G A L E R I E N AT H A L I E O B A D I A
G U I L LA U M E BRESSON
É D I T I O N S D I L E C TA
Texte Stéphanie Katz
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tant il est évident que cette vague n’en est pas une, que la place accordée au spectateur est improbable, et que l’ensemble du dispositif vise essentiellement à obliger le regard à s’engloutir dans de la pure matière à image. Loin d’une œuvre réaliste, il s’agit donc plutôt d’un dispositif qui met à nu la réalité de la peinture, dans sa concrétude, sa matérialité, son organicité. Tout se passe comme s’il devenait possible au spectateur de plonger, s’immerger, s’engloutir dans l’épaisseur imaginaire de la matièrepeinture elle-même. Cette vague, d’abord éprouvée comme un mur, devient tout à coup une sorte de porte ouverte sur un univers organique, où la matière peinte se déploie comme un continuum à variations multiples, à la manière des nuages. Les lutteurs de la peinture
« Musée des Beaux-Arts de Budapest, Les Lutteurs de Courbet. Alors que l’un d’entre eux semble appartenir à la catégorie peinture, l’autre relève du genre « être vivant ». Le premier est en train de jeter le second au-dehors du tableau. » City Hôtel Pilvax, Budapest, Déc. 2011, Les Carnets de Stéphanie, extrait. De la vague-muraille, qui s’ouvre comme une baie sur les épaisseurs imaginaires de la réalité de la peinture, à l’entrée du souterrain qui appelle le visiteur intrépide de la « zone » de Guillaume Bresson, il y a peu. Ici et là, domine la même invitation à pénétrer au cœur d’un territoire dégagé des impératifs de cohérence qui prévalent en surface. Au cœur de la vague comme en sous-sol, une violence inédite assimile l’entrée en peinture à un passage de frontières. Dans cet esprit, Guillaume Bresson nous familiarise avec un univers dédoublé, entre un dessus dépeuplé mais organique, et un dessous labyrinthique où l’architecture est hantée par une menace de conflits. Un théâtre d’enveloppes et de structures construit un monde où, si la guerre est à l’ordre du jour, elle est moins génératrice de destruction que l’occasion d’une chorégraphie ritualisée de la violence. Le combat trace l’espace comme une danse, produit du volume et de la ligne, nécessite l’apprentissage de codes et de techniques. Ces luttes clandestines sont moins des menaces de mort que l’invention d’un lexique de la rencontre des corps, variation autour des proximités et mises à distance indispensables à toutes relations justes.
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apparatus essentially aims to force the gaze to be swallowed up by the pure image matter. Far from being a realist work, it is rather an apparatus that lays bare the reality of painting, in its concreteness, materiality and organic unity. It is as though it was enabling the viewer to dive into and immerse himself in the imaginary thickness of the matter-painting itself. This wave, initially experienced as a wall, suddenly becomes a door open onto an organic universe, in which the painted matter unfurls like a continuum with multiple variations, in the manner of clouds. The wrestlers of painting
“Szépművészeti Múzeum, The Wrestlers by Courbet. Whereas one of them seems to belong to the painting category, the other belongs to the ‘living being’ category. The former is throwing the latter out of the painting.” City Hotel Pilvax, Budapest, Dec. 2011, Les Carnets de Stéphanie, excerpt. There is little between the wave-wall, which opens like a window onto the imaginary layers of the reality of painting to the entrance of the underground passage that calls out to the intrepid visitor of Guillaume Bresson’s “zone”. Here and there, the same invitation to enter a territory freed of the constraints of coherence that prevail on the surface dominates. In the heart of the wave and in the basement, a new violence likens the early paintings to a border crossing. In this spirit, Bresson familiarises us with a dual universe, divided between a depopulated but organic surface and a labyrinthine underworld in which the architecture is haunted by a threat of conflict. A theatre of exteriors and structures makes up a world in which, although it is on the agenda, war is less a generator of destruction than a ritualised choreography of violence. The battle delineates the space like a dance, produces volume and line, and calls for the learning of codes and techniques. These secret fights are not so much death threats as the invention of a lexicon of the encounter of bodies, variations on the closeness and distancing essential to all sound relationships. All these basement combatants may also be so many of the painter’s envoys, who replay for the viewer the implication of the body of the artist in the body of the work. Courbet’s Wrestlers is an influence on this illustration of the struggle staging the melding
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Il se pourrait ainsi que tous ces combattants du sous-sol soient autant d’envoyés du peintre, qui rejouent pour le spectateur l’implication radicale du corps de l’artiste dans le corps de l’œuvre. Dans cette figure de la lutte qui met en scène la confusion du corps du peintre dans la matière à peindre, Les Lutteurs de Courbet font réminiscence. Tout ici vient dire la lutte douloureuse qui se mène entre un inventeur de mondes et la revendication de l’image à bouter au-dehors l’artiste qui l’a conçue. Particulièrement émouvant devient tout à coup l’acharnement du peintre, qui se cramponne d’une main pour demeurer le plus longtemps possible au cœur de l’univers qu’il a tapissé de ses propres rêves ou cauchemars. Comment être peintre sans être « physiologiquement » absorbé par l’intériorité de son œuvre ? Dans ce sous-sol de peinture où circulent les énergies, entre le dedans et le dehors d’un tableau-peau, Guillaume Bresson joue sa partie à la frontière du plan. Comme autant d’ambassadeurs, ses lutteurs de l’ombre travaillent pour lui à l’infini le chantier clandestin du visible. Légendes des images Dessins préparatoires, p. 2-27-30 Études photographiques, p. 25-26-28-29 Images documentaires (Google), p. 18-20-23-31 Infographies, p. 21-22-24-26
Né à Toulouse en 1982, Guillaume Bresson vit et travaille entre Toulouse et P aris. Diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, il reçoit les Félicitations du Jury lors de sa sortie d’école en 2007. Son travail questionne les notions de mise en scène et de récit en peinture. Révélée au grand public lors de l’exposition « Dynasty » au Palais de Tokyo et au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2010 – année où il reçoit également le Prix Sciences-Po pour l’Art Contemporain – l’œuvre de Guillaume Bresson a depuis été montrée à de nombreuses reprises dans des institutions internationales à l’instar de la Kunsthalle de Karlsruhe pour l’exposition « Lumière Noire » et du Mudam Luxembourg qui a acquis en 2011 une œuvre majeure de l’artiste.
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of the painter’s body and the paint medium. Here, everything expresses the painful struggle between an inventor of worlds and the image’s attempt to drive out the artist who conceived it. The determination of the painter, who hangs on with one hand to remain inside for the longest time possible the universe that he furnished with his own dreams and nightmares, suddenly becomes particularly moving. How can one be a painter without being “physiologically” absorbed by the interiority of one’s work? In this basement of painting in which energies circulate, between the interior and the exterior of a painting-cum-skin, Bresson plays his part on the edge of the plane. Like so many ambassadors, his shadow fighters tirelessly work for him in the secret building site of the visible.
Image captions Preparatory drawings, p. 2-27-30 Photographic studies, p. 25-26-28-29 Documentary images (Google), p. 18-20-23-31 Infographics, p. 21-22-24-26
Born in Toulouse in 1982, Guillaume Bresson lives and works in Toulouse and Paris. In 2007 he graduated from the École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris with distinction. His work questions the notions of staging and narrative in painting. He came to the attention of the public with Dynasty, an exhibition at the Palais de Tokyo and Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris held in 2010, when he also won the Prix Sciences-Po pour l’Art Contemporain. Bresson’s work has since been shown in a number of international institutions including the Kunsthalle in Karlsruhe for the exhibition Lumière Noire and Mudam Luxembourg, which acquired a major work by the artist in 2011.
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