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Pendant longtemps j’ai cherché à placer Deleuze dans mes recherches1, en relisant mes notes je n’ai trouvé quasiment aucune trace de lui. - Evaporé ? - Non, autour de moi. Gilles est un dispositif.
1 Gilles Deleuze, Le pli - Leibniz et le baroque
Adrian Paci, Centro di permanenza temporanea, 2007
En anglais, la notion « frontier » est un espace en lui-même, un point de contact, tandis que « boundary » est un tracé de limite. En français, il n’y a pas de distinction. La langue est un véritable outil de traduction de cadre de pensée, aussi il est impossible d’établir une nomenclature entre deux idiomes.
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J’ai souvent été dérangée par la notion de cadre, de case, car cette notion suppose une négation de l’unité. On me demande souvent d’« où » je viens, je ne sais pas bien moi-même. Cet autre continent : l’Afrique, s’affiche sur ma tête sans que je le connaisse réellement. De par ma position de créatrice/entre deux continents, j’ai souhaité me pencher sur ce qui fait « corps » entre l’expérience et la représentation, entre la réalité et la fiction, entre le monde intérieur et le monde extérieur. Les « cases » nécessaires à la construction d’un plan dans le cadre de ce mémoire ont mis bien longtemps à prendre forme. Disons que ce qui va cadrer ce qui suit est un questionnement autour du cadre, une mise en abyme de cette notion. Comment le cadre amène-t-il à dézoomer, à s’extraire ? En quoi attire-t-il la fiction ? Et qu’est-ce qu’expérimenter l’état du corps entre deux cadres ? En partant de définitions générales du cadre, j’envisagerai le corps comme un cadre de représentation ambulant. Et enfin comme un moyen de traverse entre différentes « scènes ».
Cadres classiques
Interviews d’interprètes Kyle
Surcadrer Zoom excessif
Anne
Arrêt de flux
Le corps comme cadre d’image modulable
Bacs à perception
Sac de peau et image de soi
Dézoomer
Topie impitoyable
Mise à distance
De la barbaque et de la fiction
Des gros yeux
« Votre corps est votre scène. »
Du locus au spatium
Theatrum mundi/jeu de rôle
S’extraire de l’action
Imbriquer Degré de cadre A l’arrière du zoom
En Série Surface de pensée Les rencontres sportives Vestiaires/ Coulisses 2
Second life ou tenter de rentrer dans l’image Le carnaval : rencontre des apparences Bâle Bâle VS Moyen-Âge New Orleans Grand carnaval 2.0
Le souci économique Le corps-caméra Influence bouddhiste
Les déviants Du fou Au marginal à Anny
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Cadre classique Petit point sur le cadre, bien que la définition suivante soit significative pour le champ cinématographique, elle s’applique tout autant dans le domaine de la perception oculaire. « Le cadre est un terme technique, il désigne le format prédéfini de l’objectif délimitant l’image qui doit être captée. Sergueï Eisenstein l’explique ainsi « cadrer est tailler un morceau de réalité par les moyens de l’objectif. » Le cadre est le périmètre qui fige un instant, clôt un système en choisissant les parties qui entrent dans cet ensemble et invite à une lecture. L’accès à l’œuvre est ainsi contraint. En ce qui concerne le contenu, cadrer signifie délimiter un espace qui fait sens, avec pour objectif de donner à voir une vision du monde. »1 Le terme « objectif » peut être apparenté à l’objectif de l’appareil photographique mais également en tant que but indépendant du contexte extérieur. Notons que le deuxième sens du mot a une connotation très morale. Un cadre est un outil qui sectionne l’espace et crée une image. Une image est toujours le monde nié d’un certain point de vue.
Surcadrer Zoom excessif : Citywalk Johannesbourg – Série Montréal Dans cette série (double page suivante), je cherche à donner l’illusion d’un ailleurs en proposant un cadre photographique. En choisissant de manière subjective les éléments à prendre en compte et ceux à rejeter dans la ville de Johannesbourg, je construis une image mentale de Montréal, elle-même construite à partir d’images puisque la reconstitution s’appuie sur des clichés photographiques de mon séjour au Canada en 2011.
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1 Serguei Eisenstein, Hors-cadre , Les cahiers du cinéma, 1969, p 26.
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Arrêt de flux Le contrôle des images peut s’apparenter à une opération chirurgicale en plein milieu de vie. Après avoir sélectionné un morceau, l’avoir isolé, ce dernier n’existera plus dans le même espace-temps que les autres. Il a été capturé. Les éléments adjacents qui auraient pu lui apporter un sens nouveau sont restés dans un autre espace temps. « La photographie aurait pu être inventée en couleur, elle existait, mais voilà on se préparait à retirer à la vie jusqu’à son identité. On porta le deuil de sa mise à mort et c’est avec les couleurs du deuil, le noir et le blanc que la photographie se mit à exister (...) et très vite pour masquer le deuil, les premiers technicolors prendront les mêmes dominantes que les couronnes mortuaires. »2
1996 : La fabrication de la photo de classe des CE1 Le photographe en voulant respecter les codes photographiques de l’image de groupe, nous traitait comme des objets inanimés : nous classant par ordre de tailles afin que les plus grands soient placés au fond, vérifiant que notre nez ne soit pas rempli de morve et donnant un dernier coup de peigne aux fameuses coupes au bol de l’époque. Pas le droit de rire, juste un sourire officiel autorisé, le photographe bourreau de vitalité tentait en fin de matinée de faire ressusciter une dernière lueur d’énergie à travers la prononciation d’un son ridicule : « ouistiti » ou « cheese » selon les années. Je n’ai jamais compris la nécessité d’être ensemble pour fabriquer cette image. Une simple collecte de photomatons afin de reconstituer le groupe par collage aurait été de la même intensité. 2 Jean-Luc Godard, Fatale beauté, Histoire(s) du cinéma, 1997
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Wim Wenders, Paris Texas, 1984
2011 : Le cinéma avec Olivier Je me souviens d’avoir emmené des handicapés mentaux au cinéma. On était allés voir Alvin et les Chimpmunks. Rien de bien intéressant, des hamsters qui chantent, un petit film de Noël, mon groupe était super content. La salle remplie d’enfants. Tout à coup Olivier, un des handicapés, à décider de se lever et de se mettre à danser. La musique était franchement entraînante, ça aurait été dommage qu’il contienne son envie donc je l’ai laissé se lever et danser. Le respect de l’action à l’écran et la norme imposée par la salle de cinéma sur les corps a été totalement chamboulé. Olivier avait simplement créé un raz-de-marée : tous les enfants de la salle après avoir cherché l’approbation dans les yeux de leurs parents se sont levés sur les sièges et mis à danser. Méga party ! On avait rejoint les festivités des hamsters en 3D.
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Bacs à perception « L’imaginaire est du côté du « voir ». Il développe un exotisme, mais un exotisme oculaire. Car finalement, une logique se retrouve partout, jusque dans le strip-tease, où le déshabillage de l’actrice va de pair avec la dépossession des spectateurs : ce qui est donné à l’œil est enlevé à la main. On voit d’autant plus qu’on prend moins. L’ennui du travail ou l’impossibilité de faire a pour compensation le surcroît de ce que l’on voit faire. Tout suppose le rêve. « Rêvez, nous ferons le reste » dit la publicité. Le développement de l’imaginaire est la réciproque d’une « civilisation » où se multiplient les voyeurs et les contemplatifs. Ainsi l’« actualité », ce reste visuel de l’action, montre les heurts et malheurs des autres selon une loi qui combine luxe de l’information avec la passivité des témoins. L’inaction semble être le prix de l’image. Les aventures amoureuses, les éblouissements des drogués, les exploits sportifs ou les programmes de renouveau social versent dans la littérature imaginaire et offrent, avec des spectacles, un alibi de l’action. Je vous renvoie aux Chroniques de Bustos Domecq de Borges et à son chapitre : « Esse est percipi » « exister, c’est être vu ». Ne resterait-il de la réalité que son image ? Oui, quand on exile de l’existence l’acte qui la pose ».3 L’élaboration ou la contemplation de la représentation atténue l’action, Debord dans la société du spectacle affirme que « la séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle », l’homme « plus il contemple, moins il est ». Dans Le spectateur émancipé, Jacques Rancière, dénonce également cette séparation entre regarder et agir et pointe par la même occasion le fait que la volonté de représentation est autant motrice d’inaction. Le moment de la représentation suppose une division entre regardeur et regardés, le monopole de l’action est confié aux regardés. Le cadre dans ces situations est ce qui enferme l’action, l’énergie, l’utilisation pleine de son corps. « Personne n’arrête le spectacle pour dire : « Mais cela n’a aucun sens ! La personne qui interprète le roi sait bien ce que le prince est en train de manigancer ; pourquoi ne fait-il rien pour s’en prémunir ? ».»4
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3 Michel de Certeau, La culture au pluriel, p 34 4 Erving Goffman, Les cadres de l’expériences, p 497
Dézoomer Mise à distance « Être spectateur, c’est être séparé tout à la fois de la capacité de connaître et du pouvoir d’agir. »5 La représentation cadrée isole de la sensibilité, mais également du contexte. Elle met à distance du réel et refroidit les émotions aussi bien pour celui qui l’engendre que pour celui qui y assiste. « On dit qu’on pleure, mais on ne pleure pas lorsqu’on s’occupe à rendre son vers harmonieux : ou si les larmes coulent, la plume tombe des mains, on se livre à son sentiment et l’on cesse de composer. »6 Diderot dans ce passage justifie cette mise à distance de la sensibilité en vue de l’acte de création. Et inversement, s’il arrive que la représentation influe sur les corps des spectateurs en déclenchant des coulées lacrymales ou des éclats de rires, ils ne se lèveront pas de leur siège pour tenter de sauver la situation à l’écran (sauf dans le cas d’Olivier). La scission imposée par la représentation permet de se préserver en établissant une limite claire entre la fiction et la réalité.
Des gros yeux La plupart du temps la représentation s’expérimente par le biais de la vue et de l’ouïe, sens qui se distinguent des trois autres par leur capacité à s’activer de manière lointaine. En Occident la primauté de l’œil est une évidence de la représentation et même de l’existence puisque l’on naît socialement à partir du moment où l’on devient visible par les autres. Depuis l’invention de la perspective, il n’y a plus besoin de toucher les choses pour pouvoir les connaître, le raisonnement mathématique permet d’anticiper les formes des choses à distance. Cependant, quand la représentation a été plus forte que la simple observation d’une scène, il n’est pas rare d’entendre l’expression « ça m’a touché ». A croire que nous rapprochons les choses de nous quand l’œil est ému. « Voir, c’est avoir à distance » 7, la vision est dévorante, en percevant les choses, elle croit les tenir.
5 Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, p 8 6 Diderot, Le paradoxe du comédien 7 Maurice Merleau Ponty, L’œil et l’esprit, p 27
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Dans L’invention de Morel de Bioy Casares, Morel inventeur d’un appareil qui enregistre la réalité sous toutes ses formes (images, son, saveur, odeur, toucher, température) se révèle être un homme fort maladroit dans la vie « réelle » puisqu’il n’arrive pas à avouer à Faustine qu’il l’aime. Par ce manque de courage, il se retranche dans l’observation de cette dernière. Ce comportement met en lumière une franche opposition entre la capacité de projection et celle d’agir. Morel refroidit la réalité en la faisant entrer dans un objectif car cette dernière est trop dure à gérer pour lui quand il est inclus dedans. Le contrôle des images provient de ce que celui qui les crée, effectue un choix quant à la composition de ces dernières, il crée un cadre dans lequel plusieurs catégories d’objets viendront s’inscrire une fois filtrés et donneront une lecture de la situation. Le cadre peut-être matérialisé par un objet extérieur ou plus simplement par le champ de vision de l’individu. La situation est alors tronquée et ne donne que très partiellement un indice de la réalité des choses quand elle est appréhendée de manière oculaire.
Du locus au spatium La perception d’image est liée à un éloignement de l’observateur, éloignement physique, psychologique tout autant que temporel. Sans ce recul, ce dernier fait partie de l’événement et ne peut s’en détacher. Le locus en latin désigne le point, la position, le site, au plus près du sujet percevant tandis que le spatium renvoie à ce qui est vaste, au loin ou vu depuis le lointain par un regard qui embrasse large, proche de la contemplation. Dans les années 1970, les consultants en management demandaient à leurs clients de résoudre le problème des neufs points8. Il s’agissait de relier tous les points entre eux sans lever le crayon. La seule difficulté que ce dernier comprend est de ne pas s’imaginer de limites, c’est grâce à la prise de hauteur que la résolution est possible.
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8 Thinking outside the box, Le problème des neuf points/Solution p 17
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Haut : Capture d’écran d’une page Facebook Bas : Nadav Kander, Night, 2003
S’extraire de l’action Maurice Merleau Ponty explique que le cadre isole l’objet perçu de son horizon mais également le spectateur de son rapport vivant au monde. Dans le film Cosmopolis de Cronenberg, le personnage principal traverse New-York dans sa limousine et devient spectateur de l’effondrement de sa ville, la plupart des plans tournés depuis la voiture renforce cette sensation d’impuissance qu’il expérimente en s’isolant de la réalité. Perec en octobre 1974, s’installe place Saint-Sulpice, dans le 6e arrondissement de Paris. Pendant trois jours et à différents moments de la journée, il tente de prendre note de tout ce qu’il voit depuis la vitre d’un café. Il établit une liste représentant la vie quotidienne, sa monotonie, mais aussi les variations infimes du temps, de la lumière, du décor, du vivant. Cette tentative d’extrême contemplation d’un lieu parisien, est rendue possible par isolement physique de l’individu, derrière une vitre. La présence de la vitre transforme le monde en écran et l’empêche de maintenir tout contact avec ce qui s’y déroule. En effectuant un rapport entre le vieillissement du monde et son propre vieillissement, le seul lien que Perec établit est un lien de nature temporelle. Cette association symbolique vitre/écran qui isole et permet la représentation a été souvent reprise par les artistes, en passant par Perec dans le champ de l’écriture, Edward Hopper pour la peinture ou encore plus récemment Philippe Quesnes dans ses spectacles avec le Vivarium Studio. Mais la représentation peut aussi s’expérimenter par l’inaction qu’entretient une personne par rapport à son environnement. Henri Michaux quand il parle de « monde sans gradins ou aux milliers d’imperceptibles gradins » affirme sa position de spectateur du monde. Dans L’insoumis, il écrit : « Quittant le balcon où défilait le Monde, quand il faut rentrer sans arcades, dans la gueule froide de la journée grignoteuse, devant les centaines de boîtes qu’il faut remplir précipitamment, quand il faut quitter le grand vide admirable où l’on avait séjour… Tristesse du réveil ! Il s’agit de redescendre, de s’humilier.» On saisit par les mots, sa volonté de s’extraire de la réalité et sa peur d’être englué dans le quotidien. La métaphore de l’éloignement est associée chez lui à un mouvement d’ascendance. Ce mouvement d’ascendance est également exploité par Beckett dans Le Dépeupleur, quand il décrit une communauté grouillante recluse dans un vaste « cylindre surbaissé » de 50 m de diamètre et 16 m de hauteur. On peut associer cette prise de hauteur à une volonté d’analyse de la société dans laquelle ils sont inclus. En cadrant la situation par les mots qu’ils emploient, Michaux comme Beckett s’offre un belvédère duquel il peut analyser les comportements sociétaux à la manière d’un anthropologue « de proximité »9. En explorant l’ordinaire, il pulvérise l’ici-maintenant en micro-univers de recherches. La contrepartie de cette position de « nanologue »10 de l’ordinaire est d’être, comme le souligne Jean-Didier Urbain, « comme venu de nulle part ». En observant le quotidien à la manière d’un étranger, on finit par s’en exclure.
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9 Terme employé par Jean Didier Urbain dans son livre Ethnologue mais pas trop 10 id.ibid
Imbriquer Degré de cadre « Je possède d’autant mieux le monde que je suis plus habile à le miniaturiser. »11 La mise à distance du monde peut être effectuée par l’emploi de mots mais aussi physiquement, en jouant sur les échelles de représentation dans l’espace. « We are images, dreams, photographs. »12 Jodorowski dézoome. FIN Jodorowski s’amuse régulièrement à montrer les ficelles du dispositif qu’il nous propose en dézoomant. Malgré l’incroyable beauté des mondes qu’il propose, le cinéaste cherche régulièrement à brouiller la certitude du degré de réalité dans lequel nous nous projetons. Cadre de réalité, cadre de l’objectif, cadre du cerveau. Le pli baroque va à l’infini d’extase en abîme. Par cette imbrication de degrés de réalité, la pensée se dilate ou se rétracte, jusqu’à faire prendre place à l’histoire dans la paroi d’un cerveau comme on peut le voir dans des films tels que Shinning de Kubrick ou encore Twin peaks, la série de David Lynch.
A l’arrière du zoom Dans Shinning, l’hôtel dans lequel l’écrivain passe l’hiver avec sa femme et son fils, est en fait son cerveau. Les attaques dont il croit être victime ne sont que la matérialisation de ses mouvements de pensée. De la même manière, Lynch dans Twin peaks, sous-entend que la Red room et peut-être même l’ensemble des lieux dans lesquels cette histoire prend place n’est autre que le siège des tourments de l’agent Dale Cooper : sa tête. Alors pourquoi ne pas reculer le cadre de scène jusque dans notre cerveau et se servir de notre paupière comme d’un rideau comme le fait Joris Lacoste13 en proposant une séance d’hypnose ? Le seul lien alors capable de relier tous ces degrés de réalité, c’est le corps. Qu’il soit dans le dispositif (corps véhicule) ou qu’il soit dispositif (corps paysage), il est le seul moyen de traverse. Et c’est ce paramètre que les baroques mettent à jour dans toutes leurs entreprises. « Le cadre est l’ombilic qui rattache le tableau au monument dont il est la réduction. »14 11 Gaston Bachelard, Poétique de l’espace 12 Réplique de fin du film Holy mountains, Jodorowsky 13 Joris Lacoste, Le vrai spectacle 14 Gilles Deleuze, Qu’est ce que la philosophie ? p188
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Claude Nicolas Ledoux, Eye Enclosing The Theatre at Besancon, France, 1847
En Série Le cadre est l’enveloppe extérieure d’une série de cadres. La miniature fascine, oblige à se pencher mais s’accompagne automatiquement d’un mouvement de pensée inverse : qui crée alors l’espace dans lequel je suis ? Qui se penche sur moi ? Quand Truman Burbank15 lève la tête pour trouver la provenance du projecteur qui vient de s’écraser devant chez lui, le spectateur peut lui aussi se demander si un projecteur ne va pas tomber devant sa T.V. Les différents niveaux de représentation se bousculent et instaurent des doutes quant aux niveaux de réalité dans lesquels nous croyons évoluer. « Voilà pourquoi aussi ils ont souvent aimé à se figurer euxmêmes en train de peindre, (…) comme pour attester qu’il y a une vision totale ou absolue, hors de laquelle rien ne demeure, et qui se referme sur eux-mêmes. » 16 Merleau-Ponty à propos de la peinture hollandaise et de la récurrente présence du miroir explique le passage du corps voyant du peintre au corps visible de ce dernier. En décadrant le sujet de la représentation, des peintres comme Van Eyck n’hésitent pas à inclure dans le tableau un autre niveau de représentation et à amplifier la structure métaphysique de la chair. Le corps se trouve toujours entre deux cadres. « Pas facile à prendre sous l’objectif.»17
15 Peter Weir, Truman Show 16 Maurice Merleau Ponty, L’œil et l’esprit, p 34 17 Francis Ponge, Le parti pris des choses, p 214
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Surface de pensée Les rencontres sportives Une rencontre sportive est cadrée dans le temps et l’espace de façon ferme et définitive. Un match de foot dure 90 mn et se déroule sur une aire de jeu qui doit être obligatoirement rectangulaire et dont la longueur doit être comprise entre 90 et 120 m et la largeur entre 45 et 90 m. Ces critères respectés, les événements qui se déroulent à l’intérieur de la surface sont imprévisibles (il s’agit là de rencontres traditionnelles exemptes de toutes manigances financières : un cas rare!). « Au cinéma, ou dans les autres arts narratifs, les scénaristes s’ingénient par des subterfuges à nous faire oublier que tout est prévu, que les personnages interprètent des dialogues (…) Le spectacle du sport n’a pas besoin d’inventer ces artifices. Il est vivant, immédiat. Les acteurs (joueurs, entraîneurs, arbitres, public…) ont tous un scénario idéal en tête. Mais personne n’a le même. (…) D’un strict point de vue dramaturgique, la différence entre le spectacle sportif et les autres, c’est sa « glorieuse incertitude ». Même dans le match le plus ennuyeux, on ne peut jamais exclure un coup de théâtre qui fasse basculer la rencontre. »18 Le dispositif sportif se révèle être un cadre exceptionnel d’application de la pensée, comme le souligne Tronchet, chaque « acteur » détient un scénario idéal en tête et tente de le mettre en application sur une même surface. Dans une rencontre sportive, les scénarios n’étant pas accordés (stratégies adverses), on assiste à la mise en application d’une idée au sein de la matière. Un événement sportif est le partage d’un cadre où viennent s’entrechoquer des mouvements de pensée pris en charge par des corps. « Considérer le mouvement non comme une simple fonction du corps mais comme un développement de la pensée. De même, considérer la parole non comme un développement de la pensée mais comme une fonction du corps. » 19
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18 Didier Tronchet , Petit traité de footballistique 19 Paul Auster
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Soit deux équipes de philosophes : une équipe allemande (Hegel capitaine, Kant, Leibniz, Schopenhauer, Schelling, Benckenbauer, Jaspers, Schlegel, Wittgenstein, Nietzsche et Heidegger) et une équipe grecque (Héraclite capitaine, Platon, Epiktet, Aristoteles, Empedokles von akraga, Plotin, Epikur, Demokrit, Sokrates et Archimedes). Pendant tout le match, nous assistons au déplacement de la pensée de chaque « joueur » qui semble dépourvu de corps puisqu’il ne touche pas la balle. La seule action de ce match arrive à la 89e minute, quand Archimède s’écrie « Eurêka ! ». Sur l’action qui s’ensuit, Socrate marque l’unique but du match, d’une tête plongeante sur un centre d’Archimède. Les Allemands contestent le but : Hegel affirme que « la réalité n’est qu’une annexe a priori de l’éthique non-naturaliste », Kant emploie l’impératif catégorique pour dire qu’« elle n’a d’existence ontologique que dans l’imagination », et Marx soutient (avec un matérialisme pertinent) qu’il y avait hors-jeu. Le match se termine par une victoire écrasante de la Grèce. En produisant ce genre d’action humoristique, les Monthy Python tentent de montrer que la vie cérébrale bien qu’invisible est tout aussi active et importante que la vie physique qui peut être appréhendée de manière oculaire. Brecht dans sa manière de créer un environnement, un dispositif pour ses acteurs, se rapproche de la notion de terrain. En créant un dispositif, il propose une forme qui conditionnera le fond. Dans La jungle des villes, il met en scène une métaphore directe du combat en présentant la pièce sur un ring de boxe. De cette manière il met en lumière le principe même de la surélévation de l’espace du ring : laisser un grand champ d’action à ce qui se passe autour, c’est-à-dire les violations de règles de combat : l’incivilité. Le dispositif est un ensemble de mesures prises en vue d’atteindre un objectif, il laisse une marche de manœuvre à l’intérieur du cadre spatial et temporel qu’il impose. Monty Python, The philosopher’s Football Match, 1972
Haut : Les danseuses Degas Bas : Les larmes « secrètes » de Messi, photos tirées du site le 10 sport. com
Vestiaires/Coulisses En dehors des limites du cadre sportif, les joueurs ne sont plus joueurs mais humains. Goffman explique que les coulisses sont des lieux d’abandon de la façade, de réajustement, voire de contradiction avec l’espace de la représentation. La coulisse au sens de Goffman (lieu de repli), rétrécit de plus en plus puisqu’elle devient elle-même objet de représentation comme on peut le voir dans les peintures de Degas ou encore dans les clichés traqués par les paparazzis. Quand Cassavetes, tourne Opening night, il joue exclusivement sur le rapport entre la scène et les coulisses, entre le rôle et l’état de la comédienne Myrtle Gordon : il la traque dans les coulisses. En définitive, Myrtle tirera parti de ses préoccupations de comédienne pour servir le rôle qu’elle doit jouer sur le plateau. La représentation ne se satisfait pas des cadres habituels et est en recherche perpétuelle de nouveaux sujets d’observation, quitte à empiéter dans les zones de repli des sujets.
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Interview du 11 mars 2013 Skype Kyle Duarte - Interprète Kyle Duarte est interprète, il parle l’anglais, le français et la langue des signes. Il prépare actuellement un projet de création d’école en France intégrant les enfants malentendants à un cursus classique. Il s’apprête à présenter son projet au ministère de l‘Éducation nationale cette année. [10/03/13 11:55:56] Marielle Agboton : Veuillez m’ajouter comme contact. Marielle Agboton 11/03/13 12:58:20] Kyle Duarte : Kyle Duarte a partagé ses détails de contact avec Marielle Agboton. [11/03/13 13:01:11] Marielle Agboton : Appel lancé, 1 heure 44 minutes 30 secondes [11/03/13 13:06:22] Marielle Agboton : Bonjour Kyle, tout au long de cet entretien je te prierais de répondre à ta manière en utilisant une des langues que tu parles couramment. Je vais commencer notre entretien par une citation : « Trouver les mots pour ce qu’on a devant les yeux comme cela peut être difficile. Mais lorsqu’ils viennent, ils frappent le réel à petits coups de marteau jusqu’à ce qu’ils aient gravé l’image sur lui comme sur un plateau de cuivre. » 20. Quel rapport entretiens tu avec les images et les mots ? [11/03/13 13:10:19] Kyle Duarte : Our words have both meaning and form, and it is the form of a word that evokes its meaning. All the more so evident in signed languages, where the form is already visual. [11/03/13 13:11:14] Marielle Agboton : When you talk about form is it the sound or the writing ? [11/03/13 13:11:27] Kyle Duarte : Either one. [11/03/13 13:11:55] Marielle Agboton : T’attaches-tu à la sonorité du mot quand tu as le choix entre plusieurs synonymes ? [11/03/13 13:12:05] Kyle Duarte : Oui. [11/03/13 13:14:16] Kyle Duarte : Choosing among synonyms requires quick choices among nuanced meanings but also the sound, rhythm, and register of choices. Simple versus easy. Loud versus cacophonous. [11/03/13 13:15:43] Marielle Agboton : And can you tell me two synonyms which are equal, I mean totally equal with the sound, the writting, the register, for you ? [11/03/13 13:16:11] Kyle Duarte : I don’t think that ever exists. [11/03/13 13:16:21] Marielle Agboton : Y a-t-il des synonymes en langue des signes ?
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20 Walter Benjamin
« STUPID » signs for New yorkers and Californians
[11/03/13 13:18:08] Kyle Duarte : Yes. In American Sign Language there is a lot of variation regionally - so Californians may sign STUPID one way and New Yorkers may sign it a different way, but they mean the same thing. Then you have related synonyms (like fast and quick in English) with perhaps only very slightly different meanings. [11/03/13 13:20:09] Marielle Agboton : Donc ce n’est pas franchement un synonyme mais une sorte de « patois » régional… Existe-t-il un « espéranto » de la langue des signes ? [11/03/13 13:21:26] Kyle Duarte : There is International Sign which is a collection of signs that Deaf people use in international settings (like the World Federation of the Deaf congress or at certain academic conferences) but that isn’t used by anyone at home/natively. [11/03/13 13:23:27] Marielle Agboton : Where do you learn this langage if you don’t speack it at home ? [11/03/13 13:24:35] Kyle Duarte : By interacting with Deaf people in these international settings and asking each other what signs they like for this or that concept and then adopting it. It requires a lot of comprehension checking to make sure that the sign one is using is understood by the others in the conversation. Ce n’est pas une langue dans le sens où elle est pratiquée par un groupe de personnes tous les jours, mais simplement une collection de signes qui a été publiée par la fédération mondiale des sourds. L’accès est simple, mais il faut l’apprendre d’un livre d’une manière assez « unnatural » et non pas des personnes qui la pratique comme leur langue maternelle. [11/03/13 13:30:41] Marielle Agboton : Donc si deux personnes de nationalités différentes se rencontrent, elles n’ont pas de possibilités « naturelles » de communiquer ? 34
[11/03/13 13:32:39] Kyle Duarte : They ask where they are from and if either of them has any knowledge of one of their native languages. If not, they see if American Sign Language, International Sign, or (to a lesser extent) other sign languages can be used between them. Barring this, they simply gesticulate to try to communicate (and their conversation may be brief). [11/03/13 13:34:10] Marielle Agboton : Interprète/traducteur : tu y vois une différence ? [11/03/13 13:35:55] Kyle Duarte : Interpreters work with live language, that is with people who are speaking naturally ; their work is online in the sense that they likely cannot use reference materials during the work process to check accuracy. Translators work from frozen materials (texts, videos, etc.) and have the ability to double check their work before publishing it. [11/03/13 13:36:32] Marielle Agboton : Is it the same difference in French ? [11/03/13 13:37:47] Kyle Duarte : Yes, though the word « interpréter » in French is also strongly used by artists, it is correct to say that « un interprète fait une interprétation d’un discours » [11/03/13 13:39:56] Marielle Agboton : Diderot dans Le paradoxe du comédien affirme que c’est parce qu’il n’éprouve pas l’émotion qu’il représente que le comédien peut faire éprouver aux spectateurs l’effet suscité par cette émotion. Tu utilises le terme « frozen materials » pour parler de la traduction contrairement à l’interprétation. Quand tu interprètes, comment sens-tu ton corps ? [11/03/13 13:44:20] Kyle Duarte : When I do phone interpreting in the US (deaf people have videophones and I interpret their phone calls), I can see the deaf person and his/her emotions, and need to represent this auditorally to the hearing person on the telephone. The opposite is also true - the emotion in the voice of the hearing person needs to be portrayed visually in my body to the deaf person. My colleagues have expressed that I am able to portray both at the same time (by detaching what I’m speaking to the hearing person from how I’m acting to the deaf person), and can snap « out of character » once the phone call is finished. This perhaps comes from my experiences in theatre. [11/03/13 13:46:38] Marielle Agboton : OK donc tu établis clairement un rapprochement entre le comédien et l’interprète. [11/03/13 13:46:41] Marielle Agboton : Quelle est la place (en pourcentage) du visage dans la communication en langue des signes ?21 [11/03/13 13:46:51] Marielle Agboton : je veux dire approximativement… [11/03/13 13:47:56] Kyle Duarte : Percentage ? I’m not sure. But I know that without the face the message just doesn’t come across. 50 % ? 70 % ? [11/03/13 13:48:58] Marielle Agboton : Où en est ton projet d’avatar parlant la langue des signes ? Peux-tu en dire plus ? Quelles seront les qualités ajoutées à cet avatar ? Tu t’attaches à l’expressivité de son visage ? [11/03/13 13:50:40] Kyle Duarte : The project I worked on has finished, but another project seems to be continuing with the avatar. We had the first fully data-driven signing avatars out there with a very small budget, so we focused mainly on the hands and
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21 «Revenons à l’hypothèse de base qui veut que l’acteur humain emmagasine l’information dans son crâne, que cette information est cachée à notre vue par la peau et les os et que les traits de son visage constituent la membrane sensible sur laquelle il joue durant les interactions. » Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, p 504
arms with some generic facial information added. I think the new project is looking to refine the previous results. We asked people what they thought of the expressivitiy of the avatar and they rated a medium, so there’s definitely more work that needs to be done. [11/03/13 13:53:55] Marielle Agboton : Comment t’est venue cette idée de vouloir améliorer les avatars pour les personnes malentendantes ? Tu joues à des jeux du type Second Life ou autres ? [11/03/13 13:54:53] Kyle Duarte : I was hired into the avatar project (financed by ANR) as a PhD candidate. I’ve never played avatar games. I was asked to join the team as a linguist and a user of sign language as the rest of the team were computer scientists. My more general interest (beyond linguistics) is in providing access to deaf people, especially to and via technology [11/03/13 13:56:37] Marielle Agboton : Peut-on considérer que l’avatar numérique en raison de l’accroissement des nouvelles technologies est une sorte de nouvel interprète de la pensée ? [11/03/13 13:57:44] Kyle Duarte : In its own way, perhaps. Though I think it needs to be divorced from the human interpreter and considered in a different light for what it can and can’t do well. There is a lot of work to be done on signing avatars before they are completely understandable and accepted by deaf people. [11/03/13 13:59:20] Marielle Agboton : OK enfin je voulais savoir juste par curiosité : As-tu déjà eu une impossibilité à traduire ? Penses-tu que l’intraduisible existe ? Quelles sont les limites de l’interprétation ? [11/03/13 14:02:40] Kyle Duarte : As an interpreter my job is to get *everything* from one language/culture to another, but the paradox is that that’s often impossible. Chatting with other interpreters verifies this suspicion when we use both languages and both cultures to frame our understandings, our conversations. But the good interpreters manage to get some meaning across and know where to find equivalent meanings when direct meanings don’t exist (for example, saying that if I directly translated one thing from ASL to English, the meaning wouldn’t come across, but taking a looser translation and rendering it for emotion, style, or register would be more impactful). [11/03/13 14:03:38] Marielle Agboton : So you’re doing a creative job ? [11/03/13 14:04:43] Kyle Duarte : Yes, I think interpreters are some of the most creative people around. If they’re not creative, they’re bad at their jobs. The creative ones make it fun - they can translate jokes, sadness, know how to do something good with an unclear or difficult situation. [11/03/13 14:07:44] Marielle Agboton : J’ai vu un reportage sur les gens qui soustitrent les séries. Quand il y a des « jokes » qui s’appuient sur la sonorité du mot ou sur quelque chose de culturel, les traducteurs sont forcés d’user de leur propre humour pour rendre au téléspectateur l’intention des acteurs. Au final c’est un peu eux les humoristes… Je change de sujet pour terminer mais j’aimerais évoquer la question de la culture dans la langue. Selon toi, pourquoi les Québécois attachentils tant d’importance à la préservation de la langue française ? Penses-tu que c’est encore la dernière chose qui les différencie du reste du continent nord-américain ? Comment les Québécois sont-ils perçus par les Américains (Kyle est Californien) ? [11/03/13 14:11:31] Kyle Duarte : Yes, it’s their language. We each have a strong
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connection to our identities through language. As much as I enjoy speaking French, it’s difficult for me to be eloquent in French, and the opposite is certainly true for my French friends. Our values are encoded in language, our emotions, our lives. [11/03/13 14:12:39] Kyle Duarte : Quebeckers were seen as separatists and crazies by Americans during the protests. I’m not sure how much this sentiment remains, but Québec is definitely the « weird » part of Canada to us. But perhaps simply because they speak a different language ! [11/03/13 14:13:40] Marielle Agboton : But all the Québecois use expressions like « fucking », « faire des jokes »... Do you think they are lost between two identities ? [11/03/13 14:15:26] Marielle Agboton : Il y a quand même une loi qui prévoit des amendes aux propriétaires de magasins usant de mots anglais sur leur devanture… L’envie de préservation de la langue est un peu violente, non ? [11/03/13 14:15:50] Kyle Duarte : They live in a bilingual culture where they have easy access to English, so that maybe has an effect. I wonder if something similar happens in Belgium with the use of Dutch and French ? [11/03/13 14:16:28] Marielle Agboton : No because I think they are not against a whole continent ! [11/03/13 14:16:45] Marielle Agboton : situation géographique oblige. [11/03/13 14:17:29] Kyle Duarte : But the same might be said in the Deaf community - the language is what holds the community together and there is fear that cochlear implants will change the use of sign language by deaf children and that this will have a negative impact on the structure of the community. I completely understand that argument for anyone in a linguistic minority. [11/03/13 14:20:09] Marielle Agboton : La langue des signes va bientôt disparaître grâce à cette avancée technique laissant les « vieilles » générations en situation de minorité. C’est déjà beaucoup utilisé ce système ? [11/03/13 14:21:05] Kyle Duarte : Yes, since the 1980’s. Australia was one of the first countries to give implants to all deaf children, France does so now. There was a big defilement by deaf people against the French medical system that was testing for deafness at birth (and recommending cochlear implants for all deaf babies immediately versus presenting other options). This was 2-3 years ago. [11/03/13 14:42:01] Marielle Agboton : Merci beaucoup Kyle de m’avoir accordé du temps pour répondre à ces questions, c’est très étrange d’avoir communiqué par écrit, oral, et visio. Une interview complète en somme ! Bonne chance avec le ministère de l’éducation nationale, n’hésite pas à me tenir au courant des avancements. [11/03/13 14:45:41] Marielle Agboton : Appel terminé 1 heure 44 minutes 30 secondes
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Interview du 10 décembre 2012 Café Atlantico Anne Ayçoberry - comédienne
Anne est comédienne, elle travaille régulièrement avec Jean-Pierre Larroche et sera à l’affiche de son prochain spectacle « J’oublie tout ». Malgré une formation littéraire, Anne a une approche très minutieuse et mathématique des concepts philosophiques de présence. Son œil cartésien m’a tout de suite accrochée.
M.A : Es-tu d’accord avec l’affirmation « Le corps est l’exosquelette de l’âme » ? A.A : Tu entends le corps avec les organes et tout ça ? Oui en partie, parce que je pense que l’âme n’est pas fixée dans cet exosquelette, l’âme voyage et réintègre le corps quand elle veut, elle peut être assise à côté même. C’est quelque chose qui n’est pas interdépendant du squelette et qui peut être incarné dans le corps. L’âme a une vie propre. Dans la Kabbale, il y aurait un os tout au bout de la colonne vertébrale, tout au bout des vertébrés sacrées (ce qui reste chez nous humains depuis la perte de la queue animale). Accroché à la dernière vertèbre sacrée ce petit os imputrescible lors d’une crémation serait le logis de l’âme. M.A : Quand tu joues comment ressens-tu ton corps : traducteur, adaptateur, « incarnateur » du texte ? A.A : J’aurais tendance à dire les trois entremêlés. Si je me mets au service de la poésie je suis traductrice. Je traduis tel quel, la poésie se suffit à elle-même. Si c’est un rôle de composition mon corps est « incarnateur » à un tel point que comme le disait Jouvet, il laisse incarner l’esprit du personnage, l’être là et même le fantôme de ce dernier. Être adaptateur je le vis quand je travaille le clown, mon double c’est Troublie. La comédienne Anne est aux commandes de son véhicule Troublie. On se joue l’une l’autre et réciproquement. Mais moi, Anne j’adapte en permanence les abymes et les surprises de Troublie. 39
M.A : As tu déjà ressenti une contrainte physique pouvant gêner la traduction ou l’incarnation d’un rôle ? Comme un doubleur de voix qui doit respecter les mouvements de lèvres des acteurs à l’écran et voit son texte tronqué. Ou un acteur qui n’aurait que deux minutes pour effectuer un changement de costume et serait essoufflé pour le personnage suivant. A.A : J’ai eu un trou de texte qui m’a collé une tétanie au début de ma carrière, la place Kleber était noire de monde. Je jouais La prose du Transsibérien de Blaise Cendrars avec le collectif Trans Neurone Express. Tétanie physique et verbale donc je suis repartie en coulisse et quelqu’un m’a renvoyé sur scène. C’était réparé. Comme je suis quelqu’un un de grand, j’ai un problème avec le sol. J’ai fait un stage de Butô une fois. Cette danse se constitue dans l’enracinement, l’arrondi. Les japonais ont les jambes arquées en raison de la position en tailleur adoptée depuis des générations. Du haut de mes 176 cm, il y avait plus de squelette à déplacer, j’ai eu une conscience assez rapide de mes limites. Cependant dans le métier d’acteur, on se confronte souvent aux limites du corps et on les repousse. On doit réactiver constamment la mémoire physique et corporelle pour raccorder les moments narratifs. M.A : Adaptation, traduction quelles différences ? Quel est le plus juste dans une autre langue ? A.A : Ne pas traduire, adapter. Se fier à la relation, au rythme de la langue, aux accents toniques. La langue étrangère vient à moi, je la laisse faire au risque de ne pas comprendre tout. On a un rapport identique à la poésie. Rythme et sonorité sont prioritaires, il y a autre chose que le sens qui se trimballe. On parle de rythme syncopé, cette syncope c’est peut-être vivre l’évanouissement du sens… M.A : « La traduction n’équivaut pas du passage direct d’une langue à une autre mais à une succession d’étapes consistant à comprendre le texte original, à déverbaliser sa forme linguistique et à exprimer dans une autre langue les idées comprises et les sentiments ressentis. En outre la bonne connaissance de la langue de départ et la maîtrise de celle d’arrivée auxquelles s’ajoute un certain savoir encyclopédique ouvrent l’accès au sens original »22. As-tu déjà fait du doublage ? A.A : Non mais je peux pas me figer derrière un micro quand je bosse à la radio. Si on me ligote je ne parle plus. J’ai été un double dans l’ombre qui donné la traduction en français pour un acteur anglais. Dans ce spectacle, j’étais au service de l’acteur étranger, je me suis mise dans les marques du corps et de la parole de ce dernier. Je connaissais le texte à l’avance mais j’étais obligée d’être au présent de ce qu’il disait.
22 Gisella Maiello, La traduction à l’ombre du doublage : révolution et évolution
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M.A : Penses-tu qu’il soit toujours possible de rendre un produit culturel appréciable dans un contexte différent de celui qui a marqué sa création ; tout en respectant l’identité culturelle originelle de ce produit ? A.A : Si le travail est entrepris par la même équipe, la structure matrice du spectacle est prise en charge, il y a juste un basculement linguistique. La dramaturgie est identique. Quelque chose se déplace uniquement sur le registre émotionnel. Dans le cas d’une reprise par des étrangers, il y a beaucoup de perte de sens mais beaucoup de nouveauté aussi. Il y a forcément re-création. On ne peut se mettre dans les pas sans apporter ses propres choses. Sinon c’est un exercice de style, une réflexion sur l’imitation. Mais pour que ça vaille le coup il faut un grand maître. Moi j’aurais aimé imiter Dario Fo pendant un an… M.A : Le corps et la géographie terrienne peuvent-ils être une limite à l’émissionréception des sentiments ? A.A : La confrontation du trop déborde, à tel point qu’on ne peut plus communiquer. Dans la corporéité, le trop ne peut trouver sa place. Deleuze parle de sentiment de puissance, soit on a les moyens de l’exprimer par l’art ou la musique soit on n’a pas l’occasion et on est frustré. Quand une chose est trop vaste, tu ne peux rien en faire. Une chose trop grande ne trouve pas son logis dans l’habitacle de notre corps, trop étroit. Il y a une dichotomie corps/esprit, l’esprit est plus vaste que le corps. Quand on le localise comme dans la kabbale, c’est nous humains qui le localisons mais il est beaucoup plus rebelle. Là, tu bosses ton diplôme, si tu ne bosses pas tu culpabilises, ton âme elle s’en fout ! M.A : Connais-tu des interfaces spatiales ou temporelles au sein desquelles les réalisations n’ont aucunes limites ? A.A : Quand tu fais l’amour. La corporéité et temporalité sont explosées dans un même temps pour deux individus. On a des petits ersatz de ça dans la vie quotidienne. Moi il m’arrive de percevoir le temps, tout se suspend, c’est à ce moment que quelque chose de moi s’absente et puis je perds mes clés. Même si ça pose un peu problème dans la vie, j’adore ces moments. M.A : Fais-tu partie de réseaux sociaux ou joues-tu à des jeux en ligne ? Te crées-tu un personnage assumé comme fictif ou essayes-tu de tendre à un niveau de réalisme quant à ta personnalité ? A.A : Je joue jamais avec les jeux. Je suis une résistante, je ne comprends pas la notion de réseaux sociaux, ça me dérange, ça ne m’intéresse pas. Si je devais me créer un artefact, un double, un avatar, je ne m’affublerais pas de qualités que je n’ai pas. Je ne m’inventerais pas autre. C’est par le verbe que ça m’intéresse de m’inventer. J’ai des petits seins, je les garderais. J’aime créer des fictions en présence du vivant, du charnel. Dans le travail que je fais avec Troublie je suis mon propre metteur en scène et je suis transformée physiquement. Je travaille le clown sans les codes du clown, je n’ai pas de nez rouge. Ce personnage je l’ai créé de toutes pièces, c’est moi et pas moi. 41
Sur la toile je tenterais une traduction la plus fidèle de moi-même. Je remplirais dans la case passion les cent titres de chansons que j’aime, je remplirais les voyages. J’invente souvent des systèmes pour classer de façon méthodique et je les mets régulièrement à jour. C’est passionnant de tenter de décrire un moment précis avant un changement engendré par le perpétuel mouvement de la vie. Perec a décrit neuf ans durant, depuis la vitre d’un café, l’environnement de celuici en perpétuel changement. Au cours des 9 ans, il a perçu le vieillissement des choses accompagné de son propre vieillissement. Ce dernier il le perçoit par la métamorphose de son écriture et de sa graphie. J’écris méthodiquement des épisodes de ma vie pour créer des spectacles : c’est ça mon réseau vivant. Et quand je convie des gens ce sont mes événements, la personne invitée peut exprimer des commentaires par rapport à ce qu’elle a vu. Elle peut faire « j’aime » ou « j’aime pas ». De manière générale, je bâtis de la fiction sur du réel. Je regarde les fenêtres des immeubles en face de chez moi et j’aime imaginer comment vivent les gens grâce à de petits détails. Une fenêtre ça donne des indications sociologiques sur comment vivent des personnes. M.A : Il y a six mois tu me disais que tu ne te souvenais jamais de tes rêves mais toujours de tes placements de conscience dans la temporalité. Cette manière de vivre un rêve est-elle liée à l’importance pour toi de pallier les limites de mouvement de ton propre corps dans la vie ? A.A : Je me souviens jamais de l’histoire dans mes rêves, je n’ai pas de corps. Je ne sais pas si mon corps est trop grand et qu’il embrasse tout ou s’il a disparu. La thèse qui englobe tout c’est une vision cosmique qui est jolie aussi. L’esprit s’affranchit-il de l’enveloppe matérielle ou agrandit-il cette enveloppe de façon considérable ? M.A : Pourrais-tu me dessiner un schéma représentant les différents placements de ta conscience sur le terrain de rêve de ta nuit précédente ? A.A : Sûrement.
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Extraits de Koyaanisqatsi, Godfrey Reggio
Le corps comme cadre d’image Sac de peau et image de soi « Les enfants mettent longtemps à savoir qu’ils ont un corps. »
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Le corps, la chair est un contour du moi. Un rayon de notre possible champ d’action. La prise de conscience de son contour, de sa propre image est un arrachement au monde puisque les enfants, à leur naissance, n’ont pas conscience d’être séparés de leur environnement. L’acceptation et la reconnaissance de cet « outil » qu’est le corps sont indispensables pour communiquer avec son environnement. Dans L’enfant du miroir, Françoise Dolto, inspirée des travaux de Lacan sur le stade du miroir chez l’enfant – moment où l’enfant prend conscience de sa propre image, définit le reflet personnel comme un substrat relationnel à l’autre. La vision des contours de sa représentation amène le sujet (jeune enfant) à se considérer comme un individu détaché de son environnement. Cette découverte s’accompagne d’une nécessité de défendre son identité. En prenant conscience de notre image nous prenons conscience que nous ne sommes pas l’autre. L’image provoquée par le reflet de notre propre corps s’accompagne d’un basculement de l’expérience, du ressenti et de la sensation au mode de la représentation, de l’image, du spectacle. L’image que renvoie le miroir est un espace inaccessible dans lequel nous ne pourrons jamais être et à la fois à la preuve que notre corps n’est pas simple utopie. « ténèbres bourrées d’organes. Le corps d’autrui est devant moi. »24
Topie impitoyable25 Le choix de notre cadre de présentation est indépendant de notre volonté. Nous sommes « condamnés » à ce lieu sans recours qu’est le corps. Nous ne choisissons pas notre couleur de cheveux, notre taille ou la forme de notre visage. À ces caractéristiques biologiques, s’ajoutent celles des normes culturelles et sociétales. On peut concevoir une vision fataliste de l’apparence en se résignant à « accepter la nature des choses » ou encore envisager le corps comme un cadre d’expression qui intègre des paramètres autres que biologiques. L’ancrage des doubles virtuels dans notre quotidien est un exemple de remise en cause de la biopolitique énoncée par Foucault. « Nous sommes tous des chimères, hybrides de machine et d’organisme d’abord théorisés puis fabriqués : en un mot, des cyborgs»26
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23 Michel Foucault, Le corps utopique, p 18 24 Maurice Merleau Ponty, La prose du monde, p 185 25 Michel Foucault, Le corps utopique, «Mon corps, topie impitoyable.», p 9 26 Donna Haraway, Le manifeste cyborg, p 269
Dan Graham, Public Space/Two audiences, 1976
Extrait de Françoise Dolto, L’enfant du miroir, p 14
De la barbaque et de la fiction « L’homme sans mythologie de l’homme, c’est de la barbaque. » Romain Gary
Dans son livre L’espèce fabulatrice, Nancy Houston qualifie l’espèce humaine de « fabulatrice », parce qu’elle se différencie des autres par sa capacité de narration, celle d’inventer des histoires pour donner sens au réel qui l’entoure. La construction d’une identité est longue et l’individu deale au quotidien entre sa condition et sa représentation : « Nom, prénom, diplômes, race, religion, convictions politiques : autant d’accoutrements que l’on accroche sur ce personnage que l’on appelle moi »27. La narrativité qui s’est développée chez notre espèce est une technique de survie.
« Votre corps est votre scène. » « Ce qu’il faut savoir pour comprendre notre monde, c’est que chacun y est à la fois participant et spectateur. Et n’oubliez jamais que votre corps est votre scène. » Javier Ninja, performeur social Créé dans les quartiers de Harlem, à New-York, au début des années 1960, le voguing est une forme de performance sociale pratiquée principalement par les gays, lesbiennes et transgenres d’origine afro-américaine et latino. Le voguing imite des types sociaux liés au monde de la mode, du luxe et du business. Les danseurs prennent des poses directement tirées des défilés ou des shooting photo de mode. Bien qu’il soit originairement lié au monde de la danse le voguing est devenu une attitude et une manière de vivre. L’esthétisation de leur personne pratiquée par les vogueurs est sans limites d’espace ou de temps. La représentation est ici consommée au quotidien et tend à devenir une expérience à part entière. Ce phénomène de starification de soi par la pose est de plus en plus présent dans les clips (Beyoncé, Lady Gaga, battles de hip-hop…), et est repris par la population sur les réseaux sociaux par le biais de la photographie (syndrome du duckface et de l’autoportrait à bout de bras). Dans le cas du voguing ou encore du life logging (pratique qui consiste à enregistrer et archiver toutes les informations de sa vie), les individus choisissent l’image qu’il souhaite renvoyer d’eux-mêmes. L’image du corps comme scène est assez juste si l’on considère que l’individu est son propre metteur en scène. Par des objets comme Memoto (petit appareil qui se porte autour du cou et prend une photo toutes les 5 minutes) ou Facebook, l’individu s’octroie la possibilité de multiplier les points de vue sur lui-même et de choisir le cadrage qu’il souhaite donner à voir au monde. Le point de vue unique imposé par le corps se trouve repoussé. Mais de la même manière, la présence au monde semble atténuée par la fascination de l’image renvoyée et par la volonté de contrôle sur celle-ci. 27 Nancy Houston, L’espèce fabulatrice
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Ci dessus Gauche : Madonna, extrait du clip Vogue, 1990 Droite : anonyme, autoportrait à bout de bras, 2013
Theatrum mundi/jeu de rôle « Le monde entier est un théâtre Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »28 En employant le terme Theatrum mundi, les baroques revendiquent une lecture du monde à travers le théâtre et la mise en scène. Le monde est scène et chacun joue un rôle. Ce qui suppose que personne ne révèle jamais sa vraie nature. Goffman dans les cadres de l’expérience, tient un propos plus modéré en considérant un espace de repli : les coulisses. Il affirme que « chaque monde social est une scène. »29 L’individu en fonction du milieu dans lequel il se trouve se voit contraint d’adopter un certain comportement. Un individu endosse donc plusieurs rôles au cours de son existence selon les lieux qu’il fréquente (étudiant, fils de, serveur, touriste) et selon la période de sa vie (fils de, père de,…). Le point de ralliement entre tous les personnages interprétés est l’interprète, soit le corps. Cette matière dont chaque individu est doté est une sorte de point de rencontre entre les différents rôles qu’il peut interpréter. Dans le film Holy motors de Leos Carax, les histoires contées n’ont rien à voir entre elles, le seul lien que le cinéphile peut établir est la présence d’un corps qui se déplace d’un monde à l’autre. L’histoire est celle d’un comédien qui semble ne pas avoir de vie puisque les seules coulisses qu’il expérimente se trouvent être les trajets en voiture qu’il effectue pour se rendre d’une « scène » à une autre. Léos Carax choisit dans ce film de mettre en abyme de manière extrême le paradoxe du comédien qui voyage de vie fictionnelle en vie fictionnelle sans jamais avoir la sienne. Clov : À quoi est-ce que je sers ? Hamm : À me donner la réplique.30 Ce type de problématique a souvent été abordé par Luigi Pirandello, maître dans la manipulation de cadres dans la narration. Les pièces qu’il a écrites posent le problème des apparences et de la réalité. Dans Six personnages en quête d’auteur, c’est le couple acteur/personnage qui est mis à mal et remet en cause les limites de la représentation en confrontant comédiens interprétant leur propre rôle et comédiens dénonçant la facticité de leur propre métier par le biais de personnages qui se veulent réels.
28 William Shakespeare, Comme il vous plaira 29 Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne 30 Samuel Beckett, Fin de partie, p 81
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2013 : Gérard D Je me souviens avoir lu ceci dans un journal1 au début de l’année : « Déjà au moment de Potiche, Gérard avait fait des déclarations intempestives contre des grèves (il avait alors qualifié le mouvement social contre la réforme des retraites de « ridicule ») alors qu’il jouait un communiste dans mon film. » Dans cette déclaration, Ozon exprime une déception quant à la décision de Gérard Depardieu de se désolidariser de la France en raison de la fiscalité. Bizarrement, François Ozon se sert d’arguments en corrélation avec des rôles qu’interprète l’acteur, pour justifier sa déception. À cette période le cadre est tout autre puisqu’il s’agit de la vie du comédien et de ses choix politiques. En lisant cet article, j’ai réalisé que la frontière entre les rôles que l’on interprète et ce que l’on est vraiment peut être très poreuse et que l’espace de coulisses des individus se rétrécit constamment. 1 Les Inrockuptibles , «1948-2013, c’était Depardieu», n°894, 16 au 22 janvier 2013
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Second life ou tenter de rentrer dans l’image Pourquoi interviewer un couple qui se dispute au sujet de l’ouverture d’une boîte de nuit, un homme qui se travestit en chat dans sa vie amoureuse et un pasteur qui a ouvert une église virtuelle ? Parce que ces entités existent et peuvent se côtoyer dans un même monde. Second life, monde de fantasmes qui permet de ne plus subir de contrainte matérielle : corps, argent ou encore normes sociales en vigueur. Le seul cadre de cet univers se résume à un objet assez petit, un écran d’ordinateur et quelques pixels. La projection opère, elle déborde même quelquefois quand on se rend compte que le couple de la boîte de nuit peut échanger de violents propos au milieu de leur cuisine. Dans The cat, the reverend and the slave, les débordements fictionnels engendrés par la pratique du jeu Second life dans les vies des joueurs montrent que la réalité et la fiction ne sont pas complètement étanches. La frontière normalement prise en charge par les bords d’un écran d’ordinateur semble certaines fois être débordée dans le documentaire que proposent Alain Della Negra et Kaori Kinoshita. Le cadre de réalité partagé par les joueurs est immatériel. Il n’y a pas de limites de temps ni d’espace. Second life est un vase clos régi par des normes propres : une sorte d’hétérotopie au milieu d’un salon. Car dans le jeu, il y a tout de même de petites conventions à respecter comme le prouve ce témoignage de joueur : « Tout le monde doit respecter les rôles, le truc qui me saoule, tu vois, c’est genre un elfe qui parle mal, qu’est grossier ou pire qui écrit en SMS. » L’utilisation d’avatars sur Second Life bien qu’elle annule la matérialité des corps est tout de même régie par des corps réels à distance. Autrement dit qui tient la souris d’ordinateur ? Encore de la chair ! De la chair qui s’épuise et qui ira se coucher après avoir passé six heures d’affilée devant son écran. La situation du jeu est donc influencée par des corps réels qui prouvent que la réalité des besoins du joueur n’est jamais loin derrière. Second life est-il un nouveau moyen de réalisation de tous les fantasmes ? Pas sûr, quand la fiction tente de passer derrière l’écran, les tentatives se soldent souvent par un échec. Prenons l’exemple de deux joueurs qui se fiancent dans Second life et décident de se marier dans la vie numéro 1 – autrement dit la vie « réelle ». Tentative de passage du virtuel au réel. échec : les jeunes tourtereaux fauchés habitent deux continents différents dans la vie numéro 1. Le passage d’amour de la vie numéro 2 à vie numéro 1 s’avère irréalisable. Passage impossible faute de conditions matérielles favorables. Les fantasmes et désirs que le jeu procure sont enfermés dans l’écran, ils ne peuvent exister hors de ce cadre la plupart du temps.
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Haut : Capture d’images du film The cat, the reverend and the slave, Alain Della Negra et Kaori Kinoshita Bas : Capture d’image du film Le roi et l’oiseau, Paul Grimault
D’autres types d’échanges entre fiction et réalité peuvent être recensés, moins heureux. Récemment il y a eu des cas de viols dans le jeu. La question est la suivante : quel est le degré de réalité d’un viol sur le jeu à l’heure où nous vivons de moins en moins de notre corporéité ? « Ce qui se passe dans un corps réel et ce qui se passe dans un monde virtuel n’est pas forcément réel, mais n’est pas non plus du “faire croire”, du semblant. La signification émotionnelle est très importante. Le sens est dans l’émotion. Dans la « vraie vie », le corps est une très bonne limite, car il y a notre peau. Mais la chair n’est qu’une des limites de notre intégrité. Les mots peuvent tuer. »31 Ces incidents peuvent amener à se questionner sur la prise d’importance du signe dans nos vies. Les images ou les mots semblent prévaloir sur l’expérience vécue, sur les conditions matérielles de réalisation. Les corps sont désengagés des événements de la vie et les individus peinent à discerner les effets de leur pensée sur le monde extérieur. Sinon comment expliquer l’histoire de Benjamin qui voulait faire une boum pour ses 14 ans et comptait convier 29 amis chez ses grands-parents le 11 mai dernier ? « Après quelques coups de fil pour préparer sa fête, une de ses amies prend la liberté de créer un « événement secret » sur Facebook pour faciliter la diffusion de l’information. Chaque invité peut, s’il le souhaite, proposer de venir à un maximum de 60 personnes. Cela permet généralement de convier quelques amis communs oubliés. Mais cette fois-ci, les choses dégénèrent et, pour une raison encore inconnue, l’événement anodin est devenu viral : en moins de 48 h, près de 33 000 personnes sont invitées et continuent à leur tour de transmettre l’information. »32 Ce fait divers est une parfaite illustration du désengagement du corps. Un simple mouvement du doigt et clic, on engendre le déplacement physique de plus de mille personnes. L’effet papillon guette l’index des internautes. L’implication du corps est nécessaire à la prise de conscience de notre impact sur ce qui nous environne. Le jeu est une interface de liaison entre le monde intérieur et extérieur d’un individu, une sorte de liquide amniotique qui propose une interaction des désirs. Comme dans le cas des viols, le moindre choc extérieur (intervention d’un membre de juridiction) affaisse le sentiment ludique et peut ramener à la réalité. À l’inverse, le joueur peut s’abandonner au jeu au point de « reléguer la conscience, de seulement jouer au second plan ».33 Freud écrit en 1908 : « Chaque enfant qui joue se conduit comme un écrivain, dans la mesure où il crée un monde à son idée, ou plutôt arrange ce monde d’une façon qui lui plaît… Il joue sérieusement. Ce qui s’oppose au jeu n’est pas le sérieux, mais la réalité. »
31 Julian Dibbell, journaliste en culture digitale 32 Article vu sur www. lamontagne.fr 33 Johan Huizinga, Homo ludens, p 41
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Haut : Capture d’images du film The cat, the reverend and the slave, Alain Della Negra et Kaori Kinoshita Bas : Photo de bac à sable, anonyme
Winnicot au sujet de Second life parlerait d’aire transitionnelle34 : aire de jeu et de création pour aller à l’encontre de l’autre. Cette aire transitionnelle est considérée dans le développement de l’enfant comme un passage obligatoire de rencontre avec l’altérité, avec ce qui est autre que soi. Face à l’engouement d’adultes pour des phénomènes de ce type on peut se demander ce qu’il se passe quand l’aire transitionnelle devient principale ? Peut-on vivre dans un jeu ? Une représentation ? Une image ?
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34 Winnicot, Jeu et réalité
Le carnaval, rencontre des apparences Bâle Le carnaval de Bâle a lieu chaque année en février, et s’étale sur plusieurs jours. Sa particularité réside dans le fait qu’il débute à 4 h du matin. Avec la « complicité » municipale, les lumières de la ville s’éteignent et un train bondé de curieux débarque à 3 h 48. A 4 h tout le monde est dehors dans le noir avec pour seul éclairage les lumières des chars. Au carnaval de Bâle, seuls les membres des cortèges sont déguisés. Les costumes sont homogènes et très beaux, on dirait qu’ils ont été fournis par la ville. Le public est clairement spectateur bien qu’il puisse suivre les parades en s’inscrivant derrière leur pas. Le peu de gens qui, comme moi ne connaissent pas la tradition et sont venus masqués, retirent leur tenue d’apparat en moins de deux minutes. L’espace de représentation est nettement repérable sans pour autant être balisé physiquement. La marche des masques est réglée et personne n’ose traverser celle-ci. Pour sortir de la représentation les participants enlèvent leur masque et se rangent sur le côté ; à ce moment plus personne ne les regarde. La pause effectuée ils reprennent leur place dans le cortège. Tout le monde s’écarte pour leur faciliter le passage. Il n’y a pas beaucoup de bruit, les gens n’ont bu que de la soupe à l’oignon et quelques bières, personne ne crie pour ne pas couvrir la petite musique des milliers de flûtiaux qui circulent dans la ville, il y a même des enfants, c’est franchement beau, peut-être un peu trop. À Bâle, le carnaval n’est plus la fête des fous, tout est bien réglé.
Bâle VS Moyen-Âge
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Bakthine à propos du carnaval moyen-âgeux nous explique qu’il se présente comme un événement qui se délimite dans le temps et non l’espace. Ainsi le carnaval s’étale dans la ville durant plusieurs jours et touche tout le monde. Cette caractéristique permet le partage. Le carnaval est un espace d’utopie concrétisé où tous les rôles peuvent être échangés. C’est le moment où le fou est réintégré dans la société et peut échanger son rôle avec quiconque. Le carnaval offre une seconde vie où de nouveaux rapports peuvent être expérimentés. Il est, à cette période, une grande expérience vécue collectivement et encadrée par la bienveillance des autorités qui permettent, pendant un temps donné, à la population de se défouler. La tradition du carnaval est désormais moins radicale puisqu’à la limite du temps s’ajoute celle de l’espace ( comme le montre le balisage de l’itinéraire des cortèges par les autorités municipales), qui permet à chacun de faire le choix de rentrer ou non dans ce cadre de festivités. Aussi bien au Moyen-Âge que de nos jours, le carnaval peut s’apparenter à une folie encadrée par les autorités.
Schématisation 1 : espaces de représentation dans la ville de Bâle à un instant t de la nuit du 17 au 18 février 2013. Des petits blocs de représentation se déplacent de manière à former des boucles. Chaque bloc peut s’évanouir le temps d’une pause. Schématisation 2 : espace de représentation lors d’un carnaval au Moyen âge. Les limites sont temporelles. Le Carnaval s’apparente davantage à une expérience.
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New Orleans : Compromis
Le carnaval est encore très présent à la Nouvelle Orléans et la tradition des colliers jetés depuis les chars peut être interprétée comme point de contact entre la représentation et les spectateurs de la parade. Le lien est opéré par la séduction des apparences puisque les colliers sont destinés à récompenser un costume jugé beau. Le carnaval de la Nouvelle Orléans est à mi-chemin entre le carnaval moyen-âgeux et le carnaval de Bâle. Il se situe à la confluence de la représentation et de l’expérience puisque le public se déguise et participe à la parade, il est même un élément à part entière de cette dernière tout en ayant la possibilité d’être simple spectateur. Le carnaval inscrit un caractère fictionnel aux lieux, individus, actes qui se produisent durant son déroulement. La fiction engendrée par l’événement et la réalité qui l’accueille se côtoient et se fondent durant la fête, les conséquences de cette fusion peuvent s’inscrire et perdurer même après la fin de celle-ci. Il n’est pas rare que deux « personnages » décident de se rencontrer après l’événement pour se présenter mutuellement l’individu sous le costume.
Extrait de Treme, David Simon
Grand carnaval 2.0 Le phénomène du carnaval est aujourd’hui actualisé par des pratiques éphémères telles que le Gagnam Style ou encore le Harlem Shake apparu en début d’année. De simple spectateur, il est très simple de devenir acteur et de faire pleinement partie du mouvement. Dans le cas du Harlem Shake, l’élément déclencheur est un trublion qui, seul, transgresse les règles établies et introduit le désordre dans l’ordre social de l’endroit dans lequel il se trouve. Il suffit d’un appel, « Con los terroristas ! », pour que l’environnement paisible et équilibré se transforme en un lieu orgiaque où tout « semble » permis. Ce type de pratique peut être assimilé à une sorte de Carnaval éphémère qui peut surgir n’importe où et n’importe quand. Déclenché par un désir de « chaos », sa durée est assez courte et l’expérience qu’il provoque a pour but d’être « youtubisée ». Ce type d’événement sous ses aspects incontrôlables est soumis à un cadre si non plus puissant qu’une autorité juridique (comme le carnaval traditionnel) : l’autorité médiatique. Car ces actions qui ont pour but d’être enregistrées et diffusées, seront soumises au jugement des autres internautes. De manière plus organisée, le humping pact, instaure à des fins de représentation (photo grand tirage), la possibilité de participer à une expérience collective. Ses organisateurs Diego Agullo et Dmitry Paranyushkin, proposent aux participants, prérecrutés sur internet, de se rejoindre dans des lieux pour « les pénétrer » ensemble. Ces événements sont alors captés et exposés. L’action collective aide à sortir du cadre (par le courage qu’elle donne à chacun). Mais peut-être très vite recadrée par la pression de la médiatisation. La volonté d’expériences est de nos jours constamment biaisée par les possibilités de représentation qu’elle propose.
Beursschouwburg stage, The Humping Pact, 2012
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Harlem Shake dans une caserne de l’armée militaire américaine
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Le souci économique Les essais d’expériences et de performances en art sont eux aussi biaisés par les contraintes de la représentation. Marina Abramovich quand elle performe Seven easy pièces au Guggenheim impose à ses spectateurs la vision de son caméraman au sein de son dispositif dans le but de capter sa performance. La performance qu’elle propose est devenue vidéo performance par la simple présence du « preneur d’image » dont on se demande si elle a été intégrée ou non à la performance. En revanche dans ses productions vidéos finales, l’aspect technique des performances de Marina Abramovich est complètement évincé, pas la moindre trace du preneur d’images ou de quelconque technique. La qualité des rendus en vue d’une documentation semble quelquefois plus importante que l’expérience vécue par les performeurs et les spectateurs présents. Face à ces phénomènes, on comprend que les artistes sont soumis à une forte demande de documentation et de preuves quant à leur travail face aux gestionnaires de musées dans l’obligation de médiatiser, montrer et vendre quelque chose au public et acteurs du marché de l’art contemporain. Certains artistes pour parer ce fonctionnement intègrent la présence de cette médiatisation dans leur dispositif et s’en servent à leur fin comme peut le faire Dan Graham dans la plupart de ses installations. Ou encore comme Pipilotti Rist qui crée des performances à destination du médium vidéo. Dans Ever Is Over All, elle incarne une femme en robe bleue, fleur à la main qui crée le chaos sous le regard bienveillant des autorités suisses. Cette action s‘apparente à un bris organisé des règles sociales dans un temps bien précis. Audelà du paradoxe entre l’apparence de la femme et son action brutale, cette vidéo met en tension la violence de la performance et sa restitution vidéo qui s’apparente à un clip lisse et doucereux prêt à être diffusé sur MTV. Stephen Wright35 au sujet des « reliques performatives » parle « d’art déceptuel », qui allie concept et déception, car l’expérience engendrée arrachée au contexte et au processus se trouve affaiblie quand elle est retranscrite ou présentée dans une structure institutionnalisée comme les musées ou les théâtres, « cadroir », comme il l’appelle. Ces espaces neutres voire neutralisants, qui transforment l’art en culture et le soustrait du réel et de la vie. Tino Seghal est célèbre pour refuser de documenter son travail. Cette résistance à la médiatisation et à la logique du marché de l’art trouve son origine dans un refus d’« auratiser » les traces de l’expérience et de donner plus d’importance à la relique qu’au moment présent. Même si en définitive, ce mystère autour de ses oeuvres est une sorte de médiatisation plus fine. Le dispositif de présentation de l’expérience artistique reste un problème majeur à l’heure où de plus en plus de pratiques émergent hors des cadres légitimant et où les interventions artistiques sont plus courantes que les œuvres d’art. Dans une logique de désœuvrement, comme la nomme Wright, comment distinguer la proposition artistique de la « simple réalité ordinaire » ? Au-delà des vitrines, socles, scènes et cartels a-t-on encore besoin de seuils matérialisés pour identifier les contours de l’œuvre ? 35 Stephen Wright, Vers un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur, 2006
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Pipilotti Rist, Ever Is Over All, 1997
8 février 1965, Café au Go-Go, New-York. Moi, m’adressant au public : « Mon nom est Filliou, donc le titre de mon poème est : Le Filliou idéal C’est un poème action et je vais le présenter : Ne rien décider Ne rien choisir Ne rien vouloir Ne rien posséder Conscient de soi Pleinement éveillé TRANQUILLEMENT ASSIS SANS RIEN FAIRE. (Puis je me suis assis en tailleur sur la scène, immobile et silencieux.) »
Le corps-caméra « Expérience » provient du latin experiri : « faire l’essai de ». Expérimenter suppose de ne pas savoir où l’on va, l’expérience détruit ce que l’odre des choses exige de ne pas bousculer. L’expérience suppose un débordement. Dans le cas du processing art, le résultat est moins important que l’activité, il s’agit de rendre justice à cette dernière. Stephen Wright parle d’action qui produit de l’être. Comme si vivre, exister était déjà en soi un travail artistique. « La question est la suivante : si l’art semblable à la vie ne ressemble pas à l‘art tel que nous l’avons connu mais ressemble à la vie réelle, qu’est ce qui en fait alors de l’art ? » 36 Les ready-made de Duchamp ont bouleversé l’histoire de l’art, car ils ont ébranlé le statut d’œuvre d’art en jouant sur la notion du cadre (que ce soit par le fait de désigner un objet comme œuvre d’art ou de le placer dans un «cadroir »). Le ready made est un mouvement vers la représentation puisqu’il immortalise un objet du quotidien en l’élevant au rang d’œuvre d’art. Le chemin inverse du ready made, le ready made inversé consistant à « se servir d’un Rembrandt comme table à repasser », seul exemple proposé par MD me semble être une piste judicieuse pour comprendre le passage de la représentation à l’expérience. Après des siècles passés à distinguer l’objet artistique du simple objet ordinaire, l’émergence de la performance semble être ce mouvement du retour de l’art à ses origines « vivantes ». « Au lieu de créer une image ou un événement objectif destiné à être vu par quelqu’un d’autre, il était question de faire quelque chose et d’en faire l’expérience soi-même. » 37 Ces représentations ne racontent pas vraiment d’histoire, la scène n’est pas clairement délimitée, et les interprètes semblent parfois improviser : ils provoquent le plus souvent scepticisme et perplexité. Le happening entraîne ou n’entraîne pas le spectateur. Les actions attribuées peuvent être particulièrement brèves (crier dans le métro juste avant de descendre) ou discrètes (rester sur un pont ou à un coin de rues jusqu’à ce que 200 voitures passent) : elles brouillent une limite, celle du happening avec la vie. « Les événements évoluent d’une forme concentrée et très théâtrale vers la simplicité et l’ordinaire, où ils se mêlent et se fondent aux activités de la vie quotidienne » expliquait Kaprow. Dépourvu de spectateurs, divorcé de la théâtralité des débuts, le Happening a accompli sa mue vers ce que Kaprow commence à nommer une « activité ». Par l’introduction du concept « d’environnement », il semble que Kaprow, souhaite réintroduire la présence et l’utilisation du corps, son corps ou celui des spectateurs par le biais de scripts d’action. 71
36 Allan Kaprow, L’art et la vie confondus, p 255 37 Allan Kaprow, L’art et la vie confondus, p 231
Influence bouddhiste L’attention extrême portée à son corps en forçant ses pensées à ne pas aller ailleurs est déjà une forme d’art pour Kaprow. Cette volonté d’unité profonde entre le corps et l’esprit laisse deviner une influence de la pensée orientale chez la plupart de ces artistes. « Le langage corporel contient la base d’une vraie science de l’homme gui tente de renouer avec toutes les forces de l’inconscient, avec la mémoire de l’humain, du sacré, avec l’esprit : psyché, avec la douleur et la mort, pour restituer au conscient sa force première : les secrets de la vie, culture du mouvement même de la vie, culture que, nous, gens trop intelligents, ne pouvons plus comprendre. » Antonin Artaud C’est probablement en tenant compte de cette vision des choses que des artistes comme Pane, Burden ou Kaprow mettent en jeu leur corps de manière plus ou moins dangereuse dans des actes relevant de la vie quotidienne (elle-même plus ou moins « quotidienne » puisque tout le monde ne se fait pas tirer dans le bras à bout portant toutes les semaines). Kaprow parle d’« entraînement pour essayer de sortir du moi coupé du monde.» 38 L’art semblable à la vie est un moyen de recoller les réalités morcelées en une expérience qui sera synthétisée par le corps. Les premiers essais dont il parle s’apparentaient à des évolutions de ready-made, mais il souligne qu’il n’arrivait pas à éviter les dispositifs qui formaient des cadres. La seule évolution possible à cette impasse a été « d’aller vers une vision radicalement différente du monde, dans laquelle la réalité serait une « étoffe d’une seule pièce » » 39 Voici les exemples qu’il cite pour illustrer son propos : un artiste qui devient maire, une femme qui s’entraîne à reproduire la même promenade tous les après-midi. « L’art est un tissu d’activités qui fait sens avec une ou toutes les parties de nos vies. »40 Cet élargissement du champ de l’art à des préoccupations religieuses, politiques, philosophiques, historiques, scientifiques, sociologiques, etc. est une mise en application directe de ses lectures de John Dewey41. Cette dissolution de l’art dans les sources de vies annonce un requestionnement philosophique quant à la manière d’envisager l’existence. Kaprow commence à s’intéresser au Bouddhisme. De nombreux artistes de cette période ont adopté cette pensée au cours de leur vie.
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38 Allan Kaprow, L’art et la vie confondus, p 256 39 Id. p 246 40 Id. p 225 41 John Dewey, L’art comme expérience, 1934
Le bouddhisme étant l’idée de ne pas établir de règles fixes, mais de développer une présence d’esprit qui permet de répondre à la singularité de chaque situation, les artistes performeurs trouvent dans cette manière de pensée des bases évidentes pour leur travail : l’abolition des cadres et la recherche d’une harmonie qui dépasse les limites temporelles ou spatiales d’une simple œuvre d’art. La cosmologie, dont s’inspire John Cage, expliquait que « le monde réel était parfait si seulement nous pouvions l’entendre, le voir et le comprendre. » « Jouer à la vie, est-ce la vie ? Jouer à la vie, est-ce la « vie » ? (…) Quand je pense à la vie, ça devient la « vie ». La vie est une idée.(… ) L’art semblable à la vie se joue quelque part entre l’attention que l’on accorde au processus physique et l’attention à l’interprétation. C’est de l’ordre de l’expérience, et pourtant c’est impalpable. Ca exige des guillemets (comme la vie), mais ça les perd comme l’Un-Artiste perd l’art. » 42 Dans Le sens de la vie43, Kaprow donne un exemple du concept de l’« Un-Artiste » (sorte d’artiste ayant fusionné le but de son existence et sa recherche artistique) avec Harry, un agent immobilier qui quitte tout pour découvrir le sens de la vie. Quand il revient de son tour du monde quelques années plus tard, il explique à son ami Mike que le sens de la vie est le trou d’un Bagel. Mike se moque de lui et se permet de le contredire, Harry, sans la moindre rancœur, repart alors dans sa quête. La réponse d’Harry au sens de la vie peut faire sourire mais de la même manière que les Monty Python avec leur film The meaning of life, on s’aperçoit que la recherche du sens de la vie, dans la plupart des cas, conduit à quelque chose d’insignifiant : au rire. Le rire que Marcel Duchamp provoque est du même ordre, il est une sorte de déviance par rapport au code du monde, puisque « rire c’est regarder quelque chose qui n’est pas codable ». 44 Dans Homo Ludens, Johan Huizinga dans son passage sur la conception et la notion de jeu dans le langage constate que la forme courtoise « j’ai appris la mort de votre père » se transforme en « j’ai appris que monsieur votre père avait joué sa mort » en japonais45. La gravité ou le sérieux de l’idéal de vie japonais ne sont en fait que des modulations de pur jeu qui permettent d’affronter le destin. Le jeu comme le rire rappelle que l’existence ne se divise pas, qu’il n’y a pas de gradation d’importance. Ils mettent à plat les différent cadres et permettent un dézoom libérateur. Ils confondent les cadres de l’expérience et permettent une sortie temporaire de ces derniers.
42 Allan Kaprow, L’art et la vie confondus, p 279 43 Essai inclus dans L’art et la vie confondus, Allan Kaprow, 1990 44 Gilles Deleuze 45 Huizinga, Homo Ludens, conception et expression de la notion de jeu dans la langue
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Gina Pane, « Entre deux horizontales : terre/ciel, j’ai placé mon corps verticalement pour provoquer une situation idéale », 1969
Les déviants Du fou : erreur de cadrage « Mais ce n’est pas tant l’affect qui flanche, que le cadrage. »46 Dans L’histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault relate le début de l’institutionnalisation de la folie et date cet événement à l’année 1656, décret de fondation, à Paris, de l’hôpital général. À partir de ce moment la raison n’essaye plus de se frayer un chemin (comme peut évoquer la figure de Don Quichotte), elle « règne à l’état pur dans un triomphe qui lui est ménagé »47, c’est-à-dire l’enceinte de l’hôpital. Pour prendre l’image du ring mettre un pied hors des cordes de normes, de civilité, est un acte déviant, par l’absence de choix d’un cadre. Mettre les deux pieds hors du ring, équivaut à choisir un « camp », accepter sa folie – qui sera vite cadrée par des institutions. Dans le deuxième cas ceci n’est plus considéré comme déviant. En refusant de jouer les rôles proposés par les différentes scènes sociales, le fou ne partage pas le même cadre de réalité que les personnes qui l’entourent. Le fou est vide. Et c’est ce vide qu’il laisse apparaître qui provoque la peur et pousse la société à l’exclure. Le fou partage pourtant un cadre commun de réalité géographique indéniable, il partage les mêmes espaces physiques que les autres grâce à son corps. « Que signifie être ici pour un halluciné ? Est-ce parce qu’il énumérera correctement les meubles de la pièce qu’il faut croire qu’il les perçoit comme nous ? » 48 La présence du corps est indéniable, il n’y a, que les perceptions qui diffèrent, le fou ne perçoit pas les différentes scènes sociales qui se présentent à lui, il ne peut donc pas adapter ses rôles, il glisse d’un monde à l’autre de manière continue sans ruptures autres que celles qu’il provoque dans son monde intérieur. Il semble que la déviance soit une affaire de diagonale : le fou aux échecs n’a-t-il pas pour caractéristique de fouler le plateau de manière transversale ?
Au marginal : refus du cadre « Ma démarche par rapport à la société est oblique. Elle n’est pas directe. Elle n’est pas non plus parallèle, puisqu’elle traverse le monde, elle le voit. Elle est oblique. Je l’ai vu en diagonale, le monde, et je le vois encore en diagonale (...). 46 Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, p 482 47 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique 48 Jean-Paul Sartre, L’imaginaire, 1940
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Le théâtre, en tout cas le théâtre que je préfère, c’est justement celui qui saisit la société en diagonale. » 49 Adopter la langue du bourgeois pour mieux dénoncer. Jean Genêt a toujours refusé le cadre et c’est en feignant de suivre ses contours qu’il s’en échappe le mieux. Dans l’interview qu’il donne à Nigel Williams pour la BBC à Londres pendant l’été 1985, il se rend compte qu’au moment où il répond aux questions du journaliste, il est en plein milieu d’un dispositif normé puisqu’il est seul face à dix personnes chargées de l’écouter religieusement afin de capter ses réponses. Pris d’un accès de fureur il décide de rompre le pacte du studio d’enregistrement et de faire entrer un des techniciens, homme de l’ombre, dans le dispositif en lui donnant la parole. Catherine Boskowitz dans sa pièce « La dernière interview »50, propose au comédien Dieudonné Niangouna, d’incarner à la fois Jean Genet et son propre rôle en revivant cette interview. Dans les moments où il incarne Genet, le comédien n’hésite pas à sortir physiquement du dispositif scénique, pour aller se défouler hors champ. Il laisse alors les spectateurs seuls au milieu du dispositif, de la machinerie théâtrale, vide de sens par le même coup tout comme le champ vidéo qui tente de capter son visage. Le rapport à la caméra et à l’enregistrement est mis à mal puisque l’objectif de Niangouna est de ne jamais rentrer dedans, de le fuir et au passage d’en montrer les limites. Le théâtre, la scène, le cadre en général sont des lieux vides, en attente d’histoires. La désertification d’un quelconque dispositif révèle l’existence et la brutalité de ce dernier. En refusant d’y entrer, le « déviant » met à jour l’existence des dispositifs de la société, puisqu’il prouve qu’il y a un extérieur et définit par la même occasion le contour des normes qu’il franchit. Le déviant est toujours dans l’entre deux. A l’extérieur du dispositif mais encore dans le même espace que nous. Interdit - inter dit - dire entre. Entre quoi ? Jim Jarmusch, Down by law, 1986
49 Jean Genêt 50 La Dernière interview de Dieudonné Niangouna, mise en scène Catherine Boskowitz
Interview de Jean Genet, BBC, 1985
Il semblerait que j’aie subi une légère aversion pour les cadres en début d’année. La scénographie étant la discipline du cadrage par excellence, je me suis tout de suite alertée sur mes réels désirs professionnels et sur ma santé mentale. Questionner le cadre de scène est souvent l’occasion de questionner un cadre plus grand et de comprendre par un système d’imbrication la place que l’on occupe au sein d’une société, d’un pays, d’un univers. De la même manière que Perec s’écrivait des cartes postales en les adressant à Georges Perec 18 rue de l’Assomption. Escalier A. 3e étage. Porte droite. Paris 16e. Seine. France. Europe. Monde. Univers.51, l’exercice d’ascencion n’est destiné qu’à effectuer une meilleure descente vers ce qui nous raccroche à l’espace, nos corps. Eux aussi, cadres ambulants de présentation de notre moi. Cadres arrangés au mieux. « Ce que je voudrais faire comprendre, en somme, c’est que parler, ce n’est pas livrer une information à un destinataire, c’est présenter un drame devant un public. Nous passons notre temps, non à communiquer des informations, mais à présenter des spectacles. Le fait est que, lorsqu’il arrive à quelqu’un de dire quelque chose, ce n’est jamais une simple exposition des faits qu’il nous propose en son nom propre. Il raconte. (..) doit faire en sorte que ceux qui l’écoutent reviennent avec lui à l’état d’information, à l’horizon qui était le sien ce jour-là. »52 Raconter une histoire et emmener son auditoire suppose que ce dernier accepte de rentrer dans le cadre fictionnel de son narrateur. Au quotidien nous rentrons dans un nombre incalculables de cadres, physiques ou immatériels, nous sortons d’un cadre pour en rejoindre un autre et le seul véhicule de traverse que nous possédons c’est notre corps. Le corps qui fait expérience de toutes ces représentations, navigue. Deux types de comportements : d’un côté des corps qui sont en représentation perpétuelle (storytelling, lifelogging…) et de l’autre des corps qui ne souhaitent plus rien présenter, du moins de visible. Juste proposer une expérience qui s’affranchit du primat de l’oeil et reconsidère le corps et ses sensations dans son entier. La conscience d’un cadre propulse le corps à l’extérieur de ce dernier, pour faire « l’expérience d’une expérience » il ne faut plus voir de contour. L‘expérience est synonyme d’unité, de fusion à son environnement. Et par la même occasion de jugements nouveaux puisque l’angle de vision des choses n’est pas imposé. « le relâchement et le resserrement, l’expansion et la contraction, la séparation et le rapprochement, l’élan et le déclin, l’élévation et la chute, la dispersion et l’éparpillement, l’hésitation et le ressassement, la lumière immatérielle et le souffle massif. Semblables actions et réactions constitue l’étoffe même à partir de laquelle sont faits les objets et les événements dont nous faisons l’expérience. » 53
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51 Georges Perec, Espèces d’espaces, p 113 52 Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, p 499 53 John Dewey, L’art comme expérience, p 343
En abordant la thématique du cadre, mot barbare, en bois et en acier, mot de la scission et des limites qui renvoie aux normes et à l’exclusion ; mon intérêt dévie doucement vers la notion d’horizon, mot élégant, plein de promesses puisqu’il est amovible et évolue constamment. L’horizon prend en compte son spectateur en considérant le placement de son corps et de sa pensée. Ses seules limites sont celles qui dépassent l’entendement de son percepteur, et ces dernières peuvent, bien entendu, être dépassées. Horizon est un mot superbe qu’il convient de ne pas trop définir sous peine de le faire entrer à son tour dans un cadre. Plutôt que de cadre, à l’avenir, j’aurais envi de parler d’« horizon de scène »...
Je dédie ce mémoire à Anny,54 metteur en scène-scénographe-performeuse-exploseuse de cadres. Anny n’a pour cadre que sa présence, là où ses yeux se posent il y a représentation. Anny a jeté le plateau, les rideaux de velours rouge, et les projecteurs : son plateau c’est son environnement. Anny est le symbole de l’art et de la vie confondus à l’extrême. Anny me fascine depuis tant d’années, elle me fait peur tout à la fois. « Incapable de faire qu’autrui dise ce qu’on aimerait entendre, on écrit le texte de la représentation et on la dirige sur ce petit plateau qu’on a dressé dans sa tête. »55 Récemment j’ai vu le film de Sidney Lumet, Network56, et Diana Christensen (interprétée par Faye Dunaway) m’a particulièrement touchée. J’ai retrouvé Anny. 54 Personnage du roman La nausée de Jean-Paul Sartre 55 Erving Gofmann, Les cadres de l’expérience, p 543 56 Sidney Lumet, Network, 1976
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Captures ĂŠcran du film Network, Sidney Lumet
Bibliographie Ouvrages Paul Ardenne, Un art contextuel, Éditions champs arts, 2009 Adolfo Bioy Casares, L’invention de Morel, 10/18, 1992 Jorge Luis Borges, Alicia Jurado, Qu’est-ce que le bouddhisme ?, Paris, Gallimard, 1996 Jorge Luis Borges, Fictions - Les Ruines Circulaires (1941-1944), Gallimard, 1974 Albert Camus, L’étranger, Paris, Gallimard, 2005 Michel de Certeau, La culture au pluriel, Points, 1993 Gilles Deleuze, Le Pli - Leibniz et le Baroque, Éditions de Minuit, 1988 John Dewey, L’art comme expérience, Gallimard, 2010 Dolto Françoise, Nasio Juan-David, L’enfant du miroir, Paris, Payot-Rivages, 2002 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 Michel Foucault, La pensée du dehors, Fata Morgana, 1986 Michel Foucault, Le corps utopique – Les hétérotopies, Éditions Lignes, 2009 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Éditions de Minuit, 1973 Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Éditions de Minuit, 1991 Johan Huizinga, Homo Ludens, Gallimard, 1988 Nancy Huston, L’espèce fabulatrice, Actes Sud, 2008 Chantal Jaquet, L’unité du corps et de l’esprit chez Spinoza, Presses universitaires de France, 2004 Allan Kaprow, L’art et la vie confondus, Centre Pompidou, 1998 Henri Michaux, Œuvres complètes - tome II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2001 Georges Perec, Un homme qui dort, Gallimard, 1990 Pirandello Luigi, Six personnages en quête d’auteur, Flammarion, 2004 Emmanuel Plasseraud, Cinéma et imaginaire baroque, Presses Universitaires du Septentrion, 2007 Ponge Francis, Le parti pris des choses suivi de Proêmes, Paris, Gallimard, 1967 Merleau-Ponty Maurice, L’œil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1985 Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique éditions, 2008 Claude Regy, Espaces perdus, Solitaires intempestifs, 1998 Jean-Paul Sartre, L’Imaginaire, Gallimard, 1986 Jean-Paul Sartre, La nausée, Gallimard, 1972 Jean-Didier Urbain, Ethnologue, mais pas trop, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2003 Winnicott Donald Woods, Jeu et Réalité, Paris, Gallimard, 2002
Textes Les Inrockuptibles, « 1948-2013, c’était Depardieu », n° 894, 16 au 22 janvier 2013 Jean-Claude Moineau, Les nouveaux zoos humains, Retour du futur, L’art à contre-courant, Paris, Ère/Art 21, 2010 Marta Segarra Montaner, Au pays d’Henri Michaux : la dialectique de l’espace et du temps dans son œuvre écrite, Université de Barcelone, juin 1990 Stephen Wright, Vers un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur, XV biennale de Paris, 2006
Documentaires audio et vidéo Nom donné par l’auteur, Catalogue raisonné, Jérôme Bel, 1994 Michel Foucault, Utopies et hétérotopies. Extrait de deux conférences radiophoniques diffusées sur France Culture les 7 et 21 décembre 1966 dans l’émission « Culture Française » de Robert Valette Jean Genet, BBC Arena, 1985 (Archive Youtube)
Films et séries Leos Carax, Holy Motors, 2012 John Cassavetes, Opening night, 1977 Guy Debord, La société du spectacle, 1973 Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, The cat, the reverent and the slave, 2009 Jean-Luc Godard, Histoire(s) du Cinéma, 1988 Alejandro Jodorowsky, El topo, 1970 Alejandro Jodorowsky, Holy mountain, 1973 Stanley Kubrick, Shinning, 1980 Sidney Lumet, Network, 1976 David Lynch, Twin Peaks, 1990 David Lynch, Mulholland drive, 2001 Christopher Nolan, Inception, 2010 Monty Python, The philosopher’s Football Match, 1972 Godfrey Reggio, Koyaanisqatsi, 1983 David Simon, Treme, 2010 Peter Weir, Truman show, 1998 Wim Wenders, Paris Texas, 1984
Séminaire De l’archive au re-enactment : les enjeux de la re-présentation de la performance Colloque international, et conférences à l’université de Strasbourg de janvier à avril 2013
Merci à JF Gavoty, JC Lanquetin et François Duconseille pour leur suivi de projet, Anne Aycoberry et Kyle Duarte pour les entretiens qu’ils m’ont accordés, JP Larroche et Keven Agboton pour leurs conseils de lectures, Adrien, Anna, Irène, Marie de Bonneuil pour leurs discussions passionnantes, Leïla et Julien pour la chasse aux fautes, ma tante France pour son accueil, Pierre Speich pour ses astuces Indesign, ceux que j’ai oublié… et puis Gilles Deleuze pour la forme.
Marielle Agboton Option design - Atelier de scénographie Mémoire de DNSEP design mention scénographie Juin 2013 Tuteur : Jean-François Gavoty Responsables d’atelier : Jean-Christophe Lanquetin et François Duconseille HEAR - École des arts décoratifs de Strasbourg