Histoire critique de la littérature latine

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Préface

Ouvrons la meilleure de nos histoires de la littérature latine : tout y est 1, pour notre commodité, en place, depuis l’âge archaïque jusqu’à l’Antiquité tardive ; sous le cadre chronologique, le plus neutre, le plus objectif en apparence, tous nos auteurs sont là, offerts à notre attention, sinon à notre admiration, constitutifs au même titre d’un même précieux héritage ; chacun y est équipé de sa biographie, de la liste de ses œuvres ; une périodisation, de grands ensembles se dessinent : République, Principat, Haut, puis Bas-Empire, ou encore : âge des Gracques, âge de Cicéron, âge d’Auguste, siècle des Flaviens, siècle d’Hadrien, des Antonins… Un schéma historiographique domine le tout, hérité de Florus : Plaute ou l’enfance, Catulle ou l’adolescence, Virgile ou la pleine maturité, Lucain ou la sénescence ; autour des valeurs sûres se massent et s’ordonnent les auteurs de second ordre, les oubliés, les disparus. D’où tenons-nous toutes ces informations ? Et qui ne pressent que ce qui est donné ainsi avec tant de lumineuse évidence est une pure construction, le fruit d’une reconquête passionnée, voire héroïque, condition d’une appropriation qui s’est poursuivie, tantôt consensuelle, aussi souvent conflictuelle,

1. J’ai adoré, étudiant, la Littérature latine de Jean Bayet (1934, cent fois rééditée), à cet ouvrage de grand goût je dois les premières joies, les premiers émerveillements qui ont décidé de ma vocation de latiniste. À mes propres étudiants j’ai eu l’occasion de recommander, aux commençants, l’ouvrage d’Hubert Zehnacker et Jean-Claude Fredouille (1993), modèle d’enchiridion (c’est le livre qui tient dans la main) pour ses cadres clairs et ses irremplaçables mises au point ; aux plus avancés – et à mes amis lettrés –, le livre de mon maître Pierre Grimal (1994), qui est une méditation continue sur le double dialogue (ou combat ?) de l’écrivain avec son temps et avec la langue, d’où la suite de « miracles qui au cours des siècles ont fait la pensée humaine » ; à ceux qui lisaient l’italien, j’ai conseillé le Manuale storico de Gian Biagio Conte (1987), qui enrichit la philologie traditionnelle des apports de la théorie littéraire postérieure aux années 1970. Notre livre, on le verra par la perspective choisie, n’a aucunement l’ambition de se substituer à ces grands manuels, auxquels il faudra toujours revenir.


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sur un millénaire et demi ? C’est l’histoire de cette histoire que l’on voudrait raconter ici. À la recherche de l’héritage perdu : « Scribes and scholars » 2 Tout commence, c’est la partie la mieux connue, avec la quête, le sauvetage in extremis de ce qui n’est en définitive qu’une faible partie d’un immense continent englouti. Force est de partir de la décomposition du monde antique, amorcée avec les premières invasions, achevée avec l’effondrement, entre le vie et le viiie siècle, des restes de l’Empire romain d’Occident. Tandis qu’il ne subsiste plus une seule des vingt bibliothèques de la ville de Rome, on ne fait plus de copies, les manuscrits sont abandonnés, ou détruits, ou lavés pour faire place à des textes plus demandés (les palimpsestes). Certains auteurs sont malgré tout solidement implantés (Cicéron, Virgile, Horace), d’autres tiennent par un fil très fragile. Des œuvres maîtresses de la littérature latine survivent par un seul témoin : Catulle, Properce, Pétrone, Tacite, Apulée. Dans son ensemble, le legs antique est dans un état aussi ruiniforme que l’état actuel du forum romain. Un mécanisme de transmission s’est pourtant mis en place : la culture se réfugie dans les bibliothèques des scriptoria monastiques, puis dans les écoles cathédrales et les bibliothèques capitulaires. Après 540, Cassiodore fonde Vivarium dans le sud de l’Italie, vers 529 saint Benoît de Nursie a fondé la règle des Bénédictins au Mont-Cassin au sud de Rome, puis les Irlandais viennent fonder Luxeuil, Corbie, Bobbio, Saint-Gall, les Saxons Fulda et Hersfeld, et Reichenau sur le lac de Constance. Le relais sera pris lors de la « renaissance » carolingienne par la bibliothèque impériale (Alcuin), quand, depuis Aix-la-Chapelle, lieu d’intense activité de copie, les exemplaires essaiment le long du Rhin et vers l’ouest, vers Ferrières et Tours ; puis par la « renaissance » du xiie siècle. De sorte que nul ne se risquerait plus à dire, après les travaux de Munk Olsen 3, confirmant le mot de Michelet (« Cette ère [sc. la Renaissance] eût été certainement le xiie siècle si les choses avaient suivi leur cours naturel »), que les classiques latins avaient disparu en dehors d’un canon allégé d’auctores qui, copiés et recopiés, constituaient les piliers de l’école. On mesure mieux, grâce à Gilson, Cassirer, Klibansky, la force de l’enlightment que furent, chaque

2. Cf. L. D. Reynolds and N. G. Wilson, Scribes and Scholars : A Guide to the Transmission of Greek and Latin Literature, Oxford, 1968, 1974 ; trad. fr. et mise à jour par P. Petitmengin, D’Homère à Érasme. La transmission des classiques grecs et latins, Paris, CNRS, 1988. 3. L’Étude des auteurs classiques latins aux xie et xiie siècles, 4 vol., Paris, CNRS, 1982-1989 ; I classici nel canone scolastico altomedievale, 1994 ; L’atteggiamento medievale di fronte alla cultura classica, Rome, 1994 ; La réception de la culture classique au Moyen Âge (ixe-xiie siècle), Viborg, 1995.


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fois éphémères, les deux renaissances médiévales : sur tous ces points, qu’il est toujours salutaire et parfois nécessaire de rappeler, ce qu’on a appelé la « révolte des médiévistes » a largement porté ses fruits. Mais la récupération des textes n’eût pas été la formidable aventure que décrit Remigio Sabbadini 4 s’ils avaient été accessibles au public lettré, s’il n’avait pas fallu qu’un Pétrarque, un Boccaccio, un Coluccio Salutati, parcourent l’Europe et déverrouillent la porte des grandes abbayes pour y découvrir parfois, d’un texte classique, l’unique témoin survivant. Le contexte précédent n’avait pas permis aux classiques latins de « jaillir en une grande flambée » (Reynolds et Wilson) : cette fois leur retour est massif et peu s’en faut équivaut à ce dont nous disposons aujourd’hui (les siècles suivants accroîtront seulement le patrimoine de quelques grands textes, comme la République de Cicéron ou les Lettres de Fronton, retrouvés en palimpsestes, ou, comme pour les Epigrammata Bobiensia, d’une section manquante d’un ouvrage déjà connu) ; et leur circulation par les échanges et les copies, leur stockage dans les bibliothèques des papes et des Médicis, puis leur multiplication par l’imprimerie, font qu’ils vont demeurer avec nous pour toujours. La première démarche des humanistes sera donc le rassemblement des textes existants mais épars, la reconstitution matérielle du corps d’Osiris, le corpus. L’ouvrage de Sabbadini rappelle les circonstances de la remise au jour (d’ailleurs mutilée) d’un immense patrimoine grec, latin, patristique : impulsion des princes (les papes : les grands humanistes sont abréviateurs ou secrétaires apostoliques ; les ducs de Florence), rôle d’Avignon, qui ouvre les voies des monastères français, importance du concile de Constance (Saint-Gall, Reichenau, les quatre voyages du Pogge), tandis que le concile de Florence, puis la prise de Byzance provoquent l’afflux de manuscrits grecs. De grandes figures, outre la triade florentine, prennent dans cette quête un relief héroïque, tous voyagent, non pour découvrir des passages vers l’Orient, mais poussés par l’ardeur de retrouver les manuscrits perdus, de les copier et bientôt, grâce à une invention révolutionnaire, l’imprimerie, de les imprimer. Le couple Pannartz et Sweynheim, installé d’abord au monastère de Subiaco où il publie en 1465 Donat et le De oratore, puis à Rome, où, entre 1467 et 1472, il donne l’édition princeps de vingt-huit auteurs théologiques et classiques, est le premier d’une longue lignée d’éditeurs humanistes qui comptera les Alde, les Junte, les Estienne, les Plantin, les Elzévir  5… On n’imprime pas seulement les plus grands, dont les palimpsestes révéleront plus tard de nouveaux fragments, mais tous ceux qu’on peut ramener à la 4. Le scoperte dei codici latini e greci ne’ secoli XIV e XV (2 vol.), Florence, Sansoni, 1905 et 1914 ; rist. 1967. 5. Voir, dans la ligne des travaux d’Henri-Jean Martin, Le Livre dans l’Europe de la Renaissance. Actes du XXXVIe colloque international d’études humanistes de Tours, direction de Pierre Aquilon, Promodis et Cercle de la librairie, Paris, 1988.


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lumière, dubia et auteurs mineurs : ils fourniront les collections commencées dès la fin du Quattrocento, mais qui constitueront, d’abord avec les deux Pieter Burman, l’Ancien et le Jeune, au siècle des Lumières, puis avec Emil Baehrens et ses successeurs, ou Meyer et Riese au xixe siècle, les deux grandes bibliothèques supplétives de l’Anthologia Latina et des Poetæ Latini Minores, en partie intégrées, en partie complémentaires des grandes sommes des œuvres classiques latines qui succèdent à la série Ad usum Delphini publiée pour l’éducation du fils de Louis XIV sous la direction de Pierre Daniel Huet 6 : telles (pour ne citer ici que les séries limitées au texte et au commentaire) les collections de Nicolas Éloi Lemaire en France (1819-) 7, des éditions Teubner en Allemagne (1849-) 8, appartenant aujourd’hui à Walter de Gruyter, l’Oxoniensis en Angleterre (1898-) 9, le Corpus scriptorum latinorum Paravianum en Italie (1916-) 10, ces dernières concurrencées depuis 1919 par la Collection des universités de France (405 volumes pour la partie latine en 2014), qui, comme déjà Panckoucke et Nisard, puis Garnier, ajoute la traduction au texte critique et à l’annotation. Mais retrouver ces textes poursuivis dans un climat d’intense ferveur, que l’on copiait d’abord dans l’écriture humanistique claire, intelligible, appelée la lettre « antique », c’était aussi les rendre à leur vérité originelle. Rappelons la plainte de Pétrarque : « Si d’aventure Cicéron ou Tite-Live revoyaient le jour, est-ce que, relisant leurs œuvres ils les comprendraient ? Ou plutôt, arrêtés à chaque pas, ne les prendraient-ils pas pour des œuvres étrangères et barbares ? » Toutes ces œuvres, transmises souvent défigurées par les copistes, ita mendose, écrit à son tour le Pogge, on les « émende » donc, par la conjoncture (ope ingenii), qui touche chez quelques-uns à la divination, on s’efforce de remonter, par la confrontation des manuscrits (ope codicum), à la leçon originelle et authentique. Non seulement retour des textes, mais retour au texte dans sa vérité, débarrassé des scories et des monstres, rendu à son pristinus splendor. Travail attesté, certes, à l’occasion, chez un Loup de Ferrières, mais entrepris désormais méthodiquement par Pétrarque, poursuivi de façon étincelante par Lorenzo Valla, et qui devient, entre les mains de

6. C. Volpilhac-Auger, « La collection Ad usum Delphini : l’Antiquité au miroir du Grand Siècle », Grenoble, 2000. 7. Bibliotheca Classica Latina ou Collection des auteurs classiques, dédiée à S. M. Charles X par N.-É. Lemaire, Paris, Firmin Didot, 1819- : 34 auteurs en 142 volumes avec commentaires variorum, anciens et nouveaux (xve-xviiie siècles) : Catulle, César, Cicéron, Claudien, Cornélius Népos, Florus, Horace, Justin, Juvénal, Lucain, Martial, Ovide, Perse, Phèdre, Plaute, Pline l’Ancien, Pline le Jeune, Properce, Quinte-Curce, Quintilien, Salluste, Sénèque, Silius Italicus, Suétone, Tacite, Térence, Tibulle, Tite-Live, Valère Maxime, Valérius Flaccus, Velléius Paterculus, Virgile, Poetæ Latini Minores (à eux seuls 7 volumes). 8. Bibliotheca scriptorum Græcorum et Romanorum Teubneriana, Leipzig, 1849-. 9. Bibliotheca Oxoniensis scriptorum classicorum, Oxford, 1898-. 10. Corpus scriptorum Latinorum Paravianum, Turin, 1916-.


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Politien, d’Ermolao Barbaro, un exercice de haute technologie. Cette opération, que Politien compare à l’intervention d’Esculape restaurant le corps écartelé et démembré d’Hippolyte 11, n’est rien moins que la fondation d’une nouvelle science, la nôtre, la philologie, c’est le premier geste de la philologie. Les humanistes des siècles suivants, un Joseph Scaliger, un Juste Lipse aux Pays-Bas, un Lambin en France, un Bentley en Angleterre poursuivront de leur mieux cette œuvre d’émendation du texte. Mais la critique conjecturale, qui a produit aussi des excès, n’atteint son maximum d’efficacité qu’au prix de l’exploitation et de l’évaluation exhaustive des principaux témoins : la fin du xviiie siècle verra se dessiner, complétée plus tard par l’investigation historique des traditions, la théorie « stemmatique » de la recension, qui produit ses effets les plus spectaculaires au début du xixe siècle, quand Karl Gottlob Zumpt, en 1831, établit pour son édition des Verrines le premier stemma codicum, véritable arbre généalogique des manuscrits subsistants et quand Lachmann, à partir du stemma de Bernays (1847), reconstruit dans son édition de 1850 l’archétype supposé du De rerum natura de Lucrèce avec le nombre de pages et le nombre de lignes à la page. Les progrès de la paléographie, de la papyrologie, la lecture des palimpsestes, l’utilisation de la photographie, du microfilm, du computer, les concordances, les catalogues des bibliothèques (les grands répertoires comme l’Iter italicum de Paul Oskar Kristeller) ont rendu aujourd’hui ce type d’exercice sensiblement plus facile, ce qui n’exclut pas les interrogations de Pasquali 12 et de Timpanaro 13 et ne veut pas dire que le travail des nouveaux éditeurs soit irréprochable, comme le souligne cruellement Michael Reeve 14. Parallèlement, l’établissement du texte est inséparable de la création et mise au point de technologies ou méthodologies, d’un équipement logistique approprié à la lecture et à l’interprétation des œuvres, grâce à la (re)constitution d’un système de références et de coordonnées permettant de rapporter le texte à son époque, d’élargir, donc, le commentaire littéral à l’herméneutique, à l’histoire et à la critique. Les modernes n’étaient pas, à cet égard, réduits à leurs seules forces : ils disposaient des outils ménagés par les érudits de l’Antiquité : lexicographes comme Festus, chronologistes comme Jérôme, biographes comme Suétone, grammairiens, métriciens comme Servius ou Donat ou Porphyrion. Leurs études et commentaires accompagnent les 11. C’est le thème du premier chapitre, intitulé « De divinatione », des Miscellaneorum centuria secunda, éd. V. Branca et M. Pastore Stocchi, Florence, 1978. 12. G. Pasquali, Storia della tradizione e critica del testo, Firenze, 1934 et 1988. 13. S. Timpanaro, La genesi del metodo del Lachmann, Firenze, 1963 ; Padova, 1981. 14. M. D. Reeve, « Cuius in usum ? Recent and future editing », JRS 90 (2000), p. 196-206. Les dernières lignes de cet article expriment le scepticisme de l’auteur à l’égard des espoirs placés dans le Web : « In textual criticism it will need more than a Netscape navigator for its voyage through the third millennium ». Du même savant, Manuscripts and Methods. Essays on Editing and Transmission, « Storia e Letteratura 270 », Roma, 2011.


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textes eux-mêmes, dont ils constituent le paratexte et servent de modèles aux études nouvelles, qui n’ont cessé de provigner depuis les accessus ad auctorem de la librairie médiévale, produisant les grands commentaires humanistes, puis les sommes savantes des siècles de Mabillon et de Montfaucon, jusqu’à engendrer avec Friedrich August Wolf au cours du xixe siècle dans le cadre de l’université humboldtienne une refondation (au moins symbolique) de la discipline, devenue l’Altertums-Wissenschaft, élargie à de nouvelles sources notamment épigraphiques, à de nouvelles méthodes (la systématisation de la Quellenforschung), dépassées aujourd’hui à leur tour, ou dotées de nouveaux instruments (comme le Catalogus translationum et commentariorum initié en 1960 par P. O. Kristeller) ou enrichies au contact d’autres disciplines (comparatisme, psychanalyse, structuralisme, socio-critique, sémiotique…) 15, non sans laisser irrésolues plus de questions qu’on ne voudrait, d’identification, d’attribution, d’authenticité, de datation… Importance de l’enjeu : l’appropriation de l’héritage et ses vicissitudes. On pourrait s’en tenir là. Autre chose cependant que cette approximation jamais exhaustive, jamais entièrement objective de la connaissance par les savants est l’assimilation et l’exploitation par les générations successives du capital culturel ainsi restitué. Il faut rappeler en effet qu’à la source de cet ardor eruditionis, et le dépassant, il y a la découverte de l’Antiquité comme une patrie idéale de beauté, de savoir et de sagesse à retrouver, voire à dépasser. D’abord sur le plan de la littérature, par l’étude et l’imitation des grands modèles. Dante définit Virgile comme « la source sublime d’où s’épand un vaste fleuve d’éloquence ». Aux yeux d’un Jules César Scaliger (Poétique, 1561), au schéma historiographique des quatre âges qui mènent la poésie latine de l’enfance à la sénescence s’ajoute, après une longue période de mort, une glorieuse résurrection, marche rapide vers une plenitudo temporum, nouvel âge d’or, d’autant plus aisée à réaliser que les maîtres sont là derechef, à disposition, pour y aider. Même si la renouatio envisagée ici est limitée à la poésie nouvelle de langue latine, on verra que Scaliger prophétise plus largement et à plus long terme, le Virgile des temps nouveaux s’appelant Jean Racine. Plus largement encore, par la mise en œuvre de la conviction, où les spécialistes rejoignent l’élite des lecteurs, qu’avec la leçon des Anciens et même dans l’accord recherché avec la tradition chrétienne, une alternative est possible, capable de transformer les consciences et la société, un « décrochage »

15. Cf., à titre d’exemple, H. Bardon, « Philologie et nouvelle critique », Revue belge de philologie, 1970, p. 7-15.


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de la création et de la pensée par rapport à l’autorité et à la transcendance incarnées par la tradition ecclésiastique et à la scholastique. Comme l’écrit Francisco Rico dans Il sogno dell’Umanesimo (Madrid, 1993 ; trad. fr., Paris, 2002), même si tel ou tel des nouveaux savants (Politien) a exercé le droit de se retirer dans la tour d’ivoire de sa spécialité, les plus grands humanistes (un Pétrarque, un Valla, un Érasme), sans quitter la philologie, mais en la dépassant, avaient fait irruption dans d’autres domaines, ne rêvant rien moins que de tracer « les méridiens et les parallèles d’un brave new world ». Il est vrai que Rico ajoute qu’il ne s’agissait là que d’un rêve. Reste que, si l’impulsion a fini par s’épuiser, qui a permis la naissance des grandes disciplines, architecture, géographie, sciences naturelles, etc., demeure intact le message spirituel, politique, philosophique, le programme des litteræ humaniores si bien nommées conduisant à la mise en place d’une morale fondée sur la loi naturelle révélée par les seules lumières de la sapientia. Sur ces deux plans, l’importance de l’enjeu est telle que, tout en incluant le cercle des spécialistes, elle le dépasse très largement, mettant en branle d’autres acteurs, soit institutions (académies, universités, Églises)  16, soit individus (simples lettrés, traducteurs, écrivains). Traducteurs… Dans cette assimilation critique de l’héritage antique par la nation tout entière, le rôle de la traduction a été primordial et a commencé très tôt, commanditée par les princes (la traduction des Décades de Tite-Live, commandée à Pierre Bersuire par Jean le Bon, des Faits et dits mémorables de Valère Maxime, demandée par Charles V à Robert de Hesdin) ou dédiée à de puissants protecteurs. « Transformatrice de mondes », la traduction, soit du grec, d’abord en latin, à l’intention des doctes, puis en langue vernaculaire (que l’on pense au succès des Vies de Plutarque par Jacques Amyot), soit (pour nous) du latin en vernaculaire, a, en peu de temps, révélé, puis de mieux en mieux reproposé à un vaste lectorat la jouissance d’un immense capital, en se multipliant, en se raffinant, tantôt belle infidèle, tantôt pédestrement fidèle, tantôt isolée, tantôt œuvre de variorum, jouxtant le texte dans le cadre de grandes collections qui illustrent la fécondité du compromis

16. Dans l’océan des publications qui touchent les problèmes d’éducation, prélevons seulement : A. Grafton et L. Jardine, From Humanism to the Humanities : Education and the Liberal Arts in Fifteenth and Sixteenth-Century Europe, London, Duckworth, 1986 ; et pour les nouvelles instances du savoir : G. Vagenheim, M. Deramaix, P. Galand-Hallyn, J. Vignes (edd.), Les Académies dans l’Europe humaniste. Idéaux et pratiques. Université de Paris IV-Sorbonne-Institut universitaire de France, 10-13 juin 2003, Travaux d’Humanisme et de Renaissance, CDXLI, Genève, Droz, 2008 ; C. Charles, J. Verger, Histoire des universités, Paris, PUF, 1994.


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entre érudition et vulgarisation : celles de Panckoucke (1826-) 17 et de Nisard (1837-) 18 au xixe siècle, depuis longtemps épuisées, mais qu’éclipse facilement, en qualité et en quantité avec ses 906 volumes (501 pour le grec, 405, on l’a dit, pour le latin), la Collection bilingue des universités de France (CUF) déjà nommée, née, à partir de 1916, comme l’attestent les « Lettres des tranchées », de la volonté de quelques grands universitaires pour doter leur pays d’un arsenal de textes capables d’éclipser le prestige des éditions allemandes. Un signe de l’importance de la traduction, qui sert à ouvrir l’accès d’une œuvre à un public qui n’a pas la maîtrise de la langue originale, mais est aussi le lieu d’une quête herméneutique, est, avec la concurrence qui s’organise, en dehors de l’académie, d’un siècle à l’autre ou d’une plume à l’autre, autour d’une œuvre éternelle, déjà connue, mais maintes fois revisitée et rajeunie, incarnée à nouveau sans quoi elle cesserait de vivre, la persistance et la richesse des réflexions et des débats qui soutiennent cette activité, inspirant le lumineux traité de l’humaniste Étienne Dolet 19 ou plus tard le concept des « belles infidèles » 20 ou hier la querelle autour de l’Énéide de Pierre Klossowski 21. … et écrivains L’autre rôle clé est tenu par l’élite des écrivains : soit qu’eux-mêmes, on vient de le voir, s’essaient à la traduction, soit que leur éducation leur donne accès (ce sera longtemps le cas le plus fréquent) aux textes originaux, comme chez un Montaigne, soit qu’ils profitent de la médiation de la traduction, leur œuvre, pendant des siècles, on le sait, et même exclusivement jusqu’à ce que d’autres influences aient pris le relais, sera nourrie de cette lecture des Anciens. De cette catégorie privilégiée de lecteurs il y a longtemps que les recherches sur le Fortleben ont permis d’évaluer de mieux en mieux la dette, inscrite dans leurs ouvrages. Mais n’oublions pas que bien souvent l’écrivain et pas seulement le classique « porte en lui un critique », un critique dont la relation personnelle à l’œuvre, souvent au modèle, diffère de celle du savant : 17. Bibliothèque latine-française : Collection des classiques Latins, éd. Charles Louis Fleury Panckoucke, 40 auteurs, 1825-1837. 18. Collection des auteurs latins, avec la traduction en français, dir. Désiré Nisard, 27 volumes (1837-1847). 19. Étienne Dolet, La Manière de traduire d’une langue en autre, Lyon, 1540. 20. Roger Zuber, Les Belles Infidèles et la formation du goût classique, Paris, Colin, 1968. 21. F. Cox, « Translating the Æneid to the Nouveau Roman : Pierre Klossowski’s Æneid », Translation and Literature, 6, n° 2 (1997), p. 203-215. Signalons, ultime produit de l’intense travail consacré à ce sujet en ces dernières décennies, la publication entreprise à Paris chez Verdier sous la direction d’Yves Chevrel et J.-Y. Masson, d’une Histoire des traductions en langue française, en 4 volumes (Moyen Âge et Renaissance, xviie-xviiie siècle, xixe siècle, xxe siècle), dont le troisième seul est paru en 2012.


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« Je ne crois pas en la critique des écrivains, écrit André Malraux ; ils n’ont lieu de parler que de peu de livres. S’ils le font, c’est donc par amour ou par haine, quelquefois pour défendre leurs valeurs ». Jean-Yves Tadié, qui cite ces lignes, commente : « En somme, l’écrivain parle de sa famille et comme il parlerait de lui-même : Baudelaire, Genet, Flaubert, sont les frères de Sartre, non du savant qui leur consacre une thèse […] La critique des artistes est une œuvre d’art, la reconstitution d’un style par un autre style, la métamorphose d’un langage en un autre langage. Alors, dans leurs meilleurs moments, les écrivains nous font approcher leurs confrères de manière non plus intellectuelle, mais sensible […] Retracer l’histoire de la critique des écrivains, c’est donc écrire l’histoire de la littérature sous un angle nouveau […] » 22 Si l’on ajoute que les jugements de l’écrivain portent plus loin dans la société que ceux du savant, on ne s’étonnera pas de voir de tels témoignages invoqués par nous presque aussi souvent que ceux de la critique académique dans les grands procès, auxquels il faut en venir maintenant, qui rythment l’histoire de la réception de l’antique. Une suite de débats passionnés Commençons par les difficultés. La plus ancienne concerne l’assimilation par la société chrétienne d’une littérature marquée par la théologie et la morale du paganisme : l’athéisme de Lucrèce, l’impudeur d’Ovide, les ordures et les méchancetés de Martial. Le préjugé sévira pendant une bonne partie de l’ère moderne, où aux imprécations de l’abbé Savonarole répondent les censures des éditions Ad usum Delphini et les condamnations d’un Désiré Nisard. Un autre parti pris, plus sournois, tout aussi radical, naîtra plus tard : si le premier humanisme européen avait été principalement latin, le préjugé philhellène, dans l’Allemagne des Lumières, cette « orientation magnétique éternelle » des Allemands vers Athènes qui caractérise le néo-humanisme, engendre, dans le pays où s’ouvre la nouvelle ère de la philologie, la dépréciation systématique des œuvres latines (Goethe à propos d’Horace : « un poète sans poésie véritable »). C’est le moment où, en France même, romantiques en quête d’authenticité (Hugo : « Virgile, lune d’Homère »), et bientôt mystiques, en quête de naïveté et d’émerveillement (Hello : « Quand Rome eut dévoré la Grèce, la formule dévora la science ») ne trouvent pas de mots assez durs pour discréditer, au profit du primitivisme grec, une littérature « de seconde main » et comme telle trop « artialisée », pour employer un mot de Montaigne – quand ils ne la réduisent pas, à l’opposé, à une imparfaite propédeutique de la littérature chrétienne, comme le même Hello, préfigurant la thèse de

22. J.-Y. Tadié, La Critique littéraire au xxe siècle, Paris, 1987, p. 10-11.


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Léon Bloy dans La Langue de Dieu : « Tacite et Juvénal ne seraient que les balbutiements humains de la langue que saint Jérôme a parlée divinement ». Enfin, et nous n’insisterons pas sur ce point, certains jugeront plus grave et d’aucuns mortifère un troisième facteur de résistance, né avec la fameuse querelle des Anciens et des Modernes et recrudescent de nos jours, bien qu’au vu de récents succès de librairie (l’Homère de Jaccottet, le Virgile de Paul Veyne) certains aient pu évoquer une « déferlante » d’œuvres antiques d’autant plus neuves que longtemps oubliées : celui qui, remettant en question l’universalité du message d’une civilisation qui a à compter désormais avec les autres cultures du monde, s’attache à la production d’un savoir estimé d’avance suranné. Mais l’accord est loin d’avoir toujours régné au sein des plus inconditionnels défenseurs de la tradition latine. Déjà Callimaque, planifiant dans ses Pinakes l’espace mental de sa bibliothèque, et, à sa suite, Horace, Quintilien, avaient élaboré une liste (le canon) 23 des auteurs qui font autorité, des auteurs de la première classe, classici. Une notion de toute première importance, palmarès, tableau d’honneur, table de la loi culturelle, puisqu’elle fonde, à travers l’enseignement, les bases de la culture dite classique. Les Modernes, empruntant aux Anciens l’idée, le modèle du canon, mais prenant aussi en considération nombre de leurs arbitrages, vont élaborer leur propre hiérarchie. Non cependant sans de remarquables vicissitudes. Par exemple ni Stace, vénéré au Moyen Âge, ni Lucain – dont Dante, l’amoureux des listes, raconte dans l’Enfer IV comment il l’a rencontré dans les limbes, parmi la bella scuola de cinq poètes « maîtres du chant sublime », aux côtés d’Homère, qu’il n’a pas lu, de Virgile, l’altissimo poeta, d’Horace et d’Ovide – ne retrouveront plus par la suite le statut exorbitant dont ils ont joui un moment. Il nous est, de même, difficile d’imaginer aujourd’hui la fortune d’un Valère Maxime quand, non content d’inspirer un Pétrarque, il offrait la matière de la décoration des palais civiques de la Renaissance. Inversement, viendra un jour où un Tacite, longtemps ignoré et d’abord condamné pour son style de « broussailles », prendra sa revanche sur Tite-Live et Salluste qui représentaient jusque-là l’idéal de l’écriture de l’histoire. De Virgile lui-même, comme d’Ovide, l’on retracera l’histoire d’une réception mouvementée. Accompagnant ces variations, de grands et passionnés débats entre critiques ou théoriciens de la littérature mettent en rivalité écoles et styles. C’est d’abord l’affrontement autour du choix du meilleur style : modèle unique, le Tullianus stylus, seul approuvé par Cortesi, ou pluriel, comme le veulent un Politien, un Béroalde, auteur du premier grand commentaire 23. Charles Martindale, « The Classic of all Europe », dans The Cambridge Companion to Virgil, Cambridge, 1997, p. 2, citant Arnold, Essays on Criticism. First and Second Series, London and New York, 1964, p. 33 : soit une conspiration de l’élite, soit une collection de chefs-d’œuvre qui transcendent l’Histoire.


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sur Apulée (1500), partisans d’un éclectisme linguistique ? La querelle du « cicéronianisme » ne cessera de rebondir, mobilisant encore Pic de La Mirandole contre Pietro Bembo et contre Érasme, auteur du Ciceronianus, si bien nommé, Jules César Scaliger… Ce premier débat est réservé aux latinisants, les autres sont pour la République des Lettres. D’abord, tant il s’agit bien d’un héritage conflictuel, entre Latins et Grecs : Virgile, ou Homère ? (ce premier débat est le paradigme de tous les autres) ; l’épigramme « à la grecque » ou l’épigramme selon Martial ? Et pour les seuls Latins, quel modèle, en chaque genre, allons-nous privilégier ? Le rire et la verdeur de Plaute ou la vérité de Térence, speculum uitæ ? Le castigat ridendo d’Horace ou les foudres de Juvénal ? Le molle et facetum de Tibulle ou la cérébralité inquiète de Properce ? La lactea ubertas de Tite-Live ou le Pointierte Stil de Tacite ? Dans une société littéraire où le débat pendant longtemps dépasse la sphère académique et où, les Anciens servant de modèles, la description s’élargit souvent en prescription, triomphe naturellement la stratégie du parallèle (un mot que Perrault, plus tard, n’invente pas, mais emprunte à Plutarque, à Macrobe et à plusieurs autres), chacun, à un moment ou à un autre, ayant ses ardents partisans, inspirant de grandes pages de critique, telle l’intelligente réhabilitation de Tacite par Muret ou le superbe éloge de Juvénal par Victor Hugo dans Les Mages. N’étant point d’instrument qui affûte plus le sens critique et inspire les analyses les plus lucides, que la passion, que l’on dit aveugle bien à tort, ni qui impose plus fortement ses vues que le style. À l’arrière-plan et inscrivant les jugements, positifs ou négatifs, dans l’histoire universelle du goût, rythmée elle-même par la succession des Écoles (Classicisme, Romantisme, Symbolisme…), un conflit séculaire oppose aux partisans de la mesure, largement majoritaires, ceux qui défendent les hardiesses d’une écriture plus libérée ; ainsi s’explique, en dépit des avertissements d’un Nicole ou d’un Bouhours, la réhabilitation, mieux, la vogue inouïe que connaissent un moment les écrivains qui privilégient la pointe (Florus, Velléius, Lucain, Tacite, le Pline du Panégyrique) auprès d’un théoricien du conceptisme comme Gracián : courtes, mais salutaires révoltes opposées aux dégoûts d’un Scaliger, qui reproche aux successeurs de Virgile leur manque d’équilibre, leur pleonexia, leur kakozèlon, plus tard d’un Nisard, qui les regroupe sous l’étiquette d’« écrivains de la Décadence », étiquette que l’avant-garde moderniste revendique au même moment comme un drapeau. Paradoxalement, le désamour qui, chez un Huysmans, frappe injustement les auteurs du canon à l’époque des décadentismes aura pour résultat de ramener un moment sur le devant de la scène, pour notre plaisir, plus d’un auteur jusque-là refoulé.


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Ambition du présent livre La jouissance que nous avons de cet immense capital culturel est le fruit de cette longue histoire, faite de la collaboration-confrontation des philologues (éditeurs, exégètes), des traducteurs, des critiques (souvent les mêmes, mais aussi grands lettrés et grands écrivains) poursuivie de génération en génération. Il y a beau temps que l’histoire de la philologie a fait l’objet de travaux classiques (les travaux de Sabbadini datent de 1905, ceux de Sandys 24 de 1908, ceux de Pfeiffer 25 de 1976, de Reynolds et Wilson 26 de 1968 et 1988, comme au même moment ceux de Momigliano 27, enfin ceux de Pierre Judet de la Combe 28 ou de William M. Calder III 29 ont marqué les deux dernières décennies), au point qu’on peut envisager, comme Pascale Hummel 30, une « histoire de l’histoire de la philologie » : il appert, à la lumière des tout derniers travaux, que, même si l’on peut penser que la philologie classique est entrée dans une nouvelle ère de scientificité au xixe siècle en Allemagne, elle ne peut faire l’économie du compromis entre recherche de la vérité et idéologie : « La tradition est chose morte, écrit un de ses plus éminents représentants, né dans la patrie de Murnau, il nous appartient de lui redonner la vie qu’elle a perdue. Or nous savons que les fantômes ne peuvent parler à moins qu’ils ne boivent du sang ; et les esprits que nous évoquons exigent le sang de nos cœurs. Nous le leur donnons volontiers ; mais si alors ils répondent à nos questions, quelque chose de nous entre en eux : quelque chose de vivant, qu’il faut éliminer, au nom de la vérité 31. »

24. J. E. Sandys, A History of Classical Scholarship, I-III, Cambridge, 1908. 25. R. Pfeiffer, History of Classical Scholarship, I From 1300 to 1850, Oxford, 1968, 1976. 26. L. D. Reynolds and N. G. Wilson, Scribes and Scholars, Oxford, 1968, 1974, op. cit. supra. 27. A. Momigliano, Contributi alla storia degli studi classici e del mondo antico (dix Contributi sont parus à Rome entre 1955 et 2012). 28. P. Judet de la Combe, « Philologie classique et légitimité. Quelques questions sur un modèle », Philologies, t. I : Contribution à l’histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au xixe siècle, edd. M. Espagne et M. Werner, Paris, 1990. 29. W. M. Calder III, notamment An Introductory Bibliography to the History of Classical Scholarship, Chiefly in the XIX and XX, Hildesheim, 1992 ; Studies in the Modern History of Classical Scholarship, I-II, Hildesheim, 1998 et 2010. Le volume XXVI des Entretiens de la Fondation Hardt est intitulé Les Études classiques aux xixe et xxe siècles. Leur place dans l’histoire des idées, Vandœuvres-Genève, 1980. 30. P. Hummel, Histoire de l’histoire de la philologie. Étude d’un genre épistémologique et bibliographique, Paris, 2000 ; Ead., Philologia. Recueil de textes sur la philologie, Paris, 2009. 31. Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff, Greek Historical Writing and Apollo. Two lectures delivered before the University of Oxford, June 3 and 4, 1908, cité par W. M. Calder III. Rapprocher cette formule de James I. Porter, Nietzsche and the Philology of the Future, 2000, citée par Pascale Hummel : « Philology does not uncover the past, it discovers the present in the light of the past endless futurity ».


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L’intérêt pour une historiographie de la Critique s’est développé, semblet-il, à une époque plus récente, favorisé d’un côté par l’explosion des études sur l’Humanisme médio et néo-latin et sur les débats entretenus au sein de la République des Lettres, dont le rôle, à un moment crucial, s’est révélé, on le verra, déterminant : j’entends par là précisément les travaux de plus en plus nombreux, de plus en plus nécessaires, consacrés, comme ceux d’un Marc Fumaroli 32, à la tradition de critique érudite et savante 33 – ils seront largement cités dans les pages qui suivent – qui apparaît plus clairement chaque jour comme la véritable médiatrice entre les modèles antiques et la classical tradition, la grande littérature moderne d’inspiration classique ; de l’autre par l’intérêt porté aux problèmes de la réception, non seulement dans le sens le plus courant, où elle se confond avec le recensement des œuvres inspirées de l’Antiquité (l’étude de la « fortune » des œuvres est un filon traditionnel de la critique) 34, mais (et c’est celui qui nous intéresse) où, génération après génération, elle produit un jugement qui ancre l’œuvre ancienne dans la modernité. Deux puissants mouvements qui ont le mérite de libérer le regard, de l’ouvrir sur la profondeur historique, de dévoiler un vaste champ d’études trop souvent ignoré au bénéfice des études les plus récentes dans des bibliographies conçues (inévitablement) « im Lichte der neuesten Forschung ». En sorte que le moment est venu pour écrire ce livre, qui ne doit rien à son auteur, seules l’intention et la disposition étant siennes, en dehors de quelques inévitables partis pris. Ce livre n’est pas, bien qu’il tâche d’en intégrer les résultats, une nouvelle histoire de la Classical Scholarship : celle-ci recense et évalue les progrès continus d’une science et détaille la contribution et les mérites de ses principaux acteurs, nous nous intéressons aux lumières que leur recherche a jetées sur les auteurs eux-mêmes. Ce n’est pas non plus une étude de plus sur la survie, la fortune, le Fortleben du patrimoine antique, d’autres en ont suffisamment exploré la fécondité à travers l’éblouissante descendance, la suite somptueuse qui lui doit partie de son existence. Appelons cela une histoire critique de la littérature latine. Un tel projet n’est pas absolument

32. Cf. le livre maître : L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et « res litteraria » de la Renaissance au seuil de l’âge classique, Genève, 1980. 33. Voir en Italie : La Filologia medievale e umanistica greca e latina nel secolo XX, Atti del Congresso internazionale, Roma, La Sapienza (1989), Roma, 1993. Se distinguent, en France, les travaux de J. Chomarat et de J.-C. Margolin sur Érasme, et, dans le sillage de Marc Fumaroli l’ouvrage de C. Mouchel, Cicéron et Sénèque dans la rhétorique de la Renaissance, Marburg, 1990. 34. Cf. par exemple G. Highet, The Classical Tradition, Greek and Roman Influences onWestern Literature, New York-Oxford, 1957, et le succès de la série de colloques organisés par R. Chevallier dans la revue Cæsarodunum sous le titre Présence de…, inspiré d’un titre de Robert Brasillach, Présence de Virgile, Paris, Plon, 1931 (Virgile 1978, Cicéron 1984, Sénèque 1991, Tacite 1992, Tite-Live 1994, Salluste 1997, Lucrèce 1999, Fronton 2002, Suétone 2011…), série qui envisage indistinctement la « fortune » de l’auteur antique et l’évolution de la critique à son sujet.


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neuf : il s’essaie, au coup par coup et non systématiquement, dans les plus solides des introductions aux éditions modernes de nos classiques ; il pourrait s’autoriser de l’exemple de l’ouvrage d’Adrien Baillet, intitulé Jugemens des Sçavants (1685-1686) 35, où il n’est pas un article qui n’archive au moins un rapide rappel des acquis de la recherche érudite, de même, si ce n’est pas trop présumer que d’alléguer de tels précédents, que le Dictionnaire historique et critique (1697, 8e édition 1740) de Pierre Bayle. Mais plus de trois siècles se sont écoulés depuis la fin de l’Âge classique, qui ont vu d’une part de nouvelles extensions du domaine d’investigation, d’autre part de nouvelles et parfois spectaculaires remises en question. Sur ces derniers développements de l’intérêt porté à la littérature latine, la présente enquête sera aussi l’occasion de faire le point. Le point de vue que nous avons choisi commande l’organisation de ce livre. Adressé au lecteur de bonne volonté curieux de visiter à son tour, à travers l’expérience de ses aînés, tant les plus fameuses et vénérées pièces de ce trésor, que les plus rares et parfois les plus contestées, il prendra la forme d’un Tableau. En premier lieu, détachés des autres par leur œuvre polyvalente et réunis sous le titre, repris à Dante, de « La Bella scuola », quatre noms qui n’ont jamais disparu de l’horizon, astres majeurs au « ciel » de la littérature latine : Virgile, Cicéron, Horace, Ovide. Suivront, en un vaste tour d’horizon, notre zodiaque, les représentants des principaux genres de prose et de poésie : Philosophie (Lucrèce, Sénèque, les Platonismes), Histoire, Roman, les Genres poétiques (Épopée, Élégie, Satire, Épigramme, Fable et Silve, les Poètes « mineurs »), Épistoliers et Orateurs et enfin Théoriciens de l’éloquence. Une Troisième partie sera consacrée à la Littérature technique (Pline, Vitruve, etc.) et érudite (les érudits, les grammairiens), la Quatrième et dernière partie prélèvera une pincée de cette poussière d’étoiles qu’on a parfois appelée la Littérature latine inconnue. Me reste un ultime et bien agréable devoir : celui d’exprimer ma reconnaissance envers ceux qui furent, après mon épouse, mes tout premiers lecteurs : Hélène Casanova-Robin, mon amie et successeur à la Sorbonne, à qui je dois, touchant l’économie même de l’ouvrage, plusieurs très précieuses suggestions ; Jean-Louis Ferrary, membre de l’Institut, dont la généreuse et patiente expertise aura permis à ce livre d’oser paraître sans honte devant le public savant ; Caroline Noirot, directrice de la maison d’édition Les Belles Lettres, dont les mille encouragements, prodigués plume en main, m’ont laissé croire que le présent ouvrage répondait à un réel besoin.

35. A. Baillet, Jugemens des sçavants sur les principaux ouvrages des Auteurs, par A. Baillet, revus, corrigez et augmentez par M. de la Monnoye, nouvelle édition à Amsterdam, 8 tomes, 1725.


EXTRAITS DE L’OUVRAGE


Cicéron

Virgil had been the favorite author of the Middle Ages ; it was the influence of Petrarch that restored Cicero to a position of preeminence in the Revival of learning. (Sandys, 6) Intimate as Petrarch’s knowledge of Virgil and Livy was, others had laid the foundations. The rediscovery of Cicero was entirely his own. (Pfeiffer, 9) We owe about half of all Cicero’s writings that we now possess to Petrarch and Poggio ; and these precious new books were not just a welcome enlargement of literary knowledge, but a quickening force of life. (Pfeiffer, 33)

La vie, la personnalité de Cicéron excèdent l’histoire de la littérature, appartiennent à l’Histoire. Aussi est-il peu de nos auteurs dont la biographie soit mieux documentée, tant on peut la suivre d’année en année, de mois en mois, grâce à l’œuvre elle-même et à l’abondante Correspondance, à la Vie d’Atticus (son ami) de Cornélius Népos, aux historiens, aux innombrables témoignages de ses amis et ennemis : on suit l’homme, et public et privé, depuis la naissance à Arpinum le 3 janvier 106, dans une famille de rang équestre : son éducation à Rome, rhétorique (il écoute les grandes voix du temps, Marc-Antoine l’Orateur et Crassus, son ainé Hortensius) et philosophique (adulescentulus, il s’éprend de la philosophie en écoutant son premier maître, Philon de Larissa, le chef de l’Académie réfugié à Rome ; plus tard il hébergera longtemps le stoïcien Diodote, rencontrera à Rhodes en 77 un autre stoïcien, Posidonius, et lors du même voyage reste six mois à Athènes comme disciple d’Antiochus d’Ascalon), les débuts en poésie et au barreau, la carrière des honneurs d’un homo nouus, commencée par la questure en 75


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et qui culmine avec le consulat de 63 et la répression de la conjuration de Catilina, le bref exil imposé par les populares (58-57), son rappel triomphal, son isolement croissant, marqué par la condamnation de Milon (52), le gouvernement de Cilicie (51) et, dans la guerre civile, l’engagement du côté de Pompée, le pardon de César après Pharsale, la retraite philosophique, la perte douloureuse de sa fille Tullia, et à nouveau, après les Ides de mars, les terribles Philippiques lancées contre Marc Antoine le triumvir, la trahison d’Octave, la proscription et l’assassinat par le centurion de son ennemi le 7 décembre 43 1. Pour nous, qui considérons moins l’homme que le contenu et le destin d’une œuvre immense, la responsabilité reconnue à Pétrarque dans sa redécouverte nous incite à mettre en avant, une fois pour toutes, le rôle du désir. Désir né dès l’enfance du jeune Francesco, comme en témoigne l’anecdote racontée dans une de ses Lettres de la vieillesse (Sen., XVI, 1) sur les livres brûlés par le père, sauf précisément Virgile et le De inventione de Cicéron, avec cette confidence : « À cet âge je ne comprenais pas ce que je lisais, mais à elle seule je ne sais quelle douceur des mots et leur musique même me fascinait. » 2 Désir confirmé par la suite : « Plusieurs auteurs et en particulier Lactance m’ont fait désirer les livres de la République » (Fam., III, 18, 5) et ceci encore : « Désespérant de trouver les livres de la République, j’ai cherché avec soin ceux de la Consolation et je n’ai rien trouvé. J’ai cherché aussi le livre l’Éloge de la philosophie [l’Hortensius], car le titre lui-même éveillait mon attention, et dans les ouvrages d’Augustin que j’avais commencé à lire j’avais découvert que ce livre lui avait été très utile pour changer de vie et se consacrer à la recherche de la vérité » (Sen., XVI, 1) 3. Espoirs déçus : il comprend qu’il a pris pour l’Hortensius (cité encore dans Libri mei peculiares) une partie des Académiques. Mais il a eu peut-être entre les mains un exemplaire du De gloria, aujourd’hui perdu (Sen., XVI, 1). En 1333, à Liège, il a découvert le Pro Archia et un discours apocryphe, qui contient lui aussi une fervente défense de la poésie, et en 1345, à la bibliothèque capitulaire de Vérone, les Lettres à Atticus et à Quintus et la correspondance avec Brutus, qu’il recopie de sa propre main : « Tes lettres que j’ai recherchées longtemps avec tant de soin et que j’ai retrouvées là où je m’y attendais le moins, je les ai lues et relues avec passion » (Fam., XXIV, 3, 1). Cinq ans plus tard, à Florence, il découvre dans la bibliothèque de Lapo da Castiglionchio, outre les Philippiques, un exemplaire contenant

1. Cf. G. Boissier, Cicéron et ses amis, Paris, 1865 ; J. Carcopino, Les Secrets de la Correspondance de Cicéron, 2 vol., Paris, 1967 ; P. Grimal, Cicéron, Paris, 1986 ; A. Michel, Cl. Nicolet, Cicéron, Paris, 1960. 2. Illa quidem ætate nihil intelligere poteram, sola me uerborum dulcedo quædam et sonoritas detinebat. Cf. Augustin, Conf., V, 13 (enfant, écoutant saint Ambroise) : Verbis eius suspendebar intentus, rerum autem incuriosus delectabar sermonis suauitate. 3. Pour l’Hortensius, voir M. Ruch, L’Hortensius de Cicéron. Histoire et reconstruction, Paris, 1958.


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trois discours : le Pro Plancio, le Pro Sulla et le Pro lege Manilia (Var., 45) : Lapo lui fera parvenir avec le Pro Milone ces trois discours qu’il copiera de sa main (Fam., VII, 16, 46 et Fam. XVII, 12, 1 et 3). En 1355 Boccace lui offre un Pro Cluentio ramené du Mont-Cassin (Fam., XVII, 4, 1). Les Fam. XVIII, 13 et 14 témoignent du prêt par Croto de Bergame ou de Parme d’un manuscrit contenant entre autres les Tusculanes. L’examen des manuscrits possédés et annotés par l’humaniste, largement amorcé par Attilio Hortis 4 et P. de Nolhac 5, poursuivi par Marco Vatasso, G. Billanovich 6, Silvia Rizzo, Leighton Reynolds, Élisabeth Pellegrin, fait apparaître que, sans parler des œuvres auxquelles Pétrarque pouvait avoir accès par ailleurs, il avait dans sa propre bibliothèque treize ouvrages philosophiques, tous écrits dans la retraite après la victoire de César, entre 46 et 44 av. J.-C., et, parmi lesquels brillaient : – les cinq livres des Tusculanæ disputationes (Les Tusculanes), cinq conférences données par Cicéron devant quelques amis dans sa villa de Tusculum), composées après la mort de sa fille Tullia (en 45) et traitant respectivement de la mort, de la douleur, du chagrin, des passions et enfin de la vertu comme condition du bonheur ; – les trois livres du De officiis (Les devoirs), écrits l’année qui précède sa propre mort à 62 ans (en 44), sous forme de lettre à son fils Marcus qui étudie alors à Athènes et traitant, après le stoïcien Panétius, des rapports du bon (honestum) et de l’utile (utile) et de la loi naturelle : cet ouvrage, véritable bible, sera porté par 900 manuscrits, mais aussi : – le De finibus bonorum et malorum (Des termes extrêmes des biens et des maux) dialogue en cinq livres, où la discussion, qui se déplace librement dans l’espace et dans le temps (d’abord à Tusculum, en 50 av. J.-C. dans la villa de Tusculum, puis en 52 dans la propriété de Lucullus, et enfin à Athènes en 74, soit des années auparavant), introduite par une double critique du souverain bien selon l’épicurisme, défendu par L. Manlius Torquatus, et selon le stoïcisme, défendu par Caton, conduit, après l’exposé de l’académicien M. Pupius Piso, à l’assentiment donné par Cicéron à l’enseignement d’Antiochus d’Ascalon, – le De natura deorum (La nature des dieux), qui expose les thèses qui divisent sur ce sujet aussi (la question des dieux et l’intérêt qu’ils portent à la marche du monde) les tenants des trois grandes écoles philosophiques, l’épicurien Vélleius, le stoïcien Balbus et l’académicien Cotta, – la fin du Livre VI du De republica (la République), qui, accompagné par le commentaire de Macrobe, contient le fameux « Songe de Scipion », celui-là même que Pétrarque placera, comme un porche philosophique somptueux, 4. A. Hortis, M.T. Cicerone nelle opere del Petrarca e del Boccaccio, Trieste, 1878. 5. P. de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme, Paris, 1907, 2 vol. 6. G. Billanovich, « Petrarca e Cicerone », Miscellanea Giovanni Mercati, t. IV, Vatican, 1946, 88-106 ; Id., « Nella biblioteca del Petrarca », IMU 3 (1960), p. 1-58.


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LA « BELLA SCUOLA »

à l’ouverture de son poème de l’Africa, paraphrasant les paroles promettant le ciel de l’immortalité à tous ceux qui ont œuvré pour leur patrie : « paroles prophétiques », écrit Toffanin, « qui, arrachées à la République, ont brillé sur l’océan nocturne du paganisme comme un message de Dieu » 7, – enfin, ces dialogues dont les titres et les acteurs éponymes parlent d’euxmêmes, Lælius, de amicitia (Lélius ou De l’amitié), Cato de senectute (Caton ou De la vieillesse) 8. Il possédait par ailleurs 27 discours 9, sur les 58 que nous possédons aujourd’hui 10 et les 129 que lui prête la tradition : discours tant judiciaires – comme au pénal le Pro Archia, qui, au-delà de la défense d’un protégé des Luculli, le poète grec venu à Rome en 102 et à qui on contestait le droit de citoyenneté, contient une magnifique glorification du poète, être inspiré et dispensateur de gloire (Pétrarque en fait un des thèmes de la Collatio laureationis ou discours prononcé lors de son couronnement sur le Capitole) 11, ou le Pro Sestio – que politico-judiciaires, comme la troisième des six Verrines, procès du gouverneur corrompu qui avait copieusement spolié la province alliée de Sicile, et politiques, comme les quatre Catilinaires prononcées à un moment particulièrement dramatique par le consul de 63 ou, en 44, quatre des quatorze Philippiques (titre démosthénien), lutte à mort contre Antoine et ultimes efforts rendus vains par la formation du second triumvirat.

7. G. Toffanin, Storia dell’Umanesimo, II, Bologne, 1952, p. 141 : « Quel ‘Somnium Scipionis’, che, avulso dal ‘De Republica’, gallegio sul notturno mare del paganesimo come un messagio di Dio », citant les paroles célèbres : Omnibus qui patriam conseruarint, adiuuerint, auxerint certum esse in cœlo ac definitum locum, ubi beati æuo sempiterno fruantur. Nihil est enim illi principi Deo, qui omnem hunc mundum regit, quod quidem in terris fiat acceptum, quam concilia cœtusque hominum iure sociati, quæ ciuitates adpellantur : harum rectores et conseruatores hinc profecti huc reuertuntur, « Il y a dans le ciel, pour tous ceux qui ont défendu, soutenu, agrandi leur patrie, un lieu précis et déterminé où ils jouissent en bienheureux d’une vie éternelle. Il n’est rien en effet de plus agréable sur terre au Dieu souverain qui gouverne l’ensemble de notre univers que ces réunions et assemblées d’hommes unis par le droit que l’on appelle cités : or ceux qui les régissent et les gouvernent, partis d’ici, reviennent ici ». 8. Autres ouvrages philosophiques possédés par Pétrarque : les Académiques, les Lois, la Divination, le Destin, les Paradoxes des stoïciens, plus la traduction du Timée. 9. Arch., Balb., Cæl., Catil. I-IV, Cluent, Rege Deiot., Pro dom., Har. resp., Lig., Pro leg. Manil., Marcell., Mil., Post red. ad Quir., Post red. ad sen., Phil. I-IV, Plan., Prov., Sest. (extraits), Sull., Vatin., Verr 3. 10. Depuis, se sont donc ajoutés notamment, pour les procès privés et affaires criminelles : Quinct., Sext.Rosc.Am, Q. Rosc. Com., M. Tull., C. Rabir. ; pour les procès de droit public et les discours politiques : Verr. 1-2 et 4-6, M. Font., De imp. Cn. Pomp., Mur., Flacc., Pis., Planc., Rab. Post., Scaur., Or. Cæsar. 11. La Collatio laureationis, prononcée par Pétrarque lors de son couronnement à Rome emprunte au Pro Archia l’idée de la valeur des poètes dispensateurs de gloire, êtres inspirés (Pro Arch. 8, 18 quasi diuino quodam spiritu inflati), et de leur mission qui est d’éterniser les grandes actions, maniant l’aiguillon de la gloire qui stimule les hommes éminents présidant aux affaires publiques.


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} Un aperçu : Sur les supplices, 62, 162 suiv. : Il dénonce l’arbitraire de Verrès. « Un homme était battu de verges au milieu du forum de Messine : Juges, c’était un citoyen romain. Et cependant, ce malheureux n’avait qu’une plainte, qu’un cri, au milieu de ses souffrances et du crépitement des coups : Je suis citoyen romain. En rappelant ainsi son droit de cité, il pensait qu’il repousserait tous les coups et qu’il éviterait d’être crucifié. Mais, non seulement il ne parvint pas à écarter par ses prières la violence des verges, mais comme il implorait, comme il invoquait plus souvent le nom de la cité, c’est la croix, oui, dis-je, la croix, qu’on préparait à ce misérable infortuné, qui n’avait jamais vu un tel fléau. Ô bien-aimé nom de liberté ! Ô droit précieux entre tous de notre cité ! Ô loi Porcia, et vous, lois des Gracques ! Ô toi, longtemps désirée, finalement rendue à la plèbe romaine, ô puissance tribunitienne ! » Quatrième Philippique, 5 : Il fustige devant le Sénat son adversaire et futur meurtrier. « Je ferai donc ce que, leur armée rangée en bataille, font ordinairement les généraux : quoiqu’ils voient leurs soldats très disposés à bien combattre, ils ne croient pas moins devoir les exhorter. Moi aussi, quelque ardents, quelque animés que vous soyez à recouvrer votre liberté, je veux vous exhorter. Non, Romains, vous n’avez pas à combattre un ennemi avec lequel des conditions de paix soient possibles. Ce n’est déjà plus, comme auparavant, votre asservissement qu’il désire ; mais, dans sa fureur, c’est de votre sang qu’il a soif. Aucun passe-temps pour lui ne semble plus doux que le sang, que le carnage, que de repaître ses yeux du massacre des citoyens.Vous n’avez pas affaire, Romains, à un homme méchant et scélérat, mais à un monstre farouche et cruel. Puisqu’il est tombé dans le piège, il faut l’accabler : car, s’il en sort, il n’est aucun supplice que sa cruauté voudra se refuser ; mais nous le tenons, nous le pressons, nous le serrons avec les troupes que déjà nous avons, et bientôt avec celles que, dans peu de jours, les nouveaux consuls vont mettre sur pied. Continuez, Romains, à signaler pour votre cause l’ardeur que vous avez déjà montrée. Jamais plus grand n’a été votre accord dans aucune occasion ; jamais si fortement vous n’avez été unis avec le Sénat. Faut-il s’en étonner ? Il ne s’agit pas de savoir à quelle condition nous vivrons, mais si nous vivrons, ou si nous devrons périr dans les supplices et dans l’opprobre. Bien que la mort soit imposée à tous les hommes par la loi de la nature, une mort cruelle et déshonorante doit être repoussée par la vertu, et cette vertu est inséparable de la race et du sang romains. Conservez-la, je vous en prie, Romains, cette vertu, noble héritage que vous ont légué vos ancêtres. Si tous les autres biens sont incertains, périssables, changeants, la seule vertu est attachée à l’âme par les plus profondes racines ; jamais aucune force ne peut l’ébranler, ni l’arracher. C’est par cette vertu que vos ancêtres ont d’abord triomphé de l’Italie entière, puis renversé Carthage, détruit Numance, et forcé les plus puissants monarques, les nations les plus belliqueuses à subir le joug de cet Empire. » 48 De l’orateur, I, 30-31 : Crassus fait l’éloge de l’éloquence. « Certainement rien, ajouta-t-il, ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole, retenir l’attention des hommes assemblés, séduire les intelligences, entraîner les volontés à son gré en tous sens. C’est le fait de l’art par excellence,

48. La traduction de ce deuxième extrait est empruntée à la collection D. Nisard.


CICÉRON

de celui qui, chez les peuples libres, surtout dans les cités pacifiées et tranquilles, a toujours été l’art florissant, l’art dominateur. Oui, qu’y a-t-il de plus admirable que de voir, en face d’une immense multitude, un homme se dresser seul et, armé de cette faculté que chacun a cependant reçue de la nature, en user comme il est seul alors, ou presque seul, en mesure de le faire ? Quoi de plus agréable pour l’esprit et l’oreille qu’un discours, tout paré, embelli par la sagesse des pensées et la noblesse des expressions ? Quelle puissance que celle qui dompte les passions du peuple, triomphe des scrupules des juges, ébranle la fermeté du Sénat, merveilleux effet de la voix d’un seul homme… » L’Orateur, LXVI, 221-LXVII, 224 : Cours pratique d’éloquence : les rythmes de la prose, période, membre, incise. « La période complète se compose généralement de quatre parties, que nous appelons membres, afin qu’elle remplisse l’oreille et ne soit ni plus courte ni plus longue que celle-ci attend […] Si nous voulons parler par membres, nous faisons un arrêt, mais rien ne doit être plus nombreux que ceci, qui paraît le moins et vaut le plus […] Ce qu’on dit par incises et membres doit tomber de la manière la plus appropriée, comme est ceci, de moi-même : Domus tibi deerat ? At habebas. Pecunia superabat ? At egebas. Ceci est dit en quatre incises ; au contraire la suite est en deux membres : Incurristi amens in columnas, in alienos insanus insanisti. Puis le tout est soutenu par une période plus longue qui lui sert de soubassement : Depressam, cæcam, iacentem domum pluris quam te et quam fortunas tuas æstimasti […] Dans les incises, dont il faut faire autant de coups de poignard, leur brièveté même rend plus libre le choix des pieds. Or le discours traité en incises et membres a plus de force dans les causes réelles, surtout dans les passages où on accuse ou réfute, comme dans notre seconde plaidoirie pour Cornélius […] Il n’y a aucun genre de style meilleur ni plus vigoureux que celui qui porte ses coups par groupes de deux ou trois mots, quelquefois avec un seul, un peu plus dans d’autres cas, au milieu de quoi vient s’intercaler, ici ou là, une période nombreuse avec des clausules diverses… » L’Amitié, 18 suiv. : Lélius, l’ami de Scipion, fait l’éloge de l’amitié. « D’abord, je pense que l’amitié ne peut exister qu’entre hommes de bien. Je ne tranche pas ici dans le vif comme ceux qui discutent subtilement […] Pour nous, c’est la pratique et la vie ordinaire que nous devons considérer, non les fictions et les souhaits […] L’amitié n’est autre chose que l’accord sur toutes les choses humaines, accompagné de bienveillance et d’affection ; et je crois bien que, la sagesse exceptée, rien de meilleur n’a été donné à l’homme par les dieux immortels. Les uns préfèrent la richesse, d’autres la bonne santé ; d’autres la puissance ; d’autres, les honneurs ; beaucoup aiment les plaisirs. Ce dernier choix est digne des animaux ; les autres biens sont caducs, incertains, ils dépendent moins de notre choix que des caprices de la fortune. Quant à ceux qui mettent le souverain bien dans la vertu, ils ont grand’raison ; mais c’est cette vertu même qui produit et maintient l’amitié. Expliquons ici le mot vertu d’après l’usage de la vie et celui de notre langue ; ne la rapportons pas, comme font certains savants, à des termes magnifiques ; appelons hommes de bien ceux que l’on regarde comme tels : les Paul-Émile, les Caton, les Scipion ; la vie ordinaire s’en contente ; laissons de côté ceux qui ne se trouvent absolument nulle part. Entre de tels hommes, l’amitié présente de si grands avantages que je peux à peine le dire. D’abord, comment la vie peut-elle être vivable, comme dit Ennius, si elle ne trouve un repos dans la bienveillance mutuelle d’un ami. Quoi de plus doux que d’avoir quelqu’un à qui l’on ose parler comme à soi-même ? Quel grand fruit tireriez-vous de la prospérité si vous n’aviez quelqu’un qui s’en réjouît autant que vous-même ? L’adversité serait difficile à supporter si vous n’aviez quelqu’un qui

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LA « BELLA SCUOLA »

s’en affligeât plus encore que vous. Enfin, les autres biens que l’on recherche ne présentent guère qu’un avantage particulier […], mais l’amitié contient un grand nombre de biens. De quelque côté qu’on se tourne, elle est là, elle n’est exclue d’aucun lieu ; jamais elle n’est intempestive, jamais ennuyeuse ; aussi, comme on dit, on ne se sert pas plus souvent de l’eau et du feu que de l’amitié. Et je ne parle pas en ce moment de l’amitié vulgaire et ordinaire, qui a pourtant elle-même son charme et ses avantages ; je parle de la vraie, de la parfaite amitié, telle que fut celle du petit nombre d’amis que l’on cite. L’amitié rend la bonne fortune plus brillante ; elle allège l’adversité parce qu’elle la partage et qu’elle y fait prendre part. L’amitié renferme donc des avantages très nombreux et très considérables ; mais il en est un par lequel elle l’emporte sur tout : c’est qu’elle fait briller à nos yeux un doux espoir pour l’avenir et ne laisse pas les âmes s’affaiblir et tomber. Car celui qui considère un ami véritable voit en lui comme sa propre image. Aussi les absents deviennent présents ; les pauvres riches ; les faibles forts ; et, ce qui est plus difficile à dire, les morts sont vivants : tant l’honneur, le souvenir, le regret de leurs amis les accompagne… » Les Devoirs, XLI, 146 : les détails révélateurs du caractère. « Et ainsi, de même que dans le jeu de la lyre les oreilles des musiciens perçoivent jusqu’aux moindres fautes, de même nous, si nous voulons être perspicaces et attentifs, et observateurs des défauts, ce sont souvent de grandes défaillances que nous saisirons à partir de petites constatations. À partir de la façon de regarder, de la détente ou du froncement des sourcils, de l’abattement, de la gaieté, du rire, de la parole, du silence, de l’élévation de la voix, de son abaissement, de tous autres semblables comportements, nous jugerons facilement ce qui, de tout cela, est fait à propos et ce qui ne s’accorde pas avec le devoir et la nature… » La République, VI, 13, 16, 19 : du haut de la Voie lactée, Scipion l’Africain montre à Scipion Émilien la pauvreté de la gloire terrestre. « “Mais pour que tu sois, Africain, encore plus empressé à te faire le tuteur de l’État, retiens bien ceci : tous ceux qui ont contribué au salut, à la prospérité, à l’accroissement de leur patrie peuvent compter qu’ils trouveront dans le ciel une place bien définie, qui leur est assignée, pour qu’ils y jouissent, dans le bonheur, d’une vie éternelle. Rien en effet de ce qui se produit sur terre n’est plus agréable à ce dieu suprême qui gouverne l’univers, que les réunions et associations humaines qui se sont formées en vertu d’un accord sur le droit et qu’on nomme cités […]. Toi donc, Scipion, pratique la justice et les devoirs de la piété : ils sont considérables quand il s’agit des parents et des proches ; mais ils sont les plus grands de tous, quand il s’agit de la patrie. C’est cette vie-là qui est la voie qui conduit au ciel et dans cette réunion des hommes qui ont achevé leur vie et qui, délivrés des liens du corps, habitent cette région que tu as sous les yeux – c’était un espace circulaire qui, au milieu des flammes, brillait de la plus éblouissante blancheur, vous l’appelez, comme vous l’avez appris des Grecs, la Voie lactée.” De ce lieu je contemplais l’univers entier et tout ce que je voyais me paraissait d’une merveilleuse beauté […] Tout en regardant tout cela avec admiration, je reportais cependant à tout moment mes yeux sur la terre. Alors l’Africain : “Je m’aperçois que tu continues à fixer tes regards sur les lieux où résident les hommes, sur leurs demeures ; puisque la terre te paraît si petite – et elle l’est effectivement –, reste toujours dans la contemplation des choses célestes d’ici et dédaigne les choses humaines de là-bas. Quelle renommée et quelle gloire pourrais-tu obtenir des propos des hommes qui méritent d’être recherchées ?”… »


Les biographies

Cornélius Népos

Il est l’un des immortels (Cicéron)

Originaire de la Cisalpine, comme Catulle, qui lui dédie son libellus (Carm., 1), loué par Cicéron (Att., 16, 5, 5), Pline, Plutarque, Gelle, Lactance, il avait écrit des Chronica et des Exempla et, à la demande d’Atticus, une Vie de Caton l’Ancien et une Vie de Cicéron ; il avait surtout confié sa réputation à un vaste recueil de biographies intitulé De uiris illustribus en seize livres groupés par couples, opposant sous un même titre (rois, généraux, jurisconsultes, orateurs, poètes, philosophes, historiens, grammairiens) personnalités étrangères et romaines et inaugurant ainsi le schéma qu’illustreront bientôt avec éclat les Vies parallèles de Plutarque : Nunc tempus est, lit-on à la fin de la Vita Hannibalis (§ 13), Romanorum explicare imperatores, quo facilius, collectis utrorumque factis, qui uiri præferendi sint, possit iudicari, « Il est temps maintenant de présenter les chefs romains, afin de décider plus facilement, par la comparaison, à qui décerner la palme ». De cet ambitieux projet restent un seul livre entier, De excellentibus ducibus exterarum gentium, énumérant généraux grecs, rois étrangers ayant mené campagne et incluant in fine les vies d’Hamilcar et d’Hannibal ; et deux vitæ isolées qui faisaient partie des livres sur les historiens : celle de Caton l’Ancien, résumé de celle déjà offerte à Atticus, et celle d’Atticus luimême, auteur d’un manuel de chronologie.


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LES GENRES DE LA PROSE ET DE LA POÉSIE

La postérité a été peu clémente pour celui à qui Cicéron promettait l’immortalité. Non seulement elle a naufragé la plus grande partie de son œuvre, mais l’essentiel de ce qu’il en restait, à son tour, lui a été retiré, au profit d’un obscur rhéteur du ive siècle qui aurait abrégé, sauf à la trahir parfois, l’œuvre originale : Æmilius Probus, dont le nom figure en tête des Vies des grands capitaines dans les manuscrits d’abord 1, puis dans les éditions, depuis la princeps de Venise en 1471 2, jusqu’à ce qu’en 1569 Denis Lambin 3 s’emploie à lui en rendre la paternité, le livrant désormais aux critiques des savants, qui lui reprochent des confusions et des erreurs de chronologie, et des raffinés, pour qui sa langue claire et facile confine à la nudité. Mais pour la même raison le De uiris illustribus dont certains ont pensé qu’il était écrit pour l’école, a toujours eu sa place dans le curriculum du latiniste. Pour l’historien des formes littéraires, son importance est due à ce que, héritière des laudationes que les anciennes familles de Rome conservaient avec leurs archives dans l’atrium, mais nourrie principalement des modèles offerts par la rhétorique grecque 4 qui avait fait de la biographie encomiastique un genre littéraire à part (cf. la Vie d’Évagoras d’Isocrate, la Vie d’Agésilas de Xénophon), puis par la biographie péripatéticienne (Aristoxène, Antigone de Caryste, prédécesseurs de Plutarque) et alexandrine, cette œuvre ou plutôt ce qu’il en reste est, après les Imagines de Varron, entièrement perdues, le premier exemple d’un genre qui allait produire la Vie d’Agricola de Tacite et les Vies de Suétone.

� Cornélius Népos, Œuvres, texte établi et traduit par A.-M. Guillemin, Paris, CUF, 1923, 4e tirage revu par Ph. Heuzé et P. Jal, 1992, 5e tirage 2002.

1. Aimé-Louis Champollion-Figeac, Paléographie des classiques latins d’après les plus beaux manuscrits de la Bibliothèque royale de France, Paris, 1857, p. 85 suiv., tout en relevant l’unanimité des témoins dans l’attribution à Probus, note qu’en revanche le nom de Cornélius Népos est introduit dans les mêmes manuscrits au texte de la Vie d’Atticus, qui suit et qui seule, selon lui, conserverait le texte original. 2. L’année précédente, 1470, avait vu l’editio princeps (Venise) de la Vie d’Atticus, jointe aux Epistolæ ad Quintum fratrem, Atticum et Brutum de Cicéron. 3. Æmilii Probi seu Cornelii Nepotis liber de vita excellentissimorum imperatorum a Dionysio Lambino Monstroliensi, Paris, 1569. 4. Cf. Théon, Rhet. Gr., II, 109 suiv.


LES BIOGRAPHIES

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} Un aperçu : Cornélius Népos, Vie d’Hannibal, 1 : Éloge d’un adversaire. « Hannibal, fils d’Hamilcar, naquit à Carthage. S’il est vrai, comme personne n’en doute, que le peuple romain ait été le plus courageux de l’univers, on ne saurait nier qu’Hannibal ait été le plus grand capitaine qui ait existé, aussi supérieur aux autres généraux que Rome l’a été aux autres nations. Il demeura vainqueur dans tous les combats qu’il nous livra ; et si la jalousie de ses concitoyens ne l’eût pas arrêté, il eût peut-être fini par triompher du peuple romain ; mais l’envie de la multitude dut l’emporter sur le mérite d’un seul. Il conserva jusqu’au dernier soupir cette haine que son père avait jurée aux Romains, et qu’il reçut de lui comme un héritage. Exilé de sa patrie et réduit à implorer des secours étrangers, son cœur, à défaut de son bras, combattit toujours les Romains… »

Suétone

Je m’enferme avec Suétone. J’ai déjà connu cette torpeur, ces moiteurs, c’était quand je lisais Juliette ou Les Prospérités du vice. (Roger Vailland) 5 Jamais histoire ne fut plus différente des annales que celle-ci. (Pierre Bayle) 6

On dispose de peu d’éléments pour écrire la biographie du plus célèbre biographe, né à une date incertaine (vers 70 ?), dans une famille de chevaliers aisés : les uns tirés de son œuvre, les autres de la Correspondance de Pline qui fut son ami, qui l’appela « le plus savant des Romains », le logea même un temps, lui fit obtenir de Trajan le ius trium liberorum, le recommanda à Septicius Clarus, le dédicataire de ses Lettres, qui, élevé à la préfecture du prétoire par Hadrien, lui fit conférer la charge considérable de secrétaire ab epistulis, puis a bibliothecis, ce qui lui ouvrait les archives de l’État, avant de

5. Les Pages immortelles de Suétone, Les douze Césars, choisies et commentées par Roger Vailland, Paris, 1962. 6. Cité par F. L’Yvonnet, Introduction à Suétone, Vie des douze Césars. César-Auguste, Paris, 2008, p. viii et xiii.


Table des matières

Préface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Première partie. la « bella scuola » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Virgile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Cicéron. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Horace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Ovide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Deuxième partie. les genres de la prose et de la poésie. . . . . . . . . 107 I. L’histoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Tite-Live. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Tacite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Salluste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 César. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Ammien Marcellin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 Les biographies : Cornélius Népos, Suétone, l’Histoire Auguste. . . . . 155 L’histoire élargie à la Grèce : Quinte-Curce, Julius Valère. . . . . . . . . 163 L’histoire rhétorique : Florus, Velléius Paterculus. . . . . . . . . . . . . . . 167


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HISTOIRE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE LATINE

Abréviateurs et excerptateurs : Les Periochæ liviennes et autres abrégés, Valère Maxime, Julius Obséquens. . . . . . . . . . . . . 173 II. La philosophie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Lucrèce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Sénèque le philosophe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 Platonismes. Les traducteurs : Cicéron, Calcidius, Apulée, Macrobe, Augustin, Boèce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 III. La poésie dramatique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 Comédie : le débat Plaute et Térence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Sénèque tragique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 IV. Le roman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Pétrone. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 L’Âne d’or d’Apulée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 V. La poésie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 L’épopée après Virgile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Lucain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Les trois épopées flaviennes : Stace, Silius Italicus, Valérius Flaccus. . 268 Au ive siècle : Claudien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276 Catulle et les Élégiaques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 Catulle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 Tibulle ou Properce ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292 La satire après Horace. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 Juvénal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 Perse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 Sénèque (?), l’Apocoloquintose. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 Poésie morale : épigramme, fable, sentence . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315 L’épigramme : Martial. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315


TABLE DES MATIÈRES

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La fable : Phèdre, Avianus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 Les sentences : Publilius Syrus, Les Disticha (ou Dicta) Catonis . . . . 328 Poésie descriptive et aulique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 La Silve (poèmes-forêt) : Stace, Sidoine Apollinaire. . . . . . . . . . . . . 334 L’idylle : Ausone, La Moselle, Claudien, Épigrammes et Idylles. . . . . . 341 Poètes et poèmes latins « mineurs » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347 Auteurs bucoliques et cynégétiques : Titus Calpurnius Siculus, Némésianus, Laus Pisonis, Bucoliques d’Einsiedeln, Grattius Faliscus, Némésianus. . . . . . . . . 351 Vers l’Antiquité tardive : la Veillée de Vénus, Rutilius Namatianus, le Querolus, les Énigmes de Symphosius, Epigrammata Bobiensia, les Épigrammes de Luxorius, l’Orestis tragœdia de Dracontius . . . . . . 357 En marge des chefs-d’œuvre : l’Appendix vergiliana, les Priapées, Appendix ovidiana, Consolation à Livie, Appendix petroniana, les Épigrammes attribuées à Sénèque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 VI. Épistoliers, orateurs & théorie de l’éloquence . . . . . . . . . . . . . . 385 Épistoliers : Pline le Jeune, Fronton, Symmaque, Sidoine Apollinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387 Orateurs : le Panégyrique de Pline, les Panegyrici Latinil, la Gratiarum actio d’Ausone à Gratien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397 L’éloquence épidictique : Apulée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403 Théorie de l’éloquence : la Rhétorique à Hérennius, Sénèque le Père, Quintilien, le Dialogue des orateurs de Tacite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405 Troisième partie. la littérature technique et érudite. . . . . . . . . . 419 La littérature technique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421 Pline l’Ancien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423 L’architecture : Vitruve, Frontin, les arpenteurs . . . . . . . . . . . . . . . . 431 L’astronomie : Hygin, Manilius, Firmicus Maternus et les autres. . . 441 La géographie : Pomponius Méla, … et aussi. . . . . . . . . . . . . . . . . . 453


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HISTOIRE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE LATINE

Médecine : Celse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 459 Art de la guerre : Frontin, Végèce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461 Agriculture : Caton, Varron, Columelle, Palladius. . . . . . . . . . . . . . . 467 Cuisine : les dix livres d’Apicius. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 471 Le Corpus iuris civilis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475 L’érudition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 481 Linguistes et antiquaires : Varron, Verrius Flaccus, Sextus Pompeius Festus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 483 Histoire littéraire : le De grammaticis et le De poetis de Suétone. . . . . 487 Deux miscellanées : Aulu-Gelle, Macrobe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 491 Mythographes : Hygin, Fulgence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 499 Trois encyclopédies tardives : Martianus Capella, Cassiodore, Isidore de Séville. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503 Chronologies : Jérôme et la Chronique d’Eusèbe. . . . . . . . . . . . . . . . 509 Les grammairiens : Asconius, Valérius Probus, Hélénus Acron et le Pseudo-Acron, Pomponius Porphyrio, Nonius Marcellus, Servius, Donat, Cæsius Bassus et Atilius Fortunatianus, Dosithée, Lactantius Placidus, Junius Philargyrius, Évanthius, Flavius Sosipater Charisius, Diomède, Priscien . . . . . . . . . . . . . . . . 511 Quatrième partie. fragments de littérature. . . . . . . . . . . . . . . . . . 527 I. Un travail de géants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529 Les sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 530 L’érudition moderne : les recueils de fragments. . . . . . . . . . . . . . . . 532 II. Esquisse d’une cartographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 535 les débuts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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La Loi des Douze Tables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 537 L’aube d’une poésie latine : Livius Andronicus, Nævius. . . . . . . . . . 538 Les annalistes : Fabius Pictor et les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 539


TABLE DES MATIÈRES le grand iie siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Caton l’Ancien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541 « Pater » Ennius : la première épopée en hexamètres. . . . . . . . . . . . . 542 L’essor de la tragédie : Pacuvius et Accius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545 Lucilius et l’invention de la satire romaine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547 La palliata (comédie à la grecque) : Trabea, Cæcilius. . . . . . . . . . . . 548 La togata (comédie à la romaine) : Titinius, Afranius, Atta . . . . . . . . 549 La prose des orateurs : Tibérius et Caius Gracchus . . . . . . . . . . . . . 551 premier siècle : l’âge de sylla

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 553

Les poètes du « cercle de Catulus » : Valérius Ædituus, Porcius Licinus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 553 Premier siècle : l’âge de césar et de cicéron. . . . . . . . . . . . . . . . . 555 L’éloquence : Antoine, Crassus, Hortensius. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555 La grammaire : Ælius Stilo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 556 Un génial polygraphe : Varron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 556 Au théâtre : l’Atellane de Pomponius et de Novius . . . . . . . . . . . . . . 558 Le mime de Labénius et de Publilius Syrus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 559 La poésie autour de Catulle : Valerius Cato, Calvus, Bibaculus, Cinna, Cécilius, Lélius, Varron de l’Aude. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 559 l’âge d’auguste et de tibère. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

561

Trois politiques : Polion, Mécène, Agrippa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561 Varius : la tragédie perdue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 562 Gallus et l’invention de l’élégie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563 Macer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565 Domitius Marsus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566 Albinovanus Pedo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566 sous les flaviens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

567

Arruntius Stella, Sulpicia II. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 567


652

HISTOIRE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE LATINE

l’âge d’hadrien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

569

Un empereur lettré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 569 Un anonyme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 570 iiie-ive siècle : technopaignia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

571

Centonistes : Geta, Ausone, Proba. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571 Carmina figurata, versus intexti : Optatianus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573 Pentadius. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 574 Autres extraits du Salmasianus : Reposianus, Modestinus, Vespa. . . . 575 Pour finir : un témoignage épigraphique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 576 Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579 Appendices. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583 Appendice I. Liste des editiones principes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585 Appendice II. Des siècles de commentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 595 Appendice III. Petit aperçu d’histoire de la traduction. . . . . . . . . . . 603 Appendice IV. Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 617 Indices. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623 Index des auteurs antiques et médiévaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625 Index des auteurs antérieurs au xxe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631 Index des auteurs des xxe et xxie siècles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639


histoire critique de la littérature latine de

V irgile

à

H uysmans

Ce que nous savons de la littérature latine et qui nous est présenté dans un cadre chronologique impeccable est une construction, une appropriation, fruit d’une conquête héroïque : des œuvres arrachées au néant par le travail des copistes, retrouvées par les Pétrarque, les Poggio Bracciolini, infatigables chasseurs de manuscrits, rendues à leur vérité textuelle et historique par des philologues brûlant de l’ardor eruditionis, diffusées par les éditeurs, les traducteurs ; constamment réinterprétées, réinventées à travers une longue série d’aléas et de débats passionnés qui réactualisent le canon, débats qui dépassent l’académie, enflamment la République des Lettres, mobilisent notamment ces lecteurs privilégiés que sont les grands écrivains. Aussi ces pages, qui racontent l’histoire de cette histoire, offrent-elles, à côté de Virgile et d’Ovide, à côté de Politien, de Juste Lipse, de Lachmann, les noms de Montaigne, Hugo, Laurent Tailhade, Huysmans. Rendu possible par les nombreux travaux qu’a suscités, par delà l’Humanisme, l’intérêt porté à l’histoire de la réception, le point de vue choisi commande l’organisation du livre. En premier lieu, détachés des autres par leur œuvre polyvalente et réunis sous le titre, repris à Dante, de « La Bella scuola », quatre noms qui n’ont jamais disparu de l’horizon, astres majeurs au « ciel » de la littérature latine : Virgile, Cicéron, Horace, Ovide. Suivent, vaste zodiaque, les représentants des principaux genres de prose et de poésie : Philosophie (Lucrèce, Sénèque, les Platonismes), Histoire, Théâtre, Roman, les Genres poétiques (Épopée, Élégie, Satire, Épigramme, Fable et Silve, les Poètes « mineurs »), Épistoliers et Orateurs et enfin Théorie de l’éloquence. Une troisième partie est consacrée à la Littérature technique (Pline, Vitruve, etc.) et érudite (les polygraphes, les grammairiens). Écrit sous la plume savante et sensible de Pierre Laurens, enrichi de nombreux extraits en traduction, l’ouvrage se clôt par une quatrième partie consacrée à cette poussière d’étoiles qu’on appelle la « Littérature latine inconnue ». Pierre Laurens, correspondant de l’Institut, professeur émérite à la Sorbonne où il a occupé la chaire de Littérature latine de la Renaissance, est l’auteur de nombreux ouvrages, dont : Anthologie grecque, Livre IX, deuxième partie, et X (1974 et 2011) ; Musæ reduces (1975) ; Baltasar Gracián, La Pointe ou l’Art du génie, trad. (1983) ; le Commentaire sur le Banquet de Platon de Marsile Ficin, éd. et trad. (2002) ; l’Africa de Pétrarque, éd. et trad. (2006) ; Anthologie de la poésie lyrique latine de la Renaissance (2004) ; La dernière Muse latine, Douze lectures poétiques, de Claudien à la génération baroque (2008) ; L’âge de l’inscription (2010) ; L’Abeille dans l’ambre (1989, édition revue et augmentée 2012). 39,50 euros isbn : 978-2-251-44481-9

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HISTOIRE CRITIQUE de la LITTÉRATURE LATINE

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