Bat tout est bien qui finit bien

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LA ROUE À LIVRES Collection dirigée par Michel Casevitz

Aude Cohen-­Skalli

Professeur émérite de grec à l’université de Paris Ouest

Chargée de recherche au CNRS (Aix Marseille Université, TDMAM)

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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN Comédie anonyme en trois actes de la fin du xviii e siècle

Traduit du yiddish amstellodamois par NATHAN WEINSTOCK Préface de Leo Fuks

PARIS LES BELLES LETTRES 2016

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Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. © 2016, Société d’édition Les Belles Lettres, 95, bd Raspail, 75006 Paris. www.lesbelleslettres.com ISBN : 978‑2-­251‑33978‑8 ISSN : 1150‑4129

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NOTE DU TRADUCTEUR

C’est l’éminent érudit Leo (Lajb) Fuks, spécialiste de la littérature yiddish ancienne et tout particulièrement de celle des Pays-­Bas, son pays d’adoption, qui a découvert en 1946 le manuscrit de la comédie amstellodamoise datant des dernières années du xviiie siècle que nous présentons ici. Comme la page de garde du texte s’était perdue, il ne lui a cependant pas été possible d’en identifier l’auteur. En 1955, il a publié aux éditions Oyfsnay, à Paris, un volume contenant tout à la fois la transcription du texte original et, en regard, une adaptation annotée du texte en yiddish moderne. Ces deux versions juxtaposées étaient précédées d’une savante préface en yiddish situant cette pièce dans son contexte historique (et dont la traduction en anglais était jointe en annexe), que l’on trouvera également ci-­dessous. La présente édition contient donc la traduction intégrale du texte original du manuscrit, de la préface ainsi que des notes infrapaginales de Leo Fuks (suivies de la mention L.F.). Nous tenons à remercier les héritiers du défunt érudit, Madame Nadja Haentjens-­Fuks et Monsieur Simon Fuks, et tout particulièrement le Professeur Matthias Haentjens de l’université de Leyde, petit-­fils de Leo Fuks,

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de nous avoir autorisé à procéder à la publication de la présente traduction. Au risque de compromettre la fluidité de l’exposé, nous nous sommes toutefois permis de compléter la présentation par l’adjonction de sous-­titres ainsi que d’un certain nombre de précisions que l’on retrouvera en bas de page. Cependant, afin de ne pas alourdir démesurément l’introduction, nous avons choisi d’y intégrer les notices les plus longues sous la forme d’encadrés afin de les distinguer du texte du traducteur. En exhumant le texte de cette comédie en langue yiddish des dernières années du xviiie siècle, Leo Fuks a bouleversé les conceptions courantes à son époque au sujet de l’histoire du théâtre yiddish. L’on connaissait évidemment l’existence de la célèbre pièce de Yitskhok Euchel, Reb Henokh oder vos tut mè dermit ? (« Reb Henokh ou Qu’en fait-­on ? »1). Mais comme celle-­ci n’avait paru qu’au milieu du xixe siècle, bien après le décès de l’auteur, et n’avait jamais été mise en scène, on tendait à considérer que – réserve faite des Purimshpiln carnavalesques – le théâtre yiddish proprement dit n’avait pris naissance qu’en 1876, avec la fondation en Roumanie par Avrohom Goldfaden de la première troupe théâtrale yiddish. Or, comme le démontre Leo Fuks, en fournissant une abondance de précisions à ce propos, dès les premières années du xviiie siècle s’était déjà constituée au sein du judaïsme ashkénaze amstellodamois, indépendamment de la tradition burlesque des Purimshpiln, une tradition théâtrale de langue yiddish inspirée sans doute par l’inté1. On se reportera à ce sujet à l’édition annotée de la pièce d’Isaac Euchel publiée par M. Aptroot et R. Gruschka et complétée par un dossier critique, parue à Hambourg en 2004, sous le titre Reb Henoch, oder : Woß tut me damit. Eine jüdische Komödie der Aufklärungszeit.

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NOTE DU TRADUCTEUR

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rêt porté à l’art dramatique par la communauté sépharade locale. Théâtre yiddish naissant qui n’allait pas tarder par ailleurs à maîtriser la technique de l’art dramatique, tant en ce qui concerne la conception de l’intrigue que l’art du dialogue et de la mise en scène, ce qu’illustre parfaitement la pièce qui est présentée ici. Ce qui ne doit guère nous étonner étant donné que Leo Fuks nous rappelle qu’au cours des années quatre-­vingts du xviiie siècle Jacob Herz Dessauer parvint à constituer une troupe théâtrale de langue yiddish qui a joué aussi bien à Amsterdam qu’en province. Dans son introduction, Leo Fuks ne manque pas d’insister sur le fait que si cette comédie, rédigée en 1799, a bien été représentée en 1806 à l’occasion de la fête de Pourim – que l’on peut considérer à maints égards comme un équivalent juif du carnaval –, il ne s’agit en aucune façon d’un Purimshpil2. La caractéristique saillante de cette catégorie de pièces est en effet, conformément à l’analyse désormais classique que Mikhaïl Bakhtine nous a fournie du « carnavalesque »3, un renversement temporaire des hiérarchies et des valeurs, dont le carnaval fournit un exemple particulièrement frappant. Or, cette dimension subversive d’un monde inversé marqué par la transgression et le chambardement grotesque des valeurs, le sacrilège et l’obscénité, est absolument absente de notre pièce4. Au contraire : la 2. Cf. E. Michels, Jiddische Handschriften der Niederlände, Leyde-­ Boston, 2013, p. 396‑398. 3. M. Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, 1982. 4. Sur cette dimension du sacrilège et de la profanité dans le Purimshpil, cf. E. Butzer, Die Anfänge der jüdischen purim shpiln in ihrem litera‑ rischen und kulturgeschichtlichen Kontext, Hambourg, 2003, en particulier le chapitre « Grotesker Realismus », p. 167‑201 ; A. Belkin, « Yiddish Theatre : New Approaches », in J. Berkowitz (éd.), Yiddish Theatre : New Approaches, Londres, 2003 (étude qui peut être consultée sur le site www.

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profanation des valeurs traditionnelles juives qu’incarnent les personnages de Juifs polonais y est vivement dénoncée par le personnage de Reb Lipman qui incarne la droiture, la règle, la loi et la tradition juive. Conformément à la vision critique des rapports sociaux qui était la sienne, Leo Fuks a tenu à mettre en relief les tensions sociales qui parcouraient la communauté juive d’Amsterdam de l’époque. Puisant dans les chroniques contemporaines, il illustre les discordes qui agitaient la population urbaine, en soulignant qu’au sein de la communauté juive comme dans la population générale les miséreux des couches sociales inférieures5 étaient contraints de mener une dure lutte pour la survie quotidienne, face à une bourgeoisie cossue dont les notables communautaires se faisaient les fidèles exécutants. Et de souligner que la pièce, qui a d’ailleurs été jouée dans la résidence du rabbin ashkénaze local Yakev Moyshè Loewenstamm, fait ressortir une donnée capitale : quoique assurément coupables de duperies et de manigances diverses, ses protagonistes incarnent en fait les laissés-­pour-­compte d’une société inégalitaire et oppressive. Il est toutefois permis de se demander si cette interprétation marxisante ne tend pas involontairement à atténuer un des aspects les plus significatifs de la pièce, à savoir le courant d’hostilité et de mépris d’une rare intensité qu’expriment les personnages représentant la communauté jewishtheatre.com/visitor/article_display.aspx) et C. Shmeruk, Makhazot mikra’iyim be-­yidish, 1697‑1750, Jérusalem, 1979, passim. 5. Dans les notes prises au cours des séjours qu’il avait effectués aux Pays-­Bas en 1773 et en 1774, Diderot observait la chose suivante : « Il y a peu de pauvres, la plupart de ceux qui mendient dans les rues sont étrangers ou juifs » et s’étonnait que d’autres témoins n’eussent pas « remarqué un grand nombre de mendiants juifs… » (D. Diderot, Voyage en Hollande, Y. Benot (éd.), Paris, François Maspero (La Découverte), 1982, p. 124).

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NOTE DU TRADUCTEUR

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ashkénaze établie aux Pays-­Bas à l’égard des Juifs polonais. Ces immigrés-­là sont présentés comme une horde de quémandeurs sans aveu ni moralité, contrairement aux Ashkénazes locaux, fiers de leur droiture et de leur adhésion aux valeurs de la culture occidentale. Autrement dit, ce que la comédie nous donne à voir, ce sont des lignes de fractures sociales qui se doublent d’une cassure ethnique : Ashkénazes amstellodamois bénéficiaires du droit de bourgeoisie, d’une part, et claquedents juifs polonais, derniers venus contraints de se réfugier dans la fourberie, seule ressource qui leur permette de survivre. Au sein des communautés juives occidentales, la dépréciation injurieuse des Juifs polonais relevait en effet d’une tradition ancienne et fermement établie. C’est ainsi que l’on publia à Prague, dès les années 1675‑1680, une satire yiddish intitulée « Description d’un Ashkénaze et d’un Polonais », énonçant les stéréotypes que l’on s’échangeait de part et d’autre entre membres de ces deux communautés6. Et au siècle suivant, on vit circuler une brochure anonyme, également en langue yiddish, intitulée Une belle histoire relative à un Juif polonais. Dans cette satire empreinte d’une grande vulgarité, dont on doit également la découverte à l’éminent linguiste Max Weinreich, l’auteur se moque copieusement des Juifs polonais, présentés comme des individus sans foi ni loi, que l’auteur accable de son mépris7. Et on rencontre des appréciations similaires au xixe siècle au sein des communautés juives d’Alsace, fières d’avoir intégré les valeurs culturelles françaises : « Il est difficile », note Freddy Raphaël, « de recenser toutes 6. Cf. E. Butzer, op. cit., p. 74‑75. 7. Pour une traduction partielle de cette brochure, on se reportera à N. Weinstock, Le Yiddish tel qu’on l’oublie. Regards sur une culture engloutie, Genève, 2004, p. 76‑79.

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les connotations péjoratives du mot “polak” qui servait à désigner avec mépris et dégoût, au mieux avec une nuance de piété hautaine, tout Juif venu d’Europe orientale »8. Jean Daltroff attribue ce « profond fossé » qui séparait les Juifs alsaciens de leurs coreligionnaires d’Europe de l’Est au fait que le « Pola(c)k » incarnait le rappel brutal d’un passé misérable complètement refoulé que l’on tenait à oublier9, explication qui vaut sans doute pour les Ashkénazes d’Amsterdam de la fin du xviiie et du début du xixe siècle. N. W.

8. « L’injure la plus courante », précise cet auteur, « était “Träck Polack” qui signifie “Sale Polack” au sens propre comme au sens figuré » (F. Raphaël, « Une rencontre manquée : les relations entre les Juifs d’Alsace et leurs coreligionnaires d’Europe orientale (1870‑1939) », in Saisons d’Alsace, 55‑56, 1975, p. 209‑227, ici p. 213). 9. J. Daltroff, « 1871‑1918 : en Alsace, l’accueil contrasté des Juifs venus d’ailleurs », in F. Raphaël (éd.), Regards sur la culture judéo-­ alsacienne. Des identités en partage, Strasbourg, 2001, p. 113‑129, ici p. 117‑118.

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PRÉFACE DE LEO FUKS1

À la mémoire de mes camarades et amis de l’Association culturelle juive Sh. An-­Ski à Amsterdam assassinés au cours des années 1940‑1945.

On est souvent tenté de comparer une guerre à une catastrophe naturelle, à une éruption volcanique ou à un tremblement de terre. Et, s’agissant de ses effets, la comparaison est fondamentalement appropriée : une fois apaisés les éléments de la nature déchaînée ou la violence guerrière, l’homme rescapé retourne au site des ruines de son foyer et se met à y fureter et à y fouiller dans l’espoir de trouver quelque chose qui puisse lui servir dans le processus de reconstruction de sa vie bouleversée. Et c’est précisément en furetant et en fouillant dans les ruines d’Amsterdam la Juive que je suis tombé au mois d’avril 1946 sur un cahier de format in-­quarto comprenant un texte rédigé en caractères hébraïques2. Le contenu se 1. Sauf mention contraire, les notes infrapaginales de cette introduction sont celles du traducteur. 2. Pour écrire le yiddish, on se sert de l’alphabet hébreu.

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laissait aisément déchiffrer : ce que je tenais en main était le texte d’une comédie dont l’écriture ainsi que le support papier attestaient qu’elle remontait au xviiie siècle. Le cahier comprenait 34 pages non numérotées de format 15 cm x 19 cm. Manquaient la page de titre ainsi que la liste des personnages. Mais en se fondant sur le contenu de la pièce, on pouvait aisément les reconstituer comme suit : TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ou LA TRIPLE SUPERCHERIE DÉVOILÉE Comédie en trois actes Personnages : Reb3 Lipman : parnès Gabè4 : chargé de la charité et des aumônes5 Yerushalmi6 : meshulekh7 Reb Getz : le même Karni-­Pera : la servante de Yerushalmi Taymerl : la même

3. Reb (de l’hébr. Rav) : équivalent yiddish de « monsieur », s’agissant d’un Juif. 4. Parnès (de l’hébr. parnas, plur. parnasim) : membre du conseil d’administration d’une communauté juive. Gabè : (de l’hébr. gabaï, responsable d’une communauté juive, spécialement de la synagogue). 5. Selon toute vraisemblance une figure historique : le parnès amstellodamois Lipman Rintel alias Philip Isaac De Jong (L.F.). 6. Yerushalmi : vocable hébreu qui signifie Hiérosolymitain, habitant de Jérusalem. 7. Meshulekh (de l’hébr. mechoulakh, plur. meshulakhim) : émissaire et, plus particulièrement un envoyé de la communauté juive chargé de récolter des fonds.

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Reb Yoksh : le Bal Shem8 de Tarnopol9 Lipkè Yentè10 : son épouse Reb Henerl : khazn11 de la communauté de Fingerlokh12 Lieu : l’action se déroule à Amsterdam au domicile de Reb Lipman Époque : à la fin du xviiie siècle On peut déduire du texte même de la comédie qu’elle a dû être représentée lors de la fête de Pourim13 dans la maison de l’autorité rabbinique locale, le rabbin Yakev Moyshè Loewenstamm, et ce, très vraisemblablement au cours de l’an 1798. La comédie elle-­même n’a toutefois absolument rien à voir avec les Purimshpiln14 de l’époque qui nous sont si familiers et qui empruntent leurs thèmes au 8. Ba’al Chem (de l’hébr. ba’al Chem, litt. « maître du Chem », c’est-­à-­dire du nom) : thaumaturge, faiseur d’amulettes et/ou de miracles. Le Chem (le « nom » en hébr.) étant la formule magique ou cabalistique contenant le nom divin dont use le Ba’al Chem. 9. Localité dont le nom est transcrit dans la pièce sous la forme dialectale de Tarnipol. 10. Lipkè Yentsh (dans le manuscrit, Leo Fuks adopte généralement la transcription Lipkè Yentè). 11. Khazn (de l’hébr. khazan) : chantre. 12. Fingerlokh : litt. « trou percé avec le doigt ». 13. Pourim : fête des Lots (ou des Sorts), qui est à bien des égards un équivalent juif du carnaval, donnant lieu à des réjouissances, représentations scéniques, transgressions légères – notamment vestimentaires –, mascarades et déguisements. 14. Purimshpiln (yidd., plur. de Purimshpil) : les Purimshpiln, qui ont joué un rôle non négligeable dans la genèse du théâtre yiddish, étaient des pièces ou farces à thème biblique que l’on avait coutume de jouer dans le monde ashkénaze lors de la fête de Pourim, initialement sous forme de monologues humoristiques paraphrasant le Rouleau d’Esther ou parodiant d’autres textes sacrés. À partir du début du xvie siècle s’instaura l’habitude de jouer des Purimshpiln dans des maisons privées à l’occasion du repas festif auquel donnait lieu la fête.

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Rouleau d’Esther ou à d’autres livres de la Bible hébraïque. L’auteur anonyme de notre comédie en a puisé la matière dans la vie quotidienne de son entourage dont il nous livre l’image reflétée par un miroir déformant. 1. Quelques observations relatives à la condition juive aux Pays-­Bas au cours des xviie et xviiie siècles À la lumière des recherches historiques les plus récentes, l’opinion communément admise, selon laquelle les Juifs ont toujours vécu en Hollande dans la prospérité et en jouissant de l’estime générale, doit être fortement remise en cause quoique seulement de manière relative : en effet, comparée à la situation qui était celle des Juifs dans une série d’autres pays, la perception des Pays-­Bas comme un Eldorado juif est certainement correcte. Il est également exact qu’au cours du xviie siècle ainsi que pendant la première moitié du xviiie siècle les Juifs – essentiellement les Sépharades – ont pris en Hollande une part tout à fait remarquable dans l’ascension économique et culturelle du pays. L’histoire des Juifs n’est toutefois pas celle des magnats juifs et du clergé attaché à leur service. Pas plus aux Pays-­ Bas qu’ailleurs. Même ici, dans ce pays comparativement libre, la majorité des membres de la communauté et la plupart des membres des couches populaires devaient se battre pour parvenir à assurer leur existence quotidienne. La masse luttait contre les ordonnances et les restrictions imposées par les organes de pouvoir municipaux et les différentes guildes qui considéraient que l’artisan ou le boutiquier juifs constituaient leurs concurrents directs. À cet

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égard, il convient toutefois de souligner fortement que ces limitations imposées à leurs activités ne s’appliquaient pas aux Juifs en tant que tels – parce qu’ils étaient juifs –, mais à tous les non-­résidents de la cité. C’était donc tout autant le cas des habitants, non juifs, originaires d’autres villes hollandaises, désireux de se livrer à Amsterdam à l’exercice d’un métier ou d’y ouvrir une échoppe, sans qu’ils fussent titulaires du droit de bourgeoisie (poortersrecht). Nous trouvons un écho relatif à pareille interdiction pour les Juifs de se livrer au commerce de poissons dans une chronique restée inconnue jusqu’ici, rédigée en yiddish par un homme du peuple, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, et qui a trait aux événements qui se sont déroulés aux Pays-­Bas au cours des années 1740‑1752. Son auteur – que je suis parvenu à identifier – est Abraham Khayim Ben Tsvi Hirsh Braatbard, issu de la famille Kauveren15, né en 1699 et décédé en 1786. Cette chronique porte le titre Ayn Nayè Kurnayk fun 1740‑1756 (« Une nouvelle chronique de 1740 à 1756 »16). L’annotation relative à l’interdiction amstellodamoise de se livrer au commerce de poissons offre un vif éclairage quant aux rapports qui régnaient entre la masse et les membres de la communauté dont ils dépendaient, les parnasim, qui exerçaient sur elle un pouvoir quasi illimité. En même temps, nous découvrons quels étaient leurs rapports avec le pays hôte. Les 15. Ou Kobryn. 16. Après avoir fait état pour la première fois de cette chronique dans un article qui a paru dans la revue Maandblad voor de Geschiedenis der Joden in Nederland, 1 (2), 1947, p. 45‑47, Leo Fuks a publié une traduction néerlandaise des passages essentiels du texte chez Meulenhoff à Amsterdam en 1960, sous le titre De Zeven Provinciën in Beroering (« Agitation dans les Sept Provinces »). Le lecteur intéressé par le sujet trouvera une traduction française d’un bref extrait de cette chronique dans notre anthologie Le Yiddish tel qu’on l’oublie, aux pages 60‑70.

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faits que nous venons de rappeler revêtent suffisamment d’importance pour qu’il vaille la peine de nous familiariser avec l’original du texte de l’annotation que voici, dans une graphie quelque peu modernisée : Un incident survenu à Amsterdam concernant des poissardes non juives et – passez-­moi la comparaison – des Juifs À Amsterdam, le Shabès17 où l’on donne lecture à la synagogue de la péricope Toldès18 (1743), fut proclamée, par un ordre émanant du bourgmestre, des échevins et de tous les autres administrateurs municipaux et adressée aux chefs, notables et parnasim, une interdiction vraiment très grave ; à savoir qu’il est prohibé à tout Juif d’oser faire commerce de poisson, que ce soit dans la rue ou en se ren‑ dant au domicile des clients. Et que si d’aventure quelqu’un était surpris à enfreindre ce règlement, il s’ensuivrait un grand scandale. Et sur ordre de l’autorité, il a été donné lecture publique de cet édit sévère dans toutes les synago‑ gues. Après quoi, les notables qui sont des parnasim ont expédié leurs surveillants aux coins de toutes les rues et sur tous les marchés, avertissant chacun de ne pas se hasarder à se livrer au commerce de poissons sous peine d’encourir de la part du kool19 la peine qui lui échoira. Et de leur côté, les poissonniers étaient très attentifs à la chose. Et c’est ainsi que les poissonniers sont venus se justi‑ fier devant le kool en expliquant à cette occasion qu’ils ne voulaient pas s’incliner ni ne pourraient le faire tant 17. Shabès (de l’hébr. Chabbath) : le samedi, jour voué au repos. 18. Toldès (de l’hébr. Toldoth) : il s’agit des versets 19 à 28 du chapitre 25 de la Genèse. 19. Kool (de l’hébr. kahal) : la direction de la communauté juive.

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que les autorités n’interdiraient également aux poissardes non juives de vendre du poisson, et cela aussi bien dans la rue qu’à domicile, le long des maisons. Parce que c’est un pays libre où le négoce se pratique sans entraves : sinon il appartiendrait aux notables parnasim de pourvoir à leur entretien. Mais, si passionnante que soit cette lutte des pauvres marchands de poissons contre les notables parnasim, qui se comportaient en instruments dociles aux mains des autorités, et si intéressant que puisse s’avérer par ailleurs le résultat de ce conflit qui a abouti à la fondation de la guilde des poissonniers juifs Mazel-­dogim20, force est toutefois de reconnaître qu’elle n’a aucun rapport avec notre thème. Le passage de la chronique que nous venons de citer n’est qu’une preuve de la situation pénible à laquelle était réduit l’homme du peuple, même au cours de cet âge d’or. Car, du haut des tables richement dressées, alimentées par le commerce colonial florissant et les transactions financières internationales, seules quelques miettes savoureuses retombaient dans son giron. À l’exception de quelques professions qui n’étaient pas organisées en guildes (telles celles de la taille des diamants et de la manufacture du tabac), l’accès à l’artisanat était interdit aux Juifs. De telle sorte qu’il ne subsistait qu’une seule issue pour la grande masse : charger un ballot de mercerie sur ses épaules et le transbahuter d’un village à l’autre ; ou bien traîner derrière soi un chariot chargé de toutes sortes de victuailles « spéciales » pour les colporter le long des rues de la ville. Cependant, par la suite, lorsque grâce aux effets, indirects d’abord et directs ensuite, de la Révolution française sur les rapports politiques en vigueur aux Pays-­Bas, toutes 20. Mazel-­dogim (de l’hébr. mazal-­dagim) : litt. « chance poissons ».

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les entraves bloquant l’accès des Juifs tant à l’égalité économique que sociale et politique finirent par être levées, le déclin de la vie économique générale du pays atteignit son tréfonds. Et en 1798 – au moment où se tient la représentation de notre comédie –, sur un total d’environ 20 000 Juifs à Amsterdam, plus de la moitié des Sépharades sont à la charge des œuvres charitables communautaires, la proportion des assistés dépassant le deux-­tiers chez les Ashkénazes. Comme nous l’avons indiqué, la masse aussi a pu bénéficier – sous la forme des miettes qui lui étaient jetées du haut de la table – de la prospérité économique régnant dans le pays au cours du xviie siècle et de la première moitié du xviiie siècle. Comparée à la situation qui prévalait dans d’autres pays, la sienne lui permettait également d’y respirer plus librement. Et comme c’est généralement le cas en de pareilles circonstances, cette avancée n’a pas tardé à être suivie d’un essor sur le plan culturel. À l’époque, les imprimeries juives fleurissaient à Amsterdam. On a assisté à l’apparition d’un nombre incalculable d’ouvrages religieux et de livres en hébreu et en yiddish. En 1686, ce fut celle du premier journal juif les Dinstagishi un fray‑ tagishi kurantin21. Et… on jouait du théâtre. 2. Le théâtre en milieu sépharade Chez les Sépharades, qui ont commencé à s’établir en Hollande en 1593, la culture théâtrale était fortement développée, ce dont il n’y a pas lieu de s’étonner. Outre l’amour de la langue espagnole et de sa littérature, ils avaient emporté d’Espagne – le pays dont ils étaient ori21. Dinstagishi un fraytagishi kurantin : « Nouvelles du mardi et du vendredi », ancêtre de la presse yiddish.

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ginaires – beaucoup d’affection pour le théâtre. Aussi, une fois installés aux Pays-­Bas, ont-­ils non seulement écrit des œuvres dramatiques, mais ils en ont également joué. C’est ainsi que nous savons qu’en 1624, à l’occasion de la fête de Shavuès22, on a donné dans la synagogue sépharade de la communauté Beys-­Yakev23 une représentation de la pièce allégorique Dialogo dos montes – le « Dialogue des montagnes » – au cours de laquelle sept monts bibliques échangent longuement leurs arguments afin de déterminer lequel d’entre eux peut prétendre être le plus grand du monde. Les dialogues étaient accompagnés de chants choraux et d’un orchestre, ce qui rappelle très fortement les représentations du genre théâtral catholique des mystères. Ce n’est qu’en 1639 que l’on interdira de donner des représentations à la synagogue et l’on verra apparaître alors les « académies », c’est-­à-­ dire les clubs littéraires qui se donnaient également pour but de développer l’art théâtral. On peut supposer que ces « académies » ont pris naissance sous l’influence des « chambres de rhétorique »24 et des « académies » existant aux Pays-­Bas à cette époque.

22. Shavuès (de l’hébr. Chavouoth, litt. « semaines ») : l’une des trois fêtes juives de pèlerinage à l’occasion de laquelle sont célébrés tout à la fois le début de la moisson du blé et le don de la Torah fait par l’Éternel à Moïse sur le mont Sinaï. 23. Beys-­Yakev (de l’hébr. Beth-­Yaqov, maison de Jacob) selon la prononciation yiddish. 24. « Chambres de rhétorique » (Rederijkerskamers en néerlandais) : dénomination donnée aux sociétés littéraires hollandaises apparues au e xv siècle et organisées sur le modèle des guildes, et où se retrouvaient les gens d’un même métier ou d’un même quartier qui n’étaient donc nullement des poètes professionnels mais bien des amateurs au service du bien public. Ces chambres organisaient régulièrement des concours littéraires auxquels on pouvait participer en soumettant soit des poèmes

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Les familles sépharades très fortunées et estimées avaient adopté la coutume d’inviter dans leurs demeures patriciennes soit tous les membres d’une troupe, soit quelques artistes à titre individuel, et ils y donnaient alors des représentations pour les leurs et leurs amis proches. Nous sommes renseignés au sujet de ce genre de spectacles pour les années 1638 et 1641‑1651. La première information qui nous soit parvenue jusqu’à ce jour concernant une représentation théâtrale publique en milieu sépharade – en l’occurrence dans une remise ou un entrepôt – remonte à l’année 1667. Il s’avère que la troupe jouait sous la direction du poète, dramaturge et historien marrane Miguel (ou Daniel) de Barrios. Il est relaté dans deux actes25 enregistrés le 1er février de l’année 1667 précitée dans l’étude du notaire amstellodamois Jacobus Snel que les témoins Izac Levy Victorio, Izac Vaez Martinis et Jacobus Vaez Martinis – tous trois citoyens de la ville – ont déclaré connaître Aharon de La Pay, Benjamin Henriquez et Jacob Nabarro et qu’ils étaient certains que les personnes précitées étaient des associés d’Abraham Israël, de Daniel Levy Barrios et de Samuel26 Roza et qu’ils s’étaient souvent associés pour « jouer une certaine comédie dans l’entrepôt qu’ils ont pris en location auprès du demandeur Pieter Van Marten et qu’ils ont partagé entre eux l’argent qu’ils avaient reçu ». Les témoins déclaraient savoir en outre qu’à l’intérieur dudit entrepôt « plus de trente visiteurs avaient assisté à la comédie et l’avaient vue ». Un document daté du 28 décembre 1707 fait état d’une requête émanant d’« un certain nombre d’amateurs de soit une pièce de théâtre ayant pour thème du concours une question religieuse, politique ou morale. 25. Déposés aux archives municipales de la ville d’Amsterdam (L.F.). 26. L’auteur donne le prénom en yiddish : Shmuel.

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comédies espagnoles », adressée aux bourgmestres de la ville et sollicitant l’autorisation de jouer les mercredis étant donné que, ce jour-­là, le théâtre municipal faisait relâche, de sorte que les institutions municipales auxquelles étaient destinées les recettes des représentations n’en subiraient aucun préjudice. Et les requérants de faire valoir en outre que cela faisait déjà neuf années qu’ils agissaient de la sorte et que de toute façon le public qui assistait à leurs spectacles n’entendait pas le hollandais. La requête fut rejetée. Mais ce qu’il nous importe davantage de rappeler, c’est que la réponse émanant des autorités municipales évoque le fait qu’accorder l’autorisation sollicitée aurait eu pour conséquence de détourner du théâtre municipal la majeure partie du public issu de la « nation » juive et que huit à dix ans auparavant, après de multiples sollicitations, quelques membres de ladite « nation » étaient déjà parvenus à obtenir que leur fût accordée pour une seule et unique fois l’autorisation de jouer dans l’enceinte du théâtre municipal. Les Juifs sépharades qui ressentaient le théâtre comme une nécessité trouvèrent toutefois une issue leur permettant d’échapper à cette situation : ils se mirent à organiser des représentations pour les membres de cercles fermés (une pratique qui se poursuit encore aux Pays-­Bas à l’heure actuelle). Et nous disposons d’informations relatives au déroulement d’activités de ce genre, organisées par des ensembles théâtraux sépharades, en 1750 ainsi qu’au cours des années 1760‑1763.

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Notice relative à la tradition théâtrale juive à Mantoue S’agissant de la tradition théâtrale juive telle qu’elle s’est développée à l’extérieur des Pays-­Bas, on ne saurait passer sous silence le rôle tout à fait singulier qu’a joué la communauté juive de Mantoue. La cité elle-­même, devenue célèbre par la pompe qui caractwérisait la cour ducale, ne tarda pas à s’imposer au xvie siècle comme centre du nouveau théâtre italien. Et quoique sa communauté juive n’excédât pas 2 000 âmes, c’était fréquemment à elle qu’il revenait d’organiser les représentations scéniques qui rehaussaient les réjouissances de la cour. La compagnie théâtrale du ghetto local, dont les spectacles débutaient très tôt le vendredi afin qu’ils pussent s’achever avant le Chabbath (qui commence le vendredi soir) acquit une réputation enviable, tout comme celles d’autres villes italiennes abritant des communautés juives. Ainsi, le chroniqueur vénitien Marin Sanudo signale qu’une « très belle comédie » fut représentée au ghetto le 4 mars 1531, soit le lendemain de Pou‑ rim, et il y a tout lieu de supposer que de pareilles représentations se donnaient annuellement dans le ghetto de Venise. À l’occasion de la célébration des noces somptueuses du seigneur local Giovanni Sforzo avec la sœur de la marquise de Mantoue en 1489, la communauté juive de Pedaro mit en scène un drame inspiré par l’histoire de Judith et d’Holopherne.

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En 1525, nous apprenons que deux acteurs juifs célèbres de Ferrare, répondant aux noms de Salomon et de Jacob, furent dépêchés à Mantoue pour y jouer dans une comédie représentée à l’occasion d’un grand banquet offert par le cardinal local Ercole Gonzague. Puis, en 1549, on fait appel aux Juifs afin de monter une comédie pour agrémenter les noces du duc Francesco à Mantoue. Dans cette même ville, ils sont invités à jouer des pièces de l’Arioste en 1563, de Furoni en 1568 et de l’abbé Pino en 1583, pièce accompagnée d’une chorégraphie due au maître de ballet juif Jacchino Massarano. À partir de 1590, à la requête du duc Vincenzo, les spectacles de comédiens juifs se donnent à peu près chaque année à Mantoue, parfois avec pas moins de 80 participants. Cette compagnie théâtrale juive est redevable en grande partie de son succès extraordinaire à son imprésario, Leone Portaleone Sommi, qui incarne la transition vers le théâtre moderne et dont la réputation s’étendit à l’Europe entière.

3. Le théâtre en milieu ashkénaze L’intérêt manifesté pour le théâtre en Hollande n’était pas moindre en milieu ashkénaze. Car les Juifs ashkénazes pouvaient se prévaloir, eux aussi, de traditions théâtrales. Contrairement aux Juifs sépharades, ils les puisaient cependant dans le Purimshpil.

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La dimension subversive du Purimshpil Les Purimshpiln (plur. de Purimshpil, litt. « Jeu de Pourim »), dont l’existence remonte au moins au xve siècle, étaient des pièces ou farces à thème biblique que l’on avait coutume de jouer en milieu ashkénaze lors de la fête de Pourim, initialement sous forme de monologues humoristiques paraphrasant le Rouleau d’Esther ou parodiant d’autres textes sacrés. À partir du début du xvie siècle s’instaura l’habitude de donner des Purimshpiln dans des maisons privées à l’occasion du repas festif auquel donnait lieu la fête. Ces représentations ont joué un rôle notable dans la genèse du théâtre de langue yiddish. Pour en saisir la véritable nature, il s’impose de se reporter à l’analyse du phénomène carnavalesque à laquelle a procédé Mikhaïl Bakhtine. Selon ce sémiologue, loin de n’être qu’une simple manifestation folklorique, le carnaval au Moyen Âge doit être considéré comme une des expressions les plus fortes de la culture populaire. Celui-­ci se caractérise notamment par une dimension subversive, le carnaval devenant l’occasion que saisissait le peuple pour procéder pendant une durée limitée au renversement symbolique de toutes les hiérarchies et de toutes les valeurs sociales ou religieuses : les fous se muant en sages, les rois en mendiants et le sacrilège étant érigé en règle tandis que toutes les hiérarchies sont subverties. Or, s’agissant du Purimshpil, Ahuva Belkin a souligné que dans ces pièces apparemment dépourvues de structure, truffées de monologues et de personnages

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étrangers à l’intrigue principale, les personnages mythiques du Rouleau d’Esther sont transformés en bouffons, alors que la langue fourmille d’obscénités, d’indécences, de malédictions et de blasphèmes. Par sa dimension parodique et son humour cru, fondé sur la dérision et la transgression, les Purimshpiln incarnent donc la facette proprement carnavalesque de la culture populaire juive. Alors que les premiers Purimshpiln étaient représentés dans des maisons privées, à partir du xviiie siècle ils tendent à revêtir la forme de drames bibliques avec accompagnement musical, joués dans les lieux publics. Tel est le cas de l’Akhashveyresh-­shpil (le « Jeu d’Assuérus ») dont deux versions anciennes nous sont parvenues : l’une de Leipzig, sous la forme d’un manuscrit datant de 1697, et l’autre imprimée à Francfort en 1708. Vers la fin du xviiie siècle, les maskilim (partisans de la Haskalah, c’est-­à-­dire des Lumières juives) ont entamé une campagne énergique contre la langue yiddish, qualifiée de « jargon » et le Purimshpil censés symboliser ce que l’on qualifiait méprisamment de « culture du ghetto ». Et de fait, toutes les informations dont nous disposons à propos du théâtre en milieu ashkénaze coïncident avec la période de Pourim au cours de laquelle régnait dans le « ghetto » d’Amsterdam une ambiance très joyeuse, semblable à celle des réjouissances carnavalesques en Italie. Les mascarades et les bals se prolongeaient habituellement durant les deux semaines précédant la fête de Pourim et les deux semaines suivantes. Il convient de rappeler à cet égard que l’allégresse caractérisant la fête s’épanchait dans

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la rue et que celle-­ci avait lieu au moyen d’un cortège, qui empruntait la forme d’une mascarade avec accompagnement musical et retraite aux flambeaux, débordant fréquemment les limites du quartier juif et que la population non juive, empreinte d’un esprit de tolérance, l’accueillait avec énormément de sympathie. Aux origines du théâtre yiddish À propos des origines du théâtre juif, on ajoutera que, bien avant que ne soient apparues les premières tentatives de donner vie à des représentations d’art dramatique en langue yiddish, le public yiddishophone avait déjà pu se familiariser dans les régions de langue germanique allemande avec la représentation scénique et la déclamation théâtrale en assistant aux bonimenteurs et amuseurs publics qui se produisaient lors des événements festifs juifs et en particulier à l’occasion des mariages. Sous l’influence du narr – le bouffon des pays de tradition germanique –, on assista à l’émergence de la figure de l’amuseur public juif, appelé leyts, marshelik ou badkhn, personnage dont l’apparition s’inscrit dans le contexte médiéval juif, marqué par la présence de magiciens, troubadours et musiciens errants. Ainsi verra-­t‑on les leytsim (pluriel de leyts) et badkhonim (pluriel de badkhn) développer un répertoire spécifique de chants, devinettes, parodies et chansons sérieuses ou comiques, tradition à laquelle le théâtre musical yiddish sera largement redevable. Quant aux premières représentations de dialogues en langue yiddish ayant donné lieu à des manifestations scéniques, elles remontent au moins à la fin

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du xvie siècle. Ce qui est le cas de la farce intitulée Dos Shpil fun Toyb Yeklayn, Zayn Vayb Kendlayn, un Zeyere Tsvey Zinlekh Fayn (« Le Jeu de Yeklayn le sourd, de sa femme Kendlayn, et de leurs deux superbes enfants ») qui fut jouée à Tannhausen en 1598. Toutefois, ce qui domine à l’époque – depuis le Moyen Âge jusqu’au xixe siècle –, c’est le Purimshpil (« Jeu de Pourim ») : nous en trouvons des manuscrits à partir du xve siècle, les premières impressions étant apparues dès le siècle suivant. Le manuscrit le plus ancien d’un Purimshpil intégral, tel qu’il fut représenté, est l’Akhashveyresh-­shpil (« Jeu d’Assuérus ») de 1697, pièce caractérisée par un humour et des moqueries de nature scatologique ou sexuelle, et qui rappelle à divers égards le Fastnachtspiel allemand qui se jouait le Mardi gras notamment par le rôle central attribué au narrateur (appelé loyfer, shrayber ou payats). On y remarque déjà l’emploi de masques et de costumes. Au fil du temps, le genre va s’enrichir et se perfectionner en incorporant à la trame initiale de véritables dialogues, des indications de mise en scène, voire un accompagnement orchestral. Le célèbre érudit et voyageur Khayim Azoulay27, qui visita les Pays-­Bas en 1778 où il assista à un carnaval 27. Khayim (Haïm) Joseph David Azoulay (dit le Hida), né à Jérusalem en 1724 et décédé à Livourne en 1807, était un rabbin, cabaliste, talmudiste et décisionnaire sépharade célèbre. Son érudition lui valut d’être désigné comme chaliakh (émissaire) de la petite communauté juive de Terre sainte. Et c’est en cette qualité qu’il entreprit une longue tournée à travers l’Europe. Auteur prolifique (on a recensé pas moins de soixante et onze œuvres de sa plume), il rédigea également des journaux

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de Pourim à Amsterdam, a consigné ce qui suit dans son journal : Le samedi soir, on passa joyeusement la nuit entière dans les rues, revêtus de masques, à se rendre ridi‑ cules en raison de la fête de Pourim, comme si la ville entière leur appartenait, avec beaucoup de tumulte dans toutes les rues de la ville. Et la majorité d’entre eux étaient des Juifs ashkénazes d’Amsterdam, une commu‑ nauté comprenant plus de 50 000 âmes. Ils prennent déjà trop de libertés dans cette ville libre, comme s’ils étaient les maîtres de la cité et du pays. Un phénomène surprenant ! Et s’agissant des représentations théâtrales proprement dites chez les Juifs ashkénazes, voici ce que nous pouvons lire dans un document daté de 1683 : Depuis un certain temps les [Juifs] appartenant à la nation haute-­allemande [les Ashkénazes] ont transformé un entrepôt situé sur l’Oude Schans28 en véritable salle de théâtre, équipée d’une scène et de décors mobiles… où l’on donne trois fois par semaine – le samedi, le dimanche et le mercredi – des représentations de tragédies et de comé‑ dies. Le nombre de visiteurs s’élevait de 200 à 300 âmes. Et au nombre de ces derniers figuraient également des non-­Juifs. Le 25 février 1707, trois Juifs ashkénazes soumirent une requête au magistrat municipal afin de se voir autorisés à de voyage qui nous renseignent avec une extrême précision sur la vie juive et les événements historiques de son époque, tant en Europe qu’au Proche-­Orient. 28. L’Oude Schans (« ancien rempart » en néerlandais) est un canal de la ville d’Amsterdam situé à proximité de la Jodenbreestraat (« Grande Rue juive »), laquelle est située dans le Jodenbuurt, l’ancien quartier juif. Le peintre Rembrandt y vécut de 1631 à 1635 et de 1639 à 1656.

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jouer du théâtre en haut-­allemand ou en langue smous 29 , comme c’était l’usage depuis que des Juifs vivaient dans cette ville. Dans un journal hollandais du 25 mars 1726, un écrivain non juif nous a laissé une description détaillée du théâtre yiddish, de son aspect extérieur, de ses artistes, du jeu scénique et même de l’ambiance qui y régnait, qu’il a intitulée : « Une description du théâtre des smousen »30 et qui se laisse résumer comme suit : Un certain mercredi ou jeudi, je me suis égaré dans une remise en bois qui se trouve dans les Joodsche Houttuinen31. Pour une somme de 300 florins, les artistes smous ont transformé la remise en un théâtre israélite commode. L’aménagement de l’intérieur a été effectué conformément à un goût modeste qui ne correspond en rien à son aspect extérieur. On n’y voyait ni dieux ni déesses ni nymphes flottant dans les nuages vaporeux… Au lieu de ces spectacles de ballerines s’y trouvait une petite scène. À droite, il y avait un petit buffet chargé de toutes sortes de bonnes choses : de l’eau-­de-­vie, des gâteaux sucrés, des pipes bourrées de tabac ainsi que des oranges vermoulues. Deux lampes « honorables », qui avaient vraisemblablement éclairé autrefois le 29. Smous (plur. : smousen ou smouzen) : vocable hollandais qui se prononce comme l’allemand Maus. Terme injurieux remontant au e xvii siècle pour désigner un Juif, et plus spécialement un Juif ashkénaze, ainsi que sa langue usuelle, le yiddish. Il en existe également une variante féminine : smousin. Utilisé aussi pour désigner un chien au museau court et barbu. Dans l’argot hollandais : voleur, escroc ou agent de police. Le terme dériverait, pense-­t‑on, de l’allemand Maushe (Juif ou commerçant juif, de l’hébreu Moshè [Moïse]). 30. Terme injurieux désignant les Juifs. 31. Joodsche Houttuinen ou Joden Houttuinen (litt. « chantier juif ») : lieu-­dit de l’ancien quartier juif d’Amsterdam où est né Spinoza en 1632.

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mariage diabolique de Proserpine, flamboyaient en lan‑ çant sept flammes. Les lustres ont été allumés après un délai d’attente d’une heure et demie et seize minutes qu’il a fallu subir patiemment. L’orchestre était com‑ posé de quatre musiciens : les frères Polak. On a repré‑ senté « La Chance est ronde » de D. Heink 32 . Au lever du rideau, on vit surgir le roi, Laybkhè le Chapelier – accompagné de comtes et de la princesse Porsia – joué par le perruquier Nabarro… Mais en sautant du haut de son échelle, le roi Laybkhè oublia de prendre son manteau… Après qu’il eut déclamé un certain nombre de couplets qu’il accompagna d’une espèce de grom‑ mellement hébraïque, Loser Klodder reprit son rôle en récitant les vers suivants : — Toi, Prince, agis selon ta volonté. Et nous sommes impatients de t’entendre. C’est alors qu’en guise de réponse, Porsia a poussé un cri perçant à travers son nez teint d’un rouge écarlate : — Et c’est toujours avec joie que nous attendrons tes ordres afin de les exécuter. Ensuite, les dialogues se sont encore poursuivis pendant longtemps. Mais, vaincu par un sentiment d’impatience, l’auteur se retira de la remise où – nous assure-­t‑il – il manqua de peu de suffoquer en raison de « l’air hébraïque » et « des chaudes demoiselles smous » qui empestaient l’atmosphère. Au cours des décennies suivantes, le désir insistant de jouer des pièces de théâtre en yiddish et d’assister à des représentations jouées en cette langue ne faiblit pas au sein du public ashkénaze. Et il existe une abondance de preuves qui l’attestent. Malheureusement, presque rien 32. Auteur hollandais non juif qui écrivit des comédies (L.F.).

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n’a subsisté du répertoire que l’on jouait. C’est encore au cours des années quatre-­vingt du xviiie siècle qu’un Juif allemand, Jacob Herz Dessauer, parvint à constituer une troupe théâtrale de langue yiddish qui joua non seulement à Amsterdam, mais également en province. Il convient de mentionner que c’est également à Dessauer que revient l’honneur de pouvoir être tenu pour le fondateur de la première école d’art dramatique en milieu juif. Et durant plus d’un demi-­siècle, ses élèves ont assumé un rôle notable dans l’histoire du théâtre aux Pays-­Bas sous sa direction. Si initialement son répertoire était joué dans la variante hollandaise du yiddish et consistait presque uniquement en des traductions, il évolua par la suite pour se limiter à des représentations données en langues allemande et hollandaise. Mais qu’il s’agisse de son école d’art dramatique ou de sa troupe théâtrale, force est de constater que celles-­ci n’ont pu éclore que sur un terreau qui avait précédemment été labouré en profondeur durant des générations entières qui y avaient semé de riches traditions théâtrales, soit qu’elles lui fussent propres, soit qu’elles aient été empruntées au milieu environnant dans lequel on vivait. Aussi y a-­t‑il tout lieu de croire que le répertoire qui en a subsisté et dont nous avons hérité n’en reflète pas la véritable envergure telle que l’ont connue les Juifs des Pays-­Bas. Et à la lumière de la découverte qui a été faite, à la suite d’un pur hasard, de la comédie anonyme que nous intitulerons désormais Tout est bien qui finit bien, notre supposition gagne encore davantage en vraisemblance.

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4. La comédie Tout est bien qui finit bien La comédie débute par une lettre de la kehilè33 de Solnek adressée au parnas amstellodamois Reb Lipman. Le porteur de la lettre est un Yerushalmi – c’est-­à-­dire un Hiérosolymitain – revêtu de la qualité de meshulekh, qui s’est chargé de la tâche de récolter des fonds en faveur de la communauté gravement atteinte de Solnek, en Pologne. Il fait semblant de ne parler qu’hébreu, trait par lequel il évoque fortement le héros du récit Der Oyrekh (« Le Visiteur ») de Sholem-­Aleykhem34 qui, lui aussi, ne s’exprimait qu’en hébreu, avec « l’articulation prétentieuse appropriée ». En réalité, il s’agit d’un habitant de Breslau (l’actuelle ville polonaise de Wrocław), escroc notoire de surcroît, qui – s’apercevant qu’il était désormais « brûlé » à Breslau – émigre vers l’Allemagne, où on ne le connaissait pas encore, afin d’y tenter sa chance. De là, il envoie une lettre à Breslau, adressée à sa femme Lipkè Yentè qu’il a abandonnée sur place, revêtue d’une fausse signature et par laquelle il l’avise qu’il est décédé… Il se rend ensuite en Hollande, accompagné d’un serviteur, lequel se trouve être une jeune fille déguisée en jeune homme, qui s’est laissé convaincre 33. Kehilè (de l’hébr. kehillah) : communauté juive. 34. Sholem-­ Aleykhem (nom de plume de Sholem Rabinovich, 1859‑1916) est tenu, comme Mendelè Mokher-­Sforim et Yitzkhok Layb Peretz, pour un des trois pères fondateurs de la littérature yiddish moderne. Auteur de romans, nouvelles et pièces de théâtre, il a joui d’une immense popularité. En tant qu’humoriste, c’est à son imagination féconde que nous sommes redevables de la création d’une série d’archétypes, de mythes et de fables juifs d’une puissance et d’un attrait inégalés. La célèbre comédie musicale Un violon sur le toit ainsi que le film qui en a été tiré étaient basés sur un de ses personnages, Tevyé le Laitier.

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d’abandonner le toit paternel suite à la promesse qu’il lui a faite de l’épouser ultérieurement. Entre-­temps, sa « veuve », Lipkè Yentè, a épousé Reb Yoksh, un ami de Yerushalmi, qui, lui aussi, va abandonner sa femme pour débarquer à Amsterdam. Et à présent, voilà que Lipkè Yentè se met à parcourir le monde à la recherche de son époux, pour aboutir, elle aussi, à Amsterdam. Et, s’étant rendue au domicile de Reb Lipman, elle y trouvera non seulement son mari vivant, mais également l’époux « décédé ». La fraude est ainsi percée à jour. Yerushalmi retournera auprès de sa femme, Lipkè Yentè, et Reb Yoksh – qui est donc redevenu célibataire – offre son cœur à la servante de Yerushalmi. Laquelle, après s’être livrée à de longues recherches, rencontrera – elle aussi – son père à la résidence de Reb Lipman. Tous s’inclinent alors devant le « sort » qui leur est échu. Et la comédie de s’achever alors sur la chanson improvisée suivante, qu’entonnent successivement Reb Yoksh et son beau-­père, qui est le khazn de la kehilè de Fingerlokh35 : Quant à vous, je vous ai bénis, chacun selon le rang que lui a octroyé l’Éternel, de par Sa bouche, Honneur étant rendu en premier lieu au célèbre Rav36 et Gaon37 réputé, le Rabbin, Grand Maître et Génie flamboyant Yaqov Jacob Mochè Naran, Président du Tribunal rabbinique de la Sainte Communauté d’Amsterdam, qui constitue la couronne de cette souche38. Je vous souhaite, cher Rabbin, de passer toutes les années de votre vie dans le plaisir, 35. Notre traduction altère légèrement le texte afin d’y insérer des vers de mirliton conformément au manuscrit. 36. Rav (hébr.) : titre honorifique accordé aux rabbins. 37. Gaon : titre honorifique accordé autrefois aux présidents des académies rabbiniques de Babylone, titre utilisé au sens de génie. 38. Ces deux vers figurent en hébreu dans le texte.

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Et puisse l’Éternel, béni soit Son Nom, vous accorder tout ce que votre cœur désire – Puissiez-­vous éprouver également beaucoup de joie à voir et à entendre vos enfants ! Que l’Éternel envoie sa bénédiction, à vous et à vos proches, où que vous soyez présents ! Et à l’occasion de Pourim, puissiez-­vous assister encore à de nombreuses célébrations Et éprouver en toutes choses beaucoup de plaisir, de joie et de satisfactions ! Que chaque année un Reb Shmeril ou un Reb Yoksh de Tarnipol vienne donc festoyer Pour quelque peu en l’honneur de la fête de Pourim vous égayer ! Quant à vous, chers Messieurs, je vous souhaite à tous tout le bien possible ! À la joie de votre cœur et à la bonne humeur, soyez sensibles ! Si je vous ai plu ? – Voilà certes pas ce que je vous demanderai. Et même si cela ne vous aurait pas plu, je ne l’aurais pas moins engendré.

Voilà des strophes qui parlent d’elles-­mêmes en ce qui concerne le lieu et l’époque auxquels fut représentée cette comédie. Nous y percevons cette manière si caractéristique qu’avaient les comédiens des spectacles donnés à l’occasion de Pourim de s’adresser au public qui s’était assemblé pour les écouter. Fidèle à la tradition inaugurée par son père, le rabbin amstellodamois Shaul Loewenstamm, le fils tint donc également à célébrer Pourim avec magnificence et en grande pompe. En conséquence, il fit représenter dans sa très somptueuse résidence une comédie traitant d’une des questions les plus douloureuses que devait affronter la kehilè d’Amsterdam au cours de ces années-­là : à savoir celle de la pauvreté régnante. Mais il choisit d’en donner

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une description privilégiant une des manifestations caricaturales de cette misère. Tant par sa structure que par sa composition, notre comédie ressemble aux comédies hollandaises que l’on écrivait et que l’on jouait à cette époque. Ce dont il se déduit qu’outre l’érudition considérable dont il faisait preuve au sujet de la littérature juive traditionnelle, notre auteur anonyme n’ignorait rien des connaissances générales relatives à l’art scénique et à la technique théâtrale. Il possédait également un sens aigu de la langue. Ses personnages parlent le yiddish des régions dont ils sont originaires, sauf – forcément – Yerushalmi, qui se sert, quant à lui, d’un hébreu très vivant. Voilà qui démontre que l’auteur pouvait également se targuer d’un style admirable en hébreu. « Le nombre de comédies qui ont été imprimées dans les Sept Provinces (c’est-­à-­dire aux Pays-­Bas) au cours des e e xvii et xviii siècles… était tout aussi démesurément important que le nombre de pièces de théâtre qui ont été représentées sur scène » : c’est ce que constate J. A. Worp39, l’historien renommé du théâtre hollandais. « Dans les titres d’un très grand nombre d’œuvres scéniques, on bute sans arrêt sur des qualificatifs tels que : déguisé, trompé, déloyal, infidèle, etc. Ou bien sur des substantifs tels que : escroc, sorcier et ainsi de suite. C’est ainsi, par exemple, que le dramaturge H. Van Halmael a composé pas moins de dix-­ neuf comédies dont le personnage principal est un fripon ou un hypocrite, mais dont la fausseté se manifeste continuellement. Grossièreté, indignité et dévergondage caractérisent un grand nombre de ses comédies. »

39. L. Fuks n’a malheureusement pas cité l’œuvre de Worp à laquelle il se réfère.

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Cette caractérisation de la comédie hollandaise que nous offre J. A. Worp s’applique également dans une certaine mesure au théâtre yiddish auquel la grossièreté ne fait assurément pas défaut non plus. Mais s’agissant de l’art dramatique yiddish, le répertoire est toutefois marqué du sceau du psychisme juif et ses pièces sont l’expression de caractéristiques qui se sont constituées dans le cadre de relations sociales tout à fait particulières et qui se différencient dès lors très fortement de celles qui se manifestent dans le jeu théâtral hollandais. Tandis que Jacob Herz Dessauer célébrait des triomphes avec son Don Juan et tant d’autres opéras joués en allemand et en hollandais, on donnait donc à Amsterdam la représentation d’une comédie. Pièce conçue en yiddish populaire, mais conforme à toutes les normes du théâtre européen de l’époque. Même le fait que la troupe n’est pas considérée comme une grande compagnie théâtrale et n’était guère portée à soigner les décors ne diminue en rien sa valeur intrinsèque. Son auteur comptait sur l’imagination verbale du spectateur. Et l’absence d’effets résultant des décors est compensée dans une très large mesure par ceux qui découlent de la parole qui s’exprime sur la scène. Tout comme Sholem-­Aleykhem, notre auteur opère à l’aide d’expressions tout à fait familières à son public, puisées soit dans les prières quotidiennes, soit dans la Bible hébraïque ou le Talmud. Mais, dans la bouche de ses héros, elles reçoivent un contenu et une signification tout autres. Métamorphose grâce à laquelle il parvient à créer ou à accentuer des situations comiques. Par exemple, Reb Yoksh s’adresse à son beau-­père Reb Henerl en récitant un passage de la prière du matin : « Loué sois-­Tu, Seigneur, qui prépares les pas du coq – car si

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vous n’étiez pas venu ici, où auriez-­vous donc trouvé un gendre aussi distingué ? »40 Notre auteur anonyme est également doué d’un œil perçant. Et sait nous dessiner avec beaucoup d’à-­propos les différences de caractère qui opposent ses personnages. Ainsi, formant contraste avec Reb Yoksh – le prétendu talmudiste, exalté, futé et insolent –, nous voyons se dresser dans toute sa dignité et sa circonspection Reb Lipman le parnas et citadin amstellodamois, doué d’un esprit pertinent. À côté du personnage de Yerushalmi – un homme éminemment maître de soi, roué et raffiné –, nous voyons surgir le khazan Reb Henerl, un protagoniste godiche, naïf et lourdaud. Et les deux personnages féminins sont tout aussi réussis. Lipkè Yentè est le type de la bonne femme juive énergique et pleine de vie, qui ne s’incline pas aisément devant le sort. Elle ne supporte aucune injustice et part en chasse pour obtenir justice jusqu’à ce qu’elle soit parvenue… à Amsterdam. Elle a la langue acérée et bien pendue. Et troque aisément son rôle de femme faible lésée pour celui d’une personne amplement à même d’affronter des hommes du calibre d’un Yerushalmi ou d’un Reb Yoksh. Mais d’autre part, nous reconnaissons dans le profil de Taymerl41 une jeune fille simple et honnête sans expérience, vouée à devenir aisément la victime des circonstances ainsi que de l’ambiance environnante. 40. « Loué sois-­Tu, Seigneur, qui prépares les pas du coq » traduit l’hébreu Baroukh Ata Adonaï hamakhin mitsaadé gever. Sur ce point, la traduction anglaise de l’introduction de Leo Fuks, contenue en fin de volume, est autrement explicite en rappelant que le vocable hébreu gever signifie tout à la fois « homme » et « cock » – cock ayant en anglais, tout comme gever, le double sens de « coq » et de « bite ». 41. Leo Fuks adopte systématiquement la transcription Temerl, alors que le manuscrit de la pièce orthographie Taymerl.

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Dans cette comédie, la représentation du vif antagonisme qui opposait en ce temps-­là aux Pays-­Bas les Juifs hollandais, initialement originaires d’Allemagne, aux Juifs d’origine polonaise, occupe une place saillante, les Juifs polonais étant personnifiés par une figure telle que Reb Yoksh. Nous avons déjà indiqué qu’en réalité notre comédie n’a aucun rapport avec les célèbres Purimshpiln. Son seul lien avec ces derniers réside dans le fait qu’il est hors de doute qu’elle a été jouée lors de la fête de Pourim. Encore que l’on ne saurait exclure qu’après omission ou modification de certains couplets figurant tout à la fin, elle ait également été jouée à d’autres périodes de l’année. C’est que le but principal que l’auteur se proposait d’atteindre consistait à dévoiler la plaie purulente qui infectait le corps de la société juive hollandaise à l’époque. Et, plus précisément, la misère noire et la déchéance morale liées à cette situation. Car il n’avait nullement en vue une problématique aussi noble que celle que se proposait d’aborder l’auteur de la première comédie juive, Yitskhok Euchel42, qui, lui, entendait se servir de l’arme de la Haskolè43 pour obtenir la déclaration de l’égalité des droits pour les Juifs en Allemagne, ce qui signifiait en premier lieu pour eux l’abrogation des lois au contenu injurieux, telles que la capitation et la limitation du nombre de mariages. Or le 42. Isaac (Yitskhok) Abraham Euchel – Eykhln en yiddish – (1756‑1804), disciple d’Immanuel Kant et figure éminente de la Haska‑ lah à Berlin, composa sa Reb Henokh vers 1792. Quelques années plus tard (environ en 1796), un autre partisan berlinois des Lumières juives, Aaron Halle-­Wolfssohn, professeur à la Königliche Wilhelmsschule de Breslau, rédigea également une pièce – mais celle-­ci en allemand – destinée à propager les idées nouvelles : la comédie Leichtsinn und Frömmelei (« Frivolité et fausse piété »). 43. Haskolè (de l’hébr. Haskalah) : le mouvement juif des Lumières.

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Juif hollandais ne connaissait pas ce genre de discriminations légales offensantes. De même, la Haskolè – en tant que sujet de débats ainsi que la lutte véhémente menée à son propos qui opposait la vieille génération à celle des jeunes, telle qu’elle est reflétée dans la pièce d’Euchel Reb Henokh oder vos tut mè damit ? (« Reb Henokh ou Qu’en fait-­on ? ») – se posait aux Pays-­Bas dans de tout autres termes. Les Juifs ashkénazes, qui avaient pu assister en Hollande durant des générations entières au rayonnement de la Haskolè au sein de la communauté sœur sépharade, l’ont adoptée et se la sont appropriée à leur manière. Aux yeux des Juifs hollandais, le fait de se consacrer aux sciences profanes ne constituait en aucune manière une abominable hérésie, de sorte qu’ils n’ont pas dû entamer le moindre combat à ce sujet. Aussi, à l’époque où se jouait notre comédie, aucune lutte aiguë à propos de la question des langues – opposant esprits « éclairés » aux « obscurantistes », comme en Allemagne – ne pouvait y prendre racine. Néanmoins, les deux comédies se recoupent sur certains points. Elles sont toutes deux réalistes et dans toutes les deux les protagonistes parlent la langue de leur milieu. Mais, comme le conclut Max Erik44 à propos de la comédie d’Euchel, pour ce qui est de sa langue « elle n’est ni une comédie yiddish ni une comédie allemande ». Or, pareille conclusion ne saurait en aucune manière s’appliquer à notre comédie, car celle-­ci est entièrement rédigée en yiddish 44. Max Erik (pseudonyme de Zalmen Merkin, 1898‑1937). Érudit et écrivain yiddish de Pologne, spécialisé dans la littérature yiddish ancienne à laquelle il consacra notamment une synthèse qui fit date. Il s’installa en Union soviétique où il fut assassiné au cours de la vague de terreur stalinienne en 1937. Il a consacré une étude approfondie à la pièce d’Euchel intitulée Di ershtè yidishè komedyè (« La première comédie yiddish »).

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et, même en tenant compte de l’hébreu auquel a recours Yerushalmi, elle n’en appartient pas moins à la sphère linguistique de cette langue. Il ne saurait davantage être question d’une influence véritable d’Euchel sur notre auteur, quoique, à en juger d’après le texte, il ait sans doute connu la comédie du précédent, qui avait été rédigée tout au plus quatre années auparavant. Mais il y a lieu de rappeler à nouveau que la Haskolè hollandaise – sa lutte pour l’égalité des droits au sens de l’obtention du droit de suffrage actif et passif, le droit d’accéder à des emplois publics et ainsi de suite – était inspirée pour l’essentiel par la Révolution française et non par Moïse Mendelssohn. Et si nous nous plaçons à ce point de vue, nous comprenons également les tendances qui se manifestent dans la comédie en yiddish hollandais. Un des objectifs principaux des maskilim45 hollandais concernait la « productivisation » de la misère juive – c’est-­à-­dire pour reprendre l’expression qu’ils affectionnaient – « leur élévation sociale ». Un grand nombre de documents de cette époque nous rapportent les divers efforts qui avaient été entrepris à cet effet. Le directeur de théâtre Jacob Herz Dessauer, que nous avons déjà évoqué précédemment, a d’ailleurs consacré un poème à la question de la « productivisation ». Compte tenu de ce qui vient d’être exposé, on ne saurait en conclure que l’auteur hollandais de la comédie appartenait au club de maskilim Felix Libertate46 ou qu’il 45. Maskilim (hébr.) : partisans de la Haskalah, le mouvement juif des Lumières. 46. Felix Libertate (formule latine qui signifie « Heureux grâce à la liberté ») : association patriotique fondée à Amsterdam en 1795 par une centaine de patriotes juifs, partisans de la Haskalah et de la Révolution française, qui se donnait pour but l’émancipation des Juifs et l’obtention de l’égalité civique (à cette époque, en dépit de la « révolution batave », les

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ait été carrément membre de la nouvelle kehilè qui avait adopté l’appellation d’Adath Yechouroun47. En revanche, il était bel et bien un enfant issu du milieu yiddishisant hollandais ainsi que de son époque et se montrait attentif à ses problèmes. Eu égard aux caractéristiques spécifiques des Juifs hollandais, le simple fait d’avoir composé cette comédie ne saurait suffire à établir l’appartenance de son auteur au camp des maskilim, tout comme la circonstance que cette pièce fut représentée dans la demeure d’un rabbin d’Amsterdam ne démontre pas que ce dernier aurait été un homme que ses penchants portaient à sympathiser fortement avec le mouvement des Lumières. Dans le cas présent, nous savons d’ailleurs que le Rabbin Yakev Moyshè Loewenstamm appartenait justement au camp orthodoxe qui combattait la Haskolè locale. 5. Bibliographie C’est intentionnellement que je me suis abstenu d’alourdir cette introduction en y insérant des annotations ou des notes en bas de page. Je suis d’avis qu’elles constituent un désagrément aux yeux de la majorité des lecteurs. Personne n’est cependant tenu de me croire sur parole sans connaître Juifs n’étaient pas admis dans les sociétés révolutionnaires hollandaises). Ce n’est que le 2 septembre 1796 que l’Assemblée nationale de la République batave allait adopter à l’unanimité – sur proposition précisément des membres de Felix Libertate – un décret proclamant l’égalité civique des membres de la minorité juive. 47. Adath Yechouroun (hébr. : « communauté de Yechouroun »), appellation poétique qui désigne Israël. Communauté juive dissidente, acquise à l’esprit des Lumières et aux principes de la révolution batave, dont la synagogue fut inaugurée à Amsterdam en 1797.

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les sources auxquelles j’ai puisé mes informations. Les voici donc48 : 1. Der Diskurs (périodique yiddish qui paraissait à Amsterdam), Amsterdam, 1797‑1798. 2. Y. Schipper, Geshikhtè fun yidisher teater-­kunst un dramè, Varsovie, 1927‑1928. 3. M. Erik, « Di ershtè yidishè komedyè. Itzik Eykhels komedyè “Reb Henokh oder vos tut men dermit” », in Filologishè Shriftn, 3, 1929. 4. Z. Reisen, « Di manuskriptn un drukn fun Itzik Eykhels komedyè “R Henokh” », in Arkhiv far der Geshikhtè fun der yidishe Teater un Dramè, 1930. 5. Y. Schatzky, « Vegn Aren Halle-­Wolfsohns piesn », in Arkhiv far der Gesh. Fun yid. Teater un Dramè, 1, 1930. 6. Y. D. Azulay, Sefer Megl Tov ve go’. Khoveroth Cho‑ noth, Jérusalem, 1934. 7. Y. Schatzky, Di letztè shprotzungen fun der yidishè shprakh un literatur in holand, Vilnius, 1938. 8. Y. Schatzky, « Dramè un teater bay di Sfardim in Holand », in Yivo-­Bleter, 16 (2), 1928, p. 135‑149. 9. Y. Schatzky, « Purim-­shpiln un letzim in Amshterdamer geto », in Yivo-­Bleter, 19 (2), 1942, p. 212‑220. 10. Y. Schatzky, « Teater-­farvaylungn bay di Ashkenzim in Holand », in Yivo-­Bleter, 21 (1), 1943, p. 302‑322. 11. I. S. Mulder, « Bijdrage tot de Geschiedenis van de Joden in Nederland », in Nederlandsch-­Israëlietisch Jaarboekje, 1852, p. 78‑84. 48. Les indications bibliographiques fournies par L. Fuks sont malheureusement souvent très incomplètes et ne donnent parfois pas même la pagination. Il n’a pas toujours été possible de la restituer.

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12. « Hoogduitsche, Joodsche, Amsterdamsche, Toneelgezelschap » ; « Hoogduitsche, Joodsche Toneelgezelschappen » ; « Nadere Bijzonderheden omtrent Dessauer en zijn Toneelgezelschap », in De Neder‑ landsche Spectator, 1867. 13. C. N. Wijbrands, Het Amsterdamsche Toneel van 1617‑1772, Utrecht, 1873. 14. J. A. Worp, Geschiedenis van het Drama en van het Toneel in Nederland, Groningue, 1904‑1908. 15. « Oude Joodsche Toneelgezelschappen » (Italië), in Weekblad voor Israëlitische Huisgezinnen, 1914‑1926. 16. E. F. Kossmann, Nieuwe Bijdragen tot de Geschie‑ denis van het Nederlandsche Toneel in de 17e en 18e Eeuw, La Haye, 1915. 17. M. Wolff, « De Eerste Vestiging der Joden in Amsterdam, hun Politieke en Economische Toestand », in Biijdragen voor Vaderlandsche Geschiedenis en Oud‑ heidkunde, 9, 1910, p. 365‑400 ; 10, 1912, p. 134‑182 et 354‑369 ; 11, 1913, p. 88‑101 et 350‑376. 18. J. S. da Silva Rosa, Bijdrage tot de Kennis van den Economischen en Politieken Toestand der Hoogduitsche Joden te Amsterdam in het Begin der Vorige Eeuw, Centraal Blad voor Israëlieten in Nederland, Amsterdam, 1916. 19. J. A. Worp, Geschiedenis van den Amsterdamshen Schouwburg, 1496‑1772, Amsterdam, 1920. 20. I. Maarsen, « De Amsterdamsche Opperrabbijn R. Saul Lœwenstamm (1755‑1790) en zijn tijd », in Nieuw Israëlitsich Weekblad, 1921, p. 56‑57. 21. J. A. Van Praag, La Comédie espagnole aux Pays-­ Bas au xviie et au xviiie siècle, Amsterdam, 1923.

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22. S. Seeliglmann, « Die Juden in Holland, Eine Charakteristik », in Festskrift anledning af Prof. David Si‑ monsens 70-­aarige foedseldag, 1923, p. 253‑257. 23. D. M. Sluis, Uit de Geschiedenis der Groote Synagoge der Hoogduitsche-­Joodsche Gemeente te Amsterdam in de Jaren 1768‑1914, Amsterdam, 1924. 24. J. S. da Silva Rosa, « De Joden in de Schouwburg en in de Opera te Amsterdam gedurende de 17e en de 18e eeuw », in Vrijdagavond, 1, 1925, p. 46‑47. 25. J. S. da Silva Rosa, Geschiedenis der Portugeese Joden te Amsterdam, Amsterdam, 1925. 26. J. Zwarts, Hoofdstukken uit de Geschiedenis der Jo‑ den in Amsterdam, Zutphen, 1929. 27. A. M. Vaz Dias, « De Economische Positie van ‘t Gros der Amsterdamsche Joodsche Bevolking voor 1795 », in Nieuw Israëlitsich Weekblad, août-­ sept. 1934. 28. E. Boekman, Demografie der Joden in Nederland, Amsterdam, 1936. 29. L. Hirschel, « Cultuur en Volksleven », in Geschie‑ denis der Joden in Nederland, vol. I, Amsterdam, 1940. 30. L. Fuks, « Van Poerimspelen tot Poerimkranten », in Maandblad voor de Geschiedenis der Joden in Neder‑ land, 1, 1948, p. 6‑7. 31. J. A. Van Praag, « Hoe Onze “Portugezen” Purim Vierden », in Maandblad voor de Geschiedenis der Jo‑ den in Nederland, 1, 1948, p. 6‑7. 32. J. Melkman, David Franco Mendes, a Hebrew Poet, Amsterdam, 1951.

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Les informations relatives à la période d’émancipation des Juifs aux Pays-­Bas qui ont été intégrées dans l’introduction sont fondées sur la littérature originelle de l’époque, tel le manuscrit de la chronique yiddish de Bendit Ben Ayzik Wing. Document que l’on trouvera – à côté d’une importante collection de brochures traitant de l’émancipation – à la Bibliotheca Rosenthaliana49. L. F.

49. La Bibliotheca Rosenthaliana, fondée par Leeser Rosenthal (1794‑1868) qui était originaire de Nasielsk (Pologne), a été cédée à la bibliothèque municipale d’Amsterdam en 1880. Elle comprenait alors quelque 6 000 volumes relatifs au judaïsme. Elle n’a cessé de s’enrichir depuis et est actuellement conservée à l’université d’Amsterdam.

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Comédie en trois actes Personnages : Reb Lipman : Parnès et Gabè chargé de la charité et des aumônes. Yerushalmi : meshulekh. Reb Getz : le même. Karni-­Pera : la servante1* de Yerushalmi. Taymerl : la même. Reb Yoksh : le Bal Shem de Tarnopol. Lipkè Yentsh : son épouse. Reb Henerl : khazn de la communauté de Fingerlokh. Lieu : L’action se déroule à Amsterdam au domicile de Reb Lipman. Époque : À la fin du

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* Les notes sont en fin de volume, p. 61 et suivantes.

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Scène 1 (Reb Lipman, Karni-­Pera et Yerushalmi) Reb Lipman : (Il lit)2 « C’est un immense malheur qui s’est abattu ici sur la sainte communauté juive de Solnek ! On a volé l’érouv3 de la communauté, ce qui a pour conséquence que nul ne peut sortir de chez lui le jour de Shabès. Au contraire, à présent tout le monde est contraint de rester cloîtré chez soi, pareil à un voleur terré dans son trou. Et en outre, les clefs de la mikvè4 ont été égarées qui, à présent, se trouve fermée et verrouillée. Raison pour laquelle les femmes juives se trouvent dans l’impossibilité de procéder aux rites de purification de leur corps. Mais comme une transgression en entraîne une autre, voilà que nous est survenu un malheur plus grand encore en ce que cette année est une année embolismique5. Et en raison de cela, les habitants de cette ville se sont vus couverts de honte et exposés aux humiliations. Étant donné qu’il nous incombe d’empêcher la survenance de pareille calamité et de se prémunir contre elle, il s’impose aussi bien de réparer et remettre en état l’enclos que de remplacer les clefs

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disparues. Ce qui nous coûtera énormément d’argent. Or, nous nous trouvons démunis et dépourvus du moindre sou, que ce soit dans nos bourses, dans nos demeures ou dans nos cours. C’est pourquoi nous avons expédié un jeune homme afin qu’il parcoure toutes les villes et localités en vue de récolter des oboles, en commençant par la somme d’un demi-­ducat jusqu’à des dons et aumônes couvrant une année entière, de la fête des Cabanes, à celle de la Pâque et de la Pentecôte. Que chacun lui fasse donc un don correspondant à ses moyens, quand bien même il s’agirait de toute sa fortune. Et, à titre de récompense pour ce geste, vous échoiront honneur, grandeur et distinction. Aussi serez-­vous protégés contre tout envoyé des Anges du Mal – que l’Éternel vous en préserve à présent ! – qui viennent pour vous soutirer votre argent. Et étant donné que vous aurez laissé triompher en vous la vertu de la miséricorde, la rédemption pourrait survenir très prochainement parce que vous ne posséderez plus d’argent. Et nous pourrons entamer notre ascension vers Sion6, la ville magnifique, en chantant. Ont signé ici, dans la kehilè de Solnek : le petit Re’ouven fils de Yom-­Tov, Simkhè la Lentille, fils des Dix Plaies, Paltiel fils des Neumes7. » Karni-­Pera : À présent que vous avez entendu notre requête, nous ne doutons pas, Monsieur, que vous veillerez à tout faire pour la satisfaire au mieux. Car nous voudrions rapidement quitter ce lieu pour reprendre la route. Reb Lipman : Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir de faire. (S’adressant à Yerushalmi en hébreu) J’ai déjà entendu votre requête et je ferai ce qu’il m’est possible de faire.

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Yerushalmi : (En hébreu) Bien, Monsieur. Que l’Éternel veuille bien vous accorder longue vie, à vous ainsi qu’à tous les membres de votre famille ! Car il n’est pas de plus belle action à Ses yeux que de réparer un érouv, de procéder à l’ablution rituelle et de me remettre tout ce qui se trouve entre vos mains. Comme il est écrit dans la Torah, il ne convient pas au moment du départ que vous partiez les mains vides8. Que vos mains attestent donc la présence de votre cœur et la générosité de votre cœur ! À présent, je dois m’en aller et – si Dieu le veut – demain je reviendrai vous voir pour entendre comment les choses se présentent ? Dormez bien ! Reb Lipman : (En hébreu) Et vous de même. Karni-­Pera : Bonne nuit ! (Yerushalmi et Karni-­Pera s’en vont)

Scène 2 (Reb Lipman) Reb Lipman : (Seul) On n’a pourtant jamais vu surgir auparavant autant de meshulakhim comme on en voit à présent. En voilà un premier qui se présente, faisant état d’une persécution dans sa ville. Puis, en voilà un autre qui sollicite des fonds à propos du rachat de Juifs faits prisonniers à l’étranger. Qui sait si tout cela est bien véridique… Et en particulier en ce moment où pullulent les escrocs et les

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imposteurs. Il faut donc que je fasse preuve d’une grande prudence à propos de cette affaire. Et m’assurer en tout premier lieu si cet émissaire est ou non un meshulekh sincère et digne de foi.

Scène 3 (Reb Lipman, Reb Yoksh et ensuite Lipkè Yentsh) Reb Yoksh : (Il entre dans la pièce) Dobrè notz9 ! Quelle belle, agréable et chaleureuse soirée ! Que soit loué l’Éternel qui m’a permis de vous voir en pareille santé éclatante (il s’assied) ! Ma parole ! Voilà donc un notable ashkénaze, une personne vraiment distinguée, mais qui, avec tout cela, n’en est effectivement pas moins un bon petit Juif pour autant. Voilà qui est vraiment unique et dont on ne trouvera pas l’équivalent ailleurs. Surtout que j’avais même déjà entendu parler de vous en Pologne : chem akhad10 Éliézer Lipman, quelqu’un du nom d’Éliézer Lipman, akhad hameyoukhad shebadro11, un personnage unique qui émerge du lot, qui est présent ici et […]12. C’est qu’il faut se rendre compte de quel merveilleux personnage – oui, vraiment merveilleux – il s’agit là ! À Pantevskè13, il eût carrément été un sénateur ! Mon cœur déborde de joie en constatant que l’Éternel – béni soit-­Il et béni soit Son Nom ! – possède vraiment encore de tels enfants. Et c’est pour cette raison que j’ai décidé immédiatement après Yontev14 – pour autant que l’Éternel me le permettrait ! – qu’ayant entrepris à titre de pénitence une vie d’errance, d’une localité à l’autre, je me rendrais dans votre ville et que j’irais vous trouver aussitôt afin de pouvoir bavarder avec vous et de contempler votre visage. Et l’Éternel m’est

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venu en aide, de sorte que j’ai pu me rendre jusqu’ici et que j’ai eu l’honneur de pouvoir vous voir dans votre vertueuse demeure… Essayez donc ! Allongez-­moi du moins… Combien voulez-­vous ? Quelques centaines de ducats hollandais. Même le fait de voir tous les ennemis d’Israël expier leurs péchés n’aurait jamais pu me faire éprouver une jouissance comparable à celle que je ressens en voyant que vous êtes – Dieu merci ! – en bonne santé. Que faire de l’argent qui, en fait – que votre honneur veuille bien me passer l’expression – n’est qu’un amas d’excréments ? Ma’aleh asou bayoukhasin15 : « la véritable vertu, c’est le lignage », vertu qui n’en connaît pas qui lui soit supérieure. Reb Lipman – ô ma couronne, mon cœur ! – croyez-­moi en toute bonne foi : je vous aime passionnément, d’un amour parfaitement désintéressé. Reb Lipman : Que me chaut donc pareille flagornerie ? Ici, elle ne vous avancera à rien. J’aimerais plutôt entendre ce que vous désirez. Reb Yoksh : Flagornerie ? Dieu m’en préserve, voilà un trait de caractère qui m’est totalement étranger. Laissez-­moi donc d’abord vous expliquer qui je suis et – ma parole ! – vous regretterez de vous être servi de pareilles expressions inconvenantes à mon égard. Il faut que vous sachiez que je m’appelle Reb Yoksh, Bal Shem de Tarnipol, et tout comme j’ai entendu parler de vous, vous aurez certainement entendu parler de moi. Par là même, vous devez donc comprendre que je ne suis pas un plaisantin, mais un homme capable de faire des choses dont on n’a jamais entendu parler ni vues jusqu’à ce jour. Ah ! Vous m’objecterez sans doute qu’il est écrit : Yehallelekh zar velo pikh16,

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« Qu’un autre fasse ton éloge et non ta propre bouche ; un étranger et non tes lèvres à toi ». Alors, me direz-­vous, comment osez-­vous vous vanter de la sorte ? Pas plus que cela, non. Il est écrit Yehallelekh zar, qu’un étranger peut faire ton éloge : et l’on entend par là qu’un parfait étranger, qui ne vous connaît pas du tout, lui peut le faire. Ce dont il se déduit que si l’on connaît bien quelqu’un – c’est votre cas, par exemple, car vous aurez déjà certainement entendu parler de moi – eh bien ! pareille personne ne peut pas prononcer l’éloge. C’est pourquoi, vous conformant au verset, vous n’avez pas procédé à mon éloge. Et moi, de mon côté, je me conforme donc également au verset en me louant tout seul. Reb Lipman : À présent […]17, je saisis parfaitement quel genre de personne vous êtes. Et je vous crois absolument lorsque vous dites que vous êtes capable de faire des choses dont on n’a jamais entendu parler ni vues jusqu’à ce jour. Effectivement, de ma vie, je n’ai encore jamais entendu pareille interprétation d’un verset de la Bible ! Reb Yoksh : Aïe ! Excusez-­moi, ce n’était là qu’une espièglerie de ma part. Mais vous ne tarderez pas à apprendre de ma bouche une aventure épouvantable, telle qu’il ne s’en est pas produit depuis que le monde est monde. Reb Lipman : Je serais curieux d’apprendre en quoi consiste votre procédé ?

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Reb Yoksh : Je vous en toucherai un mot, mais, d’abord – je m’en excuse mille fois et veuillez m’en pardonner mille fois également –, voudriez-­vous donc me tendre une pipe et du tabac ? C’est que je voudrais bien fumer un peu. (Reb Lipman lui donne l’une et l’autre, sur quoi Reb Yokshè bourre sa pipe, prise le tabac, crache ensuite par terre et toussote avant de poursuivre) Il faut d’abord que vous sachiez, cher Reb Laybelè, que chez nous, à Tarnipol, on comptait certainement, sans exagération aucune, vingt épouses stériles, qui de toute leur vie n’avaient jamais eu d’enfants. Alors – pour faire bref –, on m’a fait appeler et je leur ai aussitôt glissé une formule cabalistique. En outre, j’ai en effet également fait un petit quelque chose en passant et – excusez-­moi de m’exprimer aussi crûment – voilà qu’instantanément elles sont toutes devenues enceintes. Jusqu’à être grosses de six enfants à la fois. À présent, ces enfants sont déjà grands. Et, comme leurs mamans étaient transportées de joie du fait que je leur étais venu en aide, elles ont aussi enseigné à leurs enfants qu’ils devaient également m’appeler Tatè ! Tatè18 ! De sorte que cette histoire s’avère en définitive être bien plus conséquente que vous pouviez le penser. Reb Lipman : Voilà qui n’est toutefois pas un si grand miracle que cela : on pourrait en faire autant ici. Nul besoin d’être un Bal Shem pour cela. Sauf qu’ici aucun homme convenable ne se permettrait de se comporter de la sorte. Reb Yoksh : « Tous ceux qui voudraient adopter un nom ne peuvent pas le faire pour autant. »19 Il ne faudrait pas s’imaginer

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que tout un chacun peut le faire. Seulement, il se trouve – Dieu merci ! – que je suis un véritable as en la matière. Voilà un premier point. Et, en second lieu, écoutez-­moi bien : vous savez certainement que chez nous, en Pologne, on ne trouve pas de fous. Voilà tout de même ce qui est connu de tous et que chacun sait. Alors voilà qu’on s’est pointé chez moi pour me tenir le langage suivant : « Reb Yoksh, notre père, pourquoi n’y aurait-­il pas également des fous chez nous autres ? Pourquoi serions-­nous donc pires que les autres nations ? Et pourquoi devrions-­nous manquer de fous ? » Alors je lui ai répondu, en bon frère : « Je vais vous aider. Amenez donc des gens chez moi. » Et se sont donc amenés tous les notables, les richards et une quantité innombrable de personnages distingués. Et ensuite, qu’ai-­je donc fait ? Eh bien, je suis allé à leur rencontre. L’un d’entre eux, je l’ai dépouillé de ses deniers au moyen de formules magiques. Et d’autres, j’ai éloigné d’eux leur épouse. Jusqu’à ce qu’ils aient tous effectivement fini par perdre tout à fait la raison à la suite de ces persécutions. Mais il ne faudrait pas que vous croyiez que j’ai pu garder cet argent ou ces femmes ! Que la miséricorde divine nous protège ! Et que le Ciel nous en préserve ! Reb Lipman : Et qu’avez-­vous donc fait de cet argent ? Reb Yoksh : Pour ce qui est de l’argent, j’ai fait une bonne action : j’ai laissé brûler toutes les nuits une chandelle devant la mikvè afin que l’on puisse constater en tant que témoin oculaire qui était une bonne Juive, à savoir si elle pratiquait ou non l’immersion rituelle prescrite pour se purifier après les règles. Car le bruit courait qu’il y avait des bonnes

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femmes qui ne se conformaient pas de manière rigoureuse à cette prescription. Reb Lipman : Et qu’avez-­vous fait de ces femmes ? Reb Yoksh : En fait, voyez-­vous, ces créatures étaient déjà de vieilles peaux. De sorte qu’ayant cessé de pouvoir procurer la félicité en tant que femmes, elles n’étaient plus du tout aptes à ce que vous savez. Alors que – comme il est écrit – elles avaient pourtant été « créées, non pour demeurer désertes mais pour être habitées »20… Cela étant, que fallait-­il donc faire de ces malheureuses vioques ? J’ai donc veillé à ce qu’elles fussent répudiées. Et qu’on érige à leur intention un refuge pour femmes, une maison où ces vieilles rombières pourront traîner jusqu’à ce qu’il plaise au diable de venir les chercher. Alors, dites-­moi donc, ne s’agit-­il pas là d’une bonne action ? Reb Lipman : Une bonne action, en effet ! Eh bien, écoutez-­moi, cher ami. Vous êtes bien un Bal Shem, un maître du nom, n’est-­ce pas ? Alors, au nom de tous les démons fichez-­moi le camp hors de ma demeure et allez au diable ! Sinon, je vous ferai flanquer dehors, briser les os et rompre le cou, espèce de canaille ! Reb Yoksh : Comment ? Canaille, dites-­vous ! Auriez-­vous la prétention d’enseigner l’alphabet à un sage paré de toutes les vertus tel que moi, fichu Allemand21 que vous êtes !

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Reb Lipman : Il se pourrait bien, en effet, que vous ne connaissiez pas l’alphabet non plus, espèce d’ignorant ! Pensiez-­vous donc également rendre fous les Juifs ashkénazes22 ? Taillez-­vous, espèce de chien galeux ! Reb Yoksh : Comment ? Je devrais tailler ma barbe ? Je ne suis pas un bâtard de Juif allemand, moi ! Quoi, raser carrément ma barbe qui a grandi dans la sagesse ? Que mes ennemis ne puissent vivre assez longtemps pour assister à pareille horreur ! Reb Lipman : Non, vous devez garder votre barbe. Ainsi on pourra dire qu’à défaut de sagesse on y trouve du moins de la barbe23. Mais un Juif ashkénaze n’est pas un imbécile et ne se laisse pas rouler. Et n’a en vérité nul besoin de porter la barbe. Allez-­vous-­en, Amalek24 ! Ce n’est pas sans raison qu’il est écrit que le démon tend des pièges25 : parce qu’un nigaud tel que vous est aussi un Amalek, que son nom et son souvenir soient rayés de nos mémoires ! Reb Yoksh : C’est un véritable péché que de dire un mot de bien au sujet d’un Allemand ! La peste soit de tous les Allemands : des ordures, des voleurs, des canailles de chiens, des bandits, des vauriens ! Attendez seulement un moment… Je… je vais simplement jeter un coup d’œil sur vous… Et ce sera fini… (il s’apprête à quitter la pièce, mais au moment d’approcher de la porte il rencontre Lipkè Yentsh).

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Lipkè Yentsh : (Le retient en criant) Ah ! Espèce de salopard, cette fois-­ci, j’ai quand même fini par te rencontrer ! Aïe, ce que tu m’as pu faire crier ! Tu m’as abandonnée ici, en me vouant à une vie de chien en Pologne, pour décamper en Allemagne. Et tu voulais me plaquer et me lâcher ici en m’infligeant le sort d’une épouse abandonnée que la disparition de son mari place dans l’incapacité de se remarier ! Mais l’Éternel – béni soit Son Nom ! –, Lui, a accepté d’endosser ma peine et m’est venu en aide, faisant en sorte que je te retrouve, espèce de jocrisse ! Reb Yoksh : (Demeure figé sur place, pétrifié sous le coup de l’ef‑ froi) Ah !… Elle doit être folle, cette bonne femme juive ! À tous les diables ! Je ne vous ai encore jamais vue depuis que je suis né ! Alors fichez-­moi la paix ou je vous arracherai les entrailles ! Lipkè Yentsh : (Elle le traîne devant Reb Lipman – qui a observé attentivement toute la scène – et déclare, s’adressant à ce dernier) Cher Monsieur, ô Père chéri, aidez-­moi, je vous prie, à me dégager de l’emprise de cet homme infâme et vicieux, ce qui s’appelle un vrai pécheur malfaisant ! Et il persiste à nier. (S’adressant à Reb Yoksh) Comment ? N’es-­tu pas Yoksh le Voleur, espèce d’Akhashveyrosh26 ! Ah ! Tu pensais peut-­être me rouler moi aussi, comme tu arrives à tromper le monde entier ? Ah toi ! Avoue du moins tout de suite au cher Juif qui se trouve ici que je suis ta femme Lipkè Yentsh ? Sinon, je t’arracherai un œil et je ferai sauter toutes les dents qui ornent ta gueule !

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Reb Lipman : Du calme, de la mesure, chère Dame ! Inutile de faire du tumulte. Exposez-­moi plutôt clairement ce que vous exigez à présent. Et ainsi je pourrai certainement vous prêter mon assistance dans la mesure du possible. Lipkè Yentsh : J’ai peur de voir survenir ce bâtard fils-­de-­pute. Car vous n’avez vraiment pas idée à quelle espèce de charogne puante vous avez affaire. Reb Lipman : J’avais déjà pu me convaincre auparavant de quelle espèce de fripon il s’agissait. (S’adressant à Reb Yoksh) Quant à vous, ne vous avisez pas de partir d’ici tant que vous n’aurez pas accordé le divorce à votre épouse27. Reb Yoksh : Comment donc, « mon épouse » ?! Que la peste l’emporte ! J’ignore absolument qui c’est, cette mégère ! Et en voilà assez ! Et en outre, en quoi cela vous concerne-­ t‑il donc ? Il y a un instant, vous m’avez donné ordre de déguerpir : eh bien, je vais partir sur-­le-­champ ! Bonsoir, Reb Libli28. Et bonsoir à vous, la Juive (il s’apprête à partir). Reb Lipman : (Le saisit par le bras et le ramène en arrière) Vous devez rester ici, vous dis-­je. Reb Yoksh : Que tous mes cauchemars s’abattent sur la tête de mes ennemis ! J’aimerais bien savoir ce que vous voulez au

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juste ? Voici que l’on peut constater ce que c’est qu’un Juif allemand : il lui suffit d’apercevoir une femelle, fût-­ elle une Polonaise, et du coup le voilà qui se sent obligé de se dévouer pour elle ! Reb Lipman : Fermez-­la donc, grossier personnage ! Répondez, si vous le voulez bien. Sinon, je devrai vous livrer aux mains de Goyim29. Car il faut que vous sachiez que vous vous trouvez ici en pays ashkénaze. Reb Yoksh : Cela, je le sais bien ! Mais30 la question qui se pose est de savoir pour quelle raison vous devriez me remettre entre les mains de Goyim, alors qu’ici même je me trouve déjà de toute façon entre les mains d’un Goy ? Car qui dit « Ashkénaze » entend déjà tout simplement par là Goy. Et quoiqu’il n’y ait pas véritablement de preuve à ce sujet, l’appellation même d’« Ashkénaze » en fournit une indication très claire. Parce que les lettres initiales du mot « Ashkénaze » correspondent aux termes Gens, Ignobles, Chiens, Fornicateurs, Bâfreurs31. Et comme picoler est inclus dans le fait de bouffer, vous voyez bien que le seul terme d’« Ashkénaze » comprend toutes les qualités. Alors donc comment cela pourrait-­il être pire que chez vous ? Reb Lipman : Libre à vous de dire ce que vous voudrez au sujet des Ashkénazes. Mais le pays d’Ashkénaze demeurera le pays d’Ashkénaze. Quant à vous, vous resterez une charogne. (Puis, s’adressant à Lipkè Yentsh) Et à présent, vous pouvez exposer ce que vous désirez.

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Reb Yoksh : Et moi, je vous dirai ce que, moi, je veux. Yentsh : Et en quoi consiste donc ton désir, espèce de voyou ? Reb Yoksh : Ce que je voudrais, moi, c’est qu’on vous pende au moins à une potence ! Car ce que je dois subir est une nouvelle persécution. Comment faire pour se débarrasser de vous ? Yentsh : Tu t’es fait passer pour un Bal Shem véreux32, n’est-­ce pas ? Eh bien, maintenant, à l’aide de tes Sheymès33, tu n’as qu’à faire en sorte qu’un diable t’emporte ! Comment donc ? T’imaginerais-­tu que je ne suis pas au courant de tes sales histoires ? De chaque endroit où tu t’es rendu, on m’a déjà rapporté le genre d’exploits auxquels tu t’es livré ! Et que tu as prétendu être un Bal Shem. (S’adressant à Reb Lipman) Mon cher Père, vous n’avez aucune idée du genre de gredin qu’il est. Je vous supplie par conséquent, avec tout le respect que je vous dois, de vouloir faire en sorte qu’il me remette l’acte de répudiation. Et pour le reste, qu’il disparaisse donc en enfer, au séjour des morts, ce criminel qui berne le monde entier ! Ce faisant, vous vous assurerez votre place dans l’au-­delà : car il ne saurait certainement pas y avoir de meilleure action sur terre que de mener à bien ce divorce. Oh là là, quel malheur ! Si seulement j’étais restée veuve et ne l’avais pas reconnu !

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Reb Lipman : Écoutez-­moi bien ! Mais soyons brefs et précis et épargnez-­nous de longues tartines ! Et reconnaissez donc les faits. Sinon, je vous jure sur mon âme que cette histoire se terminera très mal pour vous. Car en ce cas, je me verrais obligé de divulguer cette affaire, de la porter à la connaissance du grand public. Et vous seriez mis au ban de la communauté juive. Lipkè Yentsh : Mon cher Monsieur ! Voyez : j’avais conservé sur moi la ksubè34, le contrat de mariage qu’il m’avait remis (elle sort la ksubè). Lisez donc ! Reb Lipman : (Lit la ksubè) Nu35 ! Que pourrait-­on bien exiger de plus en fait de preuve ? Reb Yoksh : Doucement ! Mollo ! Yentshki36, écoute-­moi donc. J’admets avoir commis un péché. Je t’ai malheureusement fait de la peine, ma pauvre, et je me suis comporté très mal à ton égard. Nu ! Alors, tu veux divorcer, tu veux un guet ? Eh bien, voilà, Reb Libli, je lui accorderai le divorce rabbinique. Seulement, je ne puis te remettre la ksubè, l’acte de mariage37. Et ce, pour plusieurs raisons : en premier lieu, parce que je n’ai pas d’argent ; ensuite, parce que je dois veiller à pouvoir remettre la ksubè à une autre épouse ; enfin, en troisième lieu, je ne puis pas violer le testament qu’a laissé mon père. Parce que mon père a divorcé successivement de six épouses sans qu’il ne leur ait jamais remis de ksubè. Et avant de décéder, il m’a communiqué ses dernières volontés par ces paroles : « Beni38, Mon fils !

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Agis comme moi je l’ai toujours fait : lorsque j’ai accordé le guet à ta maman et aux autres épouses que j’ai eues, elles ont remercié Dieu d’être enfin débarrassées de moi. Et je ne leur ai pas remis la moindre ksubè. Alors, lorsque l’Éternel – béni soit Son Nom – t’accordera la faveur d’en être arrivé, toi aussi, au même point – que le Tout-­Puissant veuille qu’il en soit ainsi ! – agis de même, toi aussi. » Nu ! Comme vous le savez, c’est une bonne action que d’exécuter les dernières dispositions d’un défunt. En un mot, dis-­moi, es-­tu satisfaite ? Si oui, tant mieux. Sinon, je n’ai pas d’autre solution – si amère et triste que soit cette potion – que de laisser les choses en l’état jusqu’à ce que l’Éternel – béni soit Son Nom ! –, t’ayant prise en pitié, te retirera du monde. Ce qui serait une très bonne solution parce que ainsi, toi, tu ferais l’économie d’une procédure de guet ; et moi, du souci d’avoir à te remettre une ksubè. Yentsh : Espèce de voleur, va ! Et tu ne te gênes pas non plus pour maudire ! Reb Yoksh : Mais je ne te maudis en aucune façon lorsque je dis que tu dois devenir une victime expiatoire. N’est-­il pas écrit qu’« il n’est point de pouvoir contre le jour de la mort »39 ? Par conséquent, comment pourrait-­il être question de te maudire, alors que ce que je te dis c’est pour ton bien ? Yentsh : Et si c’est toi-­même qui devenais ainsi ma victime expiatoire, je ferais également l’économie d’un guet et toi tu serais dispensé de me remettre une ksubè. Seulement, toi, tu ne crèveras pas si vite que cela. Comme on dit en pays d’Ashkénaze, ne gaspille pas en beuveries ce qui

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appartient à la potence. Par conséquent, je ferai comme l’a fait ta maman : je ne veux donc pas de ksubè, mais libère-­moi seulement des liens du mariage. Reb Yoksh : Très volontiers. Voilà – ma foi ! – qui est très bien. (S’adressant à Reb Lipman) Reb Libli, vous voudrez bien m’excuser de vous avoir cassé les pieds ? Car ce soir, c’est la veille de Yom Kippour40. Aussi suis-­je tenu de vous demander pardon. Reb Lipman : Comment donc, serait-­ce la veille de Yom Kippour aujourd’hui ? Reb Yoksh : Que fait-­on donc Erev Yom Kippour, la veille de Yom Kippour ? On célèbre la cérémonie à l’aide d’une volaille. Et ce jour, moi, je bats ma femme en tant que victime expiatoire de mes péchés et m’en débarrasse ainsi avec grand honneur ! Nu ! Reb Libli, à présent je vous prie de veiller à nous séparer. Faites donc appeler un scribe, qu’on en finisse au plus vite ! Reb Lipman : Partez donc à présent. Et entre-­temps, je veillerai à tout régler. Reb Yoksh : Nu ! Viens donc ! Viens ! Toi qui es encore mon petit bout de femme pour l’instant. Yentsh : Nu ! Sors-­toi d’abord et je te suivrai volontiers.

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Reb Yoksh : Je m’en vais déjà. Bonsoir ! Yentsh : Vous aussi, passez une bonne soirée ! (Reb Yoksh et Yentsh s’en vont)

Scène 4 (Reb Lipman tout seul) Reb Lipman : Dieu merci, je puis enfin me reposer un peu. Tout ce vacarme m’a donné mal à la tête. J’ai perdu mon temps ici et à présent je dois vaquer à mes affaires (il s’en va). FIN DU PREMIER ACTE *

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DEUXIÈME ACTE

Scène 1 (Yerushalmi, Karni-­Pera et ensuite Reb Lipman) Yerushalmi : (S’exprime en hébreu) Ne se trouve-­t‑il personne à la maison ? (Poursuit en yiddish) Je puis donc parler en allemand1 puisque personne ne peut nous entendre. Car que pouvons-­nous faire d’autre ? Nous sommes bien obligés de recourir à la dissimulation vis-­à-­vis du monde extérieur, sinon pas moyen de gagner de l’argent, ma chère enfant ! Pourquoi es-­tu si triste ? T’aurais-­je insultée de quelque manière ? Dis-­le-­moi donc. Karni-­Pera : Je vous dirai la vérité. Je suis profondément chagrinée d’avoir abandonné la maison de mon père et de devoir traîner derrière vous en me faisant passer pour votre serviteur. Qui sait à quel point mon Papa est dévoré de chagrin au sujet de sa fille unique sur qui il avait fondé tous ses espoirs ? Alors que moi je me suis comportée si mal en l’abandonnant. Si seulement vous n’étiez pas venu chez

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nous ! Car ce faisant vous avez rendu mon pauvre père malheureux. Yerushalmi : Mais es-­tu folle ! Quelle idée t’est venue à l’esprit ? Dis-­moi donc ce qui manque ? Tu vis beaucoup mieux auprès de moi que chez ton pauvre père qui n’est que khazn d’une toute petite bourgade et éprouve suffisamment de difficultés à pourvoir à sa propre subsistance. Crois-­moi, il doit remercier l’Éternel d’être débarrassé de toi. Karni-­Pera : Comment ? Croyez-­vous que tous les hommes ont aussi mauvais caractère que vous-­même ? Vous trompez2 le public en prétendant être un Yerushalmi, un Hiérosolymitain. Et moi, pauvre fille, je dois jouer auprès de vous le rôle d’un domestique. Mais j’en ai déjà soupé et j’ai décidé de tout dévoiler, car ma conscience me tenaille fortement. Et je ne veux plus être complice de cette escroquerie que l’on inflige au public. Yerushalmi : Pour l’amour de Dieu ! Réfléchis donc au malheur dans lequel tu vas nous plonger, aussi bien toi que moi, si tu dévoiles la tromperie. Ai-­je mérité cela de ta part ? Tu obtiens tout de même de ma part tout ce que ton petit cœur désire ! Et si tu veux bien patienter encore quelques semaines, nous serons heureux pour toujours. Nous retournerons alors en Silésie, ma chère patrie, tu y deviendras mon épouse et nous y jetterons un voile sur notre mode de vie actuel et, à partir de ce moment, nous connaîtrons la félicité de la vie domestique.

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DEUXIÈME ACTE

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Karni-­Pera : Ma décision finale est prise. Tout cela m’oppresse lourdement le cœur. Et vous n’obtiendrez jamais ma main, cela, je vous le jure ! Et je veux que l’escroquerie soit révélée sur-­le-­champ, dans toute son ampleur ! Yerushalmi : Ferme ta gueule, espèce de canaille, ou je t’égorge sur place ! Karni-­Pera : (Crie) Au secours ! Sauvez-­moi, sinon je suis perdue ! Reb Lipman : (Entre précipitamment dans la pièce) Qu’est-­ce qui se passe donc ici ? Yerushalmi : (En hébreu) J’ai eu une petite altercation avec mon serviteur (fait signe à son serviteur de se taire). Karni-­Pera : Je vais vous dire ce qu’il en est. Yerushalmi : (L’interrompant, en hébreu) Tais-­toi pendant que je parle ! Karni-­Pera : Je refuse de me taire encore. Cela fait déjà trop longtemps que je me tais. À présent, je veux tout révéler (Reb Lipman s’assied).

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Yerushalmi : (En hébreu) Moi, je vais vous le raconter, Monsieur. Karni-­Pera : Reb Lipman, tout ce qu’il raconte n’est que mensonge ! C’est un faux Hiérosolymitain. Cela fait déjà longtemps qu’il trompe son monde ! Quant à moi, il m’a rendue malheureuse. Yerushalmi : (En hébreu) Que raconte donc cette menteuse ? Karni-­Pera : Ce gaillard parle aussi bien le yiddish3 que moi ! Il est né en Silésie, mais il se fait passer pour un Yerushalmi, un Hiérosolymitain (Yerushalmi s’élance vers le serviteur pour le tabasser). Reb Lipman : (S’interpose entre eux et s’exprimant en hébreu) Veuillez m’excuser, mais je souhaite entendre tranquillement toute l’histoire. (S’adressant au serviteur en yiddish) S’il est un faux Hiérosolymitain, pourquoi ne l’avez-­vous donc pas révélé immédiatement ? Karni-­Pera : Je vais vous le dire, mais veuillez m’écouter jusqu’au bout. Il faut que vous sachiez que je suis une femme (elle ôte son manteau de sorte qu’à présent on la voit revêtue de vêtements féminins). Et en voici la preuve ! Mon père, qui est khazn de la communauté juive de Fingerlokh, s’appelle Reb Henerl4. Et voilà, il y a quelques semaines de cela, il s’est passé quelque chose entre mon père et moi…

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Yerushalmi : (En hébreu) Tout cela n’est que fausseté et mensonge ! Taymerl : Et voilà justement qu’à ce moment cet escroc est venu loger chez nous en se faisant passer pour un Yerushalmi. Et il m’a persuadée de l’accompagner et de sillonner les routes en sa compagnie en tant que « serviteur ». Mais que je devais impérieusement garder le silence au sujet de toutes les tromperies auxquelles il se livrait et j’en retirerais – m’a-­t‑il promis – énormément de satisfactions. Et comme j’étais une jeune fille et que tout n’allait pas pour le mieux en ce qui concerne mon Papa – car je venais justement de me disputer avec lui –, je me suis laissé persuader et suis partie avec lui. Yerushalmi : (En hébreu) Ne croyez pas un mot de ce qu’elle raconte, Monsieur ! Tout cela n’est que fausseté et mensonge. Reb Lipman : (En aparté) Ce n’est que pure tromperie qui règne dans ce monde ! On entend à sa voix qu’il s’agit d’une bonne femme. Cette affaire me paraît être très confuse. (S’adressant à haute voix à Taymerl) À présent, il faut que je m’entretienne avec vous comme on s’adresse à une personne du sexe féminin. Pourquoi n’est-­ce qu’à présent que vous révélez tout cela ? Taymerl : Je dois vous avouer combien il m’est pénible de continuer à jouer ma part dans cette escroquerie ainsi que de penser au chagrin que mon pauvre Papa éprouve à cause

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de moi. Parce que je suis sa fille unique et il n’a plus d’épouse. Alors puis-­je l’abandonner à mon tour ? C’est vrai, je me suis comportée mal à son égard. Je veux cependant redevenir bonne et retourner auprès de mon Papa. Mon cher et bien-­aimé Reb Lipman, je vous prie de m’aider à me libérer de ce méchant individu, car sinon il me tuera, comme il a déjà tenté de le faire auparavant. Reb Lipman : (S’adressant à Yerushalmi) Nu, alors qu’en dites-­vous ? Cessez donc de vous faire passer pour ce que vous n’êtes pas et parlez-­moi en judéo-­allemand5. De toute façon, à présent que toute l’affaire a été dévoilée dans tous ses détails cela ne peut plus vous être d’aucun secours. Yerushalmi : (En hébreu) Je vous ai déjà dit que je ne comprends pas l’allemand6 et que je ne puis m’exprimer qu’en hébreu. Et moi j’affirme que tout ce qui émane de sa bouche n’est que mensonge. Reb Lipman : (En hébreu) Mais votre domestique est bien une femme, n’est-­ce pas ? Et de toute ma vie que je n’ai encore jamais vu un Yerushalmi qui avait une femme pour domestique ! Yerushalmi : (En hébreu) C’est elle qui m’a supplié de l’emmener à Francfort-­sur-­le-­Main où résidaient ses proches. Elle versait des torrents de larmes en se plaignant de ne plus supporter de vivre encore auprès de son père en raison des querelles et disputes incessantes. Alors j’ai pris pitié d’elle. Et je lui ai dit qu’elle pouvait m’accompagner jusqu’à Francfort, mais à condition de revêtir des vêtements d’homme et de

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se déguiser en serviteur afin que l’on ne dise pas qu’un Yerushalmi voyageait en compagnie d’une personne de sexe féminin, ce qui serait contre nature. Mais dans tout cela il n’y a pas l’ombre d’une ruse ou d’une perfidie. Mais il s’avère à présent que ce fut là l’effet d’une sentence dictée du haut du Ciel : car je n’aurais jamais dû m’apitoyer sur elle et à présent ma bonté d’âme a eu pour effet qu’elle me déconsidère aux yeux de tous et m’accuse de machinations imaginaires. Voilà comment se présente cette affaire et pas autrement. Taymerl : N’ajoutez pas foi à ses propos, car c’est une canaille sans pareille ! Et à titre de preuve de ce que j’affirme, voyez donc cette lettre que j’ai trouvée parmi ses papiers. Il a adressé cette missive à son épouse en déguisant son écriture afin qu’elle s’imagine que cette correspondance émanait d’un tiers. Lisez-­la donc et elle suffira à vous convaincre de la véracité de mes dires (elle lui remet une lettre). Reb Lipman : (Il lit) « Salut à la Madame l’épouse Lipkè Yentsh » (en aparté) Lipkè Yentsh ? S’agirait-­il de la même ? Voilà que la tromperie prendrait alors des proportions effroyables ! (Poursuit la lecture à haute voix) « Je dois porter à votre connaissance que la semaine dernière votre mari, le nommé Reb Getz, est décédé de malemort. Cela me fait de la peine de devoir vous en informer, mais je n’ai malheureusement pas le choix : parce qu’il faut bien que vous en soyez informée. N’en soyez cependant pas exagérément désolée, car c’était tout de même un méchant homme qui vous a abandonnée, ce qu’il a reconnu avant son décès. Je vous souhaite de trouver un meilleur époux

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qu’il ne l’a été et je demeure votre ami inconnu. Fait ici à Prossnitz le mercredi, le 27 du mois d’Eloul de l’an 5558 du calendrier hébraïque7. Le petit Peretz, ministre officiant et sacrificateur et vérificateur de la Sainte Communauté mentionnée ci-­dessus. » Taymerl : Nu ! Qu’en dites-­vous ? Cette lettre, il l’a écrite de sa propre main. Et qui sait si sa femme n’a pas déjà pris un autre mari… Reb Lipman : (En aparté) Je n’arrive plus du tout à m’en sortir, car cette affaire m’apparaît extrêmement suspecte. Et j’ignore qui a raison. (S’adressant à haute voix à Yerushalmi) Alors ? N’êtes-­vous toujours pas disposé à reconnaître les faits ? Je vous conseille plutôt de tout avouer. Sinon, je devrai porter l’affaire à la connaissance du public. Yerushalmi : (En hébreu) Je ne retire rien de ce que j’ai dit et je réaffirme que tout cela n’est que fausseté et mensonge. Je n’ai pas écrit cette lettre. Et je n’ai pas d’épouse dans ce royaume-­ci, mais bien en Eretz-­Israël8. Là, j’ai une femme et des enfants. Qui sait qui est l’auteur de cette lettre ? Du reste, mon nom n’est pas Reb Getz, mais bien Reb Yakev Gumpel. Ne croyez pas un mot de ce que l’on vous raconte, Monsieur ! Reb Lipman : (En aparté) Il faudrait vraiment que je sois un prophète pour arriver à savoir qui a raison ! Mais ce qui me vient présentement à l’esprit, c’est qu’il y a tout de même une femme ici qui porte le nom de Lipkè Yentsh. Peut-­

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être s’agit-­il de la même personne ? Je vais la faire appeler et peut-­être le reconnaîtra-­t‑elle ? (Il rédige un billet et s’adresse ensuite à Taymerl) Prends ce petit mot et remets-­le au khazn local. Il y a un Polek9 qui loge chez lui avec sa femme. Remets ce message à l’épouse et reviens ensuite. Taymerl : Je le remettrai (elle s’en va). Yerushalmi : (En hébreu) Qu’est-­ce donc que Monsieur a écrit ? Et à qui avez-­vous fait porter ce billet ? Reb Lipman : En quoi cela vous concerne-­t‑il donc ? Vous ne manquerez pas d’être mis au courant par la suite. Yerushalmi : (En hébreu) À présent, je souhaite rentrer chez moi. Reb Lipman : Non et non ! Rien à faire : vous devez rester ici.

Scène 2 (Reb Yoksh, Yerushalmi, Reb Lipman) Reb Yoksh : (Entre en scène et s’adresse à Reb Lipman) Eh bien, me voilà ! Alors, tout est-­il enfin en ordre pour le guet ? (Apercevant Yerushalmi, il le dévisage très attentivement) Ha ! Mais je n’en crois pas mes yeux, c’est frère Getz ! Comment donc as-­tu abouti ici ? Sur ma vie, ne voilà-­t‑il

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pas deux chenapans issus d’une même racine, deux voleurs dans un même sac ! Que fais-­tu donc par ici ? C’est que tu fais des tournées en posant au Yerushalmi, n’est-­ce pas, futée canaille ? Écoute-­moi bien, arrête de te faire passer pour tel, car ces astuces ne marchent pas ici. Et tu es autant un Yerushalmi que je suis un Bal-­Shem. Par conséquent, cela ne te mènera à rien : après tout, nous nous connaissons déjà depuis que nous nous sommes rencontrés à Breslau. Yerushalmi : (En hébreu) Que me veut cet individu ? Je ne l’ai encore jamais vu de ma vie ! Il fait certainement erreur. Reb Yoksh : Comment ? Espèce de sacripant, va ! Sur ma vie, que je te connais ! Et la preuve, c’est que lorsque tu as commis un larcin à Breslau il y a quelques années, je t’ai encore aidé afin que tu puisses t’éclipser sain et sauf. (S’adres‑ sant à Reb Lipman) Écoutez-­moi bien, Reb Libli : il faut croire que c’est assurément suite à un décret du Ciel que vous vous trouvez frappé par la survenance d’infamies. Parce que s’agissant de moi, vous savez déjà de quoi il retourne. Mais je vous assure que ce lascar que vous voyez ici (il montre Yerushalmi du doigt) est le rabbin de tous les voleurs et de tous les escrocs. À côté de lui, je ne suis rien, moins que rien, le moindre de ses disciples ! Alors vous pouvez vous imaginer de quel genre de gars il doit s’agir. Mais, cher Reb Libli, comme tout cela a fini par être dévoilé, remerciez donc l’Éternel et chantez Ses louanges ! Sur ma vie, vous êtes vraiment un grand veinard ! (S’adressant à Yerushalmi) Nu ! mon frère et voyou ! J’ai fait erreur, mon cher et chaleureux Reb Leb, car il est écrit que celui qui apprend d’un autre une règle ou un chapitre religieux doit lui rendre hommage10. Et, en

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effet, si tu ne me l’avais pas enseigné, comment aurais-­je donc appris quoi que ce soit ? Alors, suis mon conseil : sur ma vie, sois assuré que Reb Libli est un bon petit Juif, il ne te fera rien. Reconnais donc les faits ! Yerushalmi : (En hébreu) Que raconte-­t‑il donc, ce fou ? Je ne comprends rien à ce qu’il raconte. (À Reb Yoksh) Éloigne-­toi de moi ! Reb Yoksh : Sapristi ! Où as-­tu donc appris à converser aussi bien en notre langue sainte ? Sur ma vie ! Autrefois, tu ne connaissais même pas, pour ainsi dire, l’alphabet hébreu. Et voici que tout d’un coup tu es devenu un tel as s’agissant de notre langue sainte ! Je dois avouer, mon cher frère, qu’on ne trouve pas ton pareil sur toute la terre ! Tu n’es pas du tout un petish, c’est-­à-­dire un petit texte typographique. Quoiqu’il soit écrit dans la Mishnah11 : getz sheyétsé mitakhath hapatish, que getz – l’étincelle – jaillit d’en dessous du patish, c’est-­à-­dire du marteau12. Mais en ce qui te concerne, Getz, cela signifie ma patish mefutsak sela mith khalaq leqamah nitsotsoth : que, tout comme le marteau, il fait éclater le rocher en telle sorte qu’il en émane des étincelles. Aussi est-­ce ainsi, mon cher frère, que tu sais te fractionner et te déguiser en tout ce que tu désires. Mon cher et cordial Reb Libli, ma couronne, sachez que le public tout entier est rempli de tromperies. Et malgré cela, il nous faut néanmoins des escrocs. Yerushalmi : (En hébreu) Be’aqevoth Mashikha khutzpah yisgi13 : « L’insolence croît à mesure que se rapprochent les pas du Messie. » Et à présent, l’heure du Messie a assurément

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sonné et l’insolence s’est accrue au point que l’on tient de pareils propos au sujet d’un homme tel que moi. Tu penses, toi, que les défauts qui t’affectent se retrouvent chez tes amis. Mais c’est absolument inexact et l’Éternel te le fera certainement payer très cher ! Reb Yoksh : Espèce de fripon que t’es ! Que l’Éternel fasse en sorte que le Diable t’emporte durant quatre-­vingts années ! Sais-­tu ce que symbolisent les lettres guimel et tsadiq de l’alphabet hébreu qui composent le nom Getz ? Ganev et tsavoua : voleur et hypocrite !

Scène 3 (Lipkè Yentsh, Yerushalmi, Reb Lipman, Reb Yoksh) Lipkè Yentsh : (Entre en scène, s’adressant à Reb Lipman) Cher Monsieur, vous m’avez fait appeler et me voilà. Quel est votre désir ? (Elle fixe Yerushalmi, le dévisage attentivement, puis s’écrie en arrachant ses cheveux) Mais qu’est-­ce que je vois donc ? Oy14 ! Malheur à moi ! Yerushalmi : (Cherche à fuir) Yentsh : Retenez-­le, pour l’amour de Dieu ! Je ne puis supporter de rester encore plus longtemps. Que ne suis-­je pas contrainte d’endurer !

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Reb Lipman : (Ensemble) Que se passe-­t‑il donc ? Reb Yoksh : Qu’est-­ce qui ne va pas ? Parle donc, charogne ! Yentsh : (Court vers Yerushalmi, l’attrape et le traîne derrière elle) Malheur à toi, Getz ! Espèce de voyou ! Quel sort m’as-­tu infligé ? Quel démon t’a donc amené ici ? Alors que moi je pensais que tu pourrissais déjà dans la tombe, voilà que tu es donc encore en vie ? Après avoir commis de pareils péchés comment pourras-­tu encore te justifier face à l’Éternel ? Reb Lipman : Veuillez vous exprimer clairement ! (En aparté) L’affaire s’éclaircit. Reb Yoksh : (En aparté) Peut-­être a-­t‑il, lui aussi, des droits sur ma femme ? (À Yentsh) Ha ! À présent, je vois enfin de quoi il retourne en ce qui te concerne ! Tu entretiens des relations sur fond de lucre avec des hommes, ce qui pour toi non plus ne se révèle pas une bénédiction. (S’adressant à Reb Lipman) Alors, voyez-­vous, alors qu’elle a déjà un mari, il n’empêche qu’elle en prend un autre. Alors, dites-­moi : n’ai-­je pas eu raison de l’abandonner à tous les diables, hein ? Yentsh : Écoutez-­moi donc15 ! Il y a déjà certainement sept années de cela que j’ai reçu une lettre par laquelle le

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shoykhet16 de Prossnitz me tenait le langage suivant : « Yentsh ! Ton mari répondant au nom de Getz est devenu une victime à la place de tout Israël. » (Se tournant vers Yerushalmi) Si seulement c’eût été vrai ! (S’adressant à Reb Lipman) Et l’auteur de ce courrier d’ajouter : « Cela ne vous fera assurément pas de peine étant donné que de toute façon il ne faisait pas office de mari à votre égard et vous a laissée en plan. Je vous souhaite d’en trouver un meilleur. » (S’adressant à Reb Lipman) Nu ! En suis-­je donc coupable ? Je pensais qu’il ne subsistait déjà plus le moindre reste d’ossements de sa personne sur terre. Et voilà qu’à présent je le rencontre. De sorte que maintenant c’est de deux chiens que je dépends. Oy ! Malheur à moi ! (Yerushalmi reste figé sur place, absolument catastrophé). Reb Lipman : Mais qui a écrit la lettre qui vous a été adressée ? Yentsh : C’est certainement nul autre que lui. (S’adressant à Yerushalmi) Je vais t’assommer, je t’enverrai dans l’autre monde ! Reb Lipman : (S’adressant à Yerushalmi) Écoutez-­moi bien. Vous voyez tout de même que je sais tout. Et les déclarations de celle qui feignait d’être votre serviteur correspondent en tous points avec celles de cette femme. Aussi, avouez donc immédiatement ! Sinon, je vous infligerai une leçon telle qu’on n’en a encore jamais vu ou entendu jusqu’à présent, espèce de fripouille17 ! Espèce d’escroc qui trompez le monde entier !

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Yerushalmi : (Est en proie à une frayeur telle qu’il n’arrive pas à articuler une seule parole) Reb Yoksh : Honte sur toi, Getz, de trembler de trouille ! S’agissant d’un jeune homme aussi distingué que toi, qui est déjà parvenu à se soustraire à plusieurs reprises à la potence – qu’est-­ce que cela signifie donc ? Tu as écrit que tu étais décédé. Et effectivement, tu as tout à fait raison, car, comme c’est écrit, « de leur vivant, les canailles sont également appelées des morts »18. Et, de toute façon, face à une épouse pareille qui brutalise ses maris, on ne saurait vraiment pas qualifier leur existence de vie. Voilà ce que m’a enseigné ma propre expérience. Alors, fais comme moi : après tout, cela fait déjà longtemps que nous sommes des associés, alors soyons-­le également en ce qui concerne le guet ! Accordons-­lui son guet en partenariat et nous en serons quittes ! Yerushalmi : Que puis-­je faire ? Ne dit-­on pas que lorsqu’un lièvre se trouve entouré d’une meute de chiens il est fichu ? Reb Lipman : (En aparté) Voilà qui est vraiment un beau compliment ! Yerushalmi : Je vois bien que je ne puis plus me dissimuler derrière le masque que j’avais adopté. Je reconnais par conséquent que je ne suis pas un Yerushalmi et que je cherchais uni-

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quement à gagner de l’argent. C’était là la seule idée que j’avais en tête. Reb Yoksh : Sur ma vie ! (Continue en hébreu) Nous poursuivions tous deux le même objectif. (Reprenant en yiddish) En ce qui me concerne, c’était en effet également mon intention. Néanmoins, Monsieur l’Allemand19 que voici (il montre Reb Lipman du doigt) est encore plus malin que moi. Alors, mon cher frère, que faire à présent ? (S’adressant à Reb Lipman) Toutefois, malgré cela, pas moyen cependant de s’en débarrasser comme ça, sans rien. Aussi vrai que je vous souhaite ainsi qu’à moi-­même de rester en bonne santé, il faudra bien que vous versiez un dédommagement, une indemnisation, une réparation par équivalent, une allocation à titre de réparation et une somme à titre de compensation de la honte infligée20 : parce que c’est bien à cause de vous que tout a été révélé et exposé au grand jour. Reb Lipman : Remerciez plutôt l’Éternel de pouvoir quitter ce lieu sans que l’on vous ait brisé les os ! Pas question que vous receviez un sou. (S’adressant à Yerushalmi) Quant à vous, vous reconnaissez bien que cette femme est votre épouse ? Yerushalmi : Comme si j’avais le choix ? Ma femme, écoute-­moi : ne sois pas fâchée sur moi parce que je t’ai roulée dans la farine. Car en fait, je t’ai tout de même rendu un fier service en agissant comme je l’ai fait. Parce que autrement, comment aurais-­tu pu obtenir celui-­là (montre Reb Yoksh) comme mari ? De sorte que tu es mieux tombée que tu ne l’aurais été en restant avec moi…

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Reb Yoksh : Il est permis de faire modérément l’éloge des gens en leur présence, à condition toutefois de ne pas en remettre. Et, plus particulièrement, je te souhaite de vivre une année aussi bonne que fut le mari que j’ai été pour toi. Sur ma vie, Yentsh, à mes yeux tu as été plongée dans une noirceur pareille à Ti’shè-­Bov21. Et tu as même enduré de doubles souffrances du fait que tu avais reçu deux loques pareilles pour maris. N’empêche que tu n’en es pas moins une fripouille ! Parce que tu étais déjà désabusée à notre sujet. Alors, on renonce au butin22 ! Et pourquoi donc as-­tu rejeté aussi rapidement tes maris ? Que le diable t’emporte ! Yentsh : La peste soit de vos pères et mères qui ont mis au monde de tels bâtards et fils de putes ! C’est sûrement en raison d’un décret du Ciel que j’ai dû déchirer par deux fois mes vêtements en signe de deuil pour mes maris. Reb Yoksh : Très juste : c’était certainement par suite d’un décret du Ciel parce qu’il était déjà universellement connu au moment de ta naissance que tu deviendrais une grande débauchée ! Nu, on a donc annoncé publiquement que Yentshkè la fille d’un tel et d’une telle devrait prendre ici pour mari une personne indésirable du nom de Getz. Et alors l’ange a déclaré : « Oh, quel malheur ! Une seule charogne ne lui suffira pas. À une bonne femme juive comme Yentsh, il faut bien deux portions de malheur ! » Sur quoi, on a répondu à l’ange : « Nu, tu sais quoi ? Yoksh de Tarnipol lui servira de preuve à l’appui ! Qu’il devienne donc à la fois acolyte et son mari. Livrée à deux gaillards de cet acabit, elle mènera une vie faite de douleurs

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et de souffrances, enterrée dans sa tombe encore de son vivant. » Par conséquent, tout cela a été décrété ainsi du haut du Ciel. Alors, que pouvions-­nous donc y faire s’il avait été décidé là-­haut de t’envoyer une double portion de douleurs ? Reb Lipman : Bon ! Alors vous lui accorderez tous deux le guet ? Reb Yoksh : Moi certainement, sans aucun doute. (S’adressant à Yerushalmi) Mais en ce qui te concerne, toi23, agis donc comme tu l’entends. Yerushalmi : Moi non plus, je ne veux plus d’elle. Reb Yoksh : Mais alors que faut-­il que nous fassions ? Sur ma vie ! On a pitié de cette petite bonne femme. Yentsh : Que le Ciel te confonde avec ta pitié, pécheur malfaisant ! Espèce de Satan destructeur ! Les anges des enfers te déchireront certainement en morceaux et te jetteront au creux de la géhenne. Épargne-­moi ta pitié et libère-­moi rapidement des liens du mariage, que je sois débarrassée de toi ! Reb Yoksh : J’ai bien peur que tu ne continues encore à nous pourchasser au creux de la géhenne, car toi non plus tu ne manqueras certainement pas d’y aboutir. Par conséquent, tu ne seras pas débarrassée de nous pour autant…

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Yerushalmi : Pour ce qui est de cela, mon frère Yoksh, n’aie crainte : elle n’aboutira pas chez nous parce qu’elle descendra dans la section des enfers qui est réservée aux femmes, auprès de sa mère. Yentsh : (S’adressant à Reb Lipman) Comment parvenez-­vous donc à écouter impassiblement tous ces propos ? Sur ma vie, mon cher Monsieur, ce n’est pas joli de votre part. Je vous prie instamment d’y mettre fin. Reb Yoksh : Toi, mets-­y donc fin. Yentsh : Oy ! Comme j’y mettrais fin avec plaisir si je pouvais seulement le faire ! Espèce de brigand ! Reb Yoksh : Mais qu’est-­ce que tu dis là ? Mais, sur ma vie ! Tu peux y mettre fin. N’est-­il pas écrit sof ha’adam lamouth24, que la fin de l’être humain consiste à mourir ? Alors si tu le veux, deviens donc instantanément une victime expiatoire ! Reb Lipman : Taisez-­vous enfin ! Assez, assez ! À quoi bon toutes ces disputes ? Je ne les supporterai pas plus longtemps sous mon toit. Et en particulier lorsqu’elles émanent de personnes aussi mauvaises que vous l’êtes. Cela suffit maintenant ! Après, vous aurez à revenir ici, Messieurs, pour accorder le guet. Mais à présent je vous demande de partir. N’allez pas vous imaginer cependant que vous

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pourrez prendre la poudre d’escampette, car des mesures appropriées ont déjà été prises pour que vous ne puissiez quitter la ville. Quant à vous, Madame, rentrez également chez vous. Si je devais avoir besoin de vous, je vous ferai appeler. Reb Yoksh : Moi, je m’en vais déjà. Bonsoir, ma chère Yentshkè (et la prenant par la main, il l’entraîne de force). Yentsh : (En hurlant) Il est en train de me tuer ! Reb Yoksh : N’aie pas peur ! Je ne vais pas te violer et tu ne mourras pas non plus. Parce que l’Ange de la Mort, lui aussi, a peur de toi (il s’en va avec Yentsh). Yerushalmi : (Crie à Reb Yoksh) Attends-­moi ! Elle m’appartient également en partie ! Reb Yoksh : (Crie de l’extérieur) Nu ! Alors, viens donc espèce de raté ! (Yerushalmi s’en va). Reb Lipman : (Seul) J’en ai déjà soupé de tout ce vacarme et il faut à présent que je mette fin à cette affaire. FIN DU DEUXIÈME ACTE *

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Scène 1 (Reb Lipman et ensuite le khazn) Reb Lipman : (Il entre et s’assied. On frappe à la porte et il dit) De quels maudits nouveaux ennuis s’agit-­il à présent ? On ne peut pas se permettre d’être trop bon. (Il crie) Entrez ! Le khazn : (Il entre) L’Éternel soit avec vous ! Veuillez ne pas prendre en mauvaise part le fait que je m’octroie la liberté de vous importuner ! Mais je n’ai pas le choix et je sais que vous êtes un homme bon et que pour cette raison vous ne vous mettrez pas en colère. Reb Lipman : (En aparté) Voilà encore quelque flatteur sans doute. Qui sait s’il n’est pas également une espèce d’escroc. Salut à vous1 ! Le khazn : Et salut à vous aussi, mon ami !

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Reb Lipman : Asseyez-­vous ! Le khazn : Merci (il s’assied). Reb Lipman : Puis-­je vous demander ce que vous désirez ? Le khazn : En fait, je suis un khazn. Je m’appelle Reb Henril2 et suis khazn de la sainte communauté de Fingerlokh. Vous aurez déjà certainement entendu parler de moi étant donné que – l’Éternel soit loué ! – je suis réputé être un grand khazn. Reb Lipman : (En aparté) Reb Henril le khazn ? Il est certainement le père du domestique de Yerushalmi. Mais il faut d’abord que je l’écoute attentivement. (Poursuit à haute voix) Je n’ai pas encore eu l’honneur d’entendre parler à votre sujet. Le khazn : Comment ? Que dites-­vous ? Excusez-­moi, mais vous devez faire erreur. N’avoir jamais entendu parler de Reb Henril le khazn ! C’est comme si un Juif ne savait pas qu’Haman a été pendu après avoir été envoyé au gibet3 ! Réfléchissez bien ! Reb Lipman : Que voulez-­vous que je fasse de cette information ? Dites-­moi seulement ce que vous désirez.

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Le khazn : Avant toute chose, je vous prie de m’autoriser à vous faire entendre à titre d’exemple un morceau de mon répertoire de chantre de la synagogue. Et ensuite vous sentirez tout naturellement tout ce qui en découle. Reb Lipman : (En aparté) Je n’ai vraiment pas la tête à cela. Mais peut-­être pourrai-­je apprendre quelque chose en donnant suite à sa demande. (À haute voix) Nu ! si vous voulez bien m’accorder cet honneur, chantez donc quelque chose. Le khazn : En polonais ou en allemand ? Reb Lipman : En polonais ou en allemand, comme vous voudrez. Le khazn : (Soutient ses joues de ses deux mains, toussote et déclare) J’ai noté par écrit la punition envoyée par le Ciel (il chante)4. 1.

Écoutez donc ce qui, il y a quelques semaines environ, m’est survenu : Qu’un Yerushalmi a logé chez moi, voilà ce qui m’est advenu. Lequel a déclaré de Solnek comme meshulekh avoir été envoyé, Son visage cependant avait l’apparence d’un macchabée5. Mais le pauvre homme que je suis, n’envisageant de sa part aucun malheur, En a fait grand cas et lui a rendu tous les honneurs.

À présent, je dois me reposer un moment, je me laisse trop émouvoir.

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Reb Lipman : Voulez-­vous boire quelque chose ? Le khazn : Si vous voulez bien vous donner cette peine. (Reb Lip‑ man lui verse à boire, il boit et reprend la parole) Et à présent, écoutez donc la suite. 2.

De toutes les bonnes choses chez moi, il a joui, De lui donner tout ce que je possédais, je me suis réjoui, Et de tout ce qui est bon, je l’ai pourvu Si seulement ce qui est arrivé, j’avais prévu, Que de mes bontés, il me récompenserait aussi mal, Jamais je n’aurais fait preuve de pareilles bontés à l’égard de cet animal.

Reb Lipman : D’après ce que j’entends, il vous a certainement escroqué ? Le khazn : Un peu de patience, vous ne tarderez pas à entendre toute l’histoire (il reprend son chant) : 3.

À présent, quelques semaines sont passées depuis, Et ce gaillard vigoureux de ma contrée s’est évanoui, Mais de me rendre visite, il y a songé Avant de partir, afin de prendre congé. Et comme il sied, sans doute, Je lui ai souhaité de faire bonne route. Oh, comme j’ai été roulé ! (Il pleure).

Reb Lipman : Poursuivez donc.

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Le khazn : 4.

Cependant, à peine avait-­il quitté mon toit, Que j’ai trouvé en quelque endroit Une lettre qui traînait et qui m’était adressée. Je l’ouvre et ma joie est aussitôt brisée : Y était écrit que ma fille unique avec lui s’était décidée à fuir Car tel était leur commun désir.

Reb Lipman : Et vous ne savez pas où ils sont partis ? Le khazn : Permettez-­moi seulement de poursuivre mon chant jusqu’au bout (il continue à chanter). 5.

Nu, imaginez-­vous donc ma peine vu ce malheur, Le coup que cette lettre m’a porté au cœur. J’ai couru dans tous les sens, partout, Comme qui, ayant trop bu, est devenu soûl. Parce que c’est ainsi que mon unique enfant S’était éclipsée aussi rapidement. Oy vay6 ! Ma Taymerl ! Qui sait où elle se trouve à présent ? (Il pleure).

Reb Lipman : Je vous en prie, dites-­moi enfin ce que vous désirez ! Le khazn : Tout de suite ! Tout de suite ! (Il s’essuie les yeux et reprend son chant). 6.

Et depuis lors, dans mon foyer, le calme s’est esquivé, Car à personne, assurément, n’est échu ce qui m’est arrivé.

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J’ai fondé tous mes espoirs sur mon enfant unique De son devoir d’obéissance paternelle devenu amnésique. Que par une pareille ordure elle se soit laissé séduire, Voilà ce que jamais je n’avais imaginé pouvoir se produire. (Il soupire et marmonne) Ah, ma Taymerl !

Reb Lipman : Allons poursuivez, plus vite ! Dites-­moi ce que vous désirez ! Le khazn : 7.

Elle a détruit mon ménage, l’a réduit en bouse, Car à présent – hélas ! – je n’ai plus d’épouse. Elle faisait tout conformément à mes désirs, Ce qui a apaisé un peu mon déplaisir. Jamais je n’avais ressenti en elle le moindre mal, Et voilà qu’à présent elle a été séduite par cet animal ! (Il soupire et marmonne) Ah, ma Taymerl !

Reb Lipman : Finissez-­en ! Vous me fatiguez à la fin. Le khazn : 8.

Et en raison de l’immense chagrin qu’elle m’a occasionné, je la crains morte, J’ai décidé de me rendre d’une localité à l’autre, de frapper à toutes les portes, Mû par l’espoir d’obtenir – qui sait ? – des informations à son sujet, De recueillir des nouvelles la concernant : voilà de ma visite l’objet, Voilà pourquoi je suis venu chez vous à présent : Peut-­être savez-­vous où elle se trouve maintenant ?

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Reb Lipman : (En aparté) Je ne puis plus dissimuler la chose plus longtemps. Cet homme éprouve vraiment une peine infinie. (S’exprimant à haute voix) Asseyez-­vous donc, mon ami ! Et ne soyez pas aussi affligé, car vous n’êtes pas aussi malheureux que vous le pensez. N’ayez crainte : votre fille se trouve ici. Le khazn : (Accourt vers Reb Lipman, fou de joie) Comment donc ? Ma petite se trouve ici ? Mais comment le savez-­vous ? Ah ! Cher Reb Lipman, vous n’avez pas idée à quel point vous me réjouissez en me communiquant cette nouvelle ! Moi qui suis en proie à l’abattement étant donné que je ne possède plus rien au monde que cet unique bout d’enfant. Et quoiqu’elle7 se soit comportée très mal à mon égard, je ne puis cependant pas l’oublier. Car qui sait ce que ce faux Yerushalmi ne lui a pas raconté pour lui monter le bourrichon ! Et ce Yerushalmi doit assurément être un imposteur : aucun individu convenable ne se livre à de pareilles fourberies. Reb Lipman : Asseyez-­vous et reposez-­vous. Vous serez bientôt mis très précisément au courant de tout ce qui s’est passé. Mais vous devez d’abord me promettre de ne pas vous quereller avec votre fille. Car je sais tout et elle est innocente. Croyez-­moi sur parole. Le khazn : Je vous crois sur parole. Mais il faut quand même que je passe un petit savon à ma Taymerl. Et ensuite tout sera oublié.

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Reb Lipman : (Se dirige vers la porte et fait entrer Taymerl déguisée en serviteur. Il lui susurre quelque chose à l’oreille)

Scène 2 (Les précédents et Taymerl) Le khazn : C’est qui cette personne ? Reb Lipman : Tiendrez-­vous parole comme vous m’aviez promis de le faire ? Le khazn : Nu ! Donnez-­moi d’abord l’occasion de la voir. Reb Lipman : Eh bien, voilà ! (Il la dépouille de son manteau8 et de son chapeau, de sorte que celle-­ci reste là, assumant l’ap‑ parence d’une personne du sexe féminin) Nu, Reb Henerl9, voici votre fille. Taymerl : (Se jette au cou du père) Oh, mon cher Papa ! Pardonne-­ moi ! Oh, je t’en prie, pardonne-­moi donc ! Le khazn : (Se détourne d’elle) Pas un mot de ta part, espèce de canaille que t’es !

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Reb Lipman : Auriez-­vous donc oublié ce que vous m’aviez promis ? Je vous jure qu’elle est innocente ! Taymerl : Papa chéri, pardonne-­moi ! Reb Lipman : Voyons, Reb Henril, ne soyez pas aussi entêté. Je vous jure qu’elle est innocente, comme je vous l’ai déjà déclaré à plusieurs reprises. Le khazn : Nu, je te pardonne. Mais à l’avenir, veille à m’obéir ponctuellement et ne m’occasionne plus de peine. Taymerl : Tu le verras bien. Mais oublie donc tout cela parce que ce n’était pas ma faute. Reb Lipman le sait bien. Reb Lipman : Elle m’avait tout révélé auparavant, avant même que vous ne soyez venu. Et elle m’a supplié de l’aider à se débarrasser de ce larron10, ce faux Yerushalmi qui l’avait séduite. Toutefois, à présent l’escroquerie a été dévoilée : à savoir qu’il n’est aucunement un Yerushalmi, mais bien un Juif de Silésie répondant au nom de Getz. Et que, par ailleurs, il a une épouse qui se trouve être présentement ici et qu’il a également trompée, à laquelle il a fait écrire une lettre annonçant qu’il était décédé. Sur quoi sa femme a pris un autre mari. Votre fille m’a déjà tout raconté, aussi devriez-­vous louer l’Éternel d’avoir – Dieu merci ! – récupéré votre fille. Oubliez donc toute cette histoire. Aussi,

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si le Yerushalmi devait se montrer ici, je vous prierais de ne pas lui en toucher un mot. Le khazn : Ce qui se commet quand même comme escroqueries dans ce monde !

Scène 3 (Les précédents, Reb Yoksh et Lipkè Yentsh) Reb Yoksh : Eh bien, me voici ! Sur ma vie, la situation doit être bien moche pour vous comme pour nous. Mais je viens vous annoncer une bonne nouvelle : à savoir que – Dieu merci ! – je me suis déjà débarrassé de Yentshkè. Voilà, dans mon auberge11 là-­bas, il se trouvait quelques rats de bibliothèques qui ont procédé aux formalités du guet en conformité, comme on dit, avec la loi de Moïse et d’Israël. Et par conséquent, je viens vous l’annoncer. Et à présent, j’en pince vraiment très fort pour Yentshki. Finalement, tout finit bien12, n’est-­ce pas Yentshki ? Yentsh : Laisse-­moi tranquille enfin, espèce de vaurien (elle s’assied). Reb Yoksh : (Aperçoit le khazn et lui donne la main) Sholem Aleykhem, soyez le bienvenu, cher Monsieur ! D’où venez-­ vous ?

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Le khazn : Je m’appelle Reb Henril et je suis le khazn de Fingerlokh. Vous aurez certainement déjà entendu parler de moi. Reb Yoksh : Oh ! Pour ce qui me concerne, je suis certain que vous pouvez chanter comme un petit coq13. Nu ! Donnez-­le-­nous donc à entendre ! Un beau Unsanè-­toykef14, par exemple. Car il faut que vous sachiez que je suis, moi aussi, un petit bonhomme de crétin et quelque peu récitant de prières. Alors, entamez donc un morceau et je vous soutiendrai. Mais à condition qu’il s’agisse de l’un ou l’autre morceau polonais, une de ces bribes de partitions qui vous tord les boyaux. Reb Lipman : Pour cela, on a encore tout le temps. Commençons d’abord par mener à terme tout ce que nous devons régler. Où restent donc ce Getz et ce Yerushalmi ? Reb Yoksh : Je vais vous le dire, j’aimerais bien terminer par quelque bonne action. Et quelle chose pourrait donc être meilleure qu’une femme ? Parce qu’il est écrit matsa ishah matsa tov, « qui a trouvé une femme a trouvé le bonheur »15. Par conséquent, j’ai persuadé mon cher Reb Getz de conserver quand même sa Yentsh. Parce que je m’étais bien aperçu qu’ils étaient tous les deux un peu tombés d’accord à ce propos. Pas vrai, Yentshki ? N’aie pas honte, je ferai office d’agent matrimonial pour toi. Certes, je ne te conviens pas comme mari. Mais je puis tout de même te servir de marieur, n’est-­ce pas ? Et – Dieu soit loué ! – je possède également une tenue loqueteuse convenant à mon allure

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de ganache. Alors, tu nous donnes ton assentiment, petite débauchée ? Yentsh : Qu’il vienne donc d’abord. Reb Yoksh : (Crie en direction de la porte) Getz ! Tu peux déjà te couler à l’intérieur !

Scène 4 (Les précédents, Reb Getz) Reb Getz : (Entre sur scène misérablement vêtu. Apercevant le khazn, il fait un pas en arrière) Reb Yoksh : Mais avance donc ! Pourquoi as-­tu peur ? Reb Getz : (S’avance vers le khazn et le prend par la main) Je vous prie d’oublier toutes les injustices que vous avez subies. Je me suis comporté très mal vis-­à-­vis de votre fille et je le reconnais volontiers. Mais je vous prie de l’oublier. Et je déclare devant toute l’assistance rassemblée ici qu’à partir de ce jour je m’abstiendrai de toute tromperie et que je deviendrai un homme de bien. Il ne s’agissait de ma part que d’erreurs de jeunesse… (S’adressant à Reb Lipman) Je vous prie de tout me pardonner et de m’aider à me réconcilier avec mon épouse, que j’entends traiter désormais avec respect, ainsi qu’avec le khazn.

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Reb Yoksh : J’interviendrai sous une double qualité, comme médiateur pour apaiser les différends qui vous opposent et comme marieur (et ayant saisi la main de Yentsh, il la conduit vers Reb Getz) Voici, à présent, je t’ordonne de donner tout de suite la main à ton mari, ve’im lo16, sinon… je te reprends comme épouse. Ce qui serait tout sauf une bénédiction pour toi, comme tu le sais bien. Par conséquent, tu es placée devant une alternative. Et tu dois choisir : soit Getz, soit Yoksh. Et si tu devais me demander mon avis, je te dis – aussi vrai que je souhaite que l’Éternel t’accorde de passer une année bénie – qu’il vaut mieux pour toi que tu le choisisses, lui. Yentsh : Plutôt que d’affronter la catastrophe qui consisterait à te prendre toi, je préfère encore rester auprès de l’ancien. Reb Yoksh : (Joint leurs mains et déclare) Mazel-­tov17 ! Félicitations ! Maintenant, s’agissant du fait que je resterai désormais seul, voilà qui ne constitue pas une occupation : comme il est écrit, lo tov hayoth ha’adam levado18, « il n’est pas bon que l’homme soit isolé ». Par conséquent, je pense (s’adres‑ sant au khazn) que vous devriez me donner votre fille pour épouse. Car, d’après ce que j’ai cru comprendre, vous n’êtes pas en mesure de m’accorder une dot d’une abondance innombrable de milliers de ducats. De sorte qu’en me choisissant pour gendre vous faites une très bonne affaire. Vous, vous êtes un khazn et moi également un petit peu choriste à la synagogue. Nous sommes tous deux incapables de chanter, nous savons uniquement crier. Nu, vous crierez sur moi et moi sur vous. En un mot, je vous viendrai bien à

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point. Si vous êtes malade, je prierai entre-­tremps. Et lorsque vous décéderez, je vous remplacerai. Par conséquent, vous pourrez vivre en paix, mais également mourir sans avoir à vous faire du souci. Et je sais que vous vous retournerez dans votre tombe lorsque vous entendrez votre gendre entonner le grand cantique El malè rakhamim19 pour évoquer votre souvenir. Ce dont il découle qu’il s’agit d’une solution exceptionnelle qui profite aux deux parties. (S’adressant à Reb Lipman) Alors, qu’en dites-­vous ? Insistez donc également un peu de votre côté… Reb Lipman : Cette solution ne me paraît pas déraisonnable (s’adres‑ sant au khazn et à Taymerl) Je crois que vous êtes bien d’accord ? Le khazn : Eh bien, qu’en penses-­tu ? Taymerl : Mon cher Papa, je suis d’accord avec tout ce que tu voudras décider. Reb Lipman : (Saisit la main de Reb Yoksh) Je prendrai cette décision : tout est bien qui finit bien. Mais vous devez me promettre de mettre fin à vos activités malhonnêtes. Reb Yoksh : Je me comporterai comme il faut, cher Papa. Reb Lipman : (Saisit les mains de Reb Yoksh et de Taymerl avant de les accoler l’une à l’autre)

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Reb Yoksh : (Il retire sa main) Holà ! Attendez un moment ! Il faut d’abord que je jette encore un coup d’œil. Car, comme il est écrit, asour le’adam leqadesh ishah ad sheyirena, « il est interdit à l’homme de prendre une femme pour épouse avant de l’avoir vue »20. Or, je crains quelle ne ressemble à son père (il la dévisage attentivement). Nu, nu ! Sur ma vie, c’est qu’elle est très bien. Et, de toute façon, assurément mieux que Yentsh (il lui donne la main). Nu ! À nouveau mazel-­tov ! (Il s’avance vers le khazn et saisit sa main) Mazel-­tov, beau-­père ! Baroukh ata Adonaï hamekhin mit‑ sadiy gever, ce qui traduit en allemand21 donne : « Béni sois-­Tu, l’Éternel, qui as disposé les pas du petit coq. » Parce que si vous n’étiez pas venu ici où auriez-­vous donc trouvé un gendre aussi distingué ? (S’adressant à Reb Lipman) Mazel-­tov à vous aussi, parent par alliance ! Je vous dois énormément. Et en guise de rémunération due à l’entremetteur matrimonial, veuillez donc procéder sur-­le-­ champ à la cérémonie nuptiale et – si Dieu le veut – après Pourim. Car le mariage ne saurait être célébré aujourd’hui parce que ayn marvin simkhah besimkhah, on ne mélange pas deux réjouissances. (Se dirigeant vers Yentsh et Getz) Mazel-­tov, Yentsh ! Toi, tu es invitée chez moi ainsi que ton mari pour la fête de noces ! Nu, chers Messieurs, restez donc continuellement assis – vous également, Reb Lipman, et toi aussi, ma chère Taymerl. (Tous s’asseyent sauf Reb Yoksh et le khazn et Reb Yoksh poursuit, s’adressant au khazn) Cher beau-­père, à présent, il faut quand même que vous entendiez si je dispose des qualifications requises pour devenir votre remplaçant – si Dieu le veut ! – lorsque vous ne serez plus de ce monde. Chantez donc par conséquent un morceau en l’honneur du marié et de la mariée ainsi qu’en l’honneur du célèbre notable et koyen22 Lipman

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– que sa lumière brille ! – qui nous a prodigué son assistance et mille bontés. Et, en effet, je tiendrai également bon jusqu’à l’expiration de la deuxième veillée, lorsque tous les chiens auront enfin cessé d’aboyer. Et après cela, je chanterai un morceau en l’honneur de la fête de Pourim qu’il nous a été donné – Dieu merci ! – de célébrer dans la joie en mangeant et en buvant. Et ce, en l’honneur du célèbre Rabbin et Gaon, notre maître Yakev Moyshè, le koyen, Président du Tribunal rabbinique et dirigeant, doté d’une immense érudition et favorisé par un esprit supérieur, de la sainte communauté d’Amsterdam. Aussi me soutiendrez-­vous également, en effet, afin que se réalise ce que dit l’Écriture : Oulekol bené Yisraël lo yekheratz-­celev lishno, c’est-­à-­dire « Quant aux enfants d’Israël, pas un chien n’aboiera contre eux »23. Nu, cher beau-­père, ouvrez largement la bouche et je vous accompagnerai (il entame un chant). Le khazn :

Comme si j’avais le choix ! (Appuie sa main sur sa joue et chante)24 : Pour sceller notre entente, je souhaite vous chanter quelque chose à présent ; Quoique25 j’aie éprouvé bien du chagrin auparavant, Cependant je ne veux plus y penser : je suis ferme Et je remercie l’Éternel d’avoir tout mené à bon terme.

Reb Yoksh :

C’est certainement le Ciel qui a décrété que tout devait s’achever à l’amiable, Sinon, où auriez-­vous donc pu dénicher un gendre semblable ? Vous n’imaginez pas à quel point je serai un beau-­fils aimable Néanmoins, vous pouvez vous en aller, par tous les diables !

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Le khazn :

Ne maudissez pas ainsi, sinon26 sous peu, je finirai encore par le regretter, Car vous êtes ma potion amère, vous me l’avez déjà suffisamment accrédité ; Mais le vieillard que je suis accepte qu’on lui fasse déjà n’importe quoi, Et que vous vous en moquiez et le ridiculisiez lui paraît donc adéquat.

Reb Yoksh :

Sur ma vie, ne m’inspirez pas à propos de ce mariage une telle couardise, Car votre fille, après tout, n’est qu’une triste marchandise, Et vous devez remercier le Ciel, mon vieux paternel, D’avoir pu vous débarrasser à aussi bon compte de votre Taymerl.

Le khazn :

À quoi bon continuer à se chamailler et à jurer comme des charretiers ? En paix et dans la tranquillité, vivons plutôt volontiers. Et au lieu de faire de telles choses27, des folies Eh bien ! Chantons plutôt quelque chose de joli.

Reb Yoksh :

Si vous souhaitez vraiment que nous vivions en paix, Pour l’amour du Ciel, du chant annoncez votre retrait ! Car en vérité, vous avez une voix de chien, Au point qu’en vous écoutant je ne me sens pas bien.

Le khazn :

Soit : je mets donc fin à mes chants, et ce, sur-­le-­champ, Mais je souhaite remercier l’assistance, cela ne durera pas longtemps. Comme vous m’avez permis de me produire en public et m’avez fait cet honneur

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Je vous souhaite de passer encore de nombreuses fêtes de Pourim, santé et bonheur !

Reb Yoksh :

Dieu merci, vous en avez fini avec votre tintouin, ce chant vulgarisé, Car votre voix est pareille à celle qui émane d’un shofar28 brisé Mais, à vrai dire, ma voix non plus n’est plus ce qu’elle était naguère Car n’être tout simplement qu’un gendre, c’est être à moitié beau-­père. Quant à vous, je vous ai béni, chacun selon le rang que lui a octroyé l’Éternel, de par Sa bouche, Honneur étant rendu en premier lieu au célèbre Rav et Gaon réputé, le Rabbin, Grand Maître et Génie flamboyant Yaqov Jacob Mochè Naran, Président du Tribunal rabbinique de la sainte communauté d’Amsterdam, qui constitue la couronne de cette souche. Je vous souhaite, cher Rabbin, de passer toutes les années de votre vie dans le plaisir. Et puisse l’Éternel, béni soit Son Nom, vous accorder tout ce que votre cœur désire ! Puissiez-­vous éprouver également beaucoup de joie à voir et à entendre vos enfants ! Que l’Éternel envoie sa bénédiction, à vous et à vos proches, où que vous soyez présents !

Et à l’occasion de Pourim, puissiez-­vous assister encore à de nombreuses célébrations ! Et éprouver en toutes choses beaucoup de plaisir, de joie et de satisfactions, Que chaque année un Reb Shmeril ou un Reb Yoksh de Tarnipol vienne donc festoyer Pour quelque peu en l’honneur de la fête de Pourim vous égayer.

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Quant à vous, chers Messieurs, je vous souhaite à tous tout le bien possible ! À la joie de votre cœur et à la bonne humeur, soyez sensibles ! Si je vous ai plu ? – Voilà certes pas ce que je vous demanderai. Et même si cela ne vous aurait pas plu, je ne l’aurais pas moins engendré.

FIN

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NOTES

Premier acte 1. Déguisée en serviteur. 2. Le texte dont Reb Lipman donne lecture est rédigé dans un mélange de yiddish et d’hébreu. 3. Érouv (vocable hébr. qui signifie « mélange ») : clôture, réelle ou symbolique, délimitant dans les localités où elle est instituée le périmètre au sein duquel peuvent être exécutés le Chabbath et, certains jours de fête du calendrier israélite, des activités normalement interdites ces jours-­là par la Torah et le Talmud (tel le fait de porter un objet). 4. Mikvè (de l’hébr. miqveh) : bain rituel servant aux ablutions requises pour se conformer aux rites de pureté prescrits par le judaïsme. 5. Le calendrier hébraïque est un calendrier luni-­solaire au sein duquel chaque nouveau mois débute avec la nouvelle lune. Mais compte tenu de la brièveté des mois lunaires, près de 11 jours se perdent chaque année par rapport à l’année solaire qui compte 365,24 jours. Afin de « rattraper » ces jours perdus, le calendrier hébreu insère, à côté des années « communes » de 12 mois, des années dites « embolismiques » qui comptent 13 mois.

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6. Sion (de l’hébr. Tsiyon) : désigne divers lieux en Terre sainte et en particulier, comme c’est le cas ici, la ville de Jérusalem (2 Rois XIX, 31). 7. Draga (hébr.) : neume, signe servant à la notation de la cantillation (le mode d’intonation adopté pour la lecture rituelle) hébraïque. La généalogie, indiquée en hébreu, des trois noms figurant dans le texte est en fait parodique : le petit [?] Re’ouven, Simkhè la Lentille [?], fils des Dix Plaies [?], Paltiel fils de Draga Tavir [deux neumes]. Elle a cependant été reprise telle quelle et sans explication aucune dans la transcription en yiddish moderne proposée par Leo Fuks. Je tiens à remercier vivement le Professeur Yitskhok Niborski pour ces précieux éclaircissements. 8. Il semblerait s’agir d’une référence au Livre de l’Exode (XXIII, 15) : « […] car c’est alors que tu es sorti de l’Égypte et l’on ne paraîtra point devant ma face les mains vides » (selon la traduction du Rabbinat français – à laquelle nous empruntons toutes nos citations de la Bible hébraïque dans cet ouvrage – in La Bible, Paris, 1960 [2 vol.]). Leo Fuks renvoie en note au verset 3 du chapitre II du même livre biblique, ce qui nous paraît erroné. 9. Dobrè notz ! (du polonais : Dobranoc !) : Bonne nuit ! 10. Chem akhad (hébr.) : quelqu’un du nom de. 11. Akhad hameyoukhad shebadro (hébr.) : un personnage unique qui émerge du lot. La suite des propos de Reb Yokshè est lardée (si l’on peut dire…) de membres de phrases en hébreu qui viennent se mêler au yiddish, de sorte que ses propos constituent un mélange des deux langues. 12. Ici, le manuscrit présente une lacune. 13. Pantevskè : Pantowska en polonais. 14. Yontev (de l’hébr. Yom-­tov) : jour de fête (juive).

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NOTES

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15. Ma’aleh asou bayoukhasin : la véritable vertu, c’est le lignage (Talmud, traité Kiddouchin, 73 A). 16. Yehallelekh zar velo pikh : « Qu’un autre fasse ton éloge et non ta propre bouche ; un étranger et non tes lèvres à toi » (Proverbes XXVII, 2). 17. Ici, le manuscrit présente une lacune. 18. Tatè ! Tatè ! : « Papa ! Papa ! ». 19. Citation du traité Berakhoth (II, 8) du Talmud de Babylone : « Si un époux désire réciter le Shema sur la première nuit, il peut le faire. Rabban Shimon ben Gamliel dit que pas tout le monde qui veut prendre le nom [c’est-­à-­dire appeler lui-­même un savant] peut le faire [plutôt, il ne doit pas réciter le Shema] » (traduction figurant sur le site eMishnah.com). 20. Cf. Isaïe (XLV, 18) : « Car ainsi parle l’Éternel, le Créateur des cieux ce Dieu qui a formé, façonné la terre, qui l’a affermie, qui l’a créée non pour demeurer déserte mais pour être habitée […]. » 21. L’auteur se sert ici, comme plus loin, du vocable daytsh (allemand) qui doit se comprendre comme Ashkénaze, Juif allemand. 22. Reb Lipman se sert ici, comme dans la suite de cette scène, du terme Ashkenazim au sens de Juifs allemands ou de culture allemande, par opposition aux Juifs polonais. 23. Citation extraite d’une variante du traité talmudique Berakhoth (XXXIX, A). 24. Amalek : personnage biblique (Genèse XXXVI, 12 et I Chroniques I, 36), chef de la tribu des Amalécites. Son nom est devenu le symbole de la haine d’Israël et du judaïsme et il incarne la figure archétypale de l’ennemi des Juifs.

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25. Jeu de mots intraduisible – fondé sur une référence obscure qui paraît erronée, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de transcription – et que Leo Fuks fait suivre d’un point d’interrogation inséré entre parenthèses. 26. Selon le Rouleau d’Esther (XXIe livre de la Bible hébraïque), Assuérus (Akhashveyrosh en hébreu) était un empereur perse qui avait une femme juive, Esther. Sous son règne, un décret du grand vizir Haman menaçait la population juive d’extermination, mais ce péril fut conjuré grâce à Esther et à son oncle Mardochée (Mordekhaï en hébreu), sauvetage miraculeux que commémore annuellement la fête de Pourim. Diverses tentatives ont été faites pour identifier Akhashveyrosh : on a notamment avancé les noms de Xerxès Ier (dont le nom en vieux persan, Khshayarsha, est proche de l’hébreu Akhashveyrosh) et d’Artaxerxès Ier (Artakhshatra en vieux persan, dont le nom est cité dans la version grecque des Septante). L’évocation du nom d’Akhashveyrosh dans le contexte de la pièce est plutôt surprenante, car le récit du Rouleau d’Esther ne le présente pas comme une incarnation du Mal. 27. Selon le droit rabbinique, le divorce (guet en hébreu) s’opère par la remise à l’épouse par son mari d’une déclaration écrite faisant état de sa volonté de la répudier et de mettre fin aux liens du mariage. Dans le texte de la comédie, Reb Lipman s’abstient cependant curieusement d’utiliser l’expression guet et intime à Reb Yoksh l’ordre de poter zayn (se débarrasser, se libérer) de son épouse. 28. Libli : transcription que donne l’auteur de Laybelè (diminutif de Layb, le prénom de Reb Lipman). 29. Goy (plur : Goyim) : non-­Juif, souvent avec une nuance péjorative. 30. Comme le fait observer Leo Fuks, pour rendre la conjonction « mais » en yiddish, l’auteur a recours à son équivalent en langue néerlandaise : maar.

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31. L’auteur procède à cette exégèse en faisant correspondre les consonnes successives du vocable « Ashkénaze », transcrit en hébreu, aux premières lettres des termes hébraïques correspondant aux mots : Gens, Ignobles, Chiens, Fornicateurs et Bâfreurs (anachim, chfilim, kelévim, noafim et zolelim). 32. Le texte porte le terme trayf (de l’hébr. tréfah) qui signifie non casher (c’est-­à-­dire non conforme aux prescriptions rituelles en fait d’alimentation) et, par extension, interdit, illégitime. 33. Sheymès (plur. de Shem, de l’hébr. chem : nom) : formules magiques ou cabalistiques. Un Bal Shem est littéralement un « maître du [Saint] Nom ». 34. Ksubè (de l’hébr. ketoubah) : accord prénuptial (contrat de mariage) conforme au droit rabbinique. 35. Nu ! : Eh bien ! Bon ! 36. Diminutif affectueux de Yentsh. 37. L’importance de la remise de la ksubè (ketoubah) dans le cadre du guet réside dans le fait que ce contrat de mariage contient des dispositions par lesquelles le mari s’engage à payer une somme d’argent définie en cas de divorce. À l’origine, cet engagement se substituait d’ailleurs en fait à la dot biblique ou « dot des vierges » (Exode XXII, 16‑17). 38. Beni (hébr.) : mon fils. 39. Comme l’indique Leo Fuks, il est fait référence ici à l’Ecclésiaste (VIII, 8) : « Il n’est point de pouvoir contre le jour de la mort, ni de rémission dans le combat ; et ce n’est pas la méchanceté qui sauvera l’impie. » 40. Yom Kippour (hébr. : « jour des Propitiations »), également appelé jour du Grand Pardon, est la fête juive la plus sainte de l’année. Le jour précédant la fête – Erev Yom Kippour – en

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fait partie intégrante et c’est le moment où chacun est tenu de pardonner à son prochain.

Deuxième acte 1. Yerushalmi, comme les autres personnages de la pièce, qualifie d’« allemand » le parler yiddish (ou judéo-­allemand) dont ils se servent. 2. L’auteur écrit fedrihgt (3e personne du singulier du présent du verbe fedrihgn), ce qui constitue un emprunt manifeste du yiddish amstellodamois au verbe néerlandais bedriegen (tromper). 3. Le texte porte daytsh (allemand) et non yiddish, car à cette époque les Juifs ashkénazes désignaient leur idiome du terme d’« allemand » ou de judéo-­allemand. En yiddish, cela se dit far‑ taytshn, littéralement : « germaniser ». 4. Henerl : orthographié Henril dans le manuscrit. 5. En allemand (daytsh) dans le texte dans cette réplique ainsi que dans la réplique suivante. 6. Daytsh dans le texte, c’est-­à-­dire Allemand au sens d’Ashkénaze, Juif allemand, ou de langue judéo-­allemande (yiddish). 7. Date qui correspond au 8 septembre 1798. 8. Eretz-­Israël (hébr.) : terre d’Israël (c’est-­à-­dire la Terre sainte ou Palestine). 9. Polek : qualificatif [dérogatoire, N.W.] des Juifs polonais en usage chez les Juifs hollandais (L.F.). 10. Référence est faite ici au traité Pirqé Avoth (du Talmud, VI, 3) : « Celui qui apprend de son prochain un seul chapitre de

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l’Écriture, un seul paragraphe, un seul verset, un seul mot ou même une seule lettre, est tenu de l’honorer comme son maître » (traduction d’A. Créhange in Traité des principes ou Recueil de préceptes et de sentences des Pères de la Synagogue, Paris, 1957) (L.F.). 11. La Mishnah (hébr. : répétition) : compilation écrite des commentaires de la Torah (le Pentateuque) puisés dans la tradition orale rabbinique, rédigée en hébreu, première des sources rabbiniques. Son commentaire, la Guemarah (hébr. : achèvement), est écrit en araméen. L’ensemble – Mishnah et Guemarah – constitue le Talmud (hébr. : étude), fondement de la loi juive. 12. Traité Baba Kama du Talmud (6, A) (L.F.). 13. Citation du traité Sanhedrin du Talmud (51, B) (L.F.). 14. Oy ! : exclamation yiddish exprimant la survenue d’un malheur. 15. Le manuscrit comporte un mot incompréhensible à cet endroit. 16. Shoykhet (hébr. : sho’het) : sacrificateur rituel. 17. L’auteur se sert ici du vocable hollandais de schobbejak (L.F.). 18. Citation extraite du traité Berakhoth (2, 3) du Talmud de Jérusalem (L.F.). 19. Daytsh dans le texte. 20. Ces termes, énoncés en hébreu, sont empruntés à la Mishnah et figurent en tête du chapitre VIII du traité talmudique Baba Kama.

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21. Ti’shè-­Bov (de l’hébr. Tishé-­Be’av) : le 9 du mois d’Av du calendrier hébraïque, journée de deuil et de désolation qui commémore la destruction des premier et second Temples de Jérusalem. 22. Le manuscrit énonce littéralement « renoncement aux maris » (en hébreu), citant une variante du traité talmudique Baba Kama (61, B) (L.F.). ­ anuscrit. 23. Un mot incompréhensible figure à cet endroit du m 24. Sof ha’adam lamouth (en hébreu dans le texte) : la fin de l’homme, c’est la mort.

Troisième acte 1. En yiddish, Sholem Aleykhem (de l’hébr. Chalom Alei’hem) : litt. « La paix soit avec vous ! ». 2. Leo Fuks transcrit : Henerl. 3. Selon le récit biblique du Rouleau d’Esther, Haman était le vizir de l’Empire perse sous le règne d’Assuérus. Perçu comme l’archétype du mal et de la haine des Juifs, il sera pendu ainsi que ses dix fils avec l’aval d’Assuérus. 4. Notre traduction altère à nouveau légèrement le texte chanté par le khazn afin d’y insérer des vers de mirliton, conformément au manuscrit. 5. Le vocable est de lecture incertaine. 6. Oy vay ! : Oh là là ! Quel malheur ! 7. Dans le texte, la conjonction « quoique » est rendue en yiddish par le terme abshahn, emprunté au néerlandais ofschoon.

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8. Dans le texte, le substantif « manteau » est rendu en yiddish par le terme yas, emprunté au néerlandais jas. 9. Orthographié Henerli dans le manuscrit. 10. Ce terme est rendu dans le manuscrit par le vocable allemand Spitzbübe. 11. Le terme figurant dans le manuscrit est celui de harbarg, manifestement emprunté au vocable néerlandais herberg. 12. En hébreu dans le texte : sof davar hakol nishma. 13. Jeu de mots : le nom Henerl (Henril dans le manuscrit) signifie « petit coq ». 14. Unsanè-­toykef (de l’hébr. Unethanneh Toqeph… : « Relatons à présent le pouvoir de ce jour ») : hymne chanté à Roch Hachanah (le Nouvel An juif) ou à Yom Kippour et évoquant le Jugement dernier. 15. Proverbes XVIII, 22 : « Qui a trouvé une femme [distinguée] a trouvé le bonheur et a obtenu une faveur de l’Éternel » (L.F.) 16. Ve’im lo (hébr.) : sinon. 17. Mazel-­tov (hébr., litt. « Bonne chance ») : Félicitations ! 18. Genèse II, 18. (L.F.). 19. El Malè rakhamim (hébr. : El ma’ala rakhamim, « Dieu plein de miséricorde ») : paroles initiales d’une prière du rite funéraire juif que l’officiant déclame pour l’élévation de l’âme du disparu au moment où l’on emmène le cercueil lors de l’inhumation. 20. Référence au traité talmudique Kiddouchin, XLI, 1 (L.F.).

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21. Il faut évidemment comprendre en judéo-­allemand. 22. Koyen (de l’hébr. cohen) : descendant des anciens prêtres. 23. Exode XI, 7 : « Quant aux enfants d’Israël, pas un chien n’aboiera contre eux ni contre leur bétail » (L.F.). 24. Nous adaptons une fois de plus le texte qui suit afin d’y insérer des vers de mirliton conformément au manuscrit. 25. Ici, la conjonction « quoique » est rendue en yiddish par le terme af shahn (emprunté au néerlandais ofschoon). 26. Dans le manuscrit, le terme « sinon » est rendu par le vocable allemand sonst. 27. Dans le texte du manuscrit « des choses » est rendu par le pluriel tinkè (dérivé du néerlandais dingen, pluriel de ding). 28. Chofar (hébr.) : corne de bélier rituelle, utilisée comme instrument de musique à vent dans le rituel israélite depuis l’Antiquité, lors des fêtes de Roch Hachanah et de Yom Kippour.

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A Adath Yechouroun : communauté juive dissidente, acquise à l’esprit des Lumières et aux principes de la révolution batave, dont la synagogue fut inaugurée à Amsterdam en 1797. A(k)hashverosh (en hébreu), Assuérus en français : selon le Rouleau d’Esther, empereur perse ayant une épouse juive, Esther, et sous le règne duquel un décret du grand vizir Haman menaçait la population juive d’extermination ; mais ce péril fut conjuré grâce à Esther et à son oncle Mardochée (Mordekhaï en hébreu), sauvetage miraculeux que commémore annuellement la fête de Pourim. Akhad hameyoukhad shebadro (hébr.) : un personnage unique qui émerge du lot. Amalek : personnage biblique (Genèse XXXVI, 12 et I Chroniques I, 36), chef de la tribu des Amalécites. Son nom est devenu le symbole de la haine d’Israël et du judaïsme et il incarne la figure archétypale de l’ennemi des Juifs.

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Ashkenazim : utilisé dans le texte au sens de Juifs allemands ou de culture allemande, par opposition aux Juifs polonais. B Ba’al Chem (de l’hébr. ba’al Chem, litt. « maître du Chem », c’est-­à-­dire du [Saint] Nom) : thaumaturge, faiseur d’amulettes et/ou de miracles. Le Chem (le « nom » en hébr.) étant la formule magique ou cabalistique contenant le Nom divin dont use le Ba’al Chem. Beys-­Yakev (selon la prononciation en yiddish de l’hébr. Beth-­Yaqov) : maison de Jacob. Beni (hébr.) : mon fils. Breslau : l’actuelle ville polonaise de Wrocław. C Chambres de rhétorique (Rederijkerskamers en néerlandais) : sociétés littéraires hollandaises apparues au e xv siècle et organisées sur le modèle des guildes. Chem akhad (hébr.) : quelqu’un du nom de. D Draga (hébr.) : neumes, signes servant à la notation de la cantillation (le mode d’intonation adopté pour la lecture rituelle) hébraïque. Daytsh : Allemand, au sens d’Ashkénaze, Juif allemand, ou de langue judéo-­allemande (yiddish). Dinstagishi un fraytagishi kurantin : « Nouvelles du mardi et du vendredi », ancêtre de la presse yiddish. Dobrè notz ! (du polonais : Dobranoc !) : Bonne nuit !

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E El Malè rakhamim (de l’hébr. El ma’ala rakhamim, « Dieu plein de miséricorde ») : paroles initiales d’une prière du rite funéraire juif que l’officiant déclame pour l’élévation de l’âme du disparu au moment où l’on emporte le cercueil pour l’inhumation. Eretz-­Israël (hébr.) : terre d’Israël (c’est-­à-­dire la Terre sainte ou Palestine). Erik, Max (pseudonyme de Zalmen Merkin, 1898‑1937) : érudit et écrivain yiddish de Pologne, spécialisé dans la littérature yiddish ancienne à laquelle il consacra notamment une synthèse qui fit date. S’installa en Union soviétique, il fut assassiné au cours de la vague de terreur stalinienne en 1937. A consacré une étude approfondie à la pièce d’Euchel intitulée Di ershtè yidishè komedyè (« La première comédie yiddish »). Érouv (vocable hébr. qui signifie « mélange ») : clôture, réelle ou symbolique, délimitant le périmètre au sein duquel certaines activités normalement interdites ce jour-­là par les règles du Talmud et de la Torah peuvent être exécutées au cours des jours de Chabbath ou de certaines fêtes du calendrier israélite. Euchel, Isaac Abraham (Eykhln en yiddish) : figure éminente de la Haskalah à Berlin qui composa la pièce yiddish Reb Henokh vers 1792. F Felix Libertate : association patriotique fondée à Amsterdam en 1795 par une centaine de patriotes juifs, partisans de la Haskalah et de la Révolution française.

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G Gabè : (de l’hébr. gabaï, responsable d’une communauté juive, spécialement de la synagogue). Gaon : titre honorifique accordé autrefois aux présidents des académies rabbiniques de Babylone, titre utilisé au sens de génie. Gever : vocable hébreu qui signifie tout à la fois « homme », « coq » et « bite ». Goy (plur. : Goyim) : non-­Juif, souvent avec une nuance péjorative. Guet (hébr. : divorce) : selon le droit rabbinique, le guet s’opère par la remise à l’épouse par son mari d’une déclaration écrite faisant état de sa volonté de la répudier et de mettre fin aux liens du mariage. H Haman : selon le récit biblique consigné dans le Rouleau d’Esther, Haman était le grand vizir de l’Empire perse sous le règne d’Assuérus (A(k)hashverosh en hébr.). Perçu comme l’archétype du mal et de la haine des Juifs, il sera pendu ainsi que ses dix fils. Haskolè (de l’hébr. Haskalah) : le mouvement juif des Lumières. J Joodsche Houttuinen ou Joden Houttuinen (littéralement : « chantier juif ») : lieu-­dit de l’ancien quartier juif d’Amsterdam.

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K Kehilè (de l’hébr. kehillah) : communauté juive. Khazn (de l’hébr. khazan) : chantre. Kool (de l’hébr. kahal) : la direction de la communauté juive. Koyen (de l’hébr. cohen) : descendant des anciens prêtres. Ksubè (de l’hébr. ketoubah) : accord prénuptial (contrat de mariage) conforme au droit rabbinique. L Libli : transcription que donne l’auteur de Laybelè (diminutif de Layb, le prénom de Reb Lipman). M Maskilim (hébr.) : partisans de la Haskalah, le mouvement juif des Lumières. Mazel-­dogim (de l’hébr. mazal-­dagim, litt. « chance poissons ») : corporation de poissonniers. Mazel-­tov (hébr., litt. « Bonne chance ») : Félicitations ! Meshulekh (de l’hébr. mechoulakh, plur. meshulakhim) : émissaire et, plus particulièrement, un envoyé de la communauté juive chargé de récolter des fonds. Mikvè (de l’hébr. miqveh) : bain rituel servant aux ablutions requises pour se conformer aux rites de pureté prescrits par le judaïsme. Mishnah (hébr. : répétition) : compilation écrite des commentaires de la Torah (le Pentateuque) puisés dans la tradition orale rabbinique, rédigée en hébreu, première des sources rabbiniques. Son commentaire, la Guemarah

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(hébr. : achèvement), est écrit en araméen. L’ensemble – Mishnah et Guemarah – constitue le Talmud (hébr. : étude), fondement de la loi juive. N Nu ! : Eh bien ! Bon ! O L’Oude Schans (« ancien rempart » en néerlandais) : canal d’Amsterdam situé à proximité de la Jodenbreestraat (« Grande Rue juive »), laquelle est située dans le Joden‑ buurt, l’ancien quartier juif. Oy ! : exclamation yiddish exprimant la survenue d’un malheur. P Parnès (de l’hébr. parnas, plur. parnasim) : membre du conseil d’administration d’une communauté juive. Polek : qualificatif dérogatoire des Juifs polonais en usage chez les Juifs hollandais. Pourim : fête des Lots, qui est à bien des égards un équivalent juif du carnaval, donnant lieu à des réjouissances, représentations scéniques, transgressions légères – notamment vestimentaires –, mascarades et déguisements. Purimshpil (plur. Purimshpiln) : pièce ou farce à thème biblique que l’on avait coutume de jouer dans le monde ashkénaze lors de la fête de Pourim, initialement sous forme de monologues humoristiques paraphrasant le Rouleau d’Esther.

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R Rav : titre honorifique accordé aux rabbins. Reb (de l’hébr. Rav) : équivalent yiddish de « monsieur », s’agissant d’un Juif. S Shabès (de l’hébr. Chabbath) : le samedi, jour voué au repos. Shavuès (de l’hébr. Chavouoth, litt. « semaines ») : l’une des trois fêtes juives de pèlerinage à l’occasion de laquelle sont célébrés tout à la fois le début de la moisson du blé et le don de la Torah fait par l’Éternel à Moïse sur le mont Sinaï. Sheymès (plur. yiddish de Shem, qui signifie « nom », de l’hébr. Chem) : formules magiques ou cabalistiques. Un Ba’al Chem est littéralement un « maître du nom ». Sholem-­Aleykhem (nom de plume de Sholem Rabinovich, 1859‑1916) est tenu, comme Mendelè Mokher-­Sforim et Yitskhok Layb Peretz, pour un des trois pères fondateurs de la littérature yiddish moderne. Sholem Aleykhem (de l’hébr. Chalom Alei’hem, litt. « La paix soit avec vous ! ») : Salut à vous ! Shoykhet (de l’hébr. sho’het) : sacrificateur rituel. Sion (de l’hébr. Tsiyon) : désigne divers lieux en Terre sainte et en particulier, comme c’est le cas ici, la ville de Jérusalem (2 Rois XIX, 31). Smous (plur. smouzen) : terme injurieux remontant au e xvii siècle pour désigner un Juif, et plus spécialement un Juif ashkénaze.

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T Tatè : Papa. Ti’shè-­Bov (de l’hébr. Tishé-­Be’av) : le 9 du mois d’Av du calendrier hébraïque, journée de deuil et de désolation qui commémore la destruction des premier et second Temples de Jérusalem. Toldès (de l’hébr. Toldoth) : il s’agit des versets 19 à 28 du chapitre 25 de la Genèse. Trayf (de l’hébr. tréfah) : signifie non casher, c’est-­à-­ dire non conforme aux prescriptions rituelles en fait d’alimentation et, par extension, interdit, illégitime. V Ve’im lo (hébr.) : sinon. Y Yerushalmi : vocable hébreu qui signifie Hiérosolymitain, habitant de Jérusalem. Yom Kippour (de l’hébr., « jour des Propitiations »), également appelé « jour du Grand Pardon » est la fête juive la plus sainte de l’année. Le jour précédant la fête – Erev Yom Kippour – en fait partie intégrante et c’est le moment où chacun est tenu de pardonner à son prochain. Yontev (de l’hébr. Yom-­tov) : jour de fête (juive).

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OUVRAGES CITÉS1

Aptroot M. et Gruschka R. (éd.), Isaac Euchel. Reb He‑ noch, oder : Woß tut me darmit. Eine jüdische Komödie der Aufklärungszeit, Hambourg, 2004. Azulay Y. D., Sefer Megl Tov ve go’. Khoveroth Chonoth, Jérusalem, 1934. Bakhtine M., François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, 1982. Baumgarten J., Introduction à la littérature yiddish an‑ cienne, Paris, 1993. Baumgarten J., « Purim-­shpil », in The Yivo Encyclopedia of Jews in Eastern Europe, sur le site www.yivoencyclopedia.org/article.aspx/Purim-­shpil. Belkin A., « Yiddish Theatre : New Approaches », in J. Berkowitz (éd.), Yiddish Theatre : New Approaches, Londres, 2003, p. 20‑24 (étude qui peut être consultée

1. Cette liste inclut la bibliographie de la présentation de la comédie par Leo Fuks selon les indications fournies par cet auteur qui sont malheureusement parfois incomplètes s’agissant de la pagination et de l’année de parution de certains articles de revues.

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sur le site www.jewishtheatre.com/visitor/article_display.aspx). Bible : La Bible (traduction du Rabbinat français), Librairie Durlacher, Paris, 1960 (2 vol.). Boekman E., Demografie der Joden in Nederland, Amsterdam, 1936. Butzer E., Die Anfänge der jüdischen purim shpiln in ihrem literarischen und kulturgeschichtlichen Kontext, Hambourg, 2003. Créhange A. (éd.), Traité des principes ou Recueil de préceptes et de sentences des Pères de la Synagogue, Paris, 1957. Daltroff J., « 1871‑1918 : en Alsace, l’accueil contrasté des Juifs venus d’ailleurs », in F. Raphaël (éd.), Re‑ gards sur la culture judéo-­alsacienne. Des identités en partage, Strasbourg, 2001, p. 113‑129. da

Silva Rosa J. S., Bijdrage tot de Kennis van den Eco‑ nomischen en Politieken Toestand der Hoogduitsche Joden te Amsterdam in het Begin der Vorige Eeuw (Centraal Blad voor Israëlieten in Nederland) Amsterdam, 1916.

da

Silva Rosa J. S., « De Joden in de Schouwburg en in de Opera te Amsterdam gedurende de 17e en de 18e eeuw », in Vrijdagavond, 1, 1925, p. 46‑47.

da

Silva Rosa J. S., Geschiedenis der Portugeese Joden te Amsterdam, Amsterdam, 1925.

Dalinger B., Trauerspiele mit Gesang und Tanz, Vienne-­ Cologne-­Weimar, 2010.

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OUVRAGES CITÉS

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Diderot D., Voyage en Hollande, Y. Benot (éd.), Paris, François Maspero (La Découverte), 1982. Erik M., « Di ershtè yidishè komedyè. Itzik Eykhels komedyè “Reb Henokh oder vos tut men dermit” », in Filologishè Shriftn, 3, 1929. Euchel I., Reb Henoch, oder : Woß tut me darmit : voir Aptroot M. et Gruschka R. Fuks L., « Ajn naje kronajk foen 1740‑1752. Uit de kroniek van Abraham Chajim, zoon van Tsewi Hirsch Braatbard, van den huize Couveren », in Maandblad voor de Geschiedenis der Joden in Nederland, 1, 5708 – 1947‑1948, p. 45‑49. Fuks L., « Van Poerimspelen tot Poerimkranten », in Maandblad voor de Geschiedenis der Joden in Neder‑ land, 1, 1948, p. 6‑7. Fuks L., De Zeven Provinciën in Beroering (traduction néerlandaise des passages essentiels de la chronique de Khayim Ben Tsvi Hirsh Braatbard, Ayn Nayè Kurnayk fun 1740‑1756), Amsterdam, 1960. Hirschel L., « Cultuur en Volksleven », in H. Brugmans et A. Frank (éd.), Geschiedenis der Joden in Neder‑ land, t. I, Amsterdam, 1940, p. 454‑497. Jewish Virtual Library (site Internet), voir sous le mot-­ clef Theater. Kossmann E. F., Nieuwe Bijdragen tot de Geschiedenis van het Nederlandsche Toneel in de 17e en 18e Eeuw, La Haye, 1915. Maarsen I., « De Amsterdamsche Opperrabbijn R. Saul Lœwenstamm (1755‑1790) en zijn tijd », in Nieuw Is‑ raëlitisch Weekblad, 1921, p. 56‑57.

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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN

Melkman J., David Franco Mendes, a Hebrew Poet, Amsterdam, 1951. Michels E., Jiddische Handschriften der Niederlände, Leyde-­Boston, 2013. Mishna : La Mishna : A New Translation and Commentary sur le site Internet eMishnah.com. Mulder I. S., « Bijdrage tot de Geschiedenis van de Joden in Nederland », in Nederlandsch-­Israelietisch Jaar‑ boekje, 1852, p. 78‑84. « Oude Joodsche Toneelgezelschappen » (Italië), in Weekblad voor Israëlitische Huisgezinnen, 1914‑1926. Raphaël F., « Une rencontre manquée : les relations entre les Juifs d’Alsace et leurs coreligionnaires d’Europe orientale (1870‑1939) », in Saisons d’Alsace, 55‑56, 1975, p. 209‑227. Reisen Z., « Di manuskriptn un drukn fun Itzik Eykhels komedyè ‘R Henokh’ », in Arkhiv far der Geshikhtè fun yidisher Teater un Dramè, 1930. Schatzky Y., « Vegn Aren Halle-­Wolfsohns piesn », in Arkhiv far der Geshikhtè fun yidisher Teater un Dramè, 1, 1930. Schatzky Y., Di letztè shprotzungen fun der yidishè shprakh un literatur in Holand, Vilnius, 1938 Schatzky Y., « Dramè un teater bay di Sfardim in Holand », in Yivo-­Bleter, 16 (2), p. 135‑149. Schatzky Y., « Purim-­shpiln un letzim in Amshterdamer geto », in Yivo-­Bleter, 19 (2), 1942, p. 212‑220. Schatzky Y., « Teater-­farvaylungn bay di Ashkenzim in Holand », in Yivo-­Bleter, 21 (1), 1943, p. 302‑322.

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OUVRAGES CITÉS

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Schipper Y., Geshikhtè fun yidisher teater-­kunst un dramè, Varsovie, 1927‑1928. Seeliglmann S., « Die Juden in Holland, Eine Charakteristik », in Festskrift anledning af Prof. David Simonsens 70-­aarige foedseldag, 1923, p. 253‑257. Shmeruk C., Makhazot mikra’iyim be-­yidish, 1697‑1750, Jérusalem, 1979. Sluis D. M., Uit de Geschiedenis der Groote Synagoge der Hoogduitsche-­Joodsche Gemeente te Amsterdam in de Jaren 1768‑1914, Amsterdam, 1924. Van Praag J. A., La Comédie espagnole aux Pays-­Bas au xviie et au xviiie siècle, Amsterdam, 1923. Van Praag J. A., « Hoe Onze “Portugezen” Purim Vierden », in Maandblad voor de Geschiedenis der Joden in Nederland, 1, 1948, p. 6‑7. Vaz Dias A. M., « De Economische Positie van ‘t Gros der Amsterdamsche Joodsche Bevolking voor 1795 », in Nieuw Israëlitisch Weekblad, août-­sept. 1934. Weinstock Nathan, Le Yiddish tel qu’on l’oublie. Regards sur une culture engloutie, Genève, 2004. Wijbrands C. N., Het Amsterdamsche Toneel van 1617‑1772, Utrecht, 1873. Wolff M., « De Eerste Vestiging der Joden in Amsterdam, hun Politieke en Economische Toestand », in Biijdragen voor Vaderlandsche Geschiedenis en Oudheidkunde, 9, 1910, p. 365‑400 ; 10, 1912, p. 134‑182 et 354‑369 ; 11, 1913, p. 88‑101 et 350‑376. Worp J. A., Geschiedenis van het Drama en van het Toneel in Nederland, Groningue, 1904‑1908.

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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN

Worp J. A., Geschiedenis van den Amsterdamschen Schouwburg, 1496‑1772, Amsterdam, 1920. Zwarts J., Hoofdstukken uit de Geschiedenis der Joden in Amsterdam, Zutphen, 1929. *

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INDEX DES NOMS PROPRES

(Cet index contient tous les noms propres cités dans la note du traducteur et dans la préface. Les personnages de la pièce n’y figurent toutefois que dans la mesure où ils sont mentionnés dans l’introduction ou les notes infra-­paginales.) Akhashveyrosh : voir Assuérus Amalek : 35, 42, 76 Aptroot, Marion : 2, 80, 81 Arioste (l’) : xxxvii Artakhshatra : 64 Artaxerxès Ier : 64 Assuérus (Akhashveyrosh) : xxix, xxxi, 64, 68, 71, 74 Azoulay, Khayim (Haïm) Joseph (Yosef) David (dit le Hida) : xxxi Azulay : voir Azoulay Bakhtine, Mikhaïl : xi, xxviii, 79 Barrios, Daniel Levy : xxiv Baumgarten, Jean : 79 Belkin, Ahuva : xi, 79 Berkowitz, Joel : xi,79

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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN

Braatbard, Khayim Ben Tsvi Hirsh (issu de la famille Kauveren) : xix, 81 Boekman, Emanuel : xlviii, 80 Butzer, Evi : xi, xiii, 80 Créhange, Abraham : 67, 80 Dalinger, Brigitte : 80 Daltroff, Jean : xiv, 80 Da Silva Rosa, J. S. : xlvii, xlviii, 80 De Barrios, Miguel (ou Daniel) : xxiv De Jong, Philip Isak : voir Rintel, Lipman De La Pay, Aharon : xxiv Dessauer, Jacob Herz : xi, xxxv, xl, xliv, Diderot, Denis : xii, 81 Don Juan : xl

xlvii

Erik, Max : xliii, xlvi, 7, 81 Esther : xvii, xxiii, xxviii, xxix, 64, 68, 71, 74, 76 Euchel, Isaac (ou Yitskhok) Abraham : x, xlii, xliii, xliv, 73, 79, 81 Eykhln : voir Euchel, Isaac Abraham : Francesco de Mantoue (duc) : xxvii Fuks, Leo (Lajb) :vii, ix, x, xi, xii, xv, xvii, xix, xxxix, xli, xlvi, xlviii, 62, 64, 65, 68, 79, 81 Fuks, Simon : ix Furoni : xxvii Goldfaden, Avrohom : x Gonzague, Ercole (cardinal) : xxvii Gruschka, Roland : x, 79, 81 haentjens, Matthias : ix haentjens-fuks, Nadja :

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ix

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INDEX DES NOMS PROPRES

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Haman : 42, 64, 68, 71, 74 Halle-­Wolfssohn : xlii, xlvi Heink, D. : xxxiv Henerl (Reb) : xvii, xl, xli, 65, 68, 69 Hirschel, L. : xlviii, 81 Henriquez, Benjamin : xxiv Hida (le) : voir Azoulay, Khayim Holopherne : xxvi Isaïe : 63 Israël, Abraham : xxiv Jacob (patriarche) : xxiii, Jacob (acteur) : xxvii Judith : xxvi

xxvii,

72

Kant, Immanuel : xlii Kauveren (famille) : voir Braatbard, Khayim Ben Tsvi Hirsh Kendlayn : xxxi Klodder, Loser : xxxiv Kossmann, E. F. : xlvii, 81 Khshayarsha : voir Xerxès Laybkhè le Chapelier : xxxiv Lipman (Reb) : xii, xvi, xvii, xxxvi, xxxvii, xli, 61, 63, 64, 75 Loewenstamm, Shaul (rabbin) : xxxviii, xlvii, 81 Loewenstamm, Yakev Moyshè (rabbin) : xii, xvii, xlv

Mantoue (marquise de) : xxvi Maarsen, I. : xlii, 81 Mardochée (Mordekhaï) : 64, 71 Martinis, Izac Vaez : xxiv Martinis, Jacobus Vaez : xxiv

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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN

Maspero, François : xii, 81 Massarano, Jacchino : xxvii Melkman, J. : xlviii, 82 Mendelè Mokher-­Sforim : xxxvi, 77 Mendelssohn, Moïse : xliv Merkin, Zalmen : xliii, 73 Michels, Evi : xi, 82 Moïse : xxiii, xxxiii, 50, 77 Mordekhaï : voir Mardochée Mulder, I. S. : xlvi, 82 Nabarro (perruquier) : xxxiv Nabarro, Jacob : xxiv Naran, Yaqov Jacob Mochè (rabbin) : Niborski, Yitskhok : 62

xxxvii,

58

Peretz, Yitskhok Layb : xxxvii, 77 Pino (abbé) : xxvii Polak (les frères) : xxxiv Porsia (princesse) : xxxiv Proserpine : xxxiv Rabinovich, Sholem : voir Sholem-­Aleykhem Rembrandt : xxxii Rintel, Lipman : xvi Raphaël, Freddy : xiii, xiv, 80, 82 Reisen, Zalmen : xlvi, 82 Rosenthal, Leeser : xlix Roza, Samuel (Shmuel) : xxiv Salomon (acteur) : xxvii Sanudo, Marin : xxvi Schatzky, Y. : xlvi, 82 Schipper, Yitzhak : xlvi, Sforzo, Giovanni : xxvi

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INDEX DES NOMS PROPRES

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Shmeril (Reb) : xxxviii Shmeruk, Chone : xii, 83 Sholem-­Aleykhem : xxxvi, xl, 77 Sluis, D. M. : xlviii, 83 Snel, Jacobus : xxiv Septante (les) : 64 Sommi, Leone Portaleone : xxvii Spinoza, Barukh (Benedict) : xxxiii Tevyé le Laitier : xxxvi Van Halmael, H. : xxxix Van Marten, Pieter : xxiv Van Praag, J. A. : xlvii, xlviii, 83 Vaz Dias, A. M. : xlviii, 83 Victorio, Izac Levy : xxiv Vincenzo (duc) : xxvii Weinreich, Max : xiii Weinstock, Nathan : vii, xiii, 83 Wijbrands, C. N. : xlvii, 83 Wing, Bendit Ben Ayzik : xlix Wolff, M. : xlvii, 83 Worp, J. A. : xxxix, xl, xlvii, 83, 84 Xerxès Ier (Khshayarsha) : 64 Yeklayn le Sourd : xxxi Yerushalmi : xvi, xxxvi, xxxvii, xxxix, xli, xliv Yoksh (Reb) : xvii, xxxvii, xxxviii, xl, xli, xlii, 62, 64 Zwarts, J. :

xlviii,

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TABLE DES MATIÈRES

Note

du traducteur

Préface

de

(N. W.). . . . . . . . . . . . . . IX

Leo Fuks . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV

1. Quelques observations relatives à la condition juive aux Pays-­Bas au cours des xviie et xviiie siècles. . . . . . XVIII 2. Le théâtre en milieu sépharade. . . . . . . . . XXII 3. Le théâtre en milieu ashkénaze . . . . . . . . XXVII 4. La comédie Tout est bien qui finit bien . . . XXXVI 5. Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XLV est bien qui finit bien. . . . . . . . . . . . . . .

1

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

61

Tout

Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Ouvrages Index

cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

des noms propres. . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

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Ce volume, le soixante‑quatorzième de la collection « La Roue à Livres » publié aux Éditions Les Belles Lettres, a été achevé d’imprimer en août 2016 par la Manufacture imprimeur 52200 Langres, France

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N° d’édition : 8366 – N° d’impression : 000000 Dépôt légal : septembre 2016 Imprimé en France

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