Éditions Dilecta Frac Languedoc-Roussillon
Sommaire 6 ··· Préfaces 9 ··· EMMANUEL LATREILLE, « Où est le cul ? Questions de méthode » 28 ··· Jacques Charlier, 100 Sexes d’artistes Notice d’EMMANUEL LATREILLE A Histoire de ma vie, volume V, chapitre 3
114 ··· Maurin et La Spesa, Dead Man Walking Texte de MAURIN ET LA SPESA A Histoire de ma vie, III, 1 121 ··· LYDIA FLEM, « Le malentendu Casanova »
137 ··· Karim Zeriahen, Programme libre Texte de KARIM ZERIAHEN 138 ··· Ecce Homo Ludens CYRIL JARTON, « Ecce Homo Ludens Regard casanovesque sur l’influence du jeu dans l’art moderne et contemporain » A Histoire de ma vie, VIII, 4
38 ··· Nina Childress et Didier Trenet, Laisse les gondoles VINCENT LABAUME, « Laisse les gondoles » A Histoire de ma vie, VII, 3
150 ··· Tom Friedman, Up In the Air Entretien de l’artiste avec CHRISTOPHE GOLÉ
56 ··· Jean-Jacques Rousseau, Casanova forever JEAN-JACQUES ROUSSEAU, « Casanova forever, un scénario du cinéaste de l’absurde » 63 ··· HELMUT WATZLAWICK, « Les Mémoires de Casanova - fiction et vérité » 78 ··· Delphine Gigoux-Martin, Wilderness Notice d’EMMANUEL LATREILLE A Histoire de ma vie, IV, 13 84 ··· Grout/Mazéas, What Do You Know About Operation Nightfall ? CORINNE RONDEAU, « Casanova Vertigo » A Histoire de ma vie, IV, 16
162 ··· Laurette Atrux-Tallau SANDRA CALTAGIRONE, « Au cœur de l’espace-temps » 168 ··· JEAN-CLAUDE HAUC, « Mon frère François, célèbre peintre de bataille… » 180 ··· Victor Burgin, Fogliazzi 186 ··· Jardin-Théâtre Bestiarium Notice d’EMMANUEL LATREILLE 188 ··· RÜDIGER SCHÖTTLE, « Amalienbourg » 196 ··· Vladimir Skoda, Miroirs du temps PIERRE MANUEL, « Les miroirs vibrants de Vladimir Skoda » 200 ··· Emmanuelle Etienne, Véra d’or MANUEL FADAT, « Matières fécondes et manières d’être là »
92 ··· Didier Morin, Nicolas Daubanes, Anna Malagrida, L’évasion
206 ··· Geneviève Favre Petroff GENEVIÈVE LOUP, « Déclinaison d’une voix d’acousmêtre »
94 ··· Jacques Monory, Évasion JEAN-CHRISTOPHE BAILLY, « Monory à Salses » A Histoire de ma vie, V, 1
210 ··· Claude Lévêque, The Diamond Sea Entretien de l’artiste avec TIMOTHÉE CHAILLOU, « Le cavalier de l’Apocalypse »
100 ··· Natacha Lesueur Notice d’EMMANUEL LATREILLE A Histoire de ma vie, VI, 9
218 ··· DN (Lætitia Delafontaine et Grégory Niel), Le 7e Continent PATRICE MANIGLIER, « Le 7e Continent / Phase IV »
106 ··· Simone Decker, Shifting Shapes CHRISTIAN PANTZER, « Flying Minimalism » A Histoire de ma vie, I, 10
238 ··· Les invitées de Jean-Luc Brisson : Anne-Sophie Perrot-Nani, Caroline Lucotte, Claire Guezengar, Hélène Despagne, Marie Denis
136 ··· David Wolle, L’Instar
36 ··· Jemima Burrill, Patrick Jolley et Reynold Reynolds, Cécile Hesse et Gaël Romier, L’Amour à la machine « ... l’esca amorosa... » Poème de PÉTRARQUE
47 ··· JEAN-CLAUDE HAUC, « Voyage de Casanova à travers le Roussillon et le Languedoc »
228 ··· Jean-Luc Brisson, Le Miroir -Vapeur JEAN-LUC BRISSON, « Le Miroir-Vapeur »
224 ··· Piet Moget et Vincent Olinet Notice d’EMMANUEL LATREILLE
245 ··· ALEXANDRE STROEV, « Des frères et des filles : la reconstitution du réseau des connaissances maçonniques russes de Casanova » 261 ··· Eugène van Lamsweerde, Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin D’après un entretien avec CORNELIUS TITTEL, « L’art, une histoire de famille » 266 ··· Aude Du Pasquier Grall, Les Cycles Masculins Texte d’AUDE DU PASQUIER GRALL 274 ··· Cécile Hesse et Gaël Romier, Le Goût de la Souillon MICHEL POIVERT, « Le Goût de la Souillon » A Histoire de ma vie, X, 7 280 ··· Stephen Marsden Notice d’EMMANUEL LATREILLE A Histoire de ma vie, volume VII, chapitre 1 284 ··· Frédérique Loutz SOPHIE PHÉLINE, « Prélude à l’ouverture du Bal à Jau » 288 ··· Laurina Paperina Notice d’EMMANUEL LATREILLE A Histoire de ma vie, VII, 3 294 ··· Alicia Paz MARIA FUSCO, «La Copule mécanique» A Histoire de ma vie, III, 3 300 ··· Paul-Armand Gette, Didier Trenet et Marie-Ange Guilleminot DIDIER TRENET, « Au sujet du désastre » MARIE-ANGE GUILLEMINOT, « Maison de poupées » PAUL -ARMAND GETTE, « Casanova ? » A Histoire de ma vie, IV, 6 308 ··· Guillaume Poulain « Le Jeu de la séduction »
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Où est le cul ? Questions de méthode par Emmanuel Latreille « M. de Buffon et M. le président de Brosses ne sont plus jeunes ; mais ils l’ont été. Quand ils étaient jeunes, ils se mettaient à table de bonne heure, et ils y restaient longtemps. Ils aimaient le bon vin, et ils en buvaient beaucoup. Ils aimaient les femmes ; et quand ils étaient ivres, ils allaient voir des filles. Un soir donc qu’ils étaient chez des filles, et dans le déshabillé d’un lieu de plaisir, le petit président, qui n’était guère plus grand qu’un Lilliputien, dévoila à leurs yeux un mérite si étonnant, si prodigieux, si inattendu, que toutes en jetèrent un cri d’admiration. Mais quand on a beaucoup admiré, on réfléchit. Une d’entre elles, après avoir fait en silence plusieurs fois le tour du merveilleux petit président, lui dit : “Monsieur, voilà qui est beau, il en faut convenir ; mais où est le cul qui poussera cela ?” Mon ami, si l’on vous présente un canevas de comédie ou de tragédie, faites quelques tours autour de l’homme ; et dites-lui, comme la fille de joie au président de Brosses : cela est beau, sans contredit ; mais où est le cul ? Si c’est un projet de finances, demandez toujours où est le cul ? À une ébauche de roman, de harangue, où est le cul ? À une esquisse de tableau, où est le cul ? […] » Denis Diderot, Salon de 1767.
Et à un projet d’exposition d’art contemporain au début du XXIe siècle : où est le cul ? « – Casanova ! », réponds-je, et même Casanova forever, pour faire pièce au soupçon d’anachronisme qu’une telle proposition, aventureuse en diable, devrait susciter. Mais il en est un autre, plus délicat encore : le nom du grand Vénitien évoque en réalité, non le cul, mais le « mérite si étonnant, si prodigieux, si inattendu » que la jeune demoiselle reconnaît au Président de Brosses ! Casanova, c’est d’abord un sexe (les casanovistes évoquent à son propos un 22 long rifle, sinon un six-coups, pour reprendre le surnom que Giacomo donne dans le volume V de ses Mémoires à son jeune compatriote Tireta, court, très large, et naturellement propice à la répétition des faveurs…), et même, un sexe d’artiste. Qu’est-ce à dire ? Ceci : qu’il est l’individu qui, au sortir du XVIIIe siècle, a su identifier sa vie avec celle de son sexe, et porter l’une et l’autre à l’incroyable statut d’un
William Copley, Sans titre, 1973
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1· Philippe Lacoue-Labarthe, « Le désastre du sujet », texte publié dans le catalogue Vies d’artistes, Paris, Éditions de La Différence, 1990, repris dans Écrits sur l’art, Genève, Éditions du Musée d’art moderne et contemporain, 2008. 2· Lacoue-Labarthe, op. cit., p. 181. 3· Ibid., p.182
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mythe fondé à hauteur de sujet. Et qu’il peut être considéré de fait comme l’un des premiers modernes, si la modernité consiste bien dans la responsabilité singulière que doivent assumer, par l’invention entière de leur vie, des êtres débarrassés des cadres religieux, mythologiques, philosophiques qui conditionnaient la quête du sens (sinon de l’Absolu) dans les sociétés traditionnelles. Ainsi, Philippe Lacoue-Labarthe rappelait à juste titre que c’est entre la Renaissance et la Révolution française que se dénoua peu à peu mais sûrement le lien ancien qui unissait l’art avec le religieux, aboutissant à cette rupture finale qui plongea l’art dans ce « désastre du sujet » que nous connaissons depuis. Désastre du sujet à entendre d’abord comme relatif à la disparition du contenu de l’art : « Quoi peindre, donc ? Quand il ne reste plus un dieu à (re)présenter, même plus la Vierge, la dernière en date des divinités de l’Occident, dont Hegel pensait qu’elle avait procuré à la peinture son sujet même, c’està-dire l’amour (maternel). C’est cela le désastre, cette fin du sujet. Et il est contemporain de l’arrivée de l’art1. » L’art délié du religieux n’aura alors plus d’autre projet que lui-même, ou encore, il sera désormais un art « sans objet, comme on le dit d’une requête vaine et erronée 2 », c’est-à-dire sans contenu extérieur à lui : il sera – et est toujours –, une activité dont les deux siècles suivants célèbreront, en un constant mouvement de balancier, tantôt la libre autonomie, tantôt la désespérante vacuité, c’est-àdire, pour certains, « la mort » (Hegel). Mais ce « désastre du sujet » signifie également, selon LacoueLabarthe, un « changement d’astre », une véritable révolution du destin de l’art qui se trouve dans la nécessité d’être assumé par des sujets entièrement consacrés à sa réinvention, sans possibilité de recours à quelque instance normative, à quelque règle reçue en héritage ou partageable avec quiconque, collègues, disciples, fidèles amateurs. « En ce sens, l’art (moderne) – le désastre du sujet – est le triomphe absolu du sujet : de l’artiste. Comme quoi le désastre, en effet, n’est pas seulement l’infortune. C’est l’artiste désormais, qui décide de ce qu’est l’art ou, plus exactement, du fait qu’il y a ou non de l’art. Ce que des âges antérieurs avaient sévèrement codifié comme un hommage rendu au génie – la souveraineté de l’artiste, voici que c’est la règle et qu’il n’est pas d’œuvre qui ait quelque chance de s’imposer sans que s’impose tout d’abord son auteur, c’està-dire que celui-ci manifeste – si j’ose dire : à même lui-même, qu’il est effectivement un artiste. Et que cela suffit, ou doit suffire, pour qu’il y ait de l’art3. » Si les concepts d’art et de littérature sont ainsi nés conjointement au début du XIXe siècle, portés par le Romantisme, on comprend en
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quoi Casanova est une figure emblématique de cette modernité où nous sommes encore 4 : son Histoire de ma vie, énorme et biscornue, écrite dans le français bizarre d’un Vénitien volubile, suffit à révéler un homme qui a voulu vivre chaque instant au plus haut degré, au milieu de ses contemporains de toutes catégories sociales et culturelles, de tous âges et de tous niveaux d’intelligence, dans des échanges incroyablement généreux des corps et des esprits. À travers eux, Casanova y apparaît bel et bien comme un sujet authentiquement « à même lui-même », porté par une spontanéité, une «insouciance» (Zweig) et, pour tout dire, un souffle, qui le désigne sans conteste comme l’Artiste d’une époque nouvelle, d’un monde délesté des dieux. Son œuvre, parce qu’elle est la forme proéminente de cette vie exceptionnelle, est comme le double de cette puissance sexuelle dont il prétend qu’elle le faisait, jeune, éjaculer jusqu’à son sang : elle est son « sexe » pour la postérité, lui permettant de vivre une seconde fois et ad vitam aeternam la folie de ses amours, de ses bonheurs. Car c’est bien d’abord par son sexe que Casanova a établi sa souveraineté d’artiste : dans une telle vie orientée par le plaisir, il y avait de l’art. — Bien, cher ami, mais vous n’avez guère répondu à la question que vous vous êtes posée, avec l’aide d’un philosophe plus amusant que vous : où est le cul de cette exposition ? Car, à supposer que l’on accepte cet argument d’un Casanova comme admirable prototype des artistes modernes, comment en ferez-vous le fondement – unique – des démarches artistiques – multiples – censées lui rendre hommage ? Nous comprenons déjà pourquoi l’art contemporain a souvent cette allure de plate juxtaposition de « sexes » individuels, étalage des mérites singuliers de tant d’aventuriers hors la Loi (hors la leur !)5. Un pari – pas plus stupide qu’un autre – serait, aimant les rencontres et ce qu’elles produisent, d’essayer d’en fourrer quelques-uns dans une matrice commune où ils pourraient se frotter les uns les autres, en une joyeuse partie… S’il revient à Casanova d’être le prétexte de cette petite fête (plutôt « coup de théâtre6 » qu’expérience de laboratoire…), voyons quel moteur propulsait son sexe à lui, et tâchons de répondre à la fille de joie de Diderot en pompant l’énergie de ce complet jouisseur : « Où est le cul ? » se déclinera pour nous selon trois dimensions, dont on tâchera d’expliciter les conséquences dans le champ de la création artistique actuelle. Il s’agit en premier lieu d’une affaire de mémoire (« Où est passé le cul, qui s’en souvient ? ») ; c’est en second lieu une question de substance (« De quoi
4· Rappelons que, né en 1725, Casanova est mort en 1798 et que la Philosophie de l’art de Schelling, qui annonce l’arrivée de l’art au sens romantique puis moderne, est publiée en 1802. 5· La solitude de l’engagement artistique moderne est en lien avec la fragilité de l’œuvre. S’il faut que l’artiste invente l’art tout entier à partir de lui-même, s’il lui faut engager, sans autre secours qu’un courage hors du commun, toute sa vie sans assurance – comme on mise à quitte ou double sur la table de jeu – il est logique qu’une sorte de « comité de soutien » l’entoure, et légitime son projet unique, sorte d’hapax surgissant de nulle part, comme un OVNI. Que deviendrait un « sexe », si incroyable soit-il, si l’on cessait de s’en (pré)occuper ? Probablement disparaîtrait-il, comme cela aurait pu arriver aux manuscrits de Casanova. Il faut donc, comme les jeunes femmes de l’histoire de Diderot, «beaucoup admirer», et plus les admirateurs sont nombreux et bien informés, mieux cela est. Relativement à Casanova, ces admirateurs-supporteurs s’appellent les casanovistes. Il me semble que leur rôle est assez similaire à celui que doit remplir toute critique moderne : le sujet-œuvre, dans son double désastre, fait l’objet d’un examen détaillé, critique, examen qui doit surmonter d’ailleurs le scepticisme, la jalousie, l’envie bien légitime qu’il suscite. Or l’œuvre n’a pas d’autre justification « réelle » que l’individu « à même lui-même » qui en a décrété la nécessité. Lacoue-Labarthe : « Seulement, la règle est sans règle. Le triomphe du sujet est à son tour un désastre (le changement d’astre est trop important, il entraîne une précipitation dans le cours des événements, l’époque qui s’ouvre ainsi est en proie à l’affolement). Ce n’est pas que les instances sociales ou institutionnelles de la reconnaissance fassent défaut, même si leur plus faible légitimité (les bourgeois de Baudelaire, les « philistins », l’État aujourd’hui), comparée à celle qu’octroyaient les sociétés hiérarchisées, ruine en partie leur pouvoir de légitimation. C’est qu’il est difficile, voire à la limite impossible, dans la perte ou le dédain de l’ars, de s’autoproclamer génie. Le désastre du sujet, c’est le désastre de l’autorité. Qui autorise qui ? » Op. cit., p. 182. 6· « Les coups de théâtre sont ma passion. », Histoire de ma vie, volume VIII, chapitre 8, Robert Laffont, Paris, 1993.
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33· Histoire de ma vie, VII, 11.
mais « autour » de lui, des « dits » moins soucieux de le valider que de le creuser. Et ne craignons même pas, ce faisant, de l’envisager dans une fonction illustrative. Dans « illustrer » – ce crime affreux pour notre modernité, dans lequel tomberait tout essai de relation de l’art avec autre chose que lui – il y a bien sûr « lustrer », faire briller avec force brosses ! L’art qui illustre illumine le monde qui se raconte autour de lui, rend l’immense labyrinthe des signes moins obscur, moins sombre aussi : l’illustration de l’art apporte à chacun une lumière dont les mots ne disposent pas seuls. Mettre au cul d’œuvres visuelles du langage plein d’images, d’anecdotes, de blagues à deux sous et de savoirs exigeants, c’est leur permettre d’atteindre une qualité d’évidence dans le regard de ceux qui les abordent et cherchent à se les approprier. C’est faire passer les enjeux de la vie dans l’espace de la « lisibilité visuelle », où chacun peut les rencontrer, les accepter ou s’en détourner librement. « — Le cul est aussi dans le langage ? » Qui en doutait encore ? Casanova : « Un ample commentaire me devient nécessaire pour mettre au comble toute ma volupté. Parlons33. » Parlons donc de ce qui anime nos vies, ou laissons ceux qui aiment parler le dire pour nous, ainsi Casanova, et donnons aux artistes la possibilité de le rendre visible. Au fait, voici comment finit la petite histoire de Diderot: «L’esquisse ne nous attache peut-être si fort que parce qu’étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination, qui y voit tout ce qu’il lui plaît. C’est l’histoire des enfants qui regardent les nuées, et nous le sommes tous plus ou moins. C’est le cas de la musique vocale et de la musique instrumentale. Nous entendons ce que dit celle-là ; nous faisons dire à celle-ci ce que nous voulons…» Giacomo, où est le cul ? Dans les nuages !
Fred Eerdekens Forever, 2005
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JACQUES CHARLIER GALERIE 4, BARBIER, NÎMES
100 Sexes d’artistes Depuis 1973, Jacques Charlier dessine des « sexes » d’artistes, figures de l’art du XXe siècle plus ou moins connues. Imaginés à partir d’une œuvre emblématique de ces artistes ou d’une exposition vue et appréciée par lui, ces dessins constituent autant un panthéon personnel qu’un commentaire ironique de toutes les valorisations fétichistes des formes contemporaines. Mais également, à travers cette « réduction » à l’intimité de leur auteur, les productions artistiques – considérées généralement comme des émanations intellectuelles – sont renvoyées à une source strictement personnelle, voire corporelle, et semblent les reflets quelque peu dérisoires d’existences n’ayant pas d’autre finalité qu’elles-mêmes. Pourtant, le même cadre doré dans lequel l’artiste les présente, ainsi que le rideau rouge qui leur sert parfois de fond, rappellent que l’art ne fait sens qu’envisagé selon un horizon transcendant l’histoire privée des êtres. Cette ambition n’est-elle plus, à l’époque des jeux éducatifs et de la consommation de masse, qu’une dérision ? Et l’art d’aujourd’hui doit-il subir la loi d’une égalisation de principe de ses objets, tout comme se trouvent égalisés les sujets des démocraties modernes, chacun dans sa petite case? Quoi qu’il en soit, le «Quizz» que propose Jacques Charlier avec ses « 100 Sexes d’artistes*» est plein d’humour, et traduit son véritable amour pour la diversité créatrice actuelle : car ce qui meut Charlier lui-même est bien l’énergie que le monde met à inventer et à faire circuler des formes inédites à partir de la vitalité sans complexe d’êtres passionnés ! Accompagné de Ute Willaert, Jacques Charlier a fondé en 2009 CLArtVision, la télévision la plus légère consacrée à l’art, qui parcourt les grandes manifestations contemporaines pour en dénicher les merveilles et… écraser le reste ! Casanova forever subira la loi de ce média, qui ne transige jamais avec la qualité… Emmanuel Latreille *Testez vos connaissances en art contemporain en vous connectant sur le site de l’artiste : www.jacquescharlier-venise2009.be Jacques Charlier Série « 100 Sexes d’artistes », 1973-2009 Sexe d’artiste n°42 (STP)
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Jacques Charlier 100 Sexes d’artistes Trois pages suivantes, de gauche à droite et de haut en bas :
· Sexe d’artiste n°2 (Supported by Stieglitz) · Sexe d’artiste n°6 (Lived with a coyote) · Sexe d’artiste n°16 (Loves soft stuffs) · Sexe d’artiste n°17 (She is accused of appropriating others’ work) · Sexe d’artiste n°28 (Wraps in very special things) · Sexe d’artiste n°33 (Map of Italy) · Sexe d’artiste n°54 (Fournier Street) · Sexe d’artiste n°59 (A pipe smoker) · Sexe d’artiste n°69 (Medium) · Sexe d’artiste n°74 (Sex and religion) · Sexe d’artiste n°76 (Breaks plates) · Sexe d’artiste n°80 (Little Red Riding Hood) · Sexe d’artiste n°82 (Changes clothes very often) · Sexe d’artiste n°86 (Funny but scary) · Sexe d’artiste n°92 (Sopping Bags) · Sexe d’artiste n°95 (Ex-bad boy) · Sexe d’artiste n°97 (Cremaster) · Sexe d’artiste n°99 (Talk a lot)
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Histoire de ma vie, volume V, chapitre 3 Je vais donc m’asseoir avec elle devant le feu d’abord que j’ai vu le jeu en train. Ce fut elle qui rompit le silence me demandant qui était ce beau monsieur qui ne savait pas parler. — C’est un seigneur de mon pays qui à cause d’une affaire d’honneur en est sorti. Il parlera français quand il l’aura appris, et pour lors on ne se moquera plus de lui. Je suis fâché de l’avoir conduit ici, car en moins de vingt-quatre heures on me l’a gâté. — De quelle façon ? — Je n’ose pas vous le dire, car votre tante le trouverait peut-être mauvais. — Je ne pense pas à faire des rapports; mais il se peut que ma curiosité mérite une correction. — Mademoiselle, je reconnais mon tort ; mais je vais faire amende honorable vous disant tout. Mme Lambertini l’a fait coucher avec elle, et elle lui a donné le nom ridicule de Six coups. Voilà tout. J’en suis fâché parce qu’il n’était pas libertin avant ce fait. Aurais-je pu croire de parler à une fille de condition, à une fille honnête, et toute neuve dans la maison de la Lambertini ? Je fus surpris de voir sa figure enflammée par la pudeur. Je n’ai pas voulu le croire. Deux minutes après elle m’étonne avec une question à laquelle je ne me serais jamais attendu. — Qu’y a-t-il de commun, me dit-elle, entre Six coups, et avoir couché avec madame ? — Il lui a fait six fois de suite ce qu’un honnête mari ne fait à sa femme qu’une fois par semaine. — Et vous me croyez assez bête pour aller rapporter à ma tante ce que vous venez de me dire ? — Mais je suis encore fâché d’une autre chose. — Je m’en vais revenir dans l’instant. Après être allée faire le petit tour que la jolie histoire lui avait fait apparemment devenir nécessaire, elle rentra, et elle se mit derrière la chaise de sa tante examinant la figure du héros ; puis elle vint se remettre à sa place toute flamboyante. — Quelle est donc l’autre chose dont vous me disiez d’être fâché ? — Oserais-je vous dire tout ? — Vous m’avez tant dit qu’il me semble que vous ne pouvez plus avoir des scrupules. — Sachez donc qu’aujourd’hui, à la fin du dîner, elle l’a obligé à lui faire cela à ma présence. — Et si cela vous a déplu, il est évident que vous en avez été jaloux. 34
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— Ce n’est pas ça. Je me suis trouvé humilié à cause d’une circonstance dont je n’ose pas vous parler. — Je crois que vous vous moquez de moi avec votre je n’ose. — Dieu m’en garde, mademoiselle. Elle me fit voir que mon ami m’était supérieur de deux pouces. — Je crois au contraire que c’est vous qui avez une taille supérieure de deux pouces à la sienne. — Il ne s’agit pas de la taille ; mais d’une autre grandeur, que vous pouvez vous figurer, dans laquelle mon ami est monstrueux. — Monstrueux ! Et qu’est-ce que cela vous fait ? Ne vaut-il pas mieux de n’être pas monstrueux ? — C’est vrai, et juste ; mais sur cet article certaines femmes, qui ne vous ressemblent pas, aiment la monstruosité. — Je n’ai pas une idée assez nette de la chose pour me figurer quelle est la grandeur qui peut être appelée monstrueuse. Je trouve aussi singulier que cela ait pu vous humilier. — L’auriez-vous cru en me voyant ? — En vous voyant quand je suis entrée ici, je n’ai pas pensé à cela. Vous avez l’air d’un homme bien proportionné ; mais si vous savez de ne l’être pas, je vous plains. — Voyez, je vous prie. — Je crois que c’est vous le monstre, car vous me faites peur. A
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JEMIMA BURRILL, PATRICK JOLLEY ET REYNOLD REYNOLDS, CÉCILE HESSE ET GAËL ROMIER PPCM/GALERIE ESCA, NÎMES
L’Amour à la machine « ... l’esca amorosa... » Erano i capei d’oro a l’aura sparsi che’n mille dolci nodi gli avolgea, e’l vago lume oltra misura ardea di quei begli occhi ch’or ne son sì scarsi ; e’l viso di pietosi color farsi, non so se vero o falso, mi parea : i’ che l’esca amorosa al petto avea, qual meraviglia se di subito arsi ? Non era l’andar suo cosa mortale ma d’angelica forma, e le parole sonavan altro che pur voce umana ; uno spirto celeste, un vivo sole fu quel ch’i vidi, e se non fosse or tale, piaga per allentar d’arco non sana. Francesco Petrarca
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Jemima Burrill Mouthwash, 2002 Patrick Jolley et Reynold Reynolds The Drowning Room, 2000
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Cécile Hesse et Gaël Romier Épluchures de chaussures, Pour le meilleur et pour le pire, 2008
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Nina Childress Armure Venise, 2009
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