Architecture : structure sensible

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ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE GRENOBLE

ARCHITECTURE : STRUCTURE SENSIBLE RAPPORT D’ÉTUDES MARIE-LOU PERRET

Sous la direction de Christian Blachot

Année universitaire 2014-2015



SOMMAIRE

Introduction

I / De la construction de l’espace

i. La structure pour la construction de l’espace. ii. L’impact de la structure sur l’espace architectural et les usages. iii. Expérimentation de systèmes constructifs. iv. La notion de détail comme outil de la construction.

II / À la construction d’une architecture sensible.

i. La notion d’ambiance ii. La création d’ambiance par la structure et le détail iii. La matière génératrice d’ambiance iv. La représentation sensible du projet

Conclusion

Bibliographie



INTRODUCTION

C’est au cours de voyages en famille que la discipline de l’architecture m’est apparue. C’est en effet en visitant de manière toute à fait banale et touristique les églises, les musées, les gares que ma volonté de comprendre les différents modes de construction de ces édifices est apparue. A mon arrivée en 1ère année de licence d’architecture, suite à un baccalauréat scientifique, j’avais une vision de l’architecture très technique et fonctionnelle. Je n’avais de notions d’architecture qu’à travers ces musées et gares que j’avais pu visiter étant jeune, mais aussi à travers le suivi de la construction de notre maison réalisée quelques années auparavant. À la sortie du bac, j’étais surtout attirée par le processus imagination - conception - réalisation qui caractérise le métier d’architecte. Lors du chantier de notre maison, j’ai eu la possibilité de voir et de comprendre comment les différents éléments dessinés sur papier s’assemblaient pour construire notre lieu de vie. C’est cette concrétisation de l’idée par le biais de la construction, à l’échelle de l’homme que nous pouvons expérimenter et arpenter, qui m’attire. L’architecture est pour moi le moyen de concevoir une idée de manière tangible, une intention qui n’était à la base qu’une image mentale. Je ne suis satisfaite de mon travail qu’une fois ma pensée matérialisée.

Je n’avais qu’une très faible culture architecturale à mon entrée en première année. Je pensais que les questions techniques de statique et de construction faisaient parties des enseignements prédominants de la formation. Par exemple les cours de mécanique des structures dispensés lors des deux premières années sont une première approche de ce que j’aimerai pouvoir approfondir par la suite. Ces trois années de licences m’ont initiée à des notions d’architecture, des modes de pensée et des méthodes de conception que je ne connaissais pas. J’ai pu par exemple m’essayer à l’urbanisme, à des questions de cultures, de considération des modes de vie, de bioclimatisme... Pour ce rapport d’études je retiendrai les notions de structure, d’ambiance et matérialité qui sont celles qui m’ont le plus intéressée durant ces trois années et que je souhaiterai de ce fait approfondir à l’avenir. Je suis passée d’une vision de l’architecture purement technique et fonctionnelle à une architecture dans laquelle structure, espace, matérialité, ambiance, sensations et usagers sont complémentaires. Pour ce faire la première partie de ce rapport traitera de ma vision de la structure comme espace architectural en tant que lieu de vie. Puis dans une deuxième partie j’expliquerai comment s’est développée ma volonté de créer une architecture sensible procurant des émotions grâce aux ambiances. Le plan du rapport se rapproche quelque peu de cette citation de Le Corbusier qui reprend ma vision globale de la discipline : «La construction, c’est pour faire tenir. L’architecture, c’est pour émouvoir.» Le Corbusier.


fig.1 : Gare ferroviaire de Milan, Alberto Fava, photographie personnelle, mai 2014.

fig.3 : Passerelle Zubizuri, Calatrava, Bilbao, photographie personnelle, août 2014.

fig. 2: Hangar pour avions de Pier Luigi Nervi, Orvieto, photographie tirée de Peir Luigi Nervi L’architecture comme défi.


I / DE LA CONSTRUCTION DE L’ESPACE Espace : étendue qui contient et entoure tous les objets 1 Dans cette première partie nous découvrirons en quoi la structure est la base de tout espace architectural. Nous verrons comment celle-ci influe sur l’espace créé et peut le modifier de façon radicale. Je décrirai les systèmes constructifs que j’ai pu expérimenter au cours de ces trois années de licence et j’aborderai aussi la notion de détail technique, que nous voyons seulement ce semestre, mais qui me permet de mieux saisir les étapes de construction d’un bâtiment, la construction étant un aboutissement dans ma vision du métier d’architecte.

I. La structure comme mode de construction de l’espace Structure : Constitution, disposition et assemblage des éléments qui forment l’ossature d’un bâtiment. 2 La structure est pour moi la base de tout espace architectural car elle permet de créer le vide sur lequel nous intervenons en tant qu’architectes grâce à l’enveloppe quelle lui confère. La structure délimite ce vide et c’est celui-ci qui nous offre des potentiels d’actions. Vide : Espace assez vaste qui ne contient rien. 3 C’est au cours de différentes visites d’édifices que cette notion, cette percetion de l’architecutre par la structure m’est apparue. J’ai été touchée par la hauteur des colonnes si particulières et subdivisée de la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone, et impressionnée par la portée sans interruption de la gare ferroviaire de

Milan d’Alberto Fava (arches aciers de 341m de long pour 200m de portée et 72m de haut) (fig.1) Les projets de Pier Luigi Nervi ont été pour moi une révélation avec par exemple la structure de l’air plane Hangar de l’expo universelle d’Orieto mêlant technicité, beauté et performance (fig.2) . Les prouesses techniques ont toujours été une source d’émerveillement. A chaque structure correspond un espace spécifique, dicté par ses règles, lui donnant sa taille, sa forme, sa hauteur. La modification de la structure change les portées et donc l’espace dans lequel nous évoluons. Je suis toujours très admirative devant la capacité de certains architectes à créer des édifices si poussés techniquement tout en leur procurant une élégance et un certain degré de sensibilité. C’est en ce point que je pense avoir toujours été intriguée par les ponts, qui sont le symbole même de l’architecture comme

1. Collectif, Le petit Larousse grand format, Paris, Larousse, 1996, p. 405 2. Ibid. p. 966 3. Ibid. p. 1064


structure, mêlant technique et élégance pour ceux que j’affectionne tout particulièrement. Plus jeune j’avais été marquée par le pont de l’université à Lyon, non pas par le fait de l’avoir parcouru, mais plutôt d’être passée en dessous, là où se révélait à nous toute la complexité de sa structure. J’ai toujours été intéressée par l’assemblage des éléments constituant une structure complexe. Plus récemment c’est la passerelle Zubizuri de Calatrava à Bilbao (fig.3) qui a retenu mon attention grâce à sa légèreté, elle paraissait comme flottante au-dessus de l’eau. Les cours de mécanique des structures dispensés par M. Baverel lors des deux premières années de licence ont été une première approche de la notion d’architecture comme structure. L’exercice du pont de la première année m’a permis de comprendre les bases concernant les notions de descente des charges et de statique d’un bâtiment. Mon esprit scientifique m’ayant habitué pendant mes années de lycée à toujours tout justifier par le calcul, ces notions étaient pour moi rassurantes car elles servaient de justification et de sécurité concernant l’architecture que je créais. Aujourd’hui je me rends compte que le calcul n’est pas une manière de concevoir l’architecture, comme le dit Fernand Pouillon : « Les calculs sont une preuve, ils ne seront jamais un moyen. Le premier bâtisseur savait-il compter ? non. »4 Lors de la première année j’ai été déstabilisée par l’absence de réponses données par le

calcul. Ces trois années de licences m’ont permis de me rendre compte que l’architecture, bien que j’apprécie son aspect technique, n’est pas une question de chiffres, mais une question d’espace et de son appropriation. L’exercice du pont en papier m’a permis de mêler technique, grâce à une fiche de calculs, et compréhension de la statique du bâtiment grâce à ses proportions. Comme le développe M. Grosso lors des deuxième et troisième années dans ses cours de construction «il n’y a pas de techniques, normes ou contraintes qui puissent nous arrêter, c’est un certain niveau de maîtrise qui nous permet de nous détacher des contraintes actuelles»5. Quelle que soit l’architecture que nous souhaitons développer, nous aurons toujours les connaissances techniques des ingénieurs nous permettant de la réaliser. Mon intérêt pour les ponts m’a menée à participé cette année au concours du «Bridge challenge» organisé par l’école nationale d’ingénieurs de St Etienne (fig.4). L’objectif du concours était de confectionner un pont en balsa d’une portée de 1 mètre. Bien entendu le pont devait résister au maximum à la charge tout en répondant à des objectifs architecturaux et esthétiques choisis par chaque équipe participante. Un gabarit à ne pas dépasser a été donné de même que la quantité maximale et la dimension des matériaux fournis. Par équipe de quatre étudiants de l’ENSAG nous avons imaginé un pont à béquilles. L’enjeu architectural du pont était de donner une sensation de légèreté et de mouvement fluide grâce à la dissymétrie des 2 arcs qui le composent. Ces arcs sont combinés avec les béquilles, il y a donc une

4. MEISS, P., De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude de l’architecture, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012, p. 268 5. Phrase prononcée par J-C. Grosse lors de son cours du 27.05.2015


correspondance entre le dessus et le dessous du pont accentuant la fluidité. Nous avons décidé de faire en sorte que chaque élément architectural du pont ait une fonction structurelle. Je considère en effet qu’un élément architectural pour être beau doit posséder des qualités structurelles. Les éléments gratuits, simplement formels sans nécessité structurelle me paraissent difficilement justifiables. Comme le disait Viollet le Duc : « Toute forme n’ayant pas de raison ne peut être belle »6 Durant les cours d’histoire de la construction nous avons pu voir que la structure des édifices n’a pas été traitée de la même manière en fonction des époques. Elle fut cachée au profit d’ornementations lourdes pendant la Renaissance et le 19ème siècle, pour réapparaître au 20ème siècle nous permettant de mieux comprendre la mise en œuvre des édifices. Je pense me situer plutôt dans cet état d’esprit, de lisibilité et compréhension de l’architecture par la structure, où la structure donne son caractère propre à l’espace.

fig. 4: Photographies du pont et de l’équipe, par Enise Photo le 24.03.2015 6. Citation donnée par C. Avenier lors de son cours du 13.05.2015 portant sur le 19ème siécle.


fig. 5: Photographies de la salle a manger de la House VI, Peter Eisenman 1975, tirĂŠes du site internet images.lib.ncsu.edu

fig. 6: AxonomĂŠtrie et coupe prĂŠsentant la structure du projet de base nautique du S6, M-L Perret, mai 2015


II. L’impact de la structure sur l’espace architectural et les usages Usages : sens 1 : fonction, destination de quelque chose, emplois que l’on peut en faire sens 2 : ensemble des règles et des interdits qui caractérisent la langue utilisée par le plus grand nombre à un moment donné et dans un milieu social donné. 7 J’aimerai citer dans cette partie le travail de l’architecte Peter Eisenman qui nous a été présenté par S. Paviol lors de son cours sur les cultures architecturales contemporaines. Même si je ne suis pas en accord avec la manière dont il utilise la structure pour contraindre les usagers dans son architecture, je trouve sa réflexion sur l’expérience de l’espace, à travers les traces de conception, intéressante, c’est pourquoi je vous la présente ici. Cet architecte des années 70 fait la critique de l’architecture fonctionnaliste de la modernité. Il propose une architecture fragmentée mettant en avant l’égale importance entre structure constructive et logique spatiale. De plus il utilise un processus de décomposition de son architecture qu’il souhaite déstabilisante. D’une part pour l’architecture et ses modes de représentation, d’autre part entre l’objet architectural et son processus de fabrication et enfin déstabilisante pour la relation entre l’architecture et l’homme. Dans la HOUSE VI, Eisenman a souhaité montrer la manière dont il avait généré l’espace. De ce fait on peut voir les traces du processus de conception à travers la struc7. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 1049

ture constructive. Il développe le postulat que la maison doit être une expérimentation spatiale, pour se faire il crée des espaces qui dérangent les habitants, qui les contraignent dans leurs modes de vie : par exemple avec la présence d’un poteau porteur entre deux chaises de la salle à manger (fig.5). Contrairement à mon point de vue qui est que la structure crée l’espace de vie qui permet les usages, Eisenman impose la structure aux usagers, elle n’est là que pour le contraindre, une certaine manière pour l’architecte de la faire ressentir aux usagers, c’est la maison qui leur affirme sa présence. De cette manière Eisenman prouve que la structure a un fort impact sur l’espace architecturale et des usages. Lors du projet du 2ème semestre de licence 3 dans le studio de C. Blachot j’ai souhaité exposer l’idée que la structure doit rester en accord avec l’esprit du projet. Cet exercice m’a permis de prendre conscience de la difficulté de trouver un système constructif qui ne soit pas en contradiction avec les enjeux architecturaux dégagés par le projet. Le projet de la base nautique se compose de quatre bâtiments se dirigeant vers le lac de la même manière que les lignes de crêtes des montagnes entourant le site. Chaque bâtiment pointe vers un massif, de cette manière aucun d’entre eux ne possède la même orientation. Les ouvertures ne sont présentes qu’en bout de bâtiment de manière à accentuer l’effet de cadrage sur le lac. Pour appuyer l’idée du projet de lignes plon-


fig. 7: Coupe et photographies des maquettes, du projet de la halle de marchĂŠ S2L2, dont une photo montrant la dĂŠcomposition du mur en ossature bois et de la toiture, M-L Perret, mars 2014.


geant vers le lac, un mur en pierre vient appuyer chaque ligne et une enveloppe recouverte de zinc se déploie sur le côté. Pour apporter de la lumière et créer des circulations entre chaque bâtiment l’enveloppe de zinc est séquencée par des patios. Ils permettent un accès direct à chaque fonction de la base nautique. Le choix structurel s’est porté sur un système de portiques en bois apparents donnant de la profondeur aux parois de bois et venant séquencer la longueur des bâtiments sur le même principe que les patios (fig.6 coupe). Durant tout le semestre j’ai dû effectuer un vas et vient constant entre structure, usages et enjeux architecturaux pour trouver la structure la plus adaptée à l’espace que je voulais créer. Nous pouvons faire la comparaison entre le projet de la base nautique et celui de la halle de marché réalisé au deuxième semestre de licence deux. Ce projet a été développé en collaboration avec le TD de mécanique. Je me rends compte aujourd’hui que l’aspect technique avait primé sur la composition de l’espace lors de la conception du projet. En effet, trop absorbée par la structure et la volonté de respecter les normes et contraintes du système constructif de l’ossature bois, j’ai quelque peu lésiné sur l’espace créé par la structure et les usages associés. Je pense que j’appréhenderai cet exercice différemment si j’avais à le refaire aujourd’hui. L’architecture n’a pas pour but de remplir des fonctions techniques et de trouver les enjeux architecturaux associés mais plutôt de trouver une solution technique adaptée qui vient appuyer les objectifs architecturaux donnés à la base du projet. Les nombreuses contraintes fournies par l’exercice avaient modifié ma méthode

de raisonnement. Néanmoins cet exercice m’a permis de développer de manière approfondie le système constructif de l’ossature bois. J’ai pu apprendre et comprendre le fonctionnement des différents systèmes de charpente et l’emplacement correct des composants de la toiture et des murs (fig.7).


fig. 8 : Photographies personnelles de l’exercice 3, en cours de montage et dans la circulation où l’on peut voir les poutres. Septembre 2013

fig. 9 : Photographies personnelles de l’exercice 4, résultat final de l’empilement des modules de 3 cartons et du montage. Septembre 2013


III. Expérimentation de systèmes constructifs Système constructif : Ensemble de méthodes, de procédés destinés à assurer une fonction définie ou à produire un résultat, dans ce cas : ensemble d’éléments déterminés pour réaliser une construction. 8 Lors de la deuxième année de licence, M. Loiret nous proposa une expérimentation autour du matériau carton aux grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. Quatre exercices ont été réalisés sur une semaine. Après une étude approfondie sur le matériau (sa provenance, composition, ses dimensions) le but était de développer des systèmes constructifs variés le mettant en œuvre. Chaque exercice a été monté par groupe de 18 personnes. Dans le premier nous avons utilisé un système basique d’empilement des cartons et pour le 3ème nous avons réalisé un assemblage des cartons par leurs languettes. Ce système permettait de les fixer de manière plutôt rigide ce qui les maintenait à l’horizontale. Grâce à cette astuce nous avons pu créer des poutres par exemple. De ce fait l’exercice du cloître fut conçu à partir de poteaux et de poutres dans lequel l’usager déambule. La variation dans les hauteurs permet à l’usager de comprendre la logique constructive de l’espace créé (cf Eisenman (fig.8). Cette expérimentation à l’échelle 1 nous a permis de nous rendre compte de l’impact du système constructif et de l’organisation des matériaux sur l’espace. Le dernier exercice de la tour a été exécuté 8. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 982

grâce à des modules de 3 cartons assemblés ici aussi par leurs languettes (fig.9). Cette construction modulaire nous a permis de nous apercevoir de l’efficacité et de la facilité de mise en œuvre d’un tel système, contrairement à l’empilement utilisé dans le 1er exercice qui avait été beaucoup plus long à installer et plus aléatoire. J’ai aussi pris conscience que le développement d’un système architectural devait être réalisé en parallèle du développement de la pensée architecturale (cf projet S6). Le plus de cette expérimentation par rapport à toutes celles réalisées au cours des années de licence est qu’elle a été réalisée à l’échelle 1. Cette échelle est pour moi le but de l’architecture. Avant cette expérimentation l’aboutissement des projets que j’imaginais se résumait à la création de la maquette qui me permettait de me faire une idée sur ce que pouvait donner le résultat. Or l’échelle 1 permet de s’immerger réellement dans l’architecture et d’en voir les subtilités. Cette échelle est pour moi la concrétisation de ma pensée, je pense que je reste quelque peu frustrée de ce point de vue-là, nous n’avons que trop peu pu expérimenter cette échelle. Je conçois que la maquette et la représentation par le dessin sont des outils indispensables à notre formation, mais je trouve que l’échelle 1 est la seule nous permettant de nous rendre compte des enjeux réels de l’architecture. Du moins je n’ai jamais été autant satisfaite que lorsque j’ai pu arpenter nos réalisations durant


cette semaine d’expérimentation. L’architecture n’est pas que théorique comme une grande partie de l’enseignement à l’école, il faut la pratiquer. Outre les visites d’édifices participant à cette expérience, je souhaiterai encore tester l’architecture à l’échelle 1 pendant mes 2 prochaines années de master car j’ai la sensation que cet enseignement me permet de saisir des échelles que j’ai du mal à appréhender avec les seuls procédés théoriques. « Qui veut s’initier à l’étude de l’architecture doit comprendre d’abord qu’un plan peut être beau sur le papier, […] et que, malgré tout, le résultat peut constituer une architecture exécrable. L’espace interne, cet espace qui, comme nous le verrons, ne peut être complètement représenté d’aucune manière, qui ne peut être appris ni « vécu », sinon par l’expérience directe, est l’élément fondamental du fait architectonique.» 9 Cet exercice à échelle humaine m’a aussi permis de comprendre que les détails d’assemblage, des cartons dans ce cas-là, changeaient complètement le système constructif, la structure et donc l’espace créé.

9. ZEVI, B., Apprendre à voir l’architecture, Paris, Minuit, 1959, p.11


VI. La notion de détail comme outil de la construction de l’espace. Détail : petit élément constitutif d’un ensemble. 10 Je ne découvre réellement cette notion de détail que cette année, grâce d’une part à la semaine intensive organisée par M-A. Belli-riz et J-C. Grosso mais, aussi aux notions abordées par ce dernier lors de ses cours théoriques et par C. Blachot lors des séances de projet. Durant la semaine intensive nous avions à étudier un projet par jour. Sur chacun des projets il nous fallait dégager parmi tous les détails du bâtiment, un détail technique qui permettait de confirmer les enjeux de l’architecture. Par exemple pour le REHAB de Herzog et De Meuron le détail des menuiseries permet une continuité au niveau du sol entre l’intérieur et l’extérieur des personnes en fauteuil roulant d’une part mais aussi venant appuyer la volonté des architectes d’avoir une totale lisibilité intérieure-extérieure dans le bâtiment (fig.10). En étudiant le détail de plus près on note que le vide sous le platelage bois du sol donne une certaine qualité acoustique, que le joint entre les lattes permet la ventilation pour l’évacuation de l’humidité et qu’ils sont perpendiculaires aux roues des fauteuils roulants de manière à ce qu’elles ne se coincent pas dedans. Le détail technique est en fait un outil dont nous disposons qui permet d’appuyer tout le processus de conception de l’espace du début à la fin. Pousser les enjeux de l’espace architectural jusqu’au détail m’a permis lors du projet du 2ème 10. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 334

semestre d’aller plus loin et de créer un projet plus complet. Par exemple pour le projet de la base nautique le détail de l’encastrement des vitrages en toiture a été réalisé grâce à un système de menuiserie perpendiculaire au mur, permettant l’écoulement des eaux de pluie depuis le haut de la vitre jusqu’au sol. De plus le détail de l’alignement menuiserie/joint debout des feuilles de zinc, accentue la continuité voulu entre la toiture et la façade. Ce détail technique a permis de compléter l’impression de continuité de toute la couverture et de résoudre les problèmes liés à l’écoulement des eaux de pluie. Celles-ci auraient stagné dans une menuiserie classique. Les détails techniques permettent de construire l’espace jusque dans sa plus petite mesure, mais permettent aussi de solutionner les problèmes qui pourraient être liés à l’écoulement des eaux comme nous venons de le voir mais aussi à la respiration du bâtiment, à l’isolation, au parasismique etc. Ces points ont été développés par J-C. Grosso lors de son cours de la semaine intensive de construction. L’apprentissage des modes de représentation des détails lors des TD de construction de M-A. Belli riz m’a permis de comprendre les étapes de constructions des édifices étudiés et la manière dont les éléments sont assemblés. Ces modes de représentation m’ont aussi permis de mieux communiquer mon projet.


fig. 10 : Photographies du balcon et détail de coupe de la zone étudiée du REHAB de Herzog et De Meuron, Bale 2002 tirés du site herzogdemeuron.com


II/ A LA CONSTRUCTION D’UNE ARCHITECTURE SENSIBLE La notion d’ambiance a été développée lors de mon 1er semestre de licence 2, dans le cadre du studio de P-E. Loiret. Nous devions étudier les besoins d’usagers particuliers et de ce fait leur créer l’habitat le plus adapté en terme d’ambiance visuelle, lumineuse, thermique, sonore, tactile, et olfactive. Le processus particulier suivi durant le semestre consistait donc à générer la forme de l’architecture à partir des besoins en termes d’ambiance des usagers. J’aimerai montrer à travers ce rapport d’études que : «la forme et l’espace de l’architecture se qualifient par le caractère des matériaux et des traces de leur mise en œuvre. La lumière en est la complice. Le résultat est «une ambiance»»11 En arrivant en licence 1 j’imaginais l’architecture comme un objet technique dans lequel des usagers intervenaient. J’ai découvert le pouvoir de la lumière sur l’espace lors de ma première année, commencé à appréhender la force des matériaux en deuxième année, et j’ai essayé lors de cette troisième année de combiner les deux de manière à ce que l’architecture projetée se rapproche de celle que j’apprécie aujourd’hui : technique et stimulateur d’émotions. J’aime visiter des bâtiments et toucher un mur car sa matérialité m’y invite ou encore m’arrêter dans ma déambulation et contempler une perspective créée par une structure particulière et accentuée par la lumière naturelle.

I. La notion d’ambiance Ambiance : Ensemble des caractères définissant le contexte dans lequel se trouve quelqu’un, un groupe ; climat, atmosphère. 12 L’idée d’ambiance implique de voir l’espace comme un réseau sensible, comme un lieu où se produit une interaction plus ou moins forte entre l’objet architectural et l’homme. Pour qu’il y ai une ambiance il faut qu’elle soit ressentie, la

présence de l’homme y est donc indispensable. Il faut aussi noter que l’ambiance possède une dimension temporelle. En effet comme l’a développé M. Loiret lors du Studio du 1er semestre de licence 2, les prises qui sont à notre disposition avec les espaces et les objets se font dans le temps et varient en fonction de celui-ci. « L’architecture n’est jugée achevée que par l’intervention de celui qui l’expérimente » 13 Tadao Ando

11.MEISS, P., De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude de l’architecture, op. cit. p. 247 12. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 59 13 Citation tirée du site internet archiemo.wordpress.com


fig. 11 : Photographies personnelles exprimant les ambiances lumineuses, Semaine intensive carton, septembre 2013.


L’ambiance est globalement dépendante de la lumière car dans notre culture occidentale c’est le visuel qui l’emporte sur nos autres sens. Mais il est tout aussi intéressant et il peut être beaucoup plus déstabilisant pour l’homme de créer des ambiances tactiles, olfactives et pourquoi pas gustatives en architecture. J’aimerai montrer que l’ambiance peut varier en fonction d’autres paramètres que la lumière, tels que la mise en œuvre des détails architecturaux ou des matériaux. Ce sont ces deux points que je souhaite développer dans cette partie. Lors de notre semaine d’expérimentation sur le matériau carton encadrée par M. Loiret il nous a été demandé, en plus de développer une certaine logique constructive, de générer une ambiance grâce à la mise en œuvre du matériau. L’ambiance créée pouvait être de nature acoustique : grâce à l’augmentation de la résonance des pas, de la voix, ou au contraire grâce à une ambiance feutrée, où tous les sons sont absorbés par les parois. Cette ambiance sonore a été plus particulièrement perceptible lors de l’exercice 3 ou tous les sons se répercutaient dans l’espace central de déambulation. Puis lorsque nous avons recouvert la cour, l’ambiance est devenue beaucoup plus mate, nous même nous y entrions avec plus de précautions. L’ambiance acoustique que nous avions créée grâce à ce volume modifiait notre comportement, nous ressentions l’ambiance et agissions en conséquence.

L’ambiance était aussi de nature visuelle grâce aux variations d’intensité lumineuse qui pénétraient dans le volume (fig.11). L’effet d’une lumière rasante sur le carton donnait une perception de l’espace plus intime que celui d’une lumière directe et frontale qui le dévoilait en un seul regard. Cette étude à l’échelle 1 nous a permis de nous immerger totalement dans les ambiances que nous créions, de manière à réellement les ressentir plutôt que de seulement les imaginer. La création de ces ambiances nous a obligé à tenir compte du dimensionnement des éléments. Par exemple pour produire une lumière précise longeant une paroi nous avons testé différentes largeurs de fente, de manière à trouver la dimension qui correspondait le mieux au résultat souhaité.


fig. 12 : Photographies personnelles prises lors de l’expérimentation de l’installation de Richard Serra au musée Guggenheim., Bilbao, août 2014


II. La création d’ambiance par la structure et le détail. J’ai appréhendé le concept de la structure génératrice d’ambiance lors de l’exposition La matière du temps de Richard Serra au musée Guggenheim de Bilbao l’été dernier. Les grandes plaques d’acier patiné qui forment la structure donnent une ambiance à l’espace grâce à leur mise en œuvre. L’individu qui déambule entre ces plaques passe par plusieurs émotions. On ressent une sensation d’espace en mouvement vertigineuse. La variation dans les espaces définis par la structure offre différents ressentis : on parcourt une promenade circulaire, étroite et sombre pour ensuite arriver dans un espace haut et largement ouvert. Les parois inclinées sur l’intérieur nous poussent à nous positionner en plein milieu de cet espace largement ouvert et lumineux pour ne pas ressentir la sensation d’écrasement (fig.12). La forme de l’espace par la structure peut occasionner une ambiance particulière et totalement différente sur plusieurs plans comme par exemple avec la passerelle qui se trouve à proximité du Peix de Franck Gehry à Barcelone. C’est en effet le détail des assises perforées situées sur la passerelle qui apportent une lumière filtrée et douce en dessous. Cette lumière se glisse et se réfléchit sur les éléments en acier blanc qui composent la structure, le tout se reflétant dans un bassin se déployant de part et d’autre de la passerelle. Le reflet de la structure dans le bassin donne une autre dimension à l’espace, comme s’il était plus conséquent (fig.13). Les assises ont

deux fonctions dans cette passerelle : permettre à l’usager de s’asseoir face à la mer sur la passerelle et apporter une lumière tamisée créatrice d’ambiance en dessous. La notion d’ambiance par le détail est apparue en partie lors du 1er semestre de L2 dans le cadre du projet encadré par P-E. Loiret. Durant ce studio il nous a fallu dimensionner les éléments de notre projet de manière à créer une ambiance particulière répondant aux besoins spécifiques des usagers en lien avec les conditions climatiques présentes sur le site imposé. En binômes nous avons effectué un travail sur les personnes agrées installées dans la vallée du Rhône, plus précisément à Cavaillon. Par exemple l’auvent de toiture donnant sur la terrasse a été dimensionné en fonction de l’angle d’incidence du soleil à midi l’été, heure du repas de nos usagers, de manière à ce que ceux-ci puissent profiter d’un repas en terrasse sans être dérangé par la forte chaleur et l’éblouissement (fig.14) C’est surtout lors de cette troisième année et plus particulièrement à la semaine intensive de construction que j’ai pu me rendre compte de l’importance des détails techniques en matière de création d’ambiance. Par exemple dans la fondation Beyeler de Renzo Piano nous avons étudié le détail du bassin qui change totalement notre perception du bâtiment (fig.15). En effet le rebord du bassin extérieur possède une légère pente de manière à ce que l’eau vienne


fig. 13 : Photographies personnelles prises sur et sous la passerelle, juin 2015.


presque raser la façade. Grâce à ce détail on a vraiment une impression de prolongation de l’intérieur vers l’extérieur du fait qu’il n’y ai pas de rebord visible venant interrompre le bassin (schéma). Renzo Piano effectue grâce à ce procédé une transition en douceur entre intérieur et extérieur. En cette fin de 3ème année nous avons assisté à un cours de projet de B. Adeline abordant l’importance du joint en architecture. Le joint est en effet l’espace de liberté de la matière où le processus de création peut être exprimé. Il a un rôle ambivalent, il crée tantôt un espace de liaison, de coupure ou encore d’articulation. A travers l’exemple de la chapelle du Château Lacoste de Tadao Ando nous avons pu développer l’idée que le joint faisait le lien entre l’architecture contemporaine et l’architecture ancienne de la chapelle. Dans ce projet, Ando crée une promenade précise avant de rentrer dans la chapelle, cette déambulation nous permet de nous préparer à la rencontre avec l’édifice. Nous découvrons une première paroi de verre englobant l’ancienne chapelle, comme si elle se trouvait dans un écrin. On entre ensuite dans la chapelle par une grosse porte en chêne. Il faut refermer cette porte et s’asseoir pour se retrouver dans le noir jusqu’à ce que notre œil s’habite à la pénombre. Seulement à ce moment-là il nous est possible de percevoir la lumière douce qui coule le long des murs de pierre qui nous entourent. On se retrouve dans un espace assez restreint qui nous enveloppe de sa lumière délicate combinée à la rusticité des murs. C’est le détail du joint qui se situe entre

le mur et la toiture qui donne l’ambiance si particulière à cette chapelle. Tadao Ando porte une attention tellement particulière à cet interstice qu’il le transforme en architecture (fig.16). J’ai pu appliquer cette réflexion sur l’importance du joint en architecture lors de la visite du Jardin Botanique de Barcelone de Carlos Ferrater. Le béton est un matériau qui se fissure très facilement lorsqu’il est sous forme de dalles (cf cours de projet de C. Blachot), il est donc conseillé de le scinder aux endroits voulus en fonction des enjeux donnés par l’architecte. Dans le Jardin Botanique, Ferrater a pris en compte cette pathologie du matériau, il a de ce fait séquencé les circulations qui sont en béton de 22cm d’épaisseur grâce à un joint de fractionnement de 25mm. La disposition de ces joints dans les circulations répond à la logique de triangulation que l’on retrouve dans tout le reste du jardin. En effet toute l’organisation du jardin est basée sur un maillage triangulaire permettant d’absorber tous les accidents du terrain avec le moins de nivellement possible (fig.17). De plus ce motif triangulaire reprend la dimension fractale de la nature (cf Article S5 Gaudi). L’interstice créé permet l’écoulement des eaux et séquence la promenade de repères visuels. De la même manière les plaques d’acier corten que l’on retrouve un peu partout dans le jardin se chevauchent et laissent apparaître un joint de dilatation permettant au métal de s’allonger sous la chaleur (fig.18). C. Ferrater a traité les éléments architecturaux de son jardin de manière très juste jusque dans le détail des joints faisant la liaison entre les différentes parties.


fig. 15 : Détail du bassin, Fondation Beyeler, Renzo Piano, 1997, image tirée du site Internet fondationbeyeler.ch

fig. 16: Photographie de la chapelle Lacoste, Tadao Ando, 2011, tirée du site flickr.com

fig. 15 : Photographie du bassin, Fondation Beyeler, tirée du site Internet fondationbeyeler.ch


Dans le pavillon Allemand de Barcelone de Mies Van Der Rohe, les détails sont aussi traités avec subtilité entre tous les éléments de la construction. Nous pouvons observer un joint très fin qui disparaît dans la disposition en symétrie des plaques de marbre et qui permet un calage parfait. Les parois donnent de ce fait une impression d’unité totale du matériau. On peut aussi évoquer le détail des poteaux cruciformes qui représentent l’idéal de la modernité grâce à la rigueur de leur géométrie et la précision de leur assemblage. La finesse de ces porteurs métalliques accentue l’effet de transparence et d’interpénétration des espaces (fig.19). fig. 18 : Photographies personnelles des joints de l’acier corten (en haut) et du béton (en bas), juin 2015

fig. 17 : Dessin du maillage du jardin Botanique de Barcelone, C. Ferrater, tiré du site internet ferrater.com


fig. 19 : Effet de symĂŠtrie, joints et porteurs metalliques, Pavillon Allemand, Mies Van Der Rohe,1929, photographies personnelles, juin 2015

photographie A. Perriollat, juin 2015


III. La matière génératrice d’ambiance Matériau : substance, matière destinée à être mise en œuvre. 14 J’aimerai commencer cette partie par une référence d’art qui m’a ouvert les yeux sur la diversité des possibilités d’actions que nous possédons sur la matière. Initialement je suis peu attirée par la peinture, elle ne me procurait pas réellement d’émotions. Mais lors du cours de première année de licence de S. Paviol, la présentation des réalisations de Pierre Soulages ont changées ma vision du potentiel émotionnel de la peinture. J’ai été attirée par les contrastes présents dans ces tableaux noirs et les effets de matière variants en fonction de la lumière. Pour la première fois j’avais l’impression que l’œuvre était « vivante », j’arrivais enfin à me l’approprier. « J’ai toujours pensé que plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte.» 15 La pensée de Soulages est fondée sur la réflexion de la lumière. L’utilisation du monochrome noir n’est que le support de son travail, c’est grâce aux différents états de surface du noir et avec la complicité de la lumière qu’il crée différentes ambiances et émotions (fig.20). Il appelle son travail « outre noir » car il s’agit pour lui d’aller au-delà du noir, de ce fait Soulages préfère aussi le terme de mono pigmentaire pour qualifier ses

peintures. Soulages fait partie des artistes qui m’ont permis de saisir les possibilités d’action sur la matière pour réaliser une ambiance. Le matériau se tord, s’étale, se craque, se compacte, et ce sont ces différents états qui lui donnent ses caractéristiques et les sensations associées. J’ai ensuite découvert les monochromes et volumes d’Enrico Castellani. Il utilise des matériaux simples et traditionnels, et grâce à un jeu sur l’élasticité de la toile et l’utilisation de clous il crée des volumes et des reliefs. La volonté de l’artiste est d’échapper aux dimensions formelles de la superficie de son objet grâce à sa capacité à se multiplier à l’infini, pour aller vers la mesure du temps. Ses œuvres sont des surfaces qui se modulent grâce à leur relief (fig.21). Elles prennent en compte le vide, l’espace, la lumière, l’ombre, le mouvement, le lieu, et l’expérience du spectateur. De ce fait que ce soit pour Castellani ou Soulages, l’utilisation du même matériau sur toute leur production artistique leur permet d’obtenir des résultats totalement différents. De plus leurs œuvres provoquent des sensations multiples suivant la manière dont ils mettent en œuvre leur matière. « L’espace architectural est l’immatériel que nous définissons avec la matière.»16 Pour passer maintenant à l’échelle architecturale de l’édifice j’aimerai citer l’église Saint-

14. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 639 15. Paroles de Pierre Soulages dans le petit bulletin n°857 article du 20 septembre 2012 par Aurélien Martinez. 16 MEISS, P., De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude de l’architecture, op. cit. p. 219


fig. 21 : Superficie bianca, Enrico Castellani, 1969, tiré du site Internet dorotheum.com

fig. 21 : Enrico Castellani, 1930, tiré du site Internet christies.com

fig. 20 : Tableaux Peinture, 296 x 165 cm, 4 janvier 2014, Pierre Soulages, 2014, et Peinture 309 x 181 cm, 12 décembre 2013, Pierre Soulages, 2013, photographies tirée du site Internet pierre-soulages.com


Pie de Franz Fueg. Ce monolithe cubique fait de marbre blanc est totalement opaque depuis l’extérieur (fig.22). A l’intérieur le matériau devient translucide et laisse filtrer la lumière. L’effet de la lumière sur les parois depuis l’intérieur est surprenant et éblouissant. Pour accentuer l’effet de monolithe impénétrable les portes disparaissent entre deux profilés métalliques sur la façade extérieure. Néanmoins pour qu’elles soient plus perceptibles depuis l’intérieur l’architecte a diminué l’épaisseur des plaques de marbre (20 mm pour celles constituant la porte, 28 mm pour les autres). Grâce à ce changement d’épaisseur la lumière les fait briller de manière plus prononcée que celles des autres parois (fig.23). Les variations d’intensité lumineuses qui s’engouffrent dans le matériau lui font révéler ses veines, marbrures, grains et la chaleur des différentes couleurs qui le composent (fig.24). Toutes ces nuances sont totalement imperceptibles depuis l’extérieur ce qui donne une impression extrêmement frappante lorsque l’on découvre l’intérieur de l’édifice. De plus Franz Fueg joue subtilement avec les caractéristiques du marbre, comme son grain par exemple, pour séparer les espaces de l’église. Cette architecture est un parfait exemple pour montrer les diverses possibilités en matière d’ambiance d’un même matériau suivant la manière dont il est mis en œuvre. Ici Franz Fueg utilise l’aspect froid et opaque du marbre sur la façade extérieur et en tire toute sa chaleur et une diversité de couleur extraordinaire à l’intérieur. Le matériau lorsqu’il intéragit avec les éléments de son environnement crée aussi une ambiance particulière. Par exemple dans le pa-

villon allemand de Mies Van Der Rohe à Barcelone le même mur de marbre crée une ambiance différente suivant la face depuis laquelle on le regarde. En effet du côté de l’entrée le matériau invite plutôt à ce qu’on le touche (sensation lisse et chaude) et nous guide vers un espace plus fermé et couvert (fig.25). Alors que de l’autre côté du mur le bassin se reflète sur la face brillante du marbre. Ce reflet crée une symétrie parfaite et donne une impression de disparition totale de la paroi (fig.26). L’architecture prend une tout autre dimension grâce à l’aspect de surface du matériau. Mies Van Der Rohe utilise tout le potentiel du marbre en créant un motif grâce ses marbrures les disposant de manière symétrique. De loin les parois de marbres semblent totalement monolithiques comme si elles n’étaient faites que d’un seul élément (fig.27). Je n’ai pu saisir cet aspect symétrique présent dans tout le pavillon que lors de la visite, début juin lors du voyage d’étude organisé par les studios Blachot et Adeline. Cette symétrie permise par la disposition très juste de chaque élément donne une impression de continuité dans tout le pavillon et guide notre déambulation à la recherche de nouvelles concordances. L’ambiance est donnée par les effets de la lumière, la couleur mais aussi par les métamorphoses du matériau. L’effet du temps est celle que l’on trouve le plus. Malheureusement les effets du temps font partie des plus grandes pathologies en architecture. La notion de pathologie a été abordée par J-C Grosso lors des 2ème et 3ème années de licence.


fig. 22 : Vue extérieure, Eglise St Pie, Franz Fueg, 1966, tirée du site Internet detail.de

fig. 23 : Vue extérieure, porte, Eglise St Pie, Franz Fueg, 1966, tirée du site Internet detail.de

fig. 24 : Vue intérieure, Église St Pie, Franz Fueg, 1966 tirée du site internet detail.de


Comme exemple récent je peux citer le Jardin Botanique de Barcelone de C. Ferrater. L’architecte a disposé de l’acier corten sur les tranches de la toiture de l’accueil, accentuant l’effet incisif des éléments triangulaires la composant. Malheureusement ces éléments d’acier ont réagi aux intempéries, des coulures couleur rouille apparaissent le long des parois de béton à la jonction avec la toiture (fig.28). L’effet du soleil sur le long terme a aussi modifié la couleur des portes d’entrée du jardin (fig.29).

fig. 27 : Motif mural créé par le marbre, tiré de archikey.com

fig. 25 : Mur étudié, Pavillon Allemand, MVDR, 1929, photographie tirée du site Internet Archigraphie.eu

fig. 26 : Photographie personnelle du reflet du bassin dans le marbre. Juin 2015


fig. 28 : Photographie personnelle, Jardin Botanique Barcelone, Carlos Ferrater, 1999

fig. 29 : Photographie personnelle des effets du temps sur le corten, Jardin Botanique Barcelone, Carlos Ferrater, 1999


IV. La représentation sensible du projet Représentation : action de rendre sensible quelque chose au moyen d’une figure, d’un symbole, d’un signe. 17 Au cours de ses trois années de licences j’ai appris que la représentation était très importante pour la communication de ses idées et en particulier du projet. Un projet aura beau être excellent, si la représentation ne permet pas de le comprendre ou va à l’encontre des objectifs architecturaux il ne pourra pas être évalué à sa juste valeur. Projet et représentation sont pour moi indissociable. Comme nous l’a répété C. Blachot tout au long de cette dernière année : «L’idée essentielle est que la représentation soit adaptée à votre projet, qu’elle le représente, elle ne doit pas être neutre, dès la mise en page vous devez parler de votre projet.» Les bases de la représentation m’ont été données lors de la première semaine intensive organisée par P. Doat. J’ai compris les objectifs et le fonctionnement du dessin en coupe, en plan et en élévation. Ces notions m’étaient totalement inconnues à mon entrée en licence même si j’ai pu suivre quelques cours de dessin durant mes années de lycée. Suite à cet apprentissage de base c’est D. Putz qui nous inculqua une certaine rigueur dans le dessin. Guidée par une charte graphique imposée j’ai pratiqué le dessin à la main de précision. L’apprentissage des bons modes de repré-

sentation m’ont permis de mieux comprendre les projets des autres et de communiquer les miens avec justesse. Néanmoins je les trouvais trop strictes. Cette représentation permet la bonne compréhension des proportions des volumes mais elle ne retranscrit pas les ambiances qui se dégagent des espaces représentés. C’est à travers certains cours théoriques tels que ceux de S. Paviol et de C. Maumi que j’ai découvert les pratiques de représentation qu’utilisaient certains architectes pour matérialiser leur pensée. Par exemple Archigram et Superstudio utilisaient souvent les collages. Ils étaient non réalistes pour Archigram dans Instant City (fig.30), et réaliste pour Superstudio dans le Monument continu (fig.31). La vision ironique de Superstudio traduite par leurs collages paraissait tellement concrète que certains architectes de l’époque avaient crus à leurs propositions. Les collages ont aussi souvent été utilisés pour la programmation des villes comme l’a fait par exemple Le Corbusier pour le Plan Voisin de 1922 (fig.32). Outre les collages les axonométries sont aussi très utilisées, notamment par Peter Eisenman qui a été évoqué au début de ce rapport. Quel que soit la méthode de représentation, celle-ci ne devrait pas seulement exprimer la dimension des espaces ou l’ambiance visuelle, mais aussi toutes les perceptions relatives à nos différents sens. Comme le dit l’architecte Céline

17. Collectif, Le petit Larousse grand format, op. cit. p. 880 18. DRODZ, C., La représentation des ambiances dans le projet d’architecture, publication de la sorbonne, p. 97


fig. 30 : Collage de Instant City, Archigram, 1970, image tirĂŠe du site Internet georgemajor.com

fig. 31 : Collage du Monument Continu, Superstudio, 1969, tirĂŠe du site Internet arch122superstudi.blogspot.fr

fig. 32 : Collage du Plan voisin, Le Corbusier, 1935, image tirĂŠe du site Internet irenebrination.typepad.com


drozd dans sa thèse : « Dès la phase de conception, certains architectes introduisent une dimension sensible dans les représentations qu’ils produisent pour une approche multisensorielle du lieu qu’ils conçoivent. »18 Tadao Ando traduit les ambiances et les jeux de d’ombres et de lumière de ses projets à travers le dessin de ses coupes ou ses plans ombrées avec le musée Chikatsu Asukaou encore la maison Azuma par exemple (fig.33). Pour ma part j’ai essayé durant le semestre dernier de représenter mon projet de base nautique de la façon la plus sensible possible. La mise en page suivait une logique linéaire, tout comme le projet. De plus j’ai voulu intégrer dans cette mise en page les ambiances liées aux matériaux et à la lumière qui se dégageaient du site et du projet. J’ai tenté de retranscrire l’ambiance de sous-bois du site dans les fonds de plan des coupes, de même que j’ai ajouté des textures sur les façades traduisant le matériau zinc de manière à voir comment les bâtiments pouvaient se fondre dans le paysage (fig.34). J’ai traité les effets d’ombres et de lumière créé par la structure. Néanmoins la représentation des ambiances dans les planches de ce rendu sont uniquement visuelles. Je n’ai pas encore trouvé de solution pour exprimer les ambiances tactiles et sonores à travers la feuille de papier.


fig. 33 : Coupe ombrée de la maison Azuma, Tadao Ando, 1975-76, tirée du site Internet cedricchone.voila.net Et Axonométrie du musée Chikatsu Asuka, Tadao Ando, 1994, tirée du site pinterest.com

fig. 34 : Coupe et façade du projet de la base nautique du S6 encadré par C. Blachot, M-L Perret, mai 2015


CONCLUSION

Ces trois années de licence m’ont permis de développer la notion de structure émotionnelle qui est pour moi une architecture simple, technique qui provoque des sensations. De ce fait j’aimerai d’une part orienter la suite de mon parcours vers un travail en lien avec l’ingénierie, premièrement de manière à être plus à l’aise du point de vue de la structure pour le projet, mais aussi par plaisir personnel car ce sont des questions qui m’intéressent depuis toujours. Une meilleure connaissance du travail de l’ingénieur me permettrait de mieux communiquer avec lui et de mieux comprendre ses attentes quand à mon propre travail. Le travail en équipe, obligatoire durant certaines semaines intensives et au sein des associations de l’école, m’a aidé à m’ouvrir et à être plus indulgente envers les autres. Grâce à ces expériences je pense aujourd’hui mieux accepter une opinion différente de la mienne et la critique. Mon expérience au sein des associations de l’école et les actions qui ont été menées par celles-ci m’ont permis de mieux communiquer mes idées et être plus réceptive à celles des autres. J’imagine que le travail de l’architecte est fait d’un continuel échange avec différents interlocuteurs. Tout du moins j’ai pu entendre ce discours au cours de mes trois premières an-

nées de licence. De plus mon stage ouvrier de première année, effectué au sein d’une équipe s’occupant de la réhabilitation d’un hôpital, m’a permis de me rendre compte que la communication est essentielle au bon déroulement du chantier, sans quoi des retards s’accumulent. J’attends d’effectuer mon stage en agence cet été pour pouvoir être confortée dans cette vision du métier d’architecte, voir quels sont les vrais enjeux des relations entre les différents corps de métier. J’aimerai observer plus particulièrement la relation entre architecte et ingénieur pour comprendre quelle culture constructive je me dois de développer et maîtriser de manière à être à l’aise lors de nos échanges. D’autre part j’ai surtout la volonté aujourd’hui d’approfondir les questions de capacités et de performance des matériaux, autant du point de vue de la technique que des ambiances ou de l’environnement, et d’apprendre quels sont leurs potentiels spécifiques. En effet je suis convaincue qu’une connaissance approfondie des savoirs faires liés aux systèmes constructifs et à la matière me permettra une meilleure maîtrise du projet. Je souhaiterai aussi pousser et enrichir la suite de mes études grâce à des expérimentations à l’échelle de l’homme. La méthode de travail proposée lors de la semaine intensive de 2ème année sur les cartons est quelque chose que j’aimerai réellement réitérer. J’ai le besoin de me retrouver en face des éléments concrets de la construction car cette dimension me permet de mieux les appréhender. Le master Architecture Et Cultures Constructives semble satisfaire mes attentes du


point de vue de l’apprentissage sur les matériaux et de leur mise en œuvre. Grâce à l’enseignement qu’il dispense je souhaiterai apprendre à utiliser la matière de manière efficace et raisonnable.

J’aimerai clore ce rapport d’étude par cette image qui a marqué ma 3ème année de licence. Celle du Monument Continu de Superstudio qui dénonce le développement d’une architecture standardisée partout dans le monde. Cette conception de l’architecture qui considère que les besoins sont identiques de partout quel que soit le pays, les coutumes, la culture ou le climat est pour moi inconcevable. L’architecture doit répondre à des enjeux climatiques et sociaux qui différent en fonction des régions et des modes de vie. Pour moi l’architecture est une discipline riche de sa diversité.

Le monument continu, «New New York», Superstudio, 1969, image tirée du site Internet meriadeck.free.fr


BIBLIOGRAPHIE

DURAND, J-P., La représentation du projet, Grenoble, La Villette, 2003, 223p. GAUDI,A., Paroles et écrits, précédé de « Gaudi le scandale», Paris, L’Harmattan, 2002, 324p. MEISS, P., De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude de l’architecture, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012, 384p. SALVADORI, M., Comment ça tient ?, Marseille, Parenthèses, 2012, 265p. SALVADORI, M., Pourquoi ça tombe ? Marseille, Parenthèses, 2012, 283p. SITTE, C. L’art de bâtir les villes, Paris, L’équerre , 1984, 188p. TANIZAKI, J., Éloge de l’ombre, Tockyo, Orion Press, 1977, 111p. ZEVI, B., Apprendre à voir l’architecture, Paris, Minuit, 1959, 135p.


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