Courrier International

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Média page 16

courrier INTERNATIONAL Numéro 2965 - Novembre 2012 3,50 euros

La démocratie liquide, ça vous dit ?

Afrique page 6 Hollande face à deux Afrique : l’une glande, l’autre gronde Histoire page 22

Il y a cinquante ans, les Freedom Riders brisaient

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à la une

le tabou racial

- colombie

ENFIN LA PAIX ? Des négociations doivent commencer entre les FARC et le gouvernement colombien. Cela pourraient signifier la fin d’un conflit qui dure depuis plus de cinquante ans.


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Les récentes affaires qui ont secoué et sali la BAC de Marseille mettent en évidence cet étonnant tournant dans les mentalités depuis plusieurs années maintenant. La corruption est subitement devenue quelque chose de honteux et de publiquement condamnable. Pourquoi un tel revirement ? La corruption, le mensonge, ont toujours fait partie de la vie publique et politique. En s’y attaquant, on supprime un des leviers de notre vie quotidienne. Les plus grands faits historiques sont liés à la corruption. La suppression de la corruption est une nouvelle forme de Prohibition qui ne dit pas son nom. L’homme est corrompu par nature. En allant contre son destin naturel, on créé tous les éléments d’une perturbation. Pourquoi la Corruption aurait-elle une si mauvaise presse. Est-elle vraiment si mauvaise, si néfaste? Clairement non. Tout cela est l’héritage d’une bienpensance dont les germes remontent à 1968. Mai 1968 qui a propagé cette idée que la corruption était condamnable. Dans le même temps, mai 68 propageait aussi des idées fausses et tout aussi dangereuses et condamnables, comme la remise en cause de l’autorité ou même l’émancipation féminine. Curieusement personne ne s’en est ému. Mais les regards se sont focalisés sur la corruption. La Corruption doit apparaître comme une respiration naturelle de l’appareil étatique. Sans corruption, l’appareil se grippe, les décisions ne se prennent plus. Et les rouages de cet appareil perdent même l’espérance d’une évolution que la corruption pourrait leur apporter. Au contraire, plutôt que de condamner des gens qui font leur travail, qui corrompent de manière exemplaire, il faut encourager ces attitudes. La corruption si elle est savamment contrôlée et organisée peut devenir la cheville ouvrière de ce pays, à l’arrêt depuis maintenant six mois. La corruption a montré dans d’autres pays qu’elle était devenue un élément indispensable à la vie économique. Prenez l’exemple de Robert Mugabe, qui grâce à un appareil totalement corrompu permet à son pays d’être cité en exemple tous les jours.

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ÉDITO DE JEAN-FRANÇOIS BUISSIÈRE


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7 JOURS DANS LE MONDE

Felix Baumgartner, le premier homme à avoir franchi le mur du son en chute libre

Après cinq années de préparation, Felix Baumgartner a battu plusieurs records de la chute libre. A 43 ans, l’Autrichien n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il est “dans l’air”.

vrir son parachute pour atterrir sain et sauf. Mais ses exploits les plus spectaculaires restent ses sauts depuis les plus hautes tours du monde: les Tours Petronas de Kuala Lumpur, en Malaisie, et la Taipei 101 Tower à Taiwan. En 2003, il a également réalisé la première traversée de la Manche en chute libre, en sautant d’un avion au-dessus de l’Angleterre et en rejoignant Calais accroché à deux ailes en carbone. Il a enfin sauté depuis le plus haut pont du monde, le viaduc de Millau en France, qui culmine à 343 mètres au-dessus de la vallée du Tarn. Pour son saut aux confins de l’atmosphère, à 39.000 mètres d’altitude, Felix Baumgartner s’était entraîné pendant cinq ans et avait déjà réalisé avec succès deux sauts préparatoires, à 21.800 mètres et 29.600 mètres. “Je pense que tout est une question de préparation. Il faut ‘faire ses devoirs’, voilà tout. Je déteste que l’on m’appelle un amateur de sensations fortes ou un drogué de l’adrénaline, car je ne suis pas comme ça. J’aime que tout soit planifié”, explique-t-il. Il partage aujourd’hui son temps entre la Suisse et les Etats-Unis. Mais précise: “C’est dans l’air que je suis chez moi” •

Journalistes, experts, citoyens éclairés : ils sont sur les réseaux sociaux ! Nabeel Rajab Le plus médiatique des défenseurs des droits de l’homme de Bahreïn est actuellement en prison. Du coup c’est son entourage qui tweete pour lui, en particulier sur les nombreux procès en cours contre des opposants au régime. Cloud Appreciation Society «Nous aimons les nuages, nous n’avons pas honte de le dire et nous sommes fatigués de ceux qui s’en plaignent.» Il regarde, notamment, comme un formidable outil de répression. Evgency Morozov Ce chercheur biélorusse, installé aux Etats-Unis, est l’une des voix les plus écoutées d’internet - qu’il regarde, notamment, comme un formidable outil de répression.(en anglais). Rials Iraniens Il y a une an, 1 dollar s’échangeait contre 10 000 rials. Un effondrement «imputé à la mauvaise gestion du gouvernement ainsi qu’aux sanctions économiques imposées à l’Iran à cause du dossier nucléaire», précise Radio Free Europe. Evgency Morozov Ce chercheur biélorusse, installé aux Etats-Unis, est l’une des voix les plus écoutées d’internet - qu’il regarde, notamment, comme un formidable outil de répression.(en anglais). Rials Iraniens Un effondrement «imputé à la mauvaise gestion du gouvernement ainsi qu’aux sanctions économiques imposées à l’Iran à cause du dossier nucléaire», précise Radio Free Europe.

Léto Calmant

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D’après une récente étude américaine, publiée dans la très sérieuse revue Nature, l’intelligence ne serait pas du tout à considérer comme une qualité, et être trop intelligent aurait des effets nocifs sur la santé et l’entourage. En effet, une équipe de chercheurs du MIT, le très célèbre Massachusetts Institute of Technology, a montré qu’à l’heure où les nouvelles technologies nous permettent de devenir chaque jour plus intelligent, une trop grande intelligence serait a priori « à éviter ».

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Felix Baumgartner, qui est devenu dimanche le premier homme à franchir le mur du son en chute libre, est un habitué des défis depuis son adolescence et considérait son saut depuis les confins de l’atmosphère comme son “dernier objectif à atteindre”. Avec les mots “born to fly” (“né pour voler”) tatoués sur son avant-bras, l’Autrichien de 43 ans a ajouté trois records à son tableau de chasse: celui de la plus haute altitude atteinte par un homme en ballon, le record du plus haut saut en chute libre, et bien sûr le record de vitesse en chute libre, où il a atteint 1.137 km/h et franchi le mur du son. Imperturbable, Felix Baumgartner est resté très concentré durant les deux heures et demie d’ascension dimanche. Une petite alerte sur un système de chauffage et un peu de buée sur sa visière ne lui ont pas fait perdre son calme. “Quelquefois il faut aller très haut pour se rendre compte combien nous sommes petits”, a-t-il déclaré avant de s’élancer dans le vide. Son saut a duré 9 minutes et trois secondes, dont 4 min 44 sec après que l’Autrichien a ouvert son parachute audessus du désert du Nouveau-Mexique. “J’adore les défis et essayer de devenir la première personne à franchir le mur du son en chute libre est un défi sans équivalent”, avait-il déclaré pendant sa préparation. “C’est probablement la dernière chose qu’il me reste à accomplir”. Felix Baumgartner est né le 20 avril 1969 dans la ville autrichienne de Salzbourg, non loin de la frontière allemande, et rêvait dès son plus jeune âge de sauter en parachute et de piloter des hélicoptères. “J’ai toujours eu envie de liberté et toujours voulu voir le monde d’en haut. Même tout petit je grimpais déjà aux arbres. J’ai toujours voulu voler”, dit-il. Baumgartner a réalisé son premier saut à l’âge de 16 ans, avant de rejoindre l’armée autrichienne et d’y perfectionner ses talents dans les forces spéciales. L’aventurier s’est déjà élancé des quatre coins du monde, souvent de très haut mais parfois aussi... de très bas. En 1999, il était ainsi le premier homme à sauter depuis la main de la statue du Christ Rédempteur, à Rio de Janeiro au Brésil, à seulement 30 mètres du sol, ayant tout juste le temps d’ou-

SUIVONS-LES


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7 JOURS DANS LE MONDE

en 2011, le CSA ignorait l’existence de Direct 8

L’heure est venue de faire le bilan de 7 ans d’antenne au travers d’anecdotes que peu de gens connaissent et qui jettent un jour nouveau sur les grandes heures de Direct 8.

1) L’image de marque. Tuih-Tuih la mascotte de la chaîne était interprétée à tour de rôle par Vincent Bolloré et Philippe Labro. L’homme d’affaire et le journaliste, grands amis et grands enfants ont ainsi endossé le costume imposant de ce poulet sous hormones pour le plus grand bonheur des plus petits. « C’était épuisant, passer près de deux heures dans ce costume puis enchaîner avec mon émission Blog Note, ce n’est pas quelque chose que je referais tous les jours » raconte celui qui fut aussi Président de RTL. 2) Un départ fatiguant. Au début de la chaîne, certaines émissions en direct ne commençaient pas toutes à l’heure. Faire des émissions en direct nécessite beaucoup de préparation. Il n’était pas rare que les émissions débutent en retard. Le plus long retard enregistré fut de 72h entre deux émissions. A ce jour, ce record n’a pas été battu. 3) Une suite essoufflante. Selon des spécialistes, les premières années de Direct 8 peuvent être apparentées à une expérience de Milgram géante, la première réalisée à l’échelle nationale et sur plusieurs années. Certains animateurs ont néanmoins tenté de s’échapper. Tous furent repris, un seul semble-til aurait réussi mais son corps n’a jamais été retrouvé. 4) Premiers préjudices. Les participants mais aussi les spectateurs de l’émission « Boîte de n’Huit » ont obtenu gain de cause pour préjudice moral important. Cette émission diffusée au début a débouché sur plusieurs procès intentés par les participants et des téléspectateurs, une première dans le monde audiovisuel. L’émission se déroulant le soir dans une boite de nuit, certains ont affirmé qu’ils n’avaient jamais été mis au courant qu’ils étaient filmés, ruinant ainsi leur alibi pour refuser de sortir en famille le soir. 5) Alucination collective. Le passage télévisé de Passe-Partout n’a sans doute jamais existé. Tout le monde pense se souvenir du passage télévisé du co-animateur de «Fort Boyard» Passe-Partout. Un évènement qui n’a vraisemblablement jamais eu lieu. « Je ne sais pas où et comment c’est arrivé mais je puis vous affirmer que ce n’est pas moi que

l’on peut voir dans cette vidéo » témoignait Passe-Partout en 2009. Pour les spécialistes il pourrait aussi s’agir d’un phénomène d’hallucination collective rare. 6) Appartenance mitigée. Le CSA n’a appris l’existence de la chaîne qu’en 2011. Comment est-ce possible? Au CSA, personne n’est en mesure d’apporter de réponse. « Quand nous allumions la télévision la chaîne était là. Quand nous appelions les bureaux de la chaîne à Puteaux, ils nous certifiaient qu’ils n’émettaient pas, qu’ils étaient en phase de tests. Nous n’avions aucune raison de mettre en doute leur parole » estime un ancien cadre du CSA. Finalement, en 2011, une équipe d’experts a pu démontrer que la chaîne émettait bien sur un canal de la TNT, vraisemblablement depuis 2005. « La direction de Direct 8 s’est retranchée derrière un problème technique. Selon eux, ils ignoraient totalement qu’ils étaient à l’antenne depuis tout ce temps » . 7) Conflit d’images. Jusqu’en 2010, les animateurs étaient persuadés qu’ils n’étaient diffusés que dans l’enceinte de la tour Bolloré. Les animateurs aujourd’hui à D8 sont formels, ils n’ont jamais été mis au courant que la chaîne était diffusée sur la TNT lors de leur embauche. « On pensait qu’il s’agissait d’une petite télé associative d’entreprise, rien de plus, On ne nous a jamais rien dit. C’est ma nièce qui un soir m’a appelé pour me dire qu’elle m’avait vu à la télévision. Ce jour là j’ai commencé à avoir des doutes » raconte un animateur. Et vous, quels souvenirs avez vous gardé de Direct 8? • Basile Sangène

Taken 2, un film d’amour transgenre

Après un premier volet marqué par sa violence, Taken 2 est attendu par les amateurs de films d’action. Mais plutôt que de refaire une copie du premier, le réalisateur Olivier Mégaton a préféré explorer de nouvelles voies, au risque de choquer.

Un amour transgenre « J’en avais assez de jouer les héros invincibles » explique en substance Liam Neeson pour motiver le traitement du scénario. « Je voulais montrer que mon personnage était quelqu’un capable d’aimer, d’éprouver quelque chose, pas un simple tueur animé par la vengeance » . On retrouve cette volonté de briser les tabous dès la séquence d’ouverture. Le héros y fait une longue expérience intime dans les douches d’un sauna avec les hommes de mains venus à la base pour le supprimer. « Cette scène a été une de mes plus belles expériences à filmer, nous avons pris beaucoup de plaisir dans nos mouvements, beaucoup d’osmose et de tendresse avec mes partenaires » raconte l’acteur. Liam Neeson n’a pas reculé face à la nudité dans certaines scènes tandis que son personnage se décide à explorer son corps ainsi que le corps de ses partenaires masculins. « On a voulu faire un film d’amour transgenre, plus qu’un film d’action » explique le réalisateur Olivier Mégaton. Dans une époque marquée par le débat sur le mariage gay, le film a le mérite de poser des questions et d’élever le débat, loin de la caricature. Les

fans suivront-ils cette optique ? Réponse dans les salles aujourd’hui. Sortie aussi aujourd’hui : « Kirikou les hommes et les femmes » : La saga Kirikou touche à sa fin. Le réalisateur Michel Ocelot a souhaité un final plus « sombre et mature » et s’explique : «Depuis le premier Kirikou les enfants ont grandi, il fallait que Kirikou grandisse aussi ». Dans ce dernier volet, Kirikou aura fort à faire, affrontant tour à tour des escouades d’enfants soldats et des braconniers d’éléphants. Un épisode ancré dans le réel, le réalisateur refusant d’occulter les drames du quotidien dans une Afrique déchirée. Exécutions sommaires, tortures, coup d’Etat, rien ne sera épargné aux jeunes spectateurs. Michel Ocelot se permet même en filigrane une dénonciation sévère et courageuse de la Françafrique. Un film engagé, pédagogique mais résolument ludique • Émilie Leduq


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7 JOURS DANS LE MONDE

Le 4 décembre, le célèbre musée parisien inaugurera une succursale à Lens, dans le Pas-de-Calais. A l’instar du Guggenheim à Bilbao ou de la Tate Modern à Liverpool, cette expérience pourrait redynamiser un territoire qui en a bien besoin.

À quelques semaines de l’ouverture d’une annexe du Louvre à Lens, dans le Pas-de-Calais, le musée le plus visité au monde tente de recréer, dans une des régions les plus mal en point de la France, un véritable effet Bilbao. Exporter le “label” du Louvre tout en érigeant un musée du XXIe siècle est-il un pari réalisable ? Xavier Dectot, directeur du futur musée, explique comment exporter l’art en région peut devenir le moteur économique de toute une communauté. Le 4 décembre, on inaugurera le Louvre-Lens, la toute nouvelle antenne en sol français de l’iconique musée de la rue de Rivoli, signée par les architectes nippons du groupe Sanaa. Comme pour Bilbao, tous rêvent que l’objet futuriste de verre et d’aluminium signe la relance de cette ancienne région minière plombée par le chômage. Car

depuis 1997 le cas du flamboyant musée aux parois dansantes de Frank Gehry à Bilbao a fait école, attirant neuf millions de visiteurs et redonnant un souffle inespéré à l’ancien port du pays basque. La popularité de la fleur de titane a permis de récupérer en six ans les 220 millions de deniers publics investis dans l’aventure. Trop beau pour être vrai ? “On s’attend au même phénomène. Le Louvre-Lens changera l’image du territoire et aura un impact non seulement sur le développement touristique, mais aussi sur d’autres entreprises qui s’appuieront sur le Louvre pour se développer. Cela s’est produit à Liverpool avec l’arrivée d’une annexe de la Tate Modern”, défend le directeur du Louvre-Lens. Pour l’auguste musée du Louvre, le défi sera de tendre la main à un public de non-initiés, au cœur d’une

zone jusqu’ici privée de musée des beaux-arts. “On vise le public des anciennes villes minières. Ce territoire présente des statistiques sociales très difficiles. Le pari, c’est de faire un musée tant pour les néophytes que pour le public qui s’intéresse déjà au Louvre. Il y a une très grande attente dans la région”, insiste M. Dectot. La région a pris les devants en assumant 60 % des coûts de construction du projet et l’entière maîtrise d’œuvre de l’ouvrage. Selon Xavier Dectot, les exemples récents démontrent que, pour chaque euro investi dans ce genre d’équipement muséal, la région récolte 15 euros en investissements privés, sans compter l’effervescence culturelle suscitée par le nouveau venu • Laura Adlert

Le dessin de la semaine

EN ROUE LIBRE Lance Amstrong de plus en plus isolé : après son sponsor, c’est au tour de son vélo de claquer la pote.

TOURMENTE MORTUAIRE Mort de Kadhafi : un rapport de HRW remet en cause la version officielle de l’accident domestique. L’attirance médiatique est de plus en plus recherchée. Pour tenter d’intéresser les médias français, les rebelles syriens annoncent «connaître aussi une très forte chute dans les sondages». Jean-Marc Ayrault l’a d’ailleurs répété à de multiples reprises hier : « Nous avons envisagé tous les scénarios possibles, et nous en sommes venus à la conclusion qu’un tel recul serait intenable au niveau du budget.

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C’est dit

Il est inacceptable de voir qu’en 2012, des familles vivant au Royaume-Uni doivent se priver de biens essentiels, notamment alimentaires, ou se retrouver criblées de dettes uniquement pour subvenir à leurs besoins quotidiens.

ONU - ENTRE-VUE DU MONDE

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Le Louvre bientôt chez les Ch’tis

UNE AFFAIRE DE GRAMMAIRE Affaire des twets antisémites, Bled et Bescherelle se portent parties civiles aux côté des autres associations. La dernière réaction est venue du Front National. Invitée sur RTL ce matin, Marine Le Pen a tenu a préciser la position de son parti sur le dossier : « C’est à la fois un geste honnête et une fuite en avant. La France ne peut sauver tous les autres pays de la Terre. Ça, le gouvernement l’a bien compris.

BAISSE DE MORAL Le lobby pharmaceutique réaffirme son inquiétude d’une dépénalisation du canabis « À qui on va les vendre nos antidépresseurs ?». « Une décision qui serait aussi absurde que coûteuse » . Ces quelques mots du Premier ministre résument parfaitement la position du gouvernement et de François Hollande sur la question.

Le monde musulman célébrera l’Aïd-el-Kébir, ou fête du sacrifice, le 26 octobre. Au cours de cette dernière, les familles égorgent un mouton en souvenir du sacrifice fait par Abraham. Pour l’occasion, la Syrie pourrait respecter une trêve. Selon Lakhdar Brahimi, médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe, Bachar El-Assad aurait accepté un cessez-le-feu. L’état-major de l’armée régulière devait se prononcer ce 25 octobre. Quant aux insurgés, ils semblent très divisés sur la question. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat

LES FOURMIS À CINQ PATTES Bernard Werber sort un nouveau livre « Encore un exemple de l’impuissance du gouvernement » pour l’opposition. Bernard Werber se dit « être humilié par cette réflexion du parti adverse qui ferait bien de retourner à ces classiques ». Le Comte de Montescristau n’est pas si loin !


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D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Afrique

Hollande face à deux AfriqueS : l’une glande, l’autre gronde

Pour l’universitaire sénégalais Moussa Sow, la première visite africaine du président François Hollande a mis en lumière deux Afrique. L’une, proche des réseaux de la Françafrique applaudit Hollande, l’autre, souvent jeune, bouillonne de colère.

Hollande en Afrique : Tu vois Sahid, yen a bon noir

Dessin de Yann Frank, Hollande l’africain

La visite de François Hollande nous permet d’observer et de déduire qu’il se trouvait face à deux Afrique, deux éléments d’une pensée binaire. La première est articulée dans le discours du président de l’Assemblée nationale du Sénégal, et offre l’image d’une Afrique ankylosée par le passé et nostalgique des quatre communes [période coloniale], pour être caricatural, qui voudrait conserver ses privilèges de voyage en métropole. Elle rappelle combien elle connaît les rues de Paris et les amphithéâtres de la Sorbonne. Parallèlement à cette Afrique qui glande, obnubilée par la France, il y a surtout une Afrique jeune aux voix pour l’instant peu

audibles dans leur volonté de rompre avec une certaine image de la France providentielle qui les sortirait de l’ornière. Si la première semble être satisfaite du discours de Dakar, la deuxième reste sur sa faim. Avec cette première visite de François Hollande à Dakar, son discours devant les députés du peuple reste sur le fond profondément professoral. On ne peut en aucun cas faire une lecture critique de ses propos sans se désoler, d’abord et avant tout, qu’une partie de son auditoire africain se retrouve dans ce message. Une Afrique qui semble toujours avoir besoin de messies qui viennent lui dire qu’elle est respectable, qu’elle doit avoir confiance en

elle-même, engourdie qu’elle est dans un incorrigible défaut d’estime de soi, incapable de croire en son génie et en son potentiel. Tout se passe comme si elle ne retrouvait sa fierté, mal placée du reste, que lorsqu’un chef d’état étranger lui dit qu’elle est l’avenir du monde grâce à son taux de croissance enviable et à la jeunesse de sa population. Inutile de dire qu’il n’était pas nécessaire que le président Hollande dise grand-chose pour satisfaire cette première Afrique qui glande, envoûtée qu’elle est par les sirènes de la France. Le nouveau président français est venu lui redonner confiance, lui dire que la délivrance de visas pour aller en France se-


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D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Moyen-Orient

Une Afrique qui s’impatiente Cette même France – ainsi que l’Europe vieillissante – pourrait également solliciter un jour les services de la jeunesse africaine… éduquée. En résumé, l’immigration restera choisie. Voilà, des réponses légitimement intéressées aux demandes peu ambitieuses de nos députés face à un président français venu chercher des marchés pour les entreprises de son pays. Le président français est également venu s’assurer que l’insécurité du nord du Mali ne déborde pas jusqu’à envahir l’Europe. Accordons-nous au moins sur un point : le président français a défini les intérêts de son pays et est venu les défendre en terre africaine, soucieux de faire une place à ses entreprises quand les Indiens et les Chinois dament le pion à la France dans les investissements en Afrique. Cependant, face à cette Afrique tournée vers la France, il y a une autre Afrique, qui, celle-là, s’enracine dans la sagesse et les enseignements d’Ahmadou Bamba [penseur soufi, inventeur d’un islam nègre] et d’Anta Diop [historien qui a inspiré l’afrocentrisme], qui ne nourrit aucun complexe vis-à-vis de la France où même du monde arabe. Pour cette Afriquelà, les vrais intérêts de sa population jeune sont pour l’instant mal posés, donc mal définis. La France n’est pas l’Afrique L’Afrique jeune qui gronde d’impatience est celle-là qui intime l’ordre d’entrer non pas dans l’Histoire mais dans l’avenir, pour maîtriser notre destin. L’heure est venue pour nos politiques de poser les vraies questions qui concernent l’avenir de sa jeunesse, s’il est vrai que l’Afrique est porteuse de l’espoir du monde grâce à ses ressources humaines et naturelles. Les universités françaises ne sont pas les seules qui peuvent développer l’Afrique et enrichir sa jeunesse ! Cette jeunesse a une palette de choix quant à son éducation. Si la France refuse le visa aux étudiants africains, pourquoi ne se tourneraientils pas vers l’Afrique du Sud, le Nigeria, pour consolider les intérêts d’un destin panafricain commun ? Ce ”paradigm shift” nous permet de regarder vers les Etats-Unis, l’Inde et le Brésil qui nous ouvrent les portes de leurs universités. Le président du Rwanda Paul Kagame a compris les enjeux économiques du XXIe siècle en mettant son pays à l’anglais, et le Gabon a pris la décision de suivre cet exemple. Beaucoup de Français qui ont les moyens mettent leurs enfants dans des écoles bilingues, conscients qu’ils sont de la dimension linguistique de la mondialisation. La repentance de la France concernant la traite négrière et la colonisation n’est utile à l’Afrique que si celle-ci utilise ce passé tragique aujourd’hui reconnu pour exiger toute sa place dans la construction de l’avenir du monde. La vérité est que l’Afrique a assez payé du sang de ses enfants pour la paix du monde et possède de ce fait un droit historique à s’asseoir à la table où se décide la paix ! Ainsi, la véritable exigence consiste à ce que l’Afrique se fasse une place au Conseil de sécurité des Na-

tions unies. Il est absurde que des résolutions qui la concernent souvent puissent être prises sans qu’elle soit architecte de leur élaboration. L’heure est venue d’arrêter les querelles futiles afin que tous les Etats africains soutiennent les demandes de l’Afrique du Sud et du Brésil pour un siège au Conseil de sécurité. Voilà plus de cinquante ans que la France porte la voix de l’Afrique francophone dans le concert des nations. L’heure est venue que cette Afrique parle par elle-même et pour elle-même. C’est une question de justice historique, démographique et économique. Le chemin tracé sec L’Afrique est aujourd’hui économiquement attractive, elle doit en tirer pleinement profit. Il est plus que temps que les chefs d’Etat africains francophones, forts de leur légitimité démocratique, aient le courage de revisiter la politique monétaire de la zone CFA [franc des “colonies françaises d’Afrique” et aujourd’hui franc de la “communauté financière africaine”], afin que l’Afrique entre dans une nouvelle dynamique monétaire. Et si les entreprises françaises veulent retrouver une place privilégiée dans les investissements en Afrique, elles ont besoin de convaincre que leur offre est plus intéressante que celle des Indiens et des Chinois. L’heure est à la concurrence ! Inutile de dire qu’il n’était pas nécessaire que le président Hollande dise grand-chose pour satisfaire cette première Afrique qui glande, envoûtée qu’elle est par les sirènes de la France. Le nouveau président français est venu lui redonner confiance, lui dire que la délivrance de visas pour aller en France sera facilitée pour les étudiants et autres artistes. Mais cette Afrique, attachée à la France, a-t-elle bien entendu le véritable motif pour satisfaire sa plateforme revendicative ? Car, c’est dans l’intérêt de la France que ces décisions seront prises, et non par générosité • Toma Lavandielle - O’ALAMBRA

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Avons-nous vraiment besoin d’entendre ces vérités que seule l’Afrique a du mal à croire ? L’Afrique a-t-elle besoin de la visite du président français pour se convaincre qu’elle est entrée dans l’histoire, ou qu’elle est le berceau de l’humanité ? La réponse est évidemment non ! Réaction d’Alex Merch, journaliste

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ra facilitée pour les étudiants et autres artistes. Mais cette Afrique, attachée à la France, a-t-elle bien entendu le véritable motif pour satisfaire sa plateforme revendicative ? Car, c’est dans l’intérêt de la France que ces décisions seront prises, et non par générosité. Que les artistes et autres universitaires se le tiennent pour dit, ils sont des pourvoyeurs de service dont la France a besoin.

Samar a enlevé son voile

En perdant ses illusions sur le président Assad et sur le leader du Hezbollah libanais, qu’elle prenait pour des progressistes, une jeune Syrienne a rejoint les opposants au régime, tête nue.

Ce ne sont ni ses parents ni ses frères qui ont poussé Samar, la trentaine, à porter le voile. D’ailleurs, ses deux sœurs ne le portent pas. C’est elle-même qui avait fait ce choix, il y a environ onze ans. Ses frères ont néanmoins protesté quand elle a décidé, il y a quelques semaines, de l’enlever. Ils y ont vu un recul. A Damas, beaucoup de jeunes femmes issues des classes moyennes ne portent pas le voile, mais les familles de celles qui le portent voient rarement d’un bon œil qu’elles l’enlèvent. La fa­mille de Samar, originaire de Damas et vivant à Kfar Soussa [banlieue de Damas], l’a aussi mal vécu. Abandonner le voile, cela fait partie d’un lent changement, que Samar a commencé sans crier gare depuis le début des “événements”. Cette dernière étape du processus a pris de court sa famille, d’autant plus qu’à peine le voile enlevé leur fille s’est également coupé les cheveux comme un garçon, laissant seulement dépasser une longue mèche, suffisante selon elle pour

C’est ainsi qu’elle s’est demandée pourquoi elle avait adopté le voile il y a onze ans. Après toutes ces années, elle ne savait plus. indiquer son sexe. Elle aimait bien Bachar. Samar fait partie de celles qui aimaient bien Bachar El-Assad quand il est arrivé au pouvoir, en 2000. Cela lui plaisait qu’il fût si jeune. Cela a duré jusqu’au “jour funeste”, comme elle l’appelle, le jour du discours de l’université [10 janvier 2012], quand il s’est moqué du sang [des victimes] versé à Deraa, dit-elle. Quand elle a entendu ce discours, elle s’est enfermée dans sa chambre pour pleurer. Jusqu’à l’année dernière, elle ne connaissait rien à la politique. La seule chose qu’elle savait était qu’elle aimait bien Bachar et son épouse. Et cela alors même qu’elle avait étudié la sociologie et qu’une fois son diplôme en poche elle avait commencé à travailler dans une organisation non gouvernementale étrangère. En Syrie, en dehors des organisations étrangères, il n’y a guère d’espaces pour appliquer ses connaissances en sciences humaines. Quant à la vie sociale de Samar, elle se limitait aux milieux proches de sa famille, ce qui ne contribue pas à élargir le champ des possibles. Ce n’est pas la désaffection pour le président qui l’a amenée à se dévoiler • Jean-Pierre Sliman


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D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Asie

DISPUTE chine-JAPOn : YAN LIANKE APPELLE À LA RAISON

Fin septembre, après les violentes manifestations antijaponaises en Chine, plus de 80 intellectuels chinois avaient signé un appel au dialogue. L’écrivain chinois Yan Lianke signe un texte qui rejoint leurs préoccupations, et répond à son confrère japonais Haruki Murakami. Les violentes manifestations engendrées dernièrement [à la mi-septembre, en Chine] par le contentieux territorial sino-japonais [sur les îles Diaoyu-Senkaku] ont rendu toute création littéraire impossible pour moi. Je consacre tout mon temps à suivre l’actualité en analysant anxieusement chaque nouvelle qui tombe. Je ne cesse de m’interroger : qu’est-ce qui a transformé cet interminable litige insulaire en un sujet aussi explosif ? Qui peut ramener le calme ? Qui peut pousser les politiciens à s’asseoir à la même table pour siroter un thé glacé et engager un dialogue paisible et courtois ? Où sont les voix de la raison ? Je rêve d’entendre des voix plus rationnelles, celles de mes amis les écrivains. J’ai été profondément touchée en lisant les traductions des opinions exprimées par Kenzaburo Oe, lauréat du prix Nobel, sur les contentieux territoriaux, et la récente mise en garde de Haruki Murakami contre les dangers des débordements nationalistes. Ma vieille admiration pour ces écrivains japonais va désormais bien au-delà de leurs œuvres littéraires. “C’est comme de l’alcool bon marché”, écrit Murakami à propos du nationalisme. “Cela vous saoule en quelques gorgées et vous rend hystérique. Vous parlez plus fort et devenez brutal. […] Mais de vos transports alcoolisés, il ne reste le lendemain matin qu’une affreuse gueule de bois.” Face aux querelles incendiaires qui opposent la Chine et le Japon, les écrivains japonais ont entrepris de ramener un peu de raison dans la discussion. Devant leur humanité et leur courage, j’ai honte de la lenteur de ma réaction en tant qu’écrivain chinois. “En ma qualité d’écrivain à la fois asiatique et japonais”, poursuit Murakami, “je crains que les progrès réguliers que nous avions réalisés (dans l’intensification des échanges culturels et la compréhension avec nos voisins asiatiques) ne soient considérablement compromis” par les récents événements. Je comprends l’inquiétude de Murakami. Mais je dois rappeler que la culture et la littérature ont toujours été à la merci de la politique. De tout temps, les échanges culturels et

littéraires ont été les premiers touchés en cas de conflit frontalier. Je suis affligé chaque fois que je vois la culture et la littérature traitées comme des lanternes de festival, dont on fait étalage le jour de la fête et que l’on jette une fois l’effervescence passée. Tout au long de ces nuits sombres, je ne cesse de prier : s’il vous plaît, plus de fusils ni de tambours. Toutes les guerres sont désastreuses. Aujourd’hui encore, les effusions de sang provoquées par le conflit sino-japonais durant la Seconde Guerre mondiale restent très nettes dans notre mémoire collective.

“S’il vous plaît, plus de fusils ni plus de tambours” “Nous sommes tous des êtres humains”, a déclaré Murakami lors du discours puissant qu’il a prononcé à l’occasion de la remise du Prix de Jérusalem qui lui a été décerné en Israël en 2009, “des individus transcendant les questions de nationalité, race et religion, des œufs fragiles face à un mur solide appelé ‘système’. Selon toute apparence, nous n’avons aucun espoir de gagner. Le mur est trop haut, trop solide et trop froid. Si nous avons un quelconque espoir de gagner, il ne peut provenir que de notre foi dans le caractère unique et irremplaçable de nos âmes et de la chaleur que nous retirons de leur union.” Je partage son avis. Dans son essai, Murakami mentionne que ses livres et ceux d’autres écrivains japonais ont été retirés des rayons des librairies chinoises. Cela m’étonne. Il y a à peine quelques jours, j’ai vu des œuvres de la littérature japonaise exposées comme d’habitude dans la librairie All Sages à Pékin. Je pense toutefois que ce que Murakami rapporte a dû se passer ailleurs dans le pays. La Chine est très vaste • Garance Guède - LE LIBERTAIRE


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D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Amérique du Sud

Europe

Dans les favelas, une guerre sans vainqueur

Quand la Lituanie collabore avec Loukachenko

L’offensive militaire lancée par les forces de l’ordre depuis novembre dans les favelas de Rio est présentée par le gouvernement comme un succès dans la lutte contre le trafic de drogues. Mais ces démonstrations n’ont jamais rien résolu : la vraie guerre doit se mener sur un front social.

Des dizaines de jeunes pauvres, noirs, armés de fusils, sont en fuite. Il ne s’agit pas d’une marche révolutionnaire, comme la scène pourrait le suggérer en d’autres temps et d’autres lieux. Ils vont les armes à la main et la tête vide. Ils ne défendent aucune idéologie. Ils ne luttent pas pour s’emparer de l’Etat [de Rio]. Il n’ont aucune perspective. Ils ne connaissent que la barbarie. La plupart d’entre eux ont quitté l’école très tôt et ils savent très bien que leur destin se résume à mourir ou à finir en prison. Les images aériennes de la télé, en direct, sont terribles : elles montrent des individus qui peuvent à tout moment tuer comme être tués. La scène s’est produite à la suite de l’intervention de la police militaire [de l’Etat de Rio] dans la favela de Vila Cruzeiro et au Complexo do Alemão [un ensemble d’une douzaine de favelas], au nord de Rio [l’offensive de l’armée a commencé jeudi 25 novembre. Un contexte difficile Le 28 novembre, 2 600 parachutistes ont investi les favelas, appuyés par des blindés et des hélicoptères]. L’idéal serait une reddition, mais cela semble impossible. Le risque d’un bain de sang est donc bien réel car la logique de guerre prévaut dans la mission de sécurité publique. L’Etat accomplit ainsi son rôle traditionnel. Mais à la fin, il n’y a généralement pas de vainqueur. Ce modèle d’affrontement ne semble aucunement efficace: il n’y a pas si longtemps, en 2007, avec la même équipe gouvernementale [de l’Etat de Rio], la police était entrée dans le Complexo do Alemão et avait tué 19 per-

Ci-contre : Favela de Rio de Janeiro, la Collinia Blanca

sonnes. Et voilà qu’aujourd’hui, la police juge nécessaire de revenir dans la même favela. Cette façon de faire prévaut au Brésil depuis la guerre de Canudos. A la fin du XIXe siècle, le prédicateur Antônio Conselheiro fonde à Canudos, dans l’Etat de Bahia, une communauté de plusieurs dizaines de milliers de personnes contestant l’ordre religieux et politique. Les autorités de la toute jeune république envoient quatre expéditions militaires pour venir à bout de cette subversion. Sans nom ni but Cette logique de guerre n’a pourtant jamais permis d’offrir une réelle sécurité. D’autres crises viendront. Et d’autres morts. Jusqu’à quand ? Ce n’est pas un nouveau jour J, tel qu’on le présente aujourd’hui, qui va garantir la paix. L’analogie avancée ces derniers jours avec le Débarquement lors de la Seconde Guerre Mondiale est une fraude médiatique. Cette crise s’explique, en partie, par une conception du rôle de la police impliquant la confrontation armée avec les gangs de dealers. Cela ne mettra jamais fin à un trafic qui existe partout, dans le monde entier. Mais qui inonde les favelas d’armes et de drogue ? Il faut patrouiller dans la Baía de Guanabara [la baie de Rio], dans les ports, les aéroports clandestins, aux frontières. Le lucratif commerce des armes et de la drogue est aux mains d’une mafia internationale. Croire que des confrontations armées dans les favelas peuvent en finir avec le crime organisé, c’est faire preuve de naïveté. Avoir la police qui tue et meurt le plus dans le monde ne résout rien. Il y a un manque de volonté politique pour valo-

riser et préparer les policiers à affronter le crime là où le crime s’organise – où l’on trouve pouvoir et argent. A l’origine de la crise, il y a aussi l’inégalité. C’est la misère qui apparaît comme toile de fond dans le zoom des caméras de télé. Mais ce sont les hommes armés en fuite et l’appareil guerrier de l’Etat qui sont les personnages principaux de ce spectacle terrifiant, au moyen d’une narration structurée par le biais manichéen de l’éternelle “guerre” entre le bien et le mal. Comme “l’ennemi” habite dans la favela, ce sont ses habitants qui souffrent des effets collatéraux de la guerre, alors que la crise semble ne pas affecter beaucoup la vie dans le sud de la ville [les quartiers chics] où l’action de la police est d’abord préventive. La violence est inégale. La population des favelas est constituée de 99 % de gens honnêtes qui en sortent tous les jours pour aller travailler à l’usine, dans la rue, dans nos maisons, pour produire du travail, de l’art et de la vie. Et ces gens-là – avec leur lieu de vie transformé en théâtre de “guerre” – ne parviennent même pas à exercer leur droit à dormir en paix • Cam Hembaire - TELEPOST

La Lituanie proclame sans relâche son attachement à la démocratie, mais ses déclarations ne sont d’aucune utilité quand des opposants au régime du président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, considéré comme le dernier dictateur d’Europe, demandent de l’aide à notre pays. Sur la base de ces données, la justice biélorusse l’a accusé de fraude ficale et envoyé quatre ans et demi derrière les barreaux après lui avoir confisqué ses biens. L’argent sur ces comptes devait servir à financer les activités de l’opposition. Aujourd’hui, la Lituanie met une nouvelle fois sa réputation en jeu. Une balle dans la tête : c’est ce qui attend Stepan Zakhartchenka, un sergent de l’armée biélorusse qui, craignant pour sa vie, a fui l’année dernière en Lituanie. Le jeune homme avait refusé de signer un engagement à tirer sur ses compatriotes si des troubles massifs se produisaient en Biélorussie et que l’armée se révélât incapable de faire face aux émeutes. Son entêtement a valu à Stepan Zakhartchenka d’être roué de coups, d’où sa décision de déserter. La Lituanie ne lui a pourtant pas accordé l’asile politique. Les fonctionnaires biélorusses l’attendent de pied ferme, prêts à l’accuser de désertion, de passage illégal de la frontière, de collaboration avec des services étrangers et de haute trahison. “Si la justice biélorusse me juge, il s’agira d’une parodie de procès ou d’un huis clos, dénonce le jeune homme. Pas d’un procès. Ils me tueront, tout simplement, en déclarant qu’il s’agit d’un suicide ou d’autre chose. Cela se produit continuellement chez nous. Qui suis-je, moi ? Un général a été assassiné, et les journalistes disparaissent d’un jour à l’autre.” Doté d’un physique fluet, Zakhartchenka ne ressemble en rien à un militaire servant dans les renseignements. Mais la facilité avec laquelle il a traversé les frontières témoigne de son habileté. Ni les gardes-frontières biélorusses, ni les lituaniens ne l’ont intercepté. Arrivé jusqu’à Vilnius, le jeune homme s’est rendu de lui-même à la police. Pour servir dans l’armée, le jeune homme a interrompu ses études en Ukraine. “Quand je suis arrivé, j’ai même pensé à devenir professionnel. Je suis originaire de Gomel, à la frontière avec l’Ukraine, et je rêvais de devenir garde-frontière. Mais je n’ai pas réussi”, poursuit le réfugié. Après quatre mois de service, le jeune homme a subi les premières violences. Ensuite, elles sont devenues quotidiennes. Je me suis enfui de la caserne. Je suis arrivé en taxi jusqu’à la voie rapide et ensuite une petite camionnette immatriculée en Lituanie m’a pris en stop jusqu’à la frontière. Le conducteur était étonné, mais a accepté de faire monter un déserteur jusqu’à la frontière”, se souvient Stepan, rapportant des événements qui remontent à plus d’un an. “Les services biélorusses ont commencé à me chercher ici, en Lituanie”, explique-t-il, craignant pour sa sécurité. Pour lui, le refus de lui octroyer l’asile politique signifie que la république de Lituanie collabore ouvertement avec le régime d’Alexandre Loukachenko. Une balle dans la tête : c’est ce qui attend Stepan Zakhartchenka, un sergent de l’armée biélorusse qui, craignant pour sa vie, a fui l’année dernière en Lituanie. Le jeune homme avait refusé de signer un engagement à tirer sur ses compatriotes si des troubles massifs se produisaient en Biélorussie et que l’armée se révélât incapable de faire face aux émeutes. Son entêtement a valu à Stepan Zakhartchenka d’être roué de coups, d’où sa décision de déserter. La Lituanie ne lui a pourtant pas accordé l’asile politique. Pour lui, le refus de lui octroyer l’asile politique signifie que la république de Lituanie collabore ouvertement avec le régime d’Alexandre Loukachenko. Pour lui, le refus de lui octroyer l’asile politique signifie que la république de Lituanie collabore ouvertement avec le régime d’Alexandre Loukachenko... • Éloi Zhoeu - L’EUROPEST


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COLOMBIE

LA PAIX, ENFIN ?

Des négociations doivent commencer entre les FARC et le gouvernement colombien. Cela pourraient signifier la fin d’un conflit qui dure depuis plus de cinquante ans.


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À LA UNE

Neuf mois pour faire la paix après cinquante ans de guerre Les négociations de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) commencent le 8 octobre. Après cinquante ans de guerre. Un processus de paix qui suscite beaucoup d’espoir… et de craintes. Le discours – impeccable – du président Juan Manuel Santos, le 4 septembre, a fait prendre à la politique nationale un virage à 180 degrés [avec l’annonce de la signature d’un accord-cadre avec les Farc, officialisant l’ouverture du processus de paix]. Depuis, on ne parle plus du fiasco de la réforme de la justice, Crée en 1964 après de la crise des Indiens du Cauca ou une insurrection de la baisse de sa paysanne, la guérilla popularité (en desmarxiste, dirigée par sous des 50 %). Tout tourne désormais auRodrigo Londoño tour de la paix, un dit Timochenko, thème que personne compte environ 9000 n’attendait il y a enmembres. A deux core quelque mois. Et il n’a fallu que dixreprises, en 1982 huit minutes au chef sous la présidence de de l’Etat pour neuBelisario Betancur et traliser nombre des a priori que crée d’haen 1998 sous celle la simple évod’Andres Pastrana, des bitude cation du mot “paix” négociations officielles en Colombie.De son côté, Timochenko avaient échoué. [surnom de Rodrigo Londoño Echeverri, alias Timoleón Jiménez], le chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie, a prononcé [le même jour, dans une vidéo diffusée à La Havane] un discours prévisible où rhétorique révolutionnaire et lutte des classes avaient forcément leur place. Certaines expressions, comme “ces vampires assoiffés de sang”, n’ont pas manqué d’inquiéter – mais peut-être ne peut-on pas attendre autre chose d’un habitué du maquis, après cinquante années de guerre. Deux phrases, en revanche, suscitent de grandes espérances : “Nous n’envisageons pas de quitter la table des négociations sans avoir hissé le drapeau de la paix”, et : “Nous prenons place à cette table sans

rancœur ni arrogance.”A compter du 8 octobre, à Oslo, puis à La Havane, deux groupes de cinq négociateurs représentant les deux parties en présence se réuniront donc pour aborder cinq thèmes : développement rural, participation politique, fin du conflit armé, trafic de drogue et droits des victimes. L’idée est que ce processus ne dure pas des années, mais aboutisse en quelques mois [le président Santos a affirmé que les négociations devaient aboutir d’ici à juillet 2013 sous peine d’être rompues] et puisse être mené à bien sans démilitarisation ni cessez-le-feu.Le gouvernement et les Farc ont annoncé la liste nominative de leurs négociateurs. L’équipe gouvernementale a reçu un accueil globalement positif. Seule la figure du général Jorge Enrique Mora [ancien commandant des forces armées aujourd’hui à la retraite] est quelque peu contestée : pour certains, la présence à la table des négociations d’un militaire connu pour son intransigeance pourrait mettre en péril l’ensemble du processus. En réalité, l’intégration de militaires (il y aura aussi le général Oscar Naranjo) comme interlocuteurs des Farc apparaît plutôt comme une garantie de consensus : la décision finale aura l’aval de représentants de l’armée.Dans l’opinion colombienne, le processus à venir suscite un enthousiasme modéré, et optimistes et pessimistes ont chacun leurs arguments. Les premiers avancent qu’il y a aujourd’hui moins à perdre que par le passé, notamment lors du précédent processus d’El Caguán [1998-2002]. Durant les pourparlers menés alors par le gouvernement d’Andrés Pastrana, la démilitarisation d’une zone autour de San Vicente del Caguán [un territoire de 42 000 km2 ans dans les départements de Caquetá et de Meta] avait permis aux Farc de se renforcer de façon considérable. Et, quand le président a fini par quitter la table des négociations [en

2002], Tirofijo [“Tir dans le mille”, surnom de Manuel Marulanda, le chef historique des Farc, mort en 2008] était à l’apogée de sa puissance. Grâce aux ressources du Plan Colombie [plan d’aide militaire américain très controversé], les forces armées s’étaient elles aussi renforcées dans les mêmes proportions, ce qui a permis par la suite les victoires militaires du gouvernement d’Alvaro Uribe [2002-2012] et, aujourd’hui, cette nouvelle donne.Cependant, la décision du gouvernement de ne mettre en place un cessez-le-feu qu’au terme du processus implique que la pression militaire ne se relâchera à aucun moment. On l’a encore vu encore dernièrement : le jour de l’annonce présidentielle, l’armée a abattu Danilo, le chef du 33e front, un proche de Timochenko. Les Farc, conscientes de cette pression et des risques qu’il y a, pour elles, à combattre au sol un ennemi doté de la force aérienne, vont demander, dès le début de la négociation, une cessation des hostilités. On peut toutefois s’attendre à une réponse négative de la part de l’Etat, convaincu que tant que l’épée de Damoclès gouvernementale sera suspendue au-dessus de la tête des guérilleros, ces derniers seront plus enclins à ne pas retarder la signature de la paix. Avec cette pression totale et sans démilitarisation, la Colombie ne risque pas grand-chose en cas d’échec du processus. L’argument de l’ère Uribe [pendant dix ans, celui-ci a mené une “guerre totale” contre les Farc], selon lequel dialoguer avec les Farc entraîne un affaiblissement de la sécurité démocratique, ne tient donc plus. On peut penser que le seul qui puisse subir un préjudice en cas d’échec est le président Santos : en faisant le pari de la paix, il met en jeu le prestige de sa présidence, sa place dans l’Histoire mais aussi, très probablement, ses chances de réélection. La faillite du processus ferait incontestablement du tort à son image, mais pas à la sécurité en Colombie.La nature même du processus qui s’engage, dans un contexte de conflit maintenu, a de quoi préoccuper. Toutes les forces en présence, d’un côté le gouvernement et l’armée, de l’autre les Farc, ont l’intention de livrer une lutte sans merci. En d’autres termes, il y aura des morts dans les deux camps. Si ces pertes impliquent des personnalités en vue ou passent par des attentats lourdement symboliques, de fortes pressions s’exerceront sur Santos pour qu’il quitte la table des négociations.C’est d’ailleurs précisément ce qui a conduit à l’échec


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À LA UNE

IMPACT “Les négociations de paix entre le président colombien Juan Manuel Santos et les Farc pourraient avoir des répercussions en dehors de la Colombie. Si elles réussissent et se terminent par un accord de paix, elles pourraient amener par exemple le gouvernement des Etats-Unis a enlever Cuba de sa liste des pays terroristes”, affirme l’éditorialiste Andrés Oppenheimer dans El Nuevo Herald. “Les Farc deviendront un parti politique légitime et il sera difficile de continuer à étiqueter Cuba comme un pays qui soutient les organisations terroristes”, explique-t-il.

les processus de paix du passé. Le président César Gaviria [1990-1994] fut contraint de rompre le dialogue après l’enlèvement et l’assassinat de l’ancien ministre Argelino Durán Quintero par l’Armée populaire de libération [ELN, invitée à participer au processus]. Quant à Andrés Pastrana, il a mis fin à la zone de démilitarisation lorsque les Farc ont piraté un avion pour enlever le sénateur Jorge Eduardo Gechem. Si la tentative d’assassinat, en mai dernier, de Fernando Londoño [ex-ministre de l’Intérieur et de la Justice, avocat et homme politique très polémique] avait réussi en plein processus de paix, l’opinion colombienne aurait eu bien du mal à accepter la poursuite des négociations : ces attentats ne font pas partie des règles du jeu. Lutte sans merci D’autres éléments, a priori négatifs, se révèlent à l’examen tout à fait favorables. C’est le cas du patronage du Venezuela et de Cuba. Hugo Chávez compte parmi ceux qui ont le plus intérêt à la bonne réussite du processus. Pour l’heure, il est face à un dilemme. Il est de notoriété publique que plusieurs commandants des Farc trouvent refuge au Venezuela. Le président vénézuélien est un ami de ces derniers, solidaire de leur cause, mais Juan Manuel Santos a su lui inspirer du respect, et Chávez sait que tous les projecteurs de l’opinion publique sont braqués sur lui. Sachant qu’il n’est pas prêt à expulser ses amis des Farc par la force, la signature d’un accord de paix serait pour lui une solution toute trouvée. Paradoxalement, cela signifie que la Colombie préférerait voir Chávez réélu [lors du scrutin du 7 octobre prochain].Le gouvernement de Raúl Castro a le même intérêt, mais pour d’autres raisons. Pour que l’économie cubaine décolle et que les Cubains voient s’améliorer leur niveau de vie, il faut en finir avec l’embargo américain, en vigueur depuis un demi-siècle. Une participation substantielle du gouvernement cubain à la fin de la guérilla en Colombie serait un geste qui ne passerait pas inaperçu à Washington : au bout du compte, l’embargo ne se justifiait que par la crainte de voir la révolution cubaine faire tache d’huile sur le continent sud-américain.La question des terres sera la priorité des négociations. L’inégalité foncière est aux sources de la naissance des Farc, dans les années 1960. Et aujourd’hui, à cause des spo-

liations pratiquées aussi bien par les paramilitaires que par les guérilleros, ces inégalités se sont encore creusées. Mais tout cela, parfait sur le papier, est plus compliqué dans la réalité. Dans un pays aussi légaliste que la Colombie, savoir si tel ou tel n’est qu’un prête-nom ou si un titre a été bien ou mal acquis est un interminable casse-tête.Citons aussi un autre point noir, dont la gravité est encore difficile à évaluer : la mythomanie des Farc. Leurs mensonges ont une fois encore été bien visibles lors de la conférence de presse qui s’est tenue début septembre. A en croire ses porteparole, l’organisation ne détient pas un seul otage, n’a jamais rien eu à voir avec le trafic de drogue et n’a commis aucun attentat contre Fernando Londoño. Il y a peut-être un peu de vrai dans tout ça, mais certainement pas sur tous les points. Défi gigantesque Enfin, il est une dernière et inévitable note pessimiste. La signature d’un accord de paix en grande pompe et avec le soutien de la communauté internationale ne sera pas l’aboutissement mais le début du processus. A partir de là restera un défi gigantesque : concrétiser toutes les modalités de cet accord. Avec d’inévitables difficultés qui surgiront autour de la démobilisation, de la réinsertion, des financements, de la vérité et du pardon pour les victimes, de la redistribution des terres, de la participation politique, etc. On l’a vu en Amérique centrale, l’après-conflit est aussi délicat, sinon plus, que les négociations en elles-mêmes, car il est davantage dans l’ombre et moins séduisant. La signature d’un accord marquera la disparition des Farc en tant que guérilla, mais rien ne garantit que la sécurité s’en trouvera améliorée ni que le trafic de drogue reculera. Malgré ces difficultés, la signature d’un accord aurait une portée historique. Ce sont deux générations de Colombiens qui, pour la première fois, connaîtront la paix. Les économies que pourra faire l’Etat grâce à la fin du conflit se traduiront par des apports substantiels au développement économique et social. La sécurité ne sera pas parfaite, certes, mais Colombiens et étrangers auront de notre pays une image différente de celle qui lui colle à la peau depuis cinquante ans • Juan Vales - EL ENCANTADOR

La rhétorique De la guerre “La solution n’est pas la guerre mais le dialogue civilisé”, a assuré Rodrigo Londoño, dit Timochenko, le chef actuel des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), en annonçant le début des pourparlers de paix avec le gouvernement colombien. Créé en 1964 par Jacobo Arenas et Manuel Marulanda, le principal mouvement de guérilla de Colombie compte aujourd’hui 9 000 hommes armés environ, soit la moitié des 18 000 qu’on lui prêtait dans les années 2000, à son apogée. Son leader historique, Manuel Marulanda, est mort (de mort naturelle) en 2008, son successeur, Alfonso Cano, a été tué en novembre 2011. C’est la quatrième fois en trente ans que les Farc participent à des négociations de paix. Selon Semana, les dix négociateurs des Farc qui participeront aux pourparlers de paix “sont les meilleurs rhétoriciens de la guérilla”. “Seul l’un d’entre eux a dirigé récemment des troupes sur le champ de bataille. Ils ont plus l’expérience de la parole que celle du combat”, ajoute l’hebdomadaire. Parmi eux figurent Iván Marquéz, numéro deux de la guérilla, l’un des plus sceptiques à l’égard du processus ; Marco Calarcá, membre de la commission internationale ; Andrés París, présent lors des dialogues du Caguán il y a dix ans ; Rodrigo Granda, considéré comme le ministre des Affaires étrangères de la guérilla ; et enfin Simon Trinidad, condamné aux Etats-Unis à soixante ans de prison et dont la participation au dialogue n’est donc pas garantie. La présence de “ces polémistes issus de la gauche des années 70 ou 80” est-elle bonne ou non pour les négociations ? s’interroge Semana •

l’heure de la paix Alors que les négociations de paix entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et le gouvernement colombien doivent débuter à Oslo (Norvège) le 17 octobre, une centaine d’intellectuels, d’universitaires, d’artistes et de leaders colombiens appellent dans une déclaration publiée par le site Razón Publica, “les deux parties à ne pas quitter la table des négociations avant de parvenir à un accord final malgré les obstacles prévisibles qui peuvent accompagner un tel processus”. Les signataires affirment que ces négociations constituent “une opportunité unique, qui ne se répètera pas”. Annoncé début septembre, ce processus de paix avec la principale guérilla du pays pourrait mettre fin à un conflit de plus de cinquante ans. Selon El Espectador, l’ouverture des négociations prévues d’abord le 15 octobre a été retardée du fait... “du mauvais temps”. Les pluies hivernales ont empêché des guérilleros membres de la délégation des Farc de quitter le territoire colombien le 14 octobre, comme il était prévu. Il a aussi fallu demander à Interpol de suspendre les mandats d’arrêts internationaux émis contre un certain nombre d’entres eux, précise le quotidien. Une fois l’ouverture des négociations entérinée à Oslo, les discussions se poursuivront à la Havane (Cuba) •


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À LA UNE

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S’UNIR ET SE BATTRE POUR LE BIEN DU PAYS, C’EST LA CAUSE À LAQUELLE JE VEUX RALLIER LES PARAMILITAIRES

profil - le coup de poker du président santos Lorsque les Colombiens ont élu Juan Manuel Santos à la présidence, en juin 2010, ils savaient qu’ils élisaient à la fois un membre de l’élite colombienne (petit-neveu de président, appartenant à l’un des clans les plus puissants de Colombie et trois fois ministre) et un vrai joueur de poker. Personne ne pouvait cependant imaginer qu’il jouerait son va-tout sur la paix, sachant qu’il était jusqu’alors le ministre de la Défense du président va-t-en-guerre Alvaro Uribe [2002-2010], responsable de la mort du numéro deux des Farc en territoire équatorien, le 1er mars 2008, ou encore de l’opération Jaque, qui permit à l’armée – en trompant la guérilla sous couvert d’une opération humanitaire – de libérer Ingrid Betancourt le 2 juillet 2008. A peine élu, Santos avait cependant surpris ses adversaires naturels en parlant

dans ses premiers discours d’“unité” et de “droits humains”,rompant de fait avec son prédécesseur. Puis davantage encore en faisant voter, en juin 2012, une loi qui reconnaît les droits des victimes du conflit et prévoit la restitution d’une partie des terres spoliées aux paysans. Sur le plan diplomatique, il a aussi surpris en se réconciliant avec son homologue vénézuélien Hugo Chávez, en se déclarant favorable au retour de Cuba dans les instances latino-américaines ou encore à la légalisation des drogues. Si le processus de paix aboutit, il joue gros : “Pour Santos, il s’agit de devenir le président de la paix, de gagner sa réélection, voir d’obtenir le secrétariat général des Nations unies”, analyse l’universitaire Hernando Gómez Buendía dans Razón Pública •


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TRANSVERSALE

ÉGYPTE - CACHER CE VENTRE

CINÉMA - Le côté obscur de l’empire Disney

Des hommes d’affaires islamistes veulent racheter les cabarets du Caire et en chasser les danseuses orientales.

“Le temps des almées est fini”, c’est le mot d’ordre que les Frères musulmans répètent à tout bout de champ. Et qu’ils commencent, paraît-il, à vouloir appliquer, en “purifiant” les cabarets de la fameuse rue des Pyramides, l’endroit de la plus forte concentration de lieux de danse orientale en Egypte. Plus de vingt cabarets s’y trouvent, divisés en trois catégories. La première, c’est Le Lido, La Gondole, L’Europe, Le Parisiana… Ils sont considérés comme des “cinq étoiles”, étant donné leur cadre prestigieux et leur niveau de prix. Ensuite, il y a Le Ramsès, Le Paradis et d’autres qui pratiquent des prix plus bas. La troisième catégorie, ce sont des salles dans les hôtels où l’on célèbre des mariages – le Sweet Mama ou encore L’Oasis du maire, régulièrement inspectés par la police des mœurs.

Il aura fallu 4 milliards de dollars pour convaincre George Lucas de confier son entreprise Lucasfilm à l’empire Disney. Luke Skywalker et ses acolytes, ainsi qu’Indiana Jones, viennent donc rejoindre Mickey, Cendrillon et la Belle au Bois dormant. Une bonne affaire pour Disney, qui a déjà promis un septième épisode de la saga Star Wars pour 2015. La firme américaine continue aussi ainsi sa politique de rachats d’entreprises florissantes, après Pixar et Marvel • Dessin de Nerilicon, Cagle Cartoons

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AVEZ VOUS LU BRITNEY SPEARS ? On la connaissait chanteuse, actrice, habituée des frasques et des pages people des magazines. A présent, la star pourrait devenir romancière, relate The Hollywood Reporter. Un contrat serait sur le point d’être signé avec l’éditeur It Books. Selon le magazine spécialisé en vedettes, le roman mélangerait fiction et éléments auto­biographiques.

La Gondole est le plus ancien de ces établissements. Il appartenait à Safiyya Hilmi. A son décès, c’est son neveu qui en a hérité. Celui-ci, sur conseil du religieux salafiste Adel Chaaban, l’a vendu pour qu’il soit rasé et que l’on reconstruise à la place un complexe commercial permettant faire des bénéfices “licites”. La nouvelle a semé la terreur parmi le personnel de ces établissements, puisqu’elle illustre les menaces qui pèsent sur l’avenir de la danse orientale. D’autres cabarets font eux aussi l’objet de négociations en vue de leur vente, le tout à l’instigation d’hommes d’affaires proches des Frères musulmans. La situation n’est pas claire, mais divers lieux de divertissement nocturne ont déjà été remplacés par des magasins de textiles pour femmes voilées, et les propriétaires d’hôtels comportant des salles de discothèque affirment avoir reçu des offres alléchantes pour changer de type de commerce. Il aurait vu des hommes d’affaires à la longue barbe [islamistes] venir à deux reprises, la première fois en chemise et pantalon, la seconde en djellaba blanche et distribuant des fascicules religieux. Quant au propriétaire d’un autre cabaret, il confie qu’il a reçu une offre à hauteur de 4,4 millions d’euros, l’offre la plus importante qui lui ait jamais été faite. Néanmoins, il pense qu’il sera difficile de “purifier” cette rue de l’alcool, de la danse et des jeux de hasard, puisqu’elle constitue l’un des principaux vecteurs du tourisme en Egypte. Mais, au sein du syndicat des travailleurs du spectacle, on rappelle que les Frères ont le souffle long. N’ont-ils pas patiemment attendu des décennies avant de parvenir au pouvoir ? Le métier de danseuse est donc désormais en péril, personne n’étant prêt à le défendre et les premières concernées étant privées de représentation syndicale. Si les danseuses vedettes telles que Dina, Fifi Abdoh ou Lucy sont par ailleurs actrices [et donc protégées par leur syndicat professionnel], qu’en est-il des danseuses de deuxième et troisième catégories, qui n’ont que cette activité pour gagner leur vie ? La danseuse Lucy nous a déclaré : “Personne ne connaît assez l’histoire de la danse orientale pour en apprécier la valeur. Rares sont ceux qui en mesurent l’importance artistique. Si les Frères veulent accaparer l’art, l’Egypte ne laissera pas faire. Je suis fière de mon métier et je l’assume devant tout le monde. Des femmes viennent du monde entier pour que je leur donne des cours. Alors, qu’on ne me dise pas que je dois arrêter !” Elle dément par ailleurs les rumeurs selon lesquelles elle voudrait vendre son propre cabaret de la rue des Pyramides, le Parisiana, et explique qu’elle procède actuellement à son réaménagement afin d’effacer les traces de destructions et d’un incendie qui se sont produits au cours de la révolution de 2011. Dina, elle aussi danseuse, souligne qu’elle n’a jamais travaillé dans un cabaret, mais ajoute : “Si l’on me l’interdisait, cela reviendrait à interdire un métier qui repose sur une véritable expression artistique.” • Rose Al-Youssef

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Société - ces meutes de loups qui émeuvent les hommes

Ils étaient réapparus dans les Alpes il y a seize ans. Ils ont ensuite franchi le Rhône et sont désormais installés dans le Massif central, ce qui ravive les tensions entre bergers et associations de protection des animaux.

les amis des bêtes et certains bergers. Les loups avaient déjà été chassés des Alpes françaises à la fin du XIXe siècle. En 1991 et 1992, les loups italiens ont commencé à passer la frontière des Alpes. Sans être une menace pour les hommes, ils ont presque immédiatement commencé à attaquer les troupeaux.
Pour certains groupes militants de bergers et d’élus locaux, les loups auraient été réintroduits en secret par les écologistes. Des tests ADN sur des dépouilles de loups ont montré que les nouveaux arrivants étaient bien issus des populations italiennes.

Des empreintes de loups ont été observées en janvier dernier dans les Cévennes enneigées, au nordouest d’Avignon. Un garde forestier a également affirmé avoir vu un loup près de la carcasse déchiquetée d’un veau nouveau-né, à proximité du village cévenol de Bondons. Ces loups venus d’Italie ont commencé à recoloniser les Alpes françaises il y a seize ans, s­ uscitant des tensions entre bergers et défenseurs des animaux et entre bergers pro- et anti-loups. D’après les traces retrouvées dans les Cévennes, plusieurs animaux auraient passé leur deuxième hiver dans les montagnes, de l’autre côté de la vallée du Rhône. Les loups, qui, selon les lois françaises et européennes, sont une espèce protégée, n’ont pas été épargnés par les empoisonnements, pièges et coups de fusil. Même les troupeaux des bergers ayant accepté la présence de loups et adopté de nouvelles formes de protection pour leurs bêtes ont été pris pour cible. Le dernier spécimen de loup né en France avait été abattu dans le ­Massif central en 1939. Or, pour les biologistes, deux hivers successifs s­uffisent à définir une présence permanente.
Ces deux dernières années, la présence de loups solitaires a été observée – et confirmée – dans d’autres endroits du Massif central, jusque dans le Cantal. Jusqu’à présent, pourtant, il restait encore à démontrer que des colonies de loups avaient commencé à s­ ’installer dans ce vaste territoire montagneux situé à l’ouest du Rhône, d’où ils avaient été chassés jusqu’à disparaître complètement à la fin des années 1930. “C’est un événement extraordi-

naire mais il était parfaitement prévisible”, assure Daniel Véjux, l’un des grands spécialistes du loup en France. “Le besoin de trouver des proies allait forcément conduire à un moment ou un autre les jeunes loups à chercher de nouveaux territoires de chasse. Désormais, à moins qu’ils ne soient à nouveau exterminés par l’homme, rien ne viendra les empêcher de coloniser les milliers de kilomètres carrés du Massif central et du Limousin dans les vingt prochaines années.” Cette nouvelle a suscité de vives inquiétudes chez les bergers de Lozère. Joël Bancillon, porte-parole départemental de la Confédération paysanne, n’est pas optimiste. “Notre seul problème, jusqu’à présent, c’étaient les chiens sauvages. Mais, si cette nouvelle est c­onfirmée, je peux vous dire qu’il y aura des grincements de dents. Dans les Alpes, les bergers ont été forcés d’adopter des mesures de protection, mais cela n’a pas empêché leurs troupeaux d’être décimés.” Une affirmation réfutée par les associations de protection des animaux et même par certains bergers alpins. Selon M. Véjux, également membre du comité national de l’Association pour la protection des animaux sauvages, “si les moutons sont bien protégés, le loup n’ira pas les attaquer. Il ne courra pas le risque de se faire blesser par les chiens et préférera chercher ses proies dans la forêt. Mais, si vous ­laissez les moutons sans protection, alors vous lui facilitez la tâche…” Depuis que des loups italiens ont commencé à recoloniser les Alpes françaises, au début des années 1990, la guerre est déclarée entre

Les chiens errants menacent davantage les troupeaux On estime à 100 ou 120 le nombre de loups résidant en France, répartis en une douzaine de meutes. En 2004, le gouvernement français a mis en place un plan loup pour apaiser les esprits et protéger les animaux. Une permission d’abattre six loups par an a été accordée. Les bergers ont reçu des subventions afin de protéger leurs troupeaux avec, par exemple, des clôtures électrifiées et une surveillance permanente nuit et jour par des chiens et des bergers l’été (souvent des étudiants). Le plan a été un succès mais, pour certains bergers des Alpes, l’arrivée du loup a perturbé une industrie des alpages déjà fragile. Cependant, d’après les défenseurs de la nature, chiens errants, maladies et éboulements font chaque année plus de victimes dans les troupeaux que les loups. La vallée du Rhône, avec ses autoroutes, ses lignes de chemin de fer et sa forte densité de population, sans parler de la largeur du fleuve, n’aurait-elle pas dû, pourtant, constituer une barrière infranchissable pour un jeune loup ? “Pas du tout, répond M. Véjux. Un loup peut parcourir 60 kilomètres en une nuit. Il peut traverser un fleuve à la nage et circuler dans les zones urbaines sans se faire remarquer ou passer pour un chien. Ce sont des animaux très intelligents et doués de grandes facultés d’adaptation.” • John Lichfield - THE INDEPENDENT

histoire - Les Britanniques ces terribles envahisseurs «Le soleil ne se couche jamais sur l’empire britannique.» On ne croyait pas si bien dire. Dans son nouveau livre, All the Countries We’ve Ever Invaded: And the Few We Never Got Round To [Tous les pays que nous avons envahis et les quelques uns que nous n’avons pas eu l’occasion d’envahir], Suart Laycock affirme que seuls 22 pays dans le monde [sur 193 pays Etats membres des Nations Unies plus le Vatican] ont échappé à une quelconque occupation britannique. On y pousse même très loin la notion de tri sélectif. Des déchets vieux de quarante ans sont exhumés et recyclés. La décharge de Heden, abandonnée dans les années 1980, va faire place à une centrale électrique à bois. Le quotidien The Telegraph a même mis en ligne une carte où tous ces territoires figurent en rose, clin d’oeil à la représentation historique de l’empire. Richard Seymour, chroniqueur et écrivain marxiste, n’a pas tardé à répondre dans le Guardian pour contredire cette vision anhistorique qui fait se juxtaposer des périodes très différentes •

INSOLITE - Les MOUETTES SONT DES ORDURES Tuer les mouettes pour sauver les baleines : tel est le programme pilote mis en œuvre en Argentine. Depuis une dizaine d’années, en Patagonie,les mouettes s’attaquent aux cétacés. Dès que les baleines sortent la tête de l’eau, les volatiles les blessent et se repaissent de leur chair. A Puertos Pirámides, la chasse en canot pneumatique a commencé. Sans grand succès, note le Diario Jornada. Les oiseaux tombent à l’eau mais l’impact des tirs de carabine à air comprimé est insuffisant pour les tuer. Au lieu de liquider les mouettes, tonnent les écologistes, mieux vaudrait éliminer les décharges à ciel ouvert. Les oiseaux marins s’y bâfrent et leur population explose. En Suède, pas de décharges sauvages. On y pousse même très loin la notion de tri sélectif. Des déchets vieux de quarante ans sont exhumés et recyclés. La décharge de Heden, abandonnée dans les années 1980, va faire place à une centrale électrique à bois. Mais auparavant toutes les ordures seront sorties de terre et triées, rapporte le site de Sveriges Radio, la radio publique suédoise. Quelque 2 000 tonnes de déchets malodorants sont déjà prêtes au recyclage, indique Peo Ajaxson, de la société Karlstads Energi ! •


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Média - La démocratie liquide, ça vous dit ?

La plupart des partis Pirates européens l’ont adopté, le mouvement populaire du comique italien Beppe Grillo songe à s’y mettre : le logiciel libre LiquidFeedback permet aux organisations de prendre toutes les décisions par référendum ou par vote. Démocratie directe ? Mieux : “démocratie liquide”. Explications. Beppe Grillo [leader du nouveau parti politique Mouvement 5 étoiles] face à la démocratie liquide. Que ce soit via les forums, commentaires, blogs, tweets et autres messages, le débat sur les processus de sélection des candidats au sein du Mouvement 5 étoiles (M5S) agite les fidèles de Beppe Grillo depuis un certain temps. Le mouvement a faim de démocratie directe et tous les sympathisants veulent faire entendre leur voix. Par conséquent, depuis quelque temps déjà, on envisage dans les rangs du M5S d’adopter une plate-forme de “démocratie liquide” pour débattre et voter les motions. Et, pourquoi pas, pour désigner les candidats aux élections. L’instrument idéal pourrait être LiquidFeedback, un logiciel libre disponible sur Internet qui permet aux membres d’une association de prendre part aux processus décisionnels. Ce système a déjà été adopté par les partis Pirates du monde entier, à commencer par celui d’Allemagne. Pratique, surtout quand les représentants politiques sont éparpillés aux quatre coins du pays et que le parti ne dispose pas de fonds pour créer une entité politique au sens classique. Après l’inscription, on discute d’une question avant de voter, par le biais de la “méthode Schulze” [du nom de son inventeur Markus Schulze qui a mis au point en 1997 un système de vote permettant de désigner un gagnant à partir d’une liste de candidats]. Celle-ci permet de donner son avis en établissant un ordre de préférence incluant toutes les autres propositions. Le programme calcule ensuite quelles sont les idées les plus plébiscitées. Mais le plus intéressant est probablement le système de mandats, qui permettrait, à condition de l’utiliser correctement, de mettre en œuvre une véritable démocratie directe sur Internet. Ou mieux, une démocratie liquide. À travers un système contrôlé et certifié, il est possible de déléguer son vote à un autre participant pour un sujet en particulier. Cela semble simple, et pourtant : “Le risque est de voir s’instaurer une dictature des actifs, c’est-à-dire de ceux qui se servent le plus de la plateforme”, explique Carlo Brancati, vice-président du parti Pirate suisse. “Si une seule personne vient à concentrer trop de pouvoirs, on risque le ‘coup d’État’”. La dictature des actifs LiquidFeedback a également ses failles et points faibles dont pourrait tirer parti un habile manipulateur. “S’il est vrai, comme on le raconte, que Gianroberto Casaleggio [proche de Beppe Grillo, créateur de son blog et accusé dernièrement d’être celui qui choisit arbitrairement ceux qui représenteront le mouvement Cinque Stelle au Parlement lors des prochaines élections législatives] impose sa ligne, ce système lui permettrait de contrôler très facilement tout le proces-

sus décisionnel”, continue Brancati. Et pas seulement. En supposant qu’il soit vrai que la moitié des abonnés de Beppe Grillo sur Twitter sont des bots [des “web robots”, de faux comptes], alors il serait probablement facile de trouver un moyen de contourner le système de certification des mandats sur LiquidFeedback. Ainsi, tout le monde pourrait se créer son petit groupe de partisans et imposer son avis. Mais ce ne sont que des hypothèses. La démocratie liquide est très efficace pour ces mouvements, mais elle doit être appliquée à la lettre pour fonctionner correctement. “Plusieurs étapes sont nécessaires. Premièrement, le nombre de votants doit être suffisamment important pour éviter un ‘coup d’État’. Deuxièmement, il faut surveiller de très près l’Admin (l’administrateur de la plateforme) pour qu’il n’ait pas trop de pouvoir et qu’il n’influence pas le vote si celui-ci est ouvert. Troisièmement, il faut un règlement très strict concernant la gestion pratique de la plateforme et la certification des mandats”, prévient [le pirate suisse] Carlo Brancati. Logiciel traduit en italien Comment se situe le Mouvement 5 étoiles vis-àvis de la démocratie liquide ? A ce jour, LiquidFeedback a été testé dans plusieurs régions, comme en Sicile. Le logiciel a également été traduit en italien lors des tables rondes de Bergame. Et comme l’explique Marco Piazza, conseiller municipal de Bologne, “de nombreux sympathisants demandent à l’essayer en Émilie-Romagne; mais pour l’heure, on en est seulement au stade des discussions.” Qu’en est-il de la sélection des candidats ? Tout le monde pourra-t-il vraiment se présenter, même sans programme ou liens avec la région ? Au contraire, le chef de file aura-t-il le dernier mot comme c’est le cas dans les partis classiques ? Récemment, Beppe Grillo a annoncé que pour les prochaines élections, “les candidats du M5S seraiont choisis en ligne et le programme débattu et complété de manière transparente par le biais d’une plateforme Internet.” Affaire à suivre • Arha Khiry

ÉCOLOGIE - Vous reprendrez bien un peu de steak d’herbe ?

Transformer le gazon en aliment pour l’homme, tel est le défi relevé par des chercheurs néerlandais. Et leurs premiers résultats sont prometteurs. Gjalt De Haan est exploitant agricole dans la Frise, province du nord des Pays-Bas. Il emploie 35 personnes pour faucher l’herbe, entretenir les bords des fossés et faire fermenter la biomasse. Au tout début de ce siècle, Gjalt De Haan a remarqué que les années fertiles engendraient un gigantesque surplus d’herbe : environ 1,5 million de tonnes. L’agriculteur s’est alors demandé s’il était possible d’utiliser cette ressource pour fabriquer des produits à forte valeur ajoutée : des fibres pour le carton, de meilleurs aliments pour les porcs… et pourquoi pas des produits alimentaires pour les êtres humains ? 

Du pur délire ? Pas du tout. Sept ans plus tard, des chercheurs de la société Nizo Un phénomène Food Research, à Ede, s’apprêtent d’autant plus à explorer de nouvelles pistes. Ils frustrant que les isolent notamment des protéines acides aminés intéressantes comme la RuBisCO, contenus dans une enzyme contribuant au prol’herbe sont cessus de photosynthèse chez les parfaits pour les plantes, pour les appliquer à l’aliêtres humains. mentation humaine. “Nous dispo“Il y a un certain sons de la technologie nécessaire nombre d’acides pour isoler les protéines de l’herbe aminés que nous et les utiliser dans des soupes, des ne pouvons pas sauces ou des desserts”, précise le fabriquer nouschercheur Bart Smit. “Si nous parmêmes. L’herbe les venons à agglutiner la protéine et contient tous” à lui donner une texture de viande, il n’est pas inconcevable que l’on puisse produire un jour un steak d’herbe”, ajoute René Floris, qui travaille également chez Nizo Food Research. 

Tout a commencé par un test réalisé par Gjalt De Haan en 2006, avec entre autres des chercheurs de l’université de Wageningen et Courage, une plateforme d’innovation pour l’élevage de vaches laitières, dans la petite ville frisonne de Grouw. Si l’être humain ne peut pas consommer d’herbe, c’est parce que son système digestif n’est pas en mesure de décomposer correctement ces fibres végétales. Les acides aminés présents dans l’herbe ne peuvent donc pas être libérés pour contribuer par exemple à la construction des muscles. Explique Johan Sanders, professeur d’agrotechnologie et de sciences de l’alimentation à l’université de Wageningen. 

Après avoir broyé de grandes quantités d’herbe, Johan Sanders et ses collaborateurs ont commencé à travailler sur le jus de protéine obtenu. Ils sont parvenus à augmenter la quantité de protéine récupérée. La RuBisCO peut ainsi faire d’un porc un herbivore. L’animal, omnivore comme les êtres humains, est lui aussi incapable de digérer les fibres de l’herbe. Si le porc était nourri à l’aide d’une telle protéine raffinée, il y trouverait une excellente source d’acides aminés. “La composition en acides aminés de la RuBisCO est nettement meilleure que celle de la protéine du maïs et n’a rien à envier à celle du soja, qui est souvent un ingrédient de base de l’alimentation porcine”, ajoute Johan Sanders. Une substitution pourrait avoir une incidence majeure sur l’importation de germes de soja en provenance du Brésil, dont la culture est encore souvent


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THAÏLANDE - LA CITRONNELLE ET LE RUTABAGA SONT-ILS DES POISONS ?

Manifestement téléguidé par les géants de l’agro-industrie, un comité officiel a décrété que l’usage de treize plantes bien connues était toxique pour l’agriculture. Coup de gueule.

associée à la destruction de la forêt tropicale. “Il y a dans notre pays assez d’herbe pour remplacer la protéine des germes de soja par la protéine de l’herbe, qui suffirait à alimenter en totalité les 12 millions de cochons des Pays-Bas, explique Johan Sanders. Et il resterait assez à brouter pour nos 4 millions de vaches.” 

Enfin, il y a le cas des êtres humains. “La protéine RuBisCO est plus nourrissante que le soja et se digère mieux sous forme de gélifiant dans les desserts, d’agent de texture dans les mousses et de stabilisateur d’émulsions dans les soupes”, reprend René Floris. La protéine de soja, que l’on utilise pour ces applications, doit souvent être complétée par des additifs. “Mais la protéine de l’herbe, la RuBisCO, fait le travail sans aucune aide.” Les prés verdoyants seront-ils bientôt fauchés pour produire des steaks d’herbe ? Les terrains de sport et les étendues d’herbe dans les parcs serviront-ils à fabriquer des yaourts compacts et versera-t-on le produit de la tonte de votre jardin dans la mousse au chocolat ? Pas du jour au lendemain, pense Hans Van Trijp, professeur de marketing et spécialiste du comportement des consommateurs à Wageningen. “Mais la RuBisCO va certainement gagner du terrain.” • Ahla Nann’a

Qui sont ces gens qui tentent d’anéantir l’agriculture biologique et la culture des plantes médicinales thaïes, et même la gastronomie du pays ? Nous ne pouvons pas laisser ces assassins s’en tirer impunément en se réfugiant derrière l’anonymat du Comité sur les substances toxiques, qui vient d’émettre un texte de loi scandaleux qualifiant plusieurs plantes thaïes de “substances toxiques”. Il faut plutôt voir là l’influence des multinationales de l’agro­ alimentaire. En outre, environ 70 % des pesticides utilisés dans notre pays ne sont pas autorisés en Occident. Pis, ces produits sont catalogués comme très nocifs par l’Organisation mondiale de la santé. En vingt ans à peine, la consommation d’engrais chimiques en Thaïlande a quadruplé, tandis que l’utilisation de pesticides chimiques a été multipliée par six. Une étude menée en 1994 a montré que 81 % des retenues d’eau du pays étaient contaminées par du DDT et d’autres substances toxiques ; que le sang de 17 % des agriculteurs contenait des pesticides ; qui plus est, entre 1988 et 1993, les maladies liées aux pesticides ont été multipliées par 17. Au vu de ces chiffres, lors des dix dernières années, les mouvements associatifs citoyens ont été de plus en plus nombreux à réclamer la fin de cette agriculture productiviste et le soutien à une production biologique. Outre la protection de leur santé, les agriculteurs ont en tête le coût extrêmement élevé des produits agrochimiques. D’où un retour aux savoirs populaires et aux pesticides végétaux. Et le recours aux plantes indigènes pour se débarrasser des insectes nuisibles tout en préservant ceux qui ne le sont pas. Or si les pesticides végétaux ont d’abord été produits dans le cadre de l’autoconsommation, aujourd’hui, grâce au boom du

marché des produits bio, ils sont fabriqués dans un but commercial par des petites entreprises artisanales situées dans l’ensemble du pays. Et devinez qui cela contrarie le plus ? Les géants de l’agrochimie. Alors, quoi qu’en dise le Comité sur les substances toxiques, il y a quelque chose de louche dans sa mise au ban de treize plantes communément utilisées dans la cuisine et en médecine, et qui – sans Ainsi, la citronnelle, doute pour éviter un déle gingembre, luge de critiques – ne le rutabaga, le sont pour l’instant consigalanga, le curcuma, dérées comme toxiques le céleri chinois et le que lorsqu’elles sont utipiment sont soudain lisées comme pesti­cides ! tous devenus Outre le fait de porter un toxiques. Ces gens rude coup à l’agriculture sont-ils fous ? biologique, cette loi aberMalheureusement rante menace la médepas. Quatre cine traditionnelle par les décennies après la plantes, qui est pourtant révolution verte une pièce maîtresse des et l’introduction soins de santé primaires massive de produits et de l’autonomie médiagrochimiques, cale du pays. Même les la planète a pris exportations de produits conscience des alimentaires risquent d’en dangers que posent pâtir, car les adeptes de la ces substances. gastronomie thaïe y réfléchiront sans doute à deux fois avant de consommer des produits qualifiés de dangereux. La Thaïlande ne peut pas accepter cette loi, bien trop toxique pour sa santé. Mais il ne suffit pas de la supprimer. Nous devons réformer le système législatif national, qui est fermé, et en ouvrir l’accès à toutes les parties prenantes. Sans cela, les lois et réglementations ineptes qui ne profitent qu’aux gros industriels ont encore de beaux jours devant elles • Sanitsuda Ekachai - BANGKOK POST

TWITTER - MICHAEL MCFAUL, AMBASSADEUR DES ETATS-UNIS EN RUSSIE, AFFICHE SON SOUTIEN À OBAMA. Michael McFaul (ambassadeur des USA/Moscou) a choisi de tweeter en russe : «Merci à tous ceux qui m’ont envoyé leurs félicitations pour la victoire de Barack Obama à la présidentielle américaine.» «Maintenant je peux le dire. J’ai voté pour Obama. Je travaille avec lui depuis six ans. Faire partie de son équipe est un grand honneur !» • RUMEUR - VERS UN RATTACHEMENT DE LA CISJORDANIE À LA JORDANIE ? «Sujet sensible pour la rue jordanienne : la soudaine nostalgie pour la Cisjordanie», titre le journal panarabe qui aime soulever des thématiques embarrassantes pour les régimes arabes dits modérés, tels que la Jordanie. «L’idée de rattacher la Cisjordanie à la Jordanie n’a fait l’objet d’aucune déclaration officielle», explique-t-il, «mais le débat enfle depuis que deux personnalités importantes l’ont évoquée : le prince Hassan ben Talal.» •


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LA SOURCE DE LA SEMAINE - Vos règles, mesdames, les ours bruns s’en tamponnent Les femmes indisposées n’ont plus aucune inquiétude à avoir : elles peuvent désormais se promener dans les parcs nationaux sans risquer de se faire attaquer par un ours.

Un article publié par le National Park Service met fin aux idées reçues sur la prédilection des ours affamés pour les femmes qui ont leurs règles. Apparemment cette croyance est parfaitement infondée, du moins en ce qui concerne les ours bruns et les grizzlis.

Selon Kerry A. Gunther, auteur de cet article, “rien ne prouve que les ours bruns et les grizzlis soient particulièrement attirés par les odeurs de menstruation”. Selon le chercheur l’origine de ce mythe remonte probablement à 1967. Dans la nuit du 13 août 1967, deux femmes sont tuées par des grizzlis dans le parc national de Glacier. A l’époque, on se demande si l’agression n’est pas liée aux odeurs menstruelles. 

Au fil des ans, cette hypothèse s’est manifestement muée en certitude, donnant lieu à des craintes injustifiées.L’article du NPS s’appuie sur plusieurs études concernant des grizzlis, des ours bruns et des ours polaires. Pour les grizzlis, des centaines d’attaques sur des êtres humains ont été analysées, sans qu’aucun lien puisse être établi entre le cycle féminin et les agressions. Les ours bruns ont également été mis hors de cause par une étude réalisée en 1991 sur 26 ours bruns en liberté exposés aux tampons hygiéniques de 26 femmes différentes. Aucun d’entre eux n’avait en effet manifesté le moindre intérêt pour ces appâts.

En 1983, une étude a montré que quatre plantigrades en cap-

tivité réagissaient fortement quand ils étaient mis en présence de sang menstruel.D’après cette étude, les ours polaires mangeraient même les tampons usagés et se désintéresseraient des tampons neufs. Ils ne seraient pas non plus attirés par l’odeur du sang autre que menstruel. Les ours polaires seraient donc l’exception qui confirme la règle. Si ce mythe de la femme indisposée proie de prédilection pour les ours résiste malgré l’absence de preuves concluantes, c’est que les stéréotypes machistes perdurent. C’est l’idée que, contrairement aux hommes, les femmes ne sont pas adaptées au monde extérieur et doivent donc, pour leur sécurité évidemment, rester à la maison.
Le NPS a lui aussi contribué à véhiculer ces stéréotypes. Selon un document officiel de 1962, les femmes sont considérées comme aptes à être des interprètes dans les parcs historiques, mais dans les parcs militaires et les parcs nationaux traditionnels, le garde forestier doit être un homme blanc pour des questions éthiques.” Encore aujourd’hui, les femmes ne représentent qu’un tiers des gardes forestiers dans les parcs nationaux. Ce ne sont donc pas les plantigrades qui en veulent aux femmes, mais bien notre culture et le National Park Service.

Mais puisque le NPS a officiellement déboulonné ce mythe concernant les attaques d’ours, l’immensité des parcs nationaux américains pourra peut-être enfin être accessible à tous • Olga Theuse

SCIENCES ET INNOVATION - Ce tic vicieux du cerveau

Envie irrésistible de chocolat – ou de sushis ? Des chercheurs se penchent activement sur nos fringales pour en décrypter les leviers et savoir tromper la dépendance. Vous pouvez pratiquement sentir le goût, c’est sucré, ça fond sous la dent. Vous en voulez tellement que vous ne pouvez penser qu’à ça. Mais est-ce vraiment le goût qui vous donne cette envie folle, ou les associations agréables qui vont avec ? Ou est-ce parce que vous savez que vous ne devriez pas en manger ? Si vous luttez contre cette envie, estce qu’elle disparaîtra ou est-ce qu’elle grandira ? Les chercheurs qui veulent comprendre les fringales se posent toutes ces questions. Elles sont plus que jamais à l’ordre du jour compte tenu de l’épidémie d’obésité que connaissent les Etats-Unis. Les fringales ont en effet une influence sur le grignotage, l’empiffrage et la boulimie. Pendant des années, les chercheurs ont supposé que les fringales étaient une réaction inconsciente du corps pour corriger des carences nutritionnelles. Le désir de steack pouvait par exemple indiquer un besoin en protéine ou en fer. Les accros au chocolat manquaient peut-être de magnésium ou d’autres éléments chimiques altérant l’humeur [et qui sont présents dans le chocolat], par exemple la phényléthylamine, un neurotransmetteur que les êtres humains produisent quand ils sont amoureux. La grande fringale américaine. Les chercheurs sont cependant de plus en plus nombreux à mettre cette théorie en doute. Après tout, les gens ont rarement une envie folle de légumes verts, pourtant riches en vitamines, et il existe beaucoup d’aliments qui contiennent davantage de phénylalanine que le chocolat. D’après les études, les fringales font intervenir un mélange complexe de facteurs sociaux, culturels et psychologiques qui sont fortement influencés

par des signaux environnementaux. Si le chocolat est l’aliment qui fait le plus envie en Amérique du Nord, les Japonaises sont plus susceptibles de se jeter sur les sushis, selon une étude récente. Et en Egypte, seuls 1% des jeunes hommes et 6% des jeunes femmes ont des envies de chocolat, d’après une étude réalisée en 2003. “Il y a beaucoup de langues qui n’ont pas de mot pour ‘fringale’. Ce concept semble avoir une importance unique dans la culture américaine”, déclare la psychologue Julia Hormes de l’Université d’Albany. Aux Etats-Unis, 50% des femmes ayant des envies de chocolat déclarent que cellesci sont particulièrement fortes au début de leurs règles. Les chercheurs n’ont cependant trouvé aucune corrélation entre les fringales et le niveau d’hormones. Dans une étude réalisée l’année dernière sur 98 étudiantes de l’Université de Pennsylvanie, celles dont les fringales étaient le plus liées à leur cycle hormonal avaient également un passé marqué par les régimes, les troubles de l’alimentation et un index de masse corporelle élevé. Les mêmes effets que la drogue ou l’alcool. Les IRM fonctionnels réalisés par le Dr Pelchat, une psychologue spécialisée dans la sélection alimentaire du Monell Chemical Senses Center, à Philadelphie, révèlent que les fringales activent les mêmes parties du cerveau que la drogue et l’alcool. Ce sont par exemple l’hippocampe, qui contribue au stockage des souvenirs, le cortex insulaire, qui joue un rôle dans la perception et les émotions, ou le noyau caudé, qui joue un rôle important dans l’apprentissage et la mémoire. Le circuit est alimenté par la dopamine, un neuro-


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transmetteur responsable de l’apprentissage reposant sur la récompense. Quand les gens bombardent en permanence ce circuit de drogues, d’alcool ou d’aliments gras et sucrés, une partie des récepteurs de dopamine se bloquent pour empêcher une surcharge. Et comme il y a moins de récepteurs de dopamine en état de marche, le système en veut toujours plus. “On a beau s’empiffrer, on n’a toujours pas la récompense”, explique Pam Peeke, un médecin qui vient de publier un ouvrage sur la question, The Hunger Fix [non traduit en français]. La dépendance à la nourriture provoque des changements dans le cortex préfontal qui normalement contrôle l’impulsivité et les envies addictives, explique-t-elle • Martin Gall

Université d’Albany Quel est le meilleur moyen de lutter contre les fringales ? Plusieurs études montrent que plus un sujet essaie de limiter sa consommation d’un aliment, plus il risque d’en avoir envie. Certains experts suggèrent donc de céder à l’envie en la contrôlant. D’après une étude réalisée en 2003 à l’University College de Londres, les sujets qui ne mangent du chocolat qu’au cours d’un repas ou juste après réussissent mieux à y renoncer que ceux qui en prennent l’estomac vide. Les thérapies comportementalistes peuvent aussi aider. Des chercheurs d’Adélaïde, en Australie, ont réuni cent dix personnes qui se déclaraient accros au chocolat et leur ont donné à chacune un sachet de chocolats pour une semaine. On peut également mâcher du chewing gum et humer un produit non alimentaire. En inspirant une bouffée de jasmin, par exemple, on occupe les récepteurs d’arôme qui jouent un rôle essentiel dans les fringales. Le Dr Peeke suggère de prendre un réveil et de régler la sonnerie sur trente minutes chaque fois qu’une fringale se manifeste. Occupezvous avec autre chose jusqu’à ce que le réveil sonne ; l’envie aura peut-être passé. “Si on peut retarder la consommation de l’aliment désiré, on peut affaiblir la réaction habituelle”, confirme le Dr Pelchat. C’est la bonne nouvelle : plus on résiste longtemps à une fringale, plus elle s’affaiblit, selon les études.

INFOGRAPHIE - L’ÉVOLUTION DU GEEK


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Culture

«Fifty Shades of Grey» premier best-seller porno et féministe ?

Taïwan ou la présence du passé

Sollicitée pour donner sa grille du lecture du roman de E. L. James dont tout le monde parle, la féministe allemande de référence Alice Schwarzer explique pourquoi ce livre n’est ni porno ni contraire à l’émancipation des femmes. Berliner Zeitung : Alice Schwarzer, qu’avez-vous pensé du livre Fifty Shades of Grey ? Alice Schwarzer : Ce n’est pas un roman sadomaso, c’est une histoire d’amour tout ce qu’il y a de plus familier : une jeune femme au caractère bien trempé rencontre le prince charmant. Il n’arrive pas sur son cheval blanc mais à bord d’un hélicoptère et il a un côté sombre, mais ça aussi c’est très classique. Comment expliquez-vous l’intérêt que suscite le thème du sadomasochisme chez les femmes ? Qu’est-ce qui fascine des femmes – par ailleurs indépendantes – à l’idée de se soumettre corps et âme à un homme ?
 Le prince charmant tombe sous l’emprise de la princesse autant qu’elle sous son emprise à lui. C’est un amant fantastique, chevaleresque et attentionné, avant de tomber dans l’exagération. C’est là qu’apparaît son côté sombre, celui qu’il veut exprimer avec elle. Cette face sombre, nous l’apprenons assez tôt dans le roman, est l’héritage d’une enfance difficile. La femme amoureuse veut sauver l’homme de son malheur, comme d’habitude. Elle met un pied dans son univers mais elle l’abandonne quand cela est excessif. Finalement, elle ne se soumet pas. C’est à cela que tient la fascination de millions de lectrices : jouer avec le feu, sachant qu’on peut l’éteindre soi-même. Un livre comme Fifty Shades of Grey constitue-t-il une régression pour l’émancipation des femmes ? Ce genre de fantasme sexuel est-il compatible avec un mode de vie indépendant ? Doit-on secrètement avoir honte d’avoir lu ce livre avec plaisir ? Dans la sexualité, la honte n’est jamais justifiée. Qu’il existe un masochisme féminin, on le sait depuis longtemps. C’est une manière d’essayer de convertir l’humiliation et la souffrance en volupté. Dans son roman, l’auteure E. L. James (Erika Leonard, de son vrai nom) joue avec ces fantasmes, mais à la fin elle laisse son héroïne de 21 ans maîtresse de la situation et l’extirpe de cette liaison dangereuse. Pourquoi devrait-on y voir un recul de la cause féminine ? Une femme écrit sur le sadisme d’un homme – car c’est bien ça, le sujet du livre ! – et sur ses fantasmes de femme. C’est une perspective de femme parfaitement émancipée. Le fantasme est à des annéeslumière de la réalité. A cela s’ajoute le fait que l’héroïne du roman n’a absolument pas envie de réaliser ses fantasmes. Elle le fait par amour… avant d’ouvrir son parachute. Ce roman crée-t-il un nouveau degré de littérature pornographique ? Ce roman est tout le contraire d’une œuvre pornographique, car dans la pornographie le sexe est dépersonnalisé. C’est l’histoire d’une femme et d’un

homme, de leur liaison, de leurs sentiments, de leur amour. La femme n’est jamais réduite à l’état d’objet passif, elle reste un sujet actif et pensant. Pensez-vous que ce livre puisse pousser certaines lectrices à prendre des risques inconsidérés et à se retrouver dans des situations dangereuses ? Non, bien au contraire. Ce livre peut aider les femmes à jouer sans crainte avec leurs fantasmes. Christian, notre charmant sadique, ne fait rien qui aille contre la volonté d’Anastasia. Toutefois, à la longue, la soumission au lit finit par envahir tous les domaines de la vie. Mais les vrais sadomasochistes ne sont qu’une infime minorité. En revanche, le sadomasochisme au quotidien fait recette. C’est la réaction d’un certain nombre d’hommes face à l’émancipation des femmes. Dans un monde où de plus en plus de femmes accèdent aux responsabilités, certains hommes sont déstabilisés et préfèrent se représenter les femmes à quatre pattes plutôt que debout • Jeannette O’Osquard

Produits dérivés Fifty Shades of Grey, premier tome de la trilogie “Fifty Shades” de la britannique E.L. James est rapidement devenu un phénomène littéraire. Ce roman érotique dépeint les relations sado-masochistes qu’entretiennent Anastasia Steele, étudiante en littérature, et Christian Grey, un riche homme d’affaires. Qualifié de “porno pour mère de famille aux Etats-Unis, le livre a battu tous les records de vente au Royaume-Uni (5,3 millions d’exemplaires). En tout, 40 millions d’exemplaires de l’édition anglaise de la trilogie se sont écoulés dans le monde. Le texte a été traduit en 6 langues, et doit sortir en France le 17 octobre prochain. Les studios Universal ont déjà acquis les droits d’adaptation à l’écran. EMI Classics sortira en outre un CD (Chopin, Bach, Debussy,...) le 18 septembre et une comédie musicale inspirée des ouvrages érotiques de E.L. James sera aussi jouée au Fringe Festival d’Edimbourg à partir du 23 août.

Ecrivain de Chine populaire, Mo Yan a séjourné en 2002 sur l’île nationaliste. Il donne aujourd’hui ses impressions. Un point de vue littéraire et très politique. C’était la troisième fois que je me rendais à Taïwan, la première remontant à 1998. A l’époque, Taipei m’avait donné l’impression d’une ville très moderne, hérissée de grands immeubles, disposant d’installations semblables à certaines villes occidentales. En 2002, lorsque j’y suis retourné, il m’a semblé que Taipei n’avait que très peu changé et que la ville était vieillotte, très vieillotte. Ce sentiment s’expliquait par le développement prodigieux de la Chine continentale au cours de ces dernières années pendant lesquelles Pékin, Shanghai et Canton avaient connu de profonds changements. Taipei m’était soudain apparu vieillot parce qu’il n’avait que très peu changé ces trois ou quatre dernières années. Cependant, j’avais réalisé par la suite que le côté vieillot de Taipei n’était pas nécessairement une mauvaise chose. Vivre dans une ville où les transformations se succèdent à un rythme vertigineux n’est pas très agréable. Plus les changements sont rapides, plus ils sont étroitement liés à la notion de modernité. A l’opposé, l’aspect démodé de la ville de Taipei nous fait sentir le poids de l’Histoire et des vicissitudes de l’existence. Marcher un soir sous une pluie fine dans les ruelles, entrer dans un salon de thé à la lumière tamisée - typique de la culture chinoise - fait tout naturellement naître une nostalgie du passé. Des conditions géographiques particulières et différents facteurs historiques sont à l’origine de l’atmosphère culturelle qui règne à Taïwan. La Chine continentale a connu la Révolution culturelle [1966-1976], qui a marqué une rupture dans la tradition. De nombreuses choses ont été éliminées à l’époque, car elles étaient considérées comme des éléments nuisibles. Taïwan n’a pas vécu cette coupure. Elle a toujours perpétué l’enseignement des sciences et des arts chinois. J’ai remarqué que Taipei souffrait d’un profond complexe de nostalgie du pays natal, lié à l’implantation massive de Chinois continentaux sur l’île. Il est bien naturel qu’un tel sentiment surgisse chez ces gens qui, en venant se réfugier à Taïwan se sont séparés de leur famille depuis quarante, voire cinquante années. Mais les souvenirs de leur descendance sur ce pays natal ne sont que des souvenirs de souvenirs. La nostalgie du pays natal de jeunes écrivains taïwanais comme Chang Ta-ch’un [né


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Illustration en 1957], Chu T’ien-wen [né en 1956] et sa soeur Chu T’ien-hsin [née en 1958] n’est qu’une chimère, qu’une légende. Leur nostalgie est fondée sur celle de leurs ancêtres. Avec l’ouverture de la Chine continentale, dans les années 80, ils auront un jour peutêtre l’occasion de fouler le sol de leur terre natale et ils s’apercevront alors combien celle-ci est différente de l’image qu’ils s’en font en imagination. Un long éloignement a contribué à rendre étrangères les cultures de part et d’autre des deux rives du détroit de Taïwan. La littérature a joué le rôle que la politique et l’économie ne pouvaient assumer. Les écrivains de l’ancienne génération de Taipei aiment à puiser leur inspiration dans leur pays natal. Ce qu’ils écrivent a toujours un étroit rapport avec les lieux où ils ont vécu dans leur enfance. Il est très rare que des éléments typiquement insulaires, comme la brise sous les cocotiers, s’immiscent dans leurs oeuvres. Leurs ouvrages prennent toujours pour cadre des grandes plaines désertes, avec pour toute végétation du soja, du maïs et du sorgho. Un endroit plus difficile d’accès que les Etats-Unis ou la France. Cependant, j’avais réalisé par la suite que le côté vieillot de Taipei n’était pas nécessairement une mauvaise chose. Vivre dans une ville où les transformations se succèdent à un rythme vertigineux n’est pas très agréable. Plus les changements sont rapides, plus ils sont étroitement liés à la notion de modernité. En 1998, quand je me suis rendu pour la première fois à Taïwan, ma première impression, liée à des raisons historiques, a été celle d’un endroit très mystérieux ; ma deuxième impression a été que c’était un endroit d’un accès beaucoup plus difficile que les Etats-Unis, la France ou le Japon. J’avais commencé au printemps à accomplir les formalités pour ce voyage et ce n’est qu’au début de l’hiver que tout était prêt •

OBAMA DONC !

Le suspense a pris fin ce 7 novembre vers 7 heures (heure française) lorsque Mitt Romney a téléphoné à Obama pour le féliciter, reconnaissant ainsi sa défaite. Barack Obama passera donc quatre ans de plus à la MaisonBlanche. Les militants démocrates avaient anticipé la victoire dès l’annonce des résultats de l’Ohio, l’Etat balance sur lequel tous les yeux étaient rivés ; peu après, Obama annonçait sa victoire sur Twitter. Aux Etats-Unis et dans le monde, les dessinateurs commentent cette victoire – à leur façon, distanciée et impertinente •

Ci dessus : Le complexe de la Maison Blanche, Krolf 2012 Ci dessous : Yes, We Did it ! Zapiro 2012

Orèle Liaint

Mo Yan Auteur de nombreux romans traduits en français, Mo Yan est né en 1956 dans une famille de paysans de la province du Shandong et doit son éducation à l’armée. Parmi ses dernières oeuvres traduites : Beaux Seins, Belles Fesses : les enfants de la famille Shangguan (Le Seuil, 2004), Enfant de fer (Le Seuil, 2004), La Carte au trésor (Picquier, 2004).


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Histoire

Il y a cinquante ans, les Freedom Riders brisaient le tabou racial

En 1961, treize militants pour les droits civiques, blancs et noirs, embarqués dans un bus, défiaient les ségrégationnistes dans le Sud profond. A l’heure où l’Amérique commémore leur action, ils se disent déçus par le peu d’engagement des jeunes générations.

més par ces récits, ils restent timorés et ne cherchent pas à relever le défi comme leurs aînés l’ont fait. “Ça me pousse à mieux me conduire dans la vie et à sortir de mes petites habitudes pour parler à des gens de races différentes”, raconte pourtant Iasia Collins, une jeune Noire de 17 ans, au déjeuner organisé par Jackson 2000, association œuvrant au rapprochement des Blancs et des Noirs depuis plus de vingt ans. “J’ai envie d’aller plus loin. Des gens sont morts pour ça.” Mais d’autres, rassemblés avec elle autour des tables de la cafétéria, reprochent aux générations précédentes de ne leur avoir laissé que peu de possi-

”ÇA ME POUSSE À MIEUX ME CONDUIRE DANS LA VIE ET À SORTIR DE MES PETITES HABITUDES POUR PARLER À DES GENS DE RACES DIFFÉRENTES”, RACONTE POURTANT IASIA COLLINS, UNE JEUNE NOIRE DE 17 ANS, AU DÉJEUNER ORGANISÉ PAR JACKSON 2000

Récemment, une poignée de Blancs et de Noirs, assis dans un centre social avec des sandwichs et du thé glacé, discutaient de ce qui a changé ou pas depuis la venue des Freedom Riders [Voyageurs de la liberté] dans leur ville de Jackson, il y a cinquante ans. “Nous essayons toujours de nous considérer les uns les autres comme des êtres humains”, constatait Albert Sykes, un Noir de 28 ans. “Et ça nous demande encore des efforts.” 

Cinquante ans plus tôt, le 14 mai 1961, jour de la Fête des mères, un car rempli de jeunes était incendié à Anniston, dans l’Alabama. Il transportait un groupe de Noirs et de Blancs partis de Washington pour propager au Sud réfractaire la déségrégation dans les transports entre Etats. Les jours suivants, d’autres Freedom Riders furent arrêtés par des élus ségrégationnistes de Jackson et incarcérés dans le pénitencier d’Etat du Mississippi. Au cours des quatre mois suivants, des militants venus des quatre coins du pays persévérèrent dans la même démarche. Au total, ils furent quatre cent

trente-six à risquer leur vie face à des foules en colère et à un Ku Klux Klan prêt à tout. La plupart des barrières juridiques opposées aux Freedom Riders sont tombées au cours des années suivantes avec le passage des lois fédérales sur les droits civiques et la volonté d’une génération de militants prêts à affronter les lances d’incendie et les manches de pioche. Mais des vestiges inquiétants du passé ­subsistent : de nombreuses écoles pratiquent à nouveau la ségrégation et ceux qui ont pris le risque de la combattre sont déçus de voir que la génération actuelle n’est pas prête à faire des sacrifices similaires ou en est incapable. Albert Sykes participe à l’organisation de l’un des nombreux hommages rendus aux Freedom Riders ces derniers temps. Il veut rappeler que ceux qui prenaient des coups de batte, de chaîne et de tube d’acier lorsqu’ils essayaient d’entrer dans les salles d’attente “réservées aux Blancs” des gares routières étaient des adolescents et de jeunes adultes. Les jeunes d’aujourd’hui ont beau être enthousias-

bilités de se rencontrer. Il n’y a pas de cinémas ni de centres commerciaux dans la ville. Le parc de skate qui attirait les Blancs et les Noirs a fermé. Les églises tendent, elles aussi, à accueillir soit des Blancs, soit des Noirs. 
Motivées par la conversation, Iasia et une jeune Blanche ont échangé leurs numéros de téléphone. “Je t’envoie un texto”, a promis une autre étudiante blanche à Iasa. Mais depuis, ni l’une ni l’autre n’ont envoyé de message. Depuis 1960, la population de la ville de Jackson est passée d’un tiers à trois quarts de Noirs. La même tendance se retrouve dans les écoles. Le lycée, qui jouit de la meilleure intégration, accueille mille trois cent cinquante élèves, dont seulement treize Blancs. Cette nouvelle tendance à la ségrégation a commencé en 1970, quand des Blancs ont retiré leurs enfants des écoles pour s’opposer à l’intégration. Anne Lovelady, une enseignante noire à la retraite, a passé l’après-midi à écouter les élèves, pensant qu’ils s’engageraient davantage s’ils comprenaient mieux le passé. Tous les documentaires, cours d’études sociales et débats sur le cinquantième anniversaire du mouvement n’ont pas suffi, selon elle, à créer un “lien affectif” entre les jeunes et le mouvement. “Nous les avons protégés, dit-elle, moi, j’ai entendu mes tantes et ma grand-mère en parler. J’ai entendu l’émotion avec laquelle elles l’évoquaient. Cela m’a permis de comprendre le sacrifice que mes parents ont fait. Et je savais que, moi aussi, je devais en faire un.” 

Les Freedom Riders sont devenus des travailleurs sociaux, des développeurs de logiciels, des enseignants, des prédicateurs et des commerçants. Deux d’entre eux ont été élus au Congrès, John Lewis et Bob Filner, représentants démocrates de Géorgie et de Californie. Un des membres les plus jeunes du mouvement, Hezekiah W ­ atkins, qui vit lui aussi à


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Ci dessus : Freedom Riders arrêtés par la police de Jackson Ci dessous : Incendie volontaire du Bus en 1964 suite à la loi Landohm Ci contre : Départ du Bus, la route traversera 7 états en seulement quelques semaines

Jackson, est aujourd’hui âgé de 63 ans. Il pense la même chose qu’Anne Lovelady quand il regarde sa fille de 21 ans, Kristie. Ces dernières semaines, dans ses interviews et ses discours sur son expérience au sein des Freedom Riders, il a comparé son adolescence à la sienne. “Très souvent, elle a le sentiment qu’on lui doit quelque chose. Je lui demande toujours : ‘Qu’est-ce qu’on te doit et qui te le doit ?’ raconte-t-il. J’ai parlé à tous mes enfants des années 1960, de ce que nous avons connu. Ils me regardent comme si cela n’avait aucun rapport. Je me suis toujours dit que mon pied était sur une peau de banane et qu’un jour je pourrais glisser.” Pour Hank Thomas, qui avait 19 ans quand il a rejoint les Freedom Riders, le contraste entre son expérience et celle des jeunes d’aujourd’hui est on ne peut plus frappant. Il y a cinquante ans, le sacrifice était évident. Imposer l’intégration dans les Etats du Sud pouvait vous coûter la vie. Cela supposait d’acheter un ticket pour Jackson après avoir entendu parler du car incendié d’Anniston ainsi que des hommes et des femmes roués de coups à Birmingham et à Montgomery. “On ne savait jamais ce qui allait arriver”, explique l’ancien militant, en se remémorant l’angoisse de l’époque. Cet homme d’affaires noir vit dans la banlieue d’Atlanta. Il est propriétaire de trois restaurants franchisés McDonald’s et de trois hôtels Marriott. Martin Luther King, qui considérait ce premier voyage comme une mission impossible, avait décliné l’invitation de prendre le bus avec les étudiants. Les jeunes avaient tiré un certain orgueil d’aller là où même le leader du mouvement pour les droits civiques n’osait pas aller. Rétrospectivement, leur manifestation a eu le mérite de fournir au mouvement non-violent un modèle pour ses futures campagnes. Dernièrement, Hank Thomas s’est rendu régulièrement à Jackson pour aider à l’organisation de la grande réunion des Freedom Riders [qui s’est tenue dans la ville du 22 au 26 mai]. Il a travaillé avec Lew Zuchman, un membre noir du mouvement qui dirige aujourd’hui une importante organisation à but non lucratif pour les jeunes de New York. 

Les deux hommes ont participé à la rédaction de l’ordre du jour de cette réunion. Le programme comprenait un petit déjeuner à la résidence du gouverneur, une visite du pénitencier où les militants étaient incarcérés et une rencontre de jeunes visant à mobiliser la prochaine génération. Et justement, Lew Zuchman se dit très déçu du manque d’engagement des jeunes face au racisme actuel. “La situation est évidemment pire pour les jeunes Noirs. Il est choquant de voir ­combien d’entre eux sont en prison aujourd’hui, dit-il. Nous avons réglé quelques problèmes mineurs, mais la situation n’a pas vraiment changé.” •

Jean Bavencort

LES FREEDOM RIDERS EN TROIS MOTS : FOSSÉ GÉNÉRATIONNEL - Le journaliste Ellis Cose a interrogé trois générations d’anciens de la Harvard Business School et du programme de bourses Better Chance, tous africains-américains. La question posée à ces 500 personnes était la suivante : comment s’exerce la discrimination ? La réponse est résumée par le titre de son ouvrage : The End of Anger: a New Generation’s Take on Race and Rage [La fin de la colère, le point de vue d’une nouvelle génération, inédit en français]. Ainsi, parmi les contemporains de la lutte pour les droits civiques, 75 % disent avoir subi beaucoup de discrimination, contre 49 % dans la génération née après 1970.

PIONNIERS - Le 4 mai 1961, treize jeunes militants pacifistes noirs et blancs lancèrent le premier Freedom Ride. Ils voulaient ainsi mettre à l’épreuve la décision de la Cour suprême visant à rendre illégale la ségrégation dans les bus faisant la navette entre

les Etats. Mais leur périple fut brutalement stoppé à Anniston, en Alabama, par une attaque du Ku Klux Klan. Le mouvement fut alors repris par d’autres militants. En novembre 1961, quand une loi fédérale mit fin à toute forme de ségrégation dans les bus inter-Etats, les Riders avaient été plus de quatre cents à avoir pris la route.

SÉGRÉGATION - La mixité recule dans les écoles américaines. C’est le constat fait en 2009 par un groupe de recherche de l’UCLA. Selon le dossier du Civil Rights Project, en 2008, 39 % des élèves noirs et 40 % des élèves hispaniques étaient scolarisés dans des établissements avec très peu de mixité raciale. Elle a rejeté plusieurs plans de déségrégation volontaire, des cartes scolaires qui répartissaient les élèves afin de favoriser la mixité raciale.


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