Construire pour apprendre

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CONSTRUIRE POUR APPRENDRE Une autre façon d’enseigner l’architecture

Marie Segonne étudiante - Florence Sarano enseignante

École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille

Troisième année semestre six - juin 2013



CONSTRUIRE POUR APPRENDRE Une autre façon d’enseigner l’architecture

Marie Segonne étudiante - Florence Sarano enseignante

École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille

Troisième année semestre six - juin 2013


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CONSTRUIRE POUR APPRENDRE

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SE CONFRONTER AUX REALITES DE LA MATIERE   Mise en oeuvre  Expérimentation   Choix de la matière

11 12   15 18

RASSEMBLER POUR ECHANGER   Rassembler des personnes et des deisciplines   Travailler avec la population locale et les futurs usagers   Echanger des savoir-faire   Créer de nouveaux savoirs

25 26   30 34 36

CONCEVOIR SUR LE LIEU DU CHANTIER   Habiter le lieu   Utiliser les ressources locales   Intégrer les savoirs-faires locaux   Être fléxible

41 42   44 46 49

QUELS FUTURS RÔLES POUR LES ARCHITECTES DANS LE MONDE   Au sein du projet  Economique  Politique

55 56   58 60

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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Construction de l’école bioclimatique de Kargyak

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CONSTRUIRE POUR APPRENDRE

La lecture de l’article « Himalaya sun school : école bioclimatique de Kargyak »1 a été, de façon inconsciente, le point de départ de ce rapport d’étude. Cet article présente le projet de diplôme d’un jeune ingénieur tchèque : Jan Tilinger qui, convaincu que l’éducation permet de sortir les peuples de la pauvreté, imagine la réalisation d’une école bioclimatique dans une région coupée du monde. Ainsi, il dessine un bâtiment qui se relie à l’architecture traditionnelle locale et aux matériaux qu’elle utilise. Il crée à la suite « Surya Civic Association », afin de récolter les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet et rassembler des bénévoles européens. Durant la construction de l’école, volontaires et habitants du village ont travaillé et vécu ensemble. De ce fait, cette expériences provoqua des échanges multiples entre des personnes d’origines diverses. A mon sens, ce projet possède une forte dimension sociale, car il interroge le rôle de l’école et de l’apprentissage dans la société. La « Société » peut se définir comme un « ensemble de relations éphémères ou durables, de rapports organisés ou fortuits que les êtres humains entretiennent entre eux »2 et en ce sens, la construction de l’école crée une société. 1- LEFEVRE Pierre « Himalaya sun school – école bioclimatique kargyak » Ecologik n°10, aout septembre 2009, p 106-114. 2- Centre national de ressources textuelles et lexicales

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L’an dernier, lors du cour de théorie j’ai pu découvrir la démarche engagée d’Anna Héringer et assister à une conférence de Tyin Tegnestue. Leur premier projet en Thaïlande, Soe Ker Tie House, a été pour eux une réelle forme d’enseignement. Les échanges sur le chantier ont révélé, en dépit de la barrière de la langue, que les architectes avaient autant à apprendre des ouvriers que l’inverse. J’ai alors compris que participer à la construction d’un projet avec des personnes d’origines différentes était une expérience très formatrice. Chaque participant au projet apportant une part de ses connaissances et de sa culture (sa pierre à l’édifice !) il en résulte une architecture métissée, enrichie, construite des échanges entre ces différentes personnes. Construire devient une combinaison des savoirs et un croisement des expériences. Au départ, mon intension était de travailler sur l’expérience des architectes occidentaux dans les pays du tiers monde. Mes premières recherches, et notamment l’étude du travail de Samy Rintala, m’ont permis de comprendre que ces projets sont également marqués par la volonté d’apprendre et d’enseigner à travers la construction d’un édifice. Ce sont les motivations et les conséquences de ce désir de transmettre que j’ai donc choisi d’étudier. Dans le monde, la plupart des étudiants en architecture conçoivent des projets à échelle réduite, sans pouvoir les réaliser. Faire un projet à l’échelle 1 me parait être une chance. En effet, c’est une occasion d’apprendre à construire, de pratiquer et enfin d’éprouver les espaces conçus, que peu d’étudiants rencontrent. Mais bien souvent il n’en est rien de tout cela. Les études d’architecture se contentent d’apprendre à concevoir, sans apprendre à construire. Quels architectes sont ainsi formés ?

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Nous apprenons pour construire. Pourquoi ne pas construire pour apprendre ? Que signifie construire ? Le sens commun est réaliser un édifice ou un ouvrage d’art, élaborer un plan ou une théorie, mais si l’on se réfère à l’étymologie latine : struere, comme instruire, un second sens est élever. Apprendre ne pourrait-il être un troisième ? A partir de ce constat, j’ai formulé les hypothèses suivantes : Quel est le rôle de l’architecte dans la construction ? Est-il réduit au seul rôle de concepteur ? Ne devrait-il pas, au contraire, intervenir dans toutes les étapes du projet ? Quels peuvent être, plus largement, ses rôles dans la société ? Quelle place l’apprentissage prend-il dans sa posture et son engagement ? Workshop constructif et chantiers au sein de l’école sont autant de façons d’enseigner l’architecture autrement. Florence Sarano utilise, pour parler du travail d’Anna Heringer, le mot « Transformation ». « Trans parce que c’est le lieu de rencontres de différents acteurs qui ne se croisent pas dans les écoles (ouvriers, artisans, mais aussi membres des administration d’état, ONG, promoteurs et maîtres d’ouvrage) et parce qu’ainsi les échanges de connaissances deviennent possibles. Formation : c’est le lieu d’élaboration de nouveaux savoirs qui avaient peu de chance d’exister sans la réunion de toutes ces personnes devenues partenaires. Transformation parce que, au final, l’expérimentation de techniques constructives a pour étape ultime la réalisation de projets qui seront habités. » 3

3- SARANO Florence « Anna Heringer : itinéraire engagé d’une architecte d’aujourd’hui » , in Architecture d’Aujourd’hui n°381, janvier février 2011, p 41-68.

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Design & Make Design Build BLUFF Rural Studio

Studio 804

Village de ville Viewport Winebar

Black Mountain College

H2O L

Le Construction simple Construction pour des usagers Construction à but humanitaire

La base de ma démarche est la réalisation d’un inventaire de ces expériences à travers le monde, sous forme de grille de lecture. Je les ai ensuite classées en trois catégories suivant leurs destinations : les structures construites au sein de l’école (dont le seul but est de tenir), celles réalisées pour des usagers et celles, enfin, à but humanitaire. Pour chacune d’entre elles les attentes et degrés d’apprentissages sont différents. Ainsi ce travail a permis de définir les enjeux d’un tel enseignement, que j’ai ensuite croisés avec l’inventaire.

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Into the landscape The wall HOME made DESI et METI Hands-on Workshops Safe Haven Klong Toey Community Lantern Soe Ker Tie House

Land

Cassia Co-op

earning from

Living Tebogo

A l’issue de ces analyses j’ai défini quatre hypothèses sur les enjeux de la formation par la construction : permettre de se confronter aux réalités de la matière, rassembler des personnes pour échanger et créer de nouveaux savoirs, révéler une nouvelle façon de concevoir le projet : sur le lieu du chantier, enfin, interroger les rôles futurs de l’architecte dans notre monde en évolution.

Ci-dessus : Carte des expériences constructives étudiées

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Bois de canelle, Cassia Co-op, Tyin Tegnestue

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SE CONFRONTER AUX REALITE DE LA MATIERE

Gradin réalisé en brique et textile, Village de Ville

« Le processus de conception pourrait sembler un exercice très abstrait. Il ne l’est jamais, et ceci notamment parce que, en amont d’abord -avec l’expérience de la matière, construite ou héritée- puis en aval -avec le geste de l’ouvrier qui, in fine met en scène le dessin- l’architecture est d’abord un corps matériel. »1 La question de la matérialité est très présente dans les workshops. En effet elle est une des constituante de la construction. Les nombreuses façons de l’aborder révèlent, à son sujet, des préoccupations diverses. Où se procurer les matériaux ? Quels sont ceux à notre disposition ? Comment les manipuler, les assembler ? Quel sens leur donner ? L’acte de construire permet de prendre conscience des qualités et propriétés des matériaux utilisés. Les expériences constructives abordent la matérialité de différentes façons. Une première consiste en l’apprentissage de la mise en œuvre de matières traditionnelles. Une seconde correspond à l’expérimentation de nouveaux matériaux et donc de nouvelles méthodes constructives. Une troisième a pour but la compréhension du sens que peut prendre le choix d’une matière. 1- BONNET Frédéric, BOUCHET Boris et YOUNES Chris, « Matière, architecture », cour de licence école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand.

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Atelier de projet Desgin & Make, bâtiment réalisé par les étudiants

Mise en œuvre Selon les ateliers, l’expérience de la matière n’est pas la même. Des matériaux peuvent être mis à disposition, ou au contraire c’est aux étudiants de les trouver, voir de les produire. Dans chaque cas l’enseignement est différent.

Manipuler La manipulation de la matière est le minimum requis pour la construction. Elle constitue le premier degré d’apprentissage. Le workshop The Wall, organisé par BASE habitat et EDER (entreprise spécialisée dans la brique) a pour objectif principal la compréhension du matériaux terre par sa manipulation. Par conséquent, les étudiants ont réalisé un mur, dont la seule fonction est de tenir, avec plusieurs tonnes de briques fournies par l’entreprise EDER. Elles ont été assemblées de manières différentes de façon à tester plusieurs systèmes constructifs. Dans ce cas les étudiants ont uniquement expérimenté la mise en œuvre de la matière. Mais sa production peut également avoir une place dans l’enseignement de l’architecture.

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Transformer Les matériaux de construction proviennent de matières premières transformées. Etudier cette transformation permet de comprendre les particularités physiques de la matière. Sa production occupe une place importante du cour « matières, architecture » dirigé par Frédéric Bonnet, Boris Bouchet et Chris Younes à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand. Cet enseignement optionnel associe la visite de sites de production ou d’extraction à des cours théoriques. « Il s’agit d’abord d’une rencontre. Rencontre entre la matière in situ d’une part, sur son lieu d’extraction, déchirée et modelée par l’outil et d’autre part des questions d’architecture, de dessin, de géométrie, de mesure ou d’échelle rencontrées à chaque pas de l’histoire de l’architecture: des visites de carrières ou de scierie, et des cours d’architecture, confortés par un exercice simple de projet. » 2 Les visites permettent une découverte de la nature de la matière, mais également de gestes et de savoir-faire associés. Ces mêmes gestes sont enseignés au studio Design & Make de l’Architectural Association School. Depuis 2010, cet atelier se déroule à Hookpark dans le sud de l’Angleterre. Sur place, la forêt constitue la principale source de matière première. Dans un premier temps les étudiants apprennent à transformer les arbres en matériaux de construction. Dans un second, ils utilisent le bois pour réaliser des structures au sein du parc. Après avoir produit et assemblé la matière nécessaire à la construction d’un bâtiment, se pose la question suivante : Comment recycler la matière d’un édifice lorsqu’il arrive en fin de vie ? 2- BONNET Frédéric, BOUCHET Boris et YOUNES Chris, « Matière, architecture », cour de licence école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand.

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Studio 804 : déplacement d’un module préfabriqué et recyclage du bois

Recycler La démolition d’un édifice produit une grande quantité de matière. Son réemploi fait la particularité du Studio 804 à l’école d’architecture et d’urbanisme de l’université du Kansas. Cet atelier fonctionne comme une entreprise totale. Les étudiants détruisent des bâtiments désaffectés. Suite à quoi ils récupèrent et transforment la matière nécessaire à la construction d’un nouvel édifice. De cette manière, le bois du centre artistique de Greensburg provient d’un ancien hangar de l’arsenal de l’armée. Après démolition du bâtiment, le bois a été transporté dans l’atelier. Les étudiants ont enlevé les clous, raboté les planches, puis poncé pour faire pénétrer l’étanchéité. Le bois, une fois transformé, a été assemblé pour réaliser des modules préfabriqués. Une telle expérience permet de comprendre les actions que connait la matière : transformation, assemblage puis démontage. Elle met également en évidence son utilisation selon un cycle reproductible.

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Rural Studio : Construction de la Shiles House

Les expériences constructives permettent donc de se confronter à la matière selon trois niveaux différents. Les étudiants peuvent intervenir sur la transformation de la matière, la récupération des matériaux et leur manipulation. Dans les trois cas, les matériaux sont utilisés de façon traditionnelle. D’autres chantiers permettent aux participants d’expérimenter des matériaux alternatifs.

Expérimentation Dans certains ateliers les étudiants doivent trouver par leur propre moyen les matériaux de construction. Il faut alors s’adapter aux disponibilités, être capable d’imaginer des usages constructifs à des matériaux qui n’en ont pas. Le rural studio, à travers ses nombreuses constructions, accorde une grande importance à ce type d’expérimentation. Les matériaux peuvent être récupérés dans des décharges ou provenir de dons. Leur utilisation permet notamment de réduire les coûts de construction.

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Rural Studio : Yancey Tire Chapel et Shiles House

Matériaux de rebus L’utilisation de matériaux de rebus permet de donner une seconde vie à des matériaux qui ne peuvent pas forcément être recyclé. C’est le cas des pneus, utilisés pour la Yancey Tire Chapel et la Shiles House et de balles de chutes de papier comme pour le Corrugated Cardboard Pod. La Yancey Tire Chapel (chapelle de pneu Yancey) est réalisée en 1995 à Sawyerville. Elle possède un mur de soubassement en pneus recouvert de terre. Cette première construction sert d’exemple, sept ans plus tard, pour la réalisation d’une maison : la Shiles House. Situé dans une zone inondable la maison repose sur un soubassement en pneus, remplis de terre et recouverts de ciment. Des poteaux de pôles téléphoniques servent également de pilotis. Une fois recouverts, les pneus apportent, en plus d’une fonction structurelle, une texture particulière. Ainsi l’expérimentation de nouveaux matériaux permet également d’élargir les possibilités plastiques. La Corrugated Carbroad Pod (cosse en carton ondulé) est réalisée en 2001. Pour construire les murs de ce studio les étudiants ont utilisé des ballots de chutes de papier ciré qu’ils ont empilés et comprimés par une structure en bois. En dehors de ses qualités structurelle, ce matériaux constitue une bonne isolation thermique. 18

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Rural Studio : Smoke House et Lucy’s Carpet House

Don de matériaux Les bâtiments sont parfois construit avec des matériaux qui proviennent de dons de divers organismes. C’est le cas de la Smoke House et de la Lucy’s Carpet House. La Smoke House, construite en 1994 fait partie des premières réalisations. Pour ce projet le ministère autoroutier du comté de Hale a fourni du béton cassé et des panneaux de signalisation. Ces derniers ont été utilisé pour réaliser la toiture du fumoir, et le béton pour les murs. Des bouteilles en verre ont été insérées entre les blocs de béton. Les parois sont ainsi plus lumineuses. C’est la raison pour laquelle Samuel Mockbee décrit cette structure comme le Ronchamp de l’Alabama. La Lucy’s Carpet House (maison moquette de Lucy) a été réalisée en 2002, grâce au don d’un fabricant de moquette. Les étudiants ont exploité les propriétés thermiques du matériau, qui, normalement utilisé comme revêtement de sol, compose ici les murs de la maison. Les dalles de moquette empilées sont stabilisées par des poteaux en acier et comprimés par un faisceau de bois. Laissées apparentes, elles font partie de l’identité de la maison.

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Choix de la matière Si l’acte de construire enseigne comment utiliser la matière il enseigne également comment la choisir. « Le choix d’une matière est une décision fondatrice: le projet ne s’adapte pas a posteriori aux matériaux, mais le propre dessin du plan implique des mesures et des dispositifs associés aux propriétés de la matière mise en œuvre. » 3 Certaines expériences accordent une grande importance au sens des matériaux, aux valeurs qu’ils véhiculent. Leur choix peut alors témoigner d’un engagement particulier.

Soutenabilité La soutenabilité est définie par le rapport Brundtland comme le fait d’agir de manière telle que la planète puisse soutenir la vie à long terme et que les générations suivantes disposent d’au moins autant de ressources et de bien-être que la génération présente. Village de ville est un workshop qui a eu lieu à la Friche Belle de Mai. Son objectif était de développer un espace à partir d’objets obsolètes, d’objets sans propriétaires. Ce qui a permit une sensibilisation des participants au réemploi. Le workshop s’est déroulé en trois temps. Les étudiants ont glané des objets à la Friche et ses alentours, qu’ils ont ensuite classé de façon à réaliser le « magasin ». Enfin ils ont conçu un projet à partir de cette matière première, en évitant le plus possible de la transformer. Les objets « deviennent de nouveaux matériaux porteurs de la mémoire de leurs anciens usages ; de matière consommée, ils deviennent matière signifiante permettant de nouveaux usages. » 4 3- BONNET Frédéric, BOUCHET Boris et YOUNES Chris, « Matière, architecture », cour de licence école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand. 4- Jean Marc Huygen, « Village de ville 2», SFT Friche de la Belle de Mai, 2012.

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Anna Heringer : réalisation du projet HOME Made

Reproductibilité La reproductibilité d’une construction implique la capacité des populations locales à reproduire les techniques constructives employées. Suivant cette logique, les matériaux choisis doivent être accessibles par les personnes concernées. La reproductibilité permet alors d’avoir un impact à une plus grande échelle. L’objectif du projet HOME Made, d’Anna Héringer, est d’améliorer les conditions de vie de la population rurale. Il est évidemment impossible de construire pour toutes ces personnes. Elle imagine alors, entourée d’étudiants et d’habitants locaux, des maisons exemple, reproductibles. Ainsi, elle donne à chacun les moyens de construire son propre logement, pour vivre dans de meilleures conditions. La terre, le bambou, la paille et la fibre de coco, matériaux locaux et accessibles à tous, sont utilisés de façon traditionnelle. Mais en opposition aux habitations vernaculaires de plain pied, celles-ci possèdent un étage qui permet de réduire l’emprise au sol. La surface de terrain libérée peut être cultivée par les habitants. La reproduction de ce modèle permet une lutte contre la perte des terres agricoles, liée à la progression des zones résidentielles, et par extension contre la pénurie alimentaire. 21


DESI school, Anna Héringer : photos de la construction et du projet fini

Carte de Rudrapur, Anna Héringer

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Politique Au sens large, la politique désigne le cadre général d’une société, sa structure et son fonctionnement, ce qui à trait au collectif et aux affaires publiques. Ainsi le travail des architectes et le choix des matériaux utilisés peut avoir une influence politique. « Choisir des matériaux de construction revient à décider de ceux qui feront les bénéfices : la grande industrie ou les artisans ? » 5 Anna Héringer à fait son choix. Dans chacun de ses projets, l’artisanat occupe une place centrale. A Rudrapur, au Bengladesh, elle a réalisé deux établissements scolaires : METI une école primaire et DESI un centre de formation pour électriciens. Pour ces bâtiments l’objectif était de favoriser l’artisanat et supporter le marché local. Les deux passent par l’utilisation des même matériaux : la terre et le bambou. En favorisant un domaine de production : l’artisanat, le choix de la matière révèle un engagement politique. 5- Anna Heringer in « Aimer aimer aimer – Bâtir », association villa Noailles et Archibook, 2010.

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DESI school, Anna Heringer : photo intérieure et plan du premier étage avec point de vue indiqué

Le choix de la matière n’est pas anodin. Il doit donc se faire en fonction des intentions du projet. Un matériau peut être choisi pour sa soutenabilité, pour favoriser la reproductibilité ou encore pour des raisons politiques. Mais dans chaque cas il doit refléter la posture de l’architecte.

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Les workshops constructifs permettent donc de se confronter aux réalités de la matière selon trois grands axes. Premièrement, ils enseignent la mise en œuvre (traditionnelle) de la matière qui regroupe sa recherche, sa manipulation, sa transformation et son recyclage. Deuxièmement, ils permettent d’expérimenter de nouveaux matériaux et donc de nouvelles façons de construire. Enfin ils donnent un sens et confèrent certaines valeurs aux matières employées. La construction peut donc être source d’apprentissage par l’expérience de la matière qu’elle implique, mais également grâce aux rencontres qu’elle crée.

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Orphelinat Safe Heaven, Tyin Tegnestue

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RASSEMBLER POUR ECHANGER

Workshop H 2O Land, carnet d’étudiant

Les expériences constructives rassemblent, autour d’un projet commun, des personnes d’origines différentes et de formations diverses. Elles enseignent le travail en équipe et parfois même la vie en communauté. De ce fait, les chantiers sont des temps d’échange entre les participants. Ils permettent également l’intégration des futurs usagers dans la réalisation du projet, par la participation au choix du programme ou de façon plus active à sa construction. Les échanges qui ont lieu entrainent, dans un premier temps, la transmission de connaissances qui ne sont pas enseignées à l’école et, dans un second, la création de nouveaux savoirs. Ainsi les expériences constructives rassemblent des besoins, des connaissances et des savoir-faire pour y répondre. 27


Design Build BLUFF, construction de la Little Water

Rassembler des personnes et des disciplines Les chantiers rassemblent une multiplicité de personnes. Ils permettent de comprendre l’importance du dialogue. Ils apprennent à travailler ensemble. Chacun des participants apporte ses propres connaissances. La diversité de leurs expériences et de leurs formations permet de rassembler des disciplines normalement séparées dans le milieu scolaire.

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Apprendre à travailler et vivre ensemble Les expériences constructives rassemblent, avant tout, des étudiants pour leur apprendre l’importance du travail en équipe et comment assurer son bon fonctionnement. Halle Hagenau, dans « les cinq leçons que j’ai appri à Design Build BLUFF » 1, affirme que « Deux têtes valent mieux qu’une (quatre mains mieux que deux) » 2 Selon elle travailler avec d’autres personnes peut être très utile pour faire évoluer ses idées ou s’assurer que son projet n’est pas totalement incohérent. Durant son expérience au Desgin Build BLUFF, la confrontation des idées, de tous les participants, a permis de produire un meilleur projet que ce qu’ils auraient pu imaginer chacun de leur côté. Plus que l’importance de travailler ensemble, cette expérience lui a appris comment travailler en équipe. La première règle à respecter est « La transparence est ton amie » 3. Être ouvert aux idées et aux plans des autres permet de faciliter les échanges. Au contraire, garder des décisions secrètes divise. La transparence est donc un moyen de conserver l’unité du groupe et d’éviter les conflits. La seconde règle du travail en équipe est de « ne pas plier jusqu’à la rupture ». Selon elle, une partie de ce travail consiste à « être capable de lire vos coéquipiers et savoir quand il faut s’arrêter ou continuer plus fort » 4. Le fonctionnement du travail en équipe, repose donc d’une part sur la cohésion du groupe et le dialogue et d’autre part sur la compréhension entre les participants. 1,2,3 et 4 - http://www.designbuildbluff.org/blog/

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Black mountain collège : dôme géodésique de Buckminster Fuller et modules en bois de Mary Gragory

Mélanger les disciplines Les expériences constructives rassemblent également des disciplines. C’est le cas du Black Mountain College, créé suite à la fermeture du Bahaus. Cette université expérimentale s’inspire de l’éducation nouvelle de John Dewey selon laquelle les enseignants ne transmettent pas de savoirs spécifiques mais guident les étudiants. Ces derniers accèdent à la connaissance par l’autoapprentissage. Les étudiants vivent en communauté et développent des expériences en petits groupes. L’école place la transdisciplinarité au cœur de son enseignement. Le décloisonnement des disciplines permet d’élargir le champ des possibles. Ici, il entraine la naissance de nouvelles formes d’art. L’université connait, notamment, le premier happening : untitled event de John Cage. Cette intervention artistique réunit danseurs, musiciens, lecteurs de poèmes, peintres … C’est dans ce contexte que Buckminster Fuller, homme de science, architecte, philosophe, économiste et géographe, met au point son principe de dôme géodésique. Le Black Mountain College ferme ses portes en 1957. Aujourd’hui, la transdisciplinarité, chère à cette université expérimentale, est présente dans certains workshops. 30

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Into the landscape

Echanger avec des personnes de formations diverses Into the landscape est un atelier de construction coordonné par Rintala et Eggertson sur le lac Seljord en Norvège. Il est réalisé en collaboration avec les écoles NABA, polytechnique Milan et Fredrikstad. Ainsi, ce sont des étudiants en architecture, ingénierie et scénographie qui participent à cet évènement. On assiste à une combinaison des savoirs par la réalisation d’un projet commun. Les étudiants partagent leurs connaissances et leurs expériences. L’apprentissage peut donc se faire par l’intermédiaire des échanges entre participants. Rassembler des disciplines permet donc d’élargir la formation traditionnelle vers d’autres domaines. Cela entraine également une nouvelle forme d’enseignement qui résulte des échanges entre les étudiants. Cette transdisciplinarité, alliée à la transculturalité, permet de rassembler des connaissances et des savoir-faire. Plus que la rencontre des différents acteurs de la construction, les workshops permettent d’échanger avec la population locale afin de travailler sur un projet commun.

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H 2 O Land : construction d’une structure et vue intérieure du projet finit

Travailler avec la population locale et les futurs usagers Travailler avec la population locale et les futurs usagers peut prendre différentes formes : échanges en amont du projet ou participation active. Dans tous les cas cela revient à leur accorder une place importante.

Choisir et établir ensemble le programme Les entretiens avec des futurs usagers permettent de mieux cibler leurs besoins. Grâce à ces échanges, étudiants et architectes peuvent établir le programme du futur projet. C’est le cas du workshop H2O Land. Ce dernier, coordonné par Rintala et Eggertson, a eu lieu dans la commune d’Allai en Sardaigne. La première phase de ce travail consistait à s’entretenir avec les habitants de la commune. Ensemble ils ont défini un programme qui lie les activités humaines au paysage. Les phases de conception du projet, expérimentation et construction ont suivi. L’échange avec les usagers est ici à l’origine du projet, dans d’autres expériences ils peuvent intervenir de façon plus active et dans chaque étape de la réalisation.

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Rural studio : VK Houses versions 2 et 7 avec leurs propriétaires

S’engager contre la pauvreté Pour Samuel Mockbee, l’acte de construire est un engagement contre la pauvreté. En 1992 il crée le Rural Studio, un moyen de construire pour les populations défavorisées. Il propose des ateliers d’auto-construction avec des étudiants de l’université d’Auburn. Ce qui permet aux usagers d’avoir accès à un logement adapté à leurs besoins. De plus l’opportunité de participer à sa construction permet d’accroître sa valeur d’estime. Pour les étudiants, l’apprentissage de l’architecture se fait sur la base d’une pratique réelle. Car ils suivent chaque étape du projet. Ils dessinent les plans avec les habitants, s’occupent de trouver les fonds et les matériaux et participent, enfin, à la construction. « La production du bâti par cette force de travail impliquée dans la finalité sociale de l’édifice en construction rétablit les liens qui favorisent deux processus chez ses habitants : ils peuvent s’y reconnaître et se l’approprier. » 5 Ainsi l’implication des futurs usagers dans la construction permet d’accroître la valeur qu’ils accordent au bâtiment mais également de reconnaître leur compétences. 5 - FREY Pierre, Learning from vernacular, Actes sud, 2010.

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Learning from : entretient du jardin par les habitants

Réhabiliter la population « La force de travail autochtone ne trouve pas à s’exercer, dépérit puis se disqualifie et s’en va grossir le flux du sous-prolétariat urbain ; alors que d’autre part, par désespoir et sous l’effet de l’attrait fascinant qu’exerce une civilisation inaccessible déterminée par la marchandise, elle abandonne le mode de production traditionnel, avec les abris et les constructions qui leur sont liés – mais sans rencontrer pour autant la perspective d’un toit offrant une valeur d’usage de substitution. » 6 Learning From est un workshop réalisé à kliptown, quartier informel de Soweto, dans le cadre des saisons croisées France South Africa 2012-2013. Il a un double objectif : améliorer l’orphelinat Sky et offrir une formation professionnelle pour les habitants de Kliptown. Cet atelier s’est déroulé en deux temps. Le premier, à l’école d’architecture de Toulouse, correspond à la récolte d’information, l’identification des problèmes techniques et l’esquisse de solutions.

6 - FREY Pierre, «Learning from vernacular», Actes sud, 2010.

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Learning from : participation des enfants de l’orphelinat

Le second à réuni des étudiants de Toulouse et de Johannesburg, des enseignants et intervenants d’horizon divers (dont notamment Kinya Maruyama) et une centaine de volontaires sud africains. Les projets des étudiants ont été confrontés à la réalité, ils ont évolué. Puis le chantier a commencé. Après onze jours de travail, les volontaires ont reçu un certificat de formation, valorisant leurs compétences et leur implication dans ce projet. « L’objectif du workshop était de réhabiliter un lieu avec l’aide de toute la communauté qui y vit. Mais plus encore, le travail a permis de réhabiliter les personnes en tant qu’habitants et responsables de leur lieu de vie. » 7 Le travail avec les futurs usagers permet de réaliser un projet en accord avec leurs besoins. Mais, plus que sur la construction, il peut avoir un impact très fort sur les personnes. Accorder une place à la population locale, c’est lui permettre de s’identifier dans l’édifice réalisé mais aussi reconnaître ses qualités. Ce travail, avec la population locale ainsi que d’autres acteurs de la construction, est l’opportunité d’échanger des connaissances et des savoir-faire. 7 - Atelier de master Learning From, « Un enseignement à ciel ouvert » in Plan Libre n°108, février 2013

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Echanger des savoir-faire « J’entend et j’oublie; je vois et je me souviens; je fais et je comprends » 8 Sur les chantiers la diversité des personnes permet l’échange des savoir-faire qui se fait par une expérience commune. L’apprentissage passe alors par la compréhension des gestes et leur application directe.

Transmettre une pratique L’Architectural Association school est une école d’architecture situées à Londres. Depuis 2010, des cours sont également dispensés à Hooke park, dans le sud de l’Angleterre. Le travail avec la population rurale permet d’offrir aux étudiants une formation plus manuelle. Ensemble, ils réalisent des structures en bois, matériau très utilisé dans la région, notamment pour la réalisation de bateaux. Ainsi la population locale transmet son savoir -faire aux étudiants et la forêt de Hooke park constitue leur principale source de matériaux. Plutôt que d’accumuler des connaissances théoriques, les étudiants profitent de savoir-faire pratiques. Leur utilisation quotidienne, par les personnes qui les enseignent, confère à cet apprentissage une dimension plus concrète. A Hooke park, les connaissances rassemblées sont principalement à destination de ces élèves, mais souvent, l’enseignement se fait à double sens. 8 - Proverbe chinois

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Construction de Soe Ker Tie House de Tyin

Apprendre de façon réciproque La construction est un temps d’échange de connaissance, au cour duquel l’architecte a autant à apprendre des ouvriers que l’inverse. Lorsqu’ils ont réalisé le projet Soe Ker Tie House, les architectes TYIN étaient encore étudiants. Pour ce bâtiment Ils ont imaginé un mur en bambou basé sur leur connaissance norvégienne du travail du bois. Après trois jours les structures s’écroulaient et l’eau s’infiltrait. Un des ouvriers leur a montré un sac qu’il avait fait en bambou et leur a dit qu’ils n’étaient « que des étrangers ». En utilisant les techniques des ouvriers locaux, ils ont finalement réalisé l’ensemble des édifices en six jours et avec seulement 30% de la quantité de bambou prévu initialement. « C’est la première fois que nous avons réalisé que l’échange des connaissances n’est pas à sens unique. » 9

9- Conférence de Yasnar Hanstad à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille

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DESI school, Anna Héringer : photos de la construction, association de techniques traditionnelles et nouvelles technologies

Les échanges entre les acteurs du chantier permettent d’acquérir de nouveaux savoir faire, qui sont transmis de façon pratique et mis en application directe pour la réalisation du projet. Cet enseignement dépasse le cadre scolaire et chaque participant peut aussi bien transmettre qu’apprendre. Au cours de ces échanges, de nouveaux savoirs se créent.

Créer de nouveaux savoirs Parfois l’expérience de la construction dépasse le simple échange de savoir-faire. Les méthodes constructives traditionnelles sont associées à des moyens techniques modernes. L’alliance entraine une nouvelle interprétation de l’architecture locale. Son identité est renforcée par la création de nouveaux savoirs. Opère alors la « trans-formation » 10. « De nombreux architectes de talent se détournent de la scène globale de l’architecture-spectacle et rendent à leur art sa dignité en même temps qu’ils lui offrent des réalisations qui rénovent son vocabulaire en lui réinjectant l’immense diversité formelle et constructive dont témoignent les architectures vernaculaires du passé. » 11 10- SARANO Florence « Anna Heringer : itinéraire engagé d’une architecte d’aujourd’hui » , in Architecture d’Aujourd’hui n°381, janvier février 2011, p 41-68. 11- FREY Pierre, Learning from vernacular, Actes sud, 2010.

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Dans le cadre de l’atelier BASE habitat, à l’université d’art de Linz, Anna Héringer s’entoure d’étudiants et d’une équipe d’architectes et ingénieurs pour construire dans des pays émergents. Avec les artisans locaux, elle travaille à cette rénovation du vocabulaire architectural.

Développer le niveaux de construction Au Bengladesh le mode de vie des populations pauvres est souvent soutenable. Cela change avec le passage à la classe moyenne. Le principal objectif du projet DESI est de trouver des solutions pour améliorer la vie rurale tout en conservant ce haut niveau de soutenabilité. Réalisé avec des étudiants de BASE Habitat, il doit favoriser l’artisanat, supporter le marché local et renforcer l’identité de la région. Les trois passent par l’utilisation des mêmes matériaux : le bambou et la terre crue. À l’artisanat traditionnel local, Anna Héringer combine méthodes modernes et nouvelles technologies. Le bâtiment profite ainsi d’une lumière et d’une ventilation naturelles. La régulation thermique se fait de façon passive. Enfin des panneaux solaires fournissent le peu d’énergie nécessaire au bâtiment.

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HOME made, Anna Héringer : photos et plan

Créer de nouveaux modes de vie Pour HOME Made, l’architecte s’est entourée d’étudiants Autrichien et bengalis et d’ habitants de la région. Ensemble ils ont réalisé trois maisons, reproductibles par la population rurale. Celles-ci ont un double objectif : améliorer les conditions de vie et renforcer l’identité locale. Pour cela les constructions utilisent les matériaux locaux de façon artisanale. Mais, contrairement aux maisons traditionnelles de plain-pied, elles sont construites sur deux niveaux. Ce qui entraine d’abord un nouveau rapport au paysage, qui désormais est vu depuis un étage, et crée ensuite plus d’intimité, car les pièces situées à l’étage sont protégées des regards extérieurs. La combinaison des connaissances entraine la création de nouveaux savoirs. L’association d’une architecture traditionnelle et de personnes extérieures permet de conserver l’identité locale tout en l’enrichissant. L’évolution qui en résulte touche directement le bâtiment construit et vise parfois des enjeux beaucoup plus larges. 40

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Les workshops rassemblent des personnes de cultures ou formations diverses et leur apprennent à travailler et vivre ensemble. Ils créent des rencontres qui dépassent le cadre scolaire, parce qu’elles concernent différents acteurs de la construction mais également la population locale et les futurs usagers, et qui permettent de nombreux échanges. Ainsi, par la diversité des acteurs, l’acte de construire s’étend à celui d’apprendre qui revêt alors plusieurs formes. L’enseignement peut se faire soit par la transmission de savoir-faire, chaque acteur peut alors apporter sa contribution, soit par la création de nouveaux savoirs, résultant de ces échanges, qui concernent à la fois de nouvelles techniques constructives et de nouveaux modes de vie . Enfin ces expériences constructives peuvent être l’occasion de rassembler, plus que des personnes, la conception et la construction du projet.

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Klong Toey Cmmunity Lantern, TYIN : conception au soeur du bidonville

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CONCEVOIR SUR LE LIEU DU CHANTIER

Cassia Co-op, TYIN, l’ardoise : outils de conception et d’échange

L’environnement doit prendre une place importante dans la réalisation d’un projet. L’habiter, c’est penser l’architecture d’une nouvelle façon car la pratique du site assure la construction d’un édifice étroitement lié à son contexte. La conception peut alors se faire sur le lieu du chantier permettant ainsi de développer le projet et la construction simultanément. Cette méthode de travail permet d’abord d’utiliser les ressources présentes sur place, afin notamment de réduire le coût du chantier. Elle rend également possible l’intégration des savoir-faire locaux et plus particulièrement ceux des personnes qui travaillent sur le chantier. Enfin, elle laisse plus de place à l’intuition et l’improvisation de telle sorte qu’elle enseigne la flexibilité.

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Viewport Winebar : atelier dans les rues de Matoshinos

Habiter le lieu Les workshops et ateliers constructifs sont souvent délocalisés (les étudiants construisent en dehors de leurs écoles et de leurs villes). Dans certains cas, les étudiants sont en immersion totale dans un nouvel environnement. Il existe différents niveaux de pratique du site qui peut être utilisé comme lieu de conception ou lieu de vie.

La rue comme atelier Sortir de l’école pour concevoir sur le site du projet entraine une nouvelle pratique du lieu. En lui donnant une certaine fonction, celle d’atelier, les étudiants se l’approprient. C’est le cas du workshop Viewport-Winebar qui a commencé directement dans les rues de Matoshinos, au Portugal. Un quartier de la ville a été investi par les étudiants et utilisé comme atelier. Ainsi le projet est né dans son environement, en lien avec le contexte social, environnemental et culturel. Au-delà d’une meilleure connaissance du lieu, cette façon de travailler extra-muros entraine une ouverture de l’école d’architecture vers la ville et ses habitants. En étant dans la rue, les cours prennent une dimension publique. Le nouvel « atelier » peut alors devenir un lieu d’échange avec les passants. 44

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Design & Make : construction des chambres d’étudiants

Le site comme lieu de vie Vivre, concevoir et construire dans un même lieu présente une opportunité unique de générer de l’architecture en réponse aux conditions et phénomènes présents sur le site. Ainsi les premiers bâtiments réalisés par le studio Design & Make à Hooke park sont l’atelier de construction et les chambres d’étudiants. Ce qui permet de loger ces derniers au sein du parc. Pendant un semestre, ils vivent, travaillent, puisent la matière première et construisent dans ce même lieu. Le chantier peut être habité de différentes façons. Le site est pratiqué soit comme lieu de travail et de conception soit comme lieu de vie. Dans tous les cas cela permet d’acquérir une meilleure connaissance de celui-ci qui peut être mise au service de la construction. Concevoir sur place est donc un moyen de penser l’architecture en réaction à son environnement. 45


Utiliser les ressources locales Concevoir un projet en réaction à son environnement, c’est d’abord avoir conscience des ressources locales. Elles peuvent alors être intégrées au projet dès les premières esquisses et faire ainsi partie de son identité.

Les matériaux comme source de projet L’utilisation des ressources locales peut être génératrice de projet. Dans ce cas, il n’y a pas de séparation entre la conception du bâtiment et le choix des matériaux. On choisit un programme sans imaginer de forme. Cette dernière est alors générée par la manipulation de la matière. C’est le cas du Village de ville à la Friche de la Belle de Mai. La constitution d’un magasin de matériaux a été la première étape de ce workshop. Les éléments glanés ont été triés, classés et rangés. Ce travail a donné une nouvelle valeur aux objets abandonnés. Leur rassemblement a permis aux participants d’imaginer des combinaisons et de nouveaux usages. De cette façon, la matière constitue l’origine de la construction. Pour ce workshop, générer le projet en réaction aux objets présents sur place est un moyen de réutiliser les matières dont les ressources sont limitées. Il y a donc des enjeux territoriaux. Mais l’utilisation des ressources locales peut être également un moyen de faciliter le chantier. 46

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Cassia Co-op, TYIN

Faciliter le chantier La visite d’un site de projet permet de prendre connaissance des différentes formes de ressources locales. Le chantier peut être situé à proximité d’une fabrique de matériaux. Leur choix ainsi que la présence, sur le site même, de matériaux inutilisés, permettent de réduire les coûts et le temps de transport. Les architectes de Tyin Tegnestue ont pour habitude d’attendre d’être sur le site pour « décider » plutôt que concevoir à l’avance. Ainsi, c’est sur place qu’ils ont choisi les matériaux et conçu le projet du Cassia Co-op Training center. La visite de la coopérative de cannelle leur a révélé la présence d’une briqueterie et la disponibilité d’une grande quantité de bois. En effet la cannelle est extraite de certaines parties de l’arbre. Le reste du bois inutilisable pour les épices, est adapté à la construction. Les architectes ont ainsi imaginé une structure, uniquement en bois de cannelle, soutenue par des éléments de maçonnerie en brique.

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METI school, Anna Héringer : photo, plan et coupe

Le site peut donc être une source de matériaux. La conception sur place permet d’imaginer leur utilisation dès les premières étapes du projet. Il peut également, par la présence d’ouvriers locaux, être une source de savoirs-faires que l’architecte doit être capable d’intégrer à la construction.

Intégrer les savoir-faire locaux L’intégration des savoir-faire locaux peut se faire à deux temps différents du projet. Le premier temps est celui de la conception, lorsque l’architecte fait le choix d’employer les techniques de construction traditionnelles. Le second est celui du chantier, lorsque l’architecte compose avec les savoir-faire des artisans. 48

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Utiliser des techniques traditionnelles Prendre connaissance du lieu et de sa culture avant de commencer la conception du projet permet d’apprécier les techniques de construction locales. « Le nombre et la diversité, mais surtout la qualité comme l’efficacité avérées de ces savoir-faire, sont à mettre en rapport avec le fait qu’ils se sont constitué au cours des siècles, puis se sont transmis de génération en génération et sont disponibles gratuitement au sein des sociétés qui les ont développés. » 1 L’architecte peut alors choisir de les réinvestir dans son projet, comme le fait Anna Héringer pour chacun de ses édifices. L’utilisation de techniques traditionnelles revient à construire en tenant compte de l’identité locale. Elle permet également de favoriser l’artisanat plutôt que la grande industrie. Au-delà de ce choix, précédant la construction, les savoir-faire locaux peuvent apparaître, sous d’autres formes, au cours du chantier. 1 - FREY Pierre, «Learning from vernacular», Actes sud, 2010.

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DESI school, Anna Heringer : en cours de construction et projet fini

Composer avec les savoir-faire des travailleurs Durant la construction, le projet peut évoluer avec ce que Yashar Hanstad appelle « les belles erreurs ». La barrière de la langue entraine parfois des problèmes de compréhension entre les architectes et les ouvriers. Il apparait alors de nouveaux éléments qui enrichissent le projet. L’école DESI d’Anna Héringer est le résultat d’une libre expression des artisans. Plutôt que contrôler ces derniers, elle a agi comme un chef d’orchestre, coordonnant les ouvriers. En parlant de ce projet l’architecte évoque l’expérience suivante : « Je souhaitais, par exemple, que les angles des fenêtres soient droits et l’ai expliqué à l’un des ouvriers, mais mon bavarois-bengali manquant parfois de clarté, il a commencé à les incurver, tandis que j’étais en train de les couper droit. Peu après, à la vue de son travail, j’ai constaté que les formes de sa fenêtre étaient beaucoup plus jolies que les miennes et nous avons changé tous les plans des fenêtres à la faveur de ces formes courbes. » 2 2- Anna Héringer in « Aimer aimer aimer - Bâtir », association villa Noailles et Archibook, 2010.

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Souvent les ouvriers exécutent un travail précis, qui correspond à un plan donné. Pour DESI, Anna Héringer leur accorde une certaine liberté, leur donnant ainsi leur propre place dans la conception du projet. Plus la contribution est importante, plus le bâtiment est aimé. Mais cette démarche interactive implique une grande flexibilité.

Etre flexible Concevoir en construisant c’est débuter une construction sans savoir la forme exacte qu’elle prendra. C’est laisser plus de place à l’intuition, saisir toutes les opportunités qui s’offrent à nous et savoir improviser. C’est être flexible et capable de changer en fonction de l’évolution du chantier.

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Cassia Co-op : Test de structure et projet fini

Expérimentation sur le chantier Lorsque l’on poursuit la conception d’un projet en même temps que sa construction débute, le chantier peut être un lieu d’expérimentation. Cette dernière est très importante dans le travail de TYIN Tegnestue. Notamment pour le projet Cassia Co-op Trainning center, au cours duquel l’expérimentation est devenue presque trop présente. Pour le centre de formation de la coopérative de cannelle, « nous avons commencé des tests à échelle 1, et comme tout changeait chaque jour, le projet est devenu un cauchemar logistique. » 3 Cette évolution quotidienne, à laquelle s’est ajouté une interruption de la construction durant le Ramadan, a entrainé un retard considérable. Pour compenser, plusieurs tâches ont du être réalisées simultanément. Des ouvriers réalisaient en série des éléments de structure pendant que d’autres travaillaient sur les fondations en béton ou la construction de la structure. Ainsi portes et fenêtres ont été réalisées sans savoir encore où elles seraient posées. 3- Conférence de Yasnar Hanstad à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille

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Ainsi, l’expérimentation sur le chantier est l’une des façons de faire évoluer le projet au cours de sa construction.

Evolution du projet lors de la construction La confrontation de la conception et de la construction peut entrainer une modification du projet. Le changement peut alors être motivé par de nombreuses raisons (problèmes techniques, opportunités, améliorations …). De façon générale, le projet évolue. Au rural studio le processus de conception est ensuite mis à l’épreuve par l’auto-construction. Durant cette deuxième phase le projet connait certaines évolutions. Il en résulte une architecture marquée par des tensions entre un design affirmé et un côté improvisé. Elle témoigne de la flexibilité du rural studio, capacité qu’il partage notamment avec l’atelier Design Build BLUFF. Parmi les cinq leçons qu’elle a apprises au Design Build BLUFF, Halle Hagenau cite : « Le changement est meilleur : abandonner le contrôle » 4. Elle évoque, dans un premier temps, sa difficulté à changer. « La capacité à se déconnecter de la conception dans un sens émotionnel était un combat pour moi. » 5. Mais, avec le recul, cette expérience lui a permis de réaliser à quel point la flexibilité est précieuse. Car les changements opérés sur le projet ont permis de l’enrichir. « Finalement, je crois de tout cœur que ces changements sont pour le mieux, à l’époque, cependant je ne le pensais pas. » 6 Ainsi la flexibilité permet de faire évoluer le projet au cour de sa construction, de l’enrichir, mais également de faire face aux imprévus. Le bâtiment n’est figé qu’une fois qu’il est construit, en attendant il est sans cesse amélioré.

4, 5 et 6 - http://www.designbuildbluff.org/blog/

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Centre artistique de Greensburg : travail du bois en atelier et des fondations sur le chantier

Gagner du temps Commencer la construction d’un projet sans avoir fini la conception peut être un moyen de gagner du temps. En effet c’est l’une des motivations du Studio 804. Pour le centre artistique de Greensburg, trois travaux sont réalisés de façon simultanée. Le premier correspond à la préparation du terrain et à la réalisation des fondations sur place. Le second, en atelier consiste à fabriquer des modules. Enfin, parallèlement, certains étudiants continuent de travailler sur la conception du projet. Cette méthode implique une grande flexibilité et capacité d’adaptation. Car certains détails ne sont réglés qu’au dernier moment. A Greensburg, peu de temps avant l’inauguration du bâtiment, les étudiants ont réalisé qu’ils avaient oublié de prendre en compte les pluies horizontales. Les modules étaient déjà installés sur le site. La façade a alors été entièrement démontée de façon à installer un larmier. Sur le chantier, la flexibilité permet donc de tester des éléments à échelle une, avant qu’ils ne soient figés, entraine l’évolution du projet afin de l’améliorer autant que possible et elle peut être, enfin, un moyen de gagner du temps. 54

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Centre artistique de Greensburg : dernières modifications sur place et bâtiment fini

Les workshops constructifs révèlent donc une nouvelle façon de concevoir le projet qui commence par habiter le lieu de la construction, comme lieu de travail ou, plus fortement, comme lieu de vie. Attendre d’être sur le site pour concevoir permet d’abord d’utiliser les ressources locales puis d’intégrer les savoir-faire locaux, par le choix de techniques traditionnelles de construction ou en composant avec les savoir-faire des ouvriers. Enfin concevoir le projet sur le lieu du chantier implique une certaine flexibilité qui permet de faire des test à échelle 1, de faire évoluer le projet pendant sa construction et parfois même de gagner du temps. La confrontation aux réalités de la matière, les échanges entre étudiants et avec les populations locales, ainsi que la conception sur le lieu du chantier sont trois formes d’apprentissage présentes au cours des expériences constructives. Chacune d’entre elles réinterroge, à sa façon, les rôles potentiels des architectes.

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Soe Ker Tie House, TYIN : ouvriers et architectes travaillant ensembles

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QUELS FUTURS RÔLES POUR LES ARCHITECTES DANS LE MONDE ?

En France, la législation attribue aux architectes un rôle de conseil ainsi qu’un rôle administratif et technique. Le premier consiste à conseiller le maître d’ouvrage, concevoir le projet et choisir les entreprises. Le second correspond à la réalisation du permis de construire et des contrats d’architecte et de construction. Plus qu’une réponse faite, uniquement à un programme et un budget, les expériences constructives étudiées jusqu’à présent révèlent d’autres missions pour les architectes. Ils ont, par leur participation, un rôle important à jouer sur le chantier, mais les enjeux de leur travail peuvent également dépasser le cadre strict du projet et s’étendre à la société, par un engagement économique et politique.

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Au sein du projet Dans les workshops étudiés, les architectes s’impliquent de façon très forte dans le projet. Plutôt qu’apporter une réponse à un programme donné, ils le définissent, grâce notamment à des échanges avec la population, ils trouvent les moyens de le financer et surtout ils participent activement à sa construction. Sur le chantier, les architectes endossent alors deux rôles très liés, celui de médiateur entre les différentes parties prenantes et celui de vecteur des connaissances.

Médiateur Sur le chantier, les architectes peuvent être médiateurs entre les différents acteurs de la construction. En effet il coordonne le travail, et parfois la libre expression, de chacun d’entre eux. Anna Heringer dit au sujet du projet DESI : « Finalement, j’œuvrais plutôt comme un chef d’orchestre. J’essayais de percevoir quand il était nécessaire de diriger, mais aussi, quand il était bon d’intervenir ou de laisser s’exprimer les artisans. » 1 Les architectes doivent aussi gérer les différentes ressources, qu’elles soient matérielles ou humaines. TYIN, parle du rôle de « facilitateur » : « Nous établissons des rapports entre les parties prenantes impliquées et nous trouvons les moyens d’atténuer de possibles conflits. » 2 Enfin la médiation peut se faire entre les acteurs et les différents savoirs. 1- Anna Heringer in «Aimer aimer aimer - Bâtir» association villa Noailles et Archibook, 2010. 2- Tyin in « Aimer aimer aimer - Bâtir», association villa Noailles et Archibook, 2010.

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DESI school, Anna Héringer : construction, avec la participation d’habitantes de Rudrapur

Faire circuler les savoirs Quand la construction devient un lieu de formation, les architectes ont pour rôle de faire circuler les savoirs. C’est le cas du workshop Learning From. Un de ses objectifs était la formation professionnelle de volontaires de Kliptown. Au cours du chantier les participants ont acquis certaines connaissances. A l’issu de cet atelier, la remise d’un certificat de travail marque la reconnaissance de leur contribution et de leur apprentissage. « Cette dimension sociale du travail est aussi importante que

la conception et la réalisation du chantier proprement dit, elle donne un sens profond à ce que l’on nomme en architecture : un projet de réhabilitation. »3 3- Atelier de master Learning From, « Un enseignement à ciel ouvert » in Plan Libre n°108, février 2013

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Cassia Co-op, TYIN, diverses utilisation du bois de cannelle

Economique Les choix des architectes ont une influence économique à la fois sur le chantier et dans la société. Sur le chantier, parce qu’il a une part de responsabilité concernant le coût de la construction. Dans la société, parce qu’il influence la répartition des bénéfices du projet.

Utiliser les ressources disponibles Le choix de la matière peut être motivé par des raisons économiques. L’utilisation de ressources disponibles, et donc gratuites, est un moyen de réduire considérablement les coûts de construction. Pour cela, il faut être attentif aux matériaux offerts par le contexte. C’est le cas de TYIN Tegnestue notamment pour leur projet Cassia Co-op Training Center, un centre de formation pour une coopérative de cannelle. Le tronc des arbres à cannelle est un sous-produit de la production d’épice. Il possède un moindre statut. Ainsi les architectes ont bénéficié d’une grande quantité de bois pour réaliser la structure de l’édifice. 60

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Chrystal Chapel, rural studio, réalisée avec des vitres de voitures

Dans cet exemple, la ressource disponible est le bois : matériau couramment utilisé dans la construction. Parfois ne sont accessible que des éléments à priori dépourvus de fonction constructive. Les étudiants du rural studio, parce qu’ils construisent pour une population défavorisée, s’intéressent particulièrement à l’économie de moyen. Pour construire, ils utilisent des ressources généralement absentes du milieu constructif. Ainsi, des fenêtres de voitures constituent une chapelle de verre, des pneus servent de soubassement pour une maison, des plaques minéralogiques habillent une construction …

Favoriser l’économie locale L’économie locale peut être supportée de deux façons : par le choix des matériaux et en privilégiant la main d’œuvre locale plutôt que l’industrie globale. Le choix des matériaux locaux permet à la fois de diminuer les coûts et de soutenir le marché local. Ainsi Anna Héringer utilise, dans ses projets, les matériaux de façon traditionnelle tout en développant une esthétique contemporaine. Elle réactualise une identité et des savoir-faire locaux. Ce qui permet de créer une nouvelle économie locale grâce à la création d’emplois. 61


METI School, Anna Heringer : utilisation de matériaux locaux de façon traditionnelle

C’est notamment le cas de l’école METI dont l’objectif « est de démontrer les potentiels constructifs des matériaux locaux et la capacité des ouvriers sur place afin de convaincre les populations de faire confiance à leurs propres ressources. » 4 Au delà du rôle économique, l’ensemble des projets révèle l’existence d’un rôle politique important pour les architectes.

Politique La majorité des workshops et expériences constructives étudiés ici ont un but humanitaire et témoignent de l’engagement politique dont les architectes peuvent faire preuve. Cet engagement se concrétise d’abord par un travail avec et pour les populations défavorisées, ensuite par la volonté de répondre à des besoins élémentaires et, ainsi, améliorer les conditions de vie et enfin par la volonté d’avoir un maximum d’impact avec un minimum de moyen.

4- SARANO Florence et BLANC Jean Pierre, « Tyin, Anna Heringer, architectes : construire ailleurs », association villa Noailles et Archibook, 2010.

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Travailler pour les populations défavorisées La plupart des expériences étudiées ont pour objectif de construire pour des personnes défavorisées et leur permettre, notamment, d’accéder à un logement décent. Ce travail peut, s’effectuer par la mise en place d’ateliers d’auto-construction comme le fait le Rural Studio. Les étudiants et les futurs usagers construisent ensemble la maison dont le coût est réduit par l’expérimentation et la récupération de nouveaux matériaux. Pour son fondateur, ce studio de travail est un moyen d’enseigner la force de l’acte de construire comme engagement contre la pauvreté. Par ailleurs, l’accès au logement, peut également se faire par la mise en place de modèles reproductibles tenant compte des moyens de la population locale. C’est le cas des trois maisons exemple réalisées par Anna Héringer pour le projet HOME made, qui sont construites avec des matériaux locaux mis en œuvre de façon artisanale. Permettre aux habitants d’avoir un logements décent peut donc se faire, soit par la construction même du logement, soit en montrant, au travers d’exemples, comment construire une maison avec peu de moyens. Dans tous les cas, les constructions doivent, en priorité répondre à des besoins élémentaires.

Améliorer les conditions de vie L’amélioration des conditions de vie passe avant tout par la compréhension des besoins élémentaires des personnes pour lesquelles on construit. Chacun des projets réalisés tente à sa façon de répondre à cette nécessité.

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Living Tebogo, Anna Héringer et Klong Toe Community Lantern, TYIN

L’hygiène, d’abord, constitue l’un de ces besoins de base. Le projet Living Tebogo, par exemple, qui correspond à l’extension d’une maison pour enfants handicapés, a pour but d’équiper l’organisme d’un bâtiment de thérapie et de sanitaires. L’accès à l’enseignement, ensuite, a une grande influence sur la qualité de vie d’une population. Le Cassia Co-op Training Center crée, en plus d’un programme de santé, de l’assainissement des usines et de leur sécurisation, un centre de formation pour les employés de la coopérative. La sécurité, également, associée à la mise en place de lieux publics praticables en toute confiance est un moyen d’améliorer le quotidien. Klong Toey Lock, quartier informel très privatisé de Bangkok, possède très peu d’espaces communs. En 2011, TYIN Tegnestue a réalise dans ce bidonville un espace public dédié aux habitants : Klong Toey Community Lantern. Les enfants, ayant participé à sa construction, profitent aujourd’hui d’une aire de jeu où ils peuvent se retrouver, jour et nuit, en toute sécurité.

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HOME made, Anna Héringer

Pour finir, la mise en place de nouveaux modes d’habiter peut contribuer à l’amélioration des modes de vie. C’est le cas du projet HOME made, pour lequel Anna Heringer propose des maisons à étage. Dans un premier temps, cela permet de limiter l’emprise au sol du bâtiment et de conserver un terrain cultivable. Ensuite, cela crée un nouveaux rapport au paysage, qui est vu désormais depuis une certaine hauteur. Enfin, les pièces à l’étage sont protégées des vues extérieures, ce qui apporte plus d’intimité aux habitants.

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Avoir un maximum d’impact Les architectes doivent, parce qu’ils travaillent pour des populations défavorisées, répondre, de la meilleure façon possible et avec un budget restreint, à des besoins fondamentaux. Si bien qu’ils ont, avec un minimum de moyens, un maximum d’impact. L’utilisation de moyens réduits tout en ayant une grande influence fait partie intégrante de l’engagement d’Anna Heringer et apparait très clairement dans son projet d’école METI. La création d’une école au sein du village permet une certaine indépendance pour ces habitants. Les enfants, au lieu d’être dispersés dans l’anonymat urbain, ont la possibilité de rester auprès de leur famille et de développer une identité spécifique, propre à la culture de leur village. C’est dans cette logique d’impact maximum que travaille le Desgin Build BLUFF de l’université de l’Utah. Son principal objectif est de former, pour le bien de la communauté et l’avancement de la profession, des architectes meilleurs et avec plus de compassion. Les étudiants doivent s’investir dans le projet au-delà de ce que la plupart des architectes ne pourront jamais connaître. Le studio, par le biais d’une expérience unique, cherche à changer la vie des étudiants, de façon à ce qu’ils se demandent « What am I doing to change the world today ? » 5 Cette interrogation est révélatrice de la force estimée de l’architecture : elle peut changer le monde. C’est également le point de vue de Samuel Mockbee qui, grâce au Rural Studio, souhaite montrer aux étudiants à quel point l’architecture peut changer la vie. 5- « Que puis-je faire pour changer le monde aujourd’hui ? » http://designbuildbluff.org/

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Enfants de l’école METI

Ces multiples entreprises architecturales pour travailler avec les populations défavorisée et faire évoluer leur niveaux de vie confirment donc l’existence d’un rôle politique et humanitaire pour les architectes. Qui, par leur engagement, peuvent avoir un impact considérable sur les conditions de vie et par extension la société. Les rôles futurs des architectes dépassent donc la réponse stricte à un programme unique et un budget définit. Ils peuvent participer à la définition du programme ainsi qu’à la recherche de son financement. Ils ont également un rôle à jouer sur le chantier, à travers la participation à la construction, ils sont à la fois médiateurs entre les différents acteurs et en même temps, ils permettent la circulation des savoirs. Plus largement, les architectes ont une influence dans la société. Ils endossent d’abord un rôle économique qui se traduit par l’utilisation de ressources disponibles, afin de diminuer les coûts, et la favorisation d’économies locales plutôt que le marché global. Ils ont enfin un rôle politique et humanitaire à tenir qui se matérialise par le choix de travailler pour une population défavorisée, par la volonté d’améliorer ses conditions de vie et enfin par la réalisation d’un projet ayant un impact maximum avec un minimum de moyen.

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CONSTRUIRE POUR APPRENDRE ?

cette question constitue déjà en soi un élément de réponse à d’autres façons d’enseigner l’architecture. Afin d’y répondre, j’ai posé, à partir de l’inventaire de ces différentes expériences constructives, les hypothèses suivantes concernant à la fois les motivations et les moyens d’un tel apprentissage : Les expériences constructives permettent de se confronter aux réalités de la matière. Cette confrontation nécessaire passe par l’apprentissage de la mise en œuvre. Trouver, manipuler, transformer et recycler des matériaux en constitue le socle. Elle entraine, de surcroit, l’expérimentation de nouveaux matériaux et met en lumière l’engagement et le sens que peut donner à un projet le choix d’une matière. Les expériences constructives développent les interactions entre des personnes qui ne se rencontrent pas dans les écoles et créent ainsi de multiples échanges. Le travail avec la population locale et les futurs usagers, grâce à leur implication, garantit une meilleure appropriation du bâtiment. La diversité des acteurs favorise l’échange des connaissances et la création de nouveaux savoirs, résultants de l’association entre une architecture traditionnelle et des connaissances technologiques. Les expériences constructives supposent enfin une nouvelle façon de concevoir le projet, sur le lieu du chantier, qui passe par une importante pratique du site en amont de la conception. Attendre d’être sur place pour initier le projet permet d’utiliser au mieux les ressources et savoir-faire locaux et implique une certaine flexibilité, qui permet de saisir toutes les opportunités offertes par le chantier.

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In

Studio 804 Design Build BLUFF Black Mountain College Rural Studio

Design & Make

Village de ville Viewport Winebar H2O

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Design Build BLUFF Black Mountain College Rural Studio

Village de ville Viewport Winebar H2O Lan

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Studio 804

Design & Make

Learnin de «migration» --> Sens des étudiants Microarchitecture Architecture

Sens de «migration» -> des étudiants Les arguments pour ces expériences conduisent tous au final à Microarchitecture

réinterroger les rôles futurs des architectes dans nos sociétés en Architecture mutation. En effet dans ces situations expérimentales, les architectes endossent différents rôles commençant par l’élaboration du programme, en prise directe avec le contexte et les besoins des futurs usagers. Ils recherchent aussi les financements et participent de façon active à la construction. Sur le chantier, ils sont, par ailleurs, à la fois médiateurs entre les différents acteurs et vecteurs de savoirs. Plus largement, ils jouent un rôle économique de premier plan, recherchant la diminution des coûts de construction tout en donnant la priorité au développement de l’économie locale. Enfin, ils ont un rôle politique et humanitaire à jouer en œuvrant pour les populations défavorisées avec comme objectif d’apporter des réponses à des besoins élémentaires en améliorant les conditions de vie. Ces rôles potentiels révèlent l’impact que peut avoir un projet, quelle que soit son échelle : « de petites actions peuvent entrainer de grands changements ».

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HOME made DESI et METI Hands-on Workshops Safe Haven Klong Toey Community Lantern Soe Ker Tie House

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Living Tebogo

Cependant l’inventaire de ces enseignements, et de leur répartition géographique, révèle d’importantes disparités sur la place laissée aux étudiants dans la construction suivant les continents. En Europe, ils réalisent principalement des projets éphémères ou de microarchitecture, partout ailleurs, peu importe l’origine des participants, ils ont l’opportunité de construire des bâtiments de plus grande échelle. Ainsi le studio BASE Habitat de la Kunst universität Linz ( école d’architecture de Linz en Autriche), qui combine travail théorique et expérience constructive, pour faire prendre conscience de la réalité politique et sociale aux étudiants, réalise tous ces projets à l’extérieur de l’Europe et principalement en Asie. Pourquoi la place des étudiants dans la construction est-elle si réduite en Europe ? La construction de bâtiments pérenne au cours des études est-elle plus difficile à mettre en place sur ce continent ? Quels sont les facteurs qui freinent ces initiatives ? La législation ou la responsabilité de l’architecte ne seraient-elles pas une des causes ? 71


Post scriptum : Après avoir mis en relief, de façon théorique, la nécessité de construire pour apprendre, je souhaite à la fois étayer ces hypothèses et les mettre en application, en participant à la construction d’un projet. Actuellement l’agence WA Office, en partenariat avec les associations « Poussière de vie » et « Xuan les enfants d’avenir », intervient de façon solidaire dans la région de Kon Tum au Vietnam. WAO a conçu, en réponse aux demandes locales et dans une démarche de respect du patrimoine architectural et environnemental, une résidence-école de formation hôtelière. Pour sa réalisation, sous forme de chantier participatif, l’agence cherche des bénévoles pour travailler aux côtés des habitants. Ainsi je me suis portée volontaire pour participer à la concrétisation de ce projet, qui, par la participation au chantier et les échanges avec les habitants, me permettrait d’approfondir ma formation tout en ayant un nouveau rapport à l’architecture. La pratique se fera dès cet été 2013.

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BIBLIOGRAPHIE Paroles des participants aux expériences constructives Livres : - Atelier de master Learning From, « Un enseignement à ciel ouvert » in Plan Libre n°108, février 2013 - SARANO Florence et BLANC Jean Pierre, «Aimer aimer aimer Bâtir» , association villa Noailles et Archibook, 2010. Sites internet : - http://www.ri-eg.com - http://www.ruralstudio.org/ - http://designandmake.aaschool.ac.uk/ - www.aaschool.ac.uk/designandmake - http://designbuildbluff.org/ Conférence et vidéo : - Conférence de Yasnar Hanstad à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille - « Superstructures Greensburg : Studio 804 »

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Textes de personnes extérieures Livres :

- EGG Anne-Laure, Kynia Maruyama, Architecte Workshopper, Actes Sud, 2010. - SARANO Florence et BLANC Jean Pierre, Tyin, Anna Heringer, architectes : construire ailleurs, association villa Noailles et Archibook, 2010.

Articles :

- CLUZAN Lucie, « Global award 2008 ressources humaines » in Ecologik n°5, octobre novembre 2008, p 24-26 - CONTAL Marie Hélène, « Global award for sustainable architecture » in Cree n°336, avril mai 2008, p 52-67 - CONTAL Marie Hélène, « Sami Rintala, construire/transmettre/ construire» in D’A D’architecture n°200, mai 2011, p 10-19 - FAUVE Charlotte, « Kinya Maruyama - l’énergie du workshop » in Ecologik n°22, aout septembre 2011, p 110-115 - LEFEVRE Pierre « Himalaya sun school – école bioclimatique kargyak » Ecologik n°10, aout septembre 2009, p 106-114.


-

PAGES Yves, « Samuel Mockbee 1944-2001 le Maverick de

l’Alabama » in Amc n°123, mars 2002, p 20-21 - PIRO Patrick, « Réhabilitation éco-responsable. Au défi de la rénovation - workshop étudiants, Gradignan, Gironde.» in Ecologik n°16, aout septembre 2010, p 70-74 - RITMAN Alex, « HOMEmade Bangladesh High-rises » in Brownbook - SARANO Florence « Anna Heringer : itinéraire engagé d’une architecte d’aujourd’hui » , in Architecture d’Aujourd’hui n°381, janvier février 2011, p 41-68. - « Miracle en Alabama : Rural Studio au secours des pauvres » in Architecture d’Aujourd’hui n°372, septembre octobre 2007, p 70-73

Sites internet :

- http://ecolemontagnerouge.com/ - http://mondo-blogo.blogspot.fr/ - http://cargocollective.com/ - http://europaconcorsi.com/ - http://www.abitare.it/it/architecture/ - http://www.intothelandscape.no/ - http://archrecord.construction.com/ - http://www.habiter-autrement.org/ - http://www.dezeen.com

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Ouvrages théoriques Livres : - BONNET Frédéric, BOUCHET Boris et YOUNES Chris, Matière, architecture, cour de licence école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand. - BOUCHAIN Patrick, Construire ensemble le grand ensemble, Actes sud, 2010. - BOUCHAIN Patrick, Histoire de construire, Actes sud, 2012. - DEWEY John, Démocratie et éducation, Armand Colin éditeur, 2011. - FREY Pierre, Learning from vernacular, Actes sud, 2010.





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