L'échelle humaine en question - Concevoir la ville de demain en collectif

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Remerciements

Je souhaite tout d’abord adresser mes sincères remerciements à Séverine BridouxMichel pour l’ensemble de son suivi et sa disponibilité tout au long de cette année. Je tiens également à remercier tous les intervenants de ce séminaire de recherche « Conception et expérimentation », notamment Jean-Christophe Gérard pour ses interventions très instructives et enrichissantes. Enfin je remercie Benoît Gavrel et Stessy Martin pour leurs conseils, leur patience et leur bonne humeur lors des lectures et relectures de ce mémoire.

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Introduction

1.

Objet de la recherche : Comment faire la ville à « échelle hu-

maine » ? Qu’entendons-nous aujourd’hui par « échelle humaine » ? L’expression recouvre des sens bien différents, ainsi qu’on peut le voir dans les écrits repérables dans l’histoire de l’architecture. Ce terme est cependant devenu une sorte de leitmotiv, un argument de communication, aussi bien pour les architectes, les urbanistes, que pour les collectivités, qui en font un élément essentiel de leur discours. Comment définir cette notion ? Pouvons-nous vraiment la définir ?

Comment faire la ville aujourd’hui ? La question d’« échelle humaine » est-elle obsolète pour l’architecture ? Qu’appelle-t-on une ville à « échelle humaine » ? Pour certains architectes, il sera davantage question de « taille humaine », que d’échelle humaine ; elle constituerait un élément particulièrement mobilisant dans le projet urbain, et peut se révéler comme un élément fédérateur du projet. En remettant l’homme au cœur de la ville, donc au cœur des projets et de la vie publique, les architectes, urbanistes, ou paysagistes créent une manière de concevoir la ville. Depuis le milieu du XXème siècle, les architectes et les urbanistes ont travaillé sur la question de l’îlot, des formes urbaines, et sur la place du piéton dans la ville. C’est le cas par exemple dans le nord de la France, pour les plans de la reconstruction de la ville de Dunkerque en 1948, dessinés par Théodore Leveau l’urbaniste en chef et Jean Niermans, architecte en chef de l’opération. Citons également, la création de la commune de Villeneuve d’Ascq, lors de la mise en place d’une politique des villes nouvelles françaises dès 1968. Peut-on dire que ces projets urbains ne traitaient que l’aspect formel de la ville ? Depuis les années d’après-guerre jusqu’aux années 1980, la conception de la ville était davantage liée à l’esthétique de la forme, (comme on peut le voir, par exemple, avec le concept de « l’îlot ouvert »1 développé dans les années 1970 par Christian de Portzamparc) qu’aux « pratiques » urbaines. Il y a eu un changement de paradigme au niveau de la pensée de l’urbanisme. Aujourd’hui, c’est une autre forme d’esthétique qui se développe, on pense toujours

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L’ilot ouvert a été théorisé par l’architecte et urbaniste Christian de Portzamparc, il se différencie de l’îlot traditionnel par la possibilité d’être traversé de part en part. Il se caractérise par l’agencement de plusieurs bâtiments autonomes de formes différentes, disposés de façon à créer des vides et des percées visuelles à l’intérieur de l’îlot. De cette façon il évite les phénomènes de mitoyenneté et permet aux im‐ meubles de bénéficier d’expositions multiples.

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à la forme, mais de manière différente. Il y a la notion du « faire » qui est devenue une composante importante dans la définition des projets urbains. Les processus participatifs fleurissent de plus en plus, notamment dans les projets de quartier, s’inscrivant le plus souvent dans une politique urbaine. C’est dans cette mouvance que se situent aujourd’hui de nouveaux collectifs interdisciplinaires, constitués d’architectes, d’urbanistes ou de paysagistes. Assistons-nous à une redéfinition de la conception de la ville ? Est-ce un véritable renouvellement ?

2.

Démarche : De la notion d’échelle humaine aux pratiques

collectives. Ce mémoire de recherche propose de questionner la notion d’échelle, et plus précisément la question de « l’échelle humaine » dans l’espace urbain.

La notion d’échelle, terme fréquemment employé par les architectes dans leurs écrits ou leurs discours, constitue aujourd’hui, une sorte de « mot valise ». Il engendrerait les notions d’espace, de dimension, de mesure, de taille, et de proportion. On sait que de nombreux écrits de spécialistes ont défini ce terme. Il reste pourtant difficile à définir car il dépend surtout du point de vue de chacun et du contexte. Comme l’explique Boudon, « l’échelle est en son principe multiplicité, toujours autre : “l’échelle en soi n’existe pas” »2. Il faudrait plutôt parler DES échelles. Dans cette recherche, il s’agira de définir cette notion à travers différents aspects qu’elle amène, et de voir que l’on peut distinguer différentes déclinaisons d’échelles possibles. Je voudrais confronter un certain nombre de discours et travaux tenus par des théoriciens et concepteurs de l’architecture pour essayer

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Philippe, Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, Paris, Anthropos, 2002, p. 84

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de définir cette notion, tels que Philippe Boudon3, Charles W. Moore4, Le Corbusier5 ou encore Eugène Viollet-Le-Duc6. Puis, à partir de cette première étude du mot « échelle », il s’agira de questionner la notion d’échelle humaine. Qui parle d’échelle humaine ? Les sociologues, les architectes, les urbanistes ? Qu’entendons-nous par échelle humaine ? De quoi parle-t-on aujourd’hui ? Ensuite, il s’agira de questionner les nouvelles pratiques urbaines, à travers quelques projets et initiatives collectives, pour tenter de comprendre vers quel urbanise va la ville aujourd’hui, et quel sens est donné à la notion d’échelle humaine dans ces pratiques. Enfin, je réaliserai une étude de cas sur un projet particulier en axant la réflexion autour de la question de l’échelle humaine. Tout au long de cette recherche, nous nous intéresserons à des initiatives innovantes en matière d’art et d’aménagement urbain, des projets, des lieux, des acteurs, des structures dites « à échelle humaine ». Des pratiques « offrant des pistes de réflexions et d’action »7 sur la ville et son territoire. Le mobilier urbain, des dispositifs à l’échelle de la ville ou du quartier, des programmes avec un rythme qui explorent une nouvelle définition du « faire » la ville aujourd’hui. Nous verrons donc que la notion d’échelle en architecture s’est toujours posée. Quant à la question de « l’échelle humaine », elle se retrouve depuis quelques décennies, être source de questionnements pour nombre d’architectes et de concepteurs, mais aussi par des chercheurs et historiens. Finalement, on peut se demander si cette notion ne participerait pas aujourd’hui, à un changement de paradigme dans la pensée de l’urbanisme ?

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Philippe Boudon (1941 ‐ ) est un architecte et urbaniste français, docteur en lettre et sciences humaines, il a été rédacteur en chef de la revue Architecture, mouvement, continuité (devenue ensuite AMC). Inven‐ teur de l’architecturologie (science qui cherche à théoriser la modélisation de la conception architectu‐ rale) il a fondé en 1972, le LAREA (Laboratoire d’architecturologie et de recherches épistémologiques sur l’architecture), qui a donné lieu a beaucoup de publications dont l’ouvrage initiateur du programme : Sur l’espace architectural : essai d’épistémologie de l’architecture, Paris, Dunod, 1971 (réédité chez Paren‐ thèses en 2003). 4 Charles Willard Moore (1925‐1993) est architecte et docteur en histoire de l’art, en plus de sa pratique architecturale faisant de lui une figure essentielle du post‐modernisme américain, il a écrit de nombreux ouvrages liés à sa pratique. 5 Charles‐Édouard Jeanneret‐Gris, (1887‐1965), connu sous le nom de Le Corbusier, est un architecte, ur‐ baniste, décorateur, peintre et designer suisse et le représentant du mouvement moderne (style interna‐ tional). Lors de la période de reconstruction après la seconde guerre mondiale, il va réaliser en France des « unités modèles » d’habitation selon les principes de la ville moderne, en tenant un discours favorable à une architecture plus humaine. 6 Eugène Emmanuel Viollet‐le‐Duc (1814 – 1879) est un architecte français connu pour ses restaurations d’édifices médiévaux. Mais c’est aussi un historien et théoricien de l’architecture, ses nombreux écrits lui ont permis de poser les bases de l’architecture moderne. 7 Expression utilisée par le pOlau (pôle des arts urbains) sur la présentation de leur travail : http://po‐ lau.org/le‐polau

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I.

La question de « l’échelle humaine » en architecture. A.

De la notion d’échelle à la notion d’échelle humaine

Dans le cadre de ce mémoire nous verrons que beaucoup d’architectes se sont intéressés à la notion d’échelle en architecture, et que sa formulation est assez récente puisque « sa présence dans les discours théoriques de l’architecture ne remonte pas au-delà du XIXème siècle. »8

1.

« Définition de l’échelle : ambiguïté avec la notion de pro-

portion » 9 Parmi les architectes qui ont questionné la notion d’échelle, nous savons qu’Eugène Viollet-le-Duc a cherché à théoriser la notion d’échelle en architecture dans le Dictionnaire

raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle (en 1875): « Nous ne parlons pas ici de l’échelle dont se servent les ouvriers pour monter sur les échafauds, non plus des échelles qui étaient en permanence sur les places réservées aux exécutions, et auxquelles on attachait les gens coupables de faux serments ou de quelque délit honteux, pour les laisser ainsi exposés aux quolibets de la foule. Nous ne nous occupons que de l’échelle relative. En architecture, on dit “l’échelle d’un monument… Cet édifice n’est pas à l’échelle.” L’échelle d’une cabane à chien est le chien, c’est-à-dire qu’il convient que cette cabane soit en proportion avec l’animal qu’elle doit contenir. Une cabane à chien dans laquelle un âne pourrait entrer et se coucher ne serait pas à l’échelle »10. Boudon commente cette définition par le fait que « c’est par la proportion que Viollet-le-Duc définit l’échelle »11. Ainsi, les notions d’échelles et de proportions restent assez ambiguës dans cette définition qu’en fait Viollet-le-Duc, qui est néanmoins le premier à faire la distinction entre ces notions et accorde à chacune une définition particulière dans son Dictionnaire12. A partir de cette observation, Philippe Boudon

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Philippe, Boudon, De l’architecture à l’épistémologie : la question de l’échelle, Paris, Presses universi‐ taires de France, 1991, p.1 9 En référence au titre utilisé par Philippe Boudon, dans Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, Nouvelle édition revue et augmentée, Marseille, Parenthèses, 2003, p.93 10 Eugène, Viollet‐le‐Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Vol 5, Paris, Editions Morel, 1867, p. 563. Article « Échelle », t. V, p. 143 sqq. 11 Philippe, Boudon, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, Nouvelle édition revue et augmentée, Marseille, Parenthèses, 2003, p. 157. 12 Eugène, Viollet‐le‐Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Vol 5, Paris, Editions Morel, 1867, p. 563.

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appuie sur l’ambiguïté et la confusion qu’il existe entre la notion d’échelle et la notion de proportion. Il tente de définir ces notions qu’il considère comme deux modes de mesure : « Dans un projet, les éléments ne sont pas toujours mesurés de la même manière. Nous nous proposons d’appeler échelle ce qui permet d’instaurer une grandeur (qu’elle soit métrique ou non) et de conserver à la proportion son usage de mise en rapport arithmétique ou géométrique, indépendamment de toute idée de grandeur ; la proportion nie la différence entre le petit et le grand, elle ignore la question de la taille. Ainsi définie, dans le cas de la proportion, la mesure s’effectue par report d’un élément d’un espace à un autre élément du même espace, l’ensemble étant considéré comme un système clos. Les proportions de la pièce ne permettent pas à elles seules d’en connaître la taille. Pour en connaître la taille, la mesurer, il faut un report d’un élément de la pièce à un élément extérieur dont la taille est connue : l’échelle suppose la mesure d’un édifice ou d’une partie d’un édifice par report à un élément extérieur à lui-même. »13 Autrement dit, il distingue la proportion comme étant une « mesure par report à l’intérieur d’un espace clos », et « l’échelle comme mesure recourant à une extériorité ».14

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Philippe Boudon, Philippe Deshayes, Frédéric Pousin, et Françoise Schatz, Enseigner la conception ar‐ chitecturale. Cours d'architecturologie, Paris, Edition de La Villette, 1994, p. 105. 14 Philippe Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, op.cit. 10 |


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« L’échelle du Modulor, parce qu’elle est une, n’est pas une échelle » Philippe Boudon

Fig. 01 : Le Corbusier - Le Modulor - L'espace à l'échelle humaine : mise en place de normes humaines grâce aux mesures effectuées sur un homme moyen de 1m83.

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Philippe Boudon, considère la proportion et l’échelle comme étant deux pensées de l’espace. « La première procède du géométrique et de l’espace idéal de la géométrie, la seconde de la nécessité pour l’espace architectural, lors de la conception, de pouvoir s’embrayer sur l’espace réel. » La proportion est ainsi « toujours analogie » alors que l’échelle « s’en distingue ».15 L’auteur cite Viollet-le-Duc et Paul Valéry, deux formules qui traduisent bien les questions d’échelle selon lui : « en architecture 2 n’est pas 4 comme 200 est à 400 » et « ce qui est vrai de a ne l’est pas de na. »16 Ainsi l’auteur formule l’hypothèse que « l’échelle est la notion rendant compte d’une différence entre espace géométrique et espace architectural »17

D’autre part, les recherches effectuées par Le Corbusier avec le Modulor18 fut une tentative de poser la question de l’échelle. L’architecte va, dès 1945, expérimenter les notions de proportions du corps humain, couplées à des théories mathématiques, dans le but d’aider aux fabrications et préfabrications de bâtiments dans le monde entier pour la reconstruction. Il lui fallait donc mettre en place une mesure universelle, et autant que possible harmonieuse, sur laquelle s’appuyer pour la construction de bâtiments d’habitations. En effet, cet essai visait à mettre en rapport les proportions du corps humains pour les normaliser afin de les faire correspondre aux mesures architecturales. Autrement dit, le Modulor avait pour but de servir d’outil de mesure universelle basé sur l’échelle humaine.19 Le Corbusier implique donc l’idée de modèle mathématique, et assujettit l’échelle à la simple proportion. Ainsi, Philippe Boudon explique que « Le Corbusier a cru pouvoir poser une règle générale d’échelle, ramenée à une proportion alors que les échelles sont éminemment variées, dépendant de contextes divers. D’où le besoin d’un recensement plus poussé de la polysémie de l’échelle. »20

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Texte de la conférence de Philippe Boudon, De quelques fondamentaux en architecturologie, à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy (17 novembre 2014). 16 Philippe Boudon, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, op.cit. 17 Ibid. 18 Notion architecturale créée par Le Corbusier vers 1945, visant à la standardisation du corps humain, basée sur le nombre d’or, dans le but de servir à la conception de la structure et de la taille des unités d’habitation. (Principe moderne de bâtiments d’habitation lors de la construction des premières cités). La plus connue étant la « cité radieuse » à Marseille construite en 1952. 19 Mickaël Labbé, Le Corbusier et le problème de la norme, thèse sous la direction de Frédéric Buzon, Ecole doctorale des humanités, Université de Strasbourg, 2015. 20 Texte de la conférence de Philippe Boudon, op.cit.

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2.

La différence entre architecture et géométrie : l’échelle

L’échelle est pour Philippe Boudon, ce qui entraîne « une distinction épistémologique entre deux pensées de l’espace »21 : l’espace architectural et l’espace géométrique. La notion d’échelle est ici, selon lui, ce qui différencie la géométrie de l’architecture. Dans la conception de l’espace architectural, la notion d’échelle rentre en jeu, et marque la différence avec l’espace géométrique. « C’est bien un espace différent de l’espace géométrique qu’est l’espace architectural, dès lors qu’il s’accompagne nécessairement de mesures tandis que l’espace géométrique procède dès son origine, avec Thalès, en quelque sorte, justement d’une mise entre parenthèses des dimensions réelles de l’espace : les triangles de Thalès sont semblables quelle que soit leur taille. »22 Dans son ouvrage23, l’auteur développe deux pensées de l’espace : l’espace architectural et l’espace géométrique, qui proviennent l’un et l’autre de la pensée de l’architecte et de la pensée du géomètre, se référant à l’espace concret pour le premier et l’espace abstrait pour le second. Le premier pouvant être décrit autrement par l’« “espace vrai ” de Henri Focillon, “sensible” de Gaston Bachelard, “banal” de Francis Perroux. »24 Pour exprimer cette différence plus clairement, l’auteur donne cet exemple : « Un cube de géomètre est pensé indépendamment de sa taille, tandis qu’un cube d’architecte a nécessairement une taille, une mesure, une échelle. »25

L’architecturologue qu’est Philippe Boudon, fonde sa réflexion sur la question suivante : « comment l'architecte donne-t-il des mesures à l'espace ? » il tente ainsi de « fonder une connaissance scientifique de l’architecture. » Et essaye de chercher une abstraction d’un espace concret, (l’espace architectural) « à la différence de la géométrie qui elle, serait plutôt figuration d’une abstraction. »26

Ainsi pour l’auteur, il est nécessaire de différencier ces deux objets : géométrie et architecture, qui sont véritablement « deux objets de pensée différents. D’où il ressort que

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Philippe Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, op.cit. Texte de la conférence de Philippe Boudon, op. cit. 23 Philippe Boudon, De l’architecture à l’épistémologie : la question de l’échelle, op. cit. 24 Philippe Boudon, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, op. cit. 25 Ibid. 26 Ibid. 22

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la géométrie ne peut servir de modèle d’intelligibilité à une véritable connaissance de l’architecture et que s’impose d’œuvrer à la constitution d’un autre modèle – architecturologique27 cette fois – ne se limitant pas à la seule proportion, postulée par la géométrie, mais incluant une modalité de mesure complémentaire et indispensable, qui est l’échelle. »28 L’échelle est ici considérée comme étant l’outil de mesure de l’espace architectural : « l’opérateur complexe permettant de donner des mesures à ce qui n’existe pas encore »29 Elle désigne « l’opération générique »30 qui permet à l’architecte de donner à un bâtiment, un espace, une mesure ou des mesures.31

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Le modèle architecturologique se distingue par son caractère a priori, dans le processus de conception. Ce ne serait pas « le » processus de conception. Le processus serait, ici, entamé sans a priori, autrement dit sans penser qu’une voie serait mieux qu’une autre. Nous pouvons notamment nous référer à des ou‐ vrages de Philippe Boudon qui en traitent plus spécifiquement : Introduction à l’architecturologie, Paris, Dunod, 1992 et plus récemment dans Boudon P., Deshayes P., Pousin F. & Schatz F., Enseigner la concep‐ tion architecturale, cours d’architecturologie, Paris, La Villette, première parution en 1994. 28 Philippe Boudon, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, op. cit. 29 Philippe Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, op. cit. 30 C’est‐à‐dire une démarche globale, compris comme prise dans son ensemble. 31 Philippe Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, op. cit.

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« La pluralité des perceptions physiques et symboliques d'un lieu montre qu'il n'y a pas de mesure possible de l'espace sans s'interroger d'abord sur ses significations multiples. »32

32

Philipe Boudon, « Echelles en architecture et au‐delà », in Les annales de la recherche urbaine, mars 1999, n°82. pp. 5‐13. 16 |


3.

Multiplicité des sens

Eugène Viollet-le-Duc parle d’échelle globale qui peut être technique, géométrique, fonctionnelle, etc. Mais qui « n’interviennent pas simultanément. »33 Il n’intègre donc pas la notion de polysémie des échelles en architecture. Boudon introduit cette notion de multiplicité des sens, dans son livre Sur l’espace architectural en 2003, pour y définir la multiplicité des concepts attachés à cette notion d’échelle. La différence se fait dans le cas où pour Boudon, l’échelle se définit dans la simultanéité de tous ces aspects alors que pour Viollet-le-Duc c’est dans la succession. Par ailleurs, Philippe Boudon définit l’échelle comme étant un concept clé, « l’opérateur complexe permettant de donner des mesures à ce qui n’existe pas encore. »34 L’échelle est pour lui un outil architecturologique, l’outil opératoire, qui permet d’analyser et de prendre de la distance sur le travail de conception. Il s’est intéressé à la complexité et à la multiplicité des aspects que la notion peut couvrir, et a décliné près d’une vingtaine de types d’échelles différentes35. De l’échelle technique, à l’échelle humaine, en passant par l’échelle

géographique36. Ces variations permettent de justifier la polysémie de la notion d’échelle, en excluant l’idée d’unité (et son usage au singulier), décrivant ainsi l’imprécision de cette notion. De même qu’un bâtiment, lors du processus de conception, « ne saurait se limiter à une détermination procédant d’une seule échelle. Chaque bâtiment résulte de l’agencement de multiples échelles, que l’une domine ou non […] Il faudra dorénavant envisager, pour autant que cela soit possible, des relations, des articulations d’échelles. »37 Mais la diversité de la notion n’en serait rien si l’« on ne mettait pas en rapport les échelles entre elles », car les échelles architecturologiques « n’imposent ni ordre ni hiérarchie à la conception. »38

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Philippe Boudon, et Philippe Deshayes, Viollet‐le‐Duc, le dictionnaire d'architecture. Relevés et observa‐ tions, Bruxelles, Editions Mardaga, 1979, 366 p. 34 Philippe Boudon, Echelle(s) : l'architecturologie comme travail d'épistémologue, op. cit. 35 Après un examen de la polysémie de la notion d’échelle, Philippe Boudon a recensé de manière empi‐ rique, une vingtaine d’échelles architecturologiques que l’on retrouve notamment dans son ouvrage En‐ seigner la conception architecturale. Cours d'architecturologie, Paris, Edition de La Villette, 1994, pp. 167‐ 186, mais il indique que cette liste n’est pas exhaustive. 36 Mais aussi l’échelle fonctionnelle, l’échelle symbolique dimensionnelle, l’échelle symbolique formelle, l’échelle de voisinage, l’échelle parcellaire, l’échelle de visibilité, l’échelle optique, l’échelle sociocultu‐ relle, l’échelle de modèle, l’échelle sémantique, l’échelle d’extension, l’échelle économique, l’échelle géo‐ métrique, l’échelle cartographique, l’échelle de représentation, l’échelle des niveaux de conception, et l’échelle globale. 37 Philippe Boudon, Enseigner la conception architecturale. Cours d'architecturologie, op. cit. 38 Ibid.

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4.

L’échelle « sensible »

Le mot échelle peut aussi prendre un sens plus sensible, axé davantage sur l’effet produit sur le corps et les sens. Prenons par exemple, René Daumal, dans son roman Le

Mont Analogue, il exprime « l’effet que produit l’espace architectural sur le corps en tant qu’il est affecté par les dimensions réelles »39, et définit, en quelque sorte, ce qu’on pourrait appeler l’échelle humaine : « La distinction entre proportion et échelle a souvent été faite, je la rappelle toutefois. Prenez une cathédrale, et faites-en une réduction exacte de quelques décimètres de haut ; cet objet transmettra toujours, par sa figure et ses proportions, le sens intellectuel du monument, même s’il faut en examiner à la loupe certains détails ; mais il ne produira plus du tout la même émotion, ne provoquera plus les mêmes attitudes ; il ne sera plus “à l’échelle”. »40 Ainsi, pour René Daumal, dès lors qu’un édifice se trouve modifié, sa nature en sera changée.41 Il exprime donc l’idée d’un rapport physique à l’espace, un rapport au corps. Nous retrouvons cette idée de perception, et d’impression de grandeur dans Eu-

palinos ou l’architecte de Paul Valéry : « Socrate : Mais ne peut-on copier le marsouin, ou le thon eux-mêmes, et piller directement la nature ? Phèdre : Je le croyais naïvement. Tridon m’a détrompé. Socrate : Mais un marsouin n’est-il pas une sorte de navire ? Phèdre : Tout change avec la grosseur. La forme ne suit pas l’accroissement si simplement […] Si une qualité de la chose grandit selon la raison arithmétique, les autres grandissent autrement. »42 Contrairement à la géométrie (indépendante de la notion de dimension), l’espace architectural ne peut être pensé sans la mesure.43 Philippe Boudon explique d’ailleurs bien ces caractéristiques que « lorsque l’échelle augmente, les proportions ne sont pas gardées. »44 Ainsi lorsque Valéry explique que tout change avec la grosseur, l’échelle est vue ici comme quelque chose de contingent, qui « dépend toujours des circonstances. »45 Et qu’elle nécessite une certaine appréhension dans sa traduction et sa compréhension. Une sensibilité.

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Texte de la conférence de Philippe Boudon, op. cit. René Daumal (écrit en 1939), Le Mont Analogue, Paris, Gallimard, 1981, p.182 41 Philippe Boudon, op. cit. 42 Paul Valéry, Eupalinos, ou l'Architecte [1923], Paris, Gallimard, 1959, p. 94. 43 Dominique Raynaud, Architectures comparées. Essai sur la dynamique des formes, Marseille, Paren‐ thèses, 1998, p. 164. 44 Philippe Boudon, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, op. cit. 45 Texte de la conférence de Philippe Boudon, op. cit. 40

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D’autre part Charles W. Moore et Gerald Allen, définissent l’échelle comme un terme n’ayant de sens que s’il fait lien : « Tout emploi du mot échelle, implique une comparaison d’une chose avec une autre. »46 Pour eux, l’échelle ne se définit pas comme la taille de l’objet mesuré, mais comme quelque chose qui est toujours en relation avec les choses : « l’échelle est la taille relative, la taille d’une chose relativement à une autre. »47 Elle peut-être en « relation au tout », « relation entre parties », « relation à la taille usuelle » et « relation à la taille humaine ». Cette dernière est relative à la notion d’échelle humaine. Mais pour les auteurs, l’échelle humaine appartiendrait davantage au domaine du sensible, qu’à la notion d’arithmétique48 en tant que telle, « et plus précisément au domaine des formes qui ont un sens pour l’homme. »49 Ils définissent la notion d’échelle humaine ainsi : « En général, un édifice dont les formes ont un sens pour l’homme nous sera plus sensible qu’un édifice qui tenterait de rester en rapport avec les dimensions du corps. Le premier représente ce que nous entendons par “ échelle humaine ”. »50 En exprimant la notion d’échelle humaine comme des formes qui ont un sens pour l’homme, on ne parle pas de dimensionnement normé, ou d’espace relatif à la taille humaine (comme ce que Le Corbusier essaya de faire avec son Modulor) mais les auteurs font ici, « entrer en jeu une dimension subjective inhérente à la perception sensible des lieux. »51 Autrement dit, la perception de l’échelle humaine serait alors basée sur des formes plutôt que sur des mesures.

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Charles W Moore, et Gerald Allen, L’architecture sensible : espace, échelle et forme, Paris : Dunod, 1986, pp. 19 à 23 47 Ibid. (Cette définition fait écho à ce que Philippe Boudon a pu exprimer à propos de l’échelle toujours en relation avec une extériorité, contrairement à la proportion qui est en relation avec ses parties). 48 En référence à « la raison arithmétique » de Phèdre 49 Charles W. Moore, et Gerald Allen, L'architecture sensible : espace, échelle et forme, op.cit. 50 Ibid. 51 Cécile Bukowski, (consulté le 20 novembre 2016), L’échelle humaine dans l’architecture contemporaine, [en ligne]. <http://www.implications‐philosophiques.org/societe‐2/ville/lechelle‐humaine‐dans‐larchi‐ tecture‐contemporaine/#_ftnref4>

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B.

Comment les architectes parlent-ils d’échelle humaine ?

La notion « d’échelle humaine », semble avoir moins fait l’objet de nombreuses réflexions théoriques et ne se révèle pas comme étant une notion à part entière. Néanmoins, architectes et paysagistes se sont penchés sur cette notion. Comme Philippe Boudon, qui la développe à travers ses recherches autour de l’échelle en architecturologie ainsi que Charles W. Moore, Jane Jacobs et Jan Gehl. Les ouvrages traitant de la question d’échelle humaine ne sont pas nombreux, et les réflexions sur cette notion sont assez récentes. Dans les magazines d’architecture (comme

L’Architecture D’Aujourd’hui), les articles traitent en général de projets qui tentent de répondre à la question d’échelle humaine et qui n’essaient pas de la questionner réellement. Ce sont donc des approches très subjectives de ce que les concepteurs entendent par « échelle humaine ». J’ai décidé de faire un choix parmi toutes les réflexions et les écrits théoriques concernant cette notion, en me concentrant surtout sur les écrits de Jan Gehl. L’architecte a connu un succès planétaire, et est devenu l’icône de la ville à échelle humaine et de l’urbanisme durable. Il est intéressant de se pencher sur ses propositions, d’autant plus que c’est son équipe qui a été choisie pour réaliser le projet de St Sauveur à Lille, qui fera l’objet d’une étude de cas en dernière partie de ce mémoire.

Pour essayer de mieux comprendre ce qu’on entend aujourd’hui par « ville à échelle humaine », il s’agira de porter un regard critique sur cette réflexion de Jan Gehl et aussi d’autres définitions données par différents architectes et théoriciens de l’architecture. Le terme devenu tendance dans les discours tenus par certains architectes, on peut se demander si ce n’est qu’une mode ? Une passade éphémère ? Ou bien est-ce un véritable renouvellement d’une pensée ? Une autre manière de faire la ville ?

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1.

Jan Gehl : retrouver une échelle humaine par nos sens

Tout d’abord, nous verrons que Jan Gehl52, architecte et urbaniste danois, développe « sa » notion d’échelle humaine dans un ouvrage53 qui compile ses expériences et ses critiques du mode de conception de l’architecture et de l’urbanisme moderne. Il définit la notion d’échelle humaine à partir de son imaginaire personnel, lié aux expériences, et aux interactions sociales qui peuvent se créer dans l’environnement engendré par l’espace public : « Aller au travail à pied ou en vélo sans risquer de se faire écraser par un véhicule, marcher le long d’une rue bordée d’arbres et de façades attrayantes, s’arrêter sur une place publique pour lire et y croiser des amis par hasard, voilà à quoi pourrait ressembler une ville à échelle humaine. »54 Depuis toujours il tente de concevoir des villes à « échelle humaine ». Des villes « animées, sûres, durables et saines », et où les gens pourraient s’y épanouir pleinement. Mais qu’entend-t-il par cela ? Qu’est-ce que cela signifie et comment procéder pour construire ces nouvelles « écocités55 » ?

Jan Gehl, développe depuis de nombreuses années, des recherches sur les questions de conception urbaine. Comment peut-on améliorer la qualité de vie en ville ? Il prend l’exemple de la ville de Venise qui est, selon lui, la ville « ultime »56, qui possède toutes les caractéristiques d’une ville à échelle humaine. En effet, la Cité des Doges est toujours restée une ville piétonnière, dû notamment, à l’étroitesse de ses rues et des nombreux ponts qui enjambent ses canaux. Il devient donc difficile pour la voiture d’y circuler. C’est sa morphologie qui en fait une ville à échelle humaine, Gehl explique que « Venise a tout ce qu’il faut : une structure dense, de courtes distances de marche, de magnifiques places publiques, une grande mixité des fonctions, des rez-de-chaussée vivants et une architecture raffinée aux

52

Jan Gehl (1936 ‐ ) est aussi professeur en design urbain à Copenhague et le fut dans d’autres pays (E‐U, Canada, etc…). Depuis plus de cinquante ans, il observe et analyse le développement des villes. Il a rédigé plusieurs ouvrages sur les questions d’élaborations des espaces publics. Il est aussi connu pour avoir par‐ ticipé à des plans de réaménagement des villes de Copenhague, Londres, Melbourne, et New York entre autres, avec l’agence qu’il a fondée : Gehl Architects. 53 Gehl, Jan, Pour des villes à échelle humaine, Montréal : Éditions Écosociété, 2012, p.273. 54 Gehl, Jan, op. cit. 55 Journal officiel du 19/02/2012, écocité, n.f. Domaine : Environnement‐Urbanisme. Définition : Ville aménagée et gérée selon des objectifs et des pratiques de développement durable qui appellent l'enga‐ gement de l'ensemble de ses habitants. Note : On trouve aussi, dans le langage professionnel, le terme « ville durable ». 56 Arthur Groot, (consulté le 16 mars 2017), Concevoir la ville à échelle humaine en 5 conseils selon Jan Gehl [en ligne], Lyon, crée le 5 août 2016, https://www.urbanews.fr/2016/08/05/51390‐concevoir‐la‐ ville‐a‐echelle‐humaine‐en‐5‐conseils‐selon‐jan‐gehl/

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détails façonnés avec soin, le tout à échelle humaine […] invitant sans réserve à se déplacer à pied.»57 L’auteur résume ici les caractéristiques essentielles (qu’il va développer en détail dans chacun des chapitres de son livre) de ce qu’est, une ville à échelle humaine selon lui.

Fig. 02 : Une « piazza » (place) à Venise. L’architecture et l’espace urbain sont adaptés à l’échelle du piéton et à la marche.

57

Gehl, Jan, op. cit., p.25

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« Une bonne ville est une ville construite autour du corps humain et de ses sens. Il faut optimiser nos capacités à nous déplacer, à expérimenter nos sens dans un environnement maitrisé. » Jan Gehl

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2.

L’échelle humaine : une question depuis 50 ans, développe-

ment d’un discours « écologique » Pour Gehl, « pendant des dizaines d’années, l’urbanisme a négligé la dimension humaine de la ville »58, il explique par la suite que « les courants idéologiques dominants en matière de planification urbaine (en particulier le modernisme) ont accordé peu d’importance à l’espace public, aux déplacements à pied et au rôle de la ville comme lieu de rencontre pour les citadins. » Il y a plus de cinquante ans, l’urbaniste et journaliste, Jane Jacobs publiait dans son ouvrage59 précurseur Déclin et survie des grandes villes américaines, une première analyse du fonctionnement des espaces publics dans les villes. Pour l’écrivaine, l’urbanisme et la planification urbaine des années soixante mettaient fin à l’espace urbain, « créant ainsi des villes mortes et désertées. »60 Les théories classiques de l’urbanisme moderniste ne prenaient pas en compte les usages de l’espace urbain, ainsi que toutes les subtilités de son fonctionnement.61 Alors que ce sont justement ces usages urbains, ainsi que ses rapports sociaux, qui permettent de fabriquer la ville : « Les villes forment un immense laboratoire pour faire des expériences, commettre des erreurs, échouer ou réussir en matière d'architecture et d'aménagement urbain. C'est dans ce laboratoire que l'urbanisme aurait dû étudier, concevoir et expérimenter des théories. Au lieu de cela, les hommes de l'art et les enseignants de cette discipline (si l'on peut dire) ont fait abstraction du succès ou de l'échec des opérations réalisées et ne se sont nullement préoccupés de rechercher les raisons des réussites inattendues. Ils se sont laissé guider par des principes inspirés du fonctionnement et de l'aspect de localités de moindre importance, de banlieues, de sanatoriums, de foiresexpositions, de cités de rêve, en bref de tout, sauf de villes véritables. »62

58

Jan Gehl, op. cit., p.14 Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, (1961), Marseille, Parenthèse, 2012, p. 416. 60 Jan Gehl op. cit. , p.14, à propos de la réflexion de Jane Jacobs dans Déclin et survie des grandes villes américaines. 61 Giovanni Fusco, (consulté le 24/04/2017), « Approfondissement théorique : Espaces publics et fonc‐ tionnements urbains dans l’analyse de J. Jacobs », In Université Numérique Thématique UOH, L’analyse des espaces publics. Les places. [En ligne], http://unt.unice.fr/uoh/espaces‐publics‐places/approfondisse‐ ment‐theorique‐espaces‐publics‐et‐fonctionnements‐urbains‐dans‐lanalyse‐de‐j‐jabobs/ 62 Jane Jacobs, op. cit. 59

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Fig. 03 : L’autoroute de l’Embarcadero et le Ferry Building en 1974

Fig. 04 : L’Embarcadero aujourd’hui (2010)

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3.

Une étape pour des villes à échelle humaine : La marche

Pour améliorer les conditions de vie dans l’espace urbain, il est important de prendre en compte la dimension humaine dans la définition d’une politique urbaine. Selon Jan Gehl, l’espace urbain doit inciter l’usager, et lui donner le goût de se déplacer à pied ou en vélo. Pour atteindre ces quatre objectifs pour « des villes animées, sûres, durables et saines », une même politique suffit. L’auteur explique que « plus les gens sont incités à se déplacer à pied ou à vélo et à occuper l’espace urbain, plus le potentiel d’animation d’une ville s’accroît. », « Plus les gens occupent l’espace urbain et s’y déplacent, plus le potentiel de sécurité d’une ville s’accroît. », « Plus la part des déplacements revenant aux moyens de transport écologiques que sont la marche, le vélo et les transports en commun sont élevés, plus une ville est durable. » et « Plus la marche ou le vélo s’inscrivent naturellement dans les activités quotidiennes des citadins, plus une ville est saine. »63

La dimension humaine dans l’espace urbain est apportée par la présence du citadin dans la ville. Et c’est bien l’urbanisme qui définit notre pratique de la ville. Avec ce chapitre : « Les villes nous façonnent autant que nous les façonnons. »64 Jan Gehl explique que c’est la multiplication des routes qui entraîne la circulation. La manière dont on fait la ville, influe sur notre manière de la pratiquer, ainsi, plus les espaces dédiés à la voiture sont disponibles, plus la circulation va augmenter. Mais l’auteur montre que cela peut fonctionner dans le sens inverse. En effet, « qu’advient-il si l’on réduit ces espaces alloués aux voitures ? » 65 Il explique à travers l’exemple de la fermeture de l’autoroute de l’Embarcadero suite au tremblement de terre de 1989 à San Francisco, que ses usagers se sont adaptés à la situation en changeant d’itinéraires. Aujourd’hui, c’est devenu un boulevard urbain, longeant l’eau et favorable à la vie urbaine. Il en est de même pour d’autres autoroutes à San Francisco, mais aussi à New York par exemple, en 2007, avec la création d’une piste cyclable, séparée par des voitures en stationnement, sur la 9ème avenue de Manhattan, inspirée de celles de Copenhague. Ces interventions ont permis à la ville, en deux ans, de faire doubler la circulation des vélos. La volonté, pour l’auteur, de développer le trafic cycliste en ville, traduit d’une part, celle de développer une nouvelle pratique de la ville, et d’autre part favorise le nombre de piétons et la qualité de la vie urbaine.

63

Jan Gehl, op. cit., pp. 18‐19 Ibid., p.20 65 Ibid. 64

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Pour Gehl, la première solution à mettre en œuvre pour concevoir des villes à échelle humaine, est sans aucun doute, la diminution des voitures en ville pour amener le piéton à reconquérir la rue. Il explique : « Si tout le monde passait plus de temps dans les espaces publics, la ville deviendrait plus sûre, plus excitante, plus animée et plus intéressante pour tous. C’est l’un des éléments clés de la démocratie dans nos sociétés : faire en sorte que les citoyens se rencontrent tout au long de leur journée, et que cette diversité se croise en dehors des murs et des écrans. »66 Mais comment amener le piéton à passer plus de temps dans les espaces publics ?

A travers le discours de Jan Gehl, on peut voir apparaître de manière sous-jacente, des questions de stratégies écologiques. La notion de « villes à échelles humaines », prônée de tous les côtés, ne serait-elle pas utilisée, ici, pour parler d’écologie ? La base de sa stratégie de planification urbaine, est axée sur le bien-être humain et le développement durable des villes. Et on pourrait se demander si, aujourd’hui, les politiques d’aménagement des villes, ne s’empareraient pas de cet engouement autour de la question d’échelle humaine, pour promouvoir un développement et des principes plus écologiques de l’urbanisme en ville ?

66

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Arthur Groot, op. cit


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« Qui dit « humain », dit obligatoirement marche, déplacement, mobilité, nomadisme, errance, voyage… Du chasseur-collecteur d’une des dernières tribus d’Amazonie au membre de la jet set society, la marche constitue une sorte d’invariant anthropologique. Le paysan marche, le montagnard marche, le citadin marche. Bien sûr, les manières de marcher changent d’une culture à une autre, d’un groupe social à un autre, d’une période à une autre. Les pourquoi, comment, avec qui, à quelle vitesse, pour quelle destination n’obtiennent pas les mêmes réponses. » Thierry Paquot

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4.

La place du piéton en ville

Longtemps relégué sur des trottoirs pour laisser la place aux transports motorisés, le piéton est aujourd’hui repris en considération par un grand nombre de villes dans le monde qui « ont entamé une réflexion en profondeur sur la promotion de la marche sur leur territoire »67. Ces villes prennent « peu à peu conscience que la marche était non seulement un mode de déplacement à part entière, écologique, sain et peu couteux en infrastructures, mais aussi qu’elle était porteuse de lien social, essentiel pour développer la qualité des espaces publics. »68 Ainsi, le statut du piéton est aujourd’hui revalorisé : « Politiques, aménageurs, praticiens de santé, opérateurs de transports s’intéressent à lui, et lui redonnent une place centrale dans les réflexions et les aménagements de l’espace public urbain »69 Depuis plusieurs années, des projets d’aménagements urbains voient le jour pour favoriser la marche, et redonner au piéton, sa place dans le milieu urbain.70

En effet, la marche bénéficie d’un regain d’intérêt en milieu urbain, notamment dû aux changements des habitudes et des styles de vie : comme les nouvelles pratiques de promenades liées aux loisirs, l’encouragement par les politiques de santé publique à la pratique d’une activité physique régulière, la volonté d’utiliser des modes de transport plus sain, ou encore le tourisme.71 En quelques décennies, la pratique de la marche a beaucoup évoluée, et annonce son retour « comme signe annonciateur d’un changement de paradigme sociétal. »72 Nous parlons aujourd’hui, de mobilité et d’accessibilité73 suggérant alors les notions de distance et de temporalité, ainsi « la marche incarne de nouvelles valeurs qui émergent dans la ville d’aujourd’hui, où les notions de vitesse et de distance sont remplacées progressivement par les notions de proximité et de contact. » Nous sommes passé du « toujours plus vite » et « toujours plus loin », au « toujours plus proche » et « toujours connecté. »74 Ces valeurs remettant en cause les questions d’urbanités des villes.

67

Sonia Lavadinho, Le renouveau de la marche urbaine : Terrains, acteurs et politiques. Géographie, thèse sous la direction du Professeur Yves Winkin. Ecole normale supérieure de Lyon ‐ ENS LYON, 2011. 68 Jean‐Jacques Terrin, Le projet du projet : concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 2014, p. 282. 69 Sonia Lavadinho, op.cit. 70 Jean‐Jacques Terrin, op.cit. 71 Frédéric Murard, « Développer la marche en ville : pourquoi, comment ? » In Techni.Cités, n°227, avril 2012, pp. 29‐34. Et Sonia Lavadinho, op.cit. page v. 72 Sonia Lavadinho, op.cit. 73 Jean‐Jacques Terrin (sous la direction de), Le piéton dans la ville. L’espace public partagé, Marseille, Parenthèses, 2011, p. 288. 74 Sonia Lavadinho, op.cit.

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La marche à pied comme mode de déplacement privilégié :

Fig. 05 : Campagne pour la marche à pied : « Lausanne, il fait bon marcher »

Fig. 06 : Rue du Bourg à Lausanne (Suisse) en 1950

Fig. 07 : Rue du Bourg aujourd’hui

Le projet a permis de « repenser l’aménagement de l’espace public dans un principe de partage entre tous les modes de déplacement. » (J-J Terrin) en donnant la priorité au piéton, l’accessibilité a été améliorée.

Fig. 08 : Nouveau plan du Rokin, intégré à celui du Red Carpet

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Les sociétés ont toutes, un jour, été adeptes de la vitesse. L’idée d’une société toujours en mouvement, a longtemps été considérée comme un gage de progrès et de profit, « un moyen d’avancer, de progresser », contrairement à l’immobilisme vu plutôt « comme un signe de régression, de stagnation et d’inculture. » 75

La ville a souvent été tiraillée « entre deux fantasmes contradictoires qui ont structuré depuis longtemps tous les systèmes de déplacement urbain, le culte de la vitesse et

l’éloge de la lenteur. »76 La lenteur, revient de plus en plus comme une valeur de la ville contemporaine. Comme le prouve les développements de toutes sortes d’actions ou de projets urbains tels que le mouvement Slow Food77, ou le projet du Red Carpet78 d’Amsterdam. La marche, offre une certaine forme de mobilité et « elle s’impose en effet dans son rapport aux autres modes de déplacement, facilite l’accessibilité et relie l’ensemble des activités qu’offre la ville : consommation, travail, loisirs, culture, détente… »79.

Certaines villes vont plus loin, comme la ville de Lausanne en Suisse, en mettant en place des parcours et des guides pour faire de la marche en ville une activité plus attractive. La ville propose des ballades thématiques avec des guides audio gratuits. En mettant en place, en 1996, un plan directeur communal, le conseil communal de la ville de Lausanne a choisi de redonner une place privilégiée au piéton dans la ville. Le plan a ainsi permis de hiérarchiser les modes de déplacement, en mettant le piéton à la première place et l’automobile à la dernière place, derrière les transports publics et les deux-roues. La ville ne s’est pas arrêtée là, puisqu’elle a aussi amélioré ses traversées piétonnes, créé des passerelles piétonnes, ajouté des escaliers mécaniques, a constitué un réseau d’itinéraires verts écologiques, qui s’intègrent au plan des chemins de randonnées pédestres de la ville, et a valorisé et créé de nouvelles zones piétonnes.80

75

Ibid. Jean‐Jacques Terrin, Le piéton dans la ville : l'espace public partagé, op.cit., p.10. 77 Fondé dans les années 1980, le mouvement s'oppose à la culture des fast‐foods et est devenu un véri‐ table mode de vie. 78 Projet urbain qui suit le trajet de la ligne Nord/Sud en traversant le centre d’Amsterdam. Et qui a tenté de redonner plus de place au piéton. 79 Jean‐Jacques Terrin, op. cit. 80 http://www.lausanne.ch/ 76

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Mais au-delà de vouloir redonner toute sa place au piéton dans la ville, c’est surtout vers « une nouvelle conception partagée de la vie urbaine »81 que les projets urbains tendent aujourd’hui. La ville, et plus précisément l’espace public, se veut accessible.

« La première caractéristique de l’espace public est l’accessibilité » Michel Lussault82

Pour définir la notion d’espace public, je prendrais la définition qu’en fait JeanJacques Terrin, selon lui la notion est encore floue et limitée, car récente. L’espace public est constitué de « rues, boulevards, places, esplanades, jardins, mais, par extension, il inclut aussi les lieux couverts publics ou privés, gares marchés, parkings, et des espaces naturels, verts et bleus », et où différentes fonctions, modes de déplacements, différentes échelles, niveaux, réseaux, et vitesses se confrontent. C’est « le lieu de l’urbanité, principal support de l’identité d’une ville. »83 Et dont l’acteur principal est le piéton. Car comme le rappelle Catherine Foret : « sans le passant, le flâneur, le marcheur, qui prend le temps, qui réinvente quotidiennement son rapport à l’environnement et aux autres, point de vie urbaine, point de ville ; seulement des paysages urbains traversés, aperçu, divisés. »84 Aujourd’hui, l’espace public permet de mieux hiérarchiser les différents modes de déplacement et « permet à ces derniers de mieux interagir, et de faciliter ainsi, l’émergence d’un nouvel équilibre entre automobile, transports en commun et mobilités douces. L’espace du piéton peut trouver sa place au sein de cet équilibre rétabli. »85

81

Ibid, p.11. Jacques Lévy, et Michel Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p.336. 83 Jean‐Jacques Terrin, op. cit., p. 17‐18. 84 Catherine Foret dans Le piéton dans la ville : l'espace public partagé, op.cit., p.219. 85 Jean‐Jacques Terrin, op. cit., p. 19. 82

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Fig. 09 : La ville avant/après selon le concept de Shared Space, une cohabitation possible pour tous les usagers.

Fig. 10 : Drachten, carrefour de Drift-de Kaden avant : la circulation automobile est dominante.

Fig. 11 : De Drift - Kaden après : l’intersection a été redessinée en 1998 selon le concept de Shared Space. Le trafic n’a pas été diminué, seulement ralenti. L’ancienne chaussée fait désormais partie intégrante de l’espace public. Et les piétons peuvent facilement circuler.

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Le concept du Shared Space86 (qui peut être traduit par « espace partagé » ou « un espace pour tous ») tient son origine d’une volonté de « modifier la dynamique des rues, d’encourager des vitesses réduites pour les véhicules motorisés et par conséquent, de réduire leur emprise sur l’espace. » Afin de développer « le respect mutuel entre usagers. »87 Le but premier de ce concept était de diminuer les accidents dus à la circulation automobile, en responsabilisant beaucoup plus les usagers de la route, et de fluidifier le trafic automobile. Mais le concept s’étend également à restaurer la dimension humaine dans la ville. Il donne au piéton « les moyens de résister, voire de reconquérir des territoires plus vastes lui assurant la perméabilité, la connectivité, l’accessibilité du réseau urbain »88, et le place comme un acteur aussi important que tous les usagers motorisés dans l’espace public.

« Le piéton n’est pas simple à appréhender, à gérer, ni même à canaliser sur un espace public ou privé. D’abord parce qu’il est multiple. Et parce que la marche n’est pas seulement un mode de déplacement ! Contrairement aux autres modes, elle peut se passer de motif : le piéton s’arrête, stationne et flâne, voire vagabonde. » Véronique Michaud et Blanche Segrestin

86 Le concept a été créé et expérimenté par Hans Monderman, un ingénieur et urbaniste néerlandais, dans les années 1970, dans la ville de Drachten aux Pays‐Bas. Les résultats furent très convaincants, et de 2004 à 2008, cinq pays d’Europe du nord ont pu expérimenter ce système à l’occasion d’un projet européen sur le Shared space. (Source : Cerema – Villes d'Europe et sécurité routière janvier 2016, Fiche n° 6 – Le Shared Space : concept et premiers retours) 87 Faith Martin in Le piéton dans la ville : l'espace public partagé, op.cit., p.97. 88 Sonia Lavadinho, op.cit. p. 120.

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« La vie urbaine est un processus qui s’autoalimente : une ville s’anime parce qu’elle est animée. Aussitôt que des enfants se mettent à jouer, ils attirent rapidement d’autres participants. Il en va de même avec les activités pratiquées par les adultes. « Les gens vont là où il y a du monde » affirme un vieux dicton scandinave » 89

Fig. 12 : BoO1, Malmo, Suède – « Pour assurer l’émergence d’une vie urbaine dans les nouveaux quartiers, l’urbanisme doit créer des espaces animés, où les citadins auront le goût de se rassembler. »

89

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Jan Gehl, op. cit., p.76


Ainsi, pour bon nombre d’architectes et de théoriciens de l’architecture et de l’urbanisme, les notions d’échelle et d’échelle humaine, renvoient à une perception de l’espace liée à l’expérience. Comme le rappellent Charles Moore et Gerald Allen, lorsqu’ils emploient l’expression « des formes qui ont un sens pour l’homme »90, ils entendent par-là de prendre en compte l’espace de manière sensible et que chacun interprète selon un ressenti personnel ou collectif. Il y a donc une dimension subjective qui rentre en jeu. Selon les deux auteurs, « il semble, paradoxalement, que cette signification appartienne plus au domaine de la forme qu’à celui de l’échelle. »91 Ces notions sont difficilement mesurables et quantifiable, car comme l’a constaté Philippe Boudon, « l’échelle est en son principe multiplicité, toujours autre »92, c’est un mécanisme complexe. La notion d’échelle humaine place ainsi l’homme au cœur de l’élaboration du projet (d’urbanisme ou d’architecture), et sollicite autant une expérience sensible des lieux qu’une réflexion épistémologique de l’espace. Aujourd’hui, nous pourrions le traduire concrètement par des actions comme le sha-

red space, ou des actions qui remettent le piéton au cœur de la mobilité, comme celles proposées par Jan Gehl. Alors, une ville à échelle humaine, serait une ville animée et accessible. La place de la voiture serait minimisée et le piéton et le cycliste auraient une place égale à celle des usagers motorisés (Shared Spaces). Et où les espaces urbains seraient des espaces animés, qui donnent le goût au citadin de se rassembler (Jan Gehl). Enfin, les nouvelles pratiques de la marche en ville, instaurées par certaines villes, montrent bien un changement de « paradigme mobilitaire qui met l’urbanité avant la vitesse », et qui « est désormais porté politiquement, dans la mesure où il correspond plus fortement aux aspirations sociétales actuelles des résidents, des visiteurs et des entreprises qui viennent s’installer sur un territoire donné.»93 La promotion de la marche en ville, serait aussi un moyen, pour les politiques de la ville, de mettre en place un aménagement urbain

durable, conduisant à des politiques urbaines écologistes.

90

Charles W. Moore et Gerald Allen, L’architecture sensible, Espace, échelle et forme, op. cit., p 23. Ibid. 92 Philippe Boudon, De l’architecture à l’épistémologie, op. cit., p 80 93 Sonia Lavadinho, op. cit. 91

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II.

Comment faire la ville aujourd’hui ? Les villes ne cessent d’évoluer, ainsi que nos modes de vie et nos pratiques sociales.

Concevoir la ville aujourd’hui ne se fera pas comme il y a dix ou vingt ans. De nouveaux processus de conceptions (et co-conceptions94) voient le jour, où les divers acteurs de la ville prennent part aux projets urbains. Elus, architectes, urbanistes, paysagistes, citoyens se retrouvent alors au cœur de réflexions urbaines et tentent, par différents moyens, de trouver de nouvelles solutions pour construire la ville de demain. En effet, les acteurs professionnels et institutionnels portent de plus en plus leur attention vers les habitants dans les projets liés à la fabrication de la ville, et se confrontent plus directement aux usagers.95 Cette prise en compte de l’usager et de l’habitant, n’est-ce pas déjà inclure une certaine échelle humaine dans l’élaboration du projet ? Nous assistons à un renouvellement des pratiques de l’architecture et de l’urbanisme classiques. Nous pouvons alors nous demander si toutes ces nouvelles pratiques collectives et participatives, ne viennent pas donner un nouveau sens à la question d’échelle humaine. Comment se positionnent les architectes et urbanistes aujourd’hui par rapport à ces nouvelles pratiques collectives et participatives ? Et qu’en est-il des acteurs publics locaux ?

Par ailleurs, cette recherche n’a pas pour but de donner des solutions, mais de montrer quelques projets et initiatives collectives qui s’interrogent sur les nouvelles pratiques urbaines, et de tenter de comprendre vers quel urbanisme va la ville aujourd’hui. Je concentrerai mes recherches essentiellement sur la France, (mais il serait intéressant de poursuivre ce travail, en étudiant les cas de différents pays à travers le monde : la question des processus de fabrication de la ville est complexe et diverge fortement d’un pays à l’autre). Le but de cette recherche sera ensuite de réaliser une étude de cas sur un projet particulier en axant la réflexion autour de la question de l’échelle humaine.

94

Jean‐Jacques Terrin, Le projet du projet : concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 2014, p. 282. 95 Véronique Biau ; Michael Fenker ; Elise Macaire, L'implication des habitants dans la fabrication de la ville : métiers et pratiques en question, Paris, édition de La Villette, Cahiers RAMAU, n°6, 2013, p.359

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A.

Une nouvelle idée de la ville ? 1.

Un changement de paradigme de la pensée de l’urbanisme

en France. Le contexte auquel doit faire face l’urbanisme en France aujourd’hui, est en mutation. Et c’est dans ce contexte, que l’urbanisme, mais aussi l’image du métier d’architecte et d’urbaniste, se trouvent être requestionnés. Certaines des recherches et publications du RAMAU96, en particulier le cahier RAMAU n°6, s’intéressent aux acteurs professionnels et institutionnels, et à leur nouvel intérêt à prendre en compte la participation du public dans la fabrication de la ville. Cet ouvrage est donc un outil pour essayer de comprendre les transformations des pratiques des professionnels et de leurs rapports aux usagers, et à la participation habitante. C’est ce qu’Hélène Hatzfeld97 exprime ici : « avec la remise en cause de l’urbanisme fonctionnaliste au nom de l’usage et de l’esthétique. Les principes du développement durable, leur déclinaison environnementale, la sensibilité paysagère ont profondément modifié le contexte d’exercice des métiers. Enfin l’injection de la participation des habitants prend aujourd’hui une importance nouvelle dans la fabrication de l’architecture et de l’urbanisme comme expression d’une démocratie dialogique, source de légitimation et vectrice d’un meilleur ‘’vivre ensemble’’. »98

Nous avons vu, dans la première partie de ce mémoire de recherche, que les villes remettent de plus en plus en cause l’urbanisme classique et les projets de planifications urbaines plus traditionnels, par la prise en compte de l’usager, et notamment du piéton, dans l’espace public. Par l’adoption de principes et de concepts comme le Shared Space, ou par la mise en valeur des cheminements piétons et cyclistes dans l’espace urbain, les villes veulent

96

« RAMAU ‐ Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme. Le site présente les activi‐ tés du réseau et une actualité de la recherche : parutions scientifiques et bibliographies, appels à contri‐ butions, agenda. Il propose aussi une revue de presse et une information sur les formations. » (Source : http://www.ramau.archi.fr) 97 Hélène Hatzfeld est enseignante‐chercheuses en science politique à l’école d’architecture de Paris Val de Seine et depuis 2007, chargée de mission au département de la recherche, de l’enseignement supé‐ rieur et de la technologie du ministère de la culture et de la communication. 98 Synthèse d’Hélène Hatzfeld dans : Biau V., Fenker M., Macaire E., L’implication des habitants dans la fabrication de la ville. Métiers et pratiques en question, Paris, Éditions de la Villette, Cahiers RAMAU, n°6, 2013, p. 362. 42 |


tendre vers une échelle plus humaine, et des politiques urbaines plus durables (voire écolo-

giques). On peut alors se demander si l’apparition de la notion d’échelle humaine ne découlerait pas de ce changement de paradigme de la pensée de l’urbanisme.

2.

L’échelle humaine : un prétexte pour faire la ville durable ?

Aujourd’hui, la fabrication de l’architecture et de l’urbanisme serait davantage basée sur la pratique urbaine plutôt que sur la forme esthétique, tendant vers un urbanisme de la ville durable. Nous avons vu précédemment, que Jan Gehl propose dans son ouvrage, Pour des villes à échelle humaine, de remettre l’humain au centre des préoccupations de l’urbanisme. Il prône un aménagement des villes visant à renforcer les déplacements à pied et en vélo, et pousse les architectes et urbanistes à penser la ville pour l’habitant, l’usager, autrement dit, d’intégrer une certaine échelle humaine aux projets urbains. Ce livre est, en fait, une boîte à outils pour construire des écocités, des villes durables, (et dénoncerait dans le même temps, l’urbanisme d’après-guerre, qui a souvent évacué les dimensions sociales et environnementales des politiques urbaines) et la notion d’échelle humaine, serait utilisée comme un dénominateur social et environnemental, pour exprimer une manière de faire la ville. On peut alors se demander : qu’est-ce qu’une ville durable ? Un nouveau modèle99 urbain ? Un courant100 ? Un aperçu de ce que pourrait être la ville du futur ?

Depuis plus de vingt ans, le développement durable s’est imposé dans « l’ensemble des discours sur l’action territoriale »101, et s’est affirmé comme un impératif de développement urbain. On parle alors aujourd’hui, d’habitat durable, de mobilité durable, jusqu’à l’agriculture durable et la ville durable. Selon Frédéric Héran, économiste et urbaniste français,102 la ville durable serait un mouvement dans lequel, s’inscrirait différents modèles urbains, qui se trouveraient « en rupture avec la tradition de l’urbanisme moderne, opérant

99

En référence aux travaux de la philosophe Françoise Choay, notamment dans son ouvrage Urbanisme, utopie et réalités. Une Antropologie, 1965 où elle dénombre différents « modèles » repérés dans l’histoire de l’urbanisme. 100 Cyria Emelianoff, Urbanisme durable ? Ecologie & politique 2004/2 (N°29), p. 13‐19. DOI 10.3917/ecopo.029.0013 101 Guillaume Faburel, « La mise en politique du développement durable : vers un ‘’nouveau’’ modèle d’action par les pratiques professionnelles ? », In Métropolitiques, créé le 10 décembre 2014. http://www.metropolitiques.eu/La‐mise‐en‐politique‐du.html (consulté le 4 mai 2017) 102 Mais aussi maître de conférences à l’Université de Lille 1, HDR en aménagement et urbanisme, et cher‐ cheur au CLERSE (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques).

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un changement de paradigme. »103 Elle serait aussi indispensable, compte tenu des enjeux environnementaux auxquels la société mondiale fait face : « réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources naturelles, montée des nuisances… Ces questions s’aggravent encore avec la croissance de la population urbaine. »104 Ainsi, aujourd’hui, faire de la ville durable semble être devenue une initiative « tellement partagée et unanime qu’elle devient ‘’quasi indiscutée’’, presque une évidence »105, voire même une « injonction »106. Dès lors, la nécessité de produire des « règles », des « modèles à suivre »107 et d’explorer tous les moyens possibles pour y parvenir, s’est faite sentir. Sont alors apparues : « des politiques climatiques (plans de réduction du CO2 urbain, énergies renouvelables) ; politiques de mobilité et de planification (densification, renouvellement urbain, polycentrisme, trames d’espaces naturels et agricoles) ; politiques d’éco-construction (quartiers ou lotissements “durables”) ; Agendas 21 locaux 108 : outil d’accompagnement, de sensibilisation, d’inflexion des modes de vie (initiatives d’habitants ou d’acteurs, projets de services) »109 A travers l’émergence de tous ces différents moyens déployés, nous pouvons voir qu’au départ, la ville durable était davantage issue d’une « démarche volontariste qui émerge notamment des contextes locaux »110, que de l’élaboration d’un « nouveau modèle urbain. » 111 Et selon Frédéric Héran, « la ville durable n’est pas une solution préconçue, c’est un objectif : comment y parvenir reste une question ouverte, à explorer au fur et à mesure

103

Frédéric Héran, « La ville durable, nouveau modèle urbain ou changement de paradigme ? », In Métro‐ politiques, créé le 23 mars 2015. [En ligne]. < http://www.metropolitiques.eu/La‐ville‐durable‐nouveau‐ modele.html>, (consulté le 4 mai 2017) 104 Ibid. 105 Gabriella Trotta‐Brambilla dans Debizet G., Godier P., Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Paris, Éditions de la Villette, Cahiers RAMAU, n°7, 2015, pp. 201‐219. 106 RAMAU & Nadine Roudil, « Fabriquer la ville à l’heure de l’injonction au ‘’durable’ »’, Métropolitiques, créé le 14 novembre 2012. [En ligne]. < http://www.metropolitiques.eu/Fabriquer‐la‐ville‐a‐l‐heure‐de‐ l.html>, (consulté le 4 mai) 107 Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. 108 « L’Agenda 21 locaux est né d’une recommandation de la Conférence des Nations Unies sur l’environ‐ nement et le développement qui s’est tenue en 1992 à Rio. C’est un projet territorial de développement durable, porté par une collectivité locale, et qui prend la forme d’un programme d’actions (programme d’actions pour le 21 ème siècle). Il n’y a pas de modèle unique d’agenda 21. Chaque programme d’actions est le reflet de la situation locale, de ses acteurs et de leurs attentes. » Source : http://www.agenda21.lan‐ guedoc‐roussillon.developpement‐durable.gouv.fr/ 109 Emelianoff, C. « La ville durable : l’hypothèse d’un tournant urbanistique en Europe », In L’Information géographique, n° 3, 2007, p. 49‐64. Cité dans Frédéric Héran, La ville durable, nouveau modèle urbain ou changement de paradigme ? op.cit. 110 Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. 111 Frédéric Héran, La ville durable, nouveau modèle urbain ou changement de paradigme ? op. cit.

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des expérimentations. » Autrement dit, c’est par l’expérimentation à travers des projets souvent ponctuels, et par l’échange de ces expériences par les différentes villes qui participent à ces programmes, qu’une réflexion, ainsi que des solutions peuvent se mettre en place.112 Ces initiatives de développement urbain durable ne peuvent donc pas être assimilées à une « injonction ». Gabriella Trotta-Brambilla parle plutôt de « recommandations » venant de la loi, comme l’exprime le Grenelle de l’environnement (2007) qui : « recommande la construction d’un écoquartier113 avant 2012 dans toutes les communes qui ont des programmes de développement de l’habitat significatifs ». Elle exprime aussi l’idée d’une incitation, pour la mise en place « d’expériences concrètes et ponctuelles », qui « constituera ‘’une vitrine environnementale’’ pour les élus »114, et donnera un aperçu de ce que pourrait être la ville de demain. Ainsi, ce n’est pas la loi qui impose de faire de « la ville durable ». Les chercheurs supposent alors, que ces différentes règles et conditions qui tentent de définir la fabrication des villes durables, ou « ‘’ doctrine ‘’ de l’urbanisme durable »115, proviendraient non pas d’en haut, mais auraient émergées, depuis le terrain, de manière empirique. Cette volonté viendrait des élus locaux, souhaitant aménager des villes plus durables, ainsi que des échanges entre différentes villes européennes, qui, à travers de projets dits « pionniers » réalisés ailleurs, se constituent des « référentiels de la ville durable »116 à imiter. Ces réflexions ont mené à des stratégies urbaines locales, mais qui ont eu tendance à se cristalliser et se généraliser à toutes les échelles. Et « semblent constituer des ’’modèles théoriques ‘’ prêt à l’emploi »117 Or, le risque est de penser que ces stratégies communes à plusieurs projets pionniers, peuvent être assimilées à des modèles universellement reproductibles. Comme le rappelle Gabriella Trotta-Brambilla, « les écoquartiers réalisés de manière expérimentale en Europe du Nord ont effectivement inspiré de nombreux projets similaires dans d’autres pays européens, mais l’impossibilité de les dupliquer tels quels a fait émerger la nécessité de réadapter les démarches pour répondre aux problèmes spécifiques de chaque ville »118 Ainsi,

112

Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. « Un Écoquartier est un projet d’aménagement urbain qui respecte les principes du développement durable tout en s’adaptant aux caractéristiques de son territoire. » source : http://www.developpement‐ durable.gouv.fr/ville‐durable 114 Souami Taoufik, Écoquartiers : secrets de fabrication : analyse critique d'exemples européens, Paris, Ed. Les Carnets de l'info, 2009, p.207. Cité dans Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. 115 Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. 116 Ibid. 117 Ibid. 118 Gabriella Trotta‐Brambilla, op. cit. 113

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depuis les projets pionniers, les expérimentations développées lors de ses phases d’essais, ont produit des « modèles dont on peut identifier la trace et l’influence dans la fabrique de la transformation de le ville contemporaine »119 et qui ont su être approprié. Ces modèles durables sont « essentiellement basés sur des démarches et des méthodes »120, et ne sont pas issus de « propositions exemplaires renvoyant justement aux formes urbaines. »121 Pour Gilles Debizet et Patrice Godier, les modèles issus des projets d’architectures ou d’urbanismes durables, ne passeraient pas forcément par leur forme urbaine, mais serait davantage liée à la façon de les fabriquer. Les « instruments de la durabilité »122 feraient alors principalement partie du phénomène du processus plutôt que de la reproduction. C’est parce que, l’urbanisme et l’architecture durable sont de l’ordre du processuel, que les acteurs de la ville (élus, professionnels, habitants), se retrouvent concernés par la diffusion et l’apprentissage de la notion de développement durable. Et selon Nadine Roudil, les acteurs de la ville ont dû adapter « leurs savoirs et leurs pratiques pour intégrer cette nouvelle demande »123 Leurs compétences professionnelles ont donc dû évoluer pour s’ancrer dans un rôle à la fois social, économique et environnemental. De nouvelles compétences apparaissent, ainsi l’écoute, le dialogue, la négociation, mais aussi, la formation de groupes ou de collectifs hybrides, pluridisciplinaires, se mettent en place pour intervenir sur les décisions à prendre en matière de projet urbain. Les savoir-faire de chacun sont ainsi mis à contribution, poussant davantage l’apparition des pratiques participatives.

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Gilles Debizet, Patrice Godier, Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Paris, Éditions de la Villette, Cahiers RAMAU, n°7, 2015, pp. 276‐286 120 En référence au sous‐titre utilisé dans Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, op.cit. 121 Gilles Debizet, Patrice Godier, op.cit. 122 Ibid. 123 RAMAU & Nadine Roudil, « Fabriquer la ville à l’heure de l’injonction au ‘’durable’’ », op. cit. 46 |


3.

La participation comme mode d’action pour l’échelle hu-

maine ? Depuis quelques années en France, les expériences participatives rentrent de plus en plus dans les processus d’aménagements urbains. Comme Marie-Hélène Bacqué en fait le constat dans l’ouvrage La Fabrication de la Ville : « Il n’est quasiment plus un projet urbain qui ne soit accompagné de réunions d’information, d’expositions, éventuellement de questionnaires voire de referendums. La participation et la délibération semblent être devenues des « impératifs » des politiques et de la transformation urbaine. »124

La démarche participative remonte à quelques décennies, à la fin des années 1960. L’architecture se trouve dans un certain contexte, notamment dû à la réforme des BeauxArts125 et aux mouvements de contestation politique et sociale de 1968. Les architectes s’interrogent de plus en plus sur la dimension sociale de leur pratique, ils expérimentent alors, des processus participatifs faisant intervenir les habitants.126 De plus, la démarche participative semble s’être fondée sur une contestation et une remise en cause des nouveaux principes architecturaux du mouvement moderne. Lors du dernier CIAM127, certains membres de ce qui va devenir la Team X, y exposent leurs préoccupations concernant les principes urbains du modernisme, qui selon eux, ne prenaient pas en compte l’usager et son appropriation des lieux, tout en faisant table rase du passé.128

124

Loïc, Blondiaux ; Yves, Sintomer, « L’impératif délibératif », In Politix (Paris) n°57, 2002, pp. 17‐36 ; cité dans Biau, Véronique, Tapie, Guy, La fabrication de la ville : métiers et organisations, Marseille, Paren‐ thèses, 2009. 125 Cette réforme (1968) a mis fin à l’apprentissage traditionnel assuré par les l’école des Beaux‐Arts, prô‐ nant un rattachement à l’université. 126 « La définition de l’architecture est mise en question avec l’arrivée des sciences sociales dans l’ensei‐ gnement de l’architecture et avec les premières expériences de participation des habitants dans les pro‐ jets d’aménagement. » In Violeau, J‐L, Les Architectes et mai 1981, Paris, éd. Recherches, 2011, p. 304. 127 « Congrès international d'architecture moderne (CIAM) Créé par un groupe d'architectes en 1928, ré‐ unis autour de Le Corbusier. Ces congrès sont nés du besoin de promouvoir une architecture et un urba‐ nisme fonctionnels. Le groupe décide de cesser ses activités en 1959 à Otterlo, Pays‐Bas. » (Sources : data.bnf.fr et www.larousse.fr) 128 Thibaut Loegler, La participation en architecture, Exemples et théories des années 1960 ‐70, mémoire de master sous la direction d’Emeline Curien, ENSA Nancy, 2014, et Isis Roux‐Pagès, Dossier de presse : L’architecture participative aujourd’hui, 2010.

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Ainsi, depuis les années 2000, on assiste à un véritable « renouvellement des pratiques de la planification urbaine » qui s’inscrivent le plus souvent dans des politiques publiques et stratégies de développement urbain.129 Ces nouvelles pratiques d’aménagement doivent alors faire face à la montée des pratiques participatives et du développement durable. C’est dans ce contexte que furent progressivement introduites, plusieurs lois relatives à la notion de participation, comme la loi Solidarité et renouvellement urbain – SRU (2000).130 Aujourd’hui les pratiques participatives se transforment en « instance politique qui propose un nouveau paradigme de dialogue entre institutions et société civile. »131 Ces instances s’appuient « sur un tissu associatif en mutation et produisent ainsi des ajustements mutuels entre démarches institutionnelles et pratiques citoyennes. »132 Aujourd’hui, la participation des habitants s’est généralisée dans les processus d’aménagements des politiques publiques et se présente « comme un nouveau modèle de gouvernance de la ville. »133 Joseph Salamon134 la définit comme étant « le processus qui consiste à associer plusieurs acteurs d’un projet ou d’une action publique »135 La concertation permet, en prenant l’avis des habitants ou usagers sur le projet, de constituer une aide à la décision mais aussi de s’accorder sur le projet.136 Ainsi, « la prise en compte de la diversité des acteurs est envisagée comme une manière de mieux intégrer les impératifs sociaux, économiques et environnementaux »137 Mais qu’en est-il vraiment ?

129

Véronique Biau ; Guy Tapie, La fabrication de la ville : métiers et organisations, Marseille, Parenthèses, 2009, p. 217 p.24. 130 « La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite loi SRU, s’inscrit dans la suite d’un corpus législatif engagé en 1998 légiférant les questions relatives à la lutte contre l’exclusion, le dévelop‐ pement durable en matière d’aménagement urbain et les modalités de coopération entre communes. » (Source : www.eti‐construction.fr) 131 L'implication des habitants dans la fabrication de la ville : métiers et pratiques en question, op. cit. 132 Ibid. 133 Ibid. 134 « Joseph Salamon est architecte‐urbaniste, docteur en urbanisme, aménagement et géographie, di‐ plômé en qualité environnementale du bâti et de l'urbanisme, et urbaniste qualifié OPQU. Ingénieur en chef territorial, il dirige aujourd'hui le pôle « Organisation de l'espace et du paysage » de la communauté d'agglomération de Cergy‐Pontoise, après avoir mené plusieurs opérations d'aménagement urbain au Grand Lyon. Il pilote de nombreux projets de développement urbain et paysager sur les espaces urbains, agricoles, naturels et forestiers. » (Source : www.territorial.fr) 135 Joseph Salamon, Pédagogie de la ville. Les mots des acteurs dans le projet urbain, Lyon, Certu, Collec‐ tion débats n° 59, 2008. 136 Matthieu Adam, Georges Henry Laffont et Laura Seguin, « Participation et mobilisations habitantes dans l'urbanisme durable : héritage des mouvements sociaux urbains ou évacuation du politique ? », In Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 6, n°2, Septembre 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015. <http://developpementdurable.revues.org/10989>, (consulté le 5 mai 2017) 137 Ibid.

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En France, selon Jean-Jacques Terrin, la participation des futurs habitants ou usagers, est encore très récente et controversée, et n’a fait l’objet que de quelques expérimentations ponctuelles. Mais le pays prend malgré tout, de plus en plus conscience de « l’importance de ces acteurs dont l’implication est pourtant si essentielle à la réussite d’un projet »138, faisant apparaître progressivement, le terme « d’usage » dans le langage de l’architecture et de l’urbanisme. Et avec l’institutionnalisation de la pratique participative, l’usager, appelé « maîtrise d’usage »139, devient lui aussi un acteur du projet aux côtés de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Cette « expertise citoyenne »140 donne donc une légitimité à l’usager, habitant, ou citoyen, qui est en mesure de donner son avis et « sa vision du projet […] fondée sur son vécu. » 141 En effet, l’usager, est le seul à avoir une connaissance de la ville, du quartier, ou du bâtiment qu’il habite. Par son expérience et sa pratique du site, il peut « mettre son savoir et son expérience au service d’un projet. »142 Cette mobilisation du citoyen, va permettre de lui faire prendre conscience que son mode de vie, ses besoins et que l’expression de ses attentes, sont d’une grande importance pour réaliser des projets urbains et architecturaux qui fonctionnent. Toutefois, l’usager n’aura pas un rôle de concepteur, mais pourra transmettre une représentation relative à son expérience personnelle, pour orienter le projet. Et c’est en cela que ces nouvelles pratiques collectives viennent donner un nouveau sens à la notion d’échelle humaine. L’habitant, s’approprie en quelque sorte le projet auquel il participe. Et prend ainsi part à la vie urbaine. Par sa participation, le partage d’idées, l’usager contribue à la fabrication de la ville. En prenant en compte ses besoins et ses envies, il en fait un lieu adapté à sa pratique et ses usages, et contribue donc à lui donner une échelle plus humaine. Les habitants y trouvent alors une forme de légitimité.

Aujourd’hui, la maîtrise d’ouvrage n’est plus considérée comme seule « ‘’sachante’’ et toute puissante »143, l’idée d’une seule entité qui serait capable de concevoir et déterminer

138

Jean‐Jacques Terrin, Le projet du projet : concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 2014, p. 175 139 « La notion de maîtrise d’usage fait apparaître l’usager comme une personne qui a également une ‘’maîtrise’’, et donc une forme d’expertise, au côté du maître d’œuvre et du maître d’ouvrage » d’après la thèse d’Elise Macaire, L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques. Recompositions profession‐ nelles et démocratisation culturelle, sous la direction de Jodelle Zetlaoui‐Léger, 2012. 140 Véronique Biau, et Guy Tapie, op.cit. 141 Jean‐Jacques Terrin, op.cit. p.175 142 Ibid. p.176 143 Benoit Boldron, « Maître d’usage : 10 questions à poser à votre urbaniste ! » In Urbanews, [en ligne], <https://www.urbanews.fr/2016/09/27/51575‐maitre‐dusage‐10‐questions‐a‐poser‐a‐votre‐urba‐ niste/>, (consulté le 7 mai)

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les besoins à atteindre, est de plus en plus remise en cause. Et, l’apparition récente de nouveaux concepts comme : le « design thinking », les « hackathons », la « co-construction » ou encore les « Fab-Lab », nous prouve que les pratiques collaboratives et participatives ont encore de beaux jours devant elle.

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LE DESIGN THINKING.

Le design thinking désigne « l’ensemble des méthodes et outils de conception qui aident, face à un problème ou un projet d’innovation, à appliquer la même démarche que celle qu’aurait un designer. C’est une approche de l’innovation et de son management qui se veut une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive. Il s’appuie beaucoup sur un processus de co-créativité impliquant des retours de l’utilisateur final. Ces méthodes ont été élaborées dans les années 80 par Rolf Faste sur la base des travaux de Robert McKim. »144

Fig. 13: outil du design thinking – schéma d’évaluation

144

Jean‐Pierre Leac, « Qu’est‐ce‐que le design thinking ? », In Les Cahiers de l’innovation, [en ligne] <https://www.lescahiersdelinnovation.com/2016/02/qu‐est‐ce‐que‐le‐design‐thinking/>, (consulté le 7 mai 2017)

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LES HACKATHONS

« Contraction de ‘’hack’’ et ‘’marathon’’ ce nouveau modèle basé sur le co-working favorise les interactions. Il s'agit plus précisément d'un événement organisé généralement sur une durée de 48h rassemblant des personnes de cultures différentes, d'expériences de vie et de compétences diverses et variées, toutes rassemblées dans un même but : répondre à un besoin, une problématique, innover dans un domaine en particulier. »145

Fig. 14 : Le hackaton : un lieu d’innovation et de création.

145

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Disponible sur : <http://www.fairevoluer.fr/cest‐quoi‐un‐hackathon/#sthash.bb01yfIX.dpbs>


LA CO-CONSTRUCTION

« Ce terme sert à mettre en valeur l’implication d’une pluralité d’acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet ou d’une action. »146

Fig. 15 & 16 : Projet « The Reunion » à Londres, par le collectif EXYZT.

146

Voir l’article de Madeleine AKRICH, « Co‐construction », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J‐M., LEFEBVRE R., NEVEU C. Et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013, ISSN : 2268‐5863. < Http://www.dicopart.fr/es/dico/co‐construction>.

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LES FAB-LAB

« Fab-lab, de la contraction de Fabrication Laboratory, laboratoire de fabrication en français, est un lieu ouvert au public mettant à la disposition de ce dernier un arsenal de machines et d’outils utilisés pour la conception et la réalisation d’objets de toutes sortes. […] Le concept de Fab-Lab est né à la fin des années 90 à l’université américaine du MIT (Massachusetts Institute of Technology), sous la forme d’un cours intitulé How to make (almost) everything, sous l’impulsion du professeur Neil Gershenfeld. L’objectif principal du cours était de démocratiser les processus de conception, de prototypage et de fabrication d’objets. »147

Fig. 17 : Le Fab-Lab de Roubaix, ouvert en septembre 2014.

147

Disponible sur : <http://www.archibat.com/blog/quest‐ce‐quun‐fablab‐vers‐une‐revolution‐de‐la‐ conception/ > 54 |


La participation et le développement durable sont devenus des impératifs des politiques de développement urbain.148 Il convient donc de prendre toutes les précautions quant à leur nature idéologique, car ces deux champs d’actions apparaissent légitimement comme une évidence pour une nouvelle fabrication de la ville. Mais ils restent, tous deux, difficile à mettre en place, car « incapable de référer à des normes ou des pratiques largement admises et répandues, tant au sein de la sphère des acteurs publics que dans la communauté des chercheurs »149, étant davantage liés à la pratique et l’expérimentation qu’à des modèles théoriques figés. Et c’est en cela, que ces champs d’action, qualifient une nouvelle manière de faire la ville, et participent à un véritable renouvellement de l’urbanisme en France. Par une approche collective et participative, et en remettant les processus de conception des projets urbains et architecturaux au centre de la démarche de planification urbaine, un principe d’adhésion au projet se met en place pour constituer alors, un véritable « instrument de coordination et de mobilisation. »150 C’est cette approche qui a mené à un véritable renouveau de l’urbanisme en France. Aujourd’hui, dans le cadre d’un projet urbain collaboratif et participatif, on donne aux habitants, l’occasion de mieux se l’approprier. Et cette mobilisation collective autour d’un même projet, participe à une meilleure gouvernance grâce à la forte implication des habitants, et à une maîtrise du coût global, « grâce à une définition précise des attentes. »151 C’est aussi par-là, que ces projets urbains d’un nouveau genre intègrent une échelle humaine dans leur processus. Par la dimension sociale de cette notion. Car elle « exige aussi la participation active de la société civile »152, dans le processus de conception des espaces urbains. Enfin, la participation des habitants a contribué au questionnement des pratiques des professionnels de la ville, ainsi que les « identités professionnelles » et ses postures visà-vis de ces nouveaux « modes de faire »153

148

Matthieu Adam ; Georges Henry Laffont et Laura Seguin, op. cit. Samuel Robert, « Le développement urbain durable en question », In Articulo ‐ Journal of Urban Research [En ligne], Book Reviews, 2016. < http://articulo.revues.org/3109>, (consulté le 4 mai 2017) 150 Véronique Biau, et Guy Tapie, op.cit. 151 Benoit Boldron, op.cit. 152 Jan Gehl, op.cit. 153 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », In Lieux Communs : Les Mondes de l’architecture, Cahiers du LAUA, n°17, Ensan, janvier 2015, pp. 165‐186. 149

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B.

La question du collectif : Où en sommes-nous ?

Dans cette partie, on parlera surtout des nouvelles pratiques professionnelles des architectes (mais aussi des urbanistes, paysagistes, etc.), qui depuis plusieurs décennies sont en pleine mutation154, et en rupture avec « le modèle exclusif de l’architecte-maître d’œuvre à l’ancienne. »155 On se réfèrera principalement à la revue Lieux commun n°17156, coordonnée par Anne Bossé et Élise Roy, et plus précisément à l’article d’Elise Macaire157 : « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », qui s’est interrogée sur les nouvelles pratiques et conditions de la maîtrise d’œuvre aujourd’hui, ainsi que sur le devenir du métier d’architecte. Ainsi, face au renouvellement des pratiques des professionnels de la ville, le rôle du maître d’œuvre dans le processus de fabrication du projet (architectural et urbain) a changé, pour comprendre vers quel urbanisme tend la ville aujourd’hui, il semble intéressant de se pencher sur ces acteurs.

1.

La redéfinition du rôle de l’architecte.

Depuis les années 1990, les architectes essayant d’intégrer une dimension plus sociale à leur métier, tentent de se rapprocher de plus en plus des populations.158 Ce qui leur

154

Ce changement d’attitude est issu des contestations de l’enseignement des Beaux‐Arts dans les années 1960, les architectes tentent d’intégrer davantage les dimensions sociales et environnementales dans leur pratique, en cherchant à s’adapter au mode de vie des habitants. Nous pouvons notamment nous référer aux travaux effectués par Siegfried Giedion qui ne dissocie pas l’histoire de l’architecture de son inscrip‐ tion de son contexte social et scientifique. (Voir son ouvrage : Sigfried Giedion, Espace, temps, architec‐ ture, Paris, Denoël, 2004 (publié pour la première fois en 1968), 534p.) 155 Anne Bossé et Elise Roy, « Les mondes de l’architecture » in Lieux Communs : Les Mondes de l’archi‐ tecture, op.cit., pp. 10‐22 156 La revue, Lieux Communs : Les Mondes de l’architecture, op. cit., 300p, est le fruit d’un travail collectif de plusieurs architectes et chercheurs, et sera le support sur lequel j’appuierai mes propos dans cette partie. Cette revue est assez complète et fait partie des travaux les plus récents concernant ce thème, c’est pourquoi j’ai choisi de m’appuyer essentiellement dessus. 157 On pourra aussi se reporter à ses travaux de recherches réalisés dans le cadre de sa thèse, L’architec‐ ture à l’épreuve de nouvelles pratiques. Recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, thèse de doctorat en architecture réalisée au LET sous la direction de Jodelle Zetlaoui‐Léger, 2012. Dans laquelle elle propose une analyse des diversifications des pratiques des architectes, et qu’elle reprend dans son article. 158 Cette démarche n’est, bien sûr, pas tout à fait nouvelle, Le Corbusier se préoccupait déjà de « donner la parole aux usagers » bien qu’il n’ait pas été entendu de son vivant, il développa cette réflexion dans la suite de ses recherches sur le Modulor, dans les années 1950, avec l’ouvrage Modulor 2 : (La parole est

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a permis d’explorer de nouvelles façons d’exercer, mettant en place des méthodes de copro-

dution.159 Dans un contexte de démocratisation de l’architecture, certains architectes se sont intéressés aux phénomènes de participation des habitants dans les processus de production de l’architecture. Et ont ainsi contribué au développement d’une « l’expertise habitante », présentée dans la partie précédente du mémoire. Ainsi, les pratiques de l’architecture semblent muter vers une nouvelle « socialisation »160. Il semble, aujourd’hui, que les architectes s’associent avec « d’autres professionnels (urbanistes, paysagistes, artistes, éducateurs…) et des chercheurs (sociologue, philosophes, géographes…) afin d’élargir leur champ de compétence et construire une alternative à l’exercice du métier »161, pour former des groupes pluridisciplinaires, appelés « collectifs ». Le terme de collectifs, diffuse une nouvelle représentation des conditions d’intervention des professionnels dans les projets d’architecture ou d’urbanisme. Ces conditions sont le résultat d’un prolongement d’investigations antérieures, (menées par des groupes d’architectes issus des contestations sociales des années 1960). On peut alors se demander comment ces pratiques collectives interviennent, aujourd’hui, dans le processus de « la fabrication de la ville »162 ? Selon Elise Macaire, les architectes et urbanistes ont développé des pratiques plus pédagogiques et créatives. Ils font alors intervenir des notions « d’animation, de médiation et d’accompagnement des projets. »163 De nouvelles méthodes de projet sont mises en place pour faciliter l’accès des habitants aux processus du projet. De nouveaux outils d’analyse ou de représentation interviennent, et peuvent ainsi se déployer de différentes manières : « dé-

aux usagers) suite de "Le Modulor" 1948, Boulogne‐sur‐Seine, Éditions de l'Architecture d'Aujourd'hui, 1955, 341p. Dans les mêmes années, de jeunes équipes d’architectes travaillaient sur ce type d’approche. Il y a par exemple, l’Atelier de Montrouge, qui se démarquait par son principe associatif et sa volonté de repenser l’habitat, en s’intéressant au mode de vie des habitants. Il s’inspire aussi des exemples d’habitat traditionnel afin de produire de nouvelles formes architecturales et urbaines. Il y a aussi Roland Simounet, qui, en tant que membre du groupe CIAM‐Alger, pour le congrès d’Aix‐en‐Provence en 1953, a effectué une étude sur le bidonville de Mahieddine. Il y effectue des relevés sur l’habitat spontané pour tenter de comprendre les modes de vie des populations. 159 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 160 Elise Macaire, « L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques. Recompositions professionnelles et démocratisation culturelle », op.cit. 161 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 162 En référence au titre de l’ouvrage de Véronique Biau, et Guy Tapie, La fabrication de la ville : métiers et organisations, Marseille, Parenthèses, 2009, 217 p. 163 Macaire, Élise, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit.

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marches artistiques, et aussi des productions hybrides croisant études urbaines, prospectives, jeux urbains, installations, performances, auto-construction, etc. »164 En incluant cette population, les professionnels ont développé des pratiques qui remettent en question leurs connaissances professionnelles et ont modifié leurs compétences, et leur manière de travailler. De ce fait, les formes architecturales et urbaines, vont se modifier sous l’influence d’une nouvelle expression sociale, interrogeant la légitimité de leur autonomie et de leur forme. Il est évident que la participation habitante possède un fort potentiel d’innovation pour la fabrique de la ville et le renouvellement des pratiques urbaines et architecturales, mais elle a aussi ses limites. Car, outre l’apport des usagers dans l’expérience et la connaissance du lieu, la création de la forme est aussi un enjeu important dans les débats, visant directement les compétences clés du métier d’architecte. D’autre part, selon Jean-Jacques Terrin, la réussite du processus participatif « dépend du degré d’intégration des différents savoirs et savoir-faire que rassemble une équipe-projet, et de la mobilisation des acteurs qui la composent. »165 Il est possible que les villes, utilise ces termes de participation et de collaboration comme un simple outil de communication pour le projet, n’en faisant rien pour autant. Ou bien, de faire face à des difficultés pour inclure les différents acteurs dans un processus d’échange et de collaboration, se retrouvant alors, avec une intégration trop faible pour tendre à un véritable échange constructif dans ces équipes de conception. Dans tous les cas, les professionnels semblent affectés par « ce débat sur la relation au public. »166 Dans ce contexte, le développement des pratiques de coproduction, ont ainsi fait émerger des collectifs, et il paraît intéressant de s’interroger sur l’apport de leurs démarches et leurs pratiques dans les mondes de l’architecture et de l’urbanisme.

2.

Qu’est qu’un collectif ?

Dans son article, Elise Macaire a repéré une soixantaine de collectifs d’architectes, en France et à l’étranger, pratiquant la coproduction avec des publics. Ces collectifs se divisent en trois types de structures différentes : « les organisations informelles, les associations ou les ONG, et les sociétés (entreprises). »167 Ces différentes structures se décomposent en

164

Macaire, Élise, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. Jean‐Jacques Terrin, Le projet du projet : concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 2014, 282 p. 166 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 167 Ibid. 165

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« deux types d’organisation : les collectifs interdisciplinaires comprenant diverses formations d’origine (architectes, artistes, paysagistes, animateurs culturels…) et les collectifs plus strictement d’architectes. » Même si l’interdisciplinarité est le plus souvent présente, dans l’organisation de ces collectifs. La chercheuse évoque même, concernant cette interdisciplinarité récurrente, une « dimension identitaire des collectifs. » L’apparition de ce type de collectifs ne remonterait pas au-delà des années 1990. Mais se sont dans les années 2000, que ces groupes se forment de plus en plus. Ces collectifs, ne sont pas uniquement composés de jeunes architectes, certains créés dans les années 2000, l’ont été par des architectes à la retraite ou en fin de carrière.168

Il y a, par exemple, le collectif Construire ensemble / le grand ensemble créé en 2007 par Patrick Bouchain avec de jeunes architectes. Ils expérimentent une autre façon de faire de l’habitat collectif, pour faciliter l’accession à la propriété grâce, notamment, à la pratique de l’auto-construction. Il y a aussi, Pierre Mahé, architecte, qui en 1992 crée l’association Ar-

penteurs, qui met en place principalement des pratiques de participation habitante dans les projets d’aménagements urbains. Les premiers collectifs ont été créés en réaction à un certain contexte. D’abord (dans des années 1990) en réponse aux mouvements sociaux169 de l’époque, et par la suite (fin des années 1990) sont relatif aux contestations concernant le changement de ministère de écoles d’architecture170. Les collectifs sont issus d’une volonté militante et sociale avant tout, leur appellation renvoyant surtout à leur « philosophie d’action »171, est d’ailleurs, souvent revendiquée. Et aujourd’hui, dans un contexte moins marqué par les mouvements sociaux les collectifs suivent les traces de leurs prédécesseurs, en s’inscrivant davantage dans une démarche pédagogique, artistique et participative. Pour ces architectes172, cette rupture avec le modèle de l’architecte libéral travaillant en agence, est l’occasion de proposer une alternative, ce qu’ils appellent leur « micro-profession »173, à ce métier perçu « comme élitiste et coupé de la société. »174

168

Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. Les pratiques de l’architecture évoluent, Elise Macaire l’explique dans sa thèse L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques. Recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, qu’elles « se sont progressivement structurées, notamment suite aux évolutions du cadre réglementaire de la pro‐ fession : loi sur l’architecture de 1977, réforme de l’ingénierie publique et loi de 1985 sur la maîtrise d’ou‐ vrage publique engagée dans les années 70 » 170 Les écoles d’architecture sont passées du Ministère de l’équipement au Ministère de la Culture. 171 Margaux Darrieus, « Collectifs d'architectes », in AMC, avril 2014, n° 232, pp. 63‐73. 172 Ces professionnels sont tous diplômés d’une école d’architecture et HMONP, mais ne sont cependant pas inscrit à l’ordre. 173 Margaux Darrieus, op.cit. 174 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 169

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Fig.18 : Construire ensemble / le grand ensemble à Tourcoing (Nord)

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COLLECTIF ARPENTEURS

Atelier de Travail Urbain (ATU) de Grande Synthe (Nord) 1994 – 2001

Fig. 19 : Visite de la ville en groupe

Fig. 20 : Dessin grandeur nature du futur projet

Dans le cadre d’une commande publique, l’association Arpenteurs, a créé le premier Atelier de Travail Urbain (ATU) à Grande Synthe (ville de 25 000 habitants de l'agglomération dunkerquoise, principalement constituée de ZUP et de ZAC des années 50 à 90). Cet atelier a mené à un projet, partant d’un « plan-programme des espaces publics »175, un diagnostic visant à améliorer la place du piéton en ville, jusqu’à la création d’aménagements urbains avec les habitants. Habitants, élus, et professionnels ont pu intervenir simultanément sur l’ensemble du projet. Les participants ont ainsi réalisé des concours d’idées où plusieurs équipes, constituée chacune d’un architecte, d’habitants et d’un technicien de la commune, ont confronté leurs idées et partagé leurs expériences. Cette mission de conduite et d’animation « est devenue exemplaire d’une méthode de travail participatif et de la définition du rôle de l’architecte comme animateur des débats. »176 Les professionnels ayant pour mission de favoriser l’accès des publics à la parole, la pratique se veut ici, la plus démocratique possible.

175

Sur leur site <http://www.arpenteurs.fr/References/atuGdeSynthe.htm>, le collectif explique en détail leur démarche concernant ce projet. 176 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 62 |


3.

« L’œuvre, résultat du processus de mise en œuvre de la pa-

role »177 L’expérimentation de l’installation in situ (sur le terrain) est la base du travail des collectifs. Leurs productions sont d’ailleurs très hétérogènes : « expositions, installations et ‘’micro-architectures’’. Il s’agit de constructions éphémères ou durables, à caractère artistique, de petites dimensions et souvent fabriquées en auto-construction. […] également des aménagements dans l’espace public avec du mobilier urbain ou des interventions paysagères et agricoles avec la réalisation de jardins »178 En effet, pour ces collectifs « en manque de chantier »179, c’est le besoin de « se frotter au réel »180 qui importe, comme l’expliquent les membres du Collectif Etc. Leur présence sur le site, leur permet une communication orale avec les différents acteurs de la ville, et ainsi, de gagner en efficacité d’action et capacité d’adaptation.181 Ce n’est qu’en « prenant racine dans le territoire »182, que les collectifs peuvent créer une dynamique sociale durable autour de leurs interventions. Même s’ils utilisent aussi les temps courts comme ceux produit par l’événement, cherchant à « interpeller les habitants », c’est par « leur territorialisation qu’ils peuvent influer sur le temps long du projet urbain. »183 Pour ces collectifs, c’est aussi par « l’éphémère et l’inattendu peu onéreux »184 que l’on peut venir nourrir le projet urbain. Comme une alternative aux grands projets urbains qui se font sur un temps plus long et demandent beaucoup plus de moyens financiers. L’autre particularité de ces projets en collectifs, réside dans sa mise en place dans la pluridisciplinarité. En général, ces collectifs ne sont pas uniquement composés d’architectes ou d’urbanistes, d’autres champs comme les arts plastiques, le graphisme, le design, le paysage, la sociologie,185 peuvent intervenir.

177

En référence au titre d’une partie de l’article d’Elise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 178 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 179 Margaux Darrieus, op.cit. 180 Ibid. 181 Comme le décrivent les membres du collectif Fil dans l’article « Collectifs d'architectes » de Margaux Darrieus. 182 Margaux Darrieus, op.cit. 183 Ibid. 184 Collectif Fil dans « Collectifs d'architectes » de Margaux Darrieus. 185 Margaux Darrieus, op.cit.

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BRUIT DU FRIGO (Collectif d’architectes) Ce collectif hybride se situe entre un bureau d’étude urbain, un collectif de création et une agence de concertation186. Il a été fondé en 1997 par des étudiants en architecture de Bordeaux, en réaction aux rapports souvent hiérarchiques qui existent entre les architectes et les habitants et usagers. Leurs initiatives, au départ spontanées, commencent par la mise en place d’un espace de rencontre, qui va par la suite engendrer des discussions collectives. Ce sont les différents débats et partages d’idées, qui font apparaître des envies, des besoins, et qui donnent lieu à des projets d’aménagement. On a marché sur la Têt – juillet 2016187 Fig. 21

On a marché sur la Têt est un événement réalisé durant deux journées, en prévision d’un

futur aménagement des berges de la Têt, un fleuve qui traverse la ville de Perpignan. Cet évènement avait pour but de sensibiliser les habitants au lieu. Le collectif a mis en place une scénographie et des aménagements temporaires, prévoyant différents usages possibles sur ce futur espace public. Il a également proposé une programmation artistique ainsi qu’une randonnée exploratoire pour le public. Il s’agissait, de faire découvrir ce territoire aux habitants en les immergeant dans le site, ce rassemblement avec des habitants autour du projet urbain fait lien avec l’action politique qu’il représente. Fig. 22

186

Présentation du collectif par le POlau, disponible sur : <https://arteplan.org/initiative/bruit‐du‐frigo/>. Informations disponibles sur le site de Bruit du Frigo : <http://www.bruitdufrigo.com/in‐ dex.php?id=347>

187

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L’équipe de maîtrise d’œuvre laisse alors place à une équipe pluridisciplinaire incluant l’usager, où le processus collectif devient davantage le cœur de leur engagement, que la production d’une œuvre finie. Cette production ne serait rien, sans un travail de communication. Par la production cartographique, dessins techniques, vidéos et films, maquettes, etc.188, ainsi qu’une communication sur les différentes démarches réalisées au cours du processus du projet, les collectifs rendent publics et partageables leurs travaux. Selon l’architecte du collectif Arpenteurs, ces productions ont « un rôle structurant dans le projet »189, produire des cartes, des comptes-rendus, etc, « marque l’histoire du projet » laisse une trace, participe à la fabrication du projet et le rend appropriable par tous. Le processus est aussi (voire plus) important que le projet lui-même. D’autant plus, que ces productions permettent d’inscrire la contribution des habitants dans le processus du projet, en rendant leur parole publique. La parole habitante a alors une véritable importance dans la production du projet. Selon Elise Macaire, pour les collectifs rencontrés, « l’espace physique et l’espace social sont très souvent liés, et l’un et l’autre sont le support de leur intervention. »190 L’espace du projet devient un « objet politique », le « lieu de ‘’rencontre’’ et de ‘’parole’’ »191 dans lequel une action est à mener. Ces collectifs deviennent alors des « porte-paroles d’habitants », en faisant émerger les points de vue des habitants dans le champ de l’architecture, ils leur donnent une vraie légitimité. (Voir page en face, un exemple d’action du collectif Bruit du Frigo) Mise à part la dimension sociale du projet, amenée par les différents débats avec les habitants. Les collectifs proposent aussi aux populations, de « questionner leurs usages de l’espace urbain »192 à travers des petites actions ou des aménagements de leur environnement.

188

Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. Ibid. 190 Ibid. 191 Ibid. 192 Ibid. 189

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COCHENKO (Collectif créatif pour l’espace public) Le collectif français Cochenko, actif de 2007 à 2015, est composé entre autres de graphistes, urbanistes, architectes, designers, et photographes. Leurs initiatives s’organisent autour d’actions participatives et ludiques. L’objectif du collectif est de questionner les usages des habitants, en établissant un diagnostic de ces usages avec eux. Il s’agit d’induire un changement de regard sur leur environnement quotidien, en impliquant les usagers dans le processus. Cochenko valorise ainsi la participation habitante dans la fabrication de la ville. Il fonctionne comme un véritable laboratoire de création, mettant en place eux-mêmes leurs outils d’action, parfois auto-construit. Il véhicule une autre image de l’aménagement urbain, en faisant intervenir les habitants qui viennent alimenter la réflexion et se retrouvent au cœur de la vie urbaine.193 Le Nichoir – juillet/octobre 2014 194 Fig. 23

Le projet du Nichoir, est un espace imaginé par Cochenko, permettant d’abriter les futurs usagers du parc Carême-Prenant à la Courneuve, pour pouvoir profiter du terrain en toutes saisons. Le collectif a conçu le mobilier urbain pour le Nichoir, facile à assembler pour permettre à tout public de participer à sa construction.

Fig. 24 : le mobilier découpé au laser

Fig. 25 : les habitants aident à la fabrication

193

Description disponible sur le site du POlau : <https://arteplan.org/initiative/cochenko/ > Informations disponibles sur le site de Cochenko : <https://cochenko.jimdo.com/les‐créations/le‐ni‐ choir‐2014/ > 194

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Ce peut être par « une action symbolique », « suggérer de nouveaux usages » ou bien de « réaliser des constructions sommaires à la suite d’une concertation »195 que ces collectifs tentent de mettre en évidence des problèmes sociaux et urbains. Il s’agit de mettre en place de petites structures, des « micro-transformations »196, issu d’un « désir de proximité avec les habitants »197, elles sont souvent éphémères, et sont le résultat de réflexions sur le projet. Il y a aussi les expériences d’auto-construction, qui se réalisent autour de chantiers, et permettent au public de s’approprier le projet à travers le processus de fabrication. Le public peut alors assister à des réunions et des débats au moment de la construction du projet. Cela permet aux non-professionnels (ni maçon ou architecte), de devenir constructeur du projet en favorisant l’action collective et ainsi mieux se l’approprier. Les architectes travaillent alors ici, non « pas seulement pour les ‘’usagers’’, les ‘’habitants’’ ou les ‘’citoyens’’, ils travaillent avec. »198

L’expérience professionnelle des architectes se traduit ici, par une grande socialisation. Celle-ci se réalise au travers d’un travail de discussions et de débats, mettant en place une « énonciation architecturale »199 par la mise en récit des envies et besoins des usagers, et par la mise en place d’outils pour la représentation et la création du projet. Le projet final, tentera de rendre compte du processus de production. Ainsi la place du processus de projet, la parole et le travail manuel ont une place privilégiée tout au long de la production. Comme l’explique Elise Macaire, ce sont les « savoirs et les savoir-faire mobilisés, autant que les compétences développées par les collectifs » qui participent à une « réinterprétation du métier d’architecte et de ses missions. »200 L’architecte a, ici, un rôle de médiateur, devant dans le même temps, intégrer les idées et témoignages des usagers et être concepteur. Les collectifs sont surtout issus d’une volonté militante, et comme le rapporte Yvan Detraz201, membre du collectif Bruit du Frigo, ces initiatives étaient souvent « spontanées et sans client », leurs projets étaient souvent autoportés (et généralement peu rémunérées). Mais depuis la loi SRU

195

Ibid. Terme emprunté à Anne Querrien dans l’article « Fabriquer des seuils à une troisième nature », Multi‐ tudes, n°20, [en ligne] disponible sur < http://www.cairn.info/revue‐multitudes‐2005‐1‐page‐13.htm> uti‐ lisé par Elise Macaire, dans « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op.cit 197 Élise Macaire, « Collectifs d’architectes : Expérimenter la coproduction de l’architecture », op. cit. 198 Ibid. 199 Ibid. 200 Ibid. 201 Témoignage d’Yvan Detraz, architecte, issu de l’article « Collectifs d'architectes » de Margaux Darrieus. 196

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en 2000, l’architecte explique que désormais, tout s’est accéléré. Les collectivités, obligée de mettre en place la concertation, se tournent de plus en plus vers eux. Leurs compétences étant de plus en plus recherchées, leur pratique a gagné en reconnaissance. Et elles sont maintenant « clairement demandées dans les appels d’offre de maîtrise d’œuvre. »202 Toutefois, la ville leur demande souvent d’agir vite, or leurs actions se réalisent sur des temps longs et une implantation sur le terrain qui aide à pérenniser leurs actions. Et pour Yvan Detraz « sans cela, elles ne sont qu’événement et n’alimentent pas le projet urbain. » Selon lui, pour rendre leur intervention pertinente, il faudrait mettre en place une véritable « construction méthodologique ». Ainsi, pour Philippe Villien, architecte- urbaniste, il devenu évident que les collectifs « renouvellent les modes de transformation de la ville et la production même de l’architecture. »

203

Les pratiques collectives procèdent du renforcement de la vie urbaine, par des

aménagements adaptés aux usages et aux pratiques habitantes. Les habitants, en prenant part à la fabrication d’un projet urbain, se réapproprient les lieux et participent à la vie urbaine. Au travers de ces différentes actions collectives et participatives, on peut se demander si la notion d’échelle humaine ne donnerait pas un nouveau sens à ces pratiques ? Par des actions concrètes, en remettant l’habitant, et donc l’usager, au centre du processus de fabrication de la ville, ces pratiques, ne participeraient-elles pas à la fabrication d’une ville à

échelle humaine ?

202

Ibid. Témoignage de Philippe Villien, architecte‐ urbaniste et enseignant, issu de l’article « Collectifs d'archi‐ tectes » de Margaux Darrieus. 203

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Fig. 26 : Carte de Lille : points de repérage - Gare Lille-Flandres et Friche St-Sauveur

Fig. 27 : Vue aérienne de la friche St-Sauveur (2012)

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III.

Etude de cas : Le projet du quartier St- Sauveur à Lille (FR) 1.

Pourquoi Saint-Sauveur ?

Il s’agit, ici, de réaliser une étude de cas sur un projet particulier : le projet du quartier Saint-Sauveur à Lille, dont le plan-guide a été réalisé par l’agence de Jan Gehl. Ce projet revendique son attention particulière portée aux usages, aux habitants, au « vivre ensemble », à la qualité de vie, et à l’échelle humaine.204 Des notions, auxquelles l’urbanisme actuel semble faire davantage appel aujourd’hui, comme on a pu le voir précédemment. Il est alors intéressant d’interroger et d’analyser les processus de mise en œuvre de ce projet, qui se veut être « un lieu qui invite à la rencontre et à l’échange pour une sociabilité de voisinage réinventée. »205

Le site de Saint-Sauveur était depuis 1865, la gare de marchandise Lille Saint-Sauveur. En 2003, son activité devenant trop intense pour rester en ville, elle est transférée vers la plateforme multimodale Delta 3 à Dourges. Le site devient alors une friche ferroviaire de 23 hectares. Elle est située au cœur de la ville de Lille, et jouxte le parc Jean-Baptiste Lebas : un parc de trois hectares connus pour ces grandes grilles rouges qui l’entourent. En 2009, dans le cadre des évènements de Lille 3000206, une partie des halles du site Saint-Sauveur est reconvertie en équipement de loisirs et de culture. Le projet est réalisé par l’agence Franklin Azzi Architecture207 et attire désormais un public « à la fois jeune et populaire »208, le lieu est devenu « emblématique de la vie culturelle lilloise. »209

204

Description du projet disponible sur le site Lemoniteur.fr : Nicolas Guillon, Voici le plan‐guide de l’agence Gehl pour Lille Saint‐Sauveur, LeMoniteur.fr, 13 octobre 2014, (mis à jour le 16 octobre 2014), [en ligne]. <http://www.lemoniteur.fr/article/voici‐le‐plan‐guide‐de‐l‐agence‐gehl‐pour‐lille‐saint‐ sauveur‐26088440>, (consulté le 18 mai 2017) 205 Ibid. 206 Lille 3000 est un programme culturel institué par la ville de Lille, qui vise à continuer ce qui a été en‐ trepris pour la promotion de la culture, lorsque la ville de Lille était capitale européenne de la culture en 2004. 207 L’agence a été fondée en 2006 par Franklin Azzi, architecte français. L’agence se caractérise par son interdisciplinarité (hérité des enseignements de la Glasgow School of Art), différents collaborateurs y tra‐ vaillent : architectes, designers, décorateurs, infographistes, historiens de l’art. Son travail est influencé notamment par l’univers industriel, google image, Paul Virilio, le modernisme, et l’art contemporain. (Source : http://www.franklinazzi.fr/agence/franklin‐azzi‐f6d67b25‐4779‐41b4‐bd26‐69f612d61173) 208 Présentation du projet St‐Sauveur lors de l’exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, atelier d’urba‐ nisme Approche.s! (Commissaire), Co‐Urbanisme : 15 fabriques collaboratives de la ville. Lille : MAV. Du 7 février – 15 avril 2017. 209 Nicolas Guillon, Voici le plan‐guide de l’agence Gehl pour Lille Saint‐Sauveur, op. cit.

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Fig. 28 : Vue aérienne du site en 2000 avant sa fermeture – (la halle au premier plan (halle C) fut détruite en 2011, car trop dégradée, tandis que les deux autres à l’arrière (halles A et B), sont celles réhabilitées en 2009).

Fig. 29 : Halle C au premier plan.

Fig 30 : Intérieur de la halle B avant réhabilitation (deviendra la salle d’exposition).

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Fig. 31 : Vue actuelle depuis l’entrée sud : le métro aérien à droite, et en face, l’institut Pasteur de Lille.

Fig. 32 : Vue depuis la friche sur la rue de Cambrai (rue longeant le terrain au sud).

Fig. 33 : Traces des anciens rails.

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Fig. 34, 35 & 36 : Une partie des halles de la gare accueille maintenant un bar/ restaurant, un auditorium, et un espace d’exposition et d’évènements.

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2.

Un projet, pour transformer le quartier ?

En novembre 2013, la SPL Euralille210 choisi l’équipe Gehl Architects comme maître d’œuvre, composées de Claire Schorter (architecte-urbaniste de Vitry-Sur-Seine associée à l’agence Gehl), David Sim, le directeur créatif de l’agence Gehl Architects, l’agence d’architecture lilloise Béal & Blanckaert, l’agence de paysagisme Signes Ouest, le bureau d’études Tribu (experts environnement) et les cabinets Mageo et Artélia (géomètres et experts en voiries et réseaux), pour réaliser le plan-guide du futur quartier Saint-Sauveur. Fin novembre de la même année, le projet des lauréats est présenté à l’occasion d’une réunion publique. Livré fin 2014, le plan-guide final du site s’appuie sur les usages211 et « l’être humain est placé au centre de la démarche de l’urbaniste, qui pense ‘’la vie d’abord puis les espaces publics et enfin les constructions’’. »212 A l’occasion d’une conférence réalisée dans le cadre du cycle de conférences de l’ENSAPL le 15 octobre 2014, à laquelle j’ai assisté, Jan Gehl et son équipe, ont présenté les méthodes et réflexions sur leur manière de concevoir213 l’urbanisme aujourd’hui, développées dans l’ouvrage précédemment cité : Pour des villes à échelle hu-

maine. Puis fin novembre 2014, Martine Aubry et l’équipe Gehl organisent une réunion publique pour présenter le projet, et leur démarche ainsi que les étapes à venir. Lors de cette réunion, la ville exprime sa volonté de créer une ZAC (Zone d’Aménagement Concertée) pour le projet de Saint-Sauveur. Les grandes orientations du plan-guide annoncé sont : de grands axes, notamment une grande allée centrale, traversant le site pour « connecter le site au centre-ville et aux différents quartiers alentours », la mise en place de différents espaces publics pour favoriser les interactions sociales : des passages, rues, placettes, squares, jardins, zones piétonnières. Des rez-de-chaussée « animés », et au nord du site, des « équipements attractifs » pour accueillir des « événements culturels et festifs et des activités créatives. » Au sud de la friche sont prévus des « espaces d’habitation, des commerces et services de proximité. » Pour les espaces d’habitation, l’équipe a dessiné différentes déclinaisons de

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La SPL (Société Publique Locale) Euralille est la société d’aménagement des territoires d’Euralille depuis 1990, elle a été missionnée en 2012 pour conduire le projet urbain pour la transformation de la friche St‐ Sauveur à Lille. 211 Selon différentes descriptions que l’on peut trouver sur le projet, notamment dans les revues d’archi‐ tecture et d’urbanisme comme Le Moniteur. 212 Atelier d'urbanisme Approche.s!, commissaire de l'exposition Co‐urbanisme, op. cit. 213 Comprendre ici deux sens du terme, la définition intellectuelle et littéraire : penser, saisir, cerner et dans le sens former ou créer un objet, une œuvre.

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« microlot »214, des « îlots nordiques »215 à petite échelle (entre trente et soixante logements par îlot) mêlant logements sociaux et logement en accessions aidée et en accession libre.216

214

Terme utilisé par l’atelier d'urbanisme Approche.s!, en référence au « macrolot », une nouvelle forme d’îlot qui mêle différents programmes, recherchant une mixité sociale et formelle. Dans l’ouvrage de Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Forme urbaines et mixités, Paris, La Vilette, 2012, 196p, l’auteur analyse et questionne l’utilisation et le recours presque systématique au macrolot dans les opérations d’urbanisme actuelles. 215 Terme utilisé par la SPL et l’équipe de maîtrise d’œuvre pour nommer 216 Détails du projet et citations utilisées disponible sur le site de la SPL : http://www.spl‐euralille.fr/nos‐ projets‐urbains/saint‐sauveur.html, le site du Moniteur : http://www.lemoniteur.fr/article/voici‐le‐plan‐ guide‐de‐l‐agence‐gehl‐pour‐lille‐saint‐sauveur‐26088440 et lors de l’exposition Co‐urbanisme, op. cit. 76 |


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Fig. 37 : « Le cours » : l’allée centrale du projet, autour duquel la vie de quartier s’organise

Fig. 38 : Schéma d’intention du projet, de grands axes structurent le projet

Fig. 39 : La maquette Lego lors de l’exposition du plan-guide

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L’intérêt de ces îlots de petite taille, est de permettre la mise en place d’une « échelle de voisinage », pour en favoriser les relations. Il s’agit de « réduire le nombre de logements par cage d’escalier pour privilégier le contact et la connaissance entre voisins. »217 Les différents dispositifs mis en place pour le plan-guide : déclinaisons d’îlots de petites tailles, mixité des programmes, partage d’espaces ouverts, services qui favorisent la rencontre et l’échange, résultent des principes d’aménagement énoncés par l’équipe Gehl, pour une ville à échelle humaine. Le projet revendique sa démarche collaborative. Depuis 2012, jusqu’au choix de l’équipe d’urbanisme fin 2013, une première phase de concertation à lieu, à travers différents ateliers thématiques réunissant les élus et des experts pour mettre en place les grandes orientations du projet, afin de produire un cahier des charges à remettre aux équipes d’urbanistes/architectes/paysagistes qui participent au concours. En 2014, l’équipe choisie, la SPL et l’équipe Gehl organisent une deuxième phase de concertation pour échanger sur les grands principes du projet. Des ateliers interservices218 réunissent plus d’une centaine d’agents de la métropole lilloise, « des acteurs de terrain (jardiniers, agents en charge de la propreté, de l’entretien, etc.) aux cadres et responsables de services. »219 Chacun peut prendre la parole et partager sa vision du projet, l’équipe d’urbanistes organise ces échanges à travers des méthodes simples comme le système de post-it. Le projet finalisé, la deuxième phase de concertation continue, et prend la forme d’une exposition participative (une maquette présentant les grandes lignes du plan-guide avait été fabriquée en Lego, et installée dans une halle de la gare St-Sauveur), elle est lancée début octobre 2014, et durant un mois, les habitants pouvaient venir pour y apporter leur contribution. Une façon, selon la ville et l’équipe Gehl, de permettre aux habitants de s’approprier le projet et de mieux le comprendre. Véritable ville dans la ville, le projet prévoit 2 200 à 2 400 logements, 40 000 m² bureaux, 30 000 m² de commerces et activités, 20 000 m² d’équipements, et annonce 8 hectares d’espaces verts.220

217

Atelier d'urbanisme Approche.s!, commissaire de l'exposition Co‐urbanisme, op. cit. Ibid. 219 Ibid. 220 Description de ce cahier des charges disponible sur le site de la SPL : <http://www.spl‐euralille.fr/nos‐ projets‐urbains/saint‐sauveur.html>. (Consulté le 22 mai 2017) 218

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Fig. 40 : Plan masse du projet

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Le parc créé dans le site de la friche, appelé « le jardin de la vallée », s’organise de part et d’autre de la ligne de métro aérien, qui le surplombe, et le long des anciennes voies ferrées présentes sur le site. Cet espace de 1,5 hectare, qui serait alors la principale « zone verte » du projet, pourrait accueillir de multiples usages allant du jardinage aux jeux suspendus.221 Les 8 hectares d’espaces verts annoncés au départ, correspondent en réalité à l’addition de tous les autres espaces publics, incluant la grande allée centrale, et les cœurs d’îlot, dispersés tout au long du site. D’autre part, le projet s’ouvre en partie sur le quartier de la Porte de Valenciennes, un autre quartier en mutation au sud-est de Saint-Sauveur. Cette partie, appelée le belvé-

dère, a l’avantage d’avoir une position géographique avantageuse, point d’articulation entre la porte de Valenciennes et le quartier Saint-Sauveur. L’idée serait d’y implanter « quelque chose de remarquable, de hors norme »222, selon les urbanistes et les habitants consultés. Fin 2016 la mairie a dévoilé le projet qu’elle souhaite implanter sur ce belvédère : une nouvelle piscine olympique. La volonté de la ville (SPL) est d’en faire « un quartier vivant, habité, du loisir, de la connaissance et de la créativité. » Et de « faire de la culture, un vecteur de redynamisation et de mélange. »223

221

Nicolas Guillon, Voici le plan‐guide de l’agence Gehl pour Lille Saint‐Sauveur, op. cit. Ibid. 223 Vidéo de présentation du projet, produite par la Ville de Lille et la SPL, disponible sur : <www.spl‐ euralille.fr > (consulté le 21 mai 2017) 222

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3.

Le projet versus la réalité

Le 17 mars 2017, Martine Aubry (maire de Lille) et Emmanuelle Cosse (ministre du logement jusqu’au 10 mai 2017) signent la cession des derniers terrains de la friche SaintSauveur (après dix ans de négociations), pour permettre de construire le nouveau quartier. Le projet n’atteint pas le succès escompté, et trouve quelques oppositions, depuis quelques temps déjà. En effet, début février 2017, une pétition a été créée sur internet (« Sauvons SaintSauveur, Lille étouffe ! »224), et propose plutôt de transformer la friche en parc urbain. Parmi les opposants au projet, l’architecte lillois Antoine Kubiak, défend la même idée, pour la création d’un parc. Il reproche à l’équipe d’urbaniste, d’avoir travaillé avec des « œillères », en ne prenant pas en compte la parcelle dans son contexte.225 En janvier 2015, il a réalisé un dossier intitulé « La dernière opportunité d’un parc »226, où il y présente le site de la friche StSauveur, le projet de la mairie, et explique les raisons qui le motivent. La lettre a été envoyée au président de la république (François Hollande), aux ministres de l’écologie et de la santé, au président de la MEL (Métropole Européenne Lilloise), aux rédacteurs en chef des journaux

Croix du Nord, et Canard Enchaîné, et à trois responsables religieux de Lille. La première raison défendue par l’architecte, est celle de l’écologie et la pollution que va engendrer le projet. Il explique alors que le projet lui-même engendrera « bruits, poussières, passages de camions quotidiens pendant plusieurs années »227 (la fin du projet est prévue pour 2030 selon la SPL Euralille). En dehors du chantier, la construction du quartier, avec l’arrivée de ses nouveaux logements (2300), bureaux (40 000m²), activités (30 000m²) et équipements (20 000m²) va entraîner, selon les calculs de l’architecte, « entre 5400 et 6300 véhicules en plus de la circulation Lilloise. » Et selon lui, ces véhiculent vont « participer à l’engorgement et à la saturation de la circulation déjà dans un état critique. » L’architecte évoque donc, l’impact de ce projet sur la circulation automobile, mais aussi sur la santé publique. Le rapport de l’Agence régionale de la santé révèle pourtant, concernant le projet que « vivre à proximité des sources de trafic routier (route >10 000 véhicules/jour) pourrait conduire à 15 à 30

224

Pétition créée le 9 février 2017. Disponible sur : <http://www.mesopinions.com/petition/nature‐envi‐ ronnement/stop‐etouffe‐sauvons‐saint‐sauveur‐lille/28041>. 225 Témoignage d’Antoine Kubiak dans l’article de Thomas Levivier « Un architecte milite pour un St Sau‐ veur 100% vert », In La Croix du Nord, créé le 30 avril 2015, disponible sur : < http://www.croixdu‐ nord.com/lille‐un‐architecte‐milite‐pour‐un‐st‐sauveur‐100‐vert_3915/> (consulté le 20 mai 2017). 226 Disponible sur le site internet de l’architecte : www.aka‐architectes.com 227 Antoine Kubiak, « La dernière opportunité d’un parc », Dossier, In akaarchitectes. Disponible sur : <https://www.aka‐architectes.com>

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% de nouveaux cas d’asthme chez les enfants et 15 à 30 % d’exacerbation de bronchites et maladies cardiovasculaires chez les plus de 65 ans. » 228 Ensuite, Antoine Kubiak aborde le fait que la ville de Lille n’a pas beaucoup d’espace verts, il se base sur l’étude de de l’Observatoire Régional pour la Biodiversité du Nord-Pas-De-Calais (2013), qui montre que la surface d’espace verts par habitant est de 11,9m² à Lille, l’étude inclue dans ses chiffres, les surfaces des deux grands cimetières Lillois (Est et Sud). Il compare cette surface à la moyenne française (qui est de 31m²/habitant), ainsi qu’à quelques capitales européennes telles que Paris (14,5m²), Amsterdam (36m²) ou Bruxelles (59m²). Le seul parc prévu dans le projet : « le jardin de la vallée », mesure la moitié du parc J-B Lebas (1,5 hectare). Ce qui est trop peu, selon les opposants au projet, compte tenu du fait que le parc Lebas est déjà saturé229. Pour l’architecte, ce combat est aussi un combat social, il écrit : « Pourquoi les enfants des quartiers denses, populaires et jeunes de Fives et de Moulin n’auraient-ils pas eux aussi droit à un joli parc ? Pourquoi est-ce que l’enfant qui naîtra en 2017 rue de Cambrai devra supporter la poussière et le bruit toute sa jeune vie ? Alors que l’enfant du Vieux Lille aura un splendide parc rénové à sa porte. »230 (L’architecte fait ici référence au parc de la Citadelle au nord de Lille, la ville a investi 23 millions d’euros pour la rénovation de son esplanade (21 hectares) depuis 2015). Il explique que pour les habitants des quartiers Fives et Moulins, il n’y a aucun espace vert, comme la citadelle, à proximité. La solution proposée par l’architecte serait d’organiser un référendum sur l’avenir de la friche auprès des Lillois. Il prend l’exemple d’une situation similaire qui a eu lieu à Berlin en 2014. « Les berlinois ont pu voter par referendum pour garder leur parc dans l’ancien aéroport de Tempelhof. Un projet d’urbanisme menaçait ce site. »231 A l’issu de cette élection, les Berlinois ont gagné, et ont pu garder leur parc. Antoine Kubiak explique ensuite que « l’un des arguments avancés par les Berlinois pour contrer le projet d’urbanisme qui menaçait Tempelhof était qu’il y avait déjà trop de bureaux inoccupés à Berlin. » C’est aussi le cas à Lille où 300 000 m² de bureaux restent inoccupés232 (chiffres que l’architecte a fait confirmer par Arthur Lloyd). Il évoque également le manque d’initiatives de l’Etat pour transformer ces

228

Benoît Marc, « Projet de réaménagement de la friche St‐Sauveur », Agence régionale de la santé, 29 janvier 2015. Disponible sur : <http://inpes.santepubliquefrance.fr/evaluation‐impact‐en‐ sante/pdf/PREZ%20Lille%20EIS.pdf > (consulté le 22 mai 2017) 229 « À St‐Sauveur, la démocratie participative souhaitait un parc de...10 à 20 ha! », La croix du nord, 30 avril 2015, disponible sur : <http://www.croixdunord.com/lille‐a‐st‐sauveur‐la‐democratie‐participative‐ souhaitait‐un‐parc‐de‐10‐a‐20‐ha_3920/>, (consulté le 22 mai 2017) 230 Antoine Kubiak, « La dernière opportunité d’un parc », op. cit. 231 Ibid. 232 Étude de la société immobilière Arthur Loyd, fin 2014.

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surfaces tertiaires inoccupées, en logements. Pour lui, « il s’agit tout simplement d’un projet spéculatif. Une partie des mètres carrés de bureaux sert à des placements en SIIC »233, c’està-dire : une Société d'Investissement Immobilier Cotée.234 Ainsi, selon le journal La Brique, qui s’oppose aussi à ce projet, ce ne serait que de « la spéculation immobilière pure et dure. »235 En tout, une vingtaine d’associations s’opposent au projet de la ZAC Saint-Sauveur. La MRES (Maison régionale de l’environnement et des solidarités), a organisé une « contribution collective au projet d’aménagement Saint-Sauveur »236, disponible sur le site de la MRES, où ont participé plusieurs associations237, faisant parties du réseau de la MRES. A l’issu de plusieurs ateliers de concertation sur l’aménagement de la friche (pendant dix mois), les membres de ces associations ont fait part de leurs inquiétudes face au projet, et y apportent leur point de vue. Le dossier réuni ainsi, leurs réflexions et propositions concernant plusieurs aspects sur projet comme : « la mobilité dans le quartier, la qualité et la diversité du bâti, la place des espaces de nature » ou encore « l’approche énergétique du quartier »238. Le but de ce dossier était « d’alimenter la réflexion des urbanistes », afin de poursuivre un dialogue avec la ville, la SPL et l’équipe Gehl239. Leur principale proposition est de revoir le projet pour construire dans « une logique ‘’responsable et durable’’ »240, ils proposent surtout de « consacrer plus de superficie aux espaces de nature publics », car selon eux le jardin proposé dans le plan-guide n’est pas suffisant : « l’espace de nature proposé en connexion avec le corridor écologique de la voie ferrée est trop petit par rapport à la densité de population que le nouveau quartier va accueillir. La fréquentation future de cet espace est incompatible avec la sauvegarde d’un caractère naturel sur ce site. Au regard des usages également il est insuffisant. »241

233

Témoignage d’Antoine Kubiak, recueilli dans un article du journal local La Brique : AF, Momo, « Sauvons Saint‐Sauveur », La Brique, hiver 2016, n°49. 234 « C’est une société foncière, qui investit des capitaux qu’elle collecte dans des immeubles en vue de leur location ou leur vente. Les bénéfices sont distribués aux actionnaires sous forme de dividendes, sans être imposés au niveau de la société. » définition disponible sur : http://www.pierrepapier.fr/qu‐est‐ce‐ qu‐une‐siic/ 235 AF, Momo, « Sauvons Saint‐Sauveur », La Brique, hiver 2016, n°49. 236 Téléchargeable sur le site de la MRES : <http://www.mres‐asso.org/spip.php?breve1340> (consulté le 24 mai 2017) 237 ADAV, Ajonc, Amis de la Terre Nord, Les Blongios, CCFD Terre Solidaire, Entrelianes, Entrada, Labomob, Les Saprophytes, Parole Citoyenne, Triporteur à Cartouche, Touscan, Vivacités, Zooalill, Citymix, Vie et environnement, MRES. 238 MRES, « Contribution collective au projet d’aménagement Saint‐Sauveur », mars 2015. 239 Ibid. 240 AF, Momo, « Sauvons Saint‐Sauveur », op.cit. 241 « Contribution collective au projet d’aménagement Saint‐Sauveur », op.cit. 84 |


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Fig. 41 : « Fête-la-Friche de la musique » organisée par le collectif Fête la friche le 21 juin 2016

Fig. 42 : « Fête-la-friche de la Bastille » le 14 juillet 2016 sur le Belvédère.

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L’association Fête la Friche, créée en novembre 2015, s’est formée autour d’un constat : le projet de la ville pour faire de la friche Saint-Sauveur une ZAC, ne le valorise pas, et n’est pas adapté aux enjeux du site, selon eux.242 Leur démarche est issue d’une volonté claire : « encourager le croisement des savoir-faire de tous genres en favorisant l’accessibilité du site aux sachants de tous ordres. »243 Pour ce collectif, l’aménagement du site Saint-Sauveur constitue un véritable « enjeu social, écologique, énergétique, économique et politique majeur autant pour la ville que pour son agglomération. » Leur action vise à une appropriation citoyenne de la friche, qui constituerait « un formidable terrain de recherches et d’expérimentations. » Pour eux, le terrain est une « opportunité unique » pour y créer un lieu « de promenade et de flânerie, favorable aux échanges de savoirs, à la diversité des pratiques sportives, aux initiatives culturelles, aux créations artisanales et artistiques. Un site écologique, paisible, avec des constructions à taille humaine, intégrant une ferme urbaine. Un lieu intergénérationnel, de mixité, de brassage. Et pourquoi pas un nouveau grand parc urbain multi-activités ? Un poumon vert comme nouveau ‘’pôle d’attractivité’’ ? »244 Les actions menées par le collectif tendent ainsi vers un requestionnement du site, par rapport aux multiples interventions et actions qu’il met en place sur la friche : « C’est par l’expérimentation collective que nous, habitant.e.s, approfondirons notre expertise d’usage et nous instituerons instances incontournables et obstinées d’une ‘’concertation’’ concernant les différents projets d’aménagement possibles du site, lequel constitue la dernière grande réserve foncière en cœur de ville. » Pour Fête la Friche il s’agit de mettre en œuvre diverses actions et occupations du site, pour démontrer son potentiel multiple, et le faire connaître aux habitants, et permettre une réappropriation du lieu par tous. Le 21 juin 2016, le collectif organise « Fête-la-Friche de la musique », à l’occasion de la fête de la musique. Ils investissent les lieux (avec une autorisation d’occupation temporaire de la mairie), et des centaines de gens affluent. Puis, les 13 et 14 juillet 2016, à lieu « Fête-lafriche de la Bastille », où un « bal populaire » et une « agora citoyenne » prennent place pendant ces deux jours, sur le Belvédère. D’autres événements se poursuivent depuis, sur le site de la friche, notamment des visites de la friche ouvertes à tous, la première, à laquelle j’ai participé, a eu lieu le 19 février 2017. Ces visites, sont l’occasion, pour le collectif, de faire découvrir ce lieu aux habitants, mais aussi de partager leur démarche. Le but du collectif n’est pas de proposer un nouveau projet pour le quartier de Saint-Sauveur, mais de réaliser

242

Présentation de leur démarche sur leur site : <https://fetelafriche.wordpress.com> Ibid. 244 Ibid. 243

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des évènements et des occupations du site pour révéler le potentiel du site, et proposer des alternatives au projet de Gehl, pour enrichir le plan-guide prévu.

On peut se demander pourquoi le plan-guide de l’équipe Gehl, qui met en avant son attention particulière portée sur le traitement des espaces publics, est tant critiqué et remis en question par les habitants eux-mêmes ?

Nous avons vu plus haut dans ce mémoire, que la « crise urbaine »245 à laquelle fait face la ville aujourd’hui, est en partie due à l’inattention portée à l’espaces publics, à son appauvrissement et à la place accordée à la voiture ces dernières décennies, au détriment de celle accordée aux piétons. C’est ce que l’urbaniste Jan Gehl, tente de transmettre dans son travail et son discours, sur « sa » manière de faire la ville aujourd’hui, pour répondre à la crise urbaine. L’urbaniste veut donc réadapter la ville à l’échelle humaine, qui a été trop longtemps destinée à l’usage de la voiture, et a été façonnée de manière à rendre impraticable la ville pour le piéton. Il prône une architecture qui serait « l’interaction entre la forme et la vie. »246 Jan Gehl, a voulu orienter le plan-guide de Saint-Sauveur vers un aménagement « sensoriel » adapté à une échelle humaine, et non pas à l’échelle de la voiture. Le projet de Saint-Sauveur est complexe dans le sens où il se trouve à l’articulation entre deux zones distinctes de Lille, qu’il s’agit aujourd’hui, de reconnecter. Au nord, le centre-ville, quartier aisée et touristique de la ville, et au sud le quartier populaire de Moulins, où d’anciennes tours et ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité) se sont développées, ainsi que l’implantation de la ligne de métro aérien et du périphérique, qui ont contribué à l’isolement du quartier. Le plan-guide, dessiné par l’équipe d’urbaniste, a donc tenté de « réinsérer un tissu local fort et diversifié, dans une ville encore fortement touchée par l’influence de l’urbanisme moderne. »247 Pour l’équipe, c’est par l’aménagement d’une zone d’îlots nordiques, par l’attention portée sur les espaces publics, lieux de rencontre invitant à l’échange et à la sociabilité, et enfin par l’aménagement d’un parc urbain : le « jardin de la vallée », qui a fait l’objet de vives critiques de la part des associations de la ville de Lille et de l’architecte Antoine Kubiak notamment, que le projet tente de répondre aux problématiques du site.

245

Que l’on pourrait définir comme la remise en cause des principes modernistes et de l’urbanisme de dalle, avec l’arrivée de nouvelles pratiques urbaines issues de l’évolution du contexte social. 246 Jan Gehl, Pour des villes à échelle humaine, op. cit. 247 Article sur « le quartier Saint‐Sauveur de Lille transformé par Jan Gehl », Isabelle Lesens, « Façonnons‐ nous la ville, ou est‐ce la ville qui nous façonne ? » créé le 1er décembre 2016, In Lumières de la Ville, disponible sur : <http://www.demainlaville.com/faconnons‐ville‐ville‐faconne/>, (consulté le 25 mai 2017) 88 |


Plusieurs paradoxes se forment autour de la réalisation du plan-guide de l’équipe Gehl. D’abord la question environnementale : nous avons vu que l’arrivée du nouveau quartier d’habitation amènera plusieurs milliers de voiture en plus, en ville. Comment le projet peut-il revendiquer une dimension « écologique » dans la mesure où il amènera forcément du trafic automobile supplémentaire ? Puis la question participative : comment les habitants, qui avait été consulté pendant la mise au point du plan-guide, se retrouvent aujourd’hui au cœur de revendications visant à revoir ce plan-guide ? Comment, aujourd’hui, parvenir à un vrai échange entre les différents acteurs d’un projet incluant les usagers ? Nous avons vu, que certains projets participatifs orchestrés par des collectifs comme « Construire ensemble / le grand ensemble » ou « l’Atelier de Travail Urbain (ATU) » du collectif Arpenteurs, ont su mettre à profit les pratiques participatives habitantes dans leurs projets urbains. Mais dans un projet urbain de plus grande envergure comme celui de Saint-Sauveur, pourquoi est-ce plus difficile de faire entendre la parole habitante ? Est-ce aux habitants de reprendre les lieux pour réussir à faire entendre leurs voix ? Et comment y parvenir ? Finalement, un projet à échelle humaine, intègre-t-il véritablement toute la notion d’échelle humaine, si la participation habitante, n’en fait partie que de manière anecdotique ?

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Conclusion Face à l’évolution de la société, depuis la seconde moitié du XIXème siècle, la ville a été en perpétuelle mutation. Remettant sans cesse en cause les réflexions et les pratiques dans son processus de fabrication. L’architecture et l’urbanisme ont toutefois été très fortement marqués par le mouvement moderne durant le XXème siècle248, qui est, depuis une vingtaine d’années, remis en question. Il est donc devenu nécessaire de développer de nouvelles manières de faire la ville. Nous assistons, aujourd’hui, à une redéfinition du paradigme de la pensée urbanistique, ainsi qu’à une modification des modes de faire des professionnels de la ville ; qui on fait apparaître des courants comme « l’urbanisme postmoderne », « le renouvellement urbain », « la ville durable », « le Grand Projet de Ville » (GPV dans le cadre de la politique de la ville), etc.249 Albert Levy250, constate un « vide doctrinal » de l’urbanisme d’aujourd’hui, et une absence de « modèles urbains cohérents qui pensent le rapport ville et société postindustrielle. »251 Il n’y a donc plus, selon lui, de phénomène de « théorisation doctrinales » des discours urbanistiques, comme on a pu le connaitre précédemment dans l’histoire. La pensée de l’urbanisme actuel, fait face à un véritable changement de paradigme. Comment l’urbanisme a, pour le moment, apporté des solutions aux problèmes de planification actuels ? Vers quel urbanisme va la ville aujourd’hui ?252 L’urbanisme actuel voit apparaître une évolution des pratiques des professionnels de la ville, qui a fait émerger une nouvelle « culture du projet », faisant apparaître la notion de « projet urbain »253, notion relativement nouvelle. On assiste, alors, à une complexification du système d’acteurs, le rôle et la place de l’état ont changé, dû à la « demande de démocratisation, de partage du pouvoir et de reconnaissance du local face à un Etat tout-puissant »

248

François Ascher. Conférence : « L'urbanisme face à une nouvelle révolution urbaine » [13 avril 2000], [Enregistrement vidéo] In : Université de tous les savoirs (UTLS). Canal‐U [72min]. Disponible sur : https://www.canal‐u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/l_urbanisme_face_a_une_nouvelle_re‐ volution_urbaine.956 (consulté le 7 mai 2017). 249 Albert Levy, Quel urbanisme face aux mutations de la société postindustrielle ? Esprit (Paris, France : 1932), Editions Esprit, 2006, pp.61‐75. 250 Albert Levy est un Architecte, et chercheur au CNRS à l’Institut Français d’Urbanisme de l’Université Paris VIII. 251 Levy op. cit. 252 En référence au titre de l’ouvrage de Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Paris, La Villette, 2012, 196 p. 253 Levy op. cit.

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réclamée par les mouvements sociaux des années soixante.254 L’urbanisme s’est alors déplacé vers un niveau local donnant lieu à l’émergence des pratiques participatives, entraînant la mobilisation d’acteurs multiples : élus, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, experts, habitants, etc.255 Ce nouveau système a modifié les pratiques et le processus de conception du projet urbain, qui étaient restés dans un schéma linéaire assez classique. Ainsi, l’organisation devient plus interactive mais aussi plus complexe. Cette remise en question de la place des représentants politiques dans les questions d’aménagement urbain vient aussi de l’apparition de lois invoquant « une demande plus grande de démocratie locale, de démocratie de proximité. »256 Notamment, la loi Lepage en 1996 (Charte de la concertation du Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement), et la loi relative à la démocratie de proximité en 2002 (Participation des habitants à la vie locale). Les principes d’adhésion et de mobilisation des acteurs autour d’un projet urbain, ont fait émerger des démarches participatives (débat public, concertation, etc.) dans toutes les étapes de son processus, diffusant les pratiques participatives que nous pouvons observer en France, depuis une vingtaine d’années. La profusion de ces pratiques a fait apparaître une multitude d’outils et une grande diversité de procédés en termes de processus pour le projet urbain. Et nous avons vu, que c’est davantage par ces recherches et expérimentations, que sur des modèles théoriques figés, fermés, formels, que l’urbanisme repose aujourd’hui. Mais les transformations de ces pratiques pour les ouvrir au débat public, et les rendre plus démocratique sont encore difficile à mettre en place par les élus. Car elles conservent malgré tout une dimension hiérarchique dans leur « système de décision »257. Nous l’avons vu dans le projet de Saint-Sauveur, les habitants avaient été consulté certes, mais lorsque les grandes lignes du plan-guide du projet avaient déjà été mises en place par la ville et les urbanistes. La participation habitante peut être réellement intéressante, et riche dans le processus de production du projet, comme c’était le cas pour les projets du collectif Arpenteurs avec son « Atelier de Travail Urbain (ATU) » et le collectif « Construire ensemble / le grand ensemble » avec Patrick Bouchain. Lorsqu’elle est mise en place dès le départ. Mais utilisée en dernier recourt, elle reste encore « souvent entre les mains des élus et des experts »258, et devient alors anecdotique.

254

On pourra se reporter aux travaux de Manuel Castells, notamment à son ouvrage Luttes urbaines, Paris, Maspero, 1973, dans lequel il propose une réflexion concernant le contexte urbain tendu des années 1960. Cité dans Biau, Véronique, et Tapie, Guy op.cit. 255 Levy op. cit. 256 Ibid. 257 Ibid. 258 Levy op. cit.

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Par ailleurs, l’urbanisme actuel est aussi appelé « urbanisme transactionnel » (Albert Levy) ou « urbanisme concourrant » (François Ascher), et selon Albert Levy, il a surtout pour fonction de : coordonner (les projets particuliers, locaux, les actions), d’arbitrer (chercher des compromis entre les divers acteurs, les conflits, les idées et les objectifs de la ville) et de

débattre (avec le développement des débats public, la valorisation d’une ‘’expertise citoyenne’’ dans le processus décisionnel, et la prise en compte des besoins de chacun).259 Cet urbanisme tente ainsi, de répondre à la question de la co-production, co-conception, du projet, relevant dans le même temps, la problématique liée à la gouvernance. Mais sans « modèle global, ni orientation particulière, il est ouvert à tous les possibles, à toutes les opportunités »260 Il est difficile d’avoir du recul sur l’urbanisme d’aujourd’hui. Le renouvellement des processus de fabrication de la ville est directement issu de l’évolution de nos modes de vie et nos pratiques sociales. Concevoir la ville aujourd’hui, induit alors une véritable connaissance et intégration des modes de vie actuels dans la fabrication du projet architectural ou urbain. Ces nouveaux processus de fabrication, engendrent dans le même temps un renouvellement des pratiques professionnelles des architectes et urbanistes. Il s’agit, aujourd’hui d’intégrer davantage l’usager, d’abord, comme utilisateur prioritaire de l’espace public, ensuite, d’en reconnaître l’expertise et de l’intégrer dans le processus de fabrication du projet urbain. L’intégration de l’humain, en tant qu’habitant, usager du site, relève de la notion d’échelle humaine. Tout comme la volonté de faire de la ville, un espace démocratique. La notion d’échelle humaine découlerait alors, de ce changement de paradigme dans l’urbanisme ? En urbanisme la question de l’échelle a toujours existé, mais elle a évolué, passant de la forme urbaine à la pratique urbaine. La notion d’échelle humaine reste difficile à définir, car elle fait partie d’un ensemble ; les différentes notions d’échelles sont toutes imbriquées les unes dans les autres. Mais cela permet de soulever des questionnements. L’échelle humaine va prendre un sens particulier à partir du moment où on va intégrer la notion de collectif. Car dans ces deux notions, on retrouve l’idée de remettre l’usager au cœur du projet et de la vie publique. On peut se demander si la notion d’échelle humaine n’aurait pas insufflé, en partie, la question des pratiques collectives ? Et si l’intégration des principes liés à la notion d’échelle humaine dans l’urbanisme actuel, n’aurait-elle pas une influence sur le développement des pratiques collectives dans l’aménagement urbain ?

259 260

Levy op. cit. Ibid.

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Finalement, dans le cas du projet de Jan Gehl pour Saint-Sauveur, la conception urbaine développée par l’urbaniste, ne pourrait-elle pas inspirer l’ensemble du quartier ? Cela pose la question des relations d’échelles au sein des différents quartiers de la ville. A partir de la conception d’une « ville à échelle humaine » qui a été définit dans le quartier de SaintSauveur, la ville a mis en place un « Plan de Mobilité » (PDL)261 dans les quartiers alentours. On peut alors se demander si cette conception à échelle humaine mise en place à l’échelle du quartier, ne pourrait-elle pas se développer jusqu’à l’échelle de la ville ? Une sorte d’effet papillon dans les pratiques. Commencer à penser un quartier autrement, ne pourrait-il pas impliquer un changement de la ville en général ?

261

La ville a adopté ce plan de déplacement au conseil municipal le 18 mars 2016, et l’a mis en œuvre le 22 août 2016. « Ses objectifs : réduire le trafic de transit dans le Centre et le Vieux‐Lille, pour améliorer le cadre de vie des riverains et l’attractivité des commerces. » Informations complémentaires disponibles sur : <http://www.lille.fr/Vivre‐a‐Lille/Me‐deplacer/Le‐nouveau‐plan‐de‐deplacements‐lillois>, (consulté le 27 mai 2017).

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Bibliographie Ouvrages Biau, Véronique ; Fenker, Michael ; Macaire, Elise, L'implication des habitants dans la fabri-

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Table des matières

Remerciements………………………………………………………………………………………………………………..p.3 Introduction……………………………………………………………………………………………………………………….p.5 Objet de la recherche : Comment faire la ville à « échelle humaine » ?............p.5 Démarche : De la notion d’échelle humaine aux pratiques collectives…...........P.6

I.

La question de « l’échelle humaine » en architecture.......................P. 9 A.

De la notion d’échelle à la notion d’échelle humaine.............................P. 9 1.

« Définition de l’échelle : ambiguïté avec la notion de propor-

tion »……………………………………………………………………………….…………….…………….….P. 9 2.

La différence entre architecture et géométrie : l’échelle...................P. 14

3.

Multiplicité des sens...................................................................................P. 17

4.

L’échelle « sensible »..................................................................................P. 18

B.

Comment les architectes parlent-ils d’échelle humaine ?..................P. 21 1.

Jan Gehl : retrouver une l’échelle humaine par nos sens..................P. 22

2.

L’échelle humaine : une question depuis 50 ans, développement d’un

discours « écologique »...........................................................................................P. 25

106 |

3.

Une étape pour des villes à échelle humaine : la marche...................P. 27

4.

La place du piéton en ville.........................................................................P. 31


II.

Comment faire la ville aujourd’hui ?.............................................................P. 41 A.

Une nouvelle idée de la ville ?.........................................................................P. 42 1.

Un changement de paradigme de la pensée de l’urbanisme.............P. 42

2.

L’échelle humaine : un prétexte pour faire la ville durable ?............P. 43

3.

La participation comme mode d’action pour l’échelle humaine ?...P. 47

B.

La question du collectif : Où en sommes-nous ?.....................................P. 57 1.

La redéfinition du rôle de l’architecte....................................................P. 57

2.

Qu’est qu’un collectif ?...............................................................................P. 59

3.

« L’œuvre, résultat du processus de mise en œuvre de la pa-

role »……………………………………………………………………………………………….................P. 63

III.

Etude de cas : Le projet de St- Sauveur à Lille (FR)..............................P. 71 1.

Pourquoi Saint-Sauveur ?..........................................................................P. 71

2.

Un projet, pour transformer le quartier ?…………………………………….…P. 75

3.

Le projet versus La réalité.…………………………………………………………....…P. 82

Conclusion………………………………………………………………………………………………………….……………P. 91 Bibliographie……………………………………………………………………………………….…………………………P. 95 Table des illustrations………………………………………………………………………………….……….…P. 101 Table des matières…………………………………………………………………………………………………….P. 106

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