GOUSSAINVILLE
Aux portes de Paris et de son aéroport, redéfinir l’urbanité d’une ville pavillonnaire altérée Marie Mosquet 2016 - 2017 Mémoire de fin d’études
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Président de jury
Marc Claramunt, Paysagiste DPLG, directeur et enseignant à l’École de la Nature et du Paysage INSA CVL, et directeur de l’atelier Phusis
Directeur d’études
Sylvain Morin Ingénieur Paysagiste, enseignant de projet à l’École de la Nature et du Paysage INSA CVL, et directeur de l’Atelier Altern
Professeur encadrant
Olivier Gaudin Docteur en philosophie, enseignant en histoire de la formation du paysage à l’École de la Nature et du Paysage INSA-CVL
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SOMMAIRE
Chapitre 1 PRÉAMBULE À l’origine d’un choix, la curiosité 6 Localisation et chiffres-clefs 12 Immersion photographique 14
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Chapitre 2
UNE VILLE SINGULIÈRE 23 ET HÉRITÉE
UNE URBANISATION 44 INACHEVÉE
Chronologie d’une 24 urbanisation entravée
Des centralités 45 fugaces et isolées
Vivre à Goussainville 34 aujourd’hui
L’absence d’espaces 54 publics significatifs
En banlieue, 38 les villes traversées
À la découverte du 60 paysage des franges
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
DES FRANGES À 66 LA PLAINE DE FRANCE
AUTOUR DE L’AÉROPORT, L’OUVERTURE DE 86 UN TERRITOIRE DE PROJET 106 GOUSSAINVILLE SUR SES PAYSAGES
Des infrastructures 67 qui fractionnent
Une stratégie d’acteurs 87 riche mais complexe
Le Croult, un 72 vecteur de paysage
De nombreux projets 92 à connecter
Ponctuation : reliefs 78 et points de repères
À l’échelle de Goussainville 98 et de ses environs
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107 Les séquences et enjeux des franges paysagères 132 Une ceinture paysagère, entre proximité et rayonnement
CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE
En l’absence de mention de sources, toutes les illustrations, photographies et cartographies sont des documents personnels.
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PRÉAMBULE
à l’origine d’un choix, la curiosité
Il y a encore quelque temps, le nom de Goussainville ne m’évoquait que peu de choses. J’avais dû l’apercevoir sur un panneau de signalisation, en me rendant à l’aéroport de Roissy, ou peut être, tout aussi furtivement, sur un tableau d’affichage de destination du RER D, sans y prêter de réelle attention. Le territoire qui l’entoure, ses autres villes, ses paysages, m’étaient tout aussi inconnus, puisque l’unique raison que j’avais de le traverser était de me rendre à l’aéroport. Or, depuis le couloir d’autoroutes, de tunnels et d’échangeurs que l’on emprunte pour s’y rendre en partant de l’agglomération parisienne, on ne voit rien. On a simplement l’impression d’être dans un territoire où l’on circule, et ce le plus rapidement possible. C’est lors de la lecture d’un livre écrit par François Maspero que je me suis intéressée de plus près à cet espace. Ce récit, intitulé les Passagers du Roissy-Express, raconte le voyage de son auteur et de son amie photographe, Anaïk Frantz. Tous deux ont un jour décidé de suivre le tracé du RER B et de s’arrêter à chacune de ses gares, afin de découvrir les lieux, leurs histoires et leurs habitants, masqués derrière le simple nom des stations où l’on passe sans s’arrêter. Leur périple commence alors au cœur de l’aéroport de Roissy - Charles de Gaulle. Cette lecture m’a laissé deviner la complexité ainsi que les problématiques d’un tel territoire. 6
« Difficile, c’est le mot. Il faut toujours le répéter, cet espace-là n’a rien de géographique. C’est une juxtaposition de morcellements horizontaux et verticaux, impossible à appréhender d’un regard (...) les pistes qui vous passent sur la tête, la voie du chemin de fer, les autoroutes que l’on coupe et recoupe, les ponts et les tunnels, et tous ces véhicules qui filent, se doublent, se mélangent et se séparent, gardezvous à gauche, gardez-vous à droite, et jamais un piéton qui donnerait à tout cela son échelle, non ce n’est pas un espace, ce sont, merci Perec, des espèces d’espaces, des morceaux d’espace mal collés avec toujours cette impression qu’il manque une pièce du puzzle pour que cela prenne, reprenne un sens. Mais qui vous demande de donner du sens à tout cela qui n’est fait que pour être traversé ? Et vite. En voiture. Quitte à s’y perdre et à tourner, tourner, tourner. Espaces provisoires. » François Maspero, Les passagers du Roissy-Express
La disparition d’un territoire au profit de son emblème, l’aéroport
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L’omniprésence des infrastructures de transport dessine ainsi un territoire traversé, occupé de manière « provisoire ». Cette dernière expression a attiré mon attention. Il ne peut s’agir uniquement d’espaces de transit : sur une carte des alentours de l’aéroport, on voit des villes denses. Plusieurs dizaines de milliers d’habitants fréquentent ce territoire de manière quotidienne.
J’ai alors entrepris des recherches sur ces villes et ces villages inféodés à l’un des aéroports les plus fréquentés du monde, comme s’il s’agissait d’un véritable objet de fascination. C’est au cours de ces recherches que le nom de Goussainville est apparu, de manière plutôt singulière. Plusieurs articles aux titres accrocheurs faisaient le récit de l’histoire de son vieux-village : « Dans les rues de la commune que l’aéroport de Roissy a transformée en village-fantôme » (les Inrockuptibles, août 2015) ; ou encore « Sous les avions, ce village abandonné se bat pour survivre » (le Figaro, septembre 2015). J’ai découvert, à la lecture de ces articles, à quel point le vieux-village de Goussainville avait souffert de l’arrivée de l’aéroport. Au cours des années 70, années de la construction de ce dernier, les habitations du vieux-village se sont retrouvées directement dans l’axe des futures pistes de décollage et d’atterrissage. Elles ont alors été pour la plupart rachetées par la société Aéroports de Paris (ADP), dans le but de les démolir. Les habitants ont dû partir s’installer ailleurs. Cependant, la présence d’une église classée monument historique, l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, avec son périmètre de protection de 500 mètres, a empêché ces démolitions. Les maisons ont été murées, et abandonnées à leur sort. 8
Intriguée et curieuse, je me suis rendue sur place. À ma grande surprise, les rues n’étaient pas aussi désertes que je me l’imaginais. Le village attire énormément de passants, de promeneurs, qui viennent flâner pour quelques heures dans ses rues, afin de se retrouver face à cette vision apocalyptique. Mais ce qui étonne le plus, c’est que le village est encore habité : environ 300 personnes y vivent, cohabitant entre ruines et avions.
Jardin potager au Vieux-Village
La Rue Brûlée, rue principale
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Tout cela m’a amené à me demander si Goussainville se résumait aujourd’hui à ce lieu atypique. J’ai découvert très vite qu’il n’en était rien : Goussainville est aussi une ville de 31 500 habitants, située deux kilomètres au nord du vieux-village, mais qui semble complètement coupée de ce dernier. Une voie de RER, celle du TGV, des zones d’activités traversent et se dressent entre ces deux entités, participant à leur fragmentation et à leur isolement. De plus, cette autre ville présente une urbanisation tout aussi intriguante que l’histoire du vieux-village : une étendue principalement pavillonnaire, qui serait apparue subitement au début du XXe siècle au milieu des terres fertiles de la Plaine de France.
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« L’autre » Goussainville, depuis ses franges agricoles
Aujourd’hui, alors qu’elle se situe à seulement vingt kilomètres de la capitale, cette ville semble figée, ne pouvant plus s’étendre à cause des nombreuses contraintes et servitudes imposées par toutes ces infrastructures, à commencer par le périmètre d’exposition aux bruits des avions (PEB). Toutes ces découvertes ont attisé ma curiosité. Au sein même du périmètre de cette commune, de nombreuses problématiques apparaissent déjà. Existe t-il un moyen de (re)connecter ce village patrimonial à cette nouvelle ville ? Comment vit-on dans cette succession de pavillons, où les espaces publics semblent quasi inexistants ? Que fait-on lorsque l’on sort des frontières de cette urbanisation et que l’on bute sur des autoroutes ? En somme, quel peut-être l’avenir d’une ville qui semble subir depuis longtemps le contexte dans lequel elle évolue ? Un contexte qui est d’ailleurs aujourd’hui au cœur de projets d’envergure métropolitaine, et qui doit devenir un des pôles économiques majeurs du Grand Paris. Toute une réflexion se dessine à propos de la cohabitation et de l’articulation entre des projets à l’échelle globale et un cadre de vie local.
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Localisation et chiffres-clefs
31 500 11,5 km² 22 km Goussainville Val d’Oise - 95
soit
28 minutes
habitants de superficie du centre de Paris avec le RER D
Depuis le 1er Janvier 2016, Goussainville fait partie de la Communauté d’Agglomération Roissy - Pays de France. Elle dépendait auparavant de la Communauté d’Agglomération Roissy - Porte de France, dont la fusion avec la Communauté d’Agglomération Val de France a conduit à la configuration actuelle.
CA Roissy - Pays de France
348 000 soit 42 réparties sur 2
habitants communes départements,
le Val d’Oise et la Seine-et-Marne 12
Oise Hauts-de-France
CA Roissy Pays de France
Val d’Oise
RE
R
D
Aéroport Roissy Charles de Gaulle Aéroport du Bourget
SeineSaint-Denis
Paris
Seine-etMarne
Périmètre du Grand Paris
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Immersion photographique dans un territoire contrasté Le centre-ville : commerces, parkings et châteaux d’eau Quelques habitations face à la gare principale
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L’ancien Domaine du Château, devenu parc public au Vieux-Village Le conservatoire de musique, un point haut oublié dans la ville
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Le Quartier des Coteaux, une accroche au vallon du Croult Face à la Départementale et son paysage « répulsif » ?
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Au pied du pont TGV, des milieux humides masqués Derrière la gare principale, les friches de l’ancienne sucrerie
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CHAPITRE 1 UNE VILLE SINGULIÈRE HÉRITÉE
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Chronologie d’une urbanisation entravée
Un village agricole et sa gare La commune de Goussainville a connu un développement original, qui, dès les années 1920, a amorcé un changement majeur, à la fois pour son image et pour ses habitants. Elle a pendant longtemps été occupée principalement par de vastes parcelles agricoles, qui appartenaient pour la plupart à la Grange des Noues, une grande exploitation céréalière installée sur le territoire. Les quelques habitations existantes formaient alors un village resserré, situé à l’extrémité sud des limites communales, le long du ruisseau du Croult. Sa proximité avec Paris, et sa situation au cœur d’un territoire agricole prospère, celui de la Plaine de France, a conduit en 1862 à la construction d’une gare un km au nord du village, provoquant ainsi « l’entrée de la commune dans l’espace de la banlieue » (Fourcaut, 2000) Très vite, cette gare en plein champ attire des industriels, qui viennent profiter de sa situation et de son potentiel pour y installer leurs activités : une sucrerie, une briquetterie et une scierie apparaissent le long des voies ferrées. Certains habitants délaissent alors les nombreuses fermes du village et leurs travaux agricoles et se font employer par ces industriels. D’autres familles viennent s’installer au village, qui se densifie petit à petit, afin de profiter de ces nouvelles activités. En 1905, Goussainville compte alors 650 habitants. 24
la Grange des Noues
la scierie la sucrerie
lim
ite
la gare
co
m
la briquetterie
m
un
al
e
le village
La culture du cresson au village
source des photographies : Mémoire en images, Goussainville
Goussainville au début du XXe siècle : les 600 habitants vivent dans le village.
L’ancienne scierie Hamelin
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Les Parisiens à la conquête de la plaine À vingt kilomètres de la capitale, Goussainville évolue à son rythme. De son côté, Paris fait face, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, à de forts afflux de population dus aux apparitions successives de nouveaux emplois industriels. Tout cela conduit très rapidement à une importante pénurie de logements populaires. Les logements existants sont surpeuplés ou insalubres, et ils s’étendent de plus en plus hors de la capitale, dans les communes périphériques, suite aux travaux d’urbanisme parisiens qui font augmenter les loyers. Dans ce contexte, les propriétaires de la Grange des Noues de Goussainville décident de vendre en 1924 leurs 330 hectares de terres agricoles et les confient pour cela à des sociétés d’épargnes parisiennes, afin qu’elles se chargent de trouver des acquéreurs potentiels. Les représentants de ces sociétés se rendent dans la capitale, près de la gare du Nord, et font la promotion de ces parcelles, à la fois proches de Paris et à la campagne, et à proximité immédiate d’une gare. Les noms qu’ils donnent à ces nouveaux quartiers traduisent d’ailleurs ces aspirations : certains noms sont bucoliques, « les Coteaux », « les Montagnettes », et d’autres font directement référence à la capitale, « les Buttes-Chaumont » ou encore « Clignancourt » (Jézéquel, 2000). La vente des terrains connaît un large succès. Cependant, une fois sur place, les nouveaux propriétaires réalisent qu’on leur a livré leur parcelle à l’état de friche agricole, les sociétés d’épargne n’ayant réalisé aucun aménagement préalable. Il n’y a ni route, ni réseau d’assainissement, et les habitants sont libres de construire ce qu’ils veulent sur leur parcelle. Tout cela participe à la notoriété du lotissement, et Goussainville devient dans les années 50 « l’emblème du manque d’urbanité » qui touche les villes de banlieues, et donne son origine à l’expression des « mal-lotis » (Fourcaut, 2000). 26
lotissement de la Grange des Noues
la Chapellerie
le Grand Pré
Goussainville en 1936 : le périmètre du lotissement des Noues est établi mais loin d’être rempli. La ville compte alors 6200 habitants.
De nouveaux quartiers créés de toute pièce Goussainville fait face à de véritables changements structurels. Son village, qui constituait jusqu’alors le cœur de la commune, perd peu à peu de son importance et de son rôle de centralité. Une vingtaine d’habitations se développe déjà autour de la gare, et un quartier constitué de 250 parcelles, le quartier de la Chapellerie, apparaît dès 1910 au nord de la commune. La création du lotissement de la Grange des Noues, en 1924, donne un caractère irréversible à ce déplacement de polarité. Ces 7000 parcelles de 400 à 500 m2 représentent en effet 35 % du territoire communal. 27
Cependant, suite au succès initial, la vente des parcelles diminue peu à peu et le lotissement se remplit moins rapidement. En 1930, de nouveaux lotisseurs prévoient l’aménagement d’un quartier de 650 parcelles, qui viendrait notamment combler l’espace entre le village et la gare. Faute d’acheteurs, le projet avorte rapidement. Les constructions individuelles du lotissement de la Grange des Noues continuent quant à elles à se multiplier, formant une étendue de plus en plus dense. La vie émerge des carrefours de boulevards et avenues de terre, où se développent quelques commerces, une épicerie, des cafés... Une « chapelle de secours » est aussi mise en place, l’église du village étant trop éloignée pour s’y rendre à pied. Le Parti Communiste s’immisce dans ces nouveaux quartiers, tirant parti des conditions de ces « mal-lotis », et propose des activités sociales afin de les rassembler (Jézéquel, 2000). En 1936, Goussainville compte ainsi 6200 habitants. En 1954, 9500 personnes y habitent.
Les pavillons se multiplient dans la plaine, le long des sentiers de terre
source des quatre photographies : Mémoire en images, Goussainville
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La chapelle de secours sur le « Boulevard Montmorency » Rassemblement autour de l’épicerie Une impression de campagne et de sérénité Évolution de la population de Goussainville, d’après des données INSEE
30500 25100 24800
9500 6200
580 1841
1901
950
1921
1936
1954
1975
1990
2005
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L’ère des grands ensembles A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’essor démographique en banlieue conduit à une nouvelle crise du logement. L’État décide donc d’intervenir : le gouvernement provisoire de la République Française crée en octobre 1944 le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme afin de répondre à ces besoins. Ce ministère prône la construction de logements collectifs, afin d’éviter ainsi les lotissements qui représentent à cette époque, à l’image de l’étendue pavillonnaire de Goussainville, « un conglomérat misérable et incohérent » (Jézéquel, 2000). Les trois grands ensembles de la ville, représentant 2300 logements au total, sont alors érigés sur des espaces agricoles : Ampère en 1960, année qui correspond aussi à la construction de la seconde gare de Goussainville ; la Butte aux Oies et les Grandes Bornes en 1968. Ce dernier prend place dans un espace vierge, qui était resté enclavé entre les quartiers pavillonnaires. La mise en place de ces grands ensembles constitue une véritable rupture dans la dynamique de la ville, puisqu’entre les immeubles, des espaces ouverts et publics apparaissent, s’opposant ainsi aux parcelles cloisonnées et privées des habitations individuelles. Mais dès les années 70, la construction de grands ensembles se raréfie, et certaines familles goussainvilloises plus aisées décident de quitter leur HLM pour acheter une maison. La construction de pavillons reprend alors.
Un nouveau venu, l’aéroport À la fin des années 60, de grands travaux sont entrepris à l’est de Goussainville sur une superficie de 32 km2, soit un tiers de la capitale. En 1974, c’est l’inauguration de l’aéroport de Paris - Charles de Gaulle, communément appelé aéroport de Roissy, de par sa proximité avec le village de Roissy-en-France, dont il occupe d’ailleurs plus de la moitié du périmètre communal. Dès ce moment, la présence de cette vaste infrastructure va venir considérablement contrarier le développement des communes situées dans sa proximité immédiate. Parmi elle se trouve Goussainville, qui compte alors 25 100 habitants. 30
la Francilienne
e zon
D
les Grandes Bornes la gare des Noues Ampère
zone C zone B
la Butte aux Oies
ZA du Pont de la Brèche
zone A
zone B l’aéroport
Goussainville en 1975 : l’aéroport est apparu, et avec lui ses Périmètres d’Exposition au Bruit. La ville compte 25100 habitants.
En effet, des Zones de Gênes Sonores sont établies dès l’ouverture de l’aéroport, bien qu’elles soient alors encore à l’étude. Ce n’est qu’en 1985 que sont créés les Périmètres d’Exposition au Bruit (PEB), qui sont toujours en vigueur aujourd’hui, bien que la réglementation de certaines des zones ait légèrement évolué. Le territoire de Goussainville est concerné à 75% par ces périmètres d’exposition au bruit, dont 50% en zone A et B, c’est-à-dire en zone forte et très forte, présentant des réglementations contraignantes vis à vis de la construction de nouveaux logements. En zone B, se développent alors, dès 1975, des zones d’activités et des zones commerciales. 31
les différents Périmètres d’Exposition au Bruit : Zone A - Gêne très forte Zone B - Gêne forte Aucune construction d'habitat individuel ou collectif n'est autorisée, et une habitation démolie ne peut être reconstruite. Zone C - Gêne modérée La construction d'habitat individuel est autorisée uniquement dans des secteurs déjà urbanisés. Depuis 2007, la construction de logement collectif n'y est plus autorisée. Zone D - Gêne faible Toute construction de logement y est autorisée. Toutes ces constructions sont bien évidemment soumises à des normes d'isolation phonique que je n'ai pas jugé utile de décrire ici.
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La fermeture de la sucrerie de Goussainville en 1983 participe aussi à ce développement puisqu’une grande partie des anciens terrains qu’elle occupait, alors mis en vente à sa fermeture, se situent en zone B et ne peuvent donc pas être utilisés pour construire des logements.
Une commune aujourd’hui figée ? L’ouverture de Roissy - Charles de Gaulle, suivie par l’inauguration de la Francilienne, route nationale reliant l’aéroport à CergyPontoise et dont le tracé frôle Goussainville sur sa limite nord, a entraîné une baisse de population dans la commune. Afin d’enrayer cette dynamique, la ville relance la construction de lotissements pavillonnaires dans les quelques espaces encore constructibles. Ainsi, le quartier des Blâtreux voit le jour en 1980 en zone D, et une Zone d’Aménagement Concerté, la ZAC des Demoiselles, est mise en place en zone C en 1990. Sur les anciens terrains de la sucrerie apparaissent des complexes sportifs ainsi que des établissements scolaires, tandis que les zones d’activités continuent à se remplir. En plus de la construction de ces deux nouveaux quartiers, il est encore possible de construire des logements collectifs en zone C. Des pavillons sont donc détruits et remplacés par des immeubles de 3 ou 4 étages, le long des axes majeurs, ainsi qu’autour des centralités principales. Parmi elle, la Place de la Charmeuse, située près de la gare des Noues, seconde gare de Goussainville, et qui accueille depuis 1964 l’hôtel de ville, auparavant situé au village. Ce basculement vient sceller définitivement le sort de l’ancien village qui, comme on l’a vu, a directement souffert de l’arrivée de l’aéroport. Cependant, dès 2007, la réglementation en zone C évolue, et la construction de logement collectif y devient interdite. Densifier les vastes tissus pavillonnaires n’est donc plus possible. Or, la ville a urbanisé tous ces terrains encore constructibles.
les Blâtreux
e zon
D
Place de la Charmeuse
zone C zone B
Complexe sportif ZAC des Demoiselles ZA du Pied de Fer
zone A Ligne à Grande Vitesse ZA Charles de Gaulle
zone B
Goussainville aujourd’hui : 31500 habitants qui vivent entre infrastructures de transport et zones d’activités.
Aujourd’hui, Goussainville compte 31 500 habitants, mais la question de son développement futur semble se poser : à vingt kilomètres de Paris, est-elle destinée à rester figée dans son état actuel ou est-il possible, et surtout comment, qu’elle continue à accueillir de nouveaux habitants afin de continuer son développement ? 33
Vivre à Goussainville aujourd’hui
Une ville habitée mais peu investie En parcourant aujourd’hui les rues de Goussainville, les impressions sont contrastées. On y voit surtout des pavillons et des maisons individuelles, ainsi que quelques quartiers comprenant des tours d’habitat collectif. Beaucoup d’habitants donc. Pour autant, très peu de rues ou même d’espaces commerçants se dessinent dans la ville. Les espaces de vie autres que les lieux de vie privés y semblent absents. De même, les activités industrielles qui employaient autrefois de nombreux habitants au sein de la ville ont aujourd’hui disparu, et aucun nouveau pôle d’emploi ne semble s’être développé à la place. J’ai donc pris l’initiative de rencontrer quelques habitants, afin d’écouter ce qu’ils avaient à dire sur la ville qu’ils fréquentent quotidiennement.
Clémence K. étudiante, habite Goussainville depuis sa naissance
Christian K. actif, et Raymonde M. retraitée, a déménagé de Roissy-en-France à Goussainville en 1971
source des illustrations : https://fr.pinterest.com/pin/5274138063461/
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« C’est une ville dortoir. Il y a des maisons, des apparts, et on va travailler ailleurs. C’est presque une ville de transit. » « Il n’y a presque pas d’espaces publics ici. Les lieux de rencontre sont plutôt les marchés, les terrains de sport, les lieux d’attente comme les gares, les cafés... »
« Certaines familles qui sont venues habiter ici dans les années 70/80 ont déménagé au bout d’une vingtaine d’années, quand les enfants sont devenus grands. Je connais des gens qui sont parti dans des communes pas très loin, à Belloy-en-France par exemple, à 15 kilomètres. »
« Ici, il n’y a pas d’activité. On vit pour la famille. Ou alors on va à Paris. »
« La ville est entourée de parcelles agricoles. C’est flagrant près des Grandes Bornes. Mais cela ne participe pas à l’identité paysagère. »
« On fonctionne vraiment par quartier à Goussainville, et pour s’y retrouver, on se repère par rapport à telle école, ou tel stade. »
« Ce sont des openfields, du coup on va très peu s’y promener, quoique certains chemins agricoles sont empruntés par des vélos et des personnes qui font leur footing. Mais sinon, on prend la voiture et on va ailleurs. »
« Je suis une adepte du vélo. Mais à Goussainville, je prends la voiture pour tout. »
Paroles d’habitants
« Aujourd’hui, la ville, les maisons se dévaluent. Il y a de plus en plus d’immigration et les relations aux autres sont parfois compliquées. Mais c’est aussi ça Goussainville, et on aime notre ville. » 35
Goussainville en quelques statistiques
0,4% de croissance de population par an contre
0,7%
pour l’Île-de-France
4%
74 ans et + La croissance démographique de la ville s’est ralentie depuis une dizaine d’année, elle est aujourd’hui plus faible que celle de la région.
À Goussainville, la densité de population semble établir une transition entre les communes denses gravitant autour de Paris, et les villes et villages plus ruraux, telle la ville de Louvres, qui annoncent l’entrée dans un territoire différent de celui de l’agglomération parisienne.
Creil Louvres
848 hab/km2
Goussainville 2709 hab/km2 de densité Villiers-le-Bel
3742 hab/km2
Garges-lès-Gonesse
7638 hab/km2
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Paris
9,5%
60-74 ans
39,5%
30-59 ans
25%
0-14 ans
22%
15-29 ans
La population de Goussainville est une population plutôt jeune : presque la moitié des habitants est âgée de moins de 30 ans. Cela peut être du à la part de familles nombreuses : 25% des familles de Goussainville ont au moins 3 enfants.
10 600
logements dont 29% de logements sociaux Creil Le prix moyen d’un mètre carré de logement à Goussainville est plus bas que celui de la région Îlede-France, qui équivaut à 3100€ le m2. Ce prix, peu élevé, reflète les difficultés et contraintes qui touchent les habitants de la Plaine de France, et de ses paysages d’infrastructures lourdes. Mais à ce prix, les logements ne sont pas difficiles à vendre.
71,3% d’actifs chez les 14-64 ans, soit 20500 habitants
à Louvres : 2760
€ au m2
2630 €
Prix moyen d’un logement au m2 à Goussainville
à Garges-lès-Gonesse : 2290 à Villiers-le-Bel : 2200
€ au m2
€ au m2
Paris
dont 17,5% de chômeurs 12,3% en Île-de-France
16 332 € /an
de revenu médian contre
22 379 € /an
À Goussainville, le taux de chômage est nettement plus élevé que celui d’Île-de-France. L’absence d’activités ou de pôle d’emploi dans la commune peut en être à l’origine, comme le montre ci-dessous les graphiques concernant les personnes travaillant dans d’autres communes. Parmi les actifs de la ville, 35% sont employés, 32% sont ouvriers, 21% travaillent dans des professions intermédiaires, 7% sont cadres, et 5% sont artisans ou commerçants.
pour l’Île-de-France
80% 54,8%
utilisent leurs voitures
4,8%
y vont à pied
prennent 38,4% les transports collectifs
2%
ne nécessitent pas de transport
des actifs travaillent dans une commune extérieure
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En banlieue, les villes traversées
À l’origine des villes périphériques
« C’est tout le sens d’acheter du neuf. La vie commence avec le pavillon, et ne finira qu’avec lui, c’est-à-dire jamais. Les lotissements, construits en dehors de la commune originelle, sont éloignés du temps terrestre. Parfois ils sont au milieu de rien. Leurs occupants s’y retirent comme le saint se retire du monde : ce que le crédit représente, ce sont les clés du paradis. Le paradis n’a pas besoin d’être quelque part, tant qu’il est accessible.» Les états et empires du Lotissement Grand Siècle, de Fanny Taillandier
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Ces statistiques nous enseignent que la population de Goussainville s’apparente à une catégorie de banlieue plutôt populaire, voire défavorisée : le salaire médian y est bas et le taux de chômage assez élevé, et les catégories socioprofessionnelles les plus présentes sont celles des ouvriers et des employés, qui à elles deux comptabilisent presque 70% des actifs de la commune. Ces derniers travaillent d’ailleurs, pour la plus grande partie, dans une ville extérieure à celle de leur résidence. Au travers de ces caractéristiques, Goussainville présente des problématiques inhérentes aux villes de banlieue. Ces villes se sont considérablement étendues suite à la création des différentes politiques de logement, telle la Loi Loucheur qui prévoit une intervention financière de l’État en faveur de l’habitat populaire, établie en 1928, soit 4 ans après la naissance du lotissement de la Grange des Noues. Ces politiques d’État ont contribué à éloigner les classes populaires des centres urbains, en faisant la promotion de logements neufs, les pavillons, et ont favorisé leurs constructions dans des communes périphériques, où les parcelles étaient moins coûteuses.
La prédominance de la circulation L’essentiel consiste ensuite à relier ces nouveaux quartiers d’habitation aux bassins d’emplois, généralement plus proches de la capitale, et donc assez éloignés de ces quartiers. C’est alors l’ère des mobilités pendulaires : chaque jour, on se déplace entre son lieu de travail et son domicile, ce qui confère aux gares une place prépondérante dans ces villes. La commune de Goussainville en est un bon exemple : elle possède, depuis 1962, deux gares de RER, éloignées l’une de l’autre d’un peu plus d’un kilomètre, ce qui est assez singulier. De plus, en observant les logiques de circulation dans la ville, on remarque que ces gares constituent les principales portes d’entrée et de sortie de la ville. En effet, Goussainville apparaît comme un espace urbanisé très peu poreux vis à vis de ses environs. Seules trois entrées de ville existent, dont les deux principales sont situées le long d’un axe nord-sud qui permet de traverser tout le territoire de la commune. Or, les différents quartiers de Goussainville, apparus comme on l’a vu les uns après les autres, n’ont pas développé de connections entre eux, ni même de connections vers l’extérieur. Leurs voiries se sont contentées de se greffer à d’autres, plus importantes, généralement des boulevards ou des avenues, qui drainent eux même les habitants vers cet axe nord-sud traversant. Tout semble alors avoir été pensé pour conduire facilement les habitants hors de la ville. « Les rues du Lotissement Grand Siècle ne mènent jamais qu’à elles mêmes, dans une organisation fractale : une boucle desservant des boucles, qui elles-mêmes se divisent en boucles jusqu’à desservir tous les pavillons. La plus grande boucle était reliée à une voie rapide qui conduisait à l’autoroute via une série de ronds-points.» F. Taillandier, Ibid.
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gare des Noues
Av. Albert Sarraut
gare principale
tissu pavillonnaire hétérogêne lotissement pavillonnaire homogêne
grand ensemble logement collectif bas
Grandes typologies d’habitations et circulations principales 40
entrée de ville principale entrée de ville secondaire
N
0
500m
les deux gares coupure int/ext axe traversant 1000m
1500m
Le caractère individualiste des pavillons donne l’impression que la rue, un espace pourtant public, n’existe que pour desservir ces propriétés privées. Un axe brusquement arrêté : la ville ne communique pas avec ses extérieurs. Le boulevard Roger Salengro, voirie plus importante et qui se veut plus urbaine, est encombré par les véhicules. « Il sort ainsi du lotissement qu’il habite en banlieue, construit autour d’une série de voies en impasse excluant tout flux de transit pour n’autoriser l’accès qu’aux seuls riverains, lui et ses voisins. » Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public
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Éléments de conclusion
La forme actuelle de Goussainville a été véritablement marquée par le développement peu habituel que la ville a connu depuis le début du XXe siècle. L’absence de réflexion à l’échelle communale et l’arrivée massive d’une population qui aspirait uniquement à la propriété privée en a fait une vaste étendue principalement pavillonnaire, où prône l’individualité au détriment des lieux de rencontre publics qui caractérisent et qualifient habituellement les villes. A cela viennent s’ajouter les difficultés que rencontre la commune à défendre ses intérêts sur un territoire qui lui semble hostile. En effet, la présence de nombreuses et lourdes infrastructures de transport dans ses environs immédiats a contribué à replier la ville sur ellemême. Directement située dans la trajectoire des avions, elle est aussi cernée, et donc enclavée, par de nombreuses voiries qui vont de la route départementale à une nationale aux airs d’autoroute. De plus, le territoire communal est lui-même cisaillé par le passage d’une voie ferrée ainsi que d’une ligne de TGV. La détresse qui résulte de cette situation est explicitement traduite au travers du cas emblématique du vieux-village de Goussainville. Des questions se posent alors sur le devenir de ce territoire habité, dont le développement est aujourd’hui clairement entravé par toutes ces proximités subies. Ainsi, sans espaces de vie urbains et sans contexte paysager, Goussainville est-elle destinée à demeurer une cité-dortoir, où l’on réside quelque temps avant de partir ailleurs ? 42
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CHAPITRE 2 UNE URBANISATION INACHEVÉE
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Des centralités fugaces et isolées
Une mixité fragile à l’origine des centralités La question de l’urbanité de Goussainville se pose. La juxtaposition successive de quartiers d’habitation a t’elle suffit à former une véritable ville ? Afin d’essayer de répondre à cette question, il semble important d’étudier les éléments qui caractérisent habituellement une ville. Parmi ces caractéristiques se trouve la notion de centralité, qui peut se définir comme une « combinaison à un moment donné d’activités économiques, de fonctions politiques et administratives, de pratiques sociales et de représentations collectives, qui concourent au contrôle et à la régulation de l’ensemble de la structure de la ville » (Castells, 1972). Une centralité existe donc par ses fonctions, plus variées que celles des lieux d’habitation, et notamment par sa capacité à rassembler les habitants. Or, à Goussainville, le centre villageois historique, qui a pendant longtemps incarné ce rôle, s’est retrouvé complètement mis à l’écart des nouvelles populations. Afin de créer de nouvelles centralités dans ces assemblages de pavillons, il a alors fallu s’appuyer sur les quelques éléments qui n’en étaient pas : parmi eux, la gare principale, et un carrefour majeur où est apparu très vite l’hôtel de ville. Ainsi, trois centralités se sont dégagées. Raymond Ledrut, Sociologie Urbaine
« Le pouvoir d’attraction du centre - ou d’un centre ne tient pas à l’insuffisance de l’équipement des quartiers. Le centre ou les centres primaires assureront toujours les services rares d’usage peu fréquent. Cependant ce n’est pas seulement cette fonction de service qui donne son rôle urbain et sa valeur aux centres. La concentration porte à un très haut degré d’intensité certains états psychologiques que la vie de quartier aussi riche qu’elle soit ne peut développer suffisamment. L’homme de la ville est périodiquement un homme du centre, sinon il devient l’homme d’une sous-bourgade.»
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Centralités urbaines et mixité Cette carte présente les trois centralités principales de la ville, appuyées par leurs linéaires commerciaux, ainsi que les autres éléments qui viennent ponctuer les quartiers d’habitation. commerces des Grands Bornes
place de la Charmeuse
quartier de la gare
centralité urbaine bâtiment majeur : mairie, gares et églises bâtiment scolaire et culturel
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mixité des tissus, présence de commerce
tissu à dominante pavillonnaire
complexe sportif
grand ensemble
N
0
500m
zone d’activité plutôt dense zone d’activité plus lâche 1000m
1500m
La Place de la Charmeuse constitue la centralité principale. L’hôtel de ville y est installé depuis 1962 ; il siégeait auparavant en plein cœur du vieux-village. Sur les abords de cette place, qui se trouve être en réalité un rond-point, sont apparus peu à peu des commerces, donnant une fonction nouvelle à ce lieu. La présence de la « chapelle de secours » à proximité, par la suite remplacée par une église d’architecture moderne, vient appuyer ce rôle de lieu vers lequel viennent converger les habitants. Plusieurs pavillons situés à ce carrefour ont été détruits afin de densifier le quartier, en construisant à leur place des logements collectifs de 3 ou 4 étages. Cependant la densification, et donc l’évolution vers des tissus plus mixtes, a pris fin en 2007 lorsque les réglementations liées à la construction de logement en zone C ont rendu impossible l’édification d’habitations collectives. Cette place a cependant continué à asseoir son rôle de centralité grâce à la création de halles couvertes qui accueillent chaque samedi un marché, ainsi que d’un conservatoire de musique et de danse, construit sur dalles, offrant un point haut dans la ville.
La place de la Charmeuse et ses commerces : l’importance donnée à la voiture en fait davantage un espace traversé plutôt qu’un véritable lieu de rencontre.
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Cependant, l’omniprésence de la voiture à cet endroit rend l’espace de la place moins attrayant lorsque l’on est piéton. La gare des Noues est en effet située à seulement une centaine de mètres de là, ce qui a conduit à donner aux stationnements une place prépondérante dans ce quartier. Ainsi, un square public a été mis en place pour accueillir des enfants, mais il se retrouve enclavé au milieu d’un parking, ce qui le rend à la fois moins agréable et moins sécurisé. Ce carrefour offre donc aujourd’hui une forme urbaine détachée des étendues pavillonnaires qui ont formé Goussainville, mais il reste néanmoins très fragile et fugace. Dès lors que l’on s’engage dans une des voiries attenantes du rond-point, on regagne très rapidement les couloirs de pavillons interminables. La seconde centralité que l’on observe à Goussainville est encore plus éphémère. Elle correspond aux environs immédiats de la gare principale, la première à avoir été construite. Face à elle, on trouve quelques frontons commerciaux, mais qui apparaissent très isolés. Ils ont en effet été pendant longtemps entourés par de grands bâtiments industriels (sucrerie et scierie) qui ont aujourd’hui laissés place à des zones d’activités et des complexes sportifs. Ce nouveau voisinage confère alors à ces commerces le rôle de courte parenthèse urbaine, perdue aux milieux de tissus lâches qui relèvent d’une toute autre échelle, et de pratiques différentes. Face à la gare et à ses difficultés de circulation, quelques commerces apparaissent. La gare principale de Goussainville rencontre beaucoup de difficultés à faire cohabiter voitures, bus et piétons alors que la ville souhaite en faire un pôle multimodal.
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A l’image des commerces de Goussainville, le Balto, tabac-presse, bâtiment isolé, situé près du pont des Noues et de la Place de la Charmeuse. Derrière l’hôtel de ville, un square pour enfant au milieu d’un parking. Les deux châteaux d’eau, dont celui visible sur la photo, émergent et situent de loin le centre-ville.
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Une dernière centralité a récemment émergé du quartier des Grandes Bornes. Suite à un programme de rénovation urbaine, ce quartier s’est transformé : trois tours de 1968 ont été détruites en 1995 parce qu’elles étaient trop vétustes. Une quatrième a subi le même sort en 2008, pour des raisons similaires. Ces destructions, libérant une importante superficie au sol, ont permis la création dans les années 2000 d’un parc public, le Parc des Grandes Bornes, et d’un centre commercial de proximité. Quelques années plus tard, la médiathèque municipale a fait son apparition en plein centre du quartier, attirant ainsi des habitants de toute la ville. Enfin, en 2013, la construction d’une grande halle de marché face au centre commercial a été entreprise. Aujourd’hui finie, c’est autour d’elle que vient se matérialiser cette centralité, qui semble toutefois rencontrer des difficultés à rayonner hors du périmètre défini de ce grand ensemble.
Des axes structurants inégaux Ces centralités se dessinent comme de petites insularités venant difficilement ponctuer les quartiers d’habitation. Cet isolement flagrant m’a conduit à me questionner sur l’existence d’une hiérarchie dans les voies de circulation, afin de voir si malgré tout certains axes tendaient à étendre le rayonnement de ces points urbains dans la ville. Ainsi, trois axes se sont dégagés : deux orientés nord-sud, le Boulevard Roger Salengro et l’Avenue Albert Sarraut, qui a déjà été mentionné dans le chapitre précédent comme l’axe traversant majeur de la ville. Le dernier, orienté d’est en ouest, vient faire la liaison entre ces deux premiers : il s’agit du Boulevard Paul Vaillant Couturier. Cependant, en étudiant les différentes séquences de ces trois axes, ils apparaissent très inégaux, premièrement lorsqu’on les compare entre eux, mais aussi au sein de leur propre linéarité. 50
Étude des axes principaux Les différentes séquences laissent apparaître l’avenue A. Sarraut comme moins cohérente que les boulevards R. Salengro et P. V. Couturier. Mais, cette succession peut s’avérer être une richesse, et en faire ainsi un espace à fort enjeu urbain.
Bd. Roger Salengro
A
A B C
C Av. Albert Sarraut
C
Bd. Paul Vaillant Couturier
D
A Bd du Gal de Gaulle
D’
centralité urbaine entrée de ville principale entrée de ville secondaire
ouverture visuelle bâtiment point de repère séquences des axes majeurs
espace latéral : enjeu urbain espace latéral enjeu d’accroche aux franges
axe enserré accroche à un élément latéral large ouverture, un futur enjeu ?
N
0
500m
1000m
1500m
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Le couloir pavillonnaire
L’accroche aux grands ensembles Cette séquence n’apparaît qu’une fois, les grands ensembles étant généralement refermés sur eux-mêmes. Ici se rencontrent le quartier Ampère et l’axe Albert Sarraut. Un fronton commercial s’y est installé, adossé à l’immeuble, avec devant lui, un parvis minéral planté, qui semble l’un des rares espaces publics. Des parcelles pavillonnaires lui font face.
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(B)
(A)
Des parcelles pavillonnaires se succèdent de part et d’autre de la voirie, qui s’apparente à n’importe quelle rue de la commune. Seule la largeur de la voie, permettant un stationnement en double file, peut laisser deviner qu’il s’agit d’un axe plus important que les autres. L’omniprésence de parcelles privées ne laisse ici imaginer que très peu d’évolution.
La mixité décousue L’ouverture sur de vastes espaces
(D)
A cet endroit existe une rupture nette entre les deux côtés de l’axe. D’un côté, des parcelles pavillonnaires en limite de quartier, et de l’autre, de vastes espaces ouverts, ponctués de gymnases et d’établissements scolaires. Cette rupture est due à la présence de la sucrerie, qui a entraîné une urbanisation tardive de ces espaces. Cette séquence se décline aussi le long du bd du Gal de Gaulle, avec l’ouverture sur une enclave agricole en sortie de ville (D’). Ces lieux ouverts appellent des actions de valorisation qui rendraient plus lisibles les axes structurants, et qui pourraient aussi faire la liaison avec les franges de la ville.
(C)
Cette séquence présente un assemblage de pavillons « classiques », qui côtoient des habitations dont le rez-de-chaussée a été transformé en espace commercial (boulangerie, pizzeria...) ainsi que des immeubles d’habitation collective plus hauts, construits pour la plupart avant l’évolution de la réglementation en zone C. On observe cette mixité, plus ou moins soutenue, au carrefour des axes majeurs et tout le long du boulevard Paul Vaillant Couturier.
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L’absence d’espaces publics significatifs
Les espaces publics de Goussainville Peu présents et peu qualifiants, les espaces publics de Goussainville contribuent à donner à la ville son image de cité-dortoir ; les habitants se rendent dans d’autres villes afin de profiter d’espaces urbains ou naturels.
À l’origine, un manque structurel A l’image des centralités, les espaces publics ont difficilement émergé lors de la construction successive des parcelles pavillonnaires. Ces dernières sont aujourd’hui occupées en grande majorité : seuls quelques terrains apparaissent encore non construits, friches en attente, dont la valorisation en tant qu’espace de rencontre semble complexe au regard de leur faible superficie et de leur rareté. Les espaces publics urbains existants sont très peu nombreux et inégalement répartis sur le territoire de la commune. Ainsi, le plus grand de ces espaces se situe au cœur du vieux-village, à l’écart de la majorité de la population. Il s’agit du Parc du Château, un ancien domaine privé, qui présente une identité et une esthétique forte grâce à la présence d’une ancienne maison bourgeoise en ruine, installée dans un écrin boisé (cf photo page 17). Les autres espaces publics de Goussainville connaissent pour la plupart la même situation d’isolement, mais pour des raisons différentes. En effet, lors du développement de la ville, les seuls quartiers où des espaces publics ont été mis en place selon un programme d’aménagement sont les grands ensembles. En 1949, le plan de zonage du Programme d’Aménagement de la Commune avait d’ailleurs prévu que le lieu-dit des Grandes Bornes - qui correspond à l’actuel quartier - devienne un espace vert boisé, mais la pression immobilière a empêché son approbation. 54
les Grandes Bornes
Ampère la Butte aux Oies
Stade J. Moulin
Complexe sportif M. Bacquet
centralité urbaine
espace public enclavé dans les grands ensembles
espace non aménagé à fort potentiel
zone d’activité plutôt dense
axe structurant
espace public éloigné des centralités et axes majeurs
complexe sportif très fréquenté
zone d’activité plus lâche
bâtiment scolaire ou culturel
espace public accroché aux centralités et axes majeurs
complexe sportif moins fréquenté
N
0
500m
1000m
1500m
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Des espaces aux formes inadaptées Les espaces publics de Goussainville, en plus d’être peu nombreux, présentent des formes et des situations qui limitent considérablement leur appropriation. La localisation agit tout d’abord de manière prépondérante, et l’isolement du Parc du Château au vieux-village en est un bon exemple. Les espaces publics situés entre les tours des grands ensembles, bien que moins excentrés, connaissent eux aussi cette difficulté d’attraction et de rayonnement. Ils sont en effet utilisés exclusivement par les habitants du quartier, ce qui participe encore davantage à l’enclavement des grands ensembles. Mais leur positionnement n’est pas l’unique raison de ces difficultés. Leurs formes, les usages qu’ils permettent influent aussi sur leur fréquentation. On observe ainsi que les espaces d’intervalles entre les immeubles sont pour la plupart de petites surfaces de pelouse ou de revêtement stabilisé, parmi lesquelles on trouve ponctuellement des aires de jeux cernées de grilles et des terrains pour jouer à la pétanque. La végétation y est à certains endroits peu dense et diversifiée : des haies basses séparent les différentes surfaces et des arbres tentent d’offrir des échappatoires au vis-à-vis des tours, sans pour autant occulter la vue, afin que « l’intérieur du square reste visible depuis l’extérieur, que chaque personne assise sur un banc puisse voir l’ensemble des parties du square depuis l’endroit où il se trouve. » (Delbaere, 2010) Un problème d’usage semble se poser : les cloisonnements successifs de haies et de grillages morcellent les lieux, et rendent ainsi difficile leur appropriation pour d’autres fonctions que celles qui y sont clairement définies. Tout cela conduit à une certaine uniformisation de ces espaces, qui apparaissent ainsi moins attrayants pour les habitants. Une aire de jeu occupe l’espace cerné par les tours de l’ensemble Ampère. Le quartier des Grandes Bornes et ses espaces publics lors de sa construction. Le long de l’avenue A. Sarraut, une bande de pelouse vient faire la liaison entre le quartier de la Butte aux oies. Un futur espace public ?
56
source : Goussainville, Ă la dĂŠcouverte des quartiers
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Les autres espaces publics de Goussainville connaissent des problématiques similaires. Près de la Place de la Charmeuse, un square pour enfant ne permet pas d’attirer d’autres publics que des parents accompagnés de leurs enfants. Près du quartier des Demoiselles, l’un des plus récents de Goussainville, l’Avenue de Montmorency a fait l’objet d’un programme d’aménagement afin qu’elle devienne un boulevard urbain. Des alignements y sont présents et un terre-plein central planté sépare les différents voies. Cependant, cette forme d’espace public est devenu, selon Denis Delbaere, obsolète dans nos sociétés actuelles. Le boulevard urbain s’est transformé en « une addition de couloirs monofonctionnels distincts, reliés uniquement en certains points précis », et a ainsi perdu « le fond de sa vertu sociale, qui se trouve dans sa transversalité, dans sa capacité à mettre en contact le long de ses trottoirs toutes sortes d’usages et de pratiques pouvant se confronter les unes aux autres ».
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Tout cela apparaît juste, puisque cette avenue se présente comme un couloir que l’on peut quitter uniquement lorsqu’il s’agit de s’engouffrer dans les voies sans issues des quartiers pavillonnaires. L’espace public serait donc devenu « un leurre », puisque les formes qu’il présente aujourd’hui semblent inadaptées à notre société actuelle, mais continuent pourtant à être reproduites à l’identique.
D’autres espaces ont alors pris le relais afin de permettre aux habitants de se rencontrer. Les jeunes de Goussainville - 41% de la population a moins de 25 ans - ont pris l’habitude de se retrouver dans des lieux dédiés au sport : les stades et autres terrains sportifs, accompagnés de leurs gradins, sont très présents à l’ouest de la ville depuis la fermeture de la sucrerie. Le stade Jean Moulin est par exemple l’un des plus fréquentés, puisqu’il est situé directement à proximité des grands ensembles de la Butte aux Oies et d’Ampère, et de leur importante population. Le complexe Maurice Bacquet, d’une plus grande superficie, semble proportionnellement moins utilisé. Situé à proximité des zones d’activités de la ville, il peut apparaître moins aménagé, moins urbain et perdre ainsi de son côté fédérateur.
L’avenue de Montmorency se distingue par ses nombreuses plantations. Cependant, son usage ne semble pas différer de celui des voies en impasse qui desservent les pavillons. Un espace public du quartier des Demoiselles, desservi par l’avenue de Montmorency. Le lieu, à la vue de tous et sans réelle qualité, n’inspire pas à l’arrêt...
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À la découverte du paysage des franges
Des espaces de rencontre alternatifs La carence d’espaces publics urbains à Goussainville entraîne une échappée des habitants, qui se rendent dans d’autres communes afin de profiter de centres-villes attractifs et vivants, mais aussi de parcs publics et d’activités culturelles, telles les salles de cinémas. Tous ces lieux peuvent se retrouver en un seul et même endroit, à Paris, et c’est en effet souvent vers la capitale que se tournent les habitants de la commune. Cependant, Goussainville présente une singularité qui la distingue de Paris et des villes de petite couronne : elle est située au cœur de la Plaine de France et est par conséquent cernée, non pas par d’autres espaces urbanisés, mais par des lieux ouverts. Le territoire communal est ainsi occupé sur plus d’un tiers de sa superficie par des parcelles agricoles (37% d’après les données Corine Land Cover 2006). La ville est aussi traversée par un cours d’eau, le Croult, qui forme une légère vallée au niveau des limites nord et est de l’urbanisation de la ville. Ce cours d’eau apparaît très discret, et se devine surtout au travers de deux espaces de rétention des eaux pluviales situés près de ses points bas, à proximité immédiate d’habitations.
Les espaces en ceinture de l’urbanisation de Goussainville
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Bassin de rétention du Bois aux Moines
vers la Butte de Châtenay
vers Paris Bassin de rétention du Bois d’Orville
le Croult le pont TGV
vers l’aéroport
0 absence de continuité ouverture visuelle depuis la ville lieu d’accroche activé entre la ville et ses espaces de ceinture
parcelles agricoles boisements et ripisylves bassin de rétention : ambiance de fond de vallée la Butte du Seigneur : une lande et des points hauts
500m
point de vue lointain depuis des hauteurs chemin existant mais peu accessible chemin à valoriser pour rendre plus accessibles les espaces identifiés
1000m
1500m
les courbes de niveau sont espacées de 2 mètres
N 61
À la sortie d’un petit bois, un sentier conduit à des parcelles légèrement vallonnées, avec peut être un point de vue sur l’aéroport ? Derrière le bassin de retenue des eaux pluviales, le « Bois de la Digue », appelé ainsi par les habitants à cause de la présence d’un ouvrage bétonné. Un chemin longe les bassins de rétention à l’est de la ville et offre des points de vue intéressants sur l’urbanisation de Goussainville.
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Cette proximité, associée aux ambiances et qualités qui se dégagent de ces lieux, plus naturels, plus vastes et moins contraints, ont permis d’en faire des espaces que certains habitants s’approprient davantage que les espaces publics de la ville. Ainsi, Clémence, une habitante de Goussainville, m’a parlé d’un lieu qui correspond au bassin de rétention du Bois des Moines : « Un endroit où il y a pas mal de monde, c’est ce qu’on appelle le Bois de la Digue. On passe par là pour faire son footing, du vélo, se promener, les enfants y traînent un peu, les plus grands y font du quad ou de la motocross. C’est un espace informel. » Au cours de cette discussion, il a aussi été question de l’existence de plusieurs chemins qui permettent notamment de relier, à pied ou à vélo, Goussainville avec les villes de Louvres et de Fontenay-en-Parisis, au nord de la Francilienne. Cependant, leur manque de valorisation les amènent à être peu connus des habitants, qui prennent alors leurs voitures afin d’aller se promener ailleurs.
Une évidente absence de valorisation Je me suis rendue sur place afin de découvrir ces différents chemins. Il semble en effet compliqué d’y accéder : l’entrée de l’un de ces sentiers est par exemple masquée par des parcelles en friches, une autre se situe au bout d’une rue évacuée lors de la construction de l’aéroport et aujourd’hui squattée. De plus, lorsque l’on réussit à rejoindre ces chemins, on comprend très vite qu’ils sont principalement utilisés comme lieux de décharges. Enfin, c’est aussi la présence des nombreuses infrastructures de transport à proximité qui vient participer à la dévalorisation de ces espaces. 63
La Francilienne frôle en effet l’urbanisation de Goussainville au nord, et laisse entre elles deux une bande de seulement 300 à 400 mètres, constituée presque essentiellement de terre de remblais. Quant aux voies ferrées, elles viennent couper les continuités des parcelles agricoles, et traversent aussi les cours d’eau. Un pont a ainsi été construit afin que le TGV puisse passer au dessus des milieux humides qui accompagnent le Croult (cf photo page 21).
Des amas de déchets jalonnent ponctuellement les différents sentiers.
Le Croult, parfois busé, parfois souterrain, sans continuité donc, passe sous le pont TGV.
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La commune ne semble donc pas tirer parti de ses franges, qui présentent pourtant des lieux aux ambiances diversifiées dont pourraient profiter davantage les habitants. Au contraire, à certains endroits, la ville apparaît même rejeter complètement son contexte paysager : c’est le cas près du quartier des Demoiselles, où l’Avenue de Montmorency est brusquement arrêtée par des plots en plastique et des blocs de béton. Le chemin piéton qui en part se retrouve coincé entre la route départementale sur sa gauche et un talus sur sa droite, érigé afin de protéger les habitations du quartier voisin (cf photo page 19).
Éléments de conclusion
Les centralités de Goussainville, dans l’absence de réflexions préalables lors de la construction des quartiers, se sont formées de manière pratique autour des quelques éléments fédérateurs de la ville : la mairie, les gares et les commerces. Cependant, l’importance de l’habitat individuel dans une ville sans activités ni emplois s’est traduit dans l’espace public par l’omniprésence de véhicules et de stationnements, contribuant ainsi à fragiliser encore plus ces espaces urbains. De même, il existe pour des raisons similaires une carence d’espaces publics à Goussainville : les lieux de rencontre existants se situent principalement au sein des grands ensembles de la ville, et subissent la même situation d’enclavement que ces quartiers. Les Goussainvillois ont alors pris l’habitude de se rendre ailleurs, dans d’autres villes, afin de satisfaire leurs besoins d’activités et d’espaces urbains. Cependant, certains habitants se sont dirigés vers les marges de l’urbanisation, où se trouvent des espaces plus naturels, moins contraints, et où davantage d’usages peuvent prendre forme. Ces quelques accroches au contexte paysager laissent entrevoir un potentiel important pour la ville, qui pourrait tirer profit de ces franges paysagères en vue de compléter son urbanité inachevée. De plus, ces franges esquissent la présence d’un territoire à l’échelle plus vaste, et pourraient permettre d’ouvrir et d’ancrer Goussainville dans ce contexte. 65
CHAPITRE 3 DES FRANGES À LA PLAINE DE FRANCE, RETOUR AU SOCLE
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Des infrastructures qui fractionnent
Une pression foncière déterminante Située à quelques kilomètres de la lisière de l’agglomération parisienne continue, Goussainville prend place au cœur du vaste territoire agricole de la Plaine de France. Mais ce territoire souffre aujourd’hui d’une image négative. Cette plaine a en effet connu une pression foncière importante de par sa situation en périphérie de la métropole : ainsi, entre les années 1982 et 1999, près d’un quart de ses espaces cultivés, soit 1800 hectares, ont été urbanisés. Cette proximité, alliée à la présence de ces larges espaces non construits, a aussi conduit au cours du XXe siècle à l’apparition de grands projets d’aménagement qui ont contribué à lui donner cette image négative. Le territoire est aujourd’hui maillé par des infrastructures de transport nombreuses et démesurées. Parmi elles, les plus emblématiques sont les deux aéroports du Bourget et de Roissy - Charles de Gaulle, ouverts respectivement en 1919 et 1974. Afin de les desservir, de nombreuses voiries routières et voies ferrées - l’autoroute du Nord, les RER B et D - sont venues morceler la plaine afin de les relier à la capitale, créant des couloirs de parcelles agricoles enclavées. Ces coupures est-ouest ont été suivies par l’apparition de la Francilienne, une nationale au tracé concentrique ayant pour but de relier les villes nouvelles autour de Paris, créant cette fois ci une rupture nord-sud. 67
Goussainville
la Francilienne
le vieux-village
Aéroport de Roissy Roissy-en-France
Aéroport du Bourget
Autoroute du Nord
voie ferrée route et autoroute principale route secondaire
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aéroport
Périmètres d’Exposition aux Bruits (PEB)
ligne à haute tension
zone A
zone C
bâtiment d’activité
zone B
zone D
N
0
0,5
1km
2km
Tous ces maillages se sont appliqués sans justesse par rapport à l’implantation des villes et villages présents, autrefois en relation étroite avec leurs terres agricoles. Enfin, la présence contraignante et figée de servitudes liées à ces infrastructures de transport a scellé cette dissociation entre espaces urbanisés et contexte environnant.
Morcellements et insularités urbaines Cette absence de cohérence d’ensemble a conduit à un important paradoxe : alors que la Plaine de France est largement structurée de réseaux, la mobilité de proximité y est très limitée, les différentes parties morcelées manquant cruellement de liens entre elles. Alors que Goussainville se trouve à seulement cinq kilomètres du centre de l’aéroport de Roissy à vol d’oiseau, il faut compter entre 30 minutes et une heure afin de se rendre d’un point à l’autre, à cause notamment de la saturation des voiries et de l’absence de transports directs autre que les bus. Le projet du barreau de Gonesse, qui n’est plus à l’ordre du jour, avait pour but de corriger cela en permettant une liaison ferroviaire transversale entre les axes des RER B et D. Tout cela semble avoir mené à ce que l’Établissement Public d’Aménagement de la Plaine de France a qualifié de « désintégration urbaine ». Les villes du territoire se retrouvent enclavées entre toutes ces infrastructures traversantes et apparaissent comme de véritables insularités, étrangères les unes aux autres, et que les habitants n’arrivent pas, comme on l’a vu, à s’approprier et à pratiquer.
La prépondérance des infrastructures dans la Plaine de France
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Dynamiques du pôle d’activité de Roissy - Charles de Gaulle d’après l’article de Jacqueline Lorthiois Roissy, histoire d’une mystification
Un paysage « pauvre » Le passage et les coupures physiques instaurés par les infrastructures ne sont cependant pas les seules raisons du morcellement de ce territoire. Les dynamiques qui ont accompagné leur mise en place semblent aussi avoir contribué à ces problèmes. La présence de Roissy - Charles de Gaulle, fréquenté en 2015 par plus de 95 millions de passagers, a entraîné l’apparition d’une multitude d’espaces économiques qui sont venus profiter de sa présence et se sont adossés aux grandes infrastructures ferroviaires et autoroutières. Ces implantations polarisées ont aggravé encore les discontinuités territoriales, puisqu’elles ont accentué la ségrégation déjà esquissée entre les lieux d’habitation, plus éloignés des aéroports, et les lieux de travail contigus. Alors que l’aéroport de Roissy constitue la principale porte d’entrée de France pour le reste de l’Europe et du monde, aucune réflexion ne semble avoir été engagée pour définir les paysages et horizons visibles depuis ce seuil. Les environs de l’aéroport de Roissy sont au contraire aujourd’hui connus pour leurs paysages pauvres et sans intérêt. Dès que l’on sort de son périmètre, la succession de routes et autoroutes nous emmène sans problème là où nous voulons aller, sans qu’aucun point de vue n’apparaisse sur autre chose que des hangars, des zones d’activités et des lignes à haute tension. Le territoire donne ainsi l’impression d’être uniquement dédié aux activités et au passage. 70
La présence de l’aéroport et de son pôle d’activité entraîne le recrutement de travailleurs sur une aire vaste et diffuse, qui s’étend sur deux régions : l’Île-de-France et le sud des Hauts-de-France.
Afin d’attirer ces actifs qui ne résident pas à proximité de l’aéroport, on crée une offre locale de logements.
Les personnes habitant déjà le territoire ne trouvent alors pas d’emplois à proximité. Des transports sont donc créés afin que soient exportées plus loin leurs forces de travail.
Ces surcoûts nécessitent pour les financer une croissance économique locale, qui engendre elle-même une demande de développement des dessertes et des activités du pôle de Roissy. 71
Le Croult, un vecteur de paysage
L’armature paysagère de la plaine Les paysages de la Plaine de France ne sont cependant pas aussi « pauvres » qu’ils peuvent le laisser penser. Un cours d’eau, le Croult, sillonne ce territoire sur une distance d’environ 25 kilomètres. Cette rivière prend sa source à Mareil-en-France, à cinq kilomètres au nord-ouest de Goussainville. Elle traverse ensuite le département du Val d’Oise et celui de Seine-Saint-Denis, en passant notamment par Goussainville, Gonesse, Arnouville, Garges-lès-Gonesse et la Courneuve, avant de se jeter dans la Vieille Mer, cours d’eau qui parcoure furtivement Saint-Denis jusqu’à la Seine. Son affluent principal, le Petit Rosne, long de dix kilomètres, passe par les villes d’Écouen et de Sarcelles, avant de rejoindre le Croult à Bonneuil-enFrance, à l’ouest de l’aéroport du Bourget. Dans un territoire plat comme celui de la Plaine de France, la vallée du Croult, encaissée d’une vingtaine de mètres seulement, apparaît toutefois comme un élément paysager important. De plus, elle constitue, avec la vallée du Petit Rosne, une armature sur laquelle viennent se greffer des bandes végétales et notamment boisées, absentes du reste du territoire où règnent les grandes parcelles céréalières. Le réseau hydrologique de la Plaine de France
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Goussainville
le Croult
Parc de la Patte d’Oie
le Petit Rosne Parc du Sausset
Parc G. Valbon
voie ferrée route et autoroute principale route secondaire
le Sausset
végétation basse boisement cours d’eau
les courbes de niveau sont espacées de 2 mètres aéroport
N
0
0,5
1km
2km
73
On observe ainsi le long de leur tracé des forêts ponctuelles, dont certaines sont humides et peuplées de saules, d’aulnes et d’ormes. Des prairies au taux d’humidité plus ou moins important sont aussi présentes, ainsi que des friches herbacées, qui ont succédé aux parcelles maraîchères qui accompagnaient autrefois le cours de ces rivières.
Un connecteur potentiel mais fragile Cette diversité d’ambiances végétales a fait de ces cours d’eau des lieux intéressants et potentiels afin d’animer le territoire de la Plaine de France. Le Croult a ainsi servi d’accroche à plusieurs grands parcs, qui ont vu le jour dans le but de valoriser et de rendre plus accessibles ces espaces pour les habitants. Parmi eux, le Parc Départemental Georges Valbon, aussi appelé Parc de la Courneuve, et dont l’aménagement s’est fait par phase successive entre les années 1960 et 2013. D’une superficie de 417 hectares, il est le plus grand parc public d’Île-de-France, et présente une richesse écologique importante, puisqu’il a été été aménagé sur des zones humides. De même, le Parc de la Patte d’Oie, d’une superficie de 120 hectares, est en train d’être aménagé le long du Croult, entre les villes de Gonesse et du Thillay. Situé à l’emplacement d’une ancienne décharge, ses monticules ont été dépollués et replantés selon un double objectif : offrir un espace vert aux habitants de la ville et favoriser la biodiversité grâce à une gestion adaptée. Enfin, le Parc Départemental du Sausset a été mis en place le long du cours d’eau du même nom au sud-ouest de l’aéroport de Roissy et propose différentes « scènes paysagères » : une scène forestière, deux autres agricole et bocagère ainsi qu’une séquence plus urbaine. À Goussainville, une forêt accompagne le cours du Croult, et masque la présence du pont de TGV, visible en arrière plan.
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Les cours d’eau qui traversaient autrefois le Parc Georges Valbon, dont le Croult, ont été successivement recouverts au XXe siècle. Cependant, le parc actuel a réintroduit la présence de l’eau en créant des bassins étanches et de nouveaux ruisseaux. Le Parc du Sausset, qui a pour ligne directrice de conjuguer ville et nature, répond à la volonté du conseil général de Seine-Saint-Denis qui souhaite que 10 % de la superficie du département soit consacré aux espaces verts publics.
sources : http://parcsinfo.seine-saint-denis.fr/Les-zones-naturelles.html Service urbanisme de Goussainville
http://www.hubstart-paris.com/fr/image/tag-7-tourisme
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Cette coupe représente la vallée du Croult lorsqu’elle traverse le village du Thillay. source : Atlas des Paysages du Val d’Oise
Forme urbaine patrimoniale en fond de vallon Zone d’activité attenante à une route départementale
Lotissements récents
Grandes parcelles céréalières
Goussainville Les vallées transversales
Parcelles de proximité urbaine Parcelles enclavées dans les tissus urbains
N
0 1km 2km
4km
source : Document stratégique EPA Plaine de France
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Le Croult se présente comme un élément connecteur d’intérêt, dans un territoire qui souffre d’importantes fractures. Le long de son cours pourrait ainsi se développer une véritable trame paysagère, qui participerait à la recomposition de la Plaine de France. De plus, son tracé nord-sud pourrait permettre d’accompagner la transition entre le sud du territoire, largement urbanisé et où subsistent des enclaves agricoles - les villes de petites couronnes - et le nord, plus ouvert et encore largement cultivé, et qui s’étend jusqu’au Parc Naturel Régional Oise - Pays de France. Mais ce rôle de connecteur est encore très fragile. En effet, au sein de la Plaine de France, 23 kilomètres de cours d’eau souterrains nécessiteraient d’être redécouverts avant d’être valorisés. De plus, la pression exercée par l’expansion des zones d’activités risque de briser les continuités existantes. Sur le territoire de Goussainville par exemple, le tracé du Croult se trouve exposé en zone B du Périmètre d’Exposition aux Bruits, ce qui signifie que la construction de logements n’y est pas autorisée. Le risque est que l’absence de valorisation de ces milieux humides conduise à l’apparition en ces endroits de bâtiments d’activités, à la recherche d’espaces constructibles afin que se développe toujours plus le pôle de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
Schéma de l’état actuel des cours d’eau de la Plaine de France : en bleu foncé, les séquences souterraines, en plus clair, celles à ciel ouvert. Le Croult et ses affluents ont longtemps été considérés comme des égouts, et cela se ressent par cette absence de cohérence dans le traitement de leurs tracés Il existe du sud au nord de la Plaine de France une gradation d’espaces agricoles. Cependant, toutes ces typologies s’accrochent au Croult, véritable armature transversale.
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Ponctuation : reliefs et points de repère
Rompre la monotonie de la plaine La vallée du Croult semble avoir un important rôle à jouer dans la recomposition du territoire de la Plaine de France. Cependant, son tracé se révèle trop discret pour servir de repère dans ce paysage déstructuré. Or, l’absence de variation perceptible du relief à cet endroit perturbe la compréhension de l’espace, et participe à donner une impression de monotonie. Les seuls éléments qui viennent rompre la ligne d’horizon sont liés aux infrastructures et activités. Il s’agit des tours de contrôle des aéroports, mais aussi des nombreux châteaux d’eau, et bien évidemment des lignes à hautes tension accompagnées de pylônes électriques, innombrables à cet endroit, et participant plutôt à nous faire perdre nos repères. Une étude du relief permet cependant de faire ressortir trois éléments qui prennent proportionnellement beaucoup d’importance dans cette plaine. Il s’agit des buttes de Châtenay-en-France et de Mareilen-France, ainsi que de celle d’Écouen, sur laquelle est visible son château construit à la Renaissance. Ces trois buttes culminent entre 170 et 185 mètres d’altitude, soit environ 80 mètres plus haut que la plaine, dont l’attitude varie quant à elle entre 90 et 110 mètres. Depuis l’extrémité ouest de l’Avenue de Montmorency apparaît un étrange horizon : plusieurs dizaines de pylônes électriques traversent la plaine La butte de Châtenay depuis l’av. Albert Sarraut, à l’entrée nord de Goussainville
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79
Butte de Mareil Butte de Châtenay
Goussainville
Remblais de la Francilienne
Butte d’Écouen
Bois du Seigneur
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relief point de repère
point de vue depuis les hauteurs
pylône et ligne à haute tension
point de vue sur les reliefs
les courbes de niveau sont espacées de 2 mètres aéroport
N
0
0,5
1km
2km
L’importance des franges urbaines et des points hauts Ces éléments viennent animer le paysage de la plaine et participent à lui donner une identité, ce qui semble essentiel pour que les personnes habitant le territoire s’y sentent chez elles. Il apparaît donc important de valoriser les lieux qui offrent des cadrages visuels sur ces buttes. Ainsi, généralement masquées depuis l’intérieur des villes et villages, elles se dessinent dès que l’on sort des tissus urbanisés, depuis les franges qui amorcent souvent brutalement la transition avec les terres agricoles. Le nord de la commune de Goussainville illustre parfaitement cela : depuis l’extrémité de l’avenue Albert Sarraut, qui se présente comme on l’a vu dans sa séquence la plus au nord comme un couloir pavillonnaire, le regard s’ouvre soudainement sur un paysage plat où se dressent à l’horizon les buttes de Châtenay et de Mareil. C’est d’ailleurs aussi à cet endroit que s’effectue une troublante covisibilité, puisque les tours d’habitation du quartier des Grandes Bornes s’avancent jusqu’à ces franges et font alors face à la plaine et ses reliefs. En plus de ces franges urbaines-rurales, d’autres espaces offrent d’intéressants points de vue et prennent ainsi de l’importance. Il s’agit des points hauts à proximité des villes, qui permettent de s’extraire des différents tissus assemblés afin d’essayer d’en comprendre les articulations. Sur le territoire de la commune de Goussainville par exemple, les variations de relief s’étendent de 56 mètres - la vallée du Croult - à 109 mètres d’altitude. Ces points hauts ne correspondent pas à des formes de relief naturelles mais plutôt à des lieux remodelés par les activités humaines. Éléments de relief repères et ouvertures visuelles depuis les hauteurs de Goussainville.
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Sur la butte du Bois au Seigneur, une ancienne carrière de sablon, les chemins se creusent avant de rejoindre les sommets des monticules. Les remblais de la Francilienne offrent des points de vue lointains qui emmènent jusqu’aux tours repères de la capitale.
la Tour Eiffel
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l’église du vieux village
la Défense
Depuis les remblais de la Francilienne, à l’est de Goussainville, on a par exemple une vue assez captivante de la ville, d’où l’on devine la présence du vieux village avec l’émergence du clocher de son église. De plus, lorsque le ciel est dégagé, il est possible de situer la capitale, puisque se dessinent au loin les silhouettes des tours de la Défense et de Montparnasse, ainsi que la Tour Eiffel. Des points de vue encore plus ouverts sont visibles depuis l’espace que l’on appelle le Bois du Seigneur. Il s’agit d’une ancienne carrière de sablon, dont l’exploitation a pris fin en 2005. Aujourd’hui récupérés par la mairie, ces terrains présentent des monticules de terre, en état de friche arbustive, sillonnés par des chemins aux dénivelés importants et qui sont utilisés ponctuellement comme terrain de motocross. Depuis leurs sommets, on dispose d’une vue à 360 degrés, où Goussainville apparaît appuyée aux pistes de l’aéroport de Roissy et à la Francilienne, et où la vallée du Croult et ses milieux humides sont visibles sous le passage du pont de TGV. Cette vision permet d’ancrer la pratique de ces lieux dans un territoire et un contexte plus vaste, et de comprendre qu’il existe des liens entre les différentes parties du territoire. Or cela représente un enjeu et un potentiel de taille au sein d’un territoire abîmé et dénigré comme l’est celui de la Plaine de France.
Depuis la butte du Bois du Seigneur, les différents quartiers de Goussainville apparaissent dans un seul regard, avec leurs bâtiments repères : les tours des Grandes Bornes à gauche, et les châteaux d’eau qui situent la Place de la Charmeuse. Au fond, la silhouette de la butte de Mareil.
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Éléments de conclusion
La fragmentation des espaces de Goussainville est à l’image de celle du territoire de la Plaine de France, dont les villes subsistent entre le frôlement des autoroutes et voies ferrées et le survol des avions. Cependant, lorsque l’on sort de ces corridors de transport, on découvre l’existence d’éléments paysagers telle que la vallée du Croult, qui traverse la plaine du nord au sud. Bien que son relief soit peu marqué, son tracé prend une importance majeure dans le paysage au regard de l’absence d’autres variations. De même, les quelques buttes culminant à 180 mètres se révèlent être de véritables points de repères, et offrent depuis leurs points hauts des panoramas permettant de découvrir enfin comment s’articulent tous les espaces de la plaine. Le potentiel de ces éléments paysagers n’a pas été ignoré : la vallée du Croult se présente aujourd’hui comme une armature qui met en contact différents espaces et publics grâce à la présence de vastes parcs qui ont pris place le long de son tracé. La diversité d’ambiances et d’usages qu’ils proposent a contribué en effet à leur rayonnement, et ils sont aussi bien fréquentés par des habitants de la plaine que par des personnes extérieures au territoire. Cette armature paysagère reste toutefois fragile, puisqu’en dehors de ces parcs, elle est très peu valorisée : de nombreux segments de cours d’eau sont souterrains ou busés et ne participent pas à améliorer le cadre de vie. Il semble alors nécessaire de réfléchir à l’intégration de ces trames dans un projet de territoire plus global afin que ces lieux de rencontre ne soient pas uniquement ponctuels. 84
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CHAPITRE 4 AUTOUR DE L’AÉROPORT, UN TERRITOIRE DE PROJET
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Une stratégie d’acteurs riche mais complexe
L’émergence tardive de stratégie territoriale À l’aube du XXIe siècle, au regard de la juxtaposition successive d’opérations d’aménagement de grande ampleur, la Plaine de France apparaît comme un territoire déstructuré, peu lisible et difficilement praticable par ses habitants. Tous ces périmètres de projets sont en effet apparus sur plusieurs décennies sans qu’aucun organisme ni outil de planification ne soient mis en place. Ainsi, les gestionnaires de ces infrastructures, ne trouvant pas d’interlocuteurs avec qui réfléchir à une stratégie et une cohérence globale, ont agit de manière isolée. Tout cela a conduit à l’importante dissociation entre lieux d’habitation et lieux de travail, ainsi qu’à la difficulté de ces villes à exister comme espaces de vie. Face à tous ces déséquilibres, et dans la logique de mondialisation visant la compétitivité des métropoles, l’État s’est penché sur le sort de la Plaine de France. L’objectif est de faire de cet espace un « cluster », c’est à dire un pôle d’envergure mondiale, orienté vers les échanges internationaux. Mais cela implique la recherche d’une cohérence d’ensemble, afin que les résidents de la plaine puissent bénéficier de ce futur dynamisme économique. L’Établissement Public d’Aménagement de la Plaine de France est donc créé en 2002. Son rôle est de s’ériger en coordinateur stratégique des politiques de développement et d’aménagement sur le territoire. 87
Échange international et événementiel Roissy CDG Création Finance
Aéronautique Le Bourget
Ville durable
Les différents clusters du Grand Paris Ces pôles de compétitivité ont pour objectif de s’affirmer comme véritables lieux de référence chacun dans leur domaine.
Recherche et inovation
Santé
Quelques années plus tard, afin de montrer que ce dernier va devenir un pôle d’envergure pour la toute récente Métropole du Grand Paris, l’EPA met en place le projet du Grand Roissy. Ce projet a pour objectif d’articuler les différents intérêts qui se télescopent en ce même lieu. Il se décline selon cinq schémas d’aménagement stratégiques qui voient rapidement le jour : un schéma des espaces agricoles, élaboré en lien avec les acteurs agricoles, notamment l’Association Terres de Lien, qui souhaite favoriser l’émergence de projets, un schéma des espaces économiques, un schéma des transports, un schéma viaire, ainsi qu’un schéma trame verte et bleue. 88
La complexité des échelles Le périmètre de travail de l’EPA, d’une étendue de 330 km2, se veut donc à une échelle plus précise, plus locale, que celle du SDRIF, Schéma Directeur d’Aménagement d’Île-de-France, qui englobe la région dans son ensemble. Cependant, cet établissement va fusionner en 2017 avec l’EPA Orsa, et l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne afin de former Grand Paris Aménagement. Ce futur périmètre, encore élargi, peut constituer un atout afin de réfléchir à une cohérence à l’échelle de la métropole, mais il risque aussi d’éloigner encore les communes et leurs résidents, qui se préoccupent d’une échelle plus locale. Face à ces larges périmètres, les communes tentent de s’organiser et de se regrouper afin de faire entendre leurs intérêts. Goussainville rejoint ainsi en 2013 la Communauté d’Agglomération Roissy-Porte de France, qui depuis le 1er janvier 2016, est devenue la Communauté d’Agglomération Roissy-Pays de France, englobant vingt communes supplémentaires. L’Association des Collectivités du Grand Roissy est aussi créée afin de se positionner dans le dialogue en voix unique face aux acteurs publics et privés. La commune de Goussainville a quant à elle mis en place un échelon supplémentaire. Elle a instauré des conseils de quartiers afin que les habitants puissent s’exprimer directement sur les espaces qu’ils pratiquent au quotidien, mais il semble que ces conseils aient du mal à trouver leur place au sein de cette succession d’échelons. 89
Schéma d’acteurs et dynamiques
outils et stratégie de développement prend en compte les intérêts
1960 SAFER
1975 Vinci
1920
1993 SNCF
1974
1987 STIF
Aéroports de Paris
Promoteurs immobiliers
agriculture
habitations
activités
1900 - LE TERRITOIRE DE GOUSSAINVILLE
patrimoine
XIXe siècle Habitants
2010
DRIEA Île-de-France
2002
EPA Plaine de France
EURO CAREX 2003
Association Terres de Lien
90
2017
2012
Conseils de quartiers
2011
Association des collectivités
2016
Grand Paris Aménagement
CA Roissy Pays de France
vie locale intérêts
mobilité
attractivité EURO CAREX
ANRU Aéroports de Paris
SNCF
STIF
Vinci SDRIF
DRIEA Île-de-France EPA Plaine de France [futur Grand Paris Aménagement]
5 schémas stratégiques d’aménagement
Projet du Grand Roissy SAFER Association Terres de Lien
CDT (2013) Cœur économique Roissy Terres de France
CA Roissy - Pays de France Association des Collectivités du Grand Roissy routes
voies ferrées
rôle du paysagiste 2017 - LE TERRITOIRE DE GOUSSAINVILLE
Municipalité de Goussainville
mobilité
Conseils de quartier
attrac -tivité
Résidents habitants
créer l’INTERFACE
vie locale
Commerçants Voyageurs Agriculteurs
Articuler les différents intérêts afin de définir un projet de paysage apte à répondre à tous les usagers et qui travaille à défractionner les espaces.
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De nombreux projets à connecter
Composer entre projet global et projet local Le territoire de la Plaine de France est aujourd’hui au cœur d’une stratégie métropolitaine qui doit, en plus de favoriser sa compétitivité à l’échelle internationale, lui assurer un développement territorial cohérent et générateur de qualité urbaine. Alors que la présence contraignante des Périmètres d’Exposition aux Bruits sur la moitié du territoire confronte les communes à un risque de croissance urbaine stagnante, voire de déclin, la plaine se présente comme un creuset où se mêlent des projets d’ampleur et de vocation différente, où la question de l’habitat n’est pas oubliée. Au travers de ces projets, l’essentiel consiste à contrer la « logique de plaques » décriée par l’EPA ainsi que par la majorité des acteurs du territoire. Ainsi, la Plaine de France fait l’objet de réflexions et de schémas qui prônent les continuités : il est question de l’importance de la mobilité et de la pérennité des trames paysagères. Cependant, malgré ces dynamismes et stratégies, la confrontation entre projet global et cadre de vie local semble aujourd’hui plus vive que jamais. Le projet Europa City, porté par la filière immobilière Immochan, en est l’un des cas emblématiques, qui voit s’affronter ses détracteurs et ses adeptes, le plus souvent respectivement les personnes habitant le territoire et les personnes qui ne font que le fréquenter de temps à autre. L’urbaniste François Leclerc exprime au travers de ce collage la logique de plaque monofonctionnelle qui caractérise le territoire de la Plaine de France.
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Le projet Europa City prend place au centre du Triangle de Gonesse, grande enclave agricole de 700 hectares située entre les aéroports du Bourget et de Roissy. Ce projet phare, qui se décrit comme un lieu d’intérêt national qui alliera de manière inédite des activités diverses (commerces, loisirs, culture, hôtellerie, restauration...) ne sera cependant pas le seul à cet endroit. Les autres espaces du triangle seront investis tout d’abord par une importante surface de bureaux, directement face à Europa City, et qui profitera de la présence d’une future gare de métro du Grand Paris Express (ligne 17). Les parcelles restantes feront l’objet de réflexions qui visent à préserver le maintien des activités agricoles, dans un territoire sous pression foncière. L’architecture singulière du futur complexe de 80 hectares doit lui conférer un caractère emblématique, afin que ce projet participe à redonner une identité au territoire.
source : Europa City, l’aventure d’un projet, de F. Vallérugo
source : http://projets-architecte-urbanisme.fr/big-bjarke-ingels-europa-city-gonessegrand-paris-immochan/
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7
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2 8
1 6
3 10
4
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0,5
1km
2km
Sélection de projets de la Plaine de France ZONE D’ACTIVITÉS
1
Euro CAREX à Goussainville -
2
Zone d’Aménagement Concerté à Fontenay-en-Parisis - Projet d’une zone
Projet de gare de fret ferroviaire directement reliée à l’aéroport, accompagnée d’une zone d’activité économique.
HABITAT
7
Écoquartier à Louvres et Puiseux -
8
Contrat de Développement Territorial, volet Logement à Goussainville Révision de la réglementation du PEB afin de construire 454 logements (collectif)au sein de 4 périmètres situés en zone C.
d’activités mixtes et d’équipements qui se veut représentative d’une démarche durable.
3
A Park au Thillay -
4
Zone de bureaux à Gonesse - Projet faisant
Projet d’une zone d’activités dédiée aux échanges internationaux. parti de l’aménagement du triangle de Gonesse, dédié aux entreprises et aux formations.
ÉVÉNEMENTIEL
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MOBILITÉ
5
Lignes 16 et 17 du Métro du Grand Paris Express Projet qui consiste à desservir de manière plus directe davantage le pôle économique de Roissy et les futurs projets d’envergure à proximité.
6
Projet de trois nouveaux quartiers représentant 3500 logements au total, dans le cadre d’une Zone d’Aménagement Concerté.
Europa City à Gonesse Projet d’une complexe alliant culture, loisirs et commerces, dont l’architecture devrait participer à lui donner une dimension urbaine non démesurée.
LOISIRS ET ESPACE VERT
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Aire de Loisirs et de Détente à Roissy-enFrance - Projet de création de parcours de golf
Roissyphérique - Projet d’un transport aérien
accompagné d’un académie de golf, et de la valorisation du cours d’eau et de sa vallée.
qui relierait la gare de RER D de Goussainville à l’aéroport de Roissy et/ou au centre commercial Aéroville, où passe la RER B.
AUTRES
Périmètre du Contrat de Développement Territorial du Cœur Économique Roissy Terres de France (CERTF), approuvé en 2014. Il comprend les communes de Goussainville, du Thillay, Vaudherland, Roissy-en-France, Tremblay-en-France et Villepinte.
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ISDI (Installation de Stockage de Déchets Inertes) à Louvres - Projet de stockage de déchets de déblai pour une durée de 5 ans
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L’importance des continuités paysagères
source : http://www.plainedefrance.fr/domaines-intervention/projets-demarches-strategiques/plaine-france/ trame-verte-bleue-plaine-france-engage-pour-biodiversite
La carte de la Trame Verte et Bleue de la Plaine de France a été réalisée en 2015. Il s’agit d’une première étape de travail qui a pour objectif de favoriser l’émergence d’actions d’ampleur intercommunale, et d’assurer leur cohérence. Ce travail met en avant différentes continuités structurantes du territoire : un chemin des bois, qui doit relier les grands massifs extérieurs au territoire, un chemin de l’eau, qui recherche la continuité des cours d’eau principaux (Croult, Petit Rosne, l’Ysieux), un chemin des parcs, qui consiste à relier les différents parcs urbains du territoire, et enfin un chemin des champs, qui doit préserver les liens entre espaces agricoles et herbacés.
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source : Document de synthèse du schéma agricole du Grand Paris
Cette seconde carte représente le schéma des espaces agricoles du Grand Roissy. Initié en 2014, ce projet contribue à l’élaboration « d’interaction positive » entre le monde urbain et le monde rural. Pour cela, il apparaît nécessaire de donner aux espaces agricoles de nouvelles valeurs (environnementale, sociale, économique) afin qu’ils deviennent ainsi des lieux où existent des actions concrètes, qui n’existent pas que par leurs protections réglementaires.
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À l’échelle de Goussainville et de ses environs
Mettre en lien les différents projets qui vont voir le jour sur le territoire apparaît donc comme un enjeu majeur, qui doit permettre de rendre ce dernier plus fonctionnel. Cependant, avant même de réfléchir à cette mise en réseau, il semble essentiel de comprendre comment chaque projet va cohabiter avec les lieux dans lesquels il s’implante : la présence sur le territoire d’infrastructures qui frôlent certains lieux d’habitation montre la nécessité de ces réflexions. Ainsi, le périmètre de la commune de Goussainville semble au cœur de ces problématiques de cohabitation : cinq projets différents y sont à l’étude. En les cartographiant, on réalise que les emplacements de ces projets risquent de renforcer les problématiques que rencontre la ville. Trois de ces périmètres d’études sont adossés directement à l’urbanisation de la ville, et impliquent par conséquent des questionnements afin de ne pas appauvrir davantage le cadre de vie des habitants, qui à certains endroits, prend appui comme on l’a vu sur les franges paysagères. Périmètres de projets à l’étude sur la commune de Goussainville
Roissyphérique et Pôle Gare - Goussainville Contrat de Développement Territorial, volet Logement - Goussainville Zone d’Aménagement Concerté - Fontenay-en-Parisis ISDI (Installation de Stockage de Déchets Inertes) - Louvres Euro CAREX - Goussainville 98
1 2 3 4 5
4 3
place de la Charmeuse
2 le Croult quartier de la gare
1
5 Butte du Seigneur
centralitĂŠ urbaine
axes principaux
entrĂŠe de ville principale
chemin actuel explorant les franges
N
0
500m
1000m
1500m
99
Densifier la ville et aménager ses seuils Alors que les opérations de rénovation urbaine dans plusieurs grands ensembles sont en train de prendre fin, l’urbanisation de Goussainville va faire l’objet dans les prochaines années d’importants changements. La construction des 454 logements entre la Place de la Charmeuse et la gare vont permettre de densifier et de donner à certains espaces une image plus urbaine. Le quartier de la gare principale, peu fonctionnel, va quant à lui faire l’objet d’un projet de réaménagement qui doit le hisser au rang de pôle multimodal à l’échelle intercommunale. Cette vision est confortée par le projet de téléphérique, qui doit relier cette gare à l’aéroport de Roissy, afin de permettre enfin le passage rapide de l’axe du RER D à celui du RER B. Plusieurs gares sont prévues le long du tracé, et il est question d’en aménager une au vieux-village. Ainsi relié à la ville, ce dernier pourrait faire l’objet d’une réhabilitation qui se nourrirait des manques d’espaces publics de la commune, et qui profiterait alors à tous les habitants.
Des habitations du quartier ancien de la Grange des Noues, qui fait l’objet du projet de densification.
100
Une plate forme à l’échelle européenne : Euro CAREX Les autres projets situés sur le territoire de Goussainville concernent quant à eux les espaces en marge de l’urbanisation C’est le cas du projet d’Euro Carex : d’une superficie de plus de 100 hectares, le périmètre se divise en trois parties qui ont chacune une vocation propre. Entre la route départementale 317 et la ligne de TGV va prendre place une plate forme ferroviaire (1) où seront stockées certaines marchandises avant d’être envoyées dans d’autres pays européens. Au sud de cette plate forme, une zone d’activités au rayonnement intercommunal (2) va être créée, entraînant la requalification de la route qui la longe, et qui emmène notamment jusqu’au vieux-village. Enfin, la dernière partie chevauche l’actuelle butte du Bois du Seigneur, ainsi que des zones humides situées le long du Croult. Or, il est question dans le projet de la création d’un parc paysager (3), sans plus de précisions, ce qui amène à s’interroger sur le devenir de cet espace qui offre des points de vue d’intérêt et qui se trouve directement en contact avec le vieux-village.
Le périmètre du projet Euro CAREX, superposé à la végétation actuelle et au cours d’eau du Croult.
1
source : http://www. arval-archi.fr/project/ roissy-carex-goussainville/
3
2
Maitrise d’ouvrage : EPA Plaine de France et Aéroports de Paris Phasage des travaux préalablement prévu entre 2015 et 2020.
101
Une ZAC à l’entrée de la ville Une autre frange, où se rencontrent urbanisation et parcelles agricoles, fait elle aussi l’objet d’un périmètre de projet, bien qu’il ne s’agisse pas directement du territoire communal de Goussainville. Une ZAC va en effet se développer sur le territoire de Fontenay-enParisis, mais sur un espace qui se trouve éloigné de ce village : la parcelle à l’étude se trouve en effet de l’autre côté de la Francilienne, et se place directement en contact avec le quartier pavillonnaire de la Chapellerie, à Goussainville. Le positionnement de cette ZAC s’inscrit dans la continuité de l’actuel lieu-dit de la Fosse aux Chiens, où se trouvent pour le moment quelques hangars et une décharge où sont entassés des véhicules. La communauté d’agglomération, en charge pour le moment du projet, souhaite profiter de la proximité de la Francilienne, axe majeur, pour y implanter une zone d’activités et d’équipements. Cependant, la présence immédiate de Goussainville et de ses 31 000 habitants oblige à penser ce périmètre en tant que projet urbain. Ainsi, la future Zone d’Aménagement Concerté devra répondre à une démarche durable, alliant efficacité économique, équité sociale et préservation de l’environnement. L’emplacement de la future ZAC entraînera la redéfinition d’une entrée de ville pour le moment peu valorisée. source : http://www. roissypaysdefrance.fr// Amenagement/ Zones-d-Activites
Les parcelles agricoles le long de la Francilienne.
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Une barrière de relief temporaire Le dernier projet à affecter directement Goussainville, et notamment ses franges paysagères, est celui qui consiste à installer entre la Francilienne et un autre quartier pavillonnaire une zone de stockage de déchets inertes. Ces déchets, principalement des déblais de constructions, ne sont pas dangereux. Cependant, leurs stockages va entraîner une modification radicale du relief et des sols en place pour une durée de 5 ans, qui correspond à la durée d’exploitation. Se pose alors la question de l’intégration paysagère de cet espace, pendant mais aussi après son exploitation, ainsi que le rapport qu’il entretiendra avec les habitations qui se trouvent à une centaine de mètres. Toutes les contraintes et servitudes qui pèsent actuellement sur la commune et ses habitants rendent d’autant plus importantes ces réflexions qui visent à la cohabitation pertinente, non subie, de tels projets avec des lieux fréquentés quotidiennement par des locaux.
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Éléments de conclusion
Au regard de la superposition de tous ces périmètres de projet, il semble qu’agir sur ce territoire relève d’une certaine complexité puisque la cohérence, les stratégies, nécessitent de récolter les discours et intérêts de chaque catégorie d’usager, afin de les faire dialoguer et de pouvoir ensuite les orienter vers une vision commune. Cela doit conduire à terme à un projet de paysage pertinent, et c’est alors ici que le paysagiste a un rôle à jouer. Sur le territoire de Goussainville, la forme des quartiers pavillonnaires, particulière, peu urbaine, isolée, offre des lieux et des limites où il est nécessaire de repenser qualités et usages ; les réflexions sur la proximité se sont perdues dans des orientations parfois trop globales. Or, cela apparaît d’autant plus important puisqu’en listant les projets à l’étude, on réalise que les franges de la ville font actuellement face à d’importantes pressions, qui risquent d’aggraver les problématiques qu’elles rencontrent déjà. L’enjeu majeur consiste donc à porter à connaissance les richesses et besoins de ces espaces locaux, afin qu’ils soient intégrés dans les stratégies des projets en cours. Ainsi articulés, de nouvelles interactions sociales pourraient voir le jour, en se matérialisant par des lieux, des flux cohérents et enrichissants pour tous les usagers. En croisant ces réflexions et les constats des chapitres précédents, les espaces de frange de Goussainville se dessinent comme des lieux potentiels permettant à la fois d’améliorer le cadre de vie des habitants et la pratique qu’ils ont de leur ville, et qui sont aussi à l’interface avec la dimension métropolitaine qui englobe le pôle de l’aéroport de Roissy. 104
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CHAPITRE 5 L’OUVERTURE DE GOUSSAINVILLE SUR SES PAYSAGES - INTENTIONS
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Les séquences et enjeux des franges paysagères
Les espaces qui ceinturent l’urbanisation de Goussainville sont variés et ne présentent pas tous des enjeux similaires. Les découper en plusieurs séquences permet d’identifier les caractéristiques de chacun de ces espaces afin de définir les actions les plus pertinentes pour chacun d’entres-eux. Les six séquences paysagères des franges de Goussainville
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Séquence 1 - L’ouverture visuelle de la plaine agricole Cette séquence se caractérise par la rencontre entre des espaces urbanisés, qui se déclinent en deux typologies - grand ensemble et quartiers pavillonnaires - et des parcelles agricoles de superficie importante où sont cultivés des céréales. L’absence de cheminements entre ces openfields fait qu’il n’existe aucune interaction entre le monde urbain et le monde rural. De plus, l’effet de façade créé par la présence des tours laisse apparaître le Boulevard des Frères Montgolfier comme la matérialisation d’une rupture nette, et qui ne nécessite donc pas d’être franchie. Cette lisière offre pourtant d’intéressants points de vue sur les horizons lointains de la plaine. C’est aussi ici que le projet de ZAC de la commune de Fontenay va être réalisé. Afin d’éviter que son implantation participe à cette impression de rupture, il apparaît essentiel de réfléchir aux espaces en contact avec l’urbanisation ENJEUX > atténuer la rupture urbain/rural en créant des interfaces linéaires en bordure du boulevard et au contact entre la future ZAC et le quartier pavillonnaire > ancrer la ville dans son contexte paysager en valorisant les ouvertures visuelles sur les horizons lointains Bd des Frères Montgolfier plaine agricole
0
15m
30m
Les Grandes Bornes
espace public enclavé
45m
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- intentions > créer des « lisières » accessibles qui permettent de profiter de l’interface et des vues qu’elle offre sur le territoire > permettre le franchissement de coupures ou d’axes sans issues - quelques références À Lille, un parc effectue une transition avec des parcelles agricoles
La lisière permet à la fois d’être en retrait et de pouvoir observer les espaces ouverts Parc du Musée du Louvres à Lens
> inviter à l’arrêt en révélant des ouvertures visuelles > aménager les abords de la future ZAC au contact des habitations > valoriser la traversée d’un espace à l’autre (orange) ou la rendre possible (bleu, vers la séquence suivante)
source : http://www.landezine.com/index.php/2016/09/museumpark-louvre-lens-by-mosbach-paysagistes/
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Bd des Frères Montgolfier
ZAC de Fontenay
Les Grandes Bornes
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
111
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Séquence 2 - L’intimité du vallon boisé masqué Le long de cette séquence, un quartier pavillonnaire entre en contact avec l’un des vallons du Croult. Ce dernier, enterré lors de sa traversée de la ville, ressort ici en tant que fil d’eau étroit. Un bassin d’orage, appartenant à la commune de Fontenay, occupe ce fond de vallon et offre un terrain de jeux informel pour les habitants, qui pénètrent aussi dans cet espace afin de rejoindre des chemins qui passent sous la Francilienne en direction de Fontenay. La présence de linéaires boisés confère à cet endroit une ambiance agréable et intime, qu’il semble important de préserver. Cependant, une seule ouverture existe dans cette frange boisée et rend ainsi presque invisible ce vallon pour les personnes ne le connaissant pas. De plus, l’accroche existante est très peu valorisée : des grilles et un ouvrage en béton délimitant le bassin de rétention donnent l’impression qu’il est interdit d’y pénétrer et obligent le promeneur à les contourner. ENJEUX > établir une porosité entre les habitations et le vallon afin de le rendre plus attractif, sans pour autant altérer ses qualités paysagères > travailler sur l’instauration de continuités afin de désenclaver cet espace et de l’inscrire dans un chapelet plus large
quartier pavillonnaire bassin de rétention du Bois aux Moines
la Francilienne
le Croult
0
50m
100m
150m
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- intentions > mettre en scène l’ouverture visuelle du vallon depuis la rue qui ceinture l’urbanisation de Goussainville > instaurer un accès plus lisible et agréable sans perturber le fonctionnement du bassin d’orage > permettre le franchissement piéton d’une coupure > valoriser la traversée des quartiers (orange) afin de relier cet espace à d’autres
- quelques références Une ouverture sur le paysage dont la mise en scène passe par l’installation d’assises pour l’observer Promenade « Fior di Loto » à Massarosa en Italie
source : http://lepamphlet.com/category/grands-espaces/
114
la Francilienne
le Croult
bassin de rĂŠtention du Bois aux Moines
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
vers la Place de la Charmeuse
115
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Séquence 3 - Le fond de vallon ouvert et ses surplombs Un second bassin de rétention, situé sur le territoire de la commune de Louvres, se présente dans cette séquence face aux habitations pavillonnaires. L’interface qui en résulte apparaît plus aménagée que la précédente : un alignement d’arbres (cf photo page 18) accompagne la rue Sieyès et forme ainsi un rythme intéressant d’ouverture et de fermeture visuelle sur le vallon. Cependant, derrière cet alignement, un grillage délimite le bassin, ne permettant pas de quitter le couloir de la rue. Mais la présence d’un chemin, dont l’entrée se situe dans une parcelle en friche, permet de contourner cet espace et de monter sur les coteaux de la vallée qui est ici celle du Rhin. Cette position de surplomb offre des panoramas où se succèdent de nombreux plans, allant de l’étendue cultivée aux tours lointaines de Paris, en passant par des cordons boisés qui soulignent l’urbanisation de Goussainville. ENJEUX > donner plus d’épaisseur à l’interface en suggèrant des usages compatibles avec la présence du bassin de rétention > valoriser l’accès aux espaces en surplombs, et les inscrire dans une continuité de cheminements le long du cours d’eau > cadrer les panoramas afin de donner à voir la diversité des horizons paysagers et d’instaurer un rythme
bassin de rétention fermé au public
quartier pavillonnaire
chemin en surplomb
la Francilienne
Rue Sièyes le Rhin
0
100m
200m
300m
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- intentions > conforter la « lisière » actuelle grâce à une meilleure articulation entre stationnements et cheminement - quelques références Une plateforme installée à l’orée d’un champ donnant accès à un chemin éphémère « Champ de bière » à Genève en Suisse
118
> inviter à l’arrêt et à l’observation des paysages avec la mise en place de lieux ponctuels aux usages nouveaux (belvédère, assises, panneau pédagogique...) > instaurer des accès plus lisibles et agréables aux chemins existants
Le long de chemins agricoles, des belvédères donnent à voir le paysage Belvédères à Drenthe aux Pays-Bas
> valoriser la traversée des infrastructures vers d’autres espaces et chemins
source : http://www.landezine.com/index.php/2014/12/champ-debiere-by-v-olz/
source : http://www.landezine.com/index.php/2010/11/belvederesdrentsche-aa-by-strootman/
ruines du château d’Orville
le Rhin
bassin de rétention la Francilienne
Rue Sièyes
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
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Séquence 4 - Les parcelles agricoles de proximité Cette séquence présente une typologie agricole différente : il ne s’agit pas ici d’openfield démesuré mais de parcelles vallonnées de taille plus réduite, qui rejoignent en leurs points bas un cours d’eau. Cette proximité a permis d’y installer des cultures maraîchères (coupe A) plus propices à interagir avec les habitants, qui peuvent ainsi profiter de la présence de circuits courts ou de chemins de promenade entre ces parcelles. La seconde coupe montre quant à elle une parcelle en friche enclavée entre des quartiers pavillonnaires. Cependant sa localisation semble intéressante puisqu’elle s’avance davantage dans les tissus urbains, rapprochant ainsi les espaces ouverts des centralités urbaines et s’esquissant comme une accroche potentielle. ENJEUX > préserver ces espaces ouverts de proximité en y développant des usages qui pourraient hybrider espaces publics et agriculture > valoriser et mettre en place des cheminements afin que ces enclaves deviennent des accroches vers d’autres espaces
quartier pavillonnaire maraîchage
zone d’activités
0
100m
vallon en friche
200m
le Croult
voie ferrée en remblai
quartier pavillonnaire
300m
121
- intentions > créer un espace de transition qui valorise les vues sur le vallon agricole et qui pourrait proposer de nouveaux usages (assises, parcelles partagées, pédagogiques...) > conforter la présence de chemins informels - quelques références Un platelage traverse et longe des espaces naturels et des parcelles agricoles Promenade à Bygdøy en Norvège
L’installation de mobilier et de cultures « de proximité » rassemble les habitants « Champ de bière » à Genève en Suisse
source : http://lepamphlet.com/category/grands-espaces/
122
> permettre le franchissement d’une coupure qui s’appuie sur le tracé du cours d’eau > proposer une gestion des friches propice à la biodiversité et au passage de circulations douces > valoriser la traversée des quartiers afin d’inscrire ce lieu dans un chapelet d’espaces plus large
source : http://www.landezine.com/index.php/2014/12/champ-debiere-by-v-olz/
vers la Place de la Charmeuse
Bd du Gal de Gaulle
le Croult
zone d’activitÊs
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
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Séquence 5 - La confusion des zones d’activités, des infrastructures et des espaces naturels
Cette séquence présente différents éléments bâtis et naturels, qui se côtoient, se coupent, s’ignorent, conduisant ainsi à une impression de confusion. Il s’agit pourtant de l’endroit où les ambiances paysagères sont les plus diversifiées : on y retrouve le Parc du Château et son bois au vieux-village, des zones humides et une ripisylve qui s’étendent autour d’une boucle du Croult ainsi que les monticules de terre en friche du Bois du Seigneur, points hauts de la commune. Mais cette entrée de ville, marquée par la présence d’une voie rapide reliant Goussainville à Roissy et bordée de zones d’activités et de remblais, ne laissent pas deviner la présence de ces espaces. La ligne TGV traverse aussi cette zone et enjambe le Croult, dévalorisant ainsi les espaces situés au pied de son pont. En terme d’usages, quelques personnes viennent profiter des dénivelés des buttes pour y faire du cross, mais de manière générale, très peu de piétons se rendent à cet endroit, qui leur apparaît hostile malgré sa relative richesse. Si rien n’est fait, l’oubli de ces espaces va être accentué par la mise en place du projet CAREX qui va enclaver encore davantage cette zone, et la dissocier des lieux d’habitations. ENJEUX > valoriser ces espaces naturels et patrimoniaux (vieux-village) > mettre en place des cheminements afin de les rendre accessibles depuis les points d’accroches à la ville (futur arrêt téléphérique relié à la gare de RER de Goussainville) > articuler de manière durable ces espaces avec le projet CAREX RD et zone d’activités
zones humides
0
100m
buttes du Bois du Seigneur
le Croult
200m
pont TGV
300m
125
- intentions > valoriser les friches afin d’en faire des espaces attractifs qui répondent au manque d’espaces publics > mettre en place des belvédères qui donnent à voir des horizons à 360°
- quelques références Au fil d’une promenade le long d’un cours d’eau, des vues s’ouvrent sur les espaces agricoles Quartier de Prawet à Bangkok
Des collines aux flancs aménagés offrent des points de vue depuis leur sommet et des espaces de jeux Governor’s island à New York
126
source : http://www.landezine.com/index.php/2016/07/metroforest-bangkok-urban-reforestation-by-lab/
> mettre en valeur les abords des cours d’eau et zones humides afin de permettre aux promeneurs de profiter de leur présence sans altérer leurs caractéristiques écologiques > valoriser (orange) ou instaurer (bleu) des accès et des continuités plus lisibles et agréables aux chemins existants > permettre le franchissement de coupures > instaurer des interfaces entre ces espaces naturels et le périmètre du futur projet CAREX
source : http://www.landezine.com/index.php/2016/07/openstomorrow-governors-island-phase-2-the-hills-by-west-8/
le Croult
Zones d’activités
Route départementale
le vieux-village
buttes du Bois du Seigneur
futur arrêt téléphérique ?
Euro CAREX
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
127
128
Séquence 6 - Le plaine agricole démesurée et repoussée Les franges et interfaces de cette séquence sont actuellement les plus malmenées. Le passage de la départementale en bordure des espaces urbanisés (en continuité de la voie rapide qui traverse la séquence précédente) matérialise une rupture nette. Contrairement à la première séquence, les grandes parcelles céréalières sont ici invisibles depuis les habitations puisqu’un talus planté a été mis en place afin d’isoler ces quartiers de la voirie. Un chemin empruntable par des piétons et des cyclistes est présent mais sa position de couloir coincé entre une route très empruntée et un talus ne le rend aucunement agréable à fréquenter. Sans pour autant ramener une porosité sûrement non souhaitée entre ces quartiers pavillonnaires et ces parcelles, il pourrait être intéressant d’aménager à la place du chemin actuel un sentier qui profiterait de la présence en surplomb du talus. La végétation déjà en place pourrait à certains endroits être éclaircie afin d’instaurer des ouvertures visuelles ponctuelles sur la plaine et ses innombrables pylônes électriques. ENJEUX > atténuer le caractère frontal de cette frange et l’impact de la route départementale comme rupture > préserver et valoriser le cheminement actuel qui permet le basculement entre espaces ruraux et espaces urbains
plaine agricole
quartier pavillonnaire
route départementale chemin
0
15m
30m
45m
129
- intentions > permettre un franchissement plus agréable entre les voies carrossables sans issues et les chemins existants > utiliser la présence du talus et de la végétation actuelle pour créer un cheminement haut plus attractif > investir les espaces en friche avec de nouveaux usages et les connecter à ce sentier haut et ses points de vue > cadrer des ouvertures visuelles ponctuelles sur la plaine agricole > atténuer la présence de la voirie comme rupture en réfléchissant à une stratégie de plantation en lien avec celle du talus - quelques références Un chemin haut accompagné de végétation permet d’observer tout en ayant l’impression d’être dans un autre espace Griespark à Volketswil en Suisse
source : http://www.landezine.com/index.php/2015/06/griesparkvolketswil-switzerland-by-asp-landscape-architects/
130
route dĂŠpartementale
grands ensembles
chemin existant
N
0
100m
200m
300m
131
Une ceinture paysagère, entre proximité et rayonnement
Cette étude par séquence montre qu’il existe une hiérarchie entre les différentes franges paysagères. La plupart d’entres elles souffrent d’une position d’enclavement du au passage plus ou moins rapproché d’infrastructures de transport. Avec de telles coupures, les espaces de ceinture ont perdu leur caractère traversable, et cette situation d’impasse, ajoutée au manque de valorisation, a contribué à leur oubli auprès des habitants. Cependant, les ambiances paysagères qu’ils présentent sont, comme on l’a vu, diversifiées et intéressantes au regard des difficultés de la ville à proposer des espaces «publics» attractifs. La mise en réseau de ces séquences paysagères permettrait alors de créer un véritable espace de ceinture qui dialoguerait en certains points avec l’urbanisation de Goussainville. Ces points de contact, identifiés précédemment, deviendraient des lieux de destination de proximité, permettant des usages diversifiés, qui pour certains sont déjà en place et nécessitent seulement d’être renforcés (départ de promenade, observation, terrains de jeux...) Les temps de parcours entre les centralités urbaines et les franges paysagères (pointillés oranges) et entre les différentes franges elles-même (pointillés bleus) Ces trajets correspondent à des déplacements à pied, à une vitesse d’environ 4 km par heure
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km 1,2 in m 15
25 mi km n 2 km
m
1,8
22
in
m
m
2k
22
min
km
in
1,8
25
1,5
19
in
m
1,8 k
m
km
mi
min
km
m 19 min 1,5 k
30
min
2,4
22
20
,6 n1
km
m
1,5 k in
ambiances d’intérêt centralités
20
m 19
min
distance parcourue en 20 minutes à pied autour de la Place de la Charmeuse
N 0
500m
1000m
1500m
133
Les temps de parcours (carte précédente) montrent qu’il est possible de rejoindre en peu de temps les franges de la ville depuis la Place de la Charmeuse, centralité majeure. Ces temporalités nous apprennent aussi que chacune de ces interfaces est rapidement accessible depuis une autre, ce qui permet d’imaginer cette succession d’ambiances comme une promenade autour de la ville. Une des séquences apparaît cependant plus éloignée et surtout moins en contact avec les habitants. Il s’agit des espaces naturels situés près du vieux-village, à proximité de zones d’activités et d’importantes infrastructures. La dimension locale est ici remplacée par une autre, beaucoup plus large : ces espaces sont en contact avec des périmètres, tel celui d’Euro Carex, amenés à se développer considérablement et à attirer ainsi un tout autre public. De plus, l’arrêt probable du téléphérique à cet endroit permet d’y accéder aisément, à la fois depuis les tissus urbains de Goussainville comme depuis le pôle aéroportuaire. Tout cela laisse alors entrevoir un lieu au potentiel de rayonnement vaste. Ainsi situés, ces espaces naturels semblent pouvoir devenir des lieux de destination où s’articulent échelle métropolitaine et échelle locale. S’esquisse alors le contour d’un parc, à l’image d’autres présents dans la plaine, à l’interface d’une ville et d’un territoire rural, où les Goussainvillois peuvent se rendre par l’intermédiaire d’une ceinture paysagère suivant le Croult, et qui peut aussi attirer des visiteurs lointains qui viendraient profiter de ces points de vue sur l’aéroport.
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des interfaces de proximité
un espace au rayonnement métropolitain
qui forment une ceinture paysagère
qui s’articule à plusieurs polarités
Schéma de synthèse,
entre approche globale et projet local
Gare de RER
Aéroport de Roissy
vers Gonesse et l’aéroport du Bourget
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EN CONCLUSION
Dans une ville où les habitants ne s’approprient pas d’autres lieux en dehors de leur habitation privée, une réflexion sur les franges urbaines, à l’interface d’espaces agricoles et naturels, apparaît essentielle. Cette réflexion révèle en effet les difficultés des espaces publics urbains contemporains, qui prévoient par leurs formes des fonctions et usages bien définis. La pratique de ces lieux peu adaptables est souvent vécue comme une contrainte et conduit à un sentiment de désintérêt. Or, dans ces circonstances, les espaces qui ceinturent l’urbanisation prennent une importance nouvelle : les cheminements, les éléments de végétation et de relief, permettent d’autres usages amenant parfois à une meilleure appropriation. À Goussainville, une ancienne carrière et des bassins d’orage sont ainsi devenus des terrains de jeux et de sport informels, qui par opposition aux espaces publics urbains, se présentent comme de véritables « espaces de liberté » (Delbaere, 2010). Conforter ces lieux semble donc important, d’autant plus qu’ils permettent aussi l’ouverture sur un territoire plus vaste, celui de la Plaine de France, dont les dynamiques, d’une échelle différente de celle des habitants, leur restent souvent étrangères. C’est dans cette logique que je décide d’orienter le travail de projet des mois à venir sur la valorisation et l’articulation de ces différentes franges paysagères.
136
137
BIBLIOGRAPHIE - ouvrages et articles AUBRY Benjamin, Domesticologie ou la poétique du pavillonnaire, dans la revue Architecture d’Aujourd’hui, n°401, 2014 CHAUVIER Éric, Contre Télérama, Allia, 2011 CHOMETTE Guy-Pierre, Le piéton du Grand Paris, voyage sur le tracé du futur métro, Parigramme, 2014 DELBAERE Denis, La fabrique de l’espace public - ville, paysage et démocratie, Ellipses, collection La France de demain, 2010 FOURCAUT Annie, La banlieue en morceaux - la crises des logements défectueux en France dans l’entre-deux-guerres, Créaphis, 2000 HOUDRY Gaston et Nelly, Mémoire en images, Goussainville, Alan Sutton, 2000 LEDRUT Raymont, Sociologie Urbaine, Presses Universitaires de France, 1968 LORTHIOIS Jacqueline, Roissy, histoire d’une mystification, dans la revue Pour, n°205, 2010 MASPERO François, Les passagers du Roissy-Express, Seuil, 1990 TAILLANDIER Fanny, Les États et empires du lotissement Grand Siècle, Presses Universitaires de France, 2016 VALLÉRUGO Franck, Gonguet Jean-Pierre, Guénod Jean-Michel, Europa City, l’aventure d’un projet, L’aube, 2016
- documents vidéo JÉZÉQUEL Sidney, Naissance d’une banlieue, mort d’un village, documentaire, 52 minutes, 2000 LAMBERT Anne, L’envers du décor pavillonnaire, vidéo d’un entretien réalisé par Médiapart, 13 minutes, 2015 138
- études et rapports CONSEIL GÉNÉRAL DU VAL D’OISE et DRIEE ÎLE-DE-FRANCE, Atlas des paysages du Val d’Oise, 2010 MUNICIPALITÉ DE GOUSSAINVILLE, À la découverte de vos quartiers, catalogue de l’exposition, 2012 MUNICIPALITÉ DE GOUSSAINVILLE, Diagnostic du Plan Local d’Urbanisme, en cours d’élaboration MUNICIPALITÉ DE GOUSSAINVILLE, Goussainville : du village à la ville, catalogue de l’exposition, 2008 EPA PLAINE DE FRANCE, Contrat de Développement Territorial « Coeur économique Roissy Terres de France », 2013 EPA PLAINE DE FRANCE, Document stratégique de référence pour un développement durable et solidaire de la Plaine de France, 2006 EPA PLAINE DE FRANCE, Trame Verte et Bleue de la Plaine de France, 2014
- sites internet Atelier International du Grand Paris ; URL : https://www.ateliergrandparis.fr Cartographie ECOMOS de l’IAU ; URL : http://carto.iau-idf.fr/webapps/ecomos/ Communauté d’Agglomération Roissy-Pays de France, URL : http://www.roissypaysdefrance.fr
Établissement Public d’Aménagement de la Plaine de France URL : http://www.plainedefrance.fr
Géoportail ; URL : https://www.insee.fr/fr/accueil INSEE ; URL : https://www.insee.fr/fr/accueil Ville de Goussainville ; URL : http://www.ville-goussainville.fr
- entretiens Entretien avec Mme Anne-Sophie FRARIER, directrice du service Urbanisme de Goussainville, le 26 novembre 2016 Entretien avec Mme Rita CECCHERINI, directrice de l’aménagement à la Communauté d’Agglomération Roissy-Pays de France, le 29 novembre 2016 139
Remerciements
Je tiens à remercier tout d’abord mes professeurs, Sylvain Morin et Olivier Gaudin, dont les conseils m’ont permis de questionner et d’enrichir toujours plus ce travail de fin d’études. Je remercie également Anne-Sophie Frarier et Rita Ceccherini, pour m’avoir accordé de leur temps, m’aidant ainsi à réaliser les dynamiques et potentiels de cette ville et de son territoire. Merci aussi à Patricia Martinet-Grosborne dont les archives m’ont été d’une grande aide. Un grand merci aussi à Clémence, Raymonde et Christian, habitants de Goussainville, qui ont pris le temps de me parler avec enthousiaste de l’histoire de leur ville et des pratiques qu’ils en ont, et grâce à qui j’ai découvert des lieux dont je ne soupçonnais pas l’existence. Merci enfin à ma famille, mes amis et mes colocs, ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont accompagnée et soutenue pendant la rédaction de ce mémoire.
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Aux portes de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle s’étend le territoire de la Plaine de France. Historiquement réputée pour ses grandes cultures prospères, la plaine offre aujourd’hui une tout autre image. L’apparition d’infrastructures de transport aux dimensions démesurées a participé peu à peu à sa fragmentation et à la dévalorisation de ses paysages. Il en résulte aujourd’hui un territoire morcelé, où le développement périurbain, succédant à la logique des anciens bourgs ruraux, prend des formes peu lisibles au regard des nombreuses contraintes et servitudes en place. La commune de Goussainville illustre bien ce phénomène. La mise en place d’une gare ferroviaire en plein champ, située deux kilomètres au nord de son village agricole actuellement à l’abandon, a entraîné la construction massive de lotissements pavillonnaires, répondant à la logique d’extension de la banlieue parisienne. C’est finalement la proximité avec l’aéroport qui a mis fin à cette expansion : les parcelles au sud de la commune sont concernées par le Plan d’Exposition aux Bruits, apparu en 1985, et qui empêche d’y construire des logements. Goussainville ne peut donc plus développer son périmètre urbain, et observe ainsi la mutation de ses espaces « gelés » en vastes zones d’activités. Avec pour centralité une gare de banlieue, des quartiers résidentiels où ne sont pas apparus d’espaces publics et des horizons de zones commerciales, il semble alors nécessaire de repenser l’urbanité de cette « ville ». Ainsi se pose la question de l’avenir de Goussainville dans un territoire situé à seulement vingt kilomètres de la capitale, où le phénomène de périurbanisation s’accroît. Quelles peuvent être les alternatives afin que la commune continue à se développer, tout en offrant des espaces urbains intéressants et une meilleure interaction avec les espaces non construits qui ouvrent sur la Plaine de France ?
Marie Mosquet
mémoire de fin d’études École de la Nature et du Paysage, INSA CVL - 9 rue de la Chocolaterie - CS2902 - 41029 Blois CEDEX
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