Filles Missiles, literary magazine, 2016

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Table des matières

Daphné B., illustration de Marie Darsigny Comité éditorial

Marie Darsigny

Daphné B. Marie Darsigny Sara Hébert

Mercedes Morin Sara Sutterlin Automne, illustration de Ariane Migneault-Lecavalier

Illustration de couverture

Sophie Latouche Graphisme et mise en page

Audrey Malo Imprimé à Montréal, Hiver 2016 fillesmissiles.com contact : fillesmissiles@gmail.com Merci à

Kate Lewis Cybèle B.-Pilon Sara Hébert Maude Veilleux Gabrielle Chapdelaine Isabelle Guimond Sarah Osborne Lily Pinsonneault, illustration de Maude Arès

AECSEL

Marie-Audrey Jacques

AEMEL

Stéfanie Requin Tremblay


Pour des femmes, par des femmes: Filles Missiles est une plateforme de publication qui propose une vision contemporaine de la littérature au Québec. Filles Missiles souhaite contribuer à l'élaboration d'un espace de diffusion, de promotion et d'échange sur la production artistique des femmes à travers l'organisation de lectures publiques, de performances et la publication d'un magazine.

My Peroxyde Days Daphné B. Illustration: Marie Darsigny

Une fois le crime du bleachage commis, je traîne ma tragédie grecque jusqu’au JeanCoutu le plus proche. Je ne veux pas m’aventurer plus loin, sous peine d’avoir à affronter les professionnels du cheveu. Dans leurs bouches, se bleacher soi-même est une faute évidente, quelque chose comme rappeler son ex. On sait comment ça va finir et tout le monde devine qu’il ne faut pas faire ça. Ce sont les mêmes qui me disent qu’il faudrait que je prenne soin de mes cheveux. Cette responsabilité se paie en crèmes et en pommades, en traitements et en huiles de toutes sortes. Un discours du genre a l’avantage de transformer la beauté physique en commodité. Accessible, elle se « prend en main » et s’acquiert. Parallèle à cette rhétorique pharmaceutique se déploie aussi un véritable slut shaming cosmétique, qui culpabilise la laideur. S’il nous incombe d’être beau, la laideur est honteuse, voire criminelle. Chacun devenant son propre censeur, un physique disgracieux est fautif, puisqu’il est le signe d’une négligence. Tu ne prends pas soin de toi. Voilà ce que mon amie me souffle en scrutant ma crinière abîmée. Les gens ne se gênent même plus pour toucher ma chevelure. Ils s’amusent de sa texture de paille comme s’il s’agissait d’un châtiment bien mérité. Depuis qu’on me juge coupable, on se donne la permission de m’humilier. Je suis coupable de négligence capillaire et je le suis aussi d’avoir voulu plus que ce qui ne m’était destiné. J’ai fait preuve d’orgueil. Comme une héroïne tragique, j’ai voulu transcender ma nature humaine et devenir non pas un dieu, mais une icône (penser : Marilyn Monroe). Coupable. Mon père m’aperçoit et sans même réfléchir, balbutie : « je te renie ». Ma mère me présente à des invités: « Daphné n’est pas comme ça d’habitude ». Elle insiste sur le fait que le blond n’est pas ma couleur naturelle. Ce n’est pas tout à fait ma fille, ma véritable fille. Pourtant, cela fait plus de dix ans que mes cheveux se parent de tous les coloris offerts en pharmacie. Du roux carotte au noir corbeau de mes 14 ans, la couleur n’est jamais naturelle. Or, personne n’avait jusqu’à ce jour pris le parti de souligner mon artificialité. On me punit pour avoir voulu me rapprocher un peu plus de l’idéal sexuel véhiculé par la blondeur. Je suis coupable, parce que sexuée. Hitchcock a d’ailleurs refusé un rôle à Marilyn, en lui disant qu’il n’aimait pas les blondes qui portaient un sexe dans le visage, c.-à-d. les contre nature, les blondes peroxydées. Ces femmes qui ne sont pas nées blondes et qui osent recourir à l’artifice, il faut les châtier.


Au Moyen Âge, on punissait publiquement les délinquantes sexuelles en leur imposant une coupe de cheveux publique. En effet, la construction de la féminité est intimement liée à la chevelure. L’égo tombe par terre, en même temps que les mèches. C’est aussi l’histoire d’Izzy Laxama, 13 ans, humiliée sur les réseaux sociaux. Après l’avoir surprise en train d’envoyer des photos compromettantes à des garçons, son père a fait circuler une vidéo dans laquelle il la punissait en lui coupant les cheveux. L’humiliation devenue publique, Izzy s’est suicidée quelques jours plus tard. On se permet aussi d’humilier publiquement les blondes peroxydées. En vraies délinquantes, elles osent se sexualiser, faire tourner tous les regards. Le corps social les châtie en leur octroyant un statut inférieur, celui d’individus dépourvus de raison, parce que dominés par les passions et les pulsions (penser : jokes de blondes). Se bleacher les cheveux, c’est un crime sexuel. Peroxydées, les femmes affichent ouvertement leur recours à l’artifice. Loin d’être vierges comme Marie, (entendre : intouchées, pures, inaltérées), elles façonnent plutôt leur image à leur gré et modifient ce qui était auparavant naturel avec un composé chimique. Cette torsion identitaire est jugée comme inauthentique. Je lis le tweet d’un fameux historien de l’art au sujet d’une gigantesque coquerelle qui, dans un bar à cocktail de l’Upper East Side, « scares the crap out of three blondes ». Si on ne se moque généralement pas de notre égal, on le fait plus souvent de ce que l’on estime inférieur à soi. Ces fausses blondes, considérées factices, sont aussi moins humaines. Ainsi, dans la tête de l’intellectuel new-yorkais, il devient normal de composer un tweet dégradant à leur égard.
 Tant pis d’ailleurs si le blond vire au jaune, si les coquerelles new-yorkaises parcourent des kilomètres simplement pour venir les effrayer. Tant pis pour le talon qui cède, le maquillage qui coule ou la jupe qui remonte. Quand on joue à la poupée, il ne faut pas avoir peur du ridicule. Le bleach nous sexualise et vient aussi modifier notre construction identitaire. Chez les femmes, la chevelure agit comme un véritable prolongement de soi. Endosser un blond si lourd de significations n’a d’autres choix que de venir altérer la perception que l’on a de soi et que les autres ont de nous. Même pour la comète, du grec ancien o komêtês pour astre chevelu, la chevelure est ontologiquement capitale. En effet, sans cheveux (une atmosphère fine et brillante qui entoure son noyau), elle n’est qu’une simple étoile. Le bleach permet une fluidité identitaire. Ce glissement, qualifié par plusieurs de mascarade, vient en effet fragiliser les images que l’on se fait de soi et des autres. Mobiles, elles changent au gré du peroxyde. Le comportement des gens qui nous entourent s’en trouve modifié. Ainsi, mon père et ma mère ont tous deux porté un regard culpabilisateur sur ma nouvelle identité. Il faut se rappeler que la construction du lien social dépend de la stabilité de certaines figures. En les déstabilisant, le bleach devient un acte subversif. L’humiliation publique que subissent les fausses blondes sert, en partie, à rétablir l’ordre social. On les punit pour cette liberté qu’elles se sont octroyée de conférer à leur image une grande mobilité et parce qu’elles font preuve d’un grand pouvoir d’auto-détermination. Armées d’un kit d’alchimie disponible en pharmacie, celles-ci sont terriblement artisanes de leur propre image, voire même ravageuses, anarchistes et subversives.

Summertime Tristesse Marie Darsigny


Baveuse Mercedes Morin

Originaire de Montréal, Mercedes est née d’une mère costumière et d’un père d’origine dominicaine. Étudiant aujourd’hui au Centre des textiles contemporains de Montréal, elle prépare le lancement d’une gamme de prêt-à-porter féminin qui s’adresse à la femme fière de son identité et de ses origines. Mercedes prouve aux plus sceptiques que les métiers d’art sont aujourd’hui plus pertinents que jamais. Si au Québec, les métiers du textile ont longtemps été associés aux femmes, elle leur rend hommage en réactualisant des techniques dites traditionnelles à travers un discours contemporain. Ainsi, Mercedes crée des pièces qui font directement référence au travail des femmes québécoises du 20e siècle, mais en reprenant par exemple les vers de la poète et amie Sara Sutterlin, dans des oeuvres tissées ou tricotées.

On se mérite / Toi et moi Sara Sutterlin


besoin de tendresse qui peut en découler. Mais c’est dur. Lorsque confrontée à ce sujet, ma mère a dramatiquement déclaré que c’était de l’amour. Je sais un peu c’est quoi, l’amour. Je devrais arriver à trouver quelque part un fond d’empathie. Mais c’est dur. Et Maxime? Finalement, sa présence dans ma vie ne se résume qu’à une amitié Facebook. J’aurais pu être surprise en apprenant que ma mère avait entretenu une relation avec un jeune homme, alors qu’elle était toujours en couple. Pourtant, cette révélation était d’une parfaite cohérence avec toute mon enfance. Je n’ai jamais eu de doute : cette femme pourrait m’abandonner le temps d’une nuit si c’était pour se sentir aimée par un homme. Si c’était pour se sentir désirée, pour jouir. À dix ans, alors que je voyais les mères de mes amies gérer nos sleepovers avec grâce, retenue et attention, je dormais parfois dans la voiture familiale pour éviter d’entendre la mienne crier de plaisir. Même sans avoir donné dans la sexualité, j’avais déjà l’impression que la sienne était fausse, constituée de grands sparages.

Illustration: Ariane Migneault-Lecavalier

Je cognais contre son mur, j’augmentais le son de la radio à le rendre assourdissant, j’écrivais des lettres sous le coup de la colère et les glissais sous sa porte de chambre. Mais il n’y avait rien à faire: elle se foutait de l’impact de ses nuits sur les miennes. Tout au long de mon adolescence, elle s’est justifiée à coups de : « Tu comprendras quand tu seras une adulte. » Or, j’attends toujours l’illumination.

J’ai toujours détesté la sexualité de ma mère

Pour l’instant, ce que je crois comprendre, c’est que ma mère veut du pouvoir, mais qu’elle ne sait pas comment l’obtenir autrement. Qu’elle veut du plaisir, mais n’arrive pas à le trouver ailleurs que dans les bras d’un amant.

J’ai toujours détesté la sexualité de ma mère Automne

J’ai récemment réalisé que je slut-shamais ma mère depuis près de deux décennies. Ça m’est rentré dedans, entre une gorgée de vin et une bouchée de poulet au beurre : je juge à peu près tous les choix érotiques qu’elle fait depuis que je sais faire la distinction entre une vulve et un vagin. Et je ne parle pas de lever les yeux au ciel et de pousser de grands soupirs. Je parle d’un jugement qui se rapproche dangereusement d’une forme de haine. Dans ma tête, entre toutes les femmes, ma mère serait la seule qui n’a pas droit à sa sexualité.

Elle fait de sa sexualité un spectacle. Elle séduit et sévit, même devant le dédain d’autrui. Elle hurle dramatiquement, rivalisant avec les pires pornos. C’est tellement gros.

Dans l’espoir de perdre ce réflexe, j’ai entrepris de réfléchir aux causes de mon malaise. Si peu de personnes se plaisent à imaginer leur génitrice en pleine relation sexuelle, pourquoi le fait de savoir la mienne dotée de désir me fait-il serrer les dents?

Ma mère offre du très mauvais théâtre sexuel. Sa parade érotique m’a souvent remplie de honte - et je n’en suis pas fière.

J’ai longtemps eu l’impression que son rôle d’amante l’empêchait d’être à la hauteur de son rôle de mère. J’avais quatre ans et mon père se mourrait d’un cancer. À trente-deux ans, ma mère se retrouvait par défaut seule responsable d’une famille nombreuse. Heureusement, elle se faisait rassurante. Elle me répétait souvent que Maxime, un ami de la famille, allait s’occuper de moi quand mon père quitterait pour le ciel. Maxime, je l’aimais. Il avait 18 ans et me trainait à la caserne de pompiers pour que je voie les gros camions. Il était cool. Fun fact: l’an dernier, j’ai appris que Maxime était à l’époque le très jeune et très éphémère amant de ma mère. Alors que mon père était alité à la maison, ma mère couchait avec un garçon qui avait tout juste l’âge légal. Autant ça me choque, autant je devrais faire l’effort de voir au-delà de la trahison pour arriver à imaginer la difficulté d’une telle situation familiale et le

Son corps penché Ses yeux quand ils se font cochons Sa tête renversée alors qu’elle s’esclaffe Sa main qui caresse son cou

En la regardant aller, j’ai développé une phobie du fake et des rires de gorges censés ensorceler. J’ai acquis un dédain de la séduction évidente, proactive. J’ai pogné les nerfs contre des amies - à tort - qui, à mes yeux, s’abaissaient pour courtiser la gent masculine. J’ai été froide avec des partenaires pour être certaine de ne pas sonner comme ma mère. J’ai souvent évité de prendre les devants pour m’assurer à tout prix de ne pas lui ressembler. Et pourtant. Une femme qui sait ce qu’elle veut, c’est bien. J’en suis convaincue. Alors, pour être en accord avec mes valeurs féministes, je ne devrais pas vouloir être née d’une personne lisse, d’une femme sans sexe. Plus je vieillis, plus je dissocie la sexualité de ma vie amoureuse. Je lis sur les sluts éthiques, sur la légitimité de vouloir tout le monde, tout le temps et je me demande si ma mère, au fond, n’a pas toujours eu le droit de préférer la séduction à ses enfants. Est-ce qu’on peut


consciemment faire le choix de donner plus d’importance à sa sexualité qu’à son rôle de mère? Pourquoi pas! Avoir une mère man-eater, ça fait peur. Je me suis souvent demandé si c’était héréditaire, si dans mon sang coulait aussi cette envie de séduire à outrance. Si un jour, ma fille était aussi injustement affectée par ma sexualité. Je devrais en parler, mais c’est le genre de sujet qu’on n’aborde pas autour d’un souper. Alors que je ne laisse à personne le droit de gérer qui s’immisce dans ma tête et dans mon corps, ma mère, qui a toujours plus agi comme une putain qu’une sainte, serait-elle finalement un modèle à suivre? Je dois lui donner une chose : elle a su se contre-crisser des jugements posés sur elle pour aller à la conquête de ce qu’elle voulait. Je ne sais plus très bien si elle pousse des cris pour plaire à l’autre ou par satisfaction du pari gagné. Je ne sais plus très bien si ma mère est en fait une femme libérée ou une dépendante affective. Elle est nouvelle, cette envie de comprendre. Et elle me fait chier. C’est plus simple de crier à la grossièreté que d’accepter que notre titre d’enfant ne fera jamais le poids contre un pénis convoité. C’est beaucoup plus simple d’embrasser le dégoût que de tenter de comprendre dans quel contexte ma mère a été élevée, dans quel milieu froid et dénué d’affection elle a tenté de faire son chemin. À quel point elle a probablement un manque à combler et peut-être même - je lui souhaite - un plaisir véritable dans l’acte de faire succomber autrui ? Heureusement, je pense que tout ça, ce sont des idées qui s’apprivoisent. Cet été, alors que je me mariais, ma mère papillonnait d’un jeune homme à l’autre, dans l’espoir affiché de voir le désir illuminer le regard de l’un d’eux. Elle a terminé sa soirée la tête posée sur les genoux d’un ami visiblement mal à l’aise. Il y a un an, j’aurais pleuré. Là, je riais. Vas-y donc, maman! Si tu veux, bientôt, tu m’expliqueras. Je te promets que je vais essayer de te comprendre. Mieux encore, de t’accepter.

Kate Lewis

Ces images sont une synthèse visuelle qui amalgame la rhétorique publicitaire à la rhétorique proverbiale, discours qui imposent tous deux des comportements et dictent une forme de féminité normative. Bien souvent, les codes culturels sont intériorisés de sorte qu’on les oublie et qu’ils nous semblent naturels. Ces codes naturalisés sont pourtant plus apparents pour l’étranger qui les voit avec des yeux nouveaux. Dans un texte, les erreurs langagières soulignent parfois un processus de traduction et la médiation culturelle qu’il implique. Cela oblige le public à lire le texte autrement, avec un œil plus critique. La construction de codes linguistiques et culturels, comme la féminité - le sujet de mon oeuvre est donc porté à l’attention du spectateur. La fenêtre, un symbole classique de médiation, ajoute aussi à l’effet de distanciation, puisque toutes mes images sont capturées via une fenêtre. Le soleil se reflétant dans la vitre permet aussi de surimposer à l’image le reflet de la rue derrière la caméra. J’espère que ce reflet évoque aussi l’idée de lèche-vitrine et toute la convoitise que cela implique.



Cybèle B. Pilon


Sara Hébert


Astrologie noire Maude Veilleux


Vie de Sims Gabrielle Chapdelaine

Mes poèmes sont composés des commandes du jeu vidéo Les Sims. Alors qu’il voit ses personnages exécuter plusieurs actions, le joueur n’a jamais vraiment accès aux émotions des Sims. Par le biais de courtes combinaisons d’actions, j’ai pour ma part tenté de créer une forme d’affect, d’état d’âme. Alors, voilà, c’est dit.


#sadgirls Isabelle Guimond Illustrations: Isabelle Guimond

Je m’intéresse à l’idée selon laquelle l’adolescence représente le monde de tous les possibles, une période où les rêves sont encore brûlants, habitée par la révolte. La rébellion contre la famille et contre la société permettent la construction identitaire. C’est aussi l’époque d’une prise de distance face aux parents et celle de l’affiliation avec ses pairs. L’adolescence, c’est se mettre au monde ; un véritable bouleversement dans le rapport que l’on entretient avec les autres et avec soi-même. Pour mon projet, j’ai eu envie d’un devenir-adolescente. C’est avec cette hypothèse que j’ai entamé le projet et il m’a semblé logique de me pencher sur les blogues d’ado, puisqu’ils peuvent être des lieux de démonstration, de définition et de création identitaire via une grammaire d’images partagée. Les médias sociaux sont aujourd’hui des plateformes spéculaires permettant de rejoindre une communauté qui n’est plus strictement à proximité. Quant à moi, je pense qu’une telle communauté en réseau m’aurait permis de mieux supporter ma propre adolescence. Pour pénétrer ce devenir-ado, j’ai décidé de limiter mes recherches à la plateforme Tumblr, dépourvue de censures et de police des mœurs (contrairement à Facebook, par exemple). Je me suis ensuite demandé quel genre d’ado j’aurais été si j’étais née à l’aube du XXIe siècle. Je me suis souvenue de mon penchant pour le mélodrame, mes difficultés à m’identifier aux autres, à ma souffrance de voir mon corps se transformer et à mes tendances autodestructrices. Je n’ai pas cherché à brosser un portrait général des adolescentes, mais j’ai plutôt centré mes recherches autour du mot-clic #sadgirls. Je me suis intéressée au corps adolescent, exposé, souffrant et vulnérable, territoire des malaises et malêtres, mais aussi lieu de prise de contrôle et de révolte. Je voulais voir


et nacrées, des paillettes et des autocollants d’inspirations japonaises. Un Kawaï sexué à faire rougir la Lolita de Nabokov. Des éléments de la culture populaire, des slogans féministes. Des livres. Empilés, ouverts. Des journaux intimes. Sur certaines photos, leur environnement, leur chambre. Les adolescentes se mettent peut-être en scène sans pudeur, mais ce n’est pas dépourvu de réflexion. Au contraire : j’y vois un désir d’autodétermination, une recherche de pouvoir et une nouvelle articulation des codes féminins. Des filles qui s’adressent à d’autres filles. Une affirmation sexuelle, sans honte. Avec ce devenir-ado comme moteur créatif, il y a des libertés plastiques qui se sont mises à exister, à s’imposer. Donc, sans me prendre pour une adolescente, je me suis mise à avoir

comment le corps était représenté (gros plan, corps morcelé, objectivé, analysé) et par quel moyen (téléphone intelligent, webcam). Quelles sont les images qui reviennent le plus souvent et lesquelles ont le plus de potentiel de dissémination? Pour prendre la mesure de cette communauté, j’opérais à partir de mon propre Tumblr. J’ai travaillé sur le mode de l’appropriation par la transformation plastique. Les premières images qui se sont imposées à moi sont celles d’orifices. Ouverts. Prêts à prendre et à être pris, prêts à incorporer et à recracher. Des bouches, des yeux, métaphores des sexes qui s’ouvrent. Des orifices que l’on force, que l’on soigne. Des orifices qui définissent les limites de nos corps, les limites entre soi et les autres. Ensuite, la présence des corps, ou plutôt leur morcellement. Presque jamais de corps entiers. Des ventres, plats dont les seules rondeurs sont les saillies iliaques. Des cuisses dont on peut faire le tour avec la main. Des corps petits qui doivent être en contrôle. Des corps marqués aussi. De tatouages. De cicatrices, vestiges d’une douleur plus profonde. De la peau blanche, translucide. Des veines apparentes. Des yeux exorbités. Rouges. Des pupilles dilatées. Des yeux très maquillés, pour mieux laisser les traces de l’ivresse de la tristesse en longs sillons noirs. Des substances illicites. Beaucoup. Pilules de toutes les couleurs, et timbres psychotropes à l’effigie de Bart Simpson. Des couleurs pastel, des matières réfléchissantes

des désirs d’ado. J’ai, pour la première fois, eu envie de limiter ma palette, j’ai eu envie de rose. Michel Pastoureau rappelle que le rose n’avait pas, pendant longtemps, de définition propre : on le désignait par « l’incarnat», c’est-à-dire la couleur de la chair. Puis, porté par le romantisme du XVIIIe siècle, il est devenu la couleur de la tendresse, de la féminité. Le rose serait un rouge ayant perdu sa rage par l’étouffement du blanc. Le rose, synonyme de douceur donc ? Et pourtant. Mes roses, je les ai voulus criards et insolents. Qui peut dire que la vibration du magenta est douce ? Au lieu de travailler à l’huile sur toile comme j’en ai l’habitude, j’ai eu envie de matières moins nobles. J’ai choisi de travailler avec l’aérographe sur papier et ainsi créer des images comme celles que j’épinglais dans ma chambre, à défaut d’avoir des murs virtuels pour les partager. Sur le papier, ma peinture se couche, sans corps : aucun empâtement. Les gestes ne sont presque pas perceptibles. Une matière qui s’excuse presque de créer des motifs tant son application est mince, pulvérisée. Ce choix, d’abord instinctif, me semble dans l’après-coup très judicieux. Avant le numérique, on se servait de l’aérographe pour enjoliver et retoucher les photos de mode et de magazines. Aujourd’hui encore, on l’utilise pour l’application de maquillage. Ce processus d’effacement s’inscrit aussi dans une quête de perfection et de jeunesse. À toutes ces images qui circulent déjà, j’ai ajouté les miennes, en utilisant, bien sûr, le mot-clic #sadgirls.


Sarah Osborne

Mes tableaux explorent l’espace intérieur et domestique, longtemps considéré comme typiquement féminin. J’essaie d’y réunir les contrastes qui m’habitent. L’espace est donc souvent chargé, tordu et même coloré. L’histoire de l’art, très présente dans ma peinture, s’amalgame aux choses banales du quotidien. La nourriture, la décoration intérieure et le design sont des façons pour moi d’aborder ma culture, en usant de la citation. Ces références et clins d’oeil me permettent de poser un regard critique sur ce qui me précède en tant que femme peintre. Ainsi, mes tableaux sont un heureux mélange, allant de Jeff Koons aux livres de recettes au micro-ondes. sarahosborne.ca


Moi, jeune auteure de demain Lily Pinsonneault Illustrations: Maude Arès

La moi d’aujourd’hui apprend à faire des affaires pour la moi de demain. La moi dans six mois, la moi de plus tard, la moi pour le reste. Se penser bonne de même aujourd’hui ça aide à se dire yessir taleure. Je l’essaie en tka, ça peut pas être pire, que je me dis. Je fais ma fraiche toute seule chez nous, y’a personne pour me dire des affaires que je veux pas entendre, je reste la meilleure à ce jeu-là anyways. Je suis dans le coin de mon frigo à frotter la dernière tablette, j’écoute des CDs de personnes mortes. Tu sonnes chez nous pour me dire que t’es tellement triste que t’avais envie de voir mon visage, le mien juste le mien pis que tu viens d’appeler ton frère en pleurant, mais que moi je te fais du bien même si tu pensais même pas sourire de la soirée finalement ça t’arrive quand j’ouvre la porte. Je dis moins fort il est tard, les voisins. Tu demandes à quoi va être le smoothie que je vais te faire demain, je demande pourquoi t’es là et je souris de te voir triste, ça je sais pas pourquoi. Tu me dis j’ai eu envie de te voir parce que je me suis rappelé ta gentillesse et là je suis ici au chaud dans ton salon, tu vois? Tu ris, t’es content de rire enfin, avec moi. Tu te penses le roi de la bienveillance. Je dis ok mais juste dodo ok mais juste embrasser ok mais juste coller ok mais juste toucher un peu. Je tiens fort ta vulnérabilité dans mes deux mains, je réalise la petitesse du monde, je me sens vide comme l’évier de ma cuisine. Demain arrive toujours. Je me cache entre deux redressements assis que je fais pour la moi d’après. Ce qu’il restera d’elle, si je la berce un peu, ça se peut que ce soit tendre. J’écoute de la musique qui dit que les filles run the world, je place mes cadres, je change les images. Je les regarde comme une tv. La couleur me remplit, petit peu par petit peu. J’t’allée courir tantôt parce que je suis donc ben womanizerpowerez, tu m’as jamais vue comme ça. Tu m’as jamais vue. Je courais courais courais, je me répétais si je le croise je l’ignore, si je le croise je dis fuck you. Ton nom quand même assez rare je vais l’écrire partout, tout le petit monde va savoir. Un fuck you encore doux pour le moment, en attente d’un fuck you moins fin taleure. Faut pas rusher, sinon c’est moins vrai. Demain, je vais sûrement être la moitié de l’auteure que je suis aujourd’hui. Je suis donc ben auteure quand y’est question de te faire un poème haineux.


Marie-Audrey Jacques


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Stéfanie Requin Tremblay Tiré du zine Hygiène

MÉLAMINE PLANTE PAUVRE

COMPUTER LOVE

décevoir les fleurs fanées de plastique la décoration

Johnny Mnemonic love hurts love scars amour passion love à quand le fil d’actualité en préfini blanc?

les fluorescents me dévisagent cachent mes cernes de cours du soir j’ai décroché le casque d’écoute cliquetis le clavier cocaïne S.O.S. amitiés Internet connaissance Van Gogh Van Gay

James Spader dépose son sperme dans la boîte de réception d’une secrétaire particulière du nom de Madame les lumières de l’écran soignent ma rétine en mode veilleuse relire son CV sodomie positionner ses bons coups à la dactylo

une peau orangée rêve d’Acapulco sur les posters géants des salons mortuaires une banderole collée avec une gomme Clorets: « Bon retour au travail » retraite préventive les fesses, la face dans les enfants de Samantha Ardente poésie porno vide amour imaginaire horoscope eau Perrier s’inscrire au D.E.P. extrême hygiène de vie classer les élastiques les crayons fluorescents les crayons-feutres qui sentent forts les graphiques surprenants l’inflation je suis adjointe administrative



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