes lors de leur conférence, entendu au cours d’un entretien et lu dans certaines revues d’architectures et de paysage ainsi que l’utilisation d’un dispositif qui se répète, appuie la ressemblance avec certains projets de Land’Art. L’intervention des paysagistes Michèle et Miquel révèlent toute l’épaisseur et la complexité matérielle du paysage. Le premier niveau renvoie à la temporalité. Le paysage n’est pas une matérialité figée. Il change. Il évolue. Le paysage est une co-construction entre l’Homme et la Nature qui fait qu’il ne cesse d’être réinventé. En cela, la question émise il y a quelques années d’une « mort du paysage ? »190 est difficilement envisageable. Le paysage dispose d’une temporalité singulière qui dépasse bien souvent l’espérance de vie de l’homme. Parfois, pour se transformer tant physiquement qu’à travers la mémoire et l’imaginaire de l’homme, il peut se passer des décennies voire même des siècles. Cette caractéristique propre au paysage peut faire penser à une phase quelque peu léthargique alors 190 François Dagonet, sous la direction de, Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage, éd. Champs Vallon, 2012

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que le récit se renouvelle lentement. Le projet de paysage devient un outil dans le changement et la compréhension du récit. Le paysagiste français Michèle Corajoud parle en terme de « temporalités concurrentes »191 c’est-à-dire que le projet répond « à une demande sociale nécessairement impatiente, avec des matériaux – la terre, les arbres – qui prennent leur temps pour se mettre en forme. Art de la lenteur, le travail du paysage joue avec l’aléatoire, déclinaison incertaine du temps, et prend en compte l’éphémère, les variations de saisons et de climat. »192. Le projet fabrique du paysage visible. La définition de Pierre-Marie Tricaud, vice-président de la FFP193, appuie cette même idée : « Par définition un projet consiste à imaginer dans l’avenir. Il s’agit de créer. A l’inverse, dans le terme de protection, on peut entendre une notion de passé, de statu quo : on préserve ce qui existe déjà. Néanmoins ces deux termes sont loin d’être antinomiques : pour protéger l’environnement des atteintes de l’homme, du climat, il faut savoir le transformer. Et le vouloir. » 194

L’action marquée et parfois qualifiée de violente sur le paysage du Cap Roig témoigne d’une intervention franche de la part des paysagistes. La réinvention de ce paysage, bien qu’un peu brutale dans les premières années, a lieu dans le plus grand respect du site. Un projet qui met l’accent sur une corrélation possible entre un acte distinct et un effacement progressif. Le paysage c’est le temps. Cette évolution du projet confirme l’idée des « temporalités concurrentes », le temps de la photographie (publié en 2005) est révolu depuis quelque années, ou du moins s’estompe au moment où s’effectue la visite in-situ. Le côté organique et changeant de la matière Corten® et la prise de pouvoir d’une végétation spontanée ne paraissait pas si évidente durant la conférence à l’ENSAPL en 2012. Dans le cas présent, matière et récit ont évolué. La discrétion de l’intervention propose un nouveau paysage.

« Le paysage n’existe pas il nous faut l’inventer » Henri Cueco

Le second niveau de matière pose la question de l’interprète. La géographie culturelle de Michèle et Miquel se base sur le va-et-vient incessant entre les empreintes et la 191 CORAJOUD Michel« Inépuisable potentiel», témoignage recueilli par Marie Christine Loriers dans Techniques & Architecture, Paysage 2, » Transnaturellement », n° 488, éd. Jean Michel Place, 2006, p.90 192 Ibid. p.90 193 FFP : Fédération Française du Paysage « est la seule organisation représentative de la profession de paysagiste concepteur. Elle regroupe aujourd›hui plus de 650 membres, soit près d›un professionnel sur trois. Les préoccupations de la Fédération concernent autant les débats sur le Paysage que la valorisation de la profession de paysagiste concepteur » site web http://www.f-f-p.org/ consulté le 17/05/2014 194 Pierre-Marie TRICAUD, Allocution aux 2ème assise européenne du paysage cité par Marie Christine LORIERS, « Transnaturellement » dans Technique et Architecture n°487, décembre 2006

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pensée de ces empreintes existantes dans le paysage. À la fois conservateur et innovant (dans le sens de l’invention de systèmes) l’intervention du duo rend lisible leur propre récit sur ce paysage. Leur action n’est pas figée, il s’agit plus d’un processus de réflexion et d’action qui prend en compte la matière, ses contours, ses inflexions, ses limites. Le choix de la matière Corten® et l’ensemble du dispositif induisent un nouveau rapport entre l’homme et la nature. Autrefois nourricière, la nature devient ici un atout à préserver pour la vie urbaine et le tourisme. « Une nouvelle culture du paysage passe par notre collaboration avec la nature. Des actions simples sont génératrices de paysage, à condition qu’elles intègrent des processus naturels. L’implantation d’infrastructures, ou bien des actions ponctuelles dans un milieu dynamique peut être suffisante pour initier des processus, modifier, ou créer des situations nouvelles, des nouveaux projets, en s’appuyant sur la participation active de la nature. […] La réinvention continue des paysages est possible et nécessaire. La source ou l’origine de notre réinterprétation dépend de notre sensibilité à découvrir le fonctionnement du paysage, qu’il soit anthropique ou naturel. L’invention passe par notre capacité à imaginer, à éliminer les préjugés et à implanter de nouvelles situations en accord avec les changements que connaissent les sociétés. »195 Cette nouvelle collaboration entre l’homme et la nature se traduit ici au travers du dispositif de soutènement et de chemin banc prévu par Michèle et Miquel. Bien que le système de soutènement semble similaire à celui d’antan, il révèle la matière invisible, la questionne et il se réinvente par les nouveaux usages qu’il suscite.

« Le paysage n’existe pas il nous faut l’inventer » Henri Cueco

Toujours en rapport avec l’interprète, la notion du visible et de l’invisible s’avère une des clés essentielles dans la compréhension du paysage. Elle permet de s’interroger sur les strates qui le constituent. Il est question de penser non pas en terme de ce que l’on voit mais plutôt de ce que l’on ne voit pas. « Le pays, c’est en quelque sorte, le degré zéro du paysage, ce qui précède son artialisation, qu’elle soit directe (in situ) ou indirecte (in visu). Voilà ce que nous enseigne l’histoire, mais nos paysages nous sont devenus si familiers, « si naturels », que nous avons accoutumé de croire que leur beauté allait de soi ; et c’est aux artistes qu’il appartient de nous rappeler cette vérité première mais oubliée ; qu’un pays n’est pas d’emblée un paysage, 195 Téréza GALI-IZARD, Los mismos paisajes, Ideas i interpretationes, Préface de Jacques Simon, Coll. Land and Scape, éd. Gustavo Gili, 2005, cité par Marie Christine LORIERS, « Transnaturellement » dans Technique et Architecture n°487, décembre 2006

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et qu’il y a, de l’un à l’autre, toute l’élaboration de l’art. »196 Avoir cette notion à l’esprit permet l’élaboration d’un regard critique sur un site. Au début de la formation de paysagiste ou d’architecte, on nous montre. On apprend à voir. Ces acquis théoriques permettent un retour à la pratique du projet ou à l’appréciation d’un paysage. Aucun diagnostic de site n’est objectif et l’ensemble des informations qu’elles soient physiquement visibles ou non, doivent être traitées comme des récits et non comme des données figées ou des invariants. Si le paysage n’est que récit, fiction, il dispose d’une matérialité changeante. Cette composante permet de questionner les politiques de paysage vis-à-vis du classement ou non d’un site. Pour préserver un paysage est-il nécessaire de le labelliser ? Pour paraphraser le paysagiste Allain Provost : « La quatrième nature, c’est le paysage recomposé. Le débat entre paysagiste tenant du néo-classicisme et du néoarcadisme continuera longtemps, mais sera toujours limité dans ses échelles ; des théoriciens écologistes pourront continuer à disserter des herbes folles ; des manifestations ponctuelles de Land’Art se multiplieront peut-être ; l’urgence n’est pas dans un improbable renouvellement de l’art des jardins mais dans la recomposition des paysages agraires. (…) Cette quatrième nature ne sera pas du seul domaine du paysagiste mais aussi de celui des scientifiques qui auront enfin pris en compte et intégré à leurs propositions la poésie, la sensibilité et l’émotion. »197 Le projet du Cap Roig propose une nouvelle dynamique et permet au paysage de se recycler. En cela le projet de Michèle et Miquel tient son importance majeure. Il questionne la reconversion de ces espaces agricoles délaissés : à la fois quotidiens, dégradés et remarquables, quel avenir ? Bien au-delà d’une intervention esthétique qui ferait l’apogée de l’ancien, elle assure la pérennité de ce paysage sans le placer sous cloche. Il s’agit peut-être d’une nouvelle piste de réflexions pour la Commission européenne des paysages afin d’assurer la préservation, la valorisation et l’évolution. Michel Corajoud qualifie d’« univoques »198 les paysages contemporains qui s’organisent autour de l’image et du message. Néanmoins, le projet de Michèle et Miquel intègre un processus en évolution, expliquant le décalage entre les photographies et la visite in situ. Le premier récit paradoxal conté lors de la conférence s’amoindrit pour en raconter un autre. Le paysage ne peut être une photographie figée qui absout le potentiel vivant de la matière qui le constitue. Le dispositif est une invitation discrète qui a trouvé son chapitre dans le récit de ce paysage. Il s’émancipe d’une appréciation symbolique pour faire partie intégrante du paysage. En situation in situ, il ancre l’usager dans le paysage. En prenant le temps de s’assoir, il est dans le paysage, sans toujours en avoir conscience. Il observe mais aussi apprécie l’ombre du pin, fraîche 196

Alain ROGER, Court traité du paysage, Op. cit. p.18

197 Allain PROVOST, « Post-Acardisme», témoignage recueilli par Marie Christine Loriers dans Techniques & Architecture, Paysage 2, « Transnaturellement », n° 488, éd. Jean Michel Place, 2006, p.90 198 Michel Corajoud, Théorie du Paysage en France (1974-1994), Op. cit. p.142

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et généreuse. Assis sa posture épouse les courbes de niveau et les terrasses agricoles d’antan. Or, le paysage n’est pas un dehors, c’est un dedans. La matérialité du paysage est in visu et in situ. C’est le vent qui caresse la joue, le soleil qui réchauffe le dos, l’odeur du romarin et de la sève de pin, le bruissement symphonique des feuilles, la pente, la roche, le climat, etc. Ces éléments tant physiques que cognitifs une fois assemblés constituent la matérialité du paysage. L’invisible est cette zone de contact que Maurice Merleau-Ponty définit au travers de la chair. Cette paroi souscrit les échanges à la fois cognitifs, sensibles, et la pensée. Elle fabrique le ici. Une nuance précisée par Augustin Berque, « l’étude paysagère est donc autre chose qu’une morphologie de l’environnement. […] autre chose qu’une psychologie du regard. Autrement dit, le paysage ne réside ni seulement dans l’objet ni seulement dans le sujet, mais dans l’interaction complexe de ces deux termes. »199.

Penser en tant que storytelling, le paysage comporte deux niveaux de matérialités: matériel et immatériel. Il renvoie à de la matière à la fois visible et invisible. D’une part le paysage s’exprime concrètement par la matière physique, palpable : la roche, l’acier, le vivant, etc. D’autre part il s’agit d’une pensée construite, d’une réflexion personnelle active sous influences. Sa matérialité se définit en un instant t, dans un contexte précis, à travers l’œil, l’esprit, et le corps d’un individu. Et si la matérialité du paysage se trouvait dans une perpétuelle invention ? La matérialité du paysage est moins une réalité physique que le récit que l’on fait de cette réalité. « Le paysage n’existe pas comme tel à toutes les époques, ni dans tous les groupes sociaux. »200 Le paysage sonore, olfactif, l’expérience de la marche, le Land’Art sont autant de tentatives contemporaines pour expérimenter le paysage, parvenir à une définition. Le paysage et le projet de paysage conduit à penser que le paysage a été, est, et doit toujours être inventé. Si cette réflexion contemporaine autour de l’idée d’invention est de plus en plus présente dans le secteur de la recherche, il faut s’attacher à définir cette invention. Au Cap Roig, le projet urbain et le projet de paysage témoignent de différentes inventions. Dans des sociétés de plus en plus alarmées par le manque et la disparition d’espaces naturels au sens primaire de Natura Naturans cette invention doit-elle être un compromis, une règle du jeu à trouver entre l’Homme et la Nature ? Une approche du paysage et du projet proche du courant holistique, ou plutôt une dualité dans le sens entendu par Descartes où l’Homme est supérieur à la Nature ?

« Le paysage n’existe pas il nous faut l’inventer »201 Henri Cueco

199 p.5 200

Augustin BERQUE, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Introduction, éd. Champ Vallon, 1994, Augustin BERQUE, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Op. cit. p.6

201 Cueco cité par Alain ROGER dans Approche du Concept de paysage , 1982, réédité dans Théorie du paysage en France (1974-1994), Op. cit. Page 75



BIBLIOGRAPHIE Le projet de Michèle et Miquel ORLIAC Michèle et BATTLES Miquel, La marque de la géographie, issue du Cycle de conférence « Matérialité », ENSAPL, 12/04/2012 Conférence faisant état de l’approche du projet par Michèle et Miquel, « nous ne dessinons rien, tout est là, c’est l’existant.» BATTLES Miquel, l’entretien mené le 02/12/2013 Des précisions sur les modalités d’interventions et la technique de mise en œuvre des murs de soutènement. Cet entretien complète la description du paysage initial avant toute intervention. Il confirme l’idée de vouloir marquer le paysage tout en s’appuyant sur la structure existante. Rapprochement entre la pensée du projet et le concept de géographie culturelle d’Augustin Berque. ORLIAC Michèle et BATTLES Miquel, « Traitement des espaces verts à Cap Roig », dans Quaderns d’Architectura I urbanisme, n°247, sept. 2005, pp. 40-45 Article écrit par les paysagistes, le paradoxe relevé lors de la conférence distinction/disparition est également soulevé par les paysagistes mais ils donnent un nom à leur action « esthétique de la disparition et de la transformation ». Toujours est-il que les photographies jointes contredisent cette même idée. POUSSE Jean-François, « Scarifications. L’aménagement du Cap Roig, L’Ampolla (Espagne) », Techniques & Architecture. Paysage 1, n°487, éd. Jean Michel Place, 2006, pp. 32-36 « Scarification » le titre ne parle pas de l’intervention des paysagistes mais de celle des urbanistes. Il s’agit d’un éloge sur les capacités des paysagistes a utilisé le paysage existant pour faire du projet. Toutefois, les photographies transmettent un autre message. Si le projet prend en compte l’existant, la nouvelle intervention absout la couche précédente. La réflexion est différente mais le résultat l’est-il ?

Autres sources : http://www.landezine.com/index.php/2010/12/cap-roig-by-michele-miquel-landscapearchitecture/ Photographies et localisation du projet de Michèle et Miquel au Cap Roig. Consulté le 02/10/2013

http://www.acerosurssa.es/

Site internet de l’industriel ayant fourni les modules en acier autopatinable. Consulté le 12/04/12

FISCHER Manfred, « Acier patinable – propriétés et application » paru dans Steeldoc 03/06, septembre 2005, Zurich, éd. SZS p.4 Compréhension des propriétés de l’acier autopatinable. Son utilisation est le plus souvent dû à ses qualités esthétiques

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Le Cap Roig, un paysage quotidien ? ANGLES Stéphane, entretien mené le 11/03/2014, à l’Université Paris-Diderot

Connaissances sur les pratiques et les évolutions du paysage oléicole espagnol. Découverte de l’attachement

des populations catalanes à leurs oliveraies à cause d’une production de qualité plus que de quantité.

BENNASSAR Bartolomée et Lucile, Le voyage en Espagne : anthologie des voyageurs français et francophones du XVIe siècle, Paris, éd. R. Laffont

Récits de voyageurs, étudiants, gitans, soldats, danseuses, toréadors, commerçants, qui retracent une

histoire, un parcours, un souvenir, une vie ou décrivent une rencontre, un ressentit, leurs expériences du paysage espagnol et de ses habitants.

BRETON Catherine et BERVILLER André, Histoire de l’olivier, éd. QUAE, 2012 Traite entre autre des relations sociales entre l’homme et l’olivier. Utilisé dans l’alimentation, pour ces bienfaits médicaux, dans la religion, cet arbre est doté d’une symbolique fort dans l’ensemble des pays méditerranéens dont l’Espagne qui en a fait son icone et l’une de ses ressources principales.

Autres sources : http://oliviers-centenaires.over-blog.com/ Origine, symbole et culture de l’olivier. Consulté le 20/10/13

http://www.spain.info/fr_FR/ 20/10/13

L’Espagne, terre d’oliveraies, le plus grand producteur d’huile d’olive : un atout touristique. Consulté le

http://ampolla.org/ Site internet de la ville de l’Ampolla. Il renseigne sur les activités touristiques dont les sentiers de randonnées. Deux itinéraires distincts sont proposés : un dans les terres faisant l’éloge des cultures oléicoles (Jardins des arbres), l’autre longeant la côte ne fait part que du paysage escarpé en encorbellement sur la mer. Pourtant au Cap Roig ces deux paysages se confrontent ce qui en fait sa singularité, pourtant il est absent des descriptions, comme invisible. Consulté 10/12/13 http://www.terresdelebre.travel/ Site proposant les activités et les points d’intérêts sur les terres de l’Ebre. Il donne une brève description de la plage de Cala Maria, « Le vert de la pinède se mélange au bleu de la mer et au reflet de la roche des falaises dont la plage porte le nom. Au fond, on devine la ligne de l’horizon, interrompue de temps en temps par l’étoile lumineuse d’un petit vaisseau naviguant au large. » Encore une fois, le paysage escarpé, modulé et cultivé par l’homme n’est pas mentionné. Consulté 10/12/13

Le visible et l’invisible FRANCESCO Pétrarque, L’ascension du Mont Ventoux, trad. D. Montebello, éd. Séquences, 1990

Une des premières expériences du paysage à travers l’ascension du Mont Ventoux. Pétrarque ne s’attache pas aux éléments in visu, il se rattache à ce qu’il croit connaître, ce qu’il peut décrire.

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MARCEL Odile, Paysage visible, paysage invisible. La construction poétique d’un lieu, Les cahiers de la Compagnie du paysage, n°5, Seyssel, éd. Editions Champ Vallon, 2008 Réflexions d’auteurs interdisciplinaires sur les questions du paysage visible, paysage invisible. Les différents essais contenus dans ce livre cherchent à définir comment s’établit la construction d’un lieu, d’un paysage à travers le regard mais aussi à partir d’autres sens. Comment se construit le paysage de demain ? Le paysage est le fruit d’une construction par strates visibles, ce que l’homme a laissé derrière lui, mais également de l’invisible contenu dans les réflexions, les mœurs des sociétés présentes ou passées. Enfin, l’interprétation que l’on a, les projets que l’on porte, varie autant que les personnalités qui appréhendent l’espace observé et vécu. MERLEAU-PONTY Maurice, L’œil et l’esprit, Paris, éd. Gallimard, 1991 Dans cet ouvrage, M. Merleau-Ponty se base sur la peinture pour chercher à comprendre le rapport entre la vision, le corps, et démarre ses interrogations sur la question du visible/invisible. Pour lui, il « n’y a pas de vision sans pensée, mais il ne suffit pas de penser pour voir ». Cette pensée naît à travers le corps, elle est « excitée » par les évènements qui se produisent. On suppose alors l’âme capable de transférer son attention à tous les points de l’espace qui sont alors le prolongement de ses membres. « L’âme pense selon le corps. », « Si l’âme perçoit une accommodation, une convergence de l’œil, elle l’inscrit dans notre mémoire. » MERLEAU-PONTY Maurice, Le visible et l’invisible. Suivi de notes de travail, Paris, éd. Gallimard, 2010 Cette œuvre est essentiellement une interrogation car l’objet d’étude n’aura pu être mené jusqu’au bout par M. Merleau-Ponty. S’il existe du visible c’est qu’il existe de l’invisible, ce qui fait que deux peintures d’un même paysage ne se ressemblent pas par exemple. « Il faut décrire le visible comme quelque chose qui se réalise dans l’homme mais qui n’est nullement l’anthropologie de la nature comme l’autre côté de l’Homme (comme chair-nullement comme « matière »), le logos se réalisant dans l’homme mais nullement comme sa propriété. » MOREAU Yoann, Mésologie et poétique des images, issue du séminaire « Mésologiques » de l’EHESS, Paris, 12/11/13 Cette conférence servant d’introduction aux questions sur la mésologie permet de s’interroger sur les questions du visible et de l’invisible. A partir de dessins, de tâches, l’auteur amène le public à se questionner sur ce qu’il voit et même ce qu’il ne voit pas. On s’intéresse à la relation entre les deux mais surtout au récit, à l’interprétation que l’on peut en faire. Ces questions interrogent également le paysage culturel. ARASSE Daniel, On n’y voit rien. Descriptions, éd. Denoël, 2000 Véritable traversée de l’histoire de la peinture depuis l’invention de la perspective jusqu’à la disparition de la figure. D. Arras s’intéresse aux détails oubliés de la peinture comme l’escargot, une expression de visage qui ont échappé volontairement ou non au regard d’historien de l’art. Il permet de questionner la question du visible/invisible, qu’est-ce qu’on voit ou finalement qu’est-ce qu’on voit sans finalement le voir.

Autres sources : SGARD Anne, EDELBLUTTE Simon, « Le paysage est-il un lieu de mémoire ? », émission Planète Terre, présenté par Sylvain Khan, France Culture, 17/12/2012

L’idée principale à retenir est que le paysage est un lieu de mémoire, une mémoire qui évolue avec le temps. Les paysages miniers non jamais étaient aussi visible que le jour où les mines ont fermé.

http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-le-paysage-est-il-un-lieu-dememoire-2012-10-17 (consulté le 29/11/13)

Les hommes sont amnésiques, et la valeur des paysages apparaît au moment où ils se trouvent menacés voire ont disparu. Page 78



Composition et dispositif AMBROISE Régis, FRAPA Pierre, GIORGIS Sébastien, Paysages de terrasses, La Calade – Aix-enProvence, éd. EDISUD, 1993 Description et analyse des paysages de terrasses, de leur invention à leurs usages contemporains. Cet ouvrage permet l’obtention de clefs d’approche à la fois dans sa composition puis, dans l’identification et la détermination des fonctions des matières élémentaires. GUILHEUX Alain, Architecture dispositif, Marseille, éd. Parenthèses, 2012 Différents articles, revues, essaies sur la question du dispositif en architecture. Les articles retenus ici portent surtout les questions de « dispositif-action », « La construction ne représente plus une origine pour l’architecture. Son récit s’est terminé avec l’architecture moderne. Elle existe sous une autre forme : la fabrication. Ces projets « dispositifs » nous transforment, nous organisent, nous éprouvent. A travers eux on cherche à faire bifurquer le récit, à créer une nouvelle situation. » La forme est induite du message que l’on cherche à transmettre.

SITTE Camillo, Städtebau nach seinen künstlerischen Grundsätzen, L’art de bâtir les villes. L’urbanisme selon ses fondements artistiques, trad. Daniel WIECZOREK, éd. Edition du Seuil, 1996, (1ère éd. Editions l’Equerre, 1980) A travers ses descriptions analytiques des espaces publics antérieurs à son siècle, Antiquité, Moyen-Age, Camillo Sitte soulève les changements dans le mode de penser et de construire la ville. Il questionne autant la dimension esthétique que la manière de penser technique. Cet ouvrage permet de poser des bases de composition, de comprendre les relations entre les bâtiments et l’espace public, le rapport hauteur/largeur, etc. Enfin, il questionne un fait nouveau à l’époque : le dénie de l’existant. Si au Moyen-Age on prenait en compte la pente ou même, le sens du vent par peur d’attraper un rhume mortel, pourquoi subitement les nouveaux aménagements en feraient-ils abstraction ? UNWIN Raymond, Étude pratiques des plans de villes. Introduction à l›art de dessiner les plans d›aménagement et d›extension, « De la beauté dans la régularité et la fantaisie », nouvelle trad. Anglaise par Henri SELLIER, éd. Parenthèses, 2012 Dans ce chapitre, R. Unwin examine deux écoles de pensées. Une s’appuyant sur des tracés rectilignes et réguliers, l’autre pensant que l’irrégularité est désirable. On arrive à l’hypothèse que ces deux écoles ont leurs convictions mais exagérées, elles perdront en force et en lisibilité, voire même en effet produit. Enfin, nous retiendrons que l’imitation d’un tracé ancien ou son ignorance n’aura de sens dans un projet que s’il est apprécié à l’intérieur d’un espace cohérent.

Autres sources : Centre Régional de la Propriété forestière PACA, Restanques. Guide des bonnes pratiques pour la préservation des paysages de restanques, éd. Sud Graphic, 2012 Informations pratiques sur l’histoire, les matériaux, leurs fonctions et leur mise en œuvre attachées au paysage en restanque

Théorie du paysage BESSE Jean-Marc, Le bout du monde : exercices de paysage, Mayenne, éd. ACTES SUD/ENSP, 2009 Une lecture dense mais qui permet de comprendre une notion essentielle : le paysage est un exercice. Un exercice dans le sens où pour trouver la ou les bonnes réponses, il faut expérimenter. Les domaines a expérimenté sont ici diverses et c’est leurs complétudes ou leurs différences qui permettent de toucher du doigt une définition plus contemporaine du paysage.

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BESSE Jean-Marc, « Faire/Voir le paysage » issue du cycle de conférences Paysage et photographie, MESHS Lille, 22/11/2011 Exposé des différentes directives ou pistes de réflexion en matière de paysage en France sur ces dernières années. Il rend compte que le champ du visible n’est pas le seul en vigueur, les données invisibles, cognitives sont de plus en plus considérées en termes d’outils dans la définition du paysage. BERQUE Augustin, Le Sauvage et l’artifice. Les japonais devant la nature, Paris, éd. Gallimard, 1986 Cet ouvrage permet de comprendre la variété des comportements face à la Nature que ce soit la manière de pensée et/ou la manière de vivre avec. On comprend qu’on ne peut abstraire le milieu de l’histoire, que le milieu est une interaction constante entre l’homme et son environnement. Cette relation est paradoxale car elle induit de l’objectif et du subjectif. Elle se compose de critères physiques réels mais aussi du regard porté sur le milieu, sur le paysage. BERQUE Augustin, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire, issue du Cycle de conférence « Pour-quoi » de l’université de Nanterre, Palaiseau, 6/11/2013 A travers cette conférence A. Berque fait part de sa compréhension du milieu, du paysage, c’est-à-dire de la relation entre l’homme et son environnement : la mésologie. Il aborde ici les notions de trajectivité, soit le besoin d’un va-et-vient constant entre l’homme et son milieu, un besoin qui est alors ni objectif ni subjectif mais trajectif, le fruit d’un mouvement. Pour finir, on aboutit à une définition de la mésologie assimilable à la géographie culturelle soumis au regard et à l’interprétation dans un temps précis de la part d’une société. BERQUE Augustin, « Paysage-empreinte / Paysage matrice : éléments de problématique pour une géographie culturelle », extrait de Paysage géographique, Tome 13 n°1, 1984, pp. 33/34 Il s’agit d’une ébauche de définition de paysage. La géographie culturelle serait le sens que donne une société à sa relation à l’espace et à la Nature : c’est le paysage. Enfin, le paysage et double à la fois empreinte et matrice. BERQUE Augustin, CONAN Michel, DONADIEU Pierre, LASSUS Bernard, ROGER Alain, La Mouvance. Du jardin au territoire. Cinquante mots sur le paysage, éd. De La Villette, 1999 Dictionnaire des termes et des tendances employés dans le jargon paysager. Il permet de comprendre de manière efficace des terminologies ou des concepts contemporains. BERQUE Augustin, CONAN Michel, DONADIEU Pierre, LASSUS Bernard, ROGER Alain, Mouvance II du jardin au territoire. Soixante-dix mots pour le paysage, éd. La Villette, 2006 Définitions des termes et des concepts en vogue, artialisation, matrice, empreinte, qui nous permettent de comprendre les mouvements de pensées le paysage actuellement.

DONADIEU Pierre, La société paysagiste, éd. ACTES SUD/ENSP/, 2002 « Le paysage est devenu une question culturelle et une question sociale, la question d’une société qui se préoccupe de son bien-être, et du cadre de vie qui lui permettra réaliser ce bienêtre. » « En ne conservant que des sites patrimoniales et touristiques n’allons-nous pas engendrer des clivages spatiaux-sociaux ? » Ces deux phrases extraites du livre reflètent les enjeux majeurs soulevés à l’intérieur. La dernière étant plus adjacente au sujet traité ici.

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GIEDION Sigfried, Espace, temps, architecture, (1ère éd. La connaissance, Bruxelles 1968), version consultée Denoël, 2004, extrait pp. 32-45 On comprend dans cet extrait qu’on ne peut finalement donner que des descriptions relatives à une situation particulière, mais aussi, « on ne peut toucher à l’histoire sans la transformer ». Enfin, ce n’est pas tant l’objet physique en lui-même qui détient un intérêt mais plutôt ses relations, la façon dont il interagit avec le milieu.

LOWENTHAL David, Passage du temps sur le paysage, trad. de l’anglais par Marianne Enckell, éd. Infolio éditions, 2008, Recueil dans l’ère de nos questionnements. Si cet ouvrage aborde les questions de l’esthétique, il n’en pose pas moins les questions liées à la mémoire, à l’héritage d’un paysage. Qu’est-ce qui justifie la conservation d’un paysage, la volonté que l’on a de le transmettre aux générations futures ? On ne conserve pas un paysage juste parce qu’on aime à le contempler, on le conserve si sa transmission en tant qu’expression culturelle porte un intérêt. Dans le cas inverse on reste dans la définition donné au 16ème siècle avec la peinture. Enfin, il questionne les moyens mis en place pour la conservation.

ROGER Alain sous la direction de, La théorie du paysage en France (1974-1994), Seyssel, éd. Champ Vallon, 1995 Ce recueil présente l’ensemble des grands courants de recherches et de pensées en France. Il illustre l’éclectisme, les questionnements, sans pour autant théoriser. Nombre de ces essais traitent du paysage culturel, de la mémoire, et s’interrogent sur les modes de conservations, de valorisation et surtout que cherche-t-on à valoriser ? SCHAMA Simon, Le paysage et la mémoire, Paris, éd. Le seuil, 1999

Une lecture émouvante de l’histoire à travers les paysages. Le cours, d’eau, la forêt, l’arbre, la pierre sont porteurs de récits. Ou plutôt, on comprend que le regard posé sur ce paysage fabrique le récit. Par exemple, l’observation des forêts polonaises par un enfant polonais ayant vécu la guerre ou par un touriste ne donnerait pas la même version de l’histoire car l’interprète y mêle son propre récit de vie.

L’ANTON Jean-Marc, Dessiner le temps, Paris, éd. ICI Interface, 2013 Le paysagiste est l’avocat du site qu’il étude, approche, transforme et transmet. « Avant tout un site et muet et les habitants bien souvent amnésiques ».

Autres sources : Conseil de l’Europe, Convention Européenne du paysage, Préambule, 19 juillet 2000 Elle définit pour les pays signataires les différents « catégories » de paysage et les enjeux adjoints.

Les horizons du patrimoine culturel, Colloque de clôture de l’Atelier de réflexion prospective « Nouveaux défis pour le patrimoine culturel », Palais Chaillot à Paris, 6 et 7 février 2014 A travers les trois thématiques abordées relation/mobilité/valeur(s), les chercheurs expriment leurs questionnements et le résultat de leurs recherches par différents scénarios d’évolution de nos relations au patrimoine en fonction d’hypothèses contextualisés. La question de la valeur dans le cas présent est essentielle, laquelle prédomine ? La valeur d’existence ? La valeur d’usage ? La valeur relationnelle ? Les trois ? Des questions qui laissent penser que la valeur reconnu du patrimoine ne s’exprime pas uniquement à travers la labellisation, celle-ci peut exister autrement.

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LATZ Peter, « Le paysage comme stratification d’informations», témoignage recueilli par Marie Christine Loriers dans Techniques & Architecture, Paysage 2, « Transnaturellement », n° 488, éd. Jean Michel Place, 2006, p.90

Le paysage est composé de strates visibles ou invisibles. L’enjeu du projet est de faire le choix.

CORAJOUD Michel« Inépuisable potentiel», témoignage recueilli par Marie Christine Loriers dans Techniques & Architecture, Paysage 2, » Transnaturellement », n° 488, éd. Jean Michel Place, 2006, p.90 L’idée essentielle est que le projet de paysage se joue du temps. Il combine une diversité de temporalité toutes concurrentes : la demande, l’arbre qui pousse, les mouvements lents du sol, les saisons, etc. Le projet n’est qu’aléatoire. PROVOST Allain, « Post-Acardisme», témoignage recueilli par Marie Christine Loriers dans Techniques & Architecture, Paysage 2, « Transnaturellement », n° 488, éd. Jean Michel Place, 2006, p.90

Hypothèse d’une quatrième nature, d’une autre catégorie de paysage : le paysage « recomposé » dont les paysages post-agraires pourraient faire partie.

Autres sources : http://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Debats/Une-vision-d-avenir-_NP_-2012-10-11863418 « Une vision d’avenir », LUGINBUHL Yves, pour le journal La Croix, 11/10/12. Texte écrit à la suite du Festival Internationale de Géographie 2012, illustre le fait que les paysages sont des récits. Des récits qui expriment la relation entre l’homme et son milieu. Consulté le 29/11/13 http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/heritage/Landscape/default_fr.asp Site du conseil de l’Europe – lieu de consultation de la Convention européenne du paysage. « Reflet de l’identité et de la diversité européenne, le paysage est naturel et culturel vivant, qu’il soit remarquable ou quotidien, urbain ou rural, terrestre ou aquatique. » Consulté le 29/11/13

http://whc.unesco.org/fr/convention/ Unesco organisme de classement au patrimoine mondial des paysages culturels. Consultée pour connaître les modalités de classement, les raisons, les différences avec la Convention européenne, mais aussi les sites sauvegardés en Espagne. Consulté le 02/01/13

Artialisation du paysage CORBIN Alain, L’homme dans le paysage, éd. Textuel, 2001 « Le paysage est manière de lire et d›analyser l›espace, de se le représenter, au besoin en dehors de la saisie sensorielle, de le schématiser afin de l›offrir à l›appréciation esthétique, de le charger de significations et d›émotions. En bref, le paysage est une lecture, indissociable de la personne qui contemple l›espace considéré. Évacuons donc, ici, la notion d›objectivité. » (p.11)

MARTELLA Marco, Le génie du lieu, Paris, éd. Du Sandre, 2012 Revue qui propose différents exemples du genius loci, notion emprunté aux romains qui pensait chaque espace habité par un genius loci, esprit garant de sa singularité. Cet ouvrage interroge le jardin mais finalement est-ceque cela n’interroge pas aussi des espaces plus larges ? Le paysage n’est-il pas habité par un genius loci dans le sens où il serait habité par une histoire, une culture passée et présente.

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MILANI Raffaele, Esthétiques du paysage : Art et contemplation, Arles, éd. Actes Sud, 2005 Le paysage naturel appartient à une catégorie esthétique. Il oscille entre l’art, la contemplation, et des données physiques. Le paysage est un compromis, une expérience esthétique.

RIEGL Aloïs, Der moderne Denkmalkultus, sein Wesen, seine Entstehung, Wien, Braumüller, 1903, traduit en français par Jacques Boulet, Le culte des monuments modernes, son essence, sa genèse, éd. L’Harmattan, 2003 Riegl définit les différentes valeurs de mémoire rattachées aux monuments. Il se questionne sur les raisons de ce culte porté sur les monuments architecturaux principalement. Un culte qui peut en certains points se transposer aux réflexions menées sur la préservation des paysages, pourquoi préserver un paysage ? Enfin, il pose une confrontation ultime entre la valeur d’ancienneté et la valeur actuelle, c’est-à-dire, comment le regard évolue et affecte le récit d’un ouvrage, d’un paysage, ou autre.

ROGER Alain, Court traité du paysage, Paris, éd. NRF-Gallimard, 1997 Traite rigoureusement la question du paysage, « moins en tant que promenade pittoresque et naturalisme qu’en tant que concept, où les deux points d’articulations forts sont pays/paysage et artialisation in situ/artialisation in visu. L’auteur cherche ici à démontrer que le paysage n’est jamais réductible à sa qualité physique. Le paysage tiendrait son origine de l’homme et de l’art. C’est le processus d’artialisation au sens que l’employé Montaigne qui permet une compréhension du paysage. On peut citer l’apparition de la peinture, mais également l’arrivée de la photographie. La culture, l’arrivée de nouvelles technologies permettent de voir le paysage. ROGER Alain, Nus et paysages : essai sur la fonction de l’art, éd. Aubier, 2001 A travers la peinture de nus, A. Roger met en avant la question du visible/invisible à travers le processus d’artialisation. On retiendra surtout deux points essentiels « l’art embellit le regard, et par lui la nature » et « l’art embellit nos mœurs, il donne forme à nos comportements ».

VEYNE Paul, Comment on écrit l’histoire, Paris, éd. Seuil (1ère édition 1971), extrait pp.50-85 On retient ici qu’il n’y a pas une histoire mais des histoires issues d’une sélection, d’une interprétation, d’un point de vue.

Autres sources : http://www.christojeanneclaude.net/ Site des artistes Christo et Jeanne Claude. Mettre en valeur des éléments invisibles en les cachant. Consulté le 03/01/14 http://www.tatzunishi.net/ Site de l’artiste, on peut y consulter l’ensemble de ses travaux. Il révèle des éléments quotidiens à travers un dispositif qu’il utilise de façon redondante mais qu’il adapte en fonction des situations. Consulté le 03/01/14

ROGER Alain, « Tout paysage est un produit de l’art », dans Libération, article d’Eric Loret paru 02/07/1998 Le titre de l’article résume l’idée principale.

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Approche géographique BESSE Jean-Marc, Voir la Terre : six essais sur le paysage et la géographie, Mayenne, éd. ACTES SUD/ENSP/CENTRE DU PAYSAGE, 2000 La question essentielle de cet ouvrage est « Le paysage a-t-il encore quelque chose à dire ? Que nous apprend-il sur le monde et sur nous ? ». A travers les différents essais on comprend que le paysage est le résultat d’une stratification. Un produit de l’accumulation de pratiques culturelles, mais pas seulement, il s’agit aussi d’une lecture, d’une interprétation d’un individu à un moment t, dans une certaine société et avec un certain vécu. Le paysage est alors l’espace du sentir, de la sensation, en opposition avec la géographie qui est celui de la perception. Le paysage s’exprime à travers le corps, ce n’est pas seulement le fruit d’une vue à distance comme dans sa définition première. LAFON Pierre, « La géographie mise à nu » dans Art et infrastructure, éd. Monografik, 04/2007. - 1 vol. Il s’agit d’un travail exploratoire sur la « Rigole d’Hilverne », allant de Nantes à Brest. On s’intéresse ici à l’impact, la transformation d’un espace géographique à travers un ou des projets artistiques. A travers ces propositions, on cherche à questionner la manière d’habiter et de transformer l’espace dans lequel nous vivons.

LEVY Jacques, Le tournant géographique : penser l’espace pour lire le monde, Paris, éd. Belin, 1999. La première partie est une véritable remise en question de la pensée géographie et met en exergue dans la première partie le décalage entre la sphère de décision et les populations. La géographie devrait s’inscrire ou plutôt se réinscrire à travers les sciences sociales. L’approche pourrait se faire après trois phases : analytique (analyse physique, spatiale), thématique (relations aux autres sciences sociales), synthétique (spécificité du lieu). MARIAGE Thierry, L’univers de Le Nostre, Ed. Pierre Mardage, 1990 L’auteur met en avant l’idée que les jardins de Le Nostre étaient des récits. Ils racontent la société dans laquelle se trouve le Royaume de France sous Louis XIV. Il rend compte de la vie politique, économique, social mais aussi des avancées techniques, culturelles, des grandes découvertes. Le Nostre s’appuie sur les données physiques du lieu pour raconter la société. WACKERMANN Gabriel, Géographie urbaine, éd. Ellipse édition Marketing S.A., 2000

Véritable questionnement sur le devenir urbain. Cet ouvrage s’intéresse plus à la géographie dans le sens expansion, urbanisation, hausse démographique qu’à la notion de géographie physique qui porte sur l’étude, l’analyse du sol, de ses mouvements.

Dictionnaires - Définitions BRUNET Roger, FERRAS Robert, THERY Hervé, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. « Dynamique du territoire », Reclus-La Documentation française, 1992 COLLECTIF, Le petit Larousse illustré, Ed. LAROUSSE/VUEF, 2001

CONAN Michel, Dictionnaire Historique de l’art des jardins, Paris Ed. HAZAN, 1997

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DONADIEU Pierre, MAZAS Elisabeth, Des mots de paysage et de jardin, Dijon, Ed. Educagri éditions, 2002

GODRON Michel, JOLY Hubert, Dictionnaire du paysage, Paris, éd. Conseil international de la langue française (CILF), 2008

NICOLIN Pierluigi, REPISHTI Francesco, Dictionnaire des paysagistes d’aujourd’hui, Ed. Skira editore, 2003

THEBAUD Philippe, CAMUS Anne, DICOVERT. Dictionnaire des jardins et paysages, Ris-Orangis, Ed. ARCATURE, 1993

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Annexes Table des annexes

ANNEXE 1 :....................................3

Conférence « La Marque de la Géographie »

ANNEXE 2 :............................17

Entretien avec Miquel Battles 17

ANNEXE 3 :...................................29

Détails de l’aménagement de la place au Cap Roig

ANNEXE 4 :...................................37

Processus de corrosion de l’acier Corten®

ANNEXE 5 :...................................39

Des similitudes avec l’origami

ANNEXE 6 :...................................41

Description touristique

ANNEXE 7 :...................................43

Vocabulaire du paysage de terrasse

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